Pour une histoire des risques naturels dans les Pyrénées occidentales françaises sous l'Ancien Régime1
p. 115-163
Texte intégral
1Vidal de La Blache, R. Dion en leur temps et pour la géographie, M. Bloch et surtout F. Braudel pour l'histoire ont insisté sur la part du milieu dans les sciences humaines. Quelles que soient par ailleurs les manières dont il les domine ou les subit, l'homme doit compter avec un certain nombre de contraintes naturelles, les unes quasi intemporelles à l'échelle de la durée des sociétés humaines, les autres plus brutales, accidentelles et donc événementielles. Le modèle braudélien, la Méditerranée au temps de Philippe II2 a longtemps été considéré comme l'exemple à suivre en la matière. Toutefois, en privilégiant la longue durée, l'histoire « abyssale », Braudel rejoignait ceux qui avec l'École des Annales réglaient de vieux comptes avec l'histoire événementielle, l'histoire politique surtout. On prit alors le risque de perdre de vue l'importance du moyen et du court terme ; la série, longue, massive tendait à privilégier la permanence et à masquer ce à quoi les hommes restent le plus sensibles : les ruptures, l'accident. Si Ton admet avec M. Bloch, que l'historien comme l'ogre de la légende se nourrit de chair fraîche et que les véritables objets de sa recherche sont les sociétés humaines, comment dès lors négliger leur sensibilité aux risques et aux accidents de tous ordres auxquels elles sont exposées. Il n'est évidemment pas question de renoncer à la mesure qui suppose la durée et la répétition ; mais il faut rendre sa véritable place à l'événement dont l'aspect politique, diplomatique ou militaire, n'est que Tune des très multiples facettes. Un orage de grêle, qui n'est d'ailleurs jamais un fait isolé, peut être non pas exemplaire, mais servir de révélateur à une crise économique ancrée dans la longue durée ou bien à des fantasmes sociaux, qui font partie d'un très ancien patrimoine collectif. Dans la perspective d'une histoire événementielle revisitée, les accidents et les risques naturels devraient naturellement trouver leur place.
2Les géographes les premiers ont reconsidéré la question du milieu ; depuis les années soixante, à travers le thème privilégié de la perception et des représentations du milieu naturel, de nombreuses études ont été consacrées aux risques et aux accidents dont peuvent être victimes les milieux. Tous s'accordent d'ailleurs pour noter que le fait, sa réalité matérielle, importe parfois moins que la manière dont il est perçu et que les sensibilités sont susceptibles de profondes mutations3.
3De leur côté, les historiens ne restaient pas inactifs ; quelques travaux pionniers comme ceux de D. Mornet, étaient déjà porteurs d'idée neuves4. Dans des termes empruntés à la littérature, la « nature », ou bien à l'esthétique, le « paysage », plusieurs travaux de grande qualité se sont attachés à l'étude de perceptions particulières du milieu : celles des paysages ruraux5, celles de la montagne dont on a pu écrire que le « sentiment » n'était qu'une forme exaltée du sentiment de la nature6. Rebaptisé de diverses manières, le milieu a suscité au moins deux dérives scientifiques et affectives. La première, que l'on pourrait qualifier d'esthétisante, a fini par réduire l'environnement au paysage et celui-ci au jardin. La nature n'est plus alors que le décor d'un théâtre dont l'unique acteur serait l'homme ; l'anthropocentrisme triomphe ainsi sans limite.
4Le même courant a d'autre part engendré une autre dérive ; celle du « catastrophisme ». À suivre les catastrophistes, l'histoire du milieu n'aurait connu que deux stades : le premier serait celui, idéal, de l'immuabilité qui imposerait une politique de conservation à tout prix ; cette option ne s'applique d'ailleurs pas exclusivement au milieu, elle concerne aussi le patrimoine artistique. Le second stade envisagé est celui d'une dégradation générale, résultat quasi exclusif de la prédation humaine qui imposerait une politique de restauration systématique. Entre conserver et restaurer n'existerait aucune autre alternative7.
5Parallèlement à ce courant qui se soucie assez peu de la recherche et de l'analyse factuelle, qui prétend gérer l'espace sans toujours prendre en compte le temps, on y cultive volontiers les mythes originels, de nombreux historiens, sensibles aux grands cycles de crises de l'Europe médiévale et moderne en ont recherché les facteurs structurels et en particulier ceux qui relèvent du milieu8. Élargissant les perspectives d'étude de son grand cycle agraire languedocien, E. Leroy-Ladurie fit figure de précurseur en donnant en 1967 la première édition de son Histoire du climat depuis l'An mil9. De son côté, M. Devèze avait ouvert dès 1961 la voie à des recherches particulièrement stimulantes sur la forêt10. Depuis, les travaux n'ont cessé de se multiplier ; autour du Groupe d'histoire des forêts françaises (GHFF) est née une véritable école « environnementaliste » dont les objectifs ont fini par dépasser l'objet initial11. Les succès remarquables de cette école sont aujourd'hui reconnus par tous ; cependant, même et surtout parmi les combattants de la première heure, une inquiétude s'est glissée : la recherche environnementale peut-elle fonctionner et dans quel but ?
6Dans une brillante réflexion, qui risque malheureusement de rester un peu trop confidentielle, A. Corvol-Dessert conclut ainsi : « Tout cela n'augure rien de bon pour le futur, celui de l'environnement, celui de son histoire et de ses historiens »12. Ce propos pessimiste, tout à fait fondé, renvoie dans un premier temps à des difficultés de fonctionnement : celles qui touchent en particulier à la constitution et au financement des groupes de recherches. Mais il concerne surtout la problématique générale et des questions de définitions. Dans le domaine qui nous intéresse ici, les historiens sont (très naturellement) tributaires du vocabulaire des disciplines voisines, de celui de la géographie surtout. Le choix des mots n'est jamais tout à fait innocent ; l'exemple de « l'environnementalisme » est à cet égard révélateur. Autant le mot d'environnement a connu le succès auprès des organes de diffusion et du public, autant celui de milieu est resté dans l'ombre. Au point que l'on a fini par douter de l'existence du milieu et des milieux ; l'Université, toujours prompte à brûler ce qu'elle a trop longuement adoré, les rejetait de ses enseignements. Un effort de clarification et de redéfinition s'imposait et semble en effet se dessiner.
7Une grande synthèse récente s'y est attachée ; sans remettre en cause les acquis de l'écologie et de l'environnementalisme, elle met en perspective le catastrophisme et toutes les déviations réductionnistes : « La dénaturation des milieux est réelle mais elle ne dispense pas de les connaître. La notion de milieu n'est pas périmée »13. Ph. et G. Pinchemel donnent ensuite une définition de l'environnement qui ne manquera pas de retenir l'attention de l'historien : « Ce que nous appelons environnement n'est que la fraction de la réalité saisie par nos sens »14. Ainsi admettrons nous que les sociétés humaines ne se confondent pas avec le milieu qui existe en dehors d'elles et des représentations successives qu'elles en proposent. En même temps on insistera sur le fait que rares sont les milieux qui échappent à l'homme « ce bâtisseur de paysages »15.
8Dans cette perspective il apparaît plus facile d'écrire une histoire de l'environnement plutôt qu'une histoire des milieux naturels proprement dits. Dans le premier cas, favorisé par la nature des sources historiques, l'anthropocentrisme est l'objet même de la recherche ; dans le second il constitue un obstacle considérable, à peu prés infranchissable. Il devient difficile dans ces conditions de mettre en œuvre une histoire qui est à la fois celle des éléments, celle des risques naturels dans le cas qui nous occupe, qui composent le milieu montagnard et celle de ses représentations.
9L'historien se retrouve en fin de compte devant un paradoxe : il dispose d'une certitude, les sociétés humaines sont un agent actif du milieu. Mais d'une part, l'homme n'a pas toujours conçu le milieu en tant que tel ; est-il dès lors légitime, sous peine d'anachronisme, d'appliquer ce concept à des sociétés qui l'ignorèrent ? D'un autre côté, même si les contraintes du milieu sont connues, rien n'assure que l'homme soit toujours conscient de la portée de ses interventions. Ainsi, la plupart des paysages ne sont intelligibles qu'en tenant compte des activités humaines ; mais, on le sait bien aujourd'hui, l'homme ne s'est préoccupé que très tard de lire les paysages qu'il modifiait.
10La découverte et la construction sociale des milieux naturels a été le résultat de facteurs multiples et parfois contradictoires. Au XVIIIe siècle l'utilitarisme le plus prédateur a été le précurseur du sentiment de la nature qui favorisa, lui, la conservation. Ce processus s'observe en particulier dans les Pyrénées occidentales ; stimulé par le ministre Bertin mais aussi par l'Académie royale de Pau, B. Palassou entreprit ses premières recherches dans le cadre d'un inventaire des ressources naturelles qui se souciait bien peu de la beauté des « monts affreux »16. Cette évolution complexe est loin d'être achevée et les exemples généraux ou locaux ne manquent pas17.
11Mais chaque période lui donne sa couleur particulière et la perception de l'environnement est en soi un événement et non pas une donnée immuable. Elle constitue une composante significative d'une idéologie sociale, politique et culturelle qui est loin d'être toujours évidente car elle ne se reconnaît ni ne s'avoue comme telle. B. Palassou, son confrère géographe Fr. Flamichon, furent dans les Pyrénées les premiers surpris de leur découverte : le sentiment18. Leurs nobles compatriotes, les académiciens palois eussent été horrifiés que l'on put les soupçonner de frayer les voies de l'amour de la nature quand ils ne songeaient qu'à l'utile19. A. Corvol-Dessert donne deux exemples significatifs des mutations des comportements collectifs à l'égard de l'environnement. Après des siècles de prédation, parfois plus apparente que réelle, le XIXe a boisé sans égard pour le milieu au nom de la santé du citoyen (la politique du vert) et au nom de l'extirpation des « mauvais usages » agro-pastoraux. Le XIXe siècle a également mené une lutte systématique contre les eaux dormantes et les espaces insalubres et incultes ; la santé, les besoins alimentaires étaient les enjeux de ce combat. Au XXe siècle, ces espaces répulsifs sont réhabilités ; ils deviennent des niches écologiques, des sanctuaires précieux qu'il faut à tout prix protéger.
12Dans le cas particulier des montagnes, l'histoire de leur perception a été brillamment illustrée par N. Broc, surtout pour les Alpes, et elle vient de l'être pour les Pyrénées par S. Briffaud20. Ces remarquables synthèses font toutefois une place modeste au milieu considéré du point de vue événementiel, celui des risques naturels. Le Centre toulousain de C. Bertrand a cependant déjà posé de sérieux jalons pour les Pyrénées centrales et orientales21. Les Pyrénées occidentales, en apparence moins exposées aux fureurs de la nature, ont jusqu'ici assez peu retenu l'attention22.
13Tous les travaux récents soulignent combien il serait dangereux d'aborder une étude des risques naturels sans une réflexion méthodologique préalable. L'inégalité du regard porté sur tel ou tel point du territoire invite aussi à proposer quelques considérations techniques. Quelles sont les conditions de faisabilité d'une telle recherche, quelle peut être ou doit être sa place et, pourquoi ne pas le dire, son utilité ? S'il s'agit d'éclairer des comportements collectifs, la politique d'une société en matière d'environnement, l'utilité est différée, l'urgence ne s'impose pas et une démarche isolée, sans moyens considérables, n'est pas inconcevable. En revanche, s'il s'agit de répondre à une demande, celle du CEA par exemple sur la chronographie des séismes en France, celle des collectivités montagnardes sur les zones à avalanche, les difficultés risquent de se multiplier. Pour aboutir dans des délais compatibles avec l'urgence, la recherche archivistique des zones à risques suppose : la mise sur pied de véritables équipes, la définition d'un champ pluridisciplinaire. Ces conditions initiales remplies, il faudra encore compter avec des financements aléatoires, susceptibles de fluctuer au gré des besoins et des modes.
14On le voit bien, les questions que pose une histoire du milieu seront d'abord plus nombreuses que les réponses possibles et probables. Compte tenu de l'état actuel de la recherche dans les Pyrénées occidentales23 et de l'isolement des historiens concernés, il ne faut pas s'attendre avant longtemps à une synthèse. Mais il n'est pas inutile de préparer le terrain avant de semer et nous proposons à cet effet une enquête sommaire sur les seuls risques naturels dans les Pyrénées occidentales à l'époque moderne
Préalables à une enquête
15Sans être d'une originalité absolue, la perspective qu'offrent les Pyrénées occidentales a ses caractères propres et la perception des risques naturels pendant la période moderne a une tonalité qu'il n'est pas inutile de définir.
16Entre le choc des réformes religieuses au milieu du XVIe siècle et celui de l'événement révolutionnaire, entre les sensibilités médiévales qui s'attardent et celles des prémices de l'ère industrielle, le monde pyrénéen semble voué à l'immobilisme des sociétés agro-pastorales. Les modes d'appropriation de l'espace marqués du sceau de la vigueur du système communautaire, sa maîtrise, peu modifiée par l'amélioration du réseau de communications au XVIIIe siècle, sa gestion enfin, caractérisée par l'affirmation de la polyculture aturienne ne semblent connaître aucune transformation décisive. L'introduction du maïs par exemple s'est accomplie sans bouleversements majeurs du terroir ; le maïs se substitue au millet, concurrence un peu le froment mais ne provoque aucune vague de défrichements24. Peut-on en conclure que le rapport entre l'homme et le milieu soit resté identique à lui même pendant trois siècles ?
17Une longue fréquentation des archives pyrénéennes suggère une hypothèse générale ; jusque dans le premier quart du XVIIIe siècle au moins, les Pyrénéens conceptualisèrent les risques naturels dans une perspective spirituelle et morale. Pour les plus instruits, les plus proches de la culture dominante chrétienne, l'approche pouvait même être doctrinale et théologique. Dans un discours que les églises ne contrôlaient pas toujours aussi exactement qu'elles le souhaitaient les dérives « superstitieuses » étaient nombreuses ; il n'est pas toujours facile dans ces conditions de distinguer les dispositions et les moyens préventifs des remèdes curatifs. La procession des Rogations si l'on en croit les témoignages du curé Loustouré de Bruges au XVIIe siècle, de l'abbé Bonnecaze de Pardies au XVIIIe siècle, était d'évidence préventive25. Les bouquets de fleurs des champs, d'abord trempés dans les eaux d'un ruisseau approprié, bénis ensuite, passaient pour écarter les orages de grêle. Mais d'une manière générale processions et prières publiques intervenaient plutôt pendant ou après la catastrophe ; d'autre part les risques naturels préoccupaient moins que leur signification, forcément cachée. L'événement comptait moins que ce qu'il annonçait ; à la veille et à la suite de la campagne de Louis XIII en 1620, les pamphlétaires s'évertuèrent à interpréter les « pluies de sang », les croix de sang dans le ciel26. Vers la fin du XVIIIe siècle, les mentalités n'avaient guère changé ; en 1777 le curé Duclos de Limendous notait dans les marges de ses registres paroissiaux : « Il a paru une aurore boréale le 3 novembre au Nord de Limendous qui épouvanta nos païsans et donnoit à penser aux plus habiles. Chacun en augura suivant son génie. On ne scait pas ce qu'elle présagoit... Il n'y eut aucune péruille (poires sauvages) à Limendous pour faire le breuvage ordinaire »27.
18Ces approches traditionnelles des accidents climatiques et des risques naturels persistaient encore, et pour longtemps, lorsque se dessina une appréciation nouvelle. La prudence des propos du curé Duclos en 1777 en est témoignage : on assiste à la cohabitation, très ordinaire, de deux mentalités différentes mais qui mérite d'être rappelée car elle détermine des distinctions culturelles et sociales. Au cours du XVIIIe siècle, la perception des accidents se laïcisa et se rationalisa ; ce qui avait été jusque là imputé à Dieu ou au Diable le fut désormais à la Nature et à ses lois physiques.
19Les facteurs de cette lente mutation sont parfois difficiles à distinguer et se confondent avec ses effets. On pourra retenir : la mise en accusation du christianisme ; la valorisation de la nature par le biais de l'utilitarisme puis du sentiment ; la recherche de nouveaux profits donc de nouvelles ressources ce qui supposait le réaménagement des terroirs, l'inventaire du milieu ; les progrès administratifs de l'État pour qui un meilleur contrôle des hommes passait par une surveillance plus exacte de l'espace. Les manifestations concrètes de la mutation sont plus évidentes : le XVIIIe siècle mesure, dénombre, cartographie avec une ardeur toujours croissante. Nous passons alors de la notation anecdotique sur quelques marges à l'enregistrement systématique. Nous avons signalé plus haut les travaux du naturaliste B. Palassou ; ils s'inscrivaient dans le cadre des vastes enquêtes mises en œuvre après 1750. On pense aussitôt à celles qui furent entreprises sous la houlette des intendants ; celle qui concerna en 1785 les forêts par exemple28. Il serait injuste de passer sous silence toutes celles que menèrent les assemblées d'États dont il ne faut pas sous estimer l'activité au XVIIIe siècle. Ainsi, en juin 1775, les États de Béarn enquêtèrent sur les dommages causés par les inondations des 17, 20 et 21 du mois « et par les grêles que plusieurs communautés ont aussi éprouvé »29 À cette occasion l'assemblée sollicita les relais d'information traditionnels, les jurats des communautés et les curés qui devaient répondre « en marquant brièvement dans chaque colonne si vous avez éprouvé le genre de dommage qui y est indiqué. Nous ne vous demandons pas le nombre exact des arpents de terre emportés ou endommagés : mais celui que vous estimerez à peu prés. Vous voudrez bien marquer dans la colonne des observations le nom de la rivière ou ruisseau qui a causé les principaux dommages ; si la nouvelle route qui passe dans votre communauté a été endommagée ; si les ponts construits en pierre ou en bois sur cette route ont été emportés... ». Les commissaires des États insistaient aussi sur l'importance d'une prompte réponse et l'on voit déjà comment l'urgence mène l'enquête. Cet exemple montre aussi de quelle manière se mit en place une nouvelle politique d'encadrement du réel qui suscita une information nouvelle, pas plus innocente d'ailleurs que celle que procuraient les demandes adressées au ciel.
20Un certain nombre d'enquêtes, comme celles que nous venons de citer, se préoccupaient surtout, dans l'urgence du besoin, de procurer au public un secours : les États souhaitaient « pouvoir vous annoncer le soulagement que nous avons lieu d'espérer de la bienfaisance du Roi ». Les arrières pensées fiscales de ces propos n'étaient pas une nouveauté ; mais le recours au roi et non à Dieu, à la « Bienfaisance » et non à la charité en dit long sur les mutations en cours. La politique du milieu n'est pas dissociable de la politique tout court ; cela est d'autant plus vrai que la plupart des enquêtes, celle sur la forêt par exemple, envisageaient dans le long terme une prévention rationnelle des risques naturels. À cet égard une recherche s'impose sur l'apparition à la fin du siècle des premières sociétés d'assurance qui traduisent le passage du temps de la soumission et de la résignation à celui de la prévision30.
21Parce qu'elle a été vilipendée à l'excès, l'histoire événementielle redevient à la mode ; suivons donc la mode mais en lui proposant si possible des objets nouveaux. L'histoire des risques naturels est d'abord événementielle. La part sensible à l'homme des catastrophes naturelles est celle qui dure quelques jours, parfois seulement quelques instants. Il y a là sans doute un beau domaine à défricher pour ceux qui souhaitent réhabiliter l'événement et donner ses lettres de noblesse à l'histoire « immédiate ». En dehors de tout contexte, celui du milieu ou bien des hommes ou des deux à la fois, l'accident a une signification qui lui est propre.
22Mais il ne saurait être question de légitimer une telle recherche hors de la longue durée ; la prévision n'a de sens que si elle prend en compte la répétition de l'événement. Dès lors se pose la question des sources et en particulier celle des séries documentaires. Avant que les risques naturels n'aient été conceptualisés comme tels, il est vain de rechercher une série spécifique que les règles politico-administratives du classement des archives rendent de toute manière improbable. Les trouvailles que procure le hasard ne sauraient être méprisées et il serait souhaitable que les chercheurs en sciences humaines prennent la bonne habitude d'informer systématiquement leurs fichiers. Mais on ne peut raisonnablement tout attendre d'une lecture qui ne sera jamais exhaustive ; il faut donc faire des choix et déterminer les fonds où l'abondance des trouvailles compensera le temps et le coût.
23Parfois considérées avec suspicion par l'historiographie contemporaine, les sources imprimées ne doivent pas être négligées. Par leurs origines, leur diffusion, elles constituent le cadre normatif de la perception des risques ; elles sont ainsi à la fois un codage des événements et un décryptage. Parmi les plus nombreuses et les plus didactiques, les œuvres religieuses sont aussi parmi les plus anciennes ; dans quelques cas elles forment d'authentiques séries. Les Rituels diocésains apportent d'utiles précisions sur les cérémoniaux de prévention ; il s'agit certes de textes très répétitifs d'un diocèse à l'autre, mais des coutumes locales y trouvent parfois leur place. Le Rituel d'Oloron prévoyait sans surprise des processions pour la pluie et le beau temps, des bénédictions des champs contre les sauterelles et les chenilles31. À partir du XVIIe siècle, les Ordonnances synodales contiennent des allusions, dans les cas réservés à l'évêque surtout, aux « superstitions » populaires, manières parfois de percevoir le milieu.
24Avant le XVIIe siècle et surtout le XVIIIe, les œuvres scientifiques ont été rares en province. Les travaux des académies, très marqués du sceau de l'utilitarisme, furent souvent précurseurs ; fondée en 1718, l'Académie royale de Pau mit ainsi au concours : « La différence des climats où les hommes naissent contribue-t-elle à celle de leur esprit » (1743) ; « Sur la cause des feux souterrains » (1746) ; « La nature de la neige, sa formation et ses principaux phénomènes » (1747)32. La même académie fut en relation avec le naturaliste Giraud-Soulavie qui lui proposa une « histoire naturelle de Béarn ». Les Pyrénées commencèrent à attirer l'attention vers 1750-1770 ; mais il y a peu de chose à espérer des savants de cabinet qui observaient les montagnes depuis Paris comme Darcet33. En revanche, d'obscurs provinciaux ont laissé des œuvres de terrain souvent très riches ; c'est le cas de celle du naturaliste P.B. Palassou et de l'ingénieur-géographe Fr. Flamichon34.
25En dehors de tous ces ouvrages normatifs à divers degrés des formes de la perception du milieu, on ne peut négliger ceux qui informent sur l'événement. À partir du XVIe, on surveillera la masse des occasionnels, difficiles à débusquer mais précieux ; ainsi dans la multitude des pièces publiées autour des événements de 1620 en Béarn, on trouve une « Déclaration sur ce qui s'est passé sur le rétablissement de la religion catholique au pays de Béarn avec les discours du tremblement de terre »35. La presse locale n'apparaît pas avant la seconde moitié du XVIIIe siècle36 ; en 1778 la Circulaire des Pyrénées, éditée à Pau, déplorait dans son numéro huit « que dans un pays où l'histoire naturelle frappe nos yeux à chaque instant, il y a si peu de gens pour l'étudier ». Précoces, abondants, les récits de voyage enregistrent à l'occasion des accidents, climatiques surtout37. Restent enfin, parmi les sources imprimées, les cartes et plans ; le défaut d'une solide synthèse sur l'histoire de la cartographie pyrénéenne sera ici un handicap qui ne doit cependant pas décourager les chercheurs38.
26L'inventaire des sources manuscrites est bien plus délicat à établir que celui des sources imprimées ; la masse documentaire est telle que le coût et le temps des dépouillements seront toujours un obstacle à l'exhaustivité. Les séries déposées aux Archives nationales concernent surtout la fin de l'Ancien Régime et les débuts de l'époque contemporaine. La sous série F. (8-10-14-20) est certainement la plus riche ; en F 10, Agriculture, se trouvent de nombreux plans de forêts ; en F 14, les Travaux publics et les Ponts et Chaussées du XVIIIe siècle, en F 20, pour les années 1764-1852, sont compilées les premières observations météorologiques. Les autres séries s'attachent surtout aux questions des eaux et forêts et des communaux : Série G, G 3 et 7 ; série K, KVII 905 ; série H 1, Béarn H 77 à 89, Navarre H. 1152 à 1161, Soule H. 1367 à 1370. Des données utiles sur les mines se trouvent en série T, T. 522/2 (Baïgorry). Les fonds des Archives nationales traduisent surtout la perception des agents du pouvoir central, souvent étrangers à la région qu'ils administraient. On complétera utilement leur point de vue en consultant les fonds des archives départementales et communales.
27Dans le cas particulier des Pyrénées Atlantiques, la série B comporte un fonds important de la Maîtrise particulière des Eaux et Forêts de Pau, créée en 173839. Parmi les très riches liasses et registres de la Série C, les historiens accordent une attention privilégiée aux fonds des intendances ; le ressort géographique de l'intendance en Aquitaine méridionale a plusieurs fois varié au cours des XVIIe et XVIIIe siècles et du Pays de Foix à l'Atlantique en passant par la Haute Lande, elle a concerné tous les pays gascons40. Sa documentation est donc absolument inévitable, mais pour les Pyrénées, elle ne couvre que le XVIIIe siècle. Les fonds des États généraux ou provinciaux (Béarn, Navarre, Soule, Bigorre, Labourd) commencent dès le XVIe siècle, constitués pour l'essentiel des délibérations et des pièces comptables41. C'est dans cette série, longue et homogène que figurent les premières enquêtes systématiques sur le milieu. Malheureusement, il est très rare qu'elles soient complètes, soit du fait et de la conservation, soit de celui des carences de l'administration centrale et locale, mais leurs richesses compensent cet inconvénient. Même si leur désordre et leur foisonnement est peu fait pour susciter des vocations, les comptabilités des assemblées territoriales méritent un examen très attentif.
28Quoique abondantes et riches, les sources communales et syndicales (pour les vallées montagnardes) ont été jusqu'ici très peu prospectées. La compétence cependant très étendue des anciennes municipalités laisse augurer une fructueuse moisson. Ici encore, il faudra privilégier les séries les plus homogènes avec le risque évident de décrire des politiques du milieu plutôt que le milieu lui même. Trois séries en particulier méritent d'être explorées : BB., délibérations communales ; CC., comptabilités ; DD., biens communaux, eaux et forêts, voirie et travaux publics. Lorsqu'ils figurent dans les archives communales, ils sont souvent immergés dans les fonds notariés, les règlements des communautés (AA.) peuvent s'avérer très précieux ; dans les pays d'États ils complètent les règlements généraux parfois imprimés comme en Béarn.
29La quête des sources conditionne les orientations de la recherche, elle ne les détermine pas. La perception des événements implique une double démarche : d'une part la mise en place d'une typologie des risques avec le danger d'accentuer encore l'anthropocentrisme. Il conviendra d'autre part de répertorier les acteurs sociaux et politiques impliqués par les accidents naturels et l'origine des moyens mis en œuvre pour les gérer : ceux des églises, de l'État, des communautés tels que procession, quêtes, allégements fiscaux, corvées, prestations en nature... La typologie a été volontairement réduite et écarte les risques ou dommages provoqués par des êtres vivants, nuisibles et prédateurs de toute espèce42. Ont été retenus : les séismes, les raz de marée, les inondations, les orages de grêle, les « lavanges », avalanches de neige et glissements de terrain.
30Il est plus délicat de déterminer la part de tous les acteurs impliqués dans la perception et la gestion des risques. La communauté paysanne mais aussi urbaine a été la première à se confronter au milieu par l'appropriation et la mise en valeur des sols. À partir du XVIIIe siècle les agents du pouvoir central et les esprits « éclairés » se sont complus à dénoncer les caractères négatifs de la politique communautaire : ses interventions, toujours ponctuelles, étaient exclusivement limitées au territoire communal. La médiocrité des ressources se conjuguait aux conflits d'intérêts au profit d'une politique à courte vue. Les intendants dénoncèrent par exemple les querelles pluriséculaires qu'entretenait l'exploitation des saligues, forêts galeries et berges instables des Gaves. En apparence, les réticences des communautés à l'égard des grands programmes coordonnés étaient financières ; en réalité elles mettaient en jeu l'existence politique et l'harmonie sociale du village. L'historien prendra garde à ne pas tout mettre sur le compte de l'égoïsme communautaire, bien réel par ailleurs. L'espace instable, la saligue, les pentes, ou inculte, la lande de touyas, constituait une réserve indispensable pour amortir les pulsions démographiques et subvenir à l'entretien des plus pauvres.
31D'une politique longtemps existentielle, préoccupée en priorité de la survie, on est passé à une politique prévisionnelle. L'humanisme, l'État moderne imposèrent lentement leurs mots d'ordre : améliorer, contenir, modifier la nature pour mieux assurer le service du roi et le bonheur des citoyens. L'exemple le plus ancien et le plus durable d'un projet inspiré par cette attitude est celui du canal pyrénéen. Avant même que le canal du Midi ne soit réalisé, il les conforta naturellement dans leur opinion, les Béarnais rêvèrent d'une voie d'eau qui porterait leurs vins jusqu'à l'Atlantique. La construction d'un canal, l'aménagement des gaves et de l'Adour agitèrent les esprits du règne de Henri II d'Albret au XVIe siècle à la première guerre mondiale. L'objectif consistait à désenclaver et à enrichir le piémont pyrénéen.
32À partir du milieu du XVIIe siècle démarrent les grandes enquêtes administratives. Celle de L. de Froidour sur les forêts pyrénéennes est un bon modèle de ce genre politico-littéraire43. Par la suite les États et les intendants usèrent systématiquement de ce procédé. L'enquête et la mesure devinrent alors les préalables obligés de l'action. Sous le règne personnel de Louis XV, l'aménagement du territoire constitua l'une des voies du centralisme administratif. La conséquence prévisible de cette entreprise fut une résistance multiforme, institutionnelle (États, Parlements) ou sociale ; l'extension et l'amélioration du réseau routier en particulier déclenchèrent parfois de véritables troubles44.
33Pour estimer justement les divers niveaux d'appréciation des risques naturels, il faudra enfin tenir compte des contraintes juridiques. Les Coutumes, les Fors, les Règlements généraux et particuliers devront être examinés dans cette perspective. Les Règlements de la vallée de Baïgorry en Navarre, ceux d'Arudy en Ossau témoignent d’une politique exigeante de conservation d'un milieu supposé naturel et immuable45. Ainsi les défrichements ou « labaquis » étaient-ils étroitement contingentés dans le temps et dans l'espace ; les restrictions apportées à certaines formes d'élevage comme celui des caprins sont également révélatrices d'une politique du milieu.
La mesure
34La mesure des événements, particulièrement celle des accidents climatiques, est d'abord celle de la sensibilité des contemporains à leur égard. Des déterminismes multiples, sociaux, culturels, religieux, jouent ici un rôle non négligeable et il est illusoire d'envisager un relevé exhaustif. Mais on ne saurait nier, en dépit de toutes ses imperfections, que notre recension soit aussi le reflet d'une part de la réalité.
35Dans le tableau 1, les grands événements climatiques du XVIIIe siècle en Béarn, ont été regroupées toutes les données collectées auprès de sources très diverses : États, Parlement, intendance, municipalités. Des sensibilités diverses et parfois contradictoires s'y trouvent confondues. La hantise de la grêle, fléau absolu pour les viticulteurs et encore redoutable pour les céréaliculteurs, est ici une évidence. Elle est bien confirmée par le discours proverbial tel que nous l'avons déjà examiné. La pluie et les inondations, sur lesquelles nous possédons une très abondante documentation, semblent toutefois avoir été moins redoutées. Enfin on notera que les corrélations directes entre les accidents naturels et les difficultés économiques (crises de subsistances) cessent d'apparaître clairement après 1715-1720.
36L'enregistrement par les États de Béarn des accidents climatiques confirme le tableau général (graphique 1). Assemblée de propriétaires dominée par la noblesse qui se livrait à une viticulture de qualité, les États placent la grêle très loin en tête de leurs préoccupations. Les variations saisonnières de la perception des orages (graphique 2) confirment le rôle des déterminismes mais aussi la réalité du climat océanique en Béarn. Les inondations les plus graves semblent bien avoir été celles du printemps, lors de la conjonction des fortes précipitations et de la fonte des neiges. L'intendance, plus sensible à la conjoncture générale des subsistances et un peu moins à celle, particulière, de la viticulture avait une approche un peu différente. Des terres enlevées par l'inondation compromettaient pour de longues années la production céréalière, des ponts coupés par les flots signifiaient une cessation de l'approvisionnement et le risque de troubles frumentaires. Aussi, subdélégués et intendants, soucieux d'une politique de prévention plus réaliste à concevoir dans le cas des eaux que dans celui de la grêle, donnaient-ils la priorité à la question des eaux. Sur vingt huit occurrences concernant des risques naturels, les inondations apparaissent vingt et une fois ; fléau redoutable mais économiquement et socialement sélectif, à peu prés impossible à prévenir, la grêle ne compte plus que trois occurrences, les séismes deux, les tempêtes et avalanches une seule chacune.
37Structure d'enregistrement de l'information, plutôt que de production, au moins avant les grandes enquêtes de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'intendance reproduisait l'échelle de valeur de ses administrés. Les règlements des États de Navarre dans leur version du XVIIIe siècle confirment la crainte qu'inspiraient les eaux. Ils y consacrent un chapitre entier, le 43e46. Ce texte normatif soulignait l'essentiel : les eaux étaient le principal agent de mutation du terroir et des propriétés. L'extension ou au contraire la dévastation de la saligue pouvait faire perdre à une communauté des ressources considérables. Les vagabondages des eaux étaient assimilés à ceux du bétail et déterminaient des procédures de saisie analogues aux « carnaus »47. Les règlements prévoyaient aussi avec soin la restitution des matériaux de construction, des meubles et des effets « entraînés par les inondations et crues d'eau » ; mais le récupérateur devait être dédommagé de sa peine. Ceux qui retiraient de l'eau ou d'un fond inondé des bûches pouvaient en retenir le tiers à titre d'indemnité.
38La perception que pouvait avoir l'intendance, compte tenu de la date de son implantation, de la variabilité de son ressort et enfin de ses moyens réels d'investigation, souffrait de multiples lenteurs et carences. Il faut aussi y ajouter la crainte, fiscale surtout, qu'inspiraient les commis du roi. Il faut donc en revenir aux leçons des États. Implantés depuis longtemps, peuplés de l'élite des propriétaires fonciers, les États généraux (Béarn et Navarre) ou provinciaux (Bigorre, Soule, Labourd) entretenaient d'étroits contacts avec la population et les réalités locales. Leurs capacités administratives ont été trop souvent sous-estimées ; dans le cas du Béarn, les États disposaient d'une commission permanente, l'Abrégé, et nommaient des commissions ad hoc en cas de nécessité. La correspondance des commissaires atteste que ces représentants prenaient au sérieux leur mission ; au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle les États prirent d'autre part l'habitude de lancer de grandes enquêtes systématiques. Aussi, nous l'avons montré, la critique doit-elle moins s'adresser à leurs méthodes de travail et à leurs capacités qu'à la composition sociale de ces assemblées. Il faut y ajouter l'obsession monétaire des Béarnais, des Basques et des Bigourdans persuadés, non sans raison, que leurs provinces manquaient de numéraire et qu'il fallait l'attirer en exportant des produits de valeur : le vin en particulier.
39Entre 1710 et 1790, les États de Béarn consacrèrent cinquante-sept délibérations plénières à des accidents naturels, tous climatiques, sans compter de multiples interventions ponctuelles (graphique 1). Bien avant l'inondation ou la gelée (15,7 %), la grêle était perçue comme le fléau majeur (38,5 %). La pluie (14 %), dissociée de l'inondation, ou le brouillard (10,5 %) suscitait une médiocre mobilisation de la part des députés. La sécheresse enfin, rare aux pieds des Pyrénées, était bien peu redoutée (5,2 %) même si elle constituait une cause de dérèglement de l'exploitation des « herms » (Landes) communs rythmée par la « devete »48.
L'événement
40Enregistré, publié, interprété, l'accident devient un événement, mais pour qu'il s'intègre à la chronique il lui faut des dimensions paroxysmiques ; sa chronologie devient alors celle de la mémoire collective, fondatrice d'un nouveau cycle qui s'arrache au temps immémorial pour être celui d'un commencement. S'il s'en tient à l'événement ainsi choisi, l'historien n'enregistre plus que l'exception et se trouve, une fois de plus, confronté à l'inconséquence de l'histoire événementielle traditionnelle. Circonstances, toutefois, qui ne l'autorisent pas à passer sous silence le témoignage individuel sous prétexte qu'il ne s'intègre pas à une série cohérente. Un récit, même ponctuel, peut être riche de la complexité d'une perception du milieu.
L'exception : l'avalanche
41Confinée dans les montagnes par l'altitude et la douceur océane, la neige ne représentait pas un risque général dans les Pyrénées occidentales. Seuls quelques villages et surtout les bordes des estibes étaient réellement exposés aux avalanches. Or, ni les uns ni les autres ne représentaient des intérêts économiques considérables et l'on comprend que le regard des autorités se soit très tardivement posé sur eux.
42La première difficulté consiste à repérer les grandes phases d'enneigement. Les assemblées locales, si prolixes lorsqu'il s'agit de la grêle, ou bien les communautés si attentives aux risques d'inondation, ne disent mot de la neige. Même les communautés montagnardes se montrent médiocrement sensibles à l'enneigement ; ainsi un court mémoire récapitulatif de l'histoire de Borce en Aspe placé en tête des délibérations municipales fait état de « grandes neiges » au XVIe siècle49. Peut-être faut-il voir là l'enregistrement des prémices du petit âge glaciaire ; l'information est trop isolée pour conclure.
43Il existe toutefois de bonnes surprises documentaires comme les registres paroissiaux du curé Loustouré de Bruges dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Ce prêtre notait avec soin l'enneigement de sa paroisse dans le piémont béarnais des Pyrénées. Le 15 janvier 1658 « il estoit tombé grande quantité de neige » ; le 26 janvier de la même année, « un jour d'une grande nege et d'un grandissime froid » ; le 19 mars 1667, « à travers une grande nege et bien extraordinaire pour la saison qui tomba les susdits jours »50. Les registres de Bruges suggèrent de s'orienter vers cette source pour une autre raison : certains mentionnent les causes des décès survenus en montagne, en particulier du fait des avalanches. Les registres d'Aydius en Aspe signalent ainsi : « L'an mille sept cens septante huit et le vingt six feivrier est décédée Catherine Lacrouts ayant été écrasée dans sa maison d'un grand découlement de neige »51.
44Il ne faut cependant pas trop attendre de ces séries ; elles ne fournissent pas d'éléments permettant de situer avec précision les avalanches et la carte des zones à risques restera approximative. Les grandes enquêtes menées par les agents du pouvoir central ne s'intéressent que tard aux avalanches et encore fallait-il que l'événement soit une véritable catastrophe. Mais elles ont aussi de multiples mérites : elles donnent une mesure assez précise de l'accident et surtout sa localisation.
45En 1778 l'intendance de Pau adressa à Versailles un : « Détail des événements malheureux arrivés dans les vallées de Barèges et d'Azun dans les premiers jours du mois de mars occasionnées par la chute de la neige »52. Le bilan matériel et humain de l'accident était lourd ; dans la vallée de Barèges, le centre balnéaire lui même avait été touché, ce qui explique sans doute l'intérêt de l'intendant pour cette catastrophe. Deux maisons des bains avaient été écrasées et cinq autres endommagées. Mais les pertes les plus lourdes concernaient évidemment les granges en altitude. À Barèges, trente deux d'entre elles avaient été emportées au dessus du pont du moulin. Douze autres avaient subi le même sort à Sazos, Viscos, Sassis et Grust : « Plus de cent têtes de bétail à grosses cornes ont péri avec quatre personnes. Du côté de Gèdre beaucoup de granges, du bétail et quelques pasteurs ou gardiens ont subi pareil sort ; on n'a pas encore de nouvelles du village de Gavarnie où l'on court le même danger ».
46La situation était au moins aussi grave en vallée d'Azun. À Arrens, plusieurs familles avaient été ensevelies ; trois maisons avaient été entièrement ou partiellement détruites : « Toute la famille a péri sous les ruines de la maison au nombre de cinq personnes au moins ». On dénombrait encore deux autres décès certains et le bilan risquait de s'alourdir car : « On ne connaît pas le nombre des granges, ni le nombre des bestiaux qu'on a perdu, l'un et l'autre sont considérables ».
47Au total, six communautés, dans l'état des informations recueillies, avaient payé un lourd tribut à la montagne. Les autorités, en particulier le subdélégué de Tarbes qui établit son dernier rapport le 10 mai 1778 ne semblent pas s'être beaucoup interrogées sur l'enchaînement des causes qui avaient provoqué l'événement. Elles ne firent aucune allusion à sa fréquence dans le passé. Implicitement, le subdélégué laissait entrevoir un fort enneigement hivernal suivi d'importantes chutes de printemps qui constituent un déclencheur classique d'avalanches. « Il tombe tous les jours de la neige, celle qui est tombée cet hiver dans les plus hautes montagnes fait craindre de nouveaux malheurs ».
48On peut se demander d'autre part dans quelles conditions les agents du pouvoir central percevaient un tel événement. Bien entendu ils n'en avaient pas été des témoins oculaires ; mais il ne parait pas non plus qu'ils aient cherché à constater par eux même l'ampleur des dévastations. Le témoignage du subdélégué est très clair à cet égard : « Je serais parmi ces habitants si je pouvais leur être de quelque secours, il n'est pas possible d'imaginer aucun secours qui peut leur devenir utile, la manière dont l'avalanche tombe les perd ou les sauve, nécessairement. Je partagerois la peine et les travaux de ces malheureux citoyens s'ils devoient en retirer quelque avantage ». Une lettre de Necker à l'intendant du 14 mai 1778 permet de conclure, provisoirement, sur la manière dont les autorités perçurent cette catastrophe ; le soin d'évaluer le sinistre était abandonné, plutôt que confié, aux communautés meurtries. De toute manière, les administrateurs et les administrés manquaient de l'essentiel pour apprécier l'importance d'une telle catastrophe : des séries documentaires longues et fiables.
49Une grande avalanche frappa à nouveau Barèges le 19 pluviôse AN X (1802) ; dans un rapport dressé par un capitaine de Génie, Donnat, on pouvait lire : « L'avalanche du 19 pluviôse était telle que depuis plus de cent ans on n'en avait vu de pareille »53. Une fois de plus, pour les raisons que l'on sait, seul le cas de Barèges retenait l'attention. À cette date tout le monde semblait avoir oublié les événements de 1778 ; l'avalanche de 1802 suscita l'intérêt des autorités dans la mesure où elle avait touché le bourg thermal fréquenté par une nombreuse clientèle militaire. Elle avait fait onze morts, réduit vingt familles à la misère et endommagé vingt sept maisons sur cinquante. Il y eut même un miraculé, un enfant de sept ans découvert sous la neige au bout de quarante-huit heures de recherches. Le bilan aurait été sans doute encore plus grave si la station avait été en activité ; à cette saison seuls s'y trouvaient les gardiens.
50Le mémoire de Donnat fut sans doute le premier à proposer une théorie des « lavanges ». Mais pas plus que les mémoires de 1778, il n'établissait une histoire des avalanches pyrénéennes.
La dominante : les eaux
51Par leur imposante masse, les archives qui concernent les dégâts causés par les eaux soulignent combien le fléau était redoutable. À l'encontre de l'avalanche ou même de la grêle qui sélectionnent en quelque sorte leurs victimes, l'inondation était une menace universelle, d'autant plus que de très modestes cours d'eau pouvaient causer de véritables dévastations.
52Lorsque l'on pense inondations, on songe d'abord à des crues considérables de fleuves ou de rivières ; en réalité un surplus d'eaux pluviales, un mince ruisseau suffisaient à désorganiser la vie économique d'un canton. Dans la subdélégation de Morlàas, le village d'Angos était relié à Argelos par le chemin dit du Ser, seul moyen pour les ruraux d'accéder au marché d'Arzacq. En septembre et octobre 1787 les eaux pluviales provoquèrent le débordement du ruisseau « Lou Ballain » de sorte : « qu'on ne peut y passer à pied, ni à cheval, encore moins avec bœuf et charrette »54. Cet accident, loin d'être méprisable, éclaire par ailleurs un enchaînement de causes complexes ; les pluies n'étaient pas les seules coupables, certains « propriétaires qui ne cherchent qu'à agrandir leurs possessions, avancent les hayes dans le chemin le rendent très étroit et y jettent les eaux pluviales ». L'exemple du Ballain nous renvoie aux nécessites de la série et à une prudente définition de l'événement environnemental. Le gros gibier n'est pas forcément le plus significatif.
53Les eaux les moins redoutables dans l'espace géographique qui nous occupe, paraissent avoir été celle de la mer basque et gasconne. Les relations de tempêtes maritimes dévastatrices du littoral sont ainsi rares. Le 26 novembre 1768 le Bulletin de Bayonne signalait : « Nous venons d'essuyer un coup de temps affreux par une tempête qui a duré près de quatre jours. La rivière de l'Adour comme celle de la Nive occupent toutes nos plaines. Les eaux sont d'une hauteur prodigieuse »55. Les travaux en cours de la barre avaient été anéantis ; deux maisons s'étaient écroulées au Boucau et à Bayonne, la place Gramont était inondée à chaque marée. À Saint-Jean-de-Luz, « il y a quatre ou cinq maisons détruites ».
54Le récit de la tempête de 1768 est l'exemple même de l'arbre qui cache la forêt. Il ne semble pas qu'il y ait eu de raz de marée dans le Golfe de Gascogne à l'époque moderne ; en avril 1773, les ingénieurs qui travaillaient à la digue de Saint-Jean-de-Luz observèrent « un petit tremblement de terre qui a duré cinq à six minutes et qui est peut-être la réaction de quelqu'un plus considérable que l'on a éprouvé ailleurs. Les vagues ont été assez fortes... »56. De fait, la lutte entre les hommes et la mer était permanente ; à la fin du XVIIIe siècle l'élargissement de la baie de Saint-Jean-de-Luz consécutif à la construction des jetées de Sainte-Barbe et de Socoa avait provoqué la destruction par la mer de quatre maisons. Une estacade provisoire fut édifiée par des forçats afin de « remédier aux dangers qui menacent la ville de submersion »57. Une fois encore, la crise environnementale naissait de la conjonction entre les éléments naturels et les entreprises humaines.
55Plus ou moins directement liée à celle des eaux océanes, l'histoire des inondations des barthes de l'Adour et des étangs gascons reste à écrire58. La question des barthes est d'une grande complexité, qui tient d'abord à des conflits de compétence qui compliquent la recherche des sources. En 1763, le ministère ne parvenait plus à savoir de qui relevaient exactement « la police et administration des barthes » que se disputaient l'intendant d'Etigny, le subdélégué de Dax, le Parlement de Bordeaux et les syndics de Saint-Martin-de-Seignosse et de Saint-Etienne d'Orthe59. Dans les barthes, l'expression selon laquelle « la nature c'est la culture » trouvait une éclatante confirmation. Le subdélégué de Dax exposait clairement le fragile équilibre du système : « Les débordements qui viennent subitement et bien plus tôt qu'on ne si attend en suivant le temps qui procure la fonte des neiges sur la montagne. Il faut donc dans ce moment ne pas perdre un instant pour aller relever les baradeaux et les fossés qui ont été dégradés pendant l'hiver par les bestiaux qui y sont en paccage ». La moindre négligence des part-prenants (copropriétaires) qui assuraient ces travaux pouvait être catastrophique, « c'est ce qui est arrivé à la barthe de Saint Etienne, un part-prenant ayant refusé d'aller travailler à la partie qui le concernait ». Les querelles de compétence n'arrangeaient rien ; la subdélégation qui soutenait six paroisses qui souhaitaient établir des barthes accusait le Parlement de Bordeaux d'être « opposé au bien des peuples et à l'augmentation de l'agriculture » ! L'aménagement et l'entretien des barthes étaient un véritable rocher de Sisyphe, à la merci des crues de l'Adour. Celles de 1770 enlevèrent les digues dans la paroisse de Gousse : « Leurs prairies ont été entièrement sablées, leurs bleds entièrement arrachés ; leurs vignes absolument perdues, ayant été obligés de vendanger dans l'eau pour cueillir le peu de rézins qui y restaient, et ce qu'il y a encore de plus touchant est que les eaux ayant croupi dans la paroisse y ont laissé un limon si infect qu'il en a résulté des maladies dont la plupart des habitants sont morts et les autres sont demeurés presque hors d'œuvre »60. Compte tenu du misérabilisme de rigueur, les barthes constituent un observatoire exceptionnel pour une étude du rapport entre les hommes et les eaux.
56Le cas des étangs gascons a moins retenu l'attention que celui des barthes ; lui aussi mérite cependant d'être examiné pour des raisons à peu près identiques. En 1765 un mémoire du lieutenant général de l'amirauté de Capbreton reprit les plaintes répétées des habitants de Capbreton, Labenne, Saint-Martin-de-Seignanx et autres qui : « Plaignant du tort considérable que leur cause la crüe prodigieuse des eaux du marais d'Orx, situé dans l'élection de Dax, occasionnée par l'obstruction du canal appelé le ruisseau de Barac et par les nasses et batardeaux, que plusieurs particuliers y ont pratiqué et demandent qu'il soit donné des ordres pour la destruction de ces nasses et batardeaux »61. Le refoulement des eaux du marais d'Orx n'était pas une nouveauté ; dès 1710 des plaintes s'étaient faites entendre à son propos. « Ce marais qui est devenu un étang aujourd'huy ne pouvant s'écouler à la mer couvre une immensité des meilleurs fonds dans toutes ces paroisses, mais même occasionnent la perte des moulins... Il est même certain que la petite route de Dax à Bayonne va être totalement interrompue ». À les en croire, Capbreton, Messange, Moliets, Vieux-boucau, Lein, Vielle et Maas « sont dans le même cas de perdre les meilleurs de leurs fonds et particulièrement leurs pacages ». Restait à établir la responsabilité de cette triste évolution ; les avis étaient pour le moins partagés !
57Procédurières, les communautés incriminaient celles d'entre elles qui ne respectaient pas les règles d'une gestion immémoriale des eaux. Les habitants de Labenne étaient les principaux suspects ; sous réserve d'acquitter au seigneur une somme fixe, le droit de « quête », ils auraient obtenu « d'établir des pêcheries, nasses et moulins » qui obstruaient les ruisseaux et engorgeaient les marais. Les accusés s'en défendaient avec vigueur ; leurs pêcheries « ne consistent qu'en quelques piquets éloignés les uns des autres plantés dans le ruisseau pour retenir des filets ».
58Enlisé dans des procédures interminables, le conflit n'avançait pas d'un pouce et l'intendance décida de demander l'expertise d'un homme de l'art, un inspecteur des Ponts et Chaussées. Celui-ci constatait les faits mais il les attribuait à l'action de la nature seule : la crue était imputable « aux sables que la mer jette dans cette partie, de même que tout le long de la côte du Marensin en descendant vers le Nord. Ces sables sont portés dans les terres par les vents d'ouest qui forment des dunes à certaines distances qui semblent rouler sur elles mêmes, étant poussées par le même vent jusqu'au bord du ruisseau par où les eaux s'écoulent jusqu'à la mer... les lacs ou les étangs gonflent, grossissent et submergent toutes les terres des environs ». Nous reviendrons sur la signification de ce témoignage ; notons pour l'instant que l'impartialité « scientifique » des Ponts et Chaussées n'était pas au-dessus de tout soupçon ; l'ingénieur concerné avait présenté quelques années plus tôt un plan d'assèchement du marais sous réserve d'une concession de terrains. Il avait été dégoûté par le peu d'enthousiasme des indigènes. L'histoire des marais gascons s'inscrit dans celle des enjeux territoriaux et de la valorisation du milieu.
59L'importance de leur bassin, de leur débit, leur torrentialité désignent les deux principaux responsables des dégâts des eaux dans le piémont pyrénéen : l'Adour et le Gave de Pau. Mais il n'étaient pas les seuls et on ne saurait négliger la part du Gave d'Aspe, du Saison ou de la Nive pour ne citer que les plus notables. Les résultats des grandes enquêtes de la seconde moitié du XVIIIe siècle demeurant à ce jour introuvables, il est difficile de distinguer les catastrophes générales des accidents locaux. D'ailleurs il semble que le plus à craindre n'ait pas été les événements exceptionnels mais bien plutôt les phénomènes de longue durée : mutation d'un méandre, ensablement des berges, déplacement d'une saligue.
60Repérables au XVIIIe siècle, les crues catastrophiques et générales coïncident toutes avec le dérèglement des saisons qui s'observe après 1760. En juillet 1765, d'Etigny adressa une lettre au contrôle général contenant : « Le détail des ravages causés la nuit du 19 au 20 juillet dernier dans la ville de Pau, par une inondation considérable occasionnée par le débordement de la rivière du Gave »62. Sans doute à la suite de précipitations exceptionnelles, le Gave mais aussi tous les petits cours d'eau, l'Ousse, le Hédas, avaient envahi la basse-ville de Pau et causé des dégâts considérables aux moulins de la ville et à l'Hôtel des monnaies. La capitale béarnaise partagea ce sinistre avec une douzaine de communautés riveraines du Gave en amont et en aval : Meillon, Aressy, Bizanos, Billère, Lons, Lescar, Laroin, Jurançon, Gélos, Mazères, Lezons et Uzos. Le subdélégué de Pau signala que toutes les digues anciennes avaient été dévastées ; à titre conservatoire l'intendant prit un arrêt qui interdit toute coupe d'arbres dans les saligues et les îles jusqu'à ce que les travaux de reconstruction fussent achevés63. Sans tomber dans l'hypercriticisme, on peut s'interroger sur un tel témoignage : si cette crue brutale mais circonscrite n'avait pas touché la capitale de la province, menacé son approvisionnement et l'activité de la Monnaie, en aurions nous été informés ? (carte 1).
61En 1770 deux communautés riveraines du gave de Pau, Lons et Baudreix, adressèrent un placet aux États de Béarn : « sus soulatgement dens lous rolles d'imposition, aben esgoard a la perte que lous an souffert per l'effeyt de l'inondation »64. L'assemblée nomma des commissaires qui révélèrent que les dégâts s'étendaient en fait « aus différends quartiers de la Proubincy » ; sans leur enquête on aurait pu conclure à un accident local, proche cette fois encore de la capitale béarnaise. Les États enquêtèrent aussi auprès de leurs homologues bigourdans qui confirmèrent l'universalité du sinistre. Les causes étaient identiques à celles de 1765 : de très fortes pluies estivales. « Per lous prodigious abatis d'aigues qui an coupat lous camis, anlhebat maisous, granges, terres labourables, vignes, taillis, boscqs et que bist acqueres calamitats e sie nommat commissaris per dressar et tremeter très humbles représentations au Rey »65. Le fait que les États adressent des représentations au roi (prélude à des remontrances ?) souligne l'ampleur des destructions dont les principales victimes avaient été les ruraux.
62Lorsqu'on s'éloigne des capitales provinciales et du séjour des pouvoirs, il devient difficile d'apprécier l'ampleur d'une inondation. En Soule, le Saison parait avoir été très menaçant en 1775 mais il l'était sûrement depuis toujours. Le ministre Trudaine demanda en juin 1775 à l'intendant Journet des précisions « au sujet des dégâts que la rivière de Saison cause au Pays de Soule, des ouvrages qu'ils ne cessent de faire inutilement pour s'en garantir »66. Un mémoire dressé par l'ingénieur géographe Flamichon, peut-être à la demande des États de Soule, fut retransmis par leur syndic, le baron d'Huart, au ministère. Il précisait que trois communautés, Trois villes, Assas et Sanguis étaient « menacées d'une désolation totale ».
63Les malheurs des Souletins nous invitent à considérer les dégâts des eaux dans la longue durée, sans doute plus préjudiciable au monde rural qu'une brutale colère. Quoiqu'il fut un bien modeste cours d'eau, le Saison ne cessait d'empoisonner la vie des communautés riveraines entre Tardets et son confluent avec le gave d'Oloron. Il ravageait régulière ment les cultures ; en 1787 les jurats d'Alos dressaient pour les Ponts et Chaussées un tableau inquiétant de ses divagations : « La rivière du Sezon s'est dirigée depuis quelques années sur leurs possessions, qu'elle a ravagé leurs campagnes, qu'il est dangereux qu'elle ne soit emportée en entier sy par quelques ouvrages de munissement on ne parvient pas à remettre la rivière dans son ancien lit »67. En août 1787 : « Il est survenu un débordement très considérable à la suite d'un orage. Ce débordement a décharné le sol des chemins »68. La communauté de Gestas confirmait les plaintes de celle d'Alos ; le Saison menaçait l'équilibre fragile du terroir et interrompait les communications : « disant que les débordements fréquents au lieu de Gestas répandent les eaux dans le centre du village et font qu'elles coulent sur divers chemins qui deviennent impraticables ». Des circonstances absolument identiques avaient été observées en août 1781 et les Souletins avaient fait part aux autorités de leur angoisse ; comment faire « pour se rendre dans l'église, y entendre la Sainte Messe et le reste des offices divins » ?
64En dehors de quelques grandes crues, le Gave de Pau entretenait les mêmes alarmes que le Saison : lui aussi menaçait le terroir et les communications. Des petites communautés comme Argagnon, prés d'Orthez, n'en finissaient pas de rétablir des chemins que le gave enlevait aussitôt. Après avoir travaillé sans murmure entre 1721 et 1731 à un chemin « qui es estat enlhebat dens lou territori d'Argagnon per lou tournan de la ribere deu Gabe », les habitants finirent par baisser les bras et en 1733 s'adressèrent aux États de Béarn69. La situation n'était guère meilleure à Lons où en 1765 les villageois demandèrent à être déchargés de la corvée à la route de Lescar à Sault-de-Navailles « attendu la nécessité qu'il y a pour eux de travailler à se garantir des irruptions de la rivière du Gave qui menace d'emporter entièrement la plaine de Lons »70. Cinq ans plus tard, le marquis de Lons, lieutenant général du Roi en Béarn, attirait l'attention du Contrôleur général « sur la triste situation où se trouvent exposés les habitants de sa terre de Lons par les débordements de la rivière du Gave qui traverse leur territoire ». Premier voisin de Lons, le village de Billère était qualifié « d'aquatique » par l'abbé Bonnecaze !71
65C'est toutefois la ribeyre entre Nay et Pau qui parait avoir été la plus menacée par l'inconstance du Gave de Pau. Plus d'une douzaine de villages en souffraient et, conséquence sur laquelle nous reviendrons, y trouvaient là, matière de procédures et de violences interminables. En 1789 : « La rivière du Gave toujours incertaine dans son cours surtout lors des inondations et de la fonte des neiges, tantôt elle dirigeait ses eaux vers Assat, tantôt vers Narcastet. Les communautés riveraines faisoient leurs efforts pour prévenir les incursions des eaux sur leur territoire, tel a toujours été et tel est encore aujourd'hui le genre de discutions qui agitent ces communautés depuis des siècles.... »72. À l'enjeu territorial, essentiel on le voit ici, s'ajoutait celui des communications non moins important pour une province comme le Béarn qui importait près d'un tiers des céréales destinées à sa subsistance. Il conviendrait donc d'observer avec soin le cas des ponts, encore peu nombreux et fragiles à la veille de la Révolution. Celui de Clarac, sur le Gave de Pau, était vital pour le ravitaillement de la capitale béarnaise qui dépendait du troupeau et des céréales de Bigorre. Les crues saisonnières normales suffisaient à mettre cet ouvrage en péril ; celles de 1787,1788 et 1789 avaient « enlevé la partie des rives qui se trouvent au-dessus et au-dessous du pilier, en sorte qu'il y a tout a craindre qu'à la première inondation, les maisons et la place ne soient emportées ainsi que les routes publiques ; événement funeste pour la ville de Nay par rapport aux fabriques et particulièrement à la manufacture royale qui n'aura plus de correspondance avec l'étranger et sera privée des denrées qu'on y porte à vendre chaque jour de marché »73. À quelques lieues de là, à Saint-Pé-de-Bigorre le pont fut enlevé au début de novembre 1768 ; une véritable panique s'empara de la population, « un nombre infini d'artisans qui sont cloutiers, faiseurs de peignes ou tisserands et tous misérables », qui redoutaient d'être coupés du massif forestier de Trescrouts leur seul gagne pain74.
66Une exploitation systématique des délibérations et des comptabilités municipales confirmerait cette évidence : en dehors des catastrophes majeures, seules connues des autorités, les eaux étaient une préoccupation et une menace constantes pour les communautés dont elles menaçaient le terroir et les communications, donc la survie même. Le risque des eaux était d'autant plus grave que s'il était universel, il frappait très durement les plus démunis : utilisateurs de saligues, agriculteurs marginaux, propriétaires d'un habitat fragile et exposé.
Perception et réalité : la grêle
67Même s'il arrive qu'elle soit très rapide – en 1769 l'évêque de Lescar relate aux États de Béarn « la rapidité deu debordement que se procedi »75 – l'inondation n'a jamais la brutalité de l'orage de grêle. D'autre part, même s'il est possible de les mettre en série, chacun des orages constitue à lui seul un événement.
68Nous savons combien est sélective notre information ; d'une multitude d'accidents, nous ne connaissons que les catastrophes majeures. Combien d'orages comme celui survenu le 19 mai 1683 à Brues ont été condamnés à l'oubli ? Ce jour là le curé du lieu notait : « Jeanne de Lourdos, jeune fille agée de onse à douse ans, gardant les bestiaux de son père dans l'enclos de sa metterie, pendant une forte pluie, s'estant reffugiée dans le trou d'un gros et vieux chesne avec une de ses sœurs appelée Marie, son aisnée, elle y fust tuée par un esclat de foudre qui tomba sur le dit chesne ».
69L'histoire des orages de grêle se confond par la force des choses avec celle des progrès de l'administration locale et centrale. La première enquête systématique sur les dommages causés par la grêle semble avoir été celle que lancèrent les États de Béarn en 1712. Il ne subsiste pas de traces de cette procédure, mais elle fut renouvelée en 1727. Les États délibérèrent « de lous desgats considerables qui es estat causat dens la proubincy per la grele qui tomba lou prume deus present mes a rabatgeat toutz lous frutz de la pluspart de las communautats de las sénéchaussées de Sauveterre, Orthez et de Morlàas »76. Ils invitèrent les jurats des communautés sinistrées à établir un état de leurs besoins, en particulier du « milh per remplaçar une partide deu gros gra rabatgeat par la grêle ». Cette formule fut encore améliorée en juillet 1731 ; une délibération générale fut alors imprimée et adressée « à toutes las communautats gralades a las fins que lour fessen dressar proces verbaux deus dommatges per eux soufferts »77. Jusque-là les États recevaient des requêtes dispersées et ponctuelles ; à partir de cette date, ils envisagèrent la mise en place d'une politique cohérente. Leur objectif était « de lour prestar l'argen necessary per l'achapt deux graas dont ere eren besoing per ensemençar lours terres ». Sans doute le désastre de 1732 avait-il eu une ampleur exceptionnelle ; jusqu'à la fin du siècle, les États continuèrent à recevoir les procès verbaux des communautés et à engager des procédures collectives.
70Les procès verbaux particuliers se trouvent dans les archives communales où ils ne sont pas toujours faciles à repérer. Du fait de leur précision, ils présentent toutefois un intérêt considérable. En 1752 les jurats d'Estialescq, aux confins du vignoble jurançonnais, adressaient un placet aux États de Béarn : « Le 16 du mois de juin dernier il leur survient une grêle qui totalement emporta non seulement la récolte de l'année mais encore l'espérance de plusieurs autres pour les vignobles. Et l'orage étoit si violent et la pluie si abondante qu'elle emporta la terre dans le fonds de plusieurs particuliers »78. Une commission d'experts fut aussitôt nommée par l'évêque d'Oloron, le chapitre et le fermier de la dîme ; au total dix-huit propriétaires avaient été grêlés et répondirent aux enquêteurs. « Dertrou nous a dit qu'il avoit semé un quartau de froment, qu'il espéroit avant la grêle d'en recueillir sept quartaux ou environ ; nous avons estimé qu'il en recueillera une mesure ou environ. Plus nous a dit qu'il avoit semé un quartau d'orge qu'il espéroit avant la grêle d'en recueillir huit quartaux, qu'il n'en recueillera rien »79.
71Dans la plupart des cas la commission estima la récolte à moitié perdue, mais parfois aussi en totalité. Le bilan général s'établissait à 288 quartaux de froment perdus et 100 quartaux d'orge. « Pour ce qui concerne le millocq, le domage n'est pas si considérable, parceque à peine paroissoit-il sur la terre lors de la grêle. Pour ce qui concerne le vignoble nous estimons que la grêle a emporté pour le moins les trois quart du vin ». Les terribles dommages éprouvés par Estialescq, le sauvetage de la récolte de maïs, tout justifiait la polyculture et l'adoption du « blé d'Espagne » par les paysans des pays de l'Adour80.
72En dépit des précisions qu'il apporte, l'exemple de l'orage d'Estialiescq n'est qu'un cas isolé. Il existe dans les archives des États et des intendances, des documents qui permettent l'analyse de véritables événements climatiques. On ne parviendra certes jamais, en l'état des sources, à cartographier exactement la totalité des impacts d'une formation orageuse à l'échelle régionale. Mais les progrès de l'administration autorisent des reconstitutions partielles de la manière dont les contemporains percevaient les accidents.
73Dès le XVIIe siècle, les premiers voyageurs qui visitèrent les Pyrénées avaient noté la variabilité climatique et la fréquence des orages. « Les tonnerres y sont très fréquents et plus effroyables qu'autre part. Il arrive des changements bien soudain dans le temps, se rencontrant souvent que d'une mesme journée, la moitié ayant esté fort belle, tout à coup les foudres, tonnerres et gresle y surviennent »81. À la fin du XVIIIe siècle, le premier grand naturaliste béarnais, B. Palassou reprenait le même thème : « Nulle part ailleurs les orages ne sont plus violents et ils n'inspirent plus d'épouvante et d'effroi »82.
74L'orage du 24 juin 1778 confirma en tous points ces témoignages ; on vérifia alors combien « sa sçituation (du Béarn) rend ces accidents plus fréquens que dans les autres provinces ». Cet orage fut en Béarn ce que fut celui du 13 juillet 1788 à l'ensemble du royaume : une véritable catastrophe83. Depuis 1774 la conjoncture économique et climatique avait été excécrable ; l'année 1774 fut celle de la plus terrible épizootie du siècle. L'année suivante des grêles, des gelées et des inondations ravagèrent le Béarn et le Vic Bilh en particulier. En 1777, les suites de l'épizootie et une très mauvaise récolte déterminèrent une cherté générale. La grêle du 24 juin 1778 fut le point d'orgue de cette longue crise. Une véritable panique s'empara des députés des États, qui dans les premiers jours de juillet écrivaient au roi : « Les orages et la grêle ont enlevé les récoltes de vingt-cinq communautés depuis le 24 juin ; leurs habitants sont demeurés sans ressource ; plusieurs abandonnent leurs domiciles. Nous sommes menacés chaque jour de voir détruire nos espérances par ce même fléau ». Les États ne croyaient pas si bien dire, un nouvel orage en septembre frappa à nouveau des villages dévastés en juin ; Garlin et Ribarrouy perdirent leur seconde récolte.
75Alors que la récolte de 1778 s'annonçait de belle qualité, la grêle la réduisit pratiquement à néant. À Garlin tout était perdu, « à la réserve d'un canton ou il y a quatre habitans où il leur a resté environ le tiers de la récolte ». Non seulement les récoltes étaient perdues, mais les fossés avaient été comblés, les prairies des vallées « terrées » ! Quelques communautés comme Limendous avaient déjà été ravagées les 9, 13 et 23 avril ; mais le désastre du 24 juin était sans précédent. A Garlin, « les pièces des souches ont été dépouillées de leur écorce, de tous les rejets et jeunes branches... Les toits ont été persés et criblés par la pesanteur des grêles ». Au total, sur vingt-quatre communautés touchées, dix perdirent la totalité de leur récolte, « le produit fut zéro » ; dans quatre autres, quelques maisons seulement furent épargnées ; à Portet la moitié des fruits avait disparu. On ignore le bilan de neuf villages, mais on sait qu'ils se tournèrent eux aussi vers « le trone de notre charitable prince ». (Carte 2).
76La plupart des communautés sinistrées, complètement désemparées, ne trouvèrent pas de mots pour exprimer leur détresse ; quelques-unes surent toutefois faire une analyse pertinente de la situation. Dans le Vic Bilh, Mendousse exposait les causes cumulées qui donnaient à l'orage du 24 juin son véritable sens ; pour qu'il y ait crise, il fallait plusieurs années désastreuses et l'épuisement de toutes les réserves : numéraire et semences. « La calamité quoique générale dans la province, n'a pas réduit les habitants de quelque autre paroisse à cet excès de misère dans laquelle celle de Mendousse est plongée, soit à raison de la maladie épizootique catastrophe bientôt suivie après d'une autre aussi affligeante, les fruits qui faisoient toute leur espérance pour leur subsistance journalière leur feurent enlevés par une gelée générale et les brouillards firent perdre la récolte du vin qui est la principalle dans le Vic Bilh. À la suitte de tous ces malheurs succéda une grêle qui abima en général le peu de fruits qui avoient pu se conserver ».
77Une lettre du maire de Garlin, principal bourg du canton sinistré, confirme la violence du traumatisme subi par les agriculteurs et pas seulement les viticulteurs. Il évoque aussi un réflexe traditionnel, dont on ne sait trop à quelle réalité il pouvait correspondre, l'émigration, la fuite des travailleurs. Déjà, en 1712 et en juin 1727, les députés des États de Béarn avaient évoqué ce départ des plus pauvres. Il faut considérer avec prudence cette crainte, constante parmi des propriétaires obsédés par la question de la main d'œuvre rurale qu'ils souhaitaient naturellement abondante et bon marché. On ne peut toutefois négliger une réalité bien établie en Béarn depuis la Reconquista : l'Espagne et ses Eldorados. L'émigration était une donnée avec laquelle il fallait en effet compter ; dans le dernier tiers du XVIIIe siècle il faut y joindre l'errance pure et simple qui est alors en forte croissance.
78« À la vue des horreurs que causèrent l'orage, l'innondation et la grêle dans la paroisse de Garlin et dans celles du voisinage le jour de la Saint-Jean, l'alarme se répandit dans toutes les paroisses dès le même soir. Le lendemain, quand les habitants peurent en connoitre le ravage, la consternation chés les uns, une espèce de désespoir chés les autres les mirent tous en mouvement. Plusieurs de ceux qui pouvoient cultiver leurs biens, même des chefs de famille prirent le parti d'abandonner leurs champs et d'aller chercher ailleurs de quoy subsister ». L'évènement climatique sert ainsi de révélateur à une crise économique et de précurseur à une crise sociale.
79Il est trés vraisemblable que le choc ait réveillé de vieilles peurs sociales et que l'orage de grêle ait fait partie de ces grandes peurs qui constituaient l'univers mental des hommes d'Ancien régime. Mais il en va à l'égard des accidents naturels comme des crises démographiques ; après une brève panique, la vie reprenait ses droits. L'orage de grêle révèle lui aussi l'extraordinaire aptitude des ruraux à survivre ; quelques jours après la catastrophe, le travail reprenait et l'on cherchait un substitut économique aux céréales nobles : « ceux qui peuvent labourent de nouveau les champs ou étoient le froment et millocqs et s'efforcent de les cultiver afin d'y semer du millet qu'ils regardent comme toute leur ressource ».
80Une déchéance alimentaire passagère valait mieux que la famine et le millet, en constante régression au cours du siècle, retrouvait sa place traditionnelle. La seule limite au courage de la paysannerie était le défaut absolu de semence et on comprend le soin des États à organiser des distributions.
L'homme et la nature : conciliation et maîtrise de l'environnement
81En dépit d'une opinion trop répandue, l'homme n'accepta jamais sans réagir les tribulations que lui imposait la nature. Sa perception du milieu, ses capacités à se le concilier ou à le maîtriser dépendaient à la fois de son outillage matériel et mental ; suivant la nature du risque, il prévilégiait les remèdes spirituels ou bien ceux de la technologie dont il disposait. Dans tous les cas il n'était pas aussi démuni que le suppose notre fin de siècle technicienne.
82Les remèdes spirituels : ceux qui croient avoir réglé la question des remèdes spirituels en les qualifiant de superstitions se trompent lourdement, étant bien entendu que l'objet du débat n'est pas leur efficacité objective.
83Brutale, imprévisible, imparable, la grêle ne pouvait manquer d'évoquer un Dieu foudroyant ses fidèles impies. Il n'est donc guère étonnant qu'elle ait suggéré de multiples rites et pratiques, plus ou moins christianisés ; selon le curé Bonnecaze : « Les Béarnais en général craignent plus le diable que Dieu, et le plus grand nombre croit qu'il agite les orages et les tempêtes »84. La prudence est requise lorsque s'active l'ombre de Satan ; il semble bien toutefois qu'un lent et long processus ait abouti à la diabolisation des orages confondus avec les maleficia concoctés au sabbat. À la fin du XVIIIe siècle, le géographe Flamichon confirme l'opinion du curé Bonnecaze ; en vallée d'Aspe, les montagnards considéraient le Pic d'Anie comme le « jardin du Diable ». « Les habitants de Lescun prétendent que cette montagne est l'arsenal où se réunissent tous les sorciers, les magiciens et les diables de l'enfer fabricans d'orages »85.
84Puisque les orages de grêle étaient l'œuvre de Satan et de ses sbires, il fallait pour s'en protéger avoir recours à Dieu et aux intercesseurs habituels, de la Mère du Christ au curé. Seule une enquête systématique permettra de dresser la carte des chapelles élevées pour se protéger des orages. Celle de Notre Dame de Piétat en Béarn fut fondée en 1660 à la suite « de calamités publiques, des grêles extraordinaires ». Ils s'assemblèrent avec leur curé pour prendre des résolutions sur leur sort, et convinrent de bâtir cette chapelle86. En 1685 les Basques de Saint-Etienne-de-Baïgorry fondèrent l'ermitage d'Oylarandoy « pour bénir l'air et apaiser la colère de Dieu » à la suite des ravages de la grêle dans leur vallée ; les réparations régulières de la chapelle attestent l'importance que lui accordaient les habitants87. Flamichon, esprit fort, dénonça à la fin du siècle la superstition des paysans qui confiaient à leur curé le soin de chasser les orages : « Les fonds que la superstition leur à fait employer à construire, doter et entretenir des chapelles... », rien ne leur coûte pour choisir et entretenir les prètres qu'ils croient les plus en état de remplir leurs vues. Quelles sont les qualités requises pour ces fonctions ? Une constitution forte, un bras vigoureux, c'est toujours la force de tel curé qui produit tous les effets. Cependant il faut convenir que depuis quelques temps les Basques commencent à s'éclairer, qu'ils ne sont pas si « superstitieux »88.
85Les craintes de l'abbé Bonnecaze, l'ironie de Flamichon n'étaient pas sans fondement ; obsédé par la grêle, le paysan n'hésitait pas à avoir recours à des remèdes peu orthodoxes. À côté de la figure du prètre-chasseur de grêle qui recélait déjà une forte équivoque, on rencontre celle du sorcier-chasseur de grêle, pur produit de la « superstition ».
86En un siècle où les magistrats ne poursuivaient plus que de « faux sorciers », le Parlement de Navarre sanctionna deux chasseurs de grêle, « hommes intéressés à entretenir la crédulité du peuple sur de prétendus sortilèges »89. Certains n'étaient que de minables escrocs qui exploitaient la peur des pauvres gens, comme « le nommé Tuquet et la Marquette dudit lieu de Lucq accusé d'avoit fait une quête pour la rétribution d'un basque qui prétendoit détourner la grêle des endroits qu'il protégeoit »90 D'autres avaient de vagues connaissances démonolâtriques et se souvenaient de Pierre de Lancre ; ce fut le cas d'un coquin de haute volée qui sévit dans le village d'Issor en Béarn en 175591 : « Personnage inconnu désigné sous le nom de Dominique qui réfugié à Issor s'est débité comme ayant le pouvoir de détourner les fléaux de la grêle et de la faire tomber où il veut au moyen des exorcismes qu'il fait »92. La suite des aventures de ce charlatan illustre le degré de servitude qu'inspirait la peur de la grêle aux habitants d'Issor : « Revêtu d'une étole, ce personnage se vante de chasser les démons qu'il suppose être dans le corps des personnes et dans cette persuasion il est depuis environ six semaines au dit lieu auprès d'une fille où il passe les journées, du corps de laquelle il prétend dans le peuple qu'il a fait sortir un démon qui y restoit depuis quatorze ans ». Dans le climat de terreur et de crédulité qu'entretenait la peur de la grêle, toutes les dérives devenaient possibles. À Estialescq, communauté sinistrée le 24 juin 1778, les jurats n'hésitaient pas à s'opposer à un monitoire que devait fulminer le vicaire Bordenave au sujet d'un vol ; ils redoutaient que cette procédure n'attirât la grêle sur les récoltes93. L'abbé Bonnecaze se plaignait de l'utilisation de moyens prophylactiques peu orhodoxes. Il citait le cas de Saint-Pé-de-Bigorre en 1749 où pendant les trois jours des Rogations, les enfants « et même les hommes et les femmes, portaient des branches d'arbre pendant les processions et s'ils s'approchaient de quelque ruisseau ils trempaient les branches dans l'eau et faisaient l'aspersion sur les fruits dans l'idée de détourner les orages »94.
87L'indignation de Bonnecaze est celle d'un curé éclairé de la fin du siècle des Lumières. En réalité l'église romaine avait longtemps accepté des compromis avec les croyances populaires. Le Rituel du diocèse d'Oloron, édité en 1751, proposait encore une « bénédiction des champs contre les sauterelles, les chenilles et tous les animaux qui gâtent les biens de la terre »95. Le Rituel prévoyait aussi des processions pour demander la pluie ou le beau temps et « des prières pour détourner l'orage »96. Certes il prenait de grandes précautions et recommandait aux prètres d'éviter les excès car, « le peuple donne aisément dans la superstition au sujet des orages et des grêles » ; mais l'Église ne continuait pas moins à légitimer toutes ces pratiques. Elle autorisait en particulier les sonneries de cloche en cas d'orage ; elle tolérait aussi les processions et les pèlerinages. Encore en 1710, les Béarnais de Bruges se rendaient en procession à Bétharam pour « nous préserver de la grêle, famine et autre mal contagieux »97.
88Le souci de l'orthodoxie, les sarcasmes de quelques philosophes de province contrebattaient toutefois la tradition. La dernière grande manifestation unanime contre la grêle parait avoir été la procession organisée à la demande des États de Béarn en 1725. De violents orages avaient dévasté la province et les députés décidèrent de s'en remettre à la providence divine : « coum non y a que lou Souberain creatour et conservatour qui pouisque accordar et departir lous remedis necessaris per far cessar la continuation daquets grans maus... »98. Le 20 juin 1725 à neuf heures du matin, accompagnés des Messieurs du Parlement et des jurats de Pau, les députés des États conduits par l'évêque de Lescar processionnèrent entre le couvent des Cordeliers et l'église paroissiale Saint-Martin « et ensuite de baillar la benediction deu tres auguste et tres sainct Sacrement ».
89Dès 1733, Mgr Hardouin de Chalons, évêque de Lescar, prenait ses distances avec ces pieuses mais suspectes pratiques ; dans un mandement de novembre, il déclarait : « Nous nous élevons contre un abus de plusieurs paroisses de notre diocèse ; les peuples ont introduit, pendant la moisson, malgré les curés, contre notre autorité, tous les samedis de chaque semaine pour demander (à ce qu'il disent) de les préserver du fléau de la grêle... ». Il ne faut toutefois pas conclure trop vite sur l'évolution des mentalités, celles de la hiérarchie écclésiastique, comme celles des simples fidèles. En 1732 les États de Béarn demandèrent aux évêques de reporter au dimanche plusieurs fêtes chomées ; celui d'Oloron n'était pas hostile à la réforme, mais il fit part de ses inquiétudes quant aux réactions de ses ouailles : « Je ne sais pas même, Messieurs, s'il arrivait, quoique ce ne soit pas une raison pour moi, que la grêle vint à tomber dans le pays où les fêtes ne s'observeraient pas, s'il serait fort sûr d'y voyager pour ceux qui ont retranchés les dites fêtes »99.
90Vers le milieu du XVIIIe siècle, le clergé béarnais rechercha un compromis acceptable. Les ordonnances synodales d'Oloron de 1753 autorisèrent les sonneries de cloches, de nuit et de jour, « pour l'orage et pour le feu » ; non pour détourner l'orage, mais pour alerter la communauté100. La notion de bien public, chère au siècle des Lumières, rationalisait ainsi une pratique que l'on ne parvenait pas à éradiquer. Les fidèles de leur côté restèrent et pour longtemps encore attachés aux anciens rites ; de nombreuses paroisses béarnaises affectaient un crédit pour des messes à Sainte-Marie d'Oloron, en l'honneur de Saint Grat, « ad sedendas tempestates aerique intemperiem depellendam ».
91Il s'agit donc d'être d'une extrême prudence dans l'appréciation des mutations mentales pour tout ce qui touche aux risques naturels et à la grêle en particulier. Des comportements hérités d'un trés lointain passé cohabitèrent longtemps avec les progrés de la raison.
Solidarités et égoïsmes communautaires
92Confronté aux risques naturels, l'homme d'Ancien Régime ne se résignait pas à ne compter que sur les remèdes spirituels. Au village, dans chaque province, la société rurale disposait d'une forte organisation et de multiples recours. Pendant des siècles, elle mit simultanément en œuvre un réseau complexe de solidarités sans jamais renoncer à un trés vif égoïsme communautaire.
93Entre le XVIe siècle et la Révolution, les principaux orages de grêles qui dévastèrent le Béarn nous sont connus à travers les délibérations des États auxquels les communautés s'adressaient pour obtenir des secours. La première réaction de l'assemblée provinciale consistait à demander au roi un allègement des charges fiscales, de la capitation en particulier. Ces demandes étaient souvent associées a des remontrances comme en 1727 ou en 1732101. En 1732 le roi accorda une diminution de dix mille livres sur la capitation ; les États se chargérent de la répartir entre les communautés sinistrées. Cette politique systématique parait avoir été à l'origine des premières enquêtes administratives conduites par les États car la monarchie exigeait naturellement un état justificatif des requêtes qui lui étaient présentées. Parmi les enquêtes du XVIIIe siècle, celle de 1727 semble avoir été la plus complète ; elle concerna au total cent vingt-quatre communautés dont vingt-six avaient perdu la totalité de leur récolte de céréales, cinquante-cinq la moitié, quarante-trois les deux tiers et quarante-sept la totalité de la récolte viticole102.
94Avec ou sans le secours du roi, les États procédaient ensuite à des emprunts et, soit ils prêtaient de l'argent aux communautés comme en 1732 ou en 1748 (2 600 livres), soit ils achetaient eux mêmes des semences qu'ils redistribuaient comme en 1746 et 1748. Le recours aux États et l'importance de leur aide variaient bien entendu en fonction de leur vitalité et de leur autonomie administrative. Celles des États de Béarn restèrent jusqu'au bout trés fortes ; en Bigorre, en contrepartie, les États dépendaient étroitement de l'intendance. Lors des grandes avalanches de 1778, les communautés meurtries se tournèrent aussitôt vers cette dernière. Elles demandèrent que les poursuites engagées pour le paiement des impositions cessent et elles sollicitèrent « de prompts et puissants secours en considération de la perte qu'ils viennent de faire. Ils évaluent cette perte à 62 000 francs au moins. Ils assurent qu'ils manquent absolument de subsistances »103.
95Hors Dieu, le roi et les États qui acceptaient de se mobiliser pour des catastrophes en fin de compte rares et circonscrites, les communautés ne devaient compter que sur elles mêmes. Les dégats causés par les eaux qui se répétaient chaque année et qu'il était difficile d'évaluer furent longtemps perçus d'un point de vue strictement communautaire et local et suscitaient des conflits interminables et parfois violents. Chacun ne voulait considérer que ses propres intérêts, presque toujours en contradiction avec ceux du voisin.
96Dans ce contexte, le cas des barthes de l'Adour et des étangs gascons présente une réelle singularité. Leur entretien supposait en effet un minimum de coordination intercommunautaire. Dans les barthes le système fonctionnait plutôt convenablement, encore que les communautés aient perdu au cours du XVIIIe siècle l'initiative des travaux au bénéfice de l'intendance. En 1771 les habitants de Gousse « se plaignent du dommage qu'ils ont souffert par le débordement de la rivière de l'Adour et demandent que les communautés dénommées dans leur requête soient employées avec eux aux réparations des dégradations que ce débordement a occasionné »104. Aprés une intervention du subdélégué de Dax, le ministre Trudaine donna son autorisation, mais « sous la condition cependant qu'elles rempliront ensuite la tâche qui leur aura été assignée sur les grandes routes ». L'État, avec ses exigences centralisatrices, intervient ainsi en agent perturbateur des solidarités communautaires ; mais il jouait aussi un rôle régulateur et introduisait la prévision et la mesure là où elles n'avaient guère cours. L'évaluation des travaux dressée par le subdélégué en 1771, souligne le poids considérable que représentait l'entretien des barthes pour de modestes communautés rurales. Le rétablissement des digues de Gousse exigerait 926 toises de terre cube, soit l'équivalent de 16 668 tombereaux ; le village disposait de douze bouviers, ses sept voisins de 175. À raison de douze voyages par jour, cela représentait 2 100 tombereaux pendant huit jours !
97Aux prises avec les eaux de leurs étangs et celles de la mer, les Gascons organisaient depuis des siècles la corvée annuelle de chaque habitant : « Cette corvée a été entretenue et exactement observée depuis un temps immémorial »105. Elle s'imposait de Labenne aux limites de la généralité de Bordeaux ; elle devait être toujours recommencée, car aucun travail n'était durable « étant un terrein sablonneux ». L'équilibre entre les efforts des hommes et l'action de la nature était particulièrement fragile ; en 1765 un rapport du lieutenant général de l'amirauté de Bayonne constatait la ruine des moulins. Il relativisait le danger encouru par la route de Bordeaux à Bayonne et il insistait surtout sur une « trés grande quantité de passages difficiles qui donne lieu à des brouillards et à des mauvaises exhalaisons qui causent des maladies trés dangereuses et une grande mortalité, principalement vers la fin de l'automne. Bien plus, l'inspection du local fait appercevoir que l'effet d'un seul ouragan d'une certaine direction est capable en roulant une dune de combler tout à coup le canal de barat sur une longueur de 400 toises et de faire élever subitement les eaux jusqu'à la hauteur de 12 pieds au moins, ce qui causerait la plus affreuse désolation et submergeroit une étendue immense de terrain cultivé et habité ». Les allusions de cet agent du pouvoir central aux conditions sanitaires et aux terres cultivables laissaient entrevoir une nouvelle politique d'aménagement sur laquelle nous reviendrons. Le procés des étangs gascons, instruit au XVIIIe siècle, fut jugé au XIXe siècle.
98Hors des barthes et des marais, deux solutions traditionnelles s'offraient pour régler la question des eaux. Il faudra examiner un jour les comptabilités passablement embrouillées des États et des subdélégations ; jusqu'à la Révolution elles attestent la permanence du réflexe fiscal. Mieux les États provinciaux résistèrent aux pressions du pouvoir central et mieux fonctionna ce recours à la bienveillance de l'État. Aux XVIe et XVIIe siècles en Béarn, les requêtes des communautés sinistrées étaient envoyées simultanément au Grand Corps et au Tiers État ; à partir de 1679, la noblesse et le clergé exigèrent la suppression de cette procédure. Les communautés de Laroin, Saint-Faust et Monhaubaa avaient demandé à être déchargées d'une partie de leurs feux de taille, attendu « lou ravadge et la perte de la major partide deu territory de Monhaubaa par les inondations et débordements deu Gabe »106. L'évêque de Lescar prit aussitôt leur parti, mais l'évêque d'Oloron et l'abbé de Sauvelade, suivis par tout le Grand corps, exigèrent « qu'a l'advenir aucune requeste tendente a diminution de la taille nou poudera estar recebude per lous seignours commissaris a las requestes ny estar portade ou rembiade du Grand Corps ».
99En dépit de cette rupture du front des contribuables, les États de Béarn continuèrent, à la charge du seul Tiers État, d'examiner les suppliques des communautés. Désormais la question se réduisait à celle de la répartition des secours sur la charge fiscale. Ainsi, en 1770, Lons et Baudreix « a rason deus degats causats per las inondations »107, demandèrent à être déchargées d'une portion de leur taille et taillon. La question regardait exclusivement le Tiers État qui désigna des commissaires qui décidèrent de modérer plutôt la capitation et les vingtièmes et conclurent par ailleurs à un sinistre général. Les contribuables allant à la bataille en ordre dispersé, il fut convenu que l'on fairait soigneusement la distinction entre les biens nobles et les biens ruraux : « cascun deus dus corps proubedira ço qui pot lou concemar ». Devant l'ampleur du désastre, les États refirent toutefois leur unité et adressèrent des représentations au roi pour obtenir une diminution de l'abonnement fiscal. L'intendant d'Aire approuva cette procédure dont une copie fut transmise au duc de Gramont. Le ministre répliqua qu'il ne pouvait accorder un dégrèvement : « attendût que las impositions sus lasquoales la diminution es demandade son abonades »108. Les États devaient en conséquence pourvoir eux mêmes au soulagement des sinistrés ; soutenu par l'intendance, le Tiers États réagit vivement à ce refus et fit valoir que la Bigorre quoique également abonnée avait été soulagée. De nouvelles représentations furent adressées au Contrôle Général en 1771 ; le débat parait s'être enlisé dans le maquis de la procédure. Cette affaire révèle la complexité des alliances politiques et sociales à l'occasion d'un sinistre ; l'intendance n'était pas toujours, comme on veut le faire croire, le bras armé du gouvernement central.
100La politique de dégrèvement fiscal traduisait les divisions sociales de la province ; celle des aménagements et travaux publics illustre l'égoïsme traditionnel des communautés qui prévalut jusqu'à la Révolution. Le village appliquait aux risques naturels les mêmes règles qu'il employait à l'égard des pauvres : chacun les siens. Cette attitude interdisait par avance un aménagement concerté et général des cours d'eau et suscitait des conflits parfois trés violents.
101Habiles à enchevètrer les fils de leurs querelles, les communautés ne parviennent toutefois pas à en dissimuler les principaux ressorts. L'un est avoué sans difficulté, il s'agissait des dévastations causées par les gaves ; l'autre est presque toujours caché, il concernait l'appropriation des territoires, les saligues, que faisaient ou défaisaient les caprices des eaux. En fait les contentieux, trés compliqués, étaient souvent trés anciens et devenaient inextricables pour peu que les puissants s'en mêlent. Entre les villages de Laroin et le Lons, proches de Pau, le « munissement » provoquait « des dommages que les habitants de Lons ont souffert depuis longtemps »109. Comme leurs adversaires soutenaient le même point de vue, le conflit avait abouti à « une de ces affaires qui a aliéné les seigneurs des deux terres. Mgr l'évêque est seigneur de Laroin et il s'est montré soutenir les intérêts de ses habitants et la conservation de son moulin à l'occasion des ouvrages que faisoient les habitants de Lons ». L'intendance était intervenue en vain pour « concilier les intérêts de Mgr. l'évêque de Lescar et de Mr. le marquis de Lons » ; la procédure passa entre les mains du ministre Trudaine, puis du contrôleur général Laverdy, sans plus d'effet.
102La médiocrité des enjeux, quelques arpents de terres souvent infertiles, ne doit pas rendre méprisables ces disputes. En réalité la communauté villageoise, toujours menacée dans sa survie par les déséquilibres entre population et subsistance, ne pouvait rien négliger. Pour peu que le danger des eaux devienne trés pressant, le recours à la procédure ne suffisait pas à réduire une violence toujours latente ; dans la moyenne vallée du Gave de Pau, la gravité et la fréquence des inondations déterminèrent ainsi des affrontements intercommunautaires110.
103Un peu en amont de Pau, les villages de Narcastet et d'Assat entretenaient une trés vieille querelle : « Chaque débordement du Gave a donné lieu à une nouvelle discussion qui agite ces communautés depuis des siècles »111. La première procédure datait du 25 août 1684 ; elle reprenait une argumentation déjà éprouvée : chaque communauté accusait l'autre de détourner le cour du Gave afin de gagner quelques terres et de ruiner celles des voisins. Le parlement de Navarre avait désigné plusieurs commissions d'enquête qui se rendirent sur les lieux ; il prononça en 1690 un arrêt qui ordonnait la destruction des digues érigées par Assat. Cette décision ne fut jamais exécutée, les rivaux ayant trouvé, provisoirement, un terrain d'entente. L'interminable querelle reprit dès 1714 à la suite d'une crue qui ravagea la route de Narcastet ; une enquête parlementaire envisagea pour la première fois la réalisation d'un canal de dérivation. Faute de moyens le parlement continua toutefois à rendre des arrêts en 1715 et 1718 qui ordonnaient de rétablir « les lieux en l'état où ils étoient au 25 août 1684 ». Mais les querelles d'experts qui « furent d'avis différents », ruinaient par avance toutes ces décisions de justice qui ne furent jamais appliquées.
104Les fortes inondations de 1762 relancèrent une fois de plus la procédure à laquelle se mêla le seigneur d'Assat. Cette fois des coups avaient été échangés au cours d'une mêlée générale entre Assat et Narcastet. Un arrêt de janvier 1764 évoquait ces violences en interdisant : « À toutes les parties de faire aucun travaux. Il y eut au sujet de l'exécution de cet arrêt quelques voies de fait entre les habitans qui donnèrent lieu à un procés criminel et dans lequel plus de cinquante particuliers d'Assat ont été décrétés ». Lente et lourde, la procédure durait toujours en 1767 ; la Cour décréta alors quatre prises de corps, mais : « Quelques particuliers décrétés prétendent n'avoir fait ce qui a donné lieu aux décrets décernés contr'eux ». Découragé, l'un des conseillers-commissaires écrivit au tribunal : « Il est à craindre qu'on ne voit jamais la fin, tant à cause de son objet qu'à cause des incidents qui peuvent survenir d'un jour à l'autre ». Il ne croyait pas si bien dire.
105À la fin de l'Ancien Régime, en 1789 et 1790, l'affaire prit de telles proportions que toutes les instances locales, régionales et nationales y furent mêlées. Entre 1767 et 1789, les États de Béarn qui se partageaient avec les Ponts et Chaussées la gestion des voies de communication, avaient tenté une coordination des travaux ; mais une première estimation de leur coût s'élevait à la somme, énorme pour Narcastet, de 14 000 livres112. Les États abandonnèrent leurs vastes projets. En octobre 1789 une grosse inondation ravagea les saligues et les chemins de Narcastet qui obtint une ordonnance pour réaliser quelques « munissements ». « Mais ils furent assaillis de plus de quatre cens personnages d'Assat et de Meillon armés de fusilhs et autres armes offensives, qui à coup de fusilh chassèrent les travailleurs, un desquels se noya »113. Narcastet se défendait d'avoir voulu rejeter les eaux chez ses voisins ; elle avait seulement entrepris un canal « pour diminuer le volume de l'eau ». Au printemps 1790 de nouvelles inondations ruinèrent la route entre Nay et Pau et « deux personnes sont mortes sans sacrement et leurs cadavres ont été retirés avec les plus grands dangers ». Aussitôt, chacun se remit au travail et les villageois de Narcastet subirent un véritable assaut de la part de ceux de Meillon et d'Assat ; ce n'était plus la bagarre, c'était la guere paysanne qui resurgissait du passé.
106« Ceux-ci au nombre de trois ou quatre cents hommes armés de fusilhs et de hauts volans, fourche de fer avec peles et pioches et leurs tambours, se sont transportés sur les lieux ils ont attaqué les travailleurs à coup de fusilh et les ont forcé à fuir. Ils ont détruit et comblé tous les ouvrages déjà faits et se sont répendus sur les possessions d'où ils ont enlevé les fruits, menaçant les habitans de les chasser de leur domicile. Nulle résistance n'a peu leur être opposée, ils se sont même fortifiés sur les lieux où ils ont construit une redoute en ravageant les taillis d'aulnes dont ils ont emporté les restes et y ont établi une garde ».
107Naturellement, les assaillants nièrent tout en bloc, reconnaissant toutefois que « quelques habitans d'Assat se rendirent sur les lieux et parvinrent à faire discontinuer ces ouvrages ». En contrepartie ils accusaient leurs adversaires d'avoir été chercher du secours à Baliros et à Rontignon pour poursuivre leur canal. Aprés les coups, les belligérants échangèrent force mémoires qui confirment tous la convoitise que suscitaient les saligues. Chaque camp rechercha dans le For de Béarn des dispositions qui lui soient favorables ; Narcastet invoquait « la coutume du pais, à laquelle s'accordent les ordonnances, en permettant aux riverains de munir leurs rives ». Assat et Meillon rappelaient en effet que seuls les munissements étaient autorisés et qu'il « n'est point permis de changer ni de détourner le cours des eaux, ni le lit de la rivière ».
108La subdélégation de Pau, qui intervint la première à la suite des violences, se retrancha à son tour derrière la Rubrique des moulins et barrages, article 1, du For. En conséquence le subdélégué déconseilla à Narcastet de poursuivre « une entreprise que les lois réprouvent et il me paroitroit juste de les arrêter provisoirement ». On notera la prudence de l'administration centrale dans cette affaire ; l'intendance rendit une ordonnance conforme aux vœux de la subdélégation.
109Alors que toutes les institutions de l'Ancien Régime disparaissaient, le Maître particulier des Eaux et Forêts de Béarn, Jean de Laclède, produisit un Mémoire sur ce conflit interminable. Pour la première fois, ce rapport technique dressait un bilan général plutôt pessimiste et mettait en cause les usages des ruraux. Laclède décrivait avec précision la zone menacée par les inondations, huit cent toises « en nature de saliga et vestiges de terres fertiles. La rivière a eu différents lits dans le dit tènement ». Dans le territoire de Narcastet en particulier, « quantité de terres fertiles ont été dénaturées » et il fallait prévoir la submersion des communautés de Rontignon, Uzos, Mazères, Lezons et Gelos. Le risque était d'autant plus prévisible que les ruraux favorisaient les divagations du Gave : « Les riverains, loin de laisser croître les osiers, aulnes et autres morts-bois sur les rives de la rivière et dans une certaine distance d'icelle, les coupent et les déracinent, ce qui fait que les eaux ne trouvent aucune résistance et percent ». En attendant de « retenir la rivière dans un lit constant », Laclède recommandait d'alléger le cours du Gave par des canaux de dérivation et nommait un ingénieur-géographe des Ponts et Chaussées, Pécarrère, pour entreprendre un relevé topographique de la zone menacée. Ce projet, le dernier de l'Ancien Régime, illustre le point de vue auquel étaient parvenus en un siècle tous les administrateurs éclairés : il fallait dominer la nature par un plan général exécuté par la collectivité toute entière114.
Notre Dame la Nature : raisonner et dominer
110En découvrant la nature, l'homme songea aussitôt à s'en rendre maître et l'amour que portèrent à Physis les Pyrénéens éclairés du XVIIIe siècle s'inspirait en principe des lois de la raison et en pratique d'une volonté de domination. Au fur et à mesure qu'ils renoncaient à s'en remettre au Créateur, les hommes devenaient à leur tour les ordonnateurs de la création. Pendant que des communautés imperturbables continuaient à financer sur les deniers publics la bénédiction de l'air115, quelques esprits éclairés recherchaient les causes rationnelles des accidents et les moyens de les prévenir. Mais leur sensibilité s'exercait avec une intensité trés sélective.
111Avant 1789, les avalanches ne retinrent pratiquement pas l'attention dans les Pyrénées occidentales. Fr. Pasumot cite sans donner de détail les avalanches de 1759 et assure que « les lavanges sont trés à craindre »116 ; il suggère une parade : « Que l'on plante, que l'on sème, que l'on conserve ». Il faisait ainsi, implicitement, le procès des ruraux, de leurs usages et de leurs élevages condamnés pour déforestation. Le mémoire du capitaine Donnat, cité plus haut, souligne les carences de l'enregistrement des accidents. Le premier à avoir entrepris de dresser les « éphémérides des avalanches » semble avoir été le Dr. R. Molinery en 1920... ! À la suite des avalanches de 1897, 1907 et 1915, il se proposait de « rechercher les dates les plus célèbres de ce long martyrologue »117. Peu sensibles aux avalanches, les hommes du XVIIIe siècle instaurèrent un large débat sur les moyens de détourner la grêle. Les sonneries de cloches faisaient partie de l'arsenal traditionnel et en Béarn et en Pays Basque, les communautés désignaient des « benoîtes » pour « sonner les offices et détourner les orages ». L'église, on l'a vu, prit ses précautions dès 1753 contre les dérives superstitieuses du populaire. Mais il fallut attendre un arrêt du 9 août 1787 pour que les autorités civiles, le Parlement de Navarre en l'occurrence, interviennent au nom de la raison scientifique : « Le peuple ignore qu'en sonnant les cloches, on excite dans l'air une grande agitation qui peut fendre le nuage et laisser tomber la foudre »118. Cet arrêt confirmait l'opinion d'un « physicien » qui vingt ans auparavant avait adressé à l'intendance et aux États de Béarn un mémoire intitulé : « Expédient proposé à la société royale d'agriculture de la Généralité d'Auch »119. Le sieur Candeloup, capitaine à la retraite, proposait ainsi « un moyen singulier de préserver de la grêle les paroisses voisines d'Auch et de Dax qui en soufre presque tous les ans des pertes considérables ». Pendant une quinzaine d'années, habitant Montfort en Chalosse, il avait observé les orages qu'il attribuait « à la proximité des Pyrénées ». Tous venaient des montagnes et suivaient les plaines fluviales de l'Adour et des Gaves. Candeloup, qui avait enregistré jusqu'à sept grands orages de grêle en neuf ans sur la même paroisse, se défiait de la mémoire populaire et comprit la nécessité de collecter des séries d'accidents. « Tous les vieillards s'accordent à dire que les grêles deviennent chaque année plus fréquentes et qu'une grêle étoit regardée il y a soixante ans comme un phénomène extraordinaire. Les lieux et les causes étant les mêmes, on peut croire que ces vieilles gens ont oublié les meaux passés ». Peu enclin à la superstition, Candeloup prétendait démontrer que le bruit des cloches attirait les orages : « La raison en est simple, il n'y a qu'une petite quantité d'air qui se dilate, l'orage qui pour l'ordinaire est une masse pesante s'y porte parce qu'il y trouve moins de résistance ».
112Pour remplacer les cloches, il suggérait le canon : « L'année du siège de Fontarabie, on ne vit pas un seul orage dans toute la généralité. Il fut observé plusieurs fois à Bayonne que dans le moment où le canon de la ville et des forts fut tiré, des orages terribles prêts à fondre furent totalement rompus et divisés ». En conséquence, Candeloup demandait au ministère de placer trois pièces d'artillerie dans les lieux les plus élevés distants de trois à quatre lieues. Notre physicien, qui ne se défiait pas systématiquement de la sagesse populaire, recommandait de confier ces canons aux vignerons et aux laboureurs car « ils ont appris par une fatale expérience à distinguer les orages qui ont un mauvais caractère et ils se trompent rarement ».
113Dans le dernier tiers du siècle, d'authentiques savants se penchèrent à leur tour sur la question des orages. Dans sa Théorie de la Terre, l'ingénieur Flamichon proposait un chapitre sur les nuages et un autre sur « la formation des orages ». Il notait le caractère saisonnier des orages et il l'attribuait : « Soit que les rayons du soleil commençant à réchauffer la surface des monts, dont les neiges ne sont pas entièrement écoulées établissent un conflit entre le froid et le chaud ; soit qu'il se précipite dans les entrailles caverneuses une certaine quantité d'eau qui s'exhale en vapeurs... »120 Il imputait les orages au développement de masses nuageuses susceptibles d'une évolution trés rapide et provoquée par des agents thermodynamiques ; il ne faisait nulle part allusion aux phénomènes électriques. En contrepartie il eut en quelque sorte la prémonition de « l'instabilité verticale » et developpa le thème de la circulation atmosphérique et en particulier celle des vents du Sud, « qui suivent la direction des vallées ».
114L'abbé Palassou, un familier de Lavoisier, évita de tomber dans l'esprit de système, car : « Il faut des faits plus nombreux que ceux qui sont à ma connaissance ». Aussi se cantonna t-il dans de précieuses descriptions des orages de 1778 et de 1786. Il soutint, mais avec prudence, la thèse de la déforestation pour expliquer la gravité des orages pyrénéens ; comme Candeloup il prenait ses distances avec la tradition orale : « Je ne déciderai pas si les orages sont plus fréquents aujourd'hui qu'ils ne l'étaient autrefois ».
Mesurer, financer, prévoir
115Tant que le soin de se munir contre le danger des eaux resta confié à chaque communauté en particulier, il ne pouvait être question d'une planification quelconque. C'est en se rapprochant de ses administrés, avec de fortes arrière pensées fiscales, que l'administration centrale prit conscience des difficultés pratiques d'une telle entreprise. Avant de concevoir de vastes réalisations, il fallait mettre de l'ordre dans le financement et l'éxecution des travaux. C'est au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle que l'intendance, avec le concours des États et plus rarement celui des parlements, entreprit ce travail.
116Dans les Pyrénées occidentales, l'activité de d'Etigny fut dans ce domaine, comme dans celui des routes, décisive. Ses premiers soins semblent avoir été destinés à la capitale du Béarn : « Nécessaires pour préserver un des quartiers de la ville de Pau des inondations de la rivière du Gave »121. La Basse-ville en effet, où se trouvaient les moulins, les abattoirs et la Monnaie, était inondée chaque année ; les jurats de Pau, impécunieux, n'avaient jamais trouvé aucun moyen de financer les travaux. En 1760, d'Etigny obtint un arrêt du Conseil qui l'autorisait à régler le coût « sur le produit du nouvel octroy de cette ville aprés néantmoins que le don gratuit aura été prélevé pendant la durée. Cet arrêt a été concerté avec le Parlement qui a promis de ne mettre aucun obstacle à son exécution » ! L'enthousiasme de d'Etigny n'était pas étranger au fait que les travaux, s'ils allaient servir le bien public, devaient aussi « empêcher en même temps la ruine du moulin banal du Roy et celui de l'hôtel de la monnoye ». L'affaire ne tarda cependant pas à se compliquer : la nouvelle taxe à la consommation ne faisait pas, bien entendu, l'unanimité. Trois difficultés entravèrent aussitôt les projets de l'intendance : la première, imparable, tenait à la variabilité du revenu d'un octroi sur le vin (10 000 livres en 1761 ; 8 500 en 1762). Ensuite, le Parlement de Navarre toujours attentif à protéger le consommateur s'opposa à la perception de l'octroi qui avait été adjugé au sieur Hondagné, un marchand, pour la somme de 10 500 livres : « Le Parlement ayant troublé le fermier dans la jouissance de son bail sous prétexte du défaut de lettres patentes, il n'a pu en continuer l'exploitation ». La ville de Pau enfin ne pouvait payer ni les travaux de munissement, ni le don gratuit. Une fois de plus, on constate à quel point la question fiscale se trouvait au centre de tous les débats sous l'Ancien Régime.
117Ce cas de figure est trés révélateur de l'attitude du gouvernement royal après 1750 ; il prétend imposer des solutions de portée générale mais sans que l'État supporte la moindre charge. Cette affaire traduit aussi le manque d'information dont disposaient les parties en présence, la difficulté d'évaluer les coûts et de trouver des fonds. Le financement des travaux était encore plus compliqué pour les petites communautés qui ne pouvaient en aucun cas compter sur leurs seules ressources. En novembre 1768, le pont de Saint-Pé-de-Bigorre avait été enlevé par le Gave coupant la communauté de son territoire utile, la montagne de Trescrouts ; la reconstruction était estimée à plus de 10 000 livres. Les États de Bigorre n'offraient qu'un millier de livres, la ville avait 20 000 livres de dettes et ses communaux étaient épuisés ; elle ne disposait enfin que d'un maigre octroi qui lui rapportait une rente de 400 livres. Il était bien entendu hors de question de faire participer les communautés béarnaises « qui sont usagères dans les communaux de cette ville, cela donnerait lieu infailliblement à un procés qu'il est trés prudent d'éviter »122. Avec tous les risques que cela comportait, Saint-Pé s'orienta vers une solution provisoire : la contraction d'une passerelle en bois.
118En réalité l'administration centrale et ses agents n'adoptèrent jamais une ligne de conduite cohérente et les travaux de munissement suscitèrent des résistances parfois comparables à celles que déterminait la route royale. Toujours en 1768, l'inondation avait ravagé la vallée de Davantaigue en Bigorre ; l'intendant souhaitait mobiliser toutes les communautés. Le ministère rappela que « en ce qui concerne les digues et autres réparations contre les rivières, chaque communauté doit travailler pour soi et sur soi à la conservation de son territoire »123. L'intendance persista dans son projet de corvée générale ; aussitôt une partie de la vallée se rebella du fait, selon l'intendant « de la mauvaise humeur de deux particuliers de cette vallée qui se font un point d'honneur de faire prévaloir les communautés de Villelongue et de Boo qu'ils deffendent sur celle de Prechac et Gesac qu'ils veulent humilier » ! Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la corvée provoqua en 1787 en Soule des procédures et des contestations124. Le résultat le plus clair de ces crises était le désaisissement du pouvoir local ; la gestion des risques naturels tombait entre les mains du pouvoir central et les principaux intéressés n'étaient plus que des contribuables et des corvéables.
119Pour comprendre les réactions des communautés, il faudra un jour chiffrer leurs efforts ; certes les sommes indiquées par de rares et confus devis ne paraissent pas trés considérables mais elles cachent une lourde réalité. À la suite des inondations de septembre 1772, les Ponts et Chaussées de Béarn envisagèrent la construction d'une digue et d'un canal à la hauteur de Baudreix et de Mirepeix ; le coût était estimé à la modeste somme de 1 091 livres125. Mais pour les six communautés concernées, cela représentait la mobilisation de quatre cent vingt-quatre hommes, de soixante-trois bœufs et cent soixante-trois vaches. À la veille de la Révolution, une communauté qui entreprenait des travaux de munissement devait obtenir l'autorisation de l'intendance, solliciter les Ponts et Chaussées, régler les honoraires d'un ingénieur-géographe et pour finir en supporter seule la charge. Ainsi, en 1789, Clarac sur le Gave demandait l'agrément de l'intendance « pour faire ses ouvrages par adjudication et de les payer au marc la livre du vingtième, c'est le seul et unique moyen de payer »126.
120En dehors des projets qui devaient rendre navigable le Gave de Pau ou édifier un grand canal pyrénéen, il fallut attendre le dernier tiers du XVIIIe siècle pour que vissent le jour des plans destinés à maîtriser les eaux. Dans les Pyrénées occidentales, le seul provincial qui travailla longuement sur ce sujet fut l'ingénieur-géographe Flamichon. Dès 1771 il présenta aux États de Béarn un Mémoire où « il proposoit les moyens de rendre nos torrens navigables et de prévenir les ravages qu'ils font dans leurs débordemens »127. Il n'était plus désormais question de se concilier la nature mais de la dominer ; encore fallait-il la bien connaitre. Fr. Flamichon annoncait en conséquence aux États une enquête pour « connoitre exactement la nature des torrens en Béarn » et par là même de réduire le coût des travaux. Cet ingénieur zélé pour le bien public eut bientôt l'occasion de mesurer la distance entre la théorie et la pratique ; en 1775 l'intendance lui demanda des plans contre les crues du Saison en Soule. L'intendance écarta son projet trop coûteux et surtout trop novateur ; en concevant l'idée de diriger la nature, Flamichon avait sans doute un peu trop d'avance sur les mentalités.
121Il ne se découragea toutefois pas et en 1779 fit imprimer à ses frais un Mémoire adressé aux États de Béarn, « concernant l'encaissement des Gaves et l'établissement d'une navigation en Béarn ». Homme de terrain, il ne se faisait aucune illusion sur la bonne volonté de ses concitoyens : « Les moindres travaux éprouvent des obstacles infinis. Une communauté entreprend-elle de garantir son terrain par quelque digue ; les riverains opposés s'écrient qu'on rejette sur eux l'impétuosité du torrent. Les transports de commissaires, les vérifications, les fraix de justice absorbent à la fois les ressources des deux communautés ». Pour échapper à la coalition des égoïsmes particuliers, il fallait « un plan général et combiné » qui rendrait le cours d'eau navigable et augmenterait les surfaces agricoles. Pour adoucir son propos et le rendre acceptable, Flamichon citait le Mémoire de Malus au XVIe siècle, les travaux de d'Arce en 1632, de Petel en 1769 et l'exemple des canaux d'irrigation chinois... ! Pratiquement il proposait une expérience pilote entre Coarraze et Bizanos, sur la portion la plus dévastatrice du Gave de Pau : « Il faut aider la nature par des travaux convenables ». Recherchant la « cause de l'inconstance du gave », il mettait en cause l'hétérogénéité des matériaux qui composaient le lit du Gave. Après avoir garanti que son plan ne causerait aucun préjudice aux moulins et foulons, il en exposait les principaux points : « Redresser le cours des torrens, retrecir la canal actuel de leurs eaux, donner aux rives du canal une résistance au moins égale à celle de son fond ». En guise de conclusion, il présentait « la balance entre le produit des travaux et la dépense. Montant de la dépense : 25 770 livres ; montant du produit en terres cultivables : 59 400 livres ».
122Cette projection trés optimiste ne pouvait manquer de séduire une assemblée de propriétaires fonciers. Les États béarnais désignèrent donc une commission qui émit un avis favorable sous réserve qu'il n'en coûterait pas un sol à la province ! L'appât de nouvelles terres cultivables fut cependant assez fort pour que l'étude du projet se prolongea jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. En 1782 une commission des États accompagna Flamichon sur le terrain pour dresser un états des fonds « en nature de saligue, terre inculte, fougères, gravier ou glère, en trois classes : bonne, moyenne et mauvaise »128. L'enquête eut lieu à Pau, Billère, Bizanos, Jurançon, Gelos et Lezons ; elle consista à estimer la superficie et la valeur en livres des terres conquises sur les eaux. La jurade de Pau, qui voyait loin, entreprit même une estimation de la « survaleur » qu'acquéraient ces terrains (de 50 à 200 livres pour les bois et taillis par exemple). En 1788, les États reçurent un nouveau mémoire « qui a per objet la necessitat d'encaissar lous gaves »129 et de le rendre navigable au delà d'Orthez ; le coût des travaux était évalué à 72 000 livres. La Révolution interrompit cette réflexion et des travaux que la province eut été bien en peine de financer. Mais une véritable révolution mentale avait bien eu lieu dans les dernières années de l'Ancien Régime : l'idée de soumettre la nature aux volontés de l'homme par des plans généraux s'était imposée.
Notes de bas de page
1 La définition du risque n'est pas évidente ; voir la réflexion de M.L. Rescia-Pellegrin, Les registres, imaginaires et symboliques, dans la définition du risque, résumé dans Actes 116e Congrès nat. soc. sav. Chambéry-Annecy, 24 avril - 4 mai 1991. Voir aussi sous la dir. de J. Delumeau et Y. Lequin, Les malheurs des temps. Histoire des fléaux et des calamités en France, Paris, 1987.
2 F. Braudel, La Méditerranée au temps de Philippe II, Paris 1985, 6e ed.
3 Sur l'ensemble de la question, voir V. Berdoulay et M. Phipps, Paysage et système, 1985. Sur la perception du milieu, F. Walter, Perception des paysages, action sur l'espace : la Suisse au XVIIIe siècle, AESC 1984, 39. 1. pp. 2.39 et Th. Keith, Dans le jardin de la nature, la mutation des sensibilités en Angleterre à l'époque moderne (1500-1800), Paris, 1985.
4 D. Mornet, Les sciences de la nature au XVIIIe siècle en France, Paris, 1911.
5 E. Sereni, Histoire du paysage rural italien, Paris, 1964 et A. Verhulst, Histoire du paysage rural en Flandre de l'époque romaine au XVIIIe siècle, Bruxelles, 1966. R. Baunet, Analyse des paysages et sémiologie. Éléments pour un débat, EG 1974, 2. pp. 120-126. Ces travaux avaient été précédés de deux grands classiques dont la problématique était toutefois différente, R. Dion, Essai sur la formation du paysage rural français, Tours, 1934 et M. Bloch, Les caractères originaux de l'histoire rurale française, Oslo 1931.
6 N. Broc, Les montagnes vues par les géographes et les naturalistes de langue française du XVIIIe siècle, CTHS Paris, 1969, p. 16. D. Mornet, op. cit. partageait déjà à peu prés cette opinion. Du même auteur, La géographie des philosophes : géographes et voyageurs au XVIIIe siècle, Paris, 1975.
7 La littérature « catastrophiste » est très abondante et plutôt inégale ; de nombreux ouvrages sont des livres d'humeur, certains de qualité : L. Fougeres, La terre en péril, AGF, 1991 ; M. Serres, Le contrat naturel, Paris, 1990. Liés aux mouvances écologistes, ces travaux ont suscité des réactions, celle de L. Ferry par exemple : Le nouvel ordre écologique, Paris, 1991.
8 Voir en particulier W. Abel, Crises agraires en Europe (XIIIe-XXe siècles), Paris, 1973.
9 E. Leroy-Ladurie, Histoire du climat depuis l'An Mil, 1e ed. Paris, 1961.
10 Deveze, La vie de la forêt française au XVIe siècle, Paris, 1961.
11 Voir le guide de recherche publié par ce groupe : Aspects de la recherche sur l'histoire des forêts françaises, IHMC-CNRS, Paris, 1980. La première grande synthèse inspirée par ce groupe a été celle de A. Corvol-Dessert, L'homme et l'arbre sous l'Ancien Régime, Paris, 1984.
12 A. Corvol-Dessert, Histoire et environnement ? Histoire de l'environnement. IHMC no19 1992.
13 Ph. et G. Pinchemel, La face de la terre. Éléments de géographie. Paris, 1992, p. 219.
14 Pinchemel, op. cit. p. 305. Un effort considérable de clarification a été consenti par les géographes français ; publications du CILF, Vocabulaire de l’environnement, Paris, 1976, Vocabulaire d’écologie, Paris, 1979.
15 Y. Chatelier et G. Riou (dir.), Milieux et paysages, Paris 1986. On comparera l'approche des auteurs réunis dans cet ouvrage à celle, traditionnelle, de A. Meynier, Les paysages agraires, Paris, ed. de 1983.
16 P.B. Palassou entreprit ses premiers travaux en 1774 ; son Essai sur la minéralogie des Monts Pyrénées fut publié en 1784 à Paris. Il constitue le texte fondateur du pyrénéisme et du sentiment de la nature dans les Pyrénées. Voir C. Desplat, « P.B. Palassou, naturaliste et précurseur du Pyrénéisme » (1745-1830), dans Revue de Pau et du Béarn, no 6, 1978.
17 Par exemple : H. Elhai, Biogéographie, Paris, 1968, p. 104 ; Y. Chatelin et G. Riou, op. cit. pp. 71-88. Sur les Pyrénées, voir l'ouvrage collectif : Écologie de la vallée d'Ossau. Recherches pour une synthèse, CNRS, Bordeaux, 1978.
18 C. Desplat, « Fr. Flamichon : citoyen zélé et géographe systématique au XVIIIe siècle », dans Revue de Pau et du Béarn, 1973.
19 Voir le plan qu'ils demandèrent à Giraud Soulavie ; C. Desplat, L'Académie royale de Pau au XVIIIe siècle, p. 125, Pau, 1971.
20 S. Briffaud, Vision et représentation du paysage montagnard (Pyrénées centrales milieu XVIIIe siècle, milieu XIXe siècle). Essai sur l'histoire culturelle des relations des sociétés à leur environnement. Thèse, Toulouse, UTM. Publiée par AGM, Archives des Hautes-Pyrénées et CIMA.-CNRS Toulouse n, 1994. CR dans les Annales du Midi, 1992 par S. Brunet, p. 251. Sous la direction de S. Briffaud on consultera : Pyrénées, un paysage à la croisée des regards, XVIIIe-XXe siècles, ville de Toulouse, ASCODE, s.d.
Les historiens ne doivent pas méconnaître le point de vue des historiens de l'art qui ont souvent été des précurseurs. Voir en particulier : M. Gaston, Les Pyrénées dans la peinture et l'estampe à l'époque romantique, Thèse 3e Cycle, 1970, Toulouse. À consulter, le catalogue du musée pyrénéen de Lourdes, Les Pyrénées françaises vues par les artistes, juin-octobre 1974, Pau, 1974.
21 B. Desailly et J.P. Métailié, Chronologie des catastrophes dans les Pyrénées centrales et orientales aux XVIIIe-XIXe siècles : problèmes d'interprétation et perspectives de recherche, CIMA, Toulouse, 1990. J.M. Antoine, Histoire de la torrentialité en val d'Ariège : des catastrophes passées aux risques actuels, RGPSO 1989. B. Desailly, Les ingénieurs des Ponts et Chaussées face aux inondations en Roussillon vers 1750-1815, RGPSO, 1989.
22 C. Desplat, The Climate of eighteenth century Bearn, dans French History, 1, Oxford 1987. Du même auteur, Séismes dans les Pyrénées occidentales. Contribution à l'histoire des phénomènes naturels, RGPSO, t. 59, fasc 1. 1988.
23 Dans le cadre de l'IRSAM, de l'Université de Pau, J.P. Tihay a publié une étude sur l'Evolution des versants et aménagements, dans Actes du Colloque Risques et aménagements dans les Pyrénées, Foix, Pau, Cabas, GDR ISARD et URA 366.
24 Voir le tableau que dresse S. Lerat dans Les Pays de l'Adour, Bordeaux 1963, sur les paysages au milieu du XIXe siècle. Sur le maïs, consulter C. Desplat, Le maïs en Béarn au XVIIIe siècle, dans Flaran 12, 1990, Plantes et cultures nouvelles en Europe occidentale du Moyen Age à l'époque moderne, Auch, 1992.
25 Les notes du curé de Bruges ont été présentées dans une excellente maîtrise de D. Rouverand, La mort selon les registres paroissiaux de Bruges en Béarn, Université de Pau 1992. Sur l'abbé Bonnecaze, voir les textes publiés par l'abbé Dubarat, Les variétés béarnaises de l'abbé Bonnecaze, Bull. SSLA Pau, t. 34-35, 1906-1907.
26 Voir abbé Puyol, Louis XIII et le Béarn ou le rétablissement du catholicisme en Béarn et réunion du Béarn à la France, Paris, 1872 ; et C. Desplat, Louis XIII and the Union of Bearn to France dans Conquest and coalescence. The shaping of the State in Early Modern Europe, Londres 1991.
27 Limendous, A.C. GG 1730-1791.
28 ADPA C 1351 à C 1355. Voir C. Desplat, « La forêt béarnaise au XVIIIe siècle », Annales du Midi, t. 85, no 120. 1973.
29 Arudy, A.C. HH 1. Imprimé (ne figure pas dans la série des États, ADPAC)
30 Voir Lacoste, Projet d'assurance présenté en 1826, Pau, Vignancour, 1826.
31 Rituel du diocèse d'Oléron, Paris, 1751.
32 Voir C. Desplat, L'Académie royale, op. cit. pp. 126-131.
33 Darcet, Discours en forme de dissertation sur l'état actuel des montagnes Pyrénées et sur les causes de leur dégradation, Paris, 1776.
34 Voir C. Desplat, art cit. Outre une Théorie de la terre déduite de l'organisation des Pyrénées et des pays adjacents, Pau, 1816 (rédigée vers 1776), Flamichon a laissé de très nombreux mémoires qui se trouvent dans la série C. des ADPA
35 Paris, S.n, 1618.
36 Voir Dictionnaire des Journaux (1600-1789), J. Sgard (dir.), Paris, 1991, 2 vols. Notice 212, Circulaire des Pyrénées, p. 233, t.1.
37 Dans son Voyage aux Pyrénées, Paris, 1788, Dusaulx décrit une avalanche survenue trente ans avant son passage à Barèges.
38 On trouvera des études utiles et une bibliographie dans le catalogue de l'exposition : Trois siècles de cartographie dans les Pyrénées, Musée pyrénéen de Lourdes, 1978, Pau, 1978.
39 Voir C. Desplat, « L'exploitation systématique de la Maîtrise particulière des Eaux et Forêts de Béarn au XVIIIe siècle », dans Gazette des Archives, no 81, 1973, pp. 95-107 (les fichiers de l'enquête sont consultables, avec autorisation, aux ADPA).
40 Voir P. Raymond, Notice sur l'intendance en Béarn et sur les États de cette province, Paris, 1865.
41 Les registres des États de Béarn, les « Brevets » ont été rédigés en langue béarnaise jusqu'en 1789.
42 L'histoire des rapports entre l'homme, le milieu et l'animal dans les Pyrénées reste à écrire. Noter, C. Desplat, Présence et image du loup en Béarn au XVIIIe siècle, Pau, FIEP 1981 et surtout la synthèse partielle mais importante de J.CL. Bouchet, Histoire de la chasse dans les Pyrénées françaises (XVIe-XXe siècles), Pau, 1990.
43 L. de Froidour et Sève, Procès verbal sur la réformation des forêts du royaume de Béarn, Pau, 1755, procès verbal sur la réformation du pays de Soule, Pau, 1730.
44 Voir C. Desplat, « Les résistances à l'implantation de la route royale dans le ressort de l'intendance d'Auch et de Pau au XVIIIe siècle », dans Annales du Midi, t. 93, no 153, 1981.
45 Règlement de la vallée de Baïgorry, ADPA C 21.
46 ADPA C 1529.
47 Le carnau dans les Pyrénées était une forme archaïque de saisie, matière à violences.
48 Voir C. Desplat, Climate in Bearn, art cit.
49 Borce, A. C. BB1.
50 Bruges, A. C. GG 3 et 5.
51 Aydius, A. C. GG (1732-1790).
52 ADPA C 31.
53 Ce texte conservé aux A.N. F.8-131 est cité par le Dr Molinery dans « Une grande avalanche aux bains du bourg de Barèges » (19 pluviose ANX). Esquisses d'hydrologie historique. Barèges, chez l'auteur s.d. (vers 1920).
54 ADPA C 409.
55 ADPA C 44.
56 ADPA C 201. Un lien entre crise sismique et crue des eaux est établi pour une crue de la Garonne, de l'Adour et du Gave de Pau en juillet 1678 par J.B. Palassou, voir C. Desplat, Séismes, art. cit. p. 100.
57 ADPA C 224. Les ADPA conservent une très belle série de plans sur ces travaux, C 201 à 223. Voir sur ce sujet l'excellente maîtrise de N. Paletou, Évolution du littoral et aménagements anthropiques de la fin du XVIIe siècle à nos jours. Saint Jean de Luz : chronique d'une fin annoncée. Université de Pau, 1993.
58 La mise au point la plus récente sur le régime agraire des barthes de l'Adour est celle de A. Zink, Pays et Paysans gascons, thèse d'État, Paris, Sorbonne 1986.
59 ADPA C 278.
60 ADPA C 94.
61 ADPA C 75.
62 ADPA C 148. Le gave parvint en cette occasion jusque dans les jardins du couvent des capucins, au pied du coteau de Pau. La crue est toujours un événement ; voir la description de celle du 13 au 14 février 1990 présentée par Th. Monier, Analyse d'une crue torrentielle hivernale. Réponse du bassin versant du torrent Morel (Valmorel) à un épisode pluvieux exceptionnel. Dans Actes 116e Congrès soc. sav., op. cit., résumé p. 92.
63 Des travaux d'endiguement avaient été entrepris en 1757 sous la conduite d'un ingénieur des Ponts et Chaussées, Picaut.
64 ADPA C 806, fo 77 à 81.
65 ADPA C 806, fo 82.
66 ADPA C 265.
67 ADPA C 409.
68 ADPA C 449.
69 ADPA C 775, fo 290.
70 ADPA C 116.
71 Abbé Bonnecaze, « Histoire des villes et villages du Béarn », publiée par V. Dubarat, dans Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne, 1900, p. 130.
72 ADPA C 468.
73 ADPA C 441. Le tablier du pont de Nay était la victime quasi annuelle des eaux ; le gros œuvre fut lui aussi souvent menacé. Le 10 janvier 1684 : « Le lendemain mardy et jour d'une très abondante pluye de 24 heures sans cesse avec un grand degeilh qui grossit les rivières et notamment la Gabe qui emporta un des gros et principal pilier du pont de Nay », A.C. Bruges, registres paroissiaux.
74 ADPA C 245.
75 ADPA C 737, fo 88.
76 ADPA C 769, fo 188.
77 ADPA C 774, fo 93.
78 Estialescq, A.C. HH1.
79 La mesure de Monein valait 2 décalitres 25 ; le quartal d'Oloron, 2 décalitres 0065.
80 Voir l'opinion de S. Lerat, op. cit.
81 « Voyage de L. Godefroy en Gascogne, Bigorre et Béarn », publié par V. Dubarat dans Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne, t. VIII, p. 293.
82 Abbé Palassou, Observations pour servir à l'histoire naturelle et civile de la Vallée d'Aspe, Pau.
83 ADPA C 1329.
84 Abbé Bonnecaze, Variétés, op. cil., p. 72. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle la question de la diabolisation des superstitions ne se pose guère ; tout ce que l'église romaine ne contrôle pas est attribué à Satan. Ainsi les chasseurs de grêle, les « tempestarii » ou encore « nubium expulsores » ne furent diabolisés qu'assez tard lorsque la surévaluation des pouvoirs du diable eut fait son œuvre. Voir l'ouvrage de J.Cl. Bologne, Du flambeau au bûcher. Magie et superstition au Moyen Âge, Paris, 1993, pp. 96 à 102.
85 Fr. Flamichon, Théorie de la terre, op. cit. p. 165.
86 Abbé Bonnecaze, op. cit. p. 65.
87 Saint Étienne de Baïgorry, A.C. BB1 (1685-1716). La chapelle existe toujours ainsi que le pèlerinage annuel.
88 Fr. Flamichon, op. cit. p. 168.
89 ADPA B 4968, fo 56.
90 ADPA B 4893, fo 303 (1785).
91 P. de Lancre dans son célèbre Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons, soutenait qu'en terre basque : « Le sabbat ne se faict guière que ce ne soit prés d'un lac ou d'un ruisseau ou de quelque mare, afin de battre l'eau pour faire la gresle ».
92 ADPA B 4816, fo 271.
93 Estialescq, A.C. GG 1 s.d.
94 Abbé Bonnecaze, op. cit. p. 188.
95 Rituel, op. cit. p. 351.
96 Rituel, op. cit. pp. 465, 474-477.
97 Bruges, A.C. GG 9 fo 16.
98 ADPA C 765, fo 80.
99 Lettre de Mgr de Révol aux États, publiée par V. Dubarat dans Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne, t. II, p. 56.
100 L'interdiction formelle de sonner les cloches pendant les orages n'intervint qu'en 1885 à la suite d’un arrêté ministériel. Voir, Statuts synodaux du diocèse de Bayonne, 1898, p. 157.
101 ADPA C 769 et C. 774.
102 ADPA C 770, fo 204.
103 ADPA C 31.
104 ADPA C 94.
105 ADPA C 75.
106 ADPA C 737, fo 88.
107 ADPA C 806, fo 77.
108 ADPA C 806, fo 103.
109 ADPA C 116.
110 Voir le T.E.R. d'Olivier Gagnac, Divagations et aménagements du Gave entre Nay et Pau depuis le XVIIIe siècle, Université de Pau, 1992.
111 ADPA C 13.
112 ADPA C 468.
113 ADPA C 468
114 Pécarrère se mit aussitôt au travail ; un plan préparatoire a été conservé, ADPAC 469.
115 Par exemple à Macaye, A.C. CC1 à 55.
116 Fr. Pasumot, Voyages physiques dans les Pyrénées, 1788-1789.
117 Dr. R. Molinery, op. cit. Il relevait la catastrophe de 1598 qui avait causé cent six morts et le déplacement du village de Cheze.
118 ADPA B 5022, fo 80.
119 ADPA C 278.
120 Fr. Flamichon, op. cit. p. 157.
121 ADPA C 147.
122 ADPA C 245.
123 ADP A C 82.
124 ADPA C 449.
125 ADPA C 362.
126 ADPA C 441. Devis très détaillé établi par l'ingénieur Pécarrère, qui s'élevait à 6 450 livres. Un seul adjudicataire se présenta, après trois jours d'adjudication : le charpentier de Clarac !
127 ADPA C 1330.
128 ADPA C 1431.
129 ADPA C 823, fo 230.
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