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Plantes et cultures nouvelles

 | 
Marie-Pierre Ruas
, 
Antonio Malpica Cuello
, 
Erik Thoen
, 
et al.

Rapports

La culture de la pomme de terre en Belgique (xviie-xixe siècles)

Christian Vandenbroeke

Texte intégral

1Bien que presque tout le monde soit convaincu de la grande importance qu’a revêtue la culture de la pomme de terre, la recherche sur ce sujet reste limitée, ce qui fait que l’ensemble de la question demeure assez obscure.

  • 1 R. N. Salaman, The history and social influence of the potato, Cambridge, 1949 ; K. H. Connell, The (...)

2L’ambiguïté des appréciations portées sur cette plante dans la littérature est frappante. Le point de vue des uns est très positif : il s’agirait d’une plante miracle, décrite aussi parfois comme une nouvelle manne rendue nécessaire, à la fin de l’Ancien Régime, par la hausse de la demande de produits alimentaires. Celui des autres est plus négatif : ils la voient plutôt comme une “culture de la misère”, propre aux classes populaires. De même, la littérature disponible est déséquilibrée : en ce qui concerne l’Angleterre et l’Irlande, nous disposons de bonnes synthèses, mais il est frappant de constater que la plupart datent du milieu de ce siècle1 et que ces recherches ont été abandonnées dans les décennies qui ont suivi.

  • 2 L. Burema, De voeding in Nederland van de middeleeuween tot de twintigste eeuw, Assen, 1953 ; A. C. (...)

3Il est encore plus difficile de suivre la diffusion de la culture de la pomme de terre sur le continent en l’absence d’études générales ; on doit se tirer d’affaire en puisant dans la multitude d’études régionales disponibles2. Dans ces conditions, on comprend qu’il soit difficile d’arriver à un point de vue équitable.

4Néanmoins, nous disposons de plusieurs possibilités pour approfondir cette recherche, en utilisant, soit des indications directes provenant d’archives, soit de toutes sortes d’approches indirectes. Pour nous limiter à l’essentiel, nous dirons que deux problèmes cruciaux apparaissent. Il y a, en premier lieu, les problèmes méthodologiques, y compris les insuffisances des sources : comment peut-on préciser le début de la culture quand on ne dispose pas de statistiques valables, ni de données quantitatives ? Se pose ensuite le problème de la valeur des résultats : comment peut-on définir l’importance d’une nouvelle culture ? Est-ce vraiment une “culture de misère’’ ? Comment pouvait-on résoudre le problème de l’approvisionnement après l’introduction de la pomme de terre ? Y a-t-il d’autres interactions avec l’histoire économique et sociale ?

  • 3 C. Vandenbroeke, Cultivation and consumption of the potato in the 17th and 18th century, Acta Histo (...)

5Pour répondre à la première question concernant le début et le développement de cette culture, plusieurs possibilités s’offrent à nous3. On peut, par exemple, se limiter à une analyse des procès sur les dîmes. Un placard édité par Charles Quint au milieu du XVIe siècle stipulait, en effet, qu’on ne devait pas payer de dîme sur les cultures nouvelles. Comme les décimateurs n’étaient pas d’accord avec cette décision, il va de soi que ce placard a conduit à de nombreux procès. Ils permettent, région par région, de préciser le début de la culture. On dispose donc d’un élément formel avec la date du procès et, en outre, les déclarations des témoins apportent de nombreuses précisions sur la première apparition de notre tubercule.

6Nous avons suivi les procès qui ont eu lieu tout au long du XVIIIe siècle de manière très détaillée pour les Pays-Bas méridionaux. En ne nous en tenant qu'au seul aspect formel que constitue la date à laquelle ces procès ont été intentés, quelques résultats concrets ont pu être atteints. Tout de suite, il apparaît que la diffusion s’est faite à partir de deux points : les tout premiers procès se situent aussi bien dans le nord-ouest du pays que dans l’extrême sud, respectivement dans les régions de Dixmude et en Luxembourg (carte 1).

7Cependant, les précisions apportées par les témoins sur les premières plantations sont encore plus importantes que les simples dates des procès. Une analyse du contenu des témoignages disponibles permet d’affiner le cadre chronologique du début de la culture dans chaque région. C’est ainsi que cette nouvelle approche permet de confirmer cette diffusion de la pomme de terre à partir de deux points du territoire dont nous venons de parler.

8Plus précisément, si nous regroupons les données apportées par les témoins dans les procès étudiés, nous obtenons l’évolution suivante :

  • dans la région d’Ypres, de Dixmude et de Tielt, on cultivait déjà des pommes de terre en plein champ pendant les dernières décennies du XVIIe siècle ;

  • pour la région de Gand, les témoignages permettent de situer le début de la culture dans les premières années du XVIIIe siècle et donc, juste avant ou peu après la crise de 1709 ;

  • pour la région d’Alost et de Bruxelles, c’est plutôt vers 1720 qu’on trouve les premières traces ; toutefois, d’après les témoins, on doit y attendre la crise de 1740 pour noter une extension plus importante ;

  • autour d’Anvers, ce n’est qu’à partir du milieu du XVIIIe siècle que Ton cultive les tubercules dans les champs ;

  • dans le nord-est du pays, c’est-à-dire dans la province du Limbourg, c’est plutôt après la crise des années 1770-1772 que l’on peut situer le début de cette culture ;

    • 4 E. Juillard, La vie rurale dans la plaine de Basse-Alsace. Essai de géographie sociale, Paris, 1953

    pour le sud du pays, dans les provinces du Luxembourg et de Liège tout comme dans la Basse-Alsace, c’est à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle qu’apparaît notre plante4.

Carte 1. - Analyse des procès concernant le paiement de dîmes sur les récoltes de pommes de terre.

  • 5 F. Ladrier, Les premières cultures de pommes de terre dans le Namurois, Namurcum, 1963, pp. 27-32 e (...)

9En ce qui concerne les provinces de Namur et du Hainaut, c’est plutôt le deuxième quart du XVIIIe siècle qui voit un certain développement de cette culture5.

10Tous ces procès confirment donc la conclusion d’une double voie de propagation : de l’ouest du pays vers le centre et Test, d’une part, du sud vers le nord, de l’autre. Pour traverser la Belgique, sur une distance de 200 à 300 km, il a fallu à peu près un siècle ; autrement dit, la vitesse de propagation des pommes de terres à travers le pays a été de Tordre de 2 à 3 km par an !

Carte 2. - Analyse des inventaires après décès par localité.
Date (= décennie) des premières indications.

11A côté de ce cadre de recherche limité que constituent les procès sur les dîmes, une autre source est envisageable pour approfondir la question : ce sont les inventaires après décès. Bien entendu, il s’agit là d’une approche très laborieuse ne pouvant être mise en œuvre que pour un petit nombre de localités, mais qui permet d’aboutir à de précieuses conclusions.

  • 6 C. Vandenbroeke, Agriculture et alimentation..., op. cit., pp. 249-252.

12Deux méthodes peuvent être utilisées pour l’analyse des inventaires6. En premier lieu, on peut rechercher, localité par localité, quand il est fait mention des pommes de terre pour la première fois. La carte no 2 rend compte de l’analyse du contenu des pièces de procès relatives au début réel de sa culture, en apportant un grand nombre de précisions chronologiques. On peut aussi réaliser une approche sérielle en étudiant, par décennie, la fréquence des mentions de cette plante. On obtient ainsi une image de l’évolution de l’intérêt pour sa culture et de sa diffusion au cours du XVIIIe siècle. Les résultats obtenus à partir de cette deuxième approche sont consignés dans la carte no 3 où nous avons noté, pour le milieu du XVIIIe siècle, par localité et par région, la proportion de mentions de notre tubercule dans les inventaires.

Carte 3. - Développement de la culture des pommes de terre vers 1790. Pourcentage des inventaires avec une mention de cette culture.

13Comme il a été dit plus haut, les toutes premières conclusions tirées des procès sont précisées et confirmées par un sondage sur les inventaires qui porte, en tout, sur une vingtaine de localités. De nouveau, on peut en déduire que cette culture était connue dans l’ouest de la Belgique à la fin du XVIIe siècle, dans la région de Gand à partir du début du XVIIIe siècle, dans la zone d’Alost-Bruxelles dès le deuxième quart du XVIIIe siècle. Pour la province d’Anvers, les inventaires après décès confirment qu’on doit attendre jusqu’au milieu du siècle pour trouver les premières traces de la culture des pommes de terre. Toutefois, on peut admettre que la propagation dans la région d’Anvers, comme dans le Limbourg, se fit à un rythme beaucoup plus rapide qu’en Flandres. Une telle conclusion est confirmée par les premiers recensements et les statistiques sur la consommation, datant du début du XIXe siècle (voir annexe 1).

  • 7 M. Morineau, La pomme de terre au XVIIIe siècle, Annales (Economie, Sociétés, Civilisations), 1970, (...)

14Jusqu’à présent, nous avons utilisé des sources directes pour étudier l’apparition et le développement de la culture des pommes de terre au cours du XVIIIe siècle. On peut aussi les mesurer de façon indirecte en étudiant l’évolution de la consommation de blé. En effet, on peut admettre que jusqu’à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, les besoins quotidiens en calories étaient pratiquement couverts par le blé. En revanche, une image plus nuancée apparaît au milieu du XVIIIe siècle, au fur et à mesure que se répand la pomme de terre. Autrement dit, une baisse de la consommation de blé, à la fin de l’Ancien régime, correspond à une hausse de celle de la pomme de terre, si l'on accepte que la prise quotidienne de calories reste constante7.

Graphique 1. - Evolution de la consommation de blé (en litre/jour).

  • 8 C. Chatfield, Tables de composition des aliments (minéraux et vitamines), Rome, 1954 ; C. Den Harto (...)

15En ce qui concerne la consommation de blé par tête, nous possédons un grand nombre d’indications à partir du XVIe siècle. On peut en déduire une consommation relativement constante d’environ 1 litre par personne et par jour. Un changement assez important se produit à partir du deuxième quart du XVIIIe siècle, au moment où la diffusion de la pomme de terre s’accélère. Très rapidement, la consommation de blé par tête est réduite de moitié (graphique 1) ; en général, il est admis que la consommation moyenne de blé à la fin du XVIIIe siècle était à peine de 0,5 à 0,6 1 par personne et par jour, ce qui signifie une perte quotidienne de 900 calories. Si nous supposons que cette perte a été intégralement compensée par la pomme de terre, on doit admettre que la consommation de notre tubercule atteignait 1 kg par personne et par jour8.

  • 9 A.N. Paris, F 10252,/F 11/252-253 ; F 11/453-475 ; F 11/495-496.
  • 10 A.N. Paris, F 11/453.

16Les études autour du succès et de la diffusion de la culture des pommes de terre au cours du XVIIIe, comme nous les avons présentées jusqu'ici, s’appuient sur une documentation assez fragmentaire. Nous ne disposons pas, pour l’Ancien Régime, de données statistiques claires et d’enquêtes agricoles spécifiques. Un changement se produisit sur ce point au début du XIXe siècle9. Par la suite, ont été organisées enquête sur enquête bien que ce flux d’information ait été irrégulier à l’origine et qu’il faille l’approcher avec beaucoup de réflexion critique. C’est le cas, par exemple, pour les statistiques de production effectuées en 1810, 1811 et 1812 et où étaient demandés des chiffres de consommation par tête. On avait regroupé dans ce questionnaire les céréales avec d’autres plantes ; une distinction plus nette était donc demandée par une circulaire du 8 juillet 1813 qui classait les subsistances en trois groupes. Etant donné l’importance fondamentale de cette circulaire de 1813, elle est publiée partiellement dans l’annexe 210.

17Pour réaliser cette enquête, on avait choisi l’option maximale, c’est-à-dire qu’elle couvre, non seulement les départements français, mais encore tous les territoires occupés. L’information donnée pour le début du XIXe siècle concerne donc aussi bien la Belgique et les Pays-Bas que le nord-ouest de l’Allemagne et l’Italie du nord.

18En regroupant les données de toutes ces enquêtes, on obtient une idée assez claire de l’importance de la culture des pommes de terre pour cette période. C’est justement en Belgique — exception faite des provinces de Hainaut et de Namur —, aux Pays-Bas, en Lorraine, en Franche-Comté, en Dauphiné et en Alsace que la consommation de ces tubercules s’est généralisée au cours du siècle précédent. Dans tout le reste de la France, cette culture reste presque inconnue jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. En revanche, dans les départements belges, hollandais et allemands, on consommait alors à peu près un kg de pommes de terre par personne et par jour. Ainsi, la diminution de la consommation céréalière, qui était de l’ordre de 300 à 400 grammes, y était tout à fait compensée.

Départements gros consommateurs de pomme de terre en 1813 (kg/personne/jour)

100-149 kg

150-199 kg

plus de 200 kg

Hautes-Alpes

Ain

Dyle

Bouches-de-Meuse

Bouches-du-Rhin

Ems-Oriental

Isère

Lys

Ems-Supérieur

Jemappes

Moselle

Escaut

Mont-Tonnerre

Deux-Nèthes

Forêts

Bas-Rhin

Haut-Rhin

Frise

Vaucluse

Rhin-et-Moselle

Léman

Haute-Vienne

Sarthe

Haute-Loire

Meuse-Inférieure

Ourthe

Roer

Vosges

Carte 4. - Consommation moyenne de pommes de terre en kg par an, dans le nord-ouest de l'Europe au début du XIXe siècle (1812-1813).

Graphique 2. - Pourcentage de producteurs cultivant des pommes de terre, par classe sociale (en livres).

  • 11 F. Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme (XVe-XVIIIe siècles), Paris, 1967, p. 55.

19Dans la plupart des départements, il était, au début du XIXe siècle, très peu question de consommer des pommes de terre. Une étude approfondie de l’annexe 1 où figurent les chiffres de consommation pour 1813 ne permet pas le moindre doute. Sur un total de 111 départements pour lesquels les données sont disponibles, 48 (43,2 %) ont une consommation inférieure à 25 kg par personne et par an ; dans 21 départements (18,9 %), elle est comprise entre 25 et 50 kg. Cela signifie que dans les deux-tiers des départements, la culture de la pomme de terre était très peu connue au début du XIXe siècle11. Au contraire, elle était déjà bien installée en Belgique, Pays-Bas et pays rhénans comme le montre le tableau ci-dessous où apparaissent les départements où la consommation est supérieure à 100 kg par personne et par an (carte 4).

  • 12 Cité par P. Deprez in E. Scholliers et C. Vandenbroeke, Structuren en conjoncturen in de Zuidelijke (...)

20Comme nous venons d’avoir un meilleur point de vue dans les paragraphes précédents sur la diffusion de la culture de la pomme de terre au cours du XVIIIe et au début du XIXe siècle, nous pouvons faire quelques remarques supplémentaires sur le sujet. Tout d’abord, on constate que les premiers développements de cette culture eurent lieu sur de petites exploitations ; on peut donc admettre qu’il s’agit bien alors d’une “culture de misère”. Sur ce point, une micro-analyse a été réalisée pour la région de Gand par Paul Deprez (graphique 2). Elle montre très clairement que cette culture s’est développée surtout sur de très petites exploitations, au moins jusque vers environ 1740-175012. Par la suite, se produit sa généralisation rapide.

21Cette conclusion nous conduit à évoquer le rôle crucial qu’a su jouer la pomme de terre dans l’évolution socio-économique, au cours du XVIIIe siècle et au début du siècle suivant. Dans quel sens a-t-elle influencé l’approvisionnement ? Etait-il vraiment avantageux, du point de vue des prix, de consommer ces tubercules ? De quelle façon les prix des céréales, et donc les salaires, ont-ils été influencés par la pomme de terre ?

  • 13 C. Vandenbroeke, Agriculture et alimentation..., op. cit., pp. 270-273.

22Les avantages de cette culture pour l’approvisionnement sont bien connus : sur une même surface, elle permet, en effet, de nourrir deux fois plus de personnes que les céréales. De plus, l’apport en vitamine C est supérieur ; enfin, avec ce tubercule, on avait plus de facilités pour engraisser des porcs13.

23Autrement dit, c’est la culture de la pomme de terre qui a permis la croissance démographique du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Comme la productivité du secteur céréalier restait stable, le seul moyen pour échapper au bottleneck malthusien d’un approvisionnement déficitaire était justement l’introduction d’une telle culture sur presque 10 % des terres arables.

  • 14 C. Vandenbroeke, Vlaamse koopkracht : gisteren, vandaag en morgen, Louvain, 1984, pp. 317-354.
  • 15 P. Bairoch, Les trois révolutions agricoles du monde développé. 1800-1985, Annales (Economies, Soci (...)

24En ce qui concerne la comparaison de l’évolution des prix (graphique 3), tout en tenant compte des valeurs nutritives, il est clair que, jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’avantage par rapport au blé était de l’ordre de 10 à 20 %14. Une toute autre situation se produit ensuite. Pour les années 1840-1850, on doit tenir compte de plusieurs récoltes déficitaires de pommes de terre. Par ailleurs, pour la fin du XIXe siècle, il est bien connu que la révolution agraire a agi beaucoup plus en faveur des céréales que des pommes de terre15. Tout ceci nous permet donc de formuler une conclusion paradoxale : la généralisation, un peu partout, de la consommation des pommes de terre au cours du XIXe siècle, se produisit à un moment où les prix relatifs incitaient plutôt à une autre attitude. Cela démontre justement que la culture et la consommation de notre tubercule étaient désormais acceptées par la majorité de la population !

Graphique 3. - Comparaison en valeur nutritive des prix des pommes de terre par rapport au prix du froment.

  • 16 C. Vandenbroeke, Prijzen en lonen als sociaal-economische verklaringsvariabelen (14e-20e eeuw), Maa (...)

25Mais c’est par une comparaison internationale des prix et, en particulier, des prix céréaliers que l’on peut démontrer l’intérêt des pommes de terres pour l’approvisionnement. Ces prix, exprimés, en grammes d’argent, concernent aussi bien la Flandre que la France, l’Angleterre et les Pays-Bas16.

Comparaison internationale des prix du blé (grammes d’argent/hl)

Période

Flandres

France

Angleterre

Prov.-Unies

1651-75

73,4

87,3

81,3

61,2

1676-00

72,2

79,7

69,9

55,7

1701-25

59,0

67,2

66,7

50,3

1726-50

50,8

54,4

61,9

47,5

1751-75

53,4

64,5

76,5

56,4

1776-00

67,2

75,0

106,7

75,7

1801-25

88,0

95,8

151,1

97,5

1826-50

84,9

88,2

103,8

86,8

26Cette comparaison entre les prix parle d’elle-même : c’est justement en Flandres, où la croissance de la population était la plus rapide, que les prix sont les plus stables et que leur niveau est le plus bas. L’effet sur le niveau des salaires est évident dans ce sens que les salaires nominaux étaient significativement plus bas en Flandres que dans les pays voisins.

Salaires des ouvriers maçons (grammes d'argent)

Période

Flandres

France

Angleterre

Prov.-Unies

1651-75

6,20

6,93

5,60

7,78

1676-00

6,05

6,19

5,62

7,75

1701-25

5,33

6,77

7,69

1726-50

5,29

5,73

7,18

7,69

1751-75

4,94

5,88

7,37

8,34

1776-00

5,10

7,40

9,19

8,65

1801-25

6,17

8,77

13,47

8,65

1826-50

6,14

10,26

13,91

8,58

  • 17 M. Morineau, Histoire sans frontière : prix et révolution agricole, Annales (Economies, Sociétés, C (...)
  • 18 C. Vandenbroeke, The regional economy of Flanders and industrial modernization in the eighteenth ce (...)

27Il en résulte une compétitivité plus grande sur les marchés étrangers aussi bien des produits agricoles que de ceux issus de la proto-industrialisation. Tout ceci n’a cependant rien à voir avec une révolution agraire, comme M. Morineau l’a déjà démontré, il y a plus de 20 ans17. C’est par le développement de la culture des pommes de terre qu’on peut expliquer, jusqu’au début du XIXe siècle, cette stabilité et le bas niveau des prix et des salaires en Flandre. Il en va tout à fait différemment en Angleterre où la révolution industrielle allait de pair avec un niveau élevé des prix et des salaires18.

28Il nous faut donc, pour l’Europe entière, une histoire internationale de la culture de la pomme de terre. Une telle histoire contient, en effet, un élément-clé pour y voir plus clairement dans beaucoup de relations économiques et sociales juste avant et après la révolution industrielle.

Annexes

ANNEXE I. PRECISIONS SUR LA CONSOMMATION (DEBUT DU XIXe SIECLE)

1. Consommation de céréales, 1810 (hl/personne/an)

2. Idem, 1811 (hl/personne/an)

3. Idem, 1812 (hl/personne/an)

4. Idem, 1813 (hl/personne/an)

5. Idem, 1813 (hl/personne/an). Ces chiffres sont obtenus en tenant compte de la circulaire du 8 juillet 1813 (cf. annexe II).

6. Consommation de pommes de terre (kg/personne/an).

ANNEXE II. CIRCULAIRE DU 8 JUILLET 1813 CONCERNANT LA CONSOMMATION

“...en effet plusieurs préfets n’ont compté que les céréales de la qualité dans l’évaluation des produits et, dans celle de la consommation des habitants, ils ont déduit ce que leurs administrés pouvaient manger d’autres grains et pommes de terre ; d’autres préfets ont compris dans les produits et dans la consommation des grains de toute espèce et même les pommes de terre...”...

“Vous répondrez... par le nombre d’hectolitres de grains et substances farineuses de toutes espèces que Vous supposez devoir être consommées par Vos administrés d’après les habitudes locales par grains et substances farineuses de toutes espèces ; j’entends 1° les céréales de 1“classe comme froment, seigle, méteil ; 2° les céréales de 2e classe telle que orge, sarrasin, maïs, etc. ; 3° enfin les pommes de terre et les châtaignes. C’est donc de ces 3 classes de subsistances que Vous formerez une masse en hectolitres... ; les céréales de 1re et 2e classe entreront dans cette évaluation pour leur quantité absolue et les substances farineuses telles que pommes de terre, châtaignes, par leur quantité relative à leur réduction en les assimilant aux céréales ; ainsi par exemple s’il fallait 3 hectolitres de pommes de terre pour représenter la quantité de nourriture comprise dans un hectolitre de froment ou de seigle, Vous ne comprendrez cet objet de consommation dans Votre réponse que pour un tiers de sa quantité absolue reconnue nécessaire d’après les usages de Votre département...”

(A.N. Paris, F 11/453).

Notes

1 R. N. Salaman, The history and social influence of the potato, Cambridge, 1949 ; K. H. Connell, The potato in Ireland, Past and Present, 1962 ; M. Drake, Marriage and population growth in Ireland, 1750-1845, Economic History Review, 1963.

2 L. Burema, De voeding in Nederland van de middeleeuween tot de twintigste eeuw, Assen, 1953 ; A. C. De Vooys, De verspreiding van de aardappelteelt in ons land in de 18de eeuw, Geografisch Tijdschrift, 1954 ; J. Van Der Maas-L. Noordegraaf, Smakelijk eten. Aardappelconsumptie in Holland in de achttiende eeuw en het begin van de negentiende eeuw, Tijdschrift voor Sociale Geschiednis, 1983.

3 C. Vandenbroeke, Cultivation and consumption of the potato in the 17th and 18th century, Acta Historiae Neerlandica, V, Leyde, 1971, pp. 15-39 ; du même, Agriculture et alimentation dans les Pays-Bas autrichiens, Gand, 1975, pp. 235-273.

4 E. Juillard, La vie rurale dans la plaine de Basse-Alsace. Essai de géographie sociale, Paris, 1953.

5 F. Ladrier, Les premières cultures de pommes de terre dans le Namurois, Namurcum, 1963, pp. 27-32 et 43-46 ; M. Revelard, La culture de la pomme de terre en Hainaut au XVIIIe siècle, La Vie Wallonne, 1965, pp. 244-252.

6 C. Vandenbroeke, Agriculture et alimentation..., op. cit., pp. 249-252.

7 M. Morineau, La pomme de terre au XVIIIe siècle, Annales (Economie, Sociétés, Civilisations), 1970, pp. 1767-1785.

8 C. Chatfield, Tables de composition des aliments (minéraux et vitamines), Rome, 1954 ; C. Den Hartog, Nieuwe voedingsleer, Utrecht, 1972.

9 A.N. Paris, F 10252,/F 11/252-253 ; F 11/453-475 ; F 11/495-496.

10 A.N. Paris, F 11/453.

11 F. Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme (XVe-XVIIIe siècles), Paris, 1967, p. 55.

12 Cité par P. Deprez in E. Scholliers et C. Vandenbroeke, Structuren en conjoncturen in de Zuidelijke Nederlanden, 1480-1800, (Nieuwe) Algemene Geschiednis der Nederlanden, Harlem, 1980, V, p. 271.

13 C. Vandenbroeke, Agriculture et alimentation..., op. cit., pp. 270-273.

14 C. Vandenbroeke, Vlaamse koopkracht : gisteren, vandaag en morgen, Louvain, 1984, pp. 317-354.

15 P. Bairoch, Les trois révolutions agricoles du monde développé. 1800-1985, Annales (Economies, Sociétés, Civilisations), 1989, pp. 317-354.

16 C. Vandenbroeke, Prijzen en lonen als sociaal-economische verklaringsvariabelen (14e-20e eeuw), Maatschappij Geschiedenis en Oudheidkunde Gent, 1982, p. 119.

17 M. Morineau, Histoire sans frontière : prix et révolution agricole, Annales (Economies, Sociétés, Civilisations), 1969, pp. 403-423.

18 C. Vandenbroeke, The regional economy of Flanders and industrial modernization in the eighteenth century, The Journal of European Economic History, 1987, pp. 149-170.

Table des illustrations

Légende Carte 1. - Analyse des procès concernant le paiement de dîmes sur les récoltes de pommes de terre.
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/23047/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
Légende Carte 2. - Analyse des inventaires après décès par localité.Date (= décennie) des premières indications.
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/23047/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
Légende Carte 3. - Développement de la culture des pommes de terre vers 1790. Pourcentage des inventaires avec une mention de cette culture.
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/23047/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Légende Graphique 1. - Evolution de la consommation de blé (en litre/jour).
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/23047/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Légende Carte 4. - Consommation moyenne de pommes de terre en kg par an, dans le nord-ouest de l'Europe au début du XIXe siècle (1812-1813).
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/23047/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 188k
Légende Graphique 2. - Pourcentage de producteurs cultivant des pommes de terre, par classe sociale (en livres).
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/23047/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Légende Graphique 3. - Comparaison en valeur nutritive des prix des pommes de terre par rapport au prix du froment.
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/23047/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
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© Presses universitaires du Midi, 1992

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