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    Plan détaillé Texte intégral INTRODUCTION L’EXTRACTION DES SEMENCES ARCHEOLOGIQUES LES TYPES DE FOSSILISATION LE “PATRIMOINE” VEGETAL DU MOYEN AGE CONCLUSION Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Plantes et cultures nouvelles

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Les plantes exploitées en France au Moyen Age d’après les semences archéologiques

    Marie-Pierre Ruas

    p. 9-35

    Texte intégral Bibliographie BIBLIOGRAPHIE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    INTRODUCTION

    1Parmi les divers vestiges enfouis dans le sol des sites archéologiques : tessons de poteries, outillages, ossements, les restes végétaux occupent une place non moins importante. Si les pollens ont toutes les chances d’avoir été apportés par le vent ou les insectes (entre autres), les graines et les fruits (ou semences) sont principalement transportés par les occupants du lieu à des fins diverses. Qu’elles soient fragmentées ou entières, les semences archéologiques sont les témoins directs d’activités et d’opérations quotidiennes, vitales ou non, liées à l’utilisation de plantes. Elles revêtent, par exemple, la forme de déchets agricoles, culinaires, excrémentiels, artisanaux ou encore celle de stocks entreposés dans des réserves qui furent incendiées.

    2La discipline qui traite des graines et des fruits est la carpologie. Appliquée à l'archéologie, elle emprunte ses techniques d’analyses à la paléobotanique. Mais sa démarche se veut surtout paléoethnobotanique. En effet, “L’ethnobotanique...” comme l’a écrit J. Barrau (1971, p. 245) “...permet de mieux comprendre la place primordiale du végétal dans la vie, dans la pensée et dans l’histoire des hommes.'” En ce sens, un travail sur les semences archéologiques doit dépasser les “seules” description et identification des spécimens fossiles. Il s’agit, en effet, de tenter de préciser le statut cultivé ou sauvage des plantes, de connaître leur emploi, leur rôle culturel et/ou économique, les modes d’exploitation, les techniques de stockage, etc.

    3En France, la recherche carpologique a réellement pénétré le monde archéologique vers les années 1960-1970 pour la préhistoire et seulement depuis 1980 pour l’histoire. En ce qui concerne le Moyen Age, les cinq dernières années offrent pour l’heure le bilan suivant, plutôt qu’une synthèse, des données relatives aux plantes exploitées. Toute analyse de ce type ne saurait ignorer les contextes de découvertes ni négliger les moyens d’acquérir les données brutes. En premier lieu, sont brièvement présentées la méthode et les limites de la démarche. Puis une lecture diachronique des occurrences carpologiques et de leurs fréquences permet de suivre l’évolution du fonds cultural depuis les temps préhistoriques jusqu’à la fin du Moyen Age.

    L’EXTRACTION DES SEMENCES ARCHEOLOGIQUES

    4Le prélèvement d’échantillons de sédiment constitue la première étape du travail. Leur volume, leur emplacement et leur nombre varient en fonction des contingences matérielles de la fouille elle-même et, bien sûr, de la nature des niveaux archéologiques (sol d’habitat, structure de combustion, de réserve, fosse, fossé, etc.).

    5Les semences sont séparées du sédiment par tamisage à l’eau selon différentes techniques. Le choix des mailles des tamis détermine la qualité du tamisage. Les plus petites mailles couramment utilisées ont un diamètre de 0,5 mm, voire 0,25 mm. Les refus des différents tamis ou fractions sont triés sous une loupe binoculaire (grossissement de 6 à 40 fois). Dans certains cas, le tri s’effectue après le séchage des fractions. Parfois, elle doivent être constamment immergées dans une solution désinfectante. Séchage ou immersion sont choisis en fonction de la fossilisation du matériel organique.

    LES TYPES DE FOSSILISATION

    6Les semences peuvent initialement avoir été rejetées ou abandonnées dans un état différent selon l’utilisation qu’elles ont subies. Cet état peut évoluer ensuite au cours de l’enfouissement en fonction des conditions physico-chimiques qui règnent dans le dépôt.

    Semences carbonisées

    7Grillages, torréfaction, incendies, cuisson, combustions délibérées sont autant de facteurs qui assurent une carbonisation plus ou moins complète des semences. Elles se conservent en l’état quelle que soit la nature du site. Cette forme de fossilisation est de loin la plus répandue.

    Semences imbibées ou gorgées d’eau

    8Elles ne se rencontrent que dans les contextes ou les sites constamment immergés depuis le dépôt (villages immergés, épaves de bateaux, latrines et puits arrosés par une nappe phréatique, etc.). Ces conditions anaérobies assurent l’excellente conservation d’une pléthore de semences. Celles-ci doivent impérativement être maintenues humides pendant et après l’étude dans une solution bactéricide et fongicide.

    Semences minéralisées

    9Une minéralisation est en général provoquée par l’abondance de certains sels minéraux dans le milieu d’enfouissement. Elle survient particulièrement dans les niveaux de dépotoirs alimentaires. Les fluctuations d’humidité, voire l’assèchement des sédiments provoquent la disparition des éléments qui n’ont pu être ni carbonisés ni minéralisés.

    Autres formes de conservation

    10Plus rares sont les empreintes de semences dans les torchis, les pisés ou les pâtes de céramique. De même, on découvre des semences naturellement “momifiées” dans des contextes pourtant asséchés mais dans lesquels les activités bactériennes ou fongiques n’ont pu proliférer faute d’oxygène.

    11En conclusion, le nombre des restes d’une espèce et la variété des plantes identifiées sont tributaires de deux catégories de facteurs. Les uns sont inhérents à la nature des semences, à leur forme d’utilisation par l’Homme et à l’état dans lequel il les rejette. Les autres touchent aux conditions post-mortem de conservation et aux techniques de récupération mises en œuvre.

    LE “PATRIMOINE” VEGETAL DU MOYEN AGE

    Plantes cultivées et cueillies du Mésolithique au Moyen Age

    12Afin de cerner le cortège des plantes exploitées propre au millénaire médiéval, nous avons exploré une très vaste plage chronologique : du VIIIe millénaire avant notre ère au XVe siècle après J.-C. Les données carpologiques présentées ici — qui font suite à un bilan sur le Moyen Age réalisé en 1989 (Ruas, sous presse) — ont été obtenues à partir des semences découvertes dans 200 sites français d’époque préhistorique et historique (Ruas et Marinval, 1991).

    13Deux tableaux diachroniques (1 et 2) répertorient 112 plantes selon leur ordre d’attestation. Seules ont été retenues les espèces dites utiles (cultivées ou non) par opposition aux plantes sauvages. Comme certaines envahissent les lieux fréquentés par l’homme ou son bétail (aires cultivées, bord des chemins, lisières forestières, berges de cours d’eau, etc.), leurs semences ont toutes les chances d’être fortuitement mêlées aux récoltes et aux excréments des animaux, par exemple. Elles peuvent donc aussi se conserver dans les dépôts archéologiques. Leurs exigences écologiques de croissance (nature du sol, éclairement, humidité, altitude, etc.), parfois strictes, peuvent apporter des informations de premier ordre sur l’emplacement des champs, l’environnement, les écosystèmes exploités, voire l’origine géographique des cultures (Ruas, 1989 a).

    a. Les plantes cultivées

    14Sur les 81 espèces cultivées, les toutes premières plantes présumées “assistées”1 appartiennent au groupe des Légumineuses (ex-Papilionacées = Fabacées). Il s’agit du Pois (Pisum sp.), de la Lentille (Lens sp.) de la Gesse chiche (Lathyrus cicera) et dans une moindre mesure de Pois chiche (Cicer sp.). Cette étape ne se manifeste qu’en France méridionale (Vaquer et alii, 1986).

    Tableau 1. Plantes cultivées en France du VIIIe millénaire au XVe siècle d'après les découvertes de semences et de pollens.

    15Image ––

    M = Mésolithique ; N = Néolithique ; Bs = Age du Bronze ; F = Age du Fer ; G = Galloromain ; H = Haut Moyen Age ; C = Moyen Age central ; B = Bas Moyen Age.
    Le signe + correspond aux attestations de semences ; le symbole 0 indique que l’espèce n'est attestée que par ses pollens ; le symbole * indique que les semences de l'espèce proviennent d'une importation.
    Le symbole ? souligne l'incertitude de l'identification de la plante ; l'association (+ ?) indique un doute sur la nature cultivée de la plante ; l'association (* ?) indique un doute quant à l'origine locale ou importée des semences.

    16Au Néolithique, tandis que ces graines farineuses sont toujours attestées, naît “l’agriculture véritable” fondée sur cinq céréales : Blé tendre-hérisson (Tri-ticum aestivo-compactum), Blé engrain (Triticum monococcum), Blé amidonnier (Triticum dicoccum), Orge nue (Hordeum vulgare var. nudum) et Orge vêtue (H. vulgare). Deux courants culturels différencient le Nord et le Sud du pays. Sentis surtout à travers les styles de poterie, il est aujourd’hui montré qu’ils se dessinent aussi à travers les céréales adoptées. Alors que la “civilisation” danubienne (via l’Europe centrale) cultive principalement : l’Amidonnier (Triticum dicoccum), l’Engrain (Triticum monoccocum), l’Orge vêtue (Hordeum vulgare) et le Pois (Pisum sativum) ; les communautés du Cardial (France méditerranéenne) fondent leur agriculture sur un Blé nu du groupe des Blés tendres ou “Froment” (Triticum aestivo-compactum)

    17 La distinction entre les caryopses (grains) carbonisés des deux Blés nus Triticum aestivum et Triticum compactum est encore impossible en l’état actuel de la recherche paléobotanique. Elle s’effectue uniquement sur les indices biométriques des axes d’épis. Aussi réunit-on ces deux espèces (en réalité deux sous-espèces du Triticum aestivum) sous l’appellation T. a estivo-compactum (Blé tendre-hérisson). Ils appartiennent au groupe des “Froments”.
    Le Blé dur (T. d urum), d’essence méditerranéenne, est aussi un Blé nu, mais le nombre de chromosomes est différent de celui des Froments. Il est tétraploïde comme le Blé poulard (T. t urgidum) dont une seule mention est répertoriée en France. Les archéobotanistes ne sont pas d’accord sur les critères d’identification de ces deux derniers Blés par rapport aux Blés tendres. Pour notre part, les vestiges d’axe d’épis (rachis), seuls éléments susceptibles de les différencier (Jacomet, et Schlichtherle, 1984), n’ont pas montré de formes apparentées aux espèces durum et turgidum.

    et une Orge à grains nus (Hordeum vulgare var. nudum) (Marinval, 1988 a et 1989). Hormis l’Orge nue, très tôt supplantée par l’Orge vêtue à partir de l’Age du Bronze, les autres céréales persistent jusqu’au Moyen Age. La fréquence de leurs découvertes varie toutefois selon l’espèce (cf. infra 2. b1).

    Tableau 2. Plantes sauvages issues de cueillettes. (Légende cf. tableau 1)

    Image

    18Au cours des millénaires néolithiques apparaît une nouvelle légumineuse : la Fève ou Féverole (Vicia faba var. minuta) (en raison de ses petites graines par rapport à celles que nous consommons aujourd’hui). Le Pavot œillette (Papaver somniferum) et le Lin (Linum usitatissimum) enrichissent ce cortège cultural déjà bien diversifié. Le Sarrasin (Fagopyrum esculentum), dont nous discuterons en détail plus loin (cf. 3), n’a été reconnu en France qu’à l’état de pollens.

    19C’est au cours des Ages des Métaux (Cuivre, Bronze et Fer) que finit de se compléter la catégorie des céréales : Epeautre (Triticum spelta, Blé à grains vêtus), Seigle — sauvage (Secale montanum en mauvaise herbe) et/ou cultivé (Secale cereale) ? —, d’abord sous forme de pollens à l’Age du Fer, puis, les deux millets (commun : Panicum miliaceum et italien : Setaria italicd) et deux avoines cultivées (Avena saliva et A. strigosa). Les attestations les plus tardives concernent toute la catégorie des fruits. Les premiers restes de fruits cultivés ne datent, en effet, véritablement que du 2e Age du Fer. La Vigne aurait été mise en culture dès le VIe siècle avant J.-C. en Gaule narbonnaise (Marinval, 1988a). La plus grande gamme d’espèces fruitières de nature cultivée se manifeste à la période gallo-romaine. Quelques plantes repérées par un astérisque ne sont pour l’heure attestées qu’à cette période en France (Dattier, Concombre, Gourde...). Notons de même l’apparition du Chanvre (Cannabis sativa) et du Houblon (Humulus lupulus) aussi bien à l’état de pollens que de semences. L’Abricotier [Prunus armeniaca) compte parmi les espèces rares dans les échantillons. Il n’est attesté en France qu’une seule fois parmi plusieurs restes de fruits découverts sur l’oppidum de Nages (Gard) daté du Haut-Empire (Ferdière, 1988).

    b. Les plantes de la cueillette

    Un problème de statut

    20Un ensemble de 31 espèces compose le groupe des plantes sauvages récoltées (tableau 2). Certaines ont été domestiquées à partir des Ages du Fer ou plus tardivement. C’est le cas du Pommier (Malus domestica), de la Vigne (Vitis vinifera subsp. vinifera) et de l’Olivier (Olea europaea var. sativa). N’ayant plus ce statut de “plante de ramassage”, après cette phase, elles figurent comme cultivées dans le tableau 1. Dans le cas d’autres espèces comme le Fraisier (Fragaria vesca), le Framboisier (Rubus idaeus), le Prunellier (Prunus spinosa), le Mûrier roncier (Rubus agg.fruticosus), voire le Noisetier (Corylus avellana), on n’a pas encore décelé sur les semences fossiles les indices d’un changement génétique de l’état sauvage à l’état cultivé. Ces espèces sont donc mentionnées, pour l’heure, parmi les végétaux cueillis jusqu’au Moyen Age.

    21Nous tenons comme cultivées la Caméline (Camelina sativa) et la Gaude (Reseda luteola) bien qu’il ne soit pas encore démontré que les graines découvertes en France sont bien les témoins d’une utilisation de ces plantes. Notons toutefois que la Gaude est attestée dans un dépotoir parisien du XIVe siècle (Cour Napoléon du Grand Louvre). Celui-ci fut creusé dans une parcelle des Jardins de l’Ecole Saint-Nicolas en activité à l’époque. Associée à d’autres plantes utiles, il est probable qu’elle fut semée intentionnellement comme médicinale et/ou tinctoriale (Ruas in Barrera et alii, 1988).

    22Mais en Allemagne, les graines de ces deux espèces, l'une alimentaire (Caméline), l’autre tinctoriale ou médicinale (Gaude), ont été extraites de contextes qui ne laissent aucun doute quant à leur emploi. Des graines de Caméline ont en effet été remarquées en grand nombre parmi les déchets alimentaires de la troupe militaire du camp romain de Novaesium (Neuss, Rhénanie) (Knörzer, 1970). C’est à Aachen (Aix-la-Chapelle), dans un dépotoir de la manufacture de textile (XIIIe siècle), que s’étaient conservées des graines de Gaude associées à celles de Guède ou Pastel (Isatis tinctoria), de Cardère (Dipsacus sativus), de Lin (Linum usitatissimum) et de Chanvre (Cannabis sativa) (Knörzer, 1984).

    23L’obtention d’huile ou de poudre colorante suppose des quantités importantes de graines. Comme à l’état sauvage, ces herbacées ne constituent pas des peuplements denses, il fallait qu’elles soient cultivées pour disposer d’une récolte suffisante.

    24Le même problème se pose pour le Nerprun purgatif (Rhamnus catharticus), arbrisseau des sous-bois clairs. Les baies et les nombreuses branchettes découvertes dans un puits gallo-romain à Mazières-en-Mauges (Maine-et-Loire) sont associées à des déchets domestiques, alimentaires et agricoles (Dietrich et Ruas, 1990). Ces fruits furent très probablement récoltés pour la teinture. Nous n’avons cependant pu prouver une culture effective de l’arbre qui croît à l’état spontané dans la région mais de façon disséminée. Nous l’avons donc intégré, pour l’heure, parmi les végétaux cueillis.

    25Ces quelques exemples montrent clairement la difficulté d’assigner un statut “économique” à certaines espèces “polyvalentes”.

    Quelle cueillette ?

    26On constate que la grande majorité des végétaux attestés par la carpologie appartient à l’ensemble des essences ligneuses : arbres, arbustes, voire liane (Vigne). Fruits secs (noisettes, faînes, glands...), charnus (fruits de Busserole, de Genévriers, poires, pommes, raisin, etc.) ont assuré une source diversifiée de denrées sauvages nutritives bien au-delà des temps préhistoriques.

    27Le tableau 2 met en évidence une permanence des mentions carpologiques des mûres de ronce, des noisettes, des prunelles, des fraises et des baies de sureaux (S. hièble : Sambucus ebulus et S. noir : S. nigra) ainsi que dans une moindre mesure des cynhorrodons (Eglantier : Rosa canina) et des glands (Quercus spp.).

    28A cet égard, les restes de prunelles, de mûres et de fraises apparaissent souvent dans les remplissages des fosses d’aisance et autres latrines des milieux urbains mêlés aux semences de fruits cultivés (Ruas sous presse). De tels témoins portent à croire que ces fruits ne constituaient pas une simple nourriture d’appoint. Nous préciserons notre pensée à la lecture des courbes de fréquences (cf. infra 2 b4).

    Conclusion

    29En somme, le Moyen Age hérite d’un fonds cultural qui n’a cessé de s’enrichir depuis le Néolithique. Nous considérons en ce sens les attestations des Moutardes (Sinapis alba et Brassica nigra), de la Carotte (Daucus carota) du Chou et/ou Colza (Brassica oleracea/B. napus) comme excessivement tardives par rapport à leur existence et leur utilisation réelles.

    30Ces exemples rappellent qu’il faut demeurer prudent quant à la documentation archéobotanique. Il ne s’agit pas d’interpréter des absences de plantes comme significatives d’autant que l’on ne consomme pas forcément les fruits ou les graines. Un document tel que le Capitulare de villis vel curtibus (présumé du IXe s.) fournit une liste de plantes censées être cultivées dans les domaines carolingiens (Mathon, 1990). Or, de nombreuses potherbes (= potagères) ne figurent pas dans le corpus carpologique du Moyen Age pour la France. On y constate aussi avec étonnement l’absence d’espèces pourtant attestées par leurs semences à l’époque gallo-romaine dans le pays ou attestées au Moyen Age dans les autres pays d’Europe septentrionale (tableau 3). Le fait que la recherche carpologique soit moins avancée en France explique en partie les lacunes de l’information pour le Moyen Age.

    Tableau 3. Plantes cultivées attestées par des semences en Europe septentrionale (mais non encore en France) au Moyen Age.

    Céréales

    Riz (Oryza sativa) (*)

    Sorgho (Andropogon sorghum) (*)

    Légumes

    Amaranthe (amaranthus lividus)

    Angélique (Angelica archangelica)

    Arroche des jardins (Atriplex hortensis)

    Bette (Beta vulgaris)

    Chou (Brassica oleracea)

    Colza (Brassica napus)

    Concombre, Cornichon (Cucumis sativus) (*)

    Cresson alénois (Lepidium sativum)

    Oseille ronde (Rumex scutatus)

    Ravenelle, Radis (Raphanus sativus)

    Valérianelle à oreilles ou Mâche (Valerianella rimosa)

    Aromatiques (herbes, épices, condiments)

    Achillée mille-feuille (Achillea millefolium)

    Ail (Allium sativum) Ancolie (Aquilegia vulgaris)

    Ballote (hallota sp.) Bourrache (Borrago officinale)

    Cardamome (Elletaria cardomom) (*)

    Cerfeuil (Anthriscus cerefolium)

    Cumin (Carum carvi) (*)

    Fenugrec (Trigonella fenum-graecum) (*)

    Galé odorant (Myrica gale)

    Genévrier (Juniperus communis)

    Giroflier (Eugenia caryophyllata) (*)

    Hysope (Hysopus officinalis)

    Mercuriale (Mercurialis officinalis)

    Nigelle (Nigella sativa)

    Persil (Petroselinum hortense)

    Poivre (Piper spp.) (*)

    Romarin (Rosmarinus officinalis) (* ?)

    Safran (Crocus sativus) (*)

    Sarriette (Satureja hortensis) (* ?)

    Souci (Calendula officinalis)

    Thym (Thymus spp.) (* ?)

    Fruits charnus

    Canneberge (Vaccinium oxycoccos)

    Coqueret (Physalis alkekengi)

    Cornouiller mâle (Cornus mas) (* ?)

    Dattier (Phoenix dactylifera) (*)

    Grenadier (Punica granatum) (*)

    Groseiller épineux (Ribes uva-crispa)

    Groseiller noir (Cassis) (Ribes nigrum) (seulement après 1500)

    Mûrier blanc (Morus alba)

    Oranger doux (Citrus sinensis) (*)

    Ronce bleue (Rubus caesius)

    Oléagineux

    Sésame (Sesamum indicum)

    (*) = plante exotique importée ; (*?) = plante éventuellement acclimatée en Europe septentrionale.

    31Certaines tendances peuvent néanmoins s’exprimer si l’on s’intéresse à l’évolution des attestations de quelques plantes exploitées.

    Les fréquences d’attestations

    a. Limites de la méthode des fréquences

    32La fréquence d’attestations correspond au nombre de fois qu’une espèce est identifiée dans un groupe d’échantillons ou un groupe de sites contemporains quelle que soit la quantité de restes. Cette méthode a l’avantage de ne prendre en compte que la présence ou l’absence de chaque espèce. Elle évite ainsi les distorsions entre les nombres de restes souvent insuffisants et trompeurs. Ils ne sauraient en effet exprimer à eux seuls l’importance économique d’une plante.

    33L’expression de ces valeurs de présence en pourcentages du nombre total de sites ou d’échantillons permet de travailler sur le taux de fréquence. A l’inverse des fréquences relatives calculées sur la base du nombre total de vestiges, la fréquence d’attestations évolue indépendamment des autres taxons. Il convient toutefois de traiter de larges gammes d’échantillons ou de sites car trop peu d’échantillons risquent d’exclure les taxons rares en leur affectant un taux négligeable. Par ailleurs, ne tenant pas compte des nombres absolus de restes, l’analyse de présence peut masquer l’évolution de l’abondance d’une espèce si sa fréquence d’utilisation au cours d'une longue phase d’occupation d’un site ne varie pas (Scarry, 1983 in Popper, 1988).

    Image

    Fig. 1. Histogrammes des fréquences d'attestations de l'époque gallo-romaine au XIe siècle en France : R : gallo-romaine ; H : haut Moyen Age ; M : Moyen Age central ; B : bas Moyen Age.

    b. Commentaire

    34Pour construire les graphes de fréquence selon la chronologie (fig. 1), nous avons calculé les fréquences de chaque céréale par rapport au nombre total de sites attestant des céréales ; celles des légumineuses par rapport au nombre total de sites avec légumineuses et celles des fruits par rapport aux sites avec fruits.

    Céréales

    35Ce groupe est le plus fréquemment attesté à toutes les époques. Les grains, les épillets et les fragments d’épis figurent dans plus de la moitié des sites. On remarque quelques variations dans l’importance de certaines espèces.

    Blé tendre-hérisson ou Froment : Triticum aestivo-compactum (fig. 2)

    36Premier Blé cultivé dans le Midi de la France, le “Froment” participe du courant méridional de diffusion de l’agriculture européenne (Marinval, 1988 a). Il semble être la base de la céréaliculture gallo-romaine et médiévale en France. Sa fréquence est constante même si le nombre de restes est parfois discret. Mais il est souvent majoritaire.

    37Jusqu’à présent, le méteil stricto sensu avec le Seigle n’est pas vraiment mis en évidence. Les Blés nus (Triticum aestivum et Triticum compactum), qui diffèrent par la plus ou moins grande compacité de l’épi et des grains, ont, en Europe, dominé l’Amidonnier (T. diccocum) et l’Epeautre (T. spelta), Blés vêtus plus répandus pendant l’Age du Fer et l’Empire romain.

    Orge vêtue : Hordeum vulgare (fig. 2)

    38L’Orge vêtue supplante l’Orge nue à partir de l’Age du Bronze en Europe méridionale (Marinval, 1988 a et Hopf, 1991). Son importance décroît sensiblement pendant le Moyen Age (fig. 1). Elle domine cependant les céréales vêtues attestées (Avoine, Millet, Engrain et Amidonnier) et même le Seigle, céréale nue, jusqu’au début du Bas Moyen Age.

    39Parmi les variétés d’Orge existantes, c’est la forme à six grains par rang (Escourgeon) qui semble avoir été la plus cultivée en Europe (Ruas 1989 a). Mais en Tchécoslovaquie, on a aussi semé la variété à quatre grains (Hordeum tetrastichum) et parfois celle à deux grains par rang (Hordeum distichum) (Tempir, 1981).

    40La plupart des découvertes d’Orge en France sont celles de grains destinés à l’alimentation humaine. Aucun témoin manifeste d’Orge maltée (grains germés et torréfiés) n’a été observé. Ceux qui figuraient dans les échantillons des villae de Villiers-le-Sec (VIe au Xe siècle) et de Baillet-en-France (Xe-XIe siècle) (Val-d’Oise) étaient vraisemblablement préparés pour les “cambis” ou malteries de l’abbaye de Saint-Denis (Ruas, 1988). Plusieurs trouvailles de grains d’Orge germés sont signalées pour les périodes romaines et médiévales de l’Europe septentrionale (Van Zeist, 1991).

    Seigle : Secale cereale (fig. 2)

    41Très discret dans les premiers siècles de notre ère, mais bien attestée dans les niveaux du 2e Age du Fer dans le Nord-Est de la France (Marinval, 1988 b), le Seigle connaît une formidable expansion au début du Moyen Age (fig. 1). Au Bas Moyen Age, ses occurences dépassent celles de l’Orge vêtue.

    Image

    Fig.2.
    1. Grain carbonisé de Blé tendre-hérisson (Triticum aestivo-compactum). Silo XIe-XIIe s. Maisonnais-sur-Tardoire, Chadalais (Haute-Vienne).
    2. Grain carbonisé de Seigle (Secale cereale). Silo XIe-XIIe s. Maisonnais-sur-Tardoire, Chadalais (Haute-Vienne).
    3. Grain carbonisé d’Orge vêtue (Hordeum vulgare). Silo XIe-XIIe s. Maisonnais-sur-Tardoire, Chadalais (Haute-Vienne).
    4. Grain carbonisé de Millet commun (Panicum miliaceum). Four 2e moitié VIIe s. Villiers-le-Sec (Val-d’Oise).

    42Les quelques pollens de Seigle remarqués dans les niveaux de l’Age du Fer en France appartiennent peut-être à des mauvaises herbes. Mais les grains carbonisés du site gallo-romain d’Orrouy (Oise), supérieur en nombre aux grains d’Orge vêtue (Bakels, 1986), pourraient bien être l’indice d’une culture réelle de cette céréale avant le Moyen Age en France. A la lecture des documents écrits, G. Cornet (1987) constate que le Seigle ne s’étend vraiment qu’au Ve siècle de notre ère comme culture véritable. Cet auteur ajoute qu’il semble avoir été méprisé par les agronomes antiques (1987, p. 242). Les résultats carpologiques suggèrent qu’au Xe siècle, le Seigle est devenu la culture principale dans le Massif armoricain (Ruas, 1990a). L’Europe du Nord-Ouest aurait joué le rôle de centre de production et de commercialisation de cette céréale (Green, 1981 ; Willerding, 1986 ; Van Zeist, 1988 ; Ruas, 1990 a).

    Avoine cultivée : Avena sativa

    43La culture de l’Avoine, céréale vêtue peu fréquente à l’époque gallo-romaine, s’épanouit dès le Haut Moyen Age. Ses occurrences augmentent presque parallèlement à celles du Seigle. Elles deviennent quasi constantes jusqu’au Bas Moyen Age. Il semble que cette Avoine ne fut pas la seule à être cultivée en Europe septentrionale. L’Avoine rude (Avena strigosa) est en effet attestée en Allemagne à Middels (Behre, 1973), aux Pays-Bas à Gasselte (Van Zeist et Palfenier-Vegter, 1979) mais aussi en France dans le camp de Péran (Plédran, Côtes-d’Armor) (Ruas, 1990 a).

    Millet commun : Panicum miliaceum (fig. 2)

    44Les fréquences de découvertes du Millet sont faibles aux périodes galloromaine et carolingienne. Dans la phase des XIe-XIIIe siècles, les mentions augmentent de façon appréciable jusqu’à atteindre la moitié des sites où furent identifiées des céréales. Elles décroissent au Bas Moyen Age (30 % des sites) (fig. 1). Cette espèce est sans doute sous-représentée dans les échantillons analysés en raison des petites dimensions des grains (< 2 mm.). Les mailles des tamis utilisés sur les chantiers de fouilles sont, hélas, parfois trop larges (cf. supra I). Nous devons donc émettre une réserve quant à la valeur réelle des mentions de fréquence pour cette céréale.

    45Une autre espèce, le Millet italien (Setaria italica) apparaît, mais de façon peu assidue, dans les échantillons carpologiques. Au Moyen Age ses mentions en France restent anecdotiques. Les grains sont toujours mêlés à ceux du Millet commun. On ne peut y voir, pour l’heure, un rôle autre que celui d’adventice culturale bien que ce Millet soit par ailleurs plus attesté (Marinval sous presse).

    Engrain : Triticum monococcum et Amidonnier : Triticum dicoccum

    46Ces deux Blés vêtus apparaissent de façon très discrète aussi bien en fréquence d’attestations qu’en nombre de grains. Il semble, en général, que les exemplaires découverts en France soient des restes de mauvaises herbes et non ceux de cultures de second rang même si leur fréquence atteint un taux de 25 % des sites avec des céréales. En Europe centrale, l’Engrain a tenu un rôle important jusqu’au début de notre ère (Wasylikowa et alii, 1991). La culture de ces deux Blés vêtus “primitifs” a pourtant parfois perduré au Moyen Age. En effet, l’habitat en grotte de Riedfluh (Suisse) daté des XIe-XIIe siècles (Jacomet et alii, 1988) a livré de nombreux grains d’Engrain. Il s’agissait d’une récolte stockée dans une des pièces avant l’incendie. En France, le grenier du Castlar (Durfort, Tarn), castrum perché du XIVe siècle, a aussi livré quelques grains d’Engrain hors des concentrations principales des autres céréales. Il s’agissait, semble-t-il, d’un reliquat d’anciennes récoltes (Ruas, 1989 a). C’est, à notre connaissance, le seul cas d’une probable culture de ce Blé pour le Moyen Age dans le pays.

    Les légumineuses

    47De fréquence inférieure à celle des céréales, les légumineuses constiluraient, d’après les témoins carpologiques, le deuxième groupe de grains alimentaires au Moyen Age. Trois espèces sont attestées de façon permanente entre le Haut Empire et le Bas Moyen Age : la Féverole (Vicia faba), le Pois (Pisum sativum) et dans une moindre mesure la Lentille (Lens culinaris).

    Lentille : Lens esculenta

    48Elle apparaît comme la légumineuse du monde gallo-romain avec 83 % de découvertes. Les graines carbonisées sont aussi bien conservées dans les niveaux d’incendie de bâtiments agricoles tels qu’à Ambrussum (Hérault) (Ruas 1989 b), à Mamirolle (Doubs) (Ferdière, 1988) mais aussi souvent en contexte funéraire tel qu’à Lussat en Auvergne (Collis, 1978), à Faverdines (Indre) (Ruas et Marinval inédit) ou Pontarion (Creuse) (Marinval, inédit). Elle est souvent associée au Pois (50 % des sites). La Lentille semble devenir une culture mineure sinon limitée dès le Haut Moyen Age puisque ses graines ne sont plus repérées que dans environ 30 % des dépôts avec légumineuses de cette période.

    Pois : Pisum sativum

    49Le Pois connaît à l’inverse une nette progression jusqu'au Bas Moyen Age. Celle-ci semble parallèle à celle que l’on enregistre pour la Féverole. Ses graines sont à cette époque présentes aussi bien dans les contextes de vie rurale que dans les agglomérations urbaines (Ruas, sous presse).

    Féverole (Fève à petites graines) : Vicia faba

    50La Fève a une fréquence d’apparitions modérée durant le Bas et le Haut Empire romain. Sa culture semble devenir plus insistante au Moyen Age. Elle s’affiche alors comme la légumineuse principale secondée par le Pois au détriment de la Lentille. Son expansion est peut-être à corréler avec une amélioration de la pratique de l’irrigation. En région méditerranéenne, notamment, des jardins s’implantent de plus en plus en bordure des rivières vers les XIe-XIIe siècles (Bourin-Derruau, 1988, p. 164).

    Pois chiche : Cicer arietinum

    51Il se maintient de façon très sporadique pendant le Moyen Age. Les restes de sa consommation hors de la zone méridionale française ne sont pas repérés. Cela signifierait-il que les graines ne sont même pas ou très rarement employées dans les régions septentrionales ? Sous l’Empire romain, le Pois chiche fut importé jusque dans la Creuse à Pontarion (Marinval, inédit), voire à Neuss (Rhénanie) (Knôrzer, 1970) pour l’alimentation des civils et des militaires. Pour l’heure, cette légumineuse n’est attestée en France méditerranéenne médiévale qu’à Lunel-Viel (Xe siècle : Hérault) et au Castlar (XIVe siècle : Durfort, Tarn) (Ruas, 1989 a et 1990 b).

    Conclusions sur les céréales et les légumineuses

    52Les céréales et les légumineuses affirment leur suprématie dans l’économie agricole et horticole et dans l’alimentation des populations médiévales françaises. Les autres études carpologiques permettent de généraliser cette dominance à l’Europe médiévale (Greig, 1983 ; Wasylikowa, 1984 ; Willerding, 1986). Il faudrait toutefois pouvoir préciser dans quelles proportions sont utilisées les espèces afin de percevoir les différences régionales et sociales. A terme, l’on pourrait établir la cartographie des zones de culture et la comparer avec celle qui se dessine à la lecture des manuscrits. Mais il nous faut auparavant disposer de contextes archéologiques plus divers et plus nombreux sur chaque site ayant conservé des paléo-semences. En France, cette agriculture bipolaire semble peu à peu pénétrée par une polyculture à l’Age du Fer dans le Sud et seulement au Haut-Empire dans le Nord. Ses manifestations sont révélées par l’afflux de produits nouveaux : les fruits cultivés (Ruas et Marinval, 1991).

    Viticulture et fructiculture

    53A l’occasion des échanges commerciaux, on pouvait consommer, en Gaule, les fruits de plusieurs arbres alors cultivés dans le Bassin méditerranéen. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des noyaux d’abricot, de pêche, de prune, de cerise ainsi que des pépins de mûre noire, de figue, des coques d’amande, des pignons ou des graines de datte et de gourde par exemple dans les dépotoirs alimentaires et les contextes funéraires. Ne peut-on pas toutefois envisager qu’à l’instar de la Vigne, certaines espèces aient pu être acclimatées avec succès au nord de la Loire afin d’assurer une production locale plus accessible ? G. Willcox (1977) n’exclut pas une telle hypothèse en ce qui concerne le Concombre (Cucumis sativus), attesté à Londres dans un site du Bas-Empire.

    54Les fréquences carpologiques de certaines plantes semblent apporter une ébauche de réponse, encore hypothétique, pour le Moyen Age. Il est intéressant d’observer à ce titre une convergence des sources archéologiques et textuelles (Fossier, 1982).

    La Vigne cultivée (Vitis vinifera)

    55Les pépins de raisin sont repérés dans moins de la moitié des sites. Au Bas Moyen Age, les occurrences dépassent celles de l’Avoine, du Pois et de la Fève (Ruas et Marinval, 1991). Notons que les fosses-dépotoirs et les latrines sont mieux représentées pour cette époque en zone urbaine. Comme ces milieux livrent des pépins de raisin de façon quasi systématique, il est possible que les fréquences de Vigne soient surévaluées.

    56Son importance augmente en tout cas entre le Haut Moyen Age et le Moyen Age central (fig. 1), phase pour laquelle tous les sites contenant des fruits ont livré des restes de Vigne. Cette évolution est corroborée par l’extension géographique des découvertes de pépins de nature cultivée. Leur distribution est très étendue dès le Haut Moyen Age : en Pays de France, en Bourgogne, en Corse et en Languedoc (Ruas s/s presse). D’après les sources écrites, les viticultures ecclésiastique, princière et paysanne encouragèrent la diffusion des vignobles vers le nord et la création de nouveaux cépages (Dion, 1957 ; Lachiver, 1988). Si le vin fut l'objectif principal de cet engouement, la consommation du fruit lui-même n’était pas négligeable d’après ce que l’on peut déduire de l’étude des matières fécales. Les nombreux pépins extraits des latrines urbaines de Montauban (Ruas, inédit), de Troyes (Ferré, 1988) et de Paris (Ruas, à paraître) suggèrent, en effet, que le raisin était très consommé sous forme de fruit de table. Dans le village perché du Castlar à Durfort (Tam, XIVe siècle), on le mettait à sécher dans le grenier au-dessus, probablement, des céréales et des légumineuses (Ruas, 1989 a). D’après les déchets alimentaires conservés dans l’épave de F Aber Wrac’h (Finistère, XVe siècle), on pense que le raisin sec avait constitué une partie de la nourriture des marins (Ruas, 1990 a).

    Autres fruits

    57Les études réalisées dans le Massif armoricain datent du Ier siècle de notre ère, les premiers témoins carpologiques de Néflier (Mespilus germanica), de Mûrier noir (Morus nigra) et de Cormier (Sorbus domestica) (Ruas, 1990 a) (fig. 3). D’autres espèces, représentées par quelques restes aux époques protohistoriques, ne prendraient vraiment leur essor qu’au Haut Moyen Age : le Noyer (Juglans regia), le Prunier crèque “à mirabelles” (Prunus domestica subsp. insititia), le Merisier à cerises douces (Prunus avium) et le Pommier (Malus domestica) (fig. 1). On assisterait donc à une intensification de la fructiculture dès le Haut Moyen Age et, de façon plus affirmée, au Moyen Age central.

    58On constate également que les fréquences du Fraisier des bois (Fragaria vesca), du Mûrier roncier (Rubus fruticosus) (fig. 3), du Griottier (Prunus cerasus) et du Prunellier (Prunus spinosa) (fig. 3) s’accroissent régulièrement pendant tout le millénaire médiéval. Le Framboisier (Rubus idaeus) est assez peu attesté en France. Il semblerait plus fréquent dans les dépotoirs post-médiévaux. Quant au Noisetier (Corylus avellana), ses occurrences montrent une certaine constance.

    59La progression d’espèces considérées jusqu’ici comme sauvages pourrait être due à un changement de leur statut économique au moment même où se développe l’arboriculture fruitière. On peut penser que ces plantes ont été réellement mises en culture afin de diversifier saveurs, couleurs et formes mais surtout de contrôler une production saisonnière par trop fugace.

    60Les “potagers-vergers” où s’exprimaient une horticulture savante auraient pu être à même de constituer des terrains expérimentaux pour l’acclimatation, voire la domestication de nouveaux végétaux comme le suggère l’analyse des sources écrites (Higounet-Nadal, 1989, p. 142). Cet auteur précise que le jardin a favorisé “l’enrichissement des espèces de plantes”. Les arbres comme le Pêcher, le Cerisier ou le Pommier pouvaient ainsi faire l’objet d’une “politique de plantation et d’entretien” (Higounet-Nadal, 1989, p. 141). D’après les résultats carpologiques, cet engouement pour la fructiculture se serait déclaré dans l’économie agro-horticole entre le XIe et le XIIIe siècles.

    Image

    Fig.3. 1. Pépin carbonisé de Mûre de ronce (Rubus fruticosus). Niveau cendreux 2e moitié VIIe s., Villiers-le-Sec (Val-d’Oise).
    2. Pépin imbibé de Corme (Sorbus domestica). Puits Ier s. Monterfil II, Corseul (Côtes- d’Armor).
    3. Pépin imbibé de Mûre noire (Morus nigra). Puits Ier s., Monterfil II, Corseul (Côtes- d’Armor).
    4. Noyau imbibé de Prunelle (Prunus spinosa). Puits 2e moitié du IIe s., Mazières-en-Mauges (Maine-et-Loire).
    5. Noyau imbibé de Nèfle (Mespilus germanica). Puits Ier s., Monterfil II, Corseul (Côtes-d’Armor).

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    Fig. 4.
    1. Semence carbonisée de Chanvre (Cannabis sativa). Silo désaffecté Xe-XIe s., Baillet-en-France (Val-d’Oise).
    2. Semence carbonisée de Houblon (Humulus lupulus). Silo désaffecté Xe-XIe s., Baillet-en-France (Val-d’Oise).
    3. Graine carbonisée de Lin cultivé (Linum usitatissimum). Niveau cendreux IXe-Xe s., Villiers-le-Sec (Val-d’Oise).

    61Cette hypothèse est néanmoins nuancée par la mauvaise distribution des contextes disponibles pour les trois périodes. Les milieux urbains sont mieux représentés à partir du Moyen Age central. Or, les découvertes de restes de fruits sont plus fréquentes dans les dépotoirs urbains.

    62Mais les autres résultats archéobotaniques couvrant l’Europe médiévale mettent aussi en évidence le développement économique de la culture des fruits. On admet aujourd’hui que les espèces sauvages comme le Mûrier roncier, le Noisetier et le Framboisier ont été plantés dans les jardins européens nord-occidentaux au Moyen Age. Dans le même temps, le Griottier est devenu un arbre cultivé (Van Zeist, 1991).

    Les autres plantes cultivées

    63La faiblesse des informations (peu d’espèces identifiées, et/ou de restes découverts) est due aux problèmes de conservation différentielle et au choix des modes de préparation ou de consommation des plantes et non à leur statut réel.

    64Il s’agit des épices et condiments : Aneth (Anethum), Céleri (Apium graveolens), Fenouil (Foeniculum vulgare), Moutarde(Sinapis spp.), Coriandre (Coriandrum sativum)... dont les graines sont souvent consommées sous forme écrasée ou moulue. Des légumes sont aussi mentionnés : Chou/Colza (Brassica oleracea/napus) ou Carotte (Daucus carota) dont les feuilles ou les racines sont récoltées avant la formation des graines. Figurent enfin les semences de plantes “techniques” employées pour l’huile, la teinture, le textile ou leur arôme : Pavot oeillette (Papaver somniferum), Gaude (Reseda luteola), Chanvre (Cannabis sativa), Lin (Linum usitatissimum) et Houblon (Humulus lupulus) (fig. 4).

    65Les données carpologiques sont encore insuffisantes à leur sujet pour discuter de leur place dans le cycle agraire et suivre l’évolution de leur rôle économique.

    Le cas du Sarrasin (Fagopyrum esculentum Moench)

    66D’origine probablement asiatique (Nord-Est de l’Inde et Ouest de la Chine) (Körber-Grohne, 1987), le Sarrasin ou Blé noir, ne serait apparu en Europe de l’Ouest qu’au XVe siècle. On relève en effet les premières mentions écrites à l’Ouest de cette Polygonacée (Famille des oseilles) dans des documents germaniques des XIVe et XVe siècles : 1380, 1396 (archives de Nürnberg), 1413 (Schwerin), 1436 (registre financier du Mecklemburg) et en 1450 (cloître de Malchow) (Kôrber-Grohne, 1987). En France, il est fait allusion à des mentions de 1446 pour la Bretagne (Mayenne) et de 1460 pour la Normandie (Grand et Delatouche, 1951).

    67Par ailleurs, des textes rédigés au XVIe siècle et relatant des oppositions paysannes à l’Ouest du pays en font une plante nouvelle. Ainsi J. Jacquart (1977) note-t-il en page 228 : “Dans tout l’Ouest, le sarrazin nouveau venu au XVIe siècle a gagné la partie et commande désormais l’alimentation quotidienne.” et, de poursuivre en page 335 : “[...], entre 1540 et 1570, [...]. Le paysan [...], refuse de la [la dîme] payer sur des cultures nouvelles comme le sainfoin, le sarrazin, le maïs,

    Tableau 4. Quelques plantes "nouvelles" au Moyen Age d'après les semences archéologiques.

    Image

    68Pourtant les découvertes de restes (pollens et/ou semences) de Sarrasin dans les tourbières et/ou les sites archéologiques semblent témoigner d’une culture plus ancienne en Europe nord-occidentale que ne le laissent subodorer les occurrences des sources écrites (Munaut, 1967 ; Visset, 1979 ; Marguerie et Ruas, 1991). La carte de répartition des découvertes (fig. 5) montre clairement une manifestation fréquente des pollens de Sarrasin à l’Age du Fer. En France, aucune semence n’a, jusqu’à présent, été remarquée. Mais on en atteste aux Pays-Bas (XIIe siècle) et en Tchécoslovaquie (XIIIe siècle). Les mentions palynologiques de cette plante dans une aire couvrant l’estuaire de la Loire, la Bretagne, la Normandie, la Campine belge et les Pays-Bas laissent naître l’idée que l’Age du Fer fut l’époque de son extension en Europe de l’Ouest (Marguerie, 1991). A.V. Munaut (1967, p. 162) estime que la Campine belge fut un “centre principal de culture de cette espèce” au début de notre ère. En Armorique, on note à l’inverse, “une désaffection très sensible de cette culture au-delà de l’Age du Fer”. Les taux de pollens, faibles dans les premiers siècles de notre médiévaux, augmentent nettement vers le XVIe siècle (Marguerie com. pers. et 1991).

    69Les surfaces ensemencées en France auraient-elles été réduites au début de notre ère par oubli ou par dédain en faveur des nouvelles espèces issues du monde romain ? Plus ou moins perdu (?) au Haut Moyen Age, le Blé noir aurait-il été “réintroduit” çà et là ? Sa culture aurait-elle dès lors été “ré-injectée” dans le cycle agraire de base — l’a-t-elle jamais été auparavant ? — pour s’affirmer en Armorique à partir du XVIe siècle ? Quoiqu’il en soit, le Blé noir semble bien appartenir au patrimoine cultural pré-romain de l’Europe nord-occidentale.

    70Grain des sols médiocres et culture de rattrapage, il peut être semé très tardivement en mai/juin comme le Millet commun (Panicum miliaceum). Il est probable que sa consommation ait été très localisée et limitée aux populations les plus démunies qui devaient en pratiquer une culture dérobée. Peut-être dédaigné par les bouches seigneuriales au Moyen Age, il n’aurait alors pas fait l’objet d’une attention fiscale soutenue comme le subirent le Froment et le Seigle par exemple.

    CONCLUSION

    71Cheminer sur la longue durée invite à nuancer certains points de l’histoire des plantes “utiles”. Si l’on se réfère au tableau 4 récapitulatif, aucune espèce attestée par la carpologie n’apparaît vraiment nouvelle en France au Moyen Age. Plusieurs plantes exotiques identifiées dans les échantillons médiévaux de l’Europe septentrionale manquent encore dans le corpus carpologique de la France.

    72Ce tour d’horizon archéobotanique nous apprend, outre l’indispensable interdisciplinarité, à appréhender la notion de nouveauté végétale à plusieurs niveaux. Les vestiges de plantes exploitées peuvent éclaircir, à notre sens, la qualité de ce qui est nouveau : la plante et/ou sa culture.

    Plante nouvelle

    73Elle peut être sauvage ou cultivée, indigène ou exotique. Elle apparaît nouvelle sans être exploitée localement aux yeux des consommateurs au moment où elle commence à figurer dans le cortège d’espèces employées de façon quotidienne. Nous pouvons illustrer ce type de nouveauté par les fruits importés et diffusés dans le monde gallo-romain. Les denrées exotiques de l’Afrique et de l’Orient en font aussi partie pour le Moyen Age. L’aire géographique et sociale de consommation de la plante tend ainsi à s’élargir grâce aux contacts commerciaux. Cette politique économique a dû stimulé l’amélioration des voies de transport mais aussi des procédés de conservation des produits périssables.

    Culture nouvelle

    74Ce groupe comprendrait les espèces inconnues ou celles qui sont exploitées de façon très locales (donc méconnues par la plus grande partie de la population). Il peut s’agir d’une culture que l’on intègre dans le cycle agraire : arboriculture, viticulture, oléiculture puis cultures émanant du Nouveau Monde (Maïs, Pomme de terre...). La domestication d’espèces indigènes, récoltées auparavant lors des cueillettes, a, semble-t-il, impliqué une nouvelle forme de culture dans le domaine fruitier au Moyen Age : “fruits des bois” comme la fraise, la framboise, la mûre de Ronce, la noisette, la prunelle, etc. Ces plantes étaient couramment consommées à l’état sauvage avant d’être cultivées. Ces cultures nouvelles ont impliqué des innovations techniques dans le domaine, entre autres, de la sélection génétique : hybridations, greffage tout en satisfaisant à la demande gastronomique et économique. Ces pratiques devaient assurer l’acclimatation (croissance et reproduction) de l’espèce hors de ses conditions optimales de développement.

    Plante re-découverte ou ré-actualisée

    75Une plante dont la culture a été oubliée pendant quelques générations peut être regardée comme nouvelle au moment de sa re-découverte. Le Sarrasin pourrait en être l’exemple type si l’on admet qu'il fut plus ou moins perdu en France après la chute de l’Empire. Nous avons proposé ci-dessus une des manières possibles de considérer le statut nouveau-inconnu d’un végétal dans la société. Bien qu’encore balbutiante pour les époques historiques, la recherche carpologique offre, par ce bilan, une première impression intéressante sur l’histoire, parfois fluctuante, de la culture de certaines plantes en France. Elle a mis ici en évidence l’ancienneté des Légumineuses et du Sarrasin. On constate aussi la permanence des grains farineux de base : Froment et Orge vêtue, Fève et Pois, mais aussi l’essor simultané de l’Avoine et du Seigle. Au Moyen Age, la polyculture que R. Fossier qualifie de “systématique” et “complexe” (1982, t. p. 640) se nourrit principalement, d’après les semences fossiles, d’espèces aussi différentes que les céréales, les légumineuses, les fruits d’arbre et d’“herbe”, les oléagineux et les plantes du textile (Lin, Chanvre, Gaude). Pourtant, ne peut-on pas parler d’une polyculture céréalière dès le Néolithique ? En effet, les premières communautés paysannes n’ont-elles pas adopté diverses espèces de Blé et d’Orge pour répondre aux problèmes que posaient les techniques de récolte, de conservation, de mouture en fonction de la plus ou moins grande résistance de l’épi à l’égrenage, de la présence ou non d’enveloppes adhérentes au grain et de la qualité de la farine ? Les importations de fruits nouveaux au Second Age du Fer puis aux premiers siècles de notre ère n’ont-ils pas en définitive préparé le bain génétique de la polyculture agro-horticole du monde médiéval européen ? Les vestiges de graines et de fruits semblent en tout cas témoigner de l’ouverture au Moyen Age de nouveaux agro-systèmes qu’illustreraient les aires jardinées, depuis le “clos” urbain jusqu’à l’“ort” des berges de cours d’eau. Quelles relations gardent l’Homme du Moyen Age avec les plantes sauvages des cueillettes saisonnières dont certaines, déjà, auraient emprunté la voie de la domestication ? Par ses potentialités palethnographiques, la carpologie interroge et interpelle l’historien de la vie quotidienne enfouie dans les textes, les images et le sol, tout en lui proposant les fruits de ses vergers...

    Bibliographie

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    Notes de bas de page

    1 Les découvertes de graines de Légumineuses datées du Mésolithique posent actuellement le problème d’une récolte sélective, voire, pour certains auteurs, celui d’une proto-horticulture (Vaquer et alii, 1986). Le phénomène se rencontre en Grèce (Hansen, 1987). Il est pour l’heure difficile d’attribuer le statut de plante cultivée à ces Légumineuses, malgré tout nombreuses dans les niveaux anté-néolithiques.

    Auteur

    Marie-Pierre Ruas

    Centre d’Anthropologie des Sociétés Rurales, Toulouse - U.P.R. 289 du C.N.R.S., E.H.E.S.S.

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    • Ruas, Marie-Pierre. Mane, Perrine. Puig, Carole. Hallavan, Charlotte. Pradat, Bénédicte. Ouerfelli, Mohamed. Ros, Jérôme. Alexandre-Bidon, Danièle. Durand, Aline. (2015) Héritages arabo-islamiques dans l'Europe méditerranéenne. DOI: 10.3917/dec.richa.2015.01.0347
    • Bouchard-Perron, Julie-Anne. (2017) SAVAGE LANDS, CIVILIZING APPETITES: POWER AND WILDERNESS IN QUEBEC CITY (1535–1900). American Antiquity, 82. DOI: 10.1017/aaq.2017.26

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    Ruas, M.-P. (1992). Les plantes exploitées en France au Moyen Age d’après les semences archéologiques. In Plantes et cultures nouvelles (1‑). Presses universitaires du Midi. https://doi.org/10.4000/books.pumi.23007
    Ruas, Marie-Pierre. « Les plantes exploitées en France au Moyen Age d’après les semences archéologiques ». In Plantes et cultures nouvelles. Toulouse: Presses universitaires du Midi, 1992. https://doi.org/10.4000/books.pumi.23007.
    Ruas, Marie-Pierre. « Les plantes exploitées en France au Moyen Age d’après les semences archéologiques ». Plantes et cultures nouvelles, Presses universitaires du Midi, 1992, https://doi.org/10.4000/books.pumi.23007.

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    Ruas, M.-P., Malpica Cuello, A., Thoen, E., Thirsk, J., Perez Garcia, J. M., Finzi, R., Vandenbroeke, C., Bolens, L., & Desplat, C. (1992). Plantes et cultures nouvelles (1‑). Presses universitaires du Midi, Comité départemental du tourisme du Gers. https://doi.org/10.4000/books.pumi.22967
    Ruas, Marie-Pierre, Antonio Malpica Cuello, Erik Thoen, Joan Thirsk, José Manuel Perez Garcia, Roberto Finzi, Christian Vandenbroeke, Lucie Bolens, et Christian Desplat. Plantes et cultures nouvelles. Toulouse: Presses universitaires du Midi, Comité départemental du tourisme du Gers, 1992. https://doi.org/10.4000/books.pumi.22967.
    Ruas, Marie-Pierre, et al. Plantes et cultures nouvelles. Presses universitaires du Midi, Comité départemental du tourisme du Gers, 1992, https://doi.org/10.4000/books.pumi.22967.
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