Les implantations monastiques dans la Gaule du nord : un facteur de la croissance agricole au viie siècle ?
Quelques éléments d’hypothèse concernant les régions de Rouen et de Beauvais
p. 169-177
Texte intégral
1Durant le VIIe siècle, les campagnes de la Gaule du Nord ont connu un développement monastique particulièrement florissant. Suivant H. Atsma, furent ainsi fondés au cours de ce seul siècle entre cent-soixante-quinze et cent-quatre-vingt établissements religieux1. Dans le domaine de l’histoire du Haut Moyen Age en général ainsi que dans celui de l’histoire de l’Eglise en particulier, cette floraison monastique, à partir du deuxième tiers du VIIe siècle dans les campagnes septentrionales, fut de la part des médiévistes l’objet d’appréciations nombreuses mais peu divergentes par leurs points de vue depuis plusieurs générations2. Ils virent en elle une expression de l’activité intense d’évangélisation du monde rural, dans un espace resté largement païen jusqu’à cette époque3. Sans négliger cet aspect, ne pourrait-on cependant, tenir compte également d’autres dimensions de ce phénomène ? Tout récemment, J. Heuclin a bien montré le rôle joué par les ermites et les reclus du Haut Moyen Age dans l’extension de l’espace cultivé et humanisé dans la Gaule du Nord4. Je crois que ce point de vue est valable, à plus forte raison, pour les abbayes cénobitiques créées pendant le VIIe siècle comme Saint-Wandrille, Jumièges, Corbie, Saint-Bertin, Saint-Riquier, Saint-Amand, Saint-Bavon, Prüm etc., puisqu’elles vont jouer, un siècle et demi plus tard, un rôle déterminant dans l’organisation et la domination des campagnes5.
2Dans cette perspective, je vais réfléchir, au cours de cette brève communication, aux prises de possession de terrains à bâtir et à exploiter par les fondateurs des différents monastères. J’essaierai d’en tirer une conclusion, si hypothétique soit-elle, quant aux conditions agricoles dans lesquelles les moines et leurs dépendants ont dû commencer à organiser leur vie, afin de mesurer ce qui est dû à la croissance agricole postérieure au VIIe siècle.
3A la fin du règne de Dagobert 1er, un certain Rothmarus reçut du roi une terre en fiche à quinze milles à l’ouest de Rouen, terre qui allait devenir l’emplacement de l’abbaye de Saint-Wandrille6. Ce lieu, prenant apparemment le nom de son seigneur-pionnier, s’appela Rothmariacense7. Rothmarus le défricha, certainement avec la main-d’œuvre dont il disposait, pour le rendre habitable. Lorsque Dagobert mourut, Rothmarus réussit à se faire confirmer par le nouveau roi Clovis II la possession de cette localité8. Cependant, après la propre mort de Rothmarus, son fils Airamnus a vraisemblablement été forcé de céder le domaine au maire du palais Erchinoaldus, en échange d’une propriété de ce dernier, qui se trouvait en Vexin normand9. Compte tenu du fait que Rothmariacense avait été cultivé pendant presque une génération, il est permis de penser que le sol avait été suffisamment exploité pour rapporter de façon constante. C’est pourquoi Erchinoaldus dut l’acquérir en échange de son propre domaine sis en Vexin. C’est la raison également pour laquelle il ne voulut pas, à son tour, l’abandonner à Saint-Wandrille et à son neveu Gondon, sans en recevoir une contrepartie10.
4Or, ce qui est intéressant dans cette histoire, que racontent les Gesta abbatum Fontanellensium, c’est que selon ces Gesta qui ont commencé à être rédigés au plus tôt en 833 par les moines de Fontenelle11 sur la base de documents conservés dans les archives de l’abbaye12, l’espace octroyé à Rothmarus pour qu’il le mette en valeur n’était pas, en vérité, une terre vierge, mais avait été exploité auparavant, puis était retourné à la friche, pour des raisons qui nous échappent13. C’est ce que souligne l’un des auteurs des Gesta, lorsqu’il qualifie le site, même avant la culture, d’antiquitus locus, et lorsqu’il déclare que le défrichement le rendit à nouveau habitable : habitabilem reddidit14. En outre, le même auteur ajoute que, sur la petite rivière de Fontenelle d’où vient le nom du monastère, il y avait un moulin à eau tombé en ruine à cause de la négligence des anciens habitants, lequel avait été reconstruit par Rothmarus15.
5Dans tout cela, une chose est claire. Le terrain de Rothmariacense, bien qu’il portât un nom qui appartient à de nouveaux arrivants, avait été antérieurement occupé, et, comme le suggère la présence de restes d’un moulin à eau, il avait connu autrefois une vie agricole assez bien organisée, sans doute celle d’une villa16.
6Le cas du site de Saint-Wandrille n’est pas isolé, même dans le diocèse de Rouen. Lorsque Saint Philibert, originaire d’Eauze décida, à la demande du roi Clovis II et son épouse Balthilde, de construire son propre monastère en 654/55, on lui octroya un terrain à bâtir appartenant vraisemblablement au fisc, à Jumièges. D’après la narration de la Vita Filiberti, se dressait là un castrum qu’avaient construit les antiqui17bis. L’Abbé Cochet a considéré ces antiqui comme les Romains qui ont laissé les traces d’un camp dans le voisinage immédiat18. Ce castrum de Jumièges n’aurait pas été simplement une base militaire abandonnée, mais plutôt un habitat muni d’éléments défensifs autour duquel on aurait organisé une infrastructure agricole voire commerciale, comme c’est le cas des castra contemporains de Namur, de Dinant et de Huy, dont a parlé A. Verhulst dans sa récente et excellente esquisse de la vie urbaine dans les anciens Pays-Bas au Haut Moyen Age19. Grâce à la position avantageuse qu’a occupé Jumièges dans les transports aussi bien fluviaux que terrestres, la fondation de l’abbaye comme celle d’un castrum plusieurs siècles auparavant – a réussi à animer très vite ce lieu de rencontre commercial qui attiraient les gens de près ou de loin, dans un but de négoce20.
7Prenons, pour terminer, l’exemple de Saint-Germer de Fly qui se situait en Vexin. Au dire de sa Vita, Germer, son fondateur reçut de l’évêque de Rouen, saint Ouen, une terre déserte afin de créer une maison religieuse21. Cette localité, pourtant, se nommait Flaviaceus, toponyme typiquement romain dont l’origine remonte, d’après M. Roblin, au cognomen Flavus, ou bien au gentilice Flavius22, propriétaire de ce domaine. Cela suppose naturellement des exploitations ou des activités agricoles à l’époque romaine. L’auteur de la Vie de Saint Germer confirme notre présomption en ajoutant que « en effet, ce lieu n’était plus un habitat humain depuis quarante ans23 ». C’est donc qu’existait là un lieu peuplé et mis en culture quarante ans auparavant !
8Les témoignages que nous venons de présenter, sans être nullement exhaustif même en Rouennais, nous amènent au problème plus général de la continuité ou de la rupture de l’occupation du sol dans le cadre du grand domaine, entre l’Antiquité finissante et le Haut Moyen Age. Il s’agit de la destinée de la villa romaine en Gaule septentrionale. Sur ce sujet, les historiens et les archéologues paraissent maintenant être d’avis que, bien que soumises à de graves destructions et frappées par des désertions ou fuites de la main-d’œuvre, les villae, en bien des cas, n’ont pourtant pas été abandonnées totalement24. Une certaine proportion des laboureurs plus ou moins dépendants y est resté, même après la disparition de leurs propriétaires qui ont laissé vide la pars urbana de ces villae, c’est-à-dire les bâtiments servant à la fois de résidence et de centre de la gestion domaniale25. Il a pu se produire alors un déplacement topographique de l’habitat, mais toujours à l’intérieur de l’ancien cadre spatial d’une villa. C’est le phénomène qu’a constaté P. Perrin dans le Rémois26. Nous pourrions dire, dans ces conditions, que, s’il y a eu une sorte de rupture de l’occupation du sol au niveau micro-topographique, il n’en a pas été de même lorsqu’on considère un espace géographique plus étendu. En règle générale, nous semble-t-il, le cadre géographique du grand domaine de l’époque romaine en tant que cadre de l’implantation humaine est resté inchangé, malgré les mutations qu’ont pu provoquer la colonisation franque et la décrue de la main-d’œuvre disponible dans les campagnes des Ve et VIe siècles. Il faut d’ailleurs souligner que les prospections par photographies aériennes exécutées par R. Agache pour le département de la Somme, ainsi que l’intéressante synthèse des recherches d’archéologie gallo-romaine d’A. Ferdière, ont démontré clairement combien était dense le réseau des villae sur le territoire de la Gaule jusqu’à la fin de l’époque romaine27. Si la carte représentant les villae romaines se rapporte, en fait, à la totalité des fondations effectuées du Ier au Ve siècle et ne rend nécessairement pas compte de l’état de l’occupation du sol à une période donnée, elle n’en est pas moins instructive car elle renouvelle nos connaissances sur l’extension de la terre occupée durant toute l’époque romaine. Même au nord de la Loire, le sol avait été couvert de grands domaines beaucoup plus nombreux que l’on ne le pensait jadis.
9Compte tenu de toutes ces conditions, il semble légitime maintenant de poser la question suivante : dans le cadre chronologique choisi pour cette communication, le défrichement a-t-il bel et bien été une mise en exploitation de sol vierge, ou bien ne s’est-il agi que d’une récupération du capital foncier perdu pendant la tourmente des Ve et VIe siècles ? (pertes dues par exemple aux dévastations liées aux guerres de pillage qu’entreprenaient et exécutaient presque annuellement les princes mérovingiens)28. Si cela était le cas, le mouvement de grande envergure des implantations monastiques se serait intégré à celui d’un recouvrement de la terre retournée en friche dans ces temps de désordre et de calamités.
10Nous avons un document qui peut nous permettre de faire avancer un peu notre connaissance de la structure de l’occupation du sol dans le grand domaine, au début de cette phase de croissance agricole en Gaule du nord. Il s’agit d’une charte de donation datée du 20 mai 62729. Son auteur, Theodetrude, alias Theodila, lègue quatre domaines, sis en Limousin et Beauvaisis, à Saint-Denis de Paris à la condition que son nom soit inscrit dans la Liber vitae de cette abbaye en vue d’une commémoration perpétuelle30. D’après cette charte, la donatrice Theodetrude, avait pour père un certain Brodulfus31. Il est hors de doute que la famille de Theodetrude a appartenu à la couche supérieure de la société mérovingienne, car parmi les douze témoins qui ont assisté à Saint-Denis à la rédaction de la charte, apparaissent deux viri inlustres ; Berthelmus et Landegiselus, lesquels étaient de hauts fonctionnaires du palais neustrien32. En effet, l’étude prosopographique de l’aristocratie mérovingienne nous permet d’identifier Brodulfus comme un oncle de Dagobert 1er, c’est-à-dire comme le frère de Clothaire II33. En 628 il fut victime d’un assassinat politique dont l’origine fut, d’après la Chronique du Pseudo-Frédégaire, l’hostilité entre Dagobert et son frère Caribert II à propos de la succession de leur père Clothaire II34. Et Dagobert eut de bonnes raisons de faire disparaître son oncle Brodulfus qui agissait en partisan redoutable de Caribert afin d’établir sa propre hégémonie dans le royaume. Il est donc extrêmement probable que les domaines que la fille de Brodulfus a donnés à l’abbaye de Saint-Denis aient appartenu, à l’origine, au domaine royal. Parmi ces quatre domaines, examinons le cas des deux domaines localisés en Beauvaisis, et dont les descriptions des biens, immeubles et meubles dans la charte sont très intéressantes pour notre propos.
11La description d’un domaine est la suivante :
…in fundo Magacinse ad praesens possidere videor, cum terris tam cultis quam incult is, silvis, aquis, aquarumve decursibus, cum termino vel colonica sua ad se pertinentes35.
12Pour le deuxième domaine en question, on nous dit :
…villa quae vocatur Milgiachis, quae est in pago Bellovacinse, cum domibus, mancipiis, terris, vineis, silvis, pratis, aquis, aquarumve decursibus, cum termino suo vel colonicas ad se pertinentes…36.
13Ces descriptions qui montrent les éléments constituants des deux domaines sis en Beauvasis sont loin d’être identiques. Nous croyons, avec M. Tits-Dieuaide37, qu’en principe l’énumération des “appartenances” des biens que l’on trouve dans les chartes mérovingiennes ne relève pas d’une simple formule gratuite, mais constitue une description fidèle des biens disponibles et révèle donc la structure d’exploitation du domaine. Quant à notre charte, la différence des deux descriptions du fundo Magacinse et de la villa Milgiachis confirme notre opinion et reflète les états d’exploitation et d’organisation qu’ont pu atteindre l’un et l’autre domaine.
14Si l’on fait la comparaison entre la structure foncière de Magacinse et celle de Milgiachis, on est frappé de trouver une nette opposition entre elles. La villa Milgiachis possède une série d’éléments qui constitue le domaine bipartite : la résidence seigneuriale et d’autres bâtiments, des esclaves, une réserve seigneuriale, des vignes, des forêts, des prés, des cours d’eau et des tenures coloniaires. Elle apparaît en train de jouir d’une vie agricole relativement prospère.
15Le fundo Magacinse, quant à lui, n’est pourvu ni d’un établissement voué à la gestion domaniale, ni d’une réserve, ni d’esclaves, ni de vignes, ni enfin de prés. Donc, pas de trace de viticulture ni d’élevage. Seul un groupe des tenures coloniaires rappelle que ce finage a pu succéder à une ancienne circonscription domaniale. Néanmoins, la différence la plus grande consiste en la présence dans un domaine et en l’absence dans l’autre de terres arables en friche. Nous trouvons à Magacinse un élément décrit par la phrase “cum terris tam cultis quant incultis” que nous nous permettons de traduire “avec des terres tant cultivées qu’en friche”38. La présence de terres en friche témoigne de la désolation dont souffre toujours le domaine de Magacinse à cause de la fuite des cultivateurs ou de la destruction de la main-d’œuvre qui l’avait occupé à l’époque précédente. C’est donc la main-d’œuvre disponible qui conditionne l’évolution de l’exploitation et de l’organisation domaniales. La villa Milgiachis n’a pas – ou n’a plus – de terres en friche, parce qu’elle a pu avoir recours à la force de travail que constituaient les mancipia sous forme soit de prisonniers de guerre soit d’esclaves de traite39. Nous hasardons même volontiers l’hypothèse selon laquelle, grâce à eux, la partie du domaine un moment déserté à été rendue exploitable, provoquant l’agrandissement de la réserve seigneuriale. Nous ne savons pas pourquoi la famille de Brodulfus a omis d’installer à Magacinse des esclaves dont, en tant que famille princière, elle devait disposer. En terminant notre analyse de la charte de Theodetrude, nous nous permettons de tirer cette conclusion, certes hypothétique, que parmi les diverses conditions qui ont rendu possible l’évolution de la structure agricole, les ressources en main-d’œuvre ont primé.
16Si l’on tient compte de la conclusion que nous venons de tirer ci-dessus, ce n’est peut-être pas une pure coïncidence que de fameux évêques ou fondateurs de monastère comme saint Eloi, saint Filibert, saint Amand et saint Richard aient laissé des traces mémorables, vers la même époque, dans les rachats des esclaves anglo-saxons40. Ils ont fait de grands efforts pour libérer les captivi amenés d’outre-mer. Ils les ont rachetés à leur arrivée sur le continent, ou bien sur place comme l’ont fait les moines de Jumièges envoyés en Angleterre par Filibert41. L’histoire du rachat exécuté par ces derniers nous révèle à la fois la vraie signification de cette bienfaisance et l’importance de la crise de main-d’œuvre dont souffrait alors la Neustrie. D’après la Vita Filiberti, les moines semblent ne pas avoir affranchi à la lettre les prisonniers ainsi rachetés, mais les avoir amené sur le continent pour les affecter à des travaux de labour42. Il apparaît que des esclaves libérés par d’autres saints ont connu semblable destinée43. D’ailleurs, dès le début du Moyen Age, l’Eglise n’a cessé de se prétendre protectrice de tous les affranchis comme le prouve une série de décisions conciliaires, dont l’une est l’article 7 du concile de Paris en 61444 Celui-ci décrète le patronage des évêques sur tous les affranchis sauf sur ceux qui avaient appartenu au roi45. Il est évident, donc, que les prisonniers rachetés par les moines étaient retenus sous le patronage du monastère et sans doute devaient être exploités dans leurs domaines gravement dépourvus de laboureurs, comme dans le cas de Magacinse46. W. Bleiber, dans son remarquable travail sur l’économie de la Neustrie au VIIe siècle, a mis en évidence le fait que les esclaves étrangers importés vers le continent avaient fortement tendance à aboutir dans la zone d’entre Somme et Loire47. Ce qui signifie que celle-ci qui avait subi une perte considérable de sa force de travail, était alors en train de reprendre vigueur dans son activité agricole, au point qu’était devenue nécessaire à une meilleure exploitation foncière l’introduction massive d’une main-d’œuvre servile.
17Juste trente ans après la rédaction de la charte de Theodetrude, en 657, nous voyons apparaître la première mention du mot mansus dont la création devait cette fois-ci correspondre au défrichement de la terre vierge, dans la région parisienne48. Avec l’apparition de ce type de tenure nouveau témoignant du défrichement au sens propre du mot, l’activité agricole de l’Occident est entrée dans une autre phase, où l’on verra bientôt apparaître le régime domanial classique ainsi que la rotation triennale dans la région d’entre Loire et Rhin.
Notes de bas de page
1 D’après H. Atsma, “Les monastères urbains du nord de la Gaule”, in Revue d’Histoire de l’Eglise de France, t. LXII, no 168, 1975, p. 168 et 182 : dans la partie septentrionale de la Gaule du VIIe siècle se sont opérées deux-cent-trente fondations monastiques au total, dont une cinquantaine a été érigée dans le secteur urbain. Les autres, par conséquent, sont des implantations rurales.
2 Voir Ph. Schmitz, Geschichte des Benediktinerordens, t. I, Zurich, 1947, p. 62 ; J.-F. Lemarignier, “Quelques remarques sur l’organisation ecclésiastique de la Gaule du VIIe à la fin du IXe siècle principalement au nord de la Loire”, in Agricoltura e mondo rurale in Occidente nell’alto medioevo, Settimane di Studio, t. XIII, Spolète, 1966, p. 451-486 ; J. Heuclin, Aux origines monastiques de la Gaule du Nord. Ermites et reclus du Ve au XIe siècle, Lille, 1988. A ne pas négliger toutefois la tendance actuelle à prendre en compte dans ce phénomène l’arrière-plan politique et dynastique des Pippinides ou des Mérovingiens. De ce point de vue, s’agissant des fondations de la région d’entre Sambre et Meuse, voir l’étude fort détaillée d’A. Dierkens, Abbayes et chapitres entre Sambre et Meuse (VIIe-XIe siècles). Contribution à l’histoire religieuse des campagnes du Haut Moyen Age, Sigmaringen, 1985. Une formulation plus générale en a été faite en dernier lieu par J. Paul, L’Eglise et la culture en Occident, t. I, La sanctification de l’ordre temporel et spirituel, Paris, 1986, p. 110.
3 Cf. Lemarignier, op. cit., pp. 452-470.
4 J. Heuclin, op. cit., pp. 68-81. Il me semble cependant que l’auteur prend un peu trop à la lettre le mot “désert” dont se servaient les hagiographes afin d’indiquer les sites choisis par des saints pour les fondations monastiques.
5 Ce n’est sans doute pas par hasard que beaucoup des abbayes citées ont procédé à une ou plusieurs rédactions de polyptyques : ceux-ci étaient en effet un instrument de premier ordre à la fois pour la gestion des domaines et pour le gouvernement des paysans dépendants. Quant aux recherches récentes sur les polyptyques, voir le pénétrant bilan historiographique de Y. Morimoto, “Etat des recherches sur les polyptyques carolingiens” in Annales de l’Est, no 2, 1988, pp. 113-149.
6 Gesta abbatum Fontanellensium, 1, (8), in M.G.H. in usum scholarum, t. 28, éd. Loewenfeld, Hanovre, 1886, p. 16.
7 Ibid.
8 Ibid.
9 Ibid. p. 17.
10 Beatus quoque Wandregisilus a praedicto patricio (= Erchinoaldo) sub titulo pretii eadem locella adeptus est (ibid).
11 Sur la date de la première rédaction des Gesta à Saint-Wandrille, voir Wattenbachlevison, Deutschlands Geschichtequellen im Mittelalter, Vorzeit und Karotinger, fasc. III, éd. H. Löwe, Weimar, 1957, pp. 344-345 ; M. Sot. Gesta episcoporum, gesta abbatum, “Typologie des sources du Moyen Age occidental”, fasc. 37. Turnhout, 1981, pp. 34-35.
12 Les auteurs des Gesta explicitent plus d’une fois leur utilisation des documents conservés dans les archives de Saint-Wandrille : Cuius auctoritas largitionis adhuc in scriniis privilegiorum nostri coenobii conservata tenetur, op. cit., p. 16 ; Haec quidem, veluti auditu didici ac in scriniis privilegiorum nostri coenobii repperi,…, ibid., p. 22.
13 La mort de Gontran en 592 marque une réouverture des guerres dynastiques entre princes mérovingiens, qui s’achèvent par la victoire définitive de Clotaire II en 613. Durant ces temps d’hostilité, il y a eu une phase chronologique, allant de l’année 600 à 604, où le cours de la Seine inférieure joua un rôle de ligne de démarcation entre les deux royaumes antagonistes de Clotaire II et de Thierry II de Bourgogne. Le futur site de Saint-Wandrille a été exposé, en raison de l’emplacement tout proche de cette frontière, à de graves destructions et aux ravages des guerres. Cf. Chronicarum quae dicuntur Fredegarii scholastici libri IVcum continuationibus, lib. 4, c. 25, éd. B. Krusch, in M.G.H. Script. r. Mero., t. II, Hanovre, 1888, pp. 130-131. Sur ces événements, consulter M. Weidemann, Das Testament des Bischofs Berthramn von Le Mans vom 27. März 616. Untersuchungen zu Besitz und Geschichte einer fränkischen Familie im 6. und 7. Jahrhundert, Mayence, 1986, en particulier, pp. 148-167.
14 Sed quia de situ loci et adventu viri sancti aliqua tetigimus, oportunum videtur, ut, qualis fuerit antiquitus locus, cuiusve ante accessum illuc servorum Christi possessio, plenius intimemus… et… quodpraefatus Rotmarus locum Rothmariacensem praecidendo, indultu regio habitabilem reddidit…., Gesta, p. 16.
15 …molendinum quoque super fluvium Fontanellam, priscorum accolarum neglectu in ruinam positam, novo opere reaedificaverit (ibid).
16 C’est une tâche largement délicate que de mesurer la propagation du moulin à eau dans la Gaule du Haut Moyen Age, en raison de la nature des documents parvenus, qui ne s’intéressent pas nécessairement aux techniques agricoles. Outre quelques allusions au moulin à eau par Ausone et Fortunat, nous avons une description détaillée, par Grégoire de Tours, de l’installation d’un moulin à eau sur l’Indre au Ve siècle (Cf. Gregorii Turonensis Liber vitae patrum, in M.G.H. Script r. Mero., t. I, pars 2, pp. 284-285. Quant à l’ancienneté de l’occupation du sol de la région où se trouve l’abbaye de Saint-Wandrille, voir J. Sion, Les paysans de la Normandie orientale, Pays de Caux, Bray, Vexin normand, Vallées de la Seine. Etude géographique, Paris, 1909, pp. 110-129.
17 bis. Ibidem castrum condiderunt antiqui…, Vita sancti Filiberti, cap. 8, in Monuments de l’histoire des abbayes de Saint-Philibert (Noirmoutier, Grandlieu, Tournus), éd. R. Poupardin, Paris, 1905, p. 6.
18 Abbé Cochet, Répertoire archéologique du Département de la Seine-Inférieure, Paris, 1871, réimp. St-Pierre-de-Salerne, 1975, p. 303.
19 A. Verhulst, “La vie urbaine dans les anciens Pays-Bas avant l’An Mil”, in Le Moyen Age, t. XCII, no 2, 1986, pp. 190-191.
20 Compendia navium, commercia plurimorum, nihil pene indigens, quicquid ministratur vehiculis pedestribus et equinis, plaustris etiam atque ratibus, Vita sancti Filiberti, cap. 8, op. cit., p. 6. Les Annales de Jumièges rédigées au temps de Philippe Auguste témoignent que Jumièges a compté déjà, en plus de neuf cents moines, mille cinq cents servientes sous l’abbatiat de saint Philibert. A côté des propres serviteurs de l’abbaye, on aurait compté, parmi ces mille cinq cents servientes, les marchands et les artisans qui faisaient le commerce dans cette localité, voir Annales de l’abbaye Saint-Pierre de Jumièges. Chronique universelle des origines au XIIIe siècle, éd. et trad. J. Laporte, Rouen, 1954, pp. 78-79.
21 Vita Geremari abbatis Flaviacensis, cap. 18, in M.G.H. Script. r. Mero, t. IV, éd. B. Krusch, pp. 632-633.
22 M. Roblin, Le territoire de l’Oise aux époques gallo-romaine et franque. Peuplement, défrichement, environnement, Paris, 1978, p. 111 et n. 4.
23 …Ibi enim est hominum habitatio ab annis quadraginta et…, Vita Geremari, op. cit., p. 633.
24 A propos de la continuité entre la villa romaine et celle du Haut Moyen Age, voir l’exemple relevé par M. Rouche, “La destinée des biens de saint Rémi durant le Haut Moyen Age, in Villa-curtis-grangia. Economie rurale entre Loire et Rhin de l’époque gallo-romaine aux XIIe-XIIIe siècles, éd. W. Janssen et D. Lohrmann, Sigmaringen, 1982, p. 56.
25 Sur la structure de la pars urbana, cf. A. Leday, La campagne à l’époque romaine dans le Centre de la Gaule, t. I, Oxford, 1980 (Bar International Series 73 (1), pp. 69-107).
26 P. Perin, “Peuplement du diocèse de Reims”, in Villa-curtis-grangia, pp. 71-72.
27 Cf. R. Agache, La Somme préromaine et romaine, d’après les prospections aériennes à basse altitude, Amiens, 1978, passim ; A. Ferdiere, Les campagnes en Gaule romaine, 2 vols. Paris, 1988, t. I, Les hommes et l’environnement en Gaule rurale (52 av. J.-C. -486 ap. J.-C.), pp. 82-86.
28 Sur la dimension économique et sur la nature essentiellement pillarde des guerres intestines du VIe siècle, voir J.-P. Bodmar, Der Krieger der Merowingerzeit und seine Welt. Eine Studie über Kriegertum als Form der menschlichen Existenz im Frühmittelalter. Zurich, 1957, passim.
29 Nous disposons maintenant de deux éditions des copies de la charte de Theodetrude dont l’original est perdu. L’une se trouve dans J.M. Pardessus, Diplomata, chartae, epistolae, leges, t. I, Paris, 1843, réimp. Aalen, 1969, pp. 227-228. L’autre a été publiée dans les Fragments du cartulaire de la Chapelle-Aude, recueillis et publiés par M. Chazaud, Moulins, 1860, pp. 1-3. Nous nous référons à la première dans notre discussion ci-après.
30 … et pro hujus meriti, nomen meum in libro vitae conscribatur…, Pardessus, op. cit., p. 227.
31 … Theodetrudis sive Theodila, filia Brodulfo… (ibid).
32 H. Ebling, Prosopographie der Amtsträger des Merowingerreiches von Chlothar 11. (613) bis Karl Martell (741), Munich, 1974, no 77 et 221, p. 82 et 178.
33 Ibid., p. 82.
34 Voir Chronicarum quae dicuntur Fredegarii, lib. 4, c. 55-58, op. cit., pp. 148-150.
35 Pardessus, op. cit., p. 227. Il localise fundo Magacinse dans un endroit de la région de Chambly en Beauvaisis (Cf. Index geographicus de Pardessus, t. II).
36 Ibid. Villa Milgiachis est identifiée à Milly-sur-Thérain, localité à 12 km du nord-ouest de Beauvais, par M. Roblin. Voir Id., op. cit., p. 121.
37 M.-J. Tits-dieuaide, “Grands domaines, grandes et petites exploitations en Gaule mérovingienne. Remarques et suggestions”, in Le Grand domaine aux époques mérovingienne et carolingienne, éd. A. Verhulst, Gand, 1985, pp. 30-31.
38 On a compris que la terra inculta appartenait, à l’origine, à la terre arable mais qu’elle retourna à la friche ultérieurement, en raison des expéditions militaires du VIe siècle. On trouverait un phénomène parallèle dans le testament du fils d’Idda daté de la seconde moitié du VIIe siècle, lequel désigne les biens destinés à être légués dans les termes suivants :… cum mancipiis, peculiis, agris cultis et incultis, uel adiacentias… Voir Chartae latinae antiquiores, no 569, part. XIII, France 1, éd. H. Atsma et J. Vezin, Zurich, 1981, pp. 80-82.
39 Sur les problèmes de l’esclavage et du lien entre la main-d’œuvre servile et l’exploitation domaniale dans le Haut Moyen Age, voir une série de travaux récents : W. Bleiber, op cit., pp. 73-97 ; P. Dockes, La libération médiévale, Paris, 1979 ; P. Bonnassie, “Survie et extinction du régime esclavagiste dans l’Occident du Haut Moyen Age (IVe-XIe s.)” in Cahiers de civilisation médiévale, 1985, pp. 307-343 ; H. Hoffmann, “Kirche und Sklaverei im frühen Mittelalter”, in Deutsches Archiv, 1986, pp. 1-15 ; S. Sato, “Etre affranchi au Haut Moyen Age. Une catégorie juridique dans les mutations politiques et sociales du royaume franc (VIe - début du IXe s.)” in Hokei-Ronshu, Horitsu-Hen (Bulletin de la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université d’Aïchi), t. 104, 1984, pp. 1-20.
40 Cf. Vita Eligii, c. 10, in M.G.H. Script. r. Mero, t. IV, éd. B. Krusch, Hanovre, 1902, p. 677 ; Vita sancti Filiberti, c. 19, in Monuments, op. cit. pp. 12-12 ; Vita Amandi I, c. 9, in M.G.H. script. r. Mero, t. 5, éd. B. Krusk et W. Levison, Hanovre et Leipzig, 1910, p. 435 ; Vita Richarii, c. 7, in M.G.H. Script. r. Mero, t. VII, éd. B. Krusch et W. Levison, Hanovre et Leipzig, 1920, p. 448.
41 … Ipsam igitur decimam in captivorum redemptionem et pauperum alimoniam deputabat, in tantum ut monachos suos propter hoc onustis navibus partibus transmarinis transmitters, ut greges captivorum per ipsum redempti laudarent potentiam Christi…, Vita sancti Filiberti, c. 19, op. cit., p. 11.
42 On pourrait interpréter comme tel le fait des rachats par les moines de Jumièges non pas à l’arrivée de la “marchandise” sur le continent, mais en traversant eux-mêmes la Manche. Ils ont ramené sans doute les esclaves ainsi rachetés.
43 Voir Bleiber, op. cit., pp. 73-79.
44 Cf. Concile d’Orléans en 541, c. 9, Concile de Mâcon en 585, c. 7, Concile de Paris en 614, c. 7, in M.G.H. Concilia, t. I, éd. F. Maassen, Hanovre, 1893, p. 89, 167-168 et 187.
45 Liberti quorumcumque ingenuorum a sacerdotibus defensentur nec ad publicum ullatenus revocentur. Quod si quis auso temerario eos inpremere voluerit aut ad publicum revocare et admonitus per pontificem ad audientiam venire neglegerit aut emendare quod perpetravit distullerit, communione privetur (ibid).
46 Il me semble que les esclaves rachetés par les moines ou les hommes de l’Eglise ont dû se soumettre un certain temps à ces derniers afin de rembourser le prix de leur rachat par leurs propres services. C’est ce que suggère une phrase intéressante du testament de Bertrand du Mans en 616 : Illi vero quos de captivitate redemi, et ante ingenui fuerunt, et modo pro pretio servire videntur… a servitio relaxentur, Pardessus, t. I, p. 214.
47 Bleiber, op. cit., pp. 78-79.
48 Voir l’étude déjà classique d’A. Verhulst, La génèse de régime domanial classique en France au Haut Moyen Age, in Agricoltura, op. cit., pp. 156-157 et 159-160.
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