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La croissance agricole du Haut Moyen Âge

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Jean-Baptiste Marquette

In Memoriam

Jean-Bernard Marquette

Texte intégral

1Il y a un an de cela, à l’occasion des neuvièmes journées internationales d’histoire de Flaran, nous nous réjouissions de retrouver Charles Higounet parmi nous. Après un printemps qui avait donné de vives inquiétudes à son entourage et à ses amis il avait pu présider le colloque sur les Jardins et découvrir avec nous le jardin de l’abbaye récemment aménagé. Mais il se faisait surtout une joie de participer à ce dixième colloque et de commémorer le centième anniversaire des Annales du Midi, une revue qui lui était particulièrement chère. Souvent au cours des conversations, il évoquait ces deux manifestations avec la crainte secrète de ne pouvoir y participer.

2Charles Higounet nous a quitté le 8 avril dernier. Au nom de tous les amis de Flaran, de ceux qui, fidèles, assistent à ces journées depuis leurs débuts, au nom aussi de ceux qui sont venus y présenter un rapport ou une communication, je tiens, Madame, à vous exprimer notre tristesse et vous dire aussi combien nous partageons votre peine et comprenons votre solitude. Un hommage officiel a été rendu à Charles Higounet par un de ses anciens élèves et ami, aujourd’hui recteur de l’université de Bordeaux. D’autres hommages sous d’autres formes viendront ces prochains mois. Mon propos sera plus modeste. Je rappellerai simplement ce que les journées internationales d’histoire de Flaran doivent à Charles Higounet, la place aussi qu’elles ont occupée dans sa vie de chercheur au cours des dix dernières années.

3C’est au mois de novembre 1975 que le Comité départemental du tourisme du Gers, alors présidé par M. J.-P. Joseph prit en charge le nouveau centre culturel de Flaran. Le souhait des responsables gersois de donner à ce centre des activités scientifiques, celui de Charles Higounet de créer un lieu de rencontre pour historiens, le concours discret et efficace d’amis gascons, celui aussi de quelques universitaires permirent la création de ces journées.

4Ce que souhaitait Charles Higounet, c’était de faire de Flaran le siège d’une institution scientifique de haut niveau dédiée à l’histoire, des sortes de semaines de Spolète françaises – le mot est de Charles Higounet – tournées vers l’histoire économique et sociale du Moyen Age mais aussi de l’époque moderne, avec une attention plus particulière à leurs rapports avec la géographie. Selon une formule que connaissent bien ses anciens élèves il s’agissait dans l’esprit de Charles Higounet de faire de Flaran un instrument de promotion de ce qu’il appelait “l’histoire géographique”. Bien sûr, la référence à la Gascogne était nécessaire mais la perspective était celle d’une histoire comparée dans un cadre qui ne pouvait être que celui de l’Europe occidentale.

5Dix années ont passé et ce pari – car c’en était un – a été tenu. Les thèmes proposés par Charles Higounet s’inscrivent bien dans la sensibilité qu’il avait souhaité donner à ces journées. Il en avait retenu certains parce qu’ils constituaient des problèmes d’actualité scientifique et avaient fait l’objet de travaux récents comme ce fut le cas pour Châteaux et peuplement, le thème du premier colloque, en 1979, ou comme pour l’Homme et la route, l’année suivante. Mais, le plus souvent, le choix des thèmes fut déterminé par le désir d’y voir clair dans des domaines où les travaux étaient abondants sans que pour autant il fût aisé de dégager les caractères, la géographie et l’évolution d’un phénomène : ce fut le cas des journées consacrées à l’économie cistercienne, sa géographie et sa mutation, ou bien aux communautés villageoises et, plus récemment aussi, celui de deux colloques, l’un sur les ordres militaires, le peuplement et la vie rurale, l’autre sur les revenus de la terre.

6Près de soixante-dix rapports régionaux ou nationaux, soixante-quinze communications, dix volumes d’actes qui totaliseront près de 2 400 pages, tel sera le premier bilan des dix premiers colloques de Flaran. Le pari européen a été tenu : déjà près de trente rapports ont été consacrés à huit pays différents et la présence dans cette salle de collègues anglais, allemands, belges et catalans témoigne de la dimension de ces nouvelles journées. Il n’est d’ailleurs pas non plus un colloque où rapports et communications ne nous aient éclairés sur une large étendue du territoire français. En revanche, l’ouverture sur l’histoire moderne et l’ancrage gascon n’ont pas été aussi forts que Charles Higounet l’avait souhaité.

7Il est encore un peu tôt pour tirer le bilan scientifique des dix premières sessions, mais comment ne pas rappeler quelques-unes des conclusions que Charles Higounet avait pu dégager de l’analyse des rapports et communications des premiers colloques : géographie et chronologie des habitats castraux ; nouvelle définition des grandes articulations de l’histoire routière française ; distinction entre économie cistercienne et économie de l’ordre cistercien ou du temps des accommodements à celui des renoncements ; poids respectifs des solidarités spirituelles, des nécessités économiques et des solidarités sociales dans la formation des communautés rurales ; rôle divers joué par les ordres militaires dans le peuplement des campagnes : parfois important comme dans le sud-ouest de la France, parfois nul comme dans le nord du pays, en Italie ou en Angleterre où ils sont arrivés trop tard ; ancienneté du métayage dans les pays charentais et extension dans certaines parties de la Flandre septentrionale et du Brabant. De ces colloques Charles Higounet fut l’animateur attentif, passionné, sollicitant et obtenant le concours de chercheurs venus de tous les horizons, élaborant les programmes, préparant la publication des actes qu’il suivait dans les moindres détails jusqu’au jour de leur parution. De cette aventure – le mot est encore de lui – il était d’autant plus fier qu’il n’avait jamais accepté la moindre concession à la facilité et si, sans la volonté des élus du département du Gers et le support du comité départemental du tourisme, Flaran n’aurait pu naître ni se développer, Charles Higounet était particulièrement heureux d’une réussite obtenue sans patronage tapageur et surtout – il n’a cessé de le dire et de l’écrire – sans le secours de structures universitaires et d’organismes de recherche.

8C’est, en effet, l’année où il quittait l’Université que Charles Higounet inaugurait les journées internationales d’histoire de Flaran. Elles furent l’occasion pour lui de faire le point sur des recherches qu’il avait entreprises parfois depuis plus de quarante années, celle aussi de confronter ses propres conclusions à celles de spécialistes, le moyen enfin de susciter des rencontres de chercheurs autour de thèmes nouveaux ou peu explorés et qui excitaient sa curiosité.

9Lorsqu’on parcourt la liste des 270 titres de sa bibliographie d’où émergent l’Histoire de Bordeaux sous ses deux versions, celle d’Aquitaine, La grange de Vaulerent et le Die deutsche Ostsiedlung im Mittelalter on est frappé – mais qui s’en étonnerait ? – par la permanence de certains thèmes. Le meilleur exemple n’est-il pas celui des ordres militaires ? C’est en effet par un article consacré aux origines de la commanderie du Burgaud paru dans les Annales du Midi que s’ouvre en 1932 la bibliographie de Charles Higounet ; un demi-siècle plus tard, à l’occasion du 6e colloque de Flaran – paru en 1986 – nous retrouvons une mise au point sur le rôle des Templiers et des Hospitaliers dans le peuplement du sud-ouest de la France. Entre temps, Charles Higounet s’était penché à six reprises sur ce thème, publiant entre autres en 1957, le cartulaire des Templiers de Montsaunés.

10La parution en 1975 du recueil de ses principaux articles sous le titre Paysages et villages neufs du Moyen Age illustre bien ce qu’avait été la préoccupation essentielle du chercheur au cours des quarante années précédentes. Les sous-titres sous lesquels il les a regroupés : méthodes, toponymie, occupation du sol et peuplement, châteaux et sauvetés, bastides et villeneuves, enfin, mouvements de population, précisent les principales directions de sa recherche. Celles-ci réapparaissent de manière explicite dans certains thèmes des journées de Flaran – ainsi ceux des châteaux et de la toponymie – ou en arrière-plan, comme celui de l’occupation du sol. Mais la présentation que Charles Higounet a faite de ses travaux dissimule d’autres thèmes majeurs qui se croisent avec les rubriques qu’il avait retenues : celui des ordres militaires ou celui des Cisterciens auxquels il avait consacré pas moins de dix articles. En revanche – et cela confirme bien l’autre critère dans le choix des thèmes de Flaran – Charles Higounet ne s’était guère intéressé à la route, aux communautés villageoises ou aux jardins.

11On ne saurait achever cette évocation sans souligner deux autres aspects des relations entre les recherches de Charles Higounet et les journées de Flaran. Charles Higounet avait écarté deux thèmes pourtant majeurs dans sa vie de chercheur : les bastides et villeneuves et les mouvements de population, alors qu’il en est d’autres auxquels il avait consacré des travaux parfois nombreux ou qui ont fait date et qu’il n’avait pourtant pas retenus : la formation des paroisses – bien qu’il y ait songé – la forêt et le vignoble. Peut-être les aurait-il proposés comme thèmes de futures journées.

12Il voyait dans celles qui vont s’ouvrir – les dixièmes –, la justification du choix qu’il avait fait en 1979 : celui de rencontres consacrées à une histoire “qui colle au sol” – avant-propos dans Flaran 2 – à l’écart des grands itinéraires de circulation, dans un département rural, avec le soutien d’un petit groupe local et d’élus et le concours amical de la communauté scientifique européenne.

© Presses universitaires du Midi, 1990

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