1La construction des grandes routes royales constitue la principale réussite de l’Ancien Régime français au XVIII^e siècle. Tout le siècle est concerné ; les premières mesures donnaient aux intendants et aux ingénieurs en chef des généralités les pouvoirs nécessaires pour déterminer les nouveaux tracés, rectifier et élargir les anciens, faire procéder à la construction et au perfectionnement de la chaussée ; un article de l’important arrêt du 3 mai 1720, ordonnait à tous les propriétaires riverains de ces nouvelles routes de planter des arbres le long de celles-ci ; ormes, hêtres, châtaigniers, arbres fruitiers ou autres1. C’est pour fournir des plants que les intendants établirent des pépinières royales dans les diverses généralités. Ils y ajoutèrent des mûriers car le développement d’une production nationale de soieries constituait depuis longtemps un objectif de la monarchie. Dans le prolongement de la politique colbertiste, les Contrôleurs généraux Orry (1730-1745) et Machault d’Arnouville (1745-1754) autorisèrent et aidèrent le développement de ces pépinières. A partir de 1760, sous l’influence des tenants du libéralisme économique2, ces pépinières publiques furent réduites ou abandonnées au profit des pépinières privées. C’étaient les progressistes de l’époque qui réclamaient la privatisation.

Création et développement des pépinières royales

2On retrouve des pépinières royales dans les diverses généralités. Dans celle de Tours, la pépinière établie au chef-lieu mesurait 32 arpents. Les propriétaires acquirent des ormeaux et des châtaigniers mais délaissèrent les noyers. Les plants de mûriers eurent plus de succès. On en distribua plus de 800 000 de 1744 à 17683. Dans la généralité d’Orléans, les intendants du temps d’Orry et de Machault avaient fait un gros effort pour les pépinières ; on en trouvait quatre en 1761 qui totalisaient plus de 40 000 arbres ; on comptait 6 735 arbres à Orléans, 11 114 arbres à Beaugency, 13 868 arbres à Blois, 10 237 arbres à Vendôme4.

311 existait plusieurs pépinières à l’arrivée de Tourny dans la généralité de Bordeaux en 1743. Tourny en accrut le nombre et les agrandit. On comptait 8 pépinières dans la généralité de Bordeaux en 1754 ; elles étaient établies à Bordeaux, Villeneuve, Périgueux, Nérac, Libourne, Duras, Agen, Sainte-Foy. La plus importante, celle de Bordeaux, possédait 50 500 plants, celle de Villeneuve en avait 24 000. Ces pépinières étaient surtout consacrées aux mûriers ; on en trouvait plus de 300 000 prêts à être livrés vers 1750 et Tourny n’accordait qu’aux planteurs de mûriers la permission d’étendre leur vignoble. Mais à Bordeaux et à Villeneuve, on trouvait des milliers d’ormeaux, de noyers et d’arbres de toute espèce prêts à être livrés5.

4Dans la généralité de Besançon, la pépinière installée par l’intendant de Vanolle sur le territoire du chef-lieu mesurait 5 à 6 arpents et avait bel aspect. En 1746, elle était entourée d’un mur de pierre de 6 à 7 pieds de haut, crépi des deux côtés avec une grille de fer aux armes du roi qui en fermait l’entrée. L’intérieur était percé de larges allées dont les intervalles formaient des carrés où on avait planté des mûriers, des noyers, des châtaigniers et des ormes. Des grillages de bois peints à l’huile soutenaient des espaliers de divers arbres fruitiers et quelques ceps de chasselas. Le tout constituait un lieu fort agréable au coup d’œil et une promenade praticable en tous temps. Nommé en 1744, l’intendant de Sérilly constata toutefois le mauvais état des arbres dû sans doute à l’acidité du terrain, et décida d’abandonner la pépinière après avoir cédé les plants qui subsistaient aux particuliers qui les demandaient pour les planter le long de leurs héritages6.

5Sérilly loua alors à divers particuliers un ensemble de 46 arpents dans la communauté de Roche et le fit clore pour le mettre à l’abri des animaux. Il y fit semer de la graine de mûrier, des noix et des châtaignes et planter des ormilles. Le tout fut repiqué et, en 1749, on y trouvait des dizaines de milliers de pieds de noyer, d’orme, de châtaignier, de mûrier. Le jardinier espérait disposer à l’automne de 30 000 pieds de noyer et de 10 000 pieds d’orme de 5 à 7 pieds de hauteur, ainsi que de 4 000 mûriers et 3 000 châtaigniers de 4 à 5 pieds de hauteur. Il reconnaissait toutefois que beaucoup de ces arbres seraient trop fragiles pour supporter une transplantation.

6En fait, la pépinière de Roche n’a pas réussi ; il a fallu arracher beaucoup de plants et les acquéreurs éventuels n’y accédaient pas facilement. Il a fallu l’abandonner et ouvrir une nouvelle pépinière près de Besançon ; celle-ci mesurait 8 arpents et le montant du loyer s’élevait à 300 livres. L’état de décembre 1756 mentionnait les plants suivants : noyers : 16 072 ; noyers enfouis : 10 000 ; ormilles : 10 045 ; mûriers greffés : 4 500 ; mûriers en replant : 8 036 ; châtaigniers : 1 500. On avait dû arracher 10 645 arbres défectueux et aucun n’avait pu être livré pour la plantation ; on ne prévoyait même aucune livraison pour 1759. En décembre 1757, les totaux des divers arbres n’avaient guère changé, mais l’état donnait aussi des précisions sur les arbres fruitiers : cognassiers : 3 600 ; paradisiers : 480 ; abricotiers : 720 ; pêchers : 780 ; pommiers : 1 920 ; poiriers : 1 200 ; cerisiers : 720. On avait toutefois pu livrer à des particuliers 200 noyers et 500 mûriers greffés et on espérait pouvoir livrer 2 000 noyers en 17587. En décembre 1761, la nouvelle pépinière comptait 50 000 arbres en dehors des semis. Plusieurs milliers pouvaient être transplantés : 5 000 noyers, 1 500 mûriers, 1 000 ormes, 2 000 arbres fruitiers. Les plantations le long des routes restaient très réduites et les derniers intendants, Moreau de Beaumont et Bourgeois de Boynes ne voulaient pas contraindre les riverains. Les particuliers s’intéressaient surtout aux noyers qui réussissaient le mieux et qu’ils plantaient à leur gré. En décembre 1762, on comptait 29 363 noyers, 8 095 ormes, 24 520 mûriers, 26 936 arbres fruitiers. On avait dû arracher 10 208 arbres morts ou en mauvais état. Mais plusieurs milliers avaient pu être livrés à des particuliers : 1 824 noyers, 710 ormes, 2 266 mûriers, 2 117 arbres fruitiers. Des livraisons importantes étaient prévues pour les années suivantes : en 1763 : 4 000 noyers, 400 ormes, 3 100 arbres fruitiers ; en 1764, 1765, 1766 : 21 963 noyers, 5 604 ormes, 16 520 mûriers, 19 200 arbres fruitiers. L’imposition annuelle à la charge de la généralité restait fixée à 3 000 livres mais les ventes de plants avaient permis d’effectuer 8 547 livres de dépenses en 1762. Le premier secrétaire de l’intendance estimait toutefois que les résultats auraient été meilleurs si on avait ouvert les cinq pépinières prévues initialement et intéressé les jardiniers8.

7Les pépinières d’Alsace avaient été tout d’abord conçues pour les ormes car le bois d’orme servait à fabriquer les crosses de fusil ; l’intendant Feydau de Brou avait, en 1737, essayé de remédier à la pénurie de bois d’orme en ouvrant deux pépinières d’ormes à Krautergersheim et à Saverne. Mais on s’aperçut, quelques années après, que les arbres dépérissaient à Krautergersheim ; on supprima alors cette pépinière et on la remplaça par la pépinière de Dachstein qui mesurait 17 arpents. En 1751, à l’arrivée de l’intendant de Sérilly, on comptait quatre pépinières royales à Dachstein, Saverne, Colmar, Belfort. La pépinière de Dachstein qui bénéficiait d’un sol favorable était devenue la principale pépinière d’Alsace. Les ormes n’y étaient plus seuls ; on y trouvait en 1752, 19 000 mûriers, 9 500 noyers, 12 000 pommiers, 8 000 poiriers, 9 000 châtaigniers, 6 000 pommiers et 6 000 poiriers en espalier, un total de 2 000 pruniers, cerisiers, pêchers, abricotiers. Les arbres y poussaient correctement ; on pouvait en distribuer chaque jour aux communautés et aux particuliers qui en avaient besoin.^ La pépinière de Saverne mesurait cinq arpents et demi et portait de beaux arbres. Une partie avait déjà servi à garnir les pépinières de Colmar et de Belfort et on en fournissait beaucoup aux communautés ; en 1752, on y trouvait 7 800 ormes, 4 900 pommiers, 2 100 poiriers, 3 100 noyers mais les mûriers étaient plus nombreux, 9 800. Avec 34 800 pieds, les mûriers dominaient aussi largement à la pépinière de Belfort. Mais on y trouvait également 20 000 pommiers et poiriers destinés au Sundgau particulièrement ravagé par les guerres du XVII^e siècle. Les plants étaient vendus à bas prix pour permettre aux paysans d’en acquérir et les communautés devaient en planter le long des routes, surtout pour en distinguer le tracé en hiver alors qu’elles ne différaient guère des champs environnants. On y trouvait aussi en 1752, 10 800 noyers, 6 300 châtaigniers, 6 300 cerisiers et pruniers, 12 400 ormes.

8Créée par l’intendant de Vanolle en 1746, la pépinière de Colmar mesurait 8 arpents et demi et les arbres y réussissaient grâce à la qualité du sol qui avait été enrichi lors de la création de la pépinière ; mais les premiers “sauvageons” avaient été mangés par des vers, accident qui avait retardé la croissance des arbres. On y trouvait en 1752, 6 612 poiriers, 13 324 pommiers de toute espèce, 6 612 pruniers, pêchers et abricotiers, 6 600 châtaigniers, 13 224 ormes, 6 612 noyers et seulement 6 612 mûriers9.

9Les gages des jardiniers chargés de l’entretien variaient selon l’importance de la pépinière : 1 200 livres à Dachstein, 500 livres à Saverne, 750 livres à Belfort, 600 livres à Colmar. Un inspecteur était chargé de visiter les pépinières et de tenir la main à ce qu’elles soient toujours en bon état. Il recevait 600 livres d’appointements. Les arbres étaient délivrés aux communautés et aux particuliers sur les ordres de l’intendant ; on réglait aux jardiniers 6 sols de rétribution pour chaque pied. Moyennant celle-ci et les gages qui leur étaient accordés, les jardiniers étaient tenus d’assurer, en se faisant aider au besoin à leurs frais, tous les ouvrages nécessaires dans les pépinières ; ils ne pouvaient plus recourir à des corvées comme sous l’intendant de Vanolle. Avec des loyers, et les gages d’une personne connaissant et pratiquant l’élevage des vers à soie, la dépense annuelle s’élevait autour de 8 000 livres levées sur la province en vertu d’un arrêt du Conseil rendu sur rapport de l’intendant10.

10Les pépinières n’avaient pas été d’emblée acceptées dans l’intendance d’Auch. Intendant d’Auch de 1739 à 1744, Sérilly s’était heurté à l’hostilité des habitants du Nébouzan, le pays de Saint-Gaudens où les propriétaires n’avaient pas voulu se charger des mûriers quand le moment fut venu de les transplanter. Il avait fallu les placer le long de la grande route où ils n’avaient pas tardé à périr, victimes des animaux qui pacageaient dans le pays et des paysans, propriétaires des champs riverains qui redoutaient l’ombre et les racines11.

11Il existait toutefois d’autres pépinières dans l’intendance à l’arrivée d’Etigny, le frère de Sérilly, dans l’intendance d’Auch. Le 8 août 1752, d’Etigny écrivait à Machault que la pépinière d’Auch était bien située et que les arbres y réussissaient parfaitement. Celle de Tarbes était en mauvais état mais l’intendant venait d’y faire exécuter d’importants travaux de restauration. La pépinière de Pau était installée sur un terrain appartenant au roi situé près de la ville et où, selon la tradition, se trouvait le jardin potager des rois de Navarre. Les arbres qui y poussaient n’étaient pas encore assez grands pour être transplantés ailleurs. En revanche, la population ne s’intéressait pas à la pépinière de Licharre située près de Mauléon en Soule et celle du Nébouzan n’avait pas été rouverte après sa destruction par les habitants.

12D’Etigny espérait beaucoup de la pépinière d’Auch qu’il avait étendue pour y planter 30 000 pieds de pommiers et de poiriers “sauvageons”. Mis dans une terre bien prépparée, ceux-ci “avaient réussi à souhait”. D’Etigny comptait les greffer à temps et en planter autant chaque année. Pour en faciliter la vente, il prévoyait un prix très bas, 1/4 de livre par pied, alors que les particuliers les faisaient payer 12 à 15 livres chacun. Ce rapport enchanta Trudaine, l’intendant des finances chargé des routes et des pépinières qui, sur ce point, compara avantageusement d’Etigny à la plupart de ses collègues. Stimulé par ces encouragements, d’Etigny décida les Etats de Bigorre à agrandir la pépinière de Tarbes et à planter des arbres le long des nouvelles routes mais il se félicitait surtout des progrès de celle d’Auch où toutes les essences propéraient à l’exception des noyers. C’étaient les pommiers et les pruniers qui y donnaient les meilleurs résultats et d’Etigny souhaitait introduire dans la généralité le commerce des pruneaux qui enrichissait déjà l’Agenais et le Quercy.

13D’Etigny faisait partager autour de lui le souci de l’arboriculture ; la société qui entreprit en 1756 la construction d’une fabrique de soieries se chargea aussi de la plantation de 60 000 pieds de “poirette” fournis par la pépinière d’Auch. Au cours de ces années, cette pépinière avait vraiment grande allure ; entourée de fossés, surveillée par un garde à la livrée du roi, elle était traversée dans toute sa longueur “plus de 500 toises” par une très belle allée de gazon et bordée de chaque côté “de très beaux pruniers entre lesquels il y avait des fleurs de différentes espèces, ce qui faisait un très beau coup d’œil”. D’Etigny affirmait que cet établissement suscitait “l’admiration des étrangers et même celle des habitants du pays bien qu’il ne fût pas facile de les contenter”12^.

14La pépinière de Pau avait aussi bel aspect et suscitait des initiatives intéressantes. Le maître particulier des Eaux et forêts, Jean de Laclède allait organiser une société par action “pour la plantation dans un espace de cinq années, la culture et l’exploitation de 4 000 peupliers d’Italie dans la province du Béarn” ; vers la même date il procédait aux plantations du domaine de Saint-Sauveur sur l’Ousse établi dans une partie des landes du Pont Long dont il avait obtenu l’affièvement. D’Etigny pouvait à juste titre écrire à Trudaine le 3 avril 1763 : “Cette province que j’ai trouvée à mon arrivée presque sans ressources du côté des légumes et des fruits, commence à adopter cette culture et j’ai lieu de croire que, dans quelques années, elle en tirera de grands avantages13.

15Pour les mûriers, d’Etigny instruit par l’expérience de son frère Sérilly s’était d’abord montré très réticent. Il redoutait les gelées de printemps susceptibles de retarder la croissance des arbres et de brûler les pousses, les orages fréquents à l’époque où se développent les vers, l’indifférence de la population. Il évolua par la suite, commença par procéder à des distributions gratuites de plants de mûrier cultivés à la pépinière d’Auch. Puis, au début de 1756, il constitua une société groupant des notables apportant un capital de 6 000 livres pour planter aux portes d’Auch 6 000 mûriers et installer une fabrique de soieries, en formant chaque année douze sujets “pour élever les vers à soie, la façonner, la filer et faire la fantaisie”. 20 000 pieds de mûriers allaient sortir cette année de la pépinière d’Auch ; on citait des propriétaires cossus qui en avaient planté 300 à 400. La soie provenant des cocons recueillis l’an dernier était de fort bonne qualité et on commençait à penser que la croissance du mûrier était compatible avec le climat gascon. La fabrique auscitaine ne tardait pas à ouvrir ses portes. A partir de 1757, les registres de Saint-Orens d’Auch mentionnaient la naissance d’enfants dont les parents étaient “ouvriers en soie” au Seilhan ; en août 1759, on comptait 10 000 mûriers à la pépinière d’Auch14. La pépinière de Pau en produisait autant chaque année et Jean de Laclède s’efforçait de développer l’élevage des vers à soie ; en 1766 il possédait une pépinière avec 3 000 pieds de mûriers et, l’année suivante, il installait une modeste fabrique de soieries à Pau ; les échantillons étaient très convenables et Laclède sollicitait des gratifications pour les propriétaires qui plantaient des mûriers et pour les “nourricières” qui élevaient des vers à soie15.

16En Provence, les intendants s’occupèrent essentiellement des mûriers et de la sériciculture. En avril 1751, l’intendant des finances Trudaine s’enquérait auprès de l’intendant de La Tour de l’état des lieux plantés en mûriers et des manufactures de soieries. Dans un mémoire envoyé trois mois après, l’intendant proposait d’en planter trois millions de pieds en établissant des pépinières royales dans le bas pays et de fournir des prêts aux nouveaux fabricants sans faire appel aux fonds de la province. Trudaine et l’intendant de commerce Gournay, acquis au libéralisme, rejetèrent tout d’abord les pépinières. Ils préféraient aider les planteurs, comme en Languedoc, grâce à une prime de 25 livres pour cent pieds et encourager les pépinières privées ; ils estimaient aussi que l’aide au développement des manufactures entraînerait celui des plantations. Mais La Tour répliqua que la prime de 25 livres pour 100 pieds était excessive et que les fonds prévus par le Contrôle général pour l’aide à la production — 10 000 livres — seraient absorbés par les primes destinées aux sept manufactures déjà existantes. En dépit de l’opposition de Trudaine, le gouvernement adopta en 1753 le point de vue de l’intendant : une prime de dix sols par pied, pour moitié supportée par le roi, et création de nouvelles pépinières dans les

17vigueries de Draguignan et de Grasse comme celles de la viguerie de Tarascon ne suffisaient pas. Les résultats des mesures arrêtées furent encourageants ; en janvier 1753, l’intendant annonçait qu’elles avaient déjà permis de vendre 900 000 pieds ; il estimait toutefois que les fonds dégagés ne suffisaient pas et il demandait 20 000 livres de plus. Les ressources supplémentaires demandées par La Tour furent partiellement accordées mais les subventions directes aux fabriques les absorbèrent16. Pépinières royales et plantations de mûriers tenaient toutefois en Provence une place non négligeable.

Libéralisme et privatisation

18Les Contrôleurs généraux Orry et Machault, l’intendant des finances Daniel Trudaine chargé des Ponts et Chaussées ont voulu développer l’arboriculture grâce à des pépinières royales. Ils ont partiellement réussi. Mais, à partir de 1756, la poussée vers le libéralisme économique commença à se faire sentir. Président du Bureau de Commerce, Trudaine de Montigny, le fils du précédent, en fut l’un des premiers artisansl17. Les intendants suivirent peu à peu les nouvelles orientations. On critiqua les dépenses entraînées par les pépinières royales en ajoutant que des pépinières privées ne coûteraient rien aux contribuables. Certains intendants les maintinrent toutefois mais elles devaient disparaître à la Révolution.

19Dans la généralité de Tours, l’intendant Du Cluzel (1766-1783) sensible à cette politique, commença par supprimer la pépinière. Mais, en 1772, il rétablit une pépinière d’ormes et de frênes afin d’embellir les grandes routes ; Du Cluzel réussit à intéresser les riverains et trente lieues de routes furent plantées d’arbres de 1772 à 1781 sans compter les quais, les abords et les promenades de Tours et de quelques autres villes. Ces routes et ces plantations faisaient, en 1783, l’admiration de l’inspecteur général des Ponts et Chaussées. Entre temps, Du Cluzel avait sauvé la pépinière de Tours que Joly de Fleury, chargé du Contrôle général en 1781, voulait supprimer pour laisser le champ libre aux pépinières privées18.

20A la même époque, l’intendant de la généralité d’Orléans Cypierre (1760-1785) était, au contraire, un partisan de la privatisation. Bien que ses prédécesseurs aient fait un gros effort pour les pépinières, Cypierre estimait que les distributions ne correspondaient pas aux frais engagés en dépit du prix de vente très bas. Il les supprima peu à peu et vendit les terrains qui appartenaient au roi. Les fonds qu’il en retira servirent à payer les plants réclamés par l’ingénieur en chef pour border certaines routes19.

21Dans la généralité de Bordeaux, c’est le succès des pépinières royales au temps de Tourny qui a amené beaucoup de particuliers à créer des pépinières privées dans les environs de Bordeaux20.

22La critique des pépinières royales est sous-jacente dans l’état dressé en décembre 1761 par le premier secrétaire de l’intendant de Besançon ; les intendants dévoués aux pépinières royales, Vanolle, Serilly, n’étaient plus là ; Beaumont et Bourgeois de Boynes paraissaient beaucoup plus réticents21.

23L’hostilité vis-à-vis des pépinières royales se développa aussi dans l’intendance d’Auch. A partir de 1769, la recherche des économies pratiquée par le Contrôleur général Terray s’ajouta à la politique libérale des privatisations. Les Etats pyrénéens y furent sensibles. Le 8 décembre 1772, les Etats de Bigorre consacraient leur séance à “la suppression de la pépinière arrêtée sous le bon plaisir du roi” et accordaient une indemnité de 240 livres aux propriétaires du terrain.

24Les Etats du Béarn profitèrent de la mort d’Etigny pour rejeter les demandes de secours formulées par Laclède. Ils acceptèrent seulement d’aider à la venue de quelques arboristes et tisseurs. Laclède s’obstina, proposa de nouvelles mesures, notamment le transfert près du Gave de la pépinière de Pau et la création de nouvelles pépinières à Oloron, Orthez et Lembeye. Mais les Etats persistèrent dans leur attitude, répondirent négativement à la demande de crédit et décidèrent en 1772 la suppression de la pépinière de Pau ; les fonds destinés à son entretien seraient réunis à ceux de la Caisse des Ponts et Chaussées “pour être employés tant à des pépinières plus utiles et plus conformes au sol de la province qu’à leur défaut aux ouvrages des chemins”.

25Grâce à l’activité de l’intendant Journet successeur d’Etigny à Auch, les plantations de mûriers et la fabrique de soieries survécurent à la mort de ce dernier. Mais la misère provoquée par la grave épizootie de 1774 amena leur abandon22.

26Dans la généralité de Lyon, existait certes un jardin de l’intendance où l’on trouvait à la fois des arbres et des arbustes d’agrément : rosiers, alteas, troènes, etc.23, mais les pépinières étaient la propriété de la Société d’Agriculture protégée par l’intendant. Situées dans les faubourgs de Lyon, on en trouvait une à Vaisse, l’autre à La Guillotière ; c’étaient en quelque sorte des entreprises semi-publiques24. L’entreprise privée prévalait, au contraire, en Languedoc. Les pépinières de mûriers appartenant à des particuliers étaient subventionnées par les Etats et, avec des conditions climatiques plus favorables qu’en Gascogne, elles ont donné de bons résultats25.

27Vers le milieu du XVIII^e siècle, la recrudescence de la pression officielle en faveur de la culture du mûrier se fit aussi sentir. Les Etats autorisèrent les assemblées ou assiettes diocésaines à donner les encouragements qu’elles jugeaient utiles. Celle d’Albi décida en 1759 de donner 3 sous par pied de mûrier nouvellement planté. Le gouvernement alla plus loin ; une ordonnance de l’intendant du 6 septembre 1752 accorda une gratification de 25 livres par centaine de pieds de mûrier plantés. En 1755, le diocèse de Castres accorda une gratification pour l’établissement d’une pépinière. Les Etats préféraient la subvention par pied de mûrier planté ; ils accordèrent 7 sols la même année. Mais, en 1757, ils envoyaient dans les diocèses des instructions sur la manière de former les pépinières de mûrier. Cette activité fut couronnée de succès avec 55 459 mûriers plantés en 1754, 140 096 plantés en 1759, surtout dans les diocèses d’Uzès et de Nîmes. L’Intendant de commerce Montaran constatait en 1765, que l’ardeur pour la culture du mûrier était égale en Languedoc, Provence et Dauphiné.

28L’enthousiasme pour la culture du mûrier tomba après 1770 ; en 1773, les plants de la pépinière de Saint-Papoul donnés gratis ne trouvaient pas preneur. Le commissaire de l’assiette de Lodève regrettait les grains et olives que produisaient autrefois les terres plantées en mûrier. En 1788, l’intendant Ballainvilliers constatait que le mûrier tendait à se localiser dans les vallées cévenoles et les pays placés au pied des Cévennes ainsi que dans le Vivarais. A l’intendant de Commerce Tolosan qui demandait : “Pourquoi a-t-on cessé d’intretenir les pépinières ?”Ballainvilliers répondait : “Il vaut mieux encourager la culture de l’olivier que celle du mûrier’’26. Mais l’industrie de la soie restait importante. La soie filée, souvent dans les campagnes, valait 3 millions de livres en 1744, 8 à 9 millions de livres en 1768 et en 1788. Pour le tissage, Nîmes était devenue un centre très actif avec 2 200 métiers en 1754. En 1774, Holker fils écrivait : “La fabrique de Nîmes est en pleine prospérité depuis une vingtaine d’années, alors que celles de Lyon et de Tours languissent”. On peut évaluer à 10 000 000 de livres de produit de l’industrie de la soie en Languedoc à la fin de l’Ancien Régime27.

***

29Dans le prolongement de la politique colbertiste, les intendants de Louis XV ont créé entre 1730 et 1760 des pépinières royales qui ont donné des résultats positifs en dépit de beaucoup de difficultés. Non seulement de nombreuses foutes royales ont été bordées d’arbres, mais l’arboriculture de plusieurs provinces a été sensiblement améliorée, notamment en Alsace et en Gascogne où la pépinière royale d’Auch a subsisté jusqu’à la Révolution.

30Mais les débuts de la propagande pour la libéralisme économique auxquels s’est ajoutée la recherche des économies budgétaires ont discrédité cette politique dont le succès assurait d’ailleurs la rentabilité des pépinières privées qui les remplaçaient. Des pépinières royales n’avaient pas d’ailleurs été créées partout ; à Lyon, elles appartenaient à la Société d’Agriculture et, en Languedoc, les puissants Etats de la province s’étaient bornés à subventionner des pépinières privées. Reconnaissons toutefois que le prix des soieries avait fait introduire les mûriers et la sériciculture dans des provinces où les conditions climatiques restaient manifestement défavorables.