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Les communautés villageoises

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Charles Higounet

Communications

Aspects de la vie de communautés landaises (fin xvie-début xviie siècle)

Anne-Marie Cocula-Vaillières

Texte intégral

  • 1 J.B. Marquette, Les Albret (1240-1360), publication des Cahiers du Bazadais, 1977-1977-1979 ; J.B.(...)
  • 2 J.B. Marquette et J. Poumarède, art. cité, p. 38.
  • 3 A.M. Cocula-Vaillières, « Permanence et changement : essai sur l’occupation du sol en Brassenx, du(...)

1Les communautés du Brassenx et de Sabres se présentent à l’époque moderne comme une oasis de peuplement née, au sud de la Grande Lande, de la présence d’un réseau de cours d’eau très ramifiés qui favorisent cultures et bois. Toutes proches de ces petites vallées, les landes servent de vacants pour l’élevage extensif de grands troupeaux de moutons. A côté de la laine, la production de miel assure une ouverture commerciale qui fait des marchands locaux des intermédiaires sollicités par leurs collègues de Bordeaux, Dax et Mont-de-Marsan. Le souci de maintenir un équilibre agro-sylvo-pastoral, vital mais fragile, explique l’existence et le développement de communautés originales dont les coutumes ont été découvertes et étudiées récemment1. Leur rédaction semble dater du milieu du xive siècle, lorsque ces communautés entrent dans le patrimoine des Albret. Inspirés par les coutumes de Labouheyre, les 62 articles des coutumes du Brassenx offrent vis-à-vis de leurs nouveaux seigneurs une garantie pour que soient préservées des libertés et des franchises, bien adaptées à « un espace rural en voie de colonisation »2. Ces coutumes sont une référence indispensable pour saisir l’évolution des communautés du Brassenx au moment où, par le hasard de l’histoire, l’héritier des Albret, Henri de Navarre, devient roi de France. Entre le Moyen Age, époque de l’élaboration et de la reconnaissance des coutumes, et les Temps modernes, période de la tutelle royale, le xvie siècle fut sans doute une étape décisive dans la vie de ces communautés landaises, même si la rareté des documents rend fragiles hypothèses et conclusions. En effet, la richesse du fonds utilisé — les archives privées du château de Castillon à Arengosse — ne doit pas faire illusion : les actes notariés qui le composent ne concernent que quelques habitants, ceux qui, degré ou de force, sont en affaire ou en procès avec le véritable fondateur de la nouvelle dynastie des seigneurs de Castillon, Jean de Baffoigne. Mais le personnage a une telle dimension et une telle longévité que son activité commerciale et son réseau de relations et de victimes sont révélateurs de l’état des communautés où il a vécu et où il a patiemment tendu la toile de sa fortune foncière, mobilière, rentière et seigneuriale3.

  • 4 J.B. Marquette et J. Poumarède, art. cité, art. 8 des Coutumes, p. 47.
  • 5 Tous les documents qui ont permis de faire cette étude font partie du fonds de Castillon (dossiers (...)

2Sans en avoir la preuve formelle, il semble que la gestion et la représentation des communautés du Brassenx ne répondent plus dans la seconde moitié du xvie siècle à l’organisation médiévale de la jurade rurale composée de quatre jurats qui représentaient les dix paroisses de la baronnie et étaient renouvelés et cooptés chaque année4. Or, dans les documents échelonnés de 1560 à 16205, nulle trace de jurat ou de jurade du Brassenx. Absence étonnante quand on mesure le rôle de premier plan des personnages, nobles et notables, qui gravitent autour de Jean de Baffoigne ! Il ne faut envisager ce changement qu’à titre d’hypothèse en soulignant qu’il correspondrait mieux désormais à l’écartèlement paroissial du Brassenx et au rôle important de la paroisse d’Arengosse qui ne devait être, au moment de la rédaction des coutumes, qu’une dépendance de celle de Bezaudun. Les seules assemblées retrouvées alors sont celles que l’on réunit pour la criée solennelle, durant quatre dimanches consécutifs, de biens saisis, terres ou maisons. Un sergent ducal chevauche d’une paroisse à l’autre pour en informer les habitants réunis devant l’église. Procédure rituelle, toujours identique. Seules changent les formules qui relatent dans les procès-verbaux le rassemblement des habitants. Leurs variations n’apparaissent pas significatives. Elles révèlent simplement le souci d’informer le plus grand nombre par voie d’affiches et à « haulte voix et cri public aux fins que personne ne prétende cause d’ignorance ». On recherche la quantité du public, non sa qualité. La réunion n’est que le prolongement d’une assistance commune à la messe dominicale.

3Au chapitre des libertés et franchises rognées par rapport au Moyen Age, on peut citer, avec certitude cette fois, la disparition de l’exonération de droits de mutations, reconnue dans l’article 3 des coutumes. Au début du xviie siècle, les droits de lods et ventes sont compris dans les seigneuries acquises en Brassenx par l’héritier de Jean de Baffoigne, son fils Jean-Bertrand. Plus tard, en 1658, lorsque leur descendant, Jean-Charles de Baffoigne, se plaint auprès du roi de la réticence de ses tenanciers à acquitter les droits seigneuriaux, il inclut naturellement les lods et ventes dans ses doléances. Il se peut qu’alors la mémoire du seigneur ait été plus courte que celle de ses tenanciers.

  • 6 M. Paul Ourliac a bien mis en valeur, pour le Midi de la France et la Catalogne, l’extension à par (...)

4En matière de droit privé, les coutumes de Brassenx ont dû connaître des modifications qui éclairent sur l’évolution économique et sociale de la région. En effet, la règle, au xvie siècle, semble bien encore celle des partages à égalité entre les enfants comme l’atteste le fractionnement des maynes ou héritages qui restent seulement des unités d’exploitation menacées par l’intrusion de nouveaux venus, racheteurs de parts familiales et promoteurs du métayage qui supplante le faire-valoir direct de laboureurs, propriétaires et exploitants. Lente, très lente mutation, sensible dans les descriptions de biens après 1550. C’est pour freiner ce mouvement, sans doute accru par la croissance démographique, que le droit d’aînesse a pu s’introduire dans certaines familles, à l’exemple de celles de la noblesse où le maintien de la condition dépend de la dimension du patrimoine. Ainsi, lors de la vente par saisie de la maison noble de Bezaudun, en 1620, l’aîné, Jean de Bezaudun, ne se contente pas, au nom de la coutume, de garantir de la saisie les 1 000 livres de dot de sa mère, Jeanne Darras, mais il se prévaut aussi de sa qualité d’aîné en rappelant les termes du contrat de mariage de ses parents : « le premier enfant masle... qui descenderois de leur mariage seroit héritier universel de tous et chascuns des biens de ses pere et mere et a deffault de masles la première tille duquel mariage... auroit été procréé »6. Ayant eu gain de cause, il se contente de dédommager ses deux frères et sa sœur. A la même époque, l’immense patrimoine de Jean de Baffoigne n’a-t-il pas été préservé et protégé par l’existence d’un seul héritier, son jeune fils Jean-Bertrand de Baffoigne ?

  • 7 J.B. Marquette, Les Albret, p. 744 à 746.

5Acquise en même temps que le Brassenx, vers le milieu du xive siècle, la baronnie de Sabres se trouve dans la directe des Albret qui peuvent seuls porter le titre de barons de Sabres. L’organisation de la communauté est à la fois mieux et moins bien connue que celle du Brassenx, car si les documents notariés retrouvés dans le fonds de Castillon sont plus riches de renseignements, il manque la référence à des coutumes médiévales pour mesurer changements et évolution. La communauté de Sabres est présentée à l’occasion de la réception de deux officiers de justice seigneuriale, le viguier et le greffier, dont les charges ont été, à titre de donation pure et simple, remises à Jean de Baffoigne, le 10 mai 1573, devant maître Darbo, notaire de Tartas, par Bertrand de Lanne, écuyer, seigneur de Sabres et de Montholieu avec droit de justice moyenne et basse. L’acte de donation prévoit que Jean de Baffoigne pourra à son tour déléguer ces fonctions à des personnes qu’il jugera capables de bien les exercer. Le 23 mai 1573, maître Bernard Destouesse présente donc, au nom de Jean de Baffoigne, deux candidats, Hélie de Bonnat et Charles Daulonx, à la viguerie et au greffe de la paroisse et baronnie de Sabres. Leur réception se fait devant le bayle, les deux jurats, le juge de Sabres et « la plus grande et saine partie des habitants assemblés pour tenir la cour ordinaire... et pour y traiter des affaires communes ». Prise de possession sans doute tout à fait classique avec la participation conjointe des représentants de la communauté et du bayle, représentant ordinaire des Albret. A un niveau subalterne, cette cérémonie ne diffère pas de celle qui est décrite au xive siècle par Jean-Bernard Marquette à l’occasion de la prise de possession d’une seigneurie dans le domaine des Albret7. Le même jour, en présence du bayle et des deux jurats, Pierre de Bertrand et Guillaume Dupin, Charles Daulonx est investi, en qualité de procureur de Jean de Baffoigne, de la jouissance d’une partie de la dîme de Sabres, vendue par Bertrand de Lanne à Jean de Baffoigne. La prise de possession à laquelle assistent aussi le vicaire de la paroisse et le procureur de Bertrand de Lanne se déroule devant l’église de Sabres, puis à l’intérieur. Le bayle et les jurats se portent garants de l’acquisition au nom du roi de Navarre. On retrouve la même collaboration entre les représentants de la communauté et ceux du seigneur dans l’exercice de la justice : ainsi, en avril 1560, les viguiers et jurats de Sabres se prononcent sur la plainte de Jean de Baffoigne contre l’un de ses clients, Jean Davan, qui lui doit 17 francs bordelais et qui, contraint de payer, a aggravé son cas en injuriant son créancier. L’affaire, instruite à Sabres et portée devant le sénéchal d’Albret, est jugée en appel par le Parlement de Bordeaux qui impose une transaction que la justice locale est chargée de faire appliquer.

6Que retenir de ces aspects de la vie des communautés du Brassenx et de Sabres dans la seconde moitié du xvie siècle ? On peut estimer qu’il y a eu à la fois désaffection des coutumes médiévales et contrôle plus étroit de l’administration des Albret, déjà bien rodée par rapport aux xive et xve siècles. Notaires, sergents, viguiers, greffiers, juges, bayles et procureurs : c’est grâce à ces hommes de terrain et d’écriture, bons connaisseurs du droit et familiers de leur territoire, que le duc d’Albret participe à la connaissance et à la surveillance des biens et des hommes de son domaine. Pour le servir dans ces fonctions apparemment subalternes se détachent quelques hommes de confiance, notables avant que d’être nobles, dont l’ascension révèle l’imbrication et la multiplicité des pouvoirs. Jean de Baffoigne est l’un d’entre eux. Mais sa carrière ne se fait pas sans à-coups, sans procès et sans abus de pouvoir qui peuvent aller jusqu’à l’usurpation comme celle du titre de baron de Sabres que seul peut porter le duc d’Albret. Or, au moins à partir des années 1578-1580, Baffoigne fait suivre sa fonction de procureur du roi de Navarre à Sabres et Labrit du titre de baron de Sabres. S’est-il cru autorisé en tant que procureur à utiliser le titre de son maître ? La réaction d’Henri de Navarre est vive : le 29 octobre 1583, Baffoigne est condamné à revendre la seigneurie et baronnie de Sabres. Revente symbolique accompagnée d’une amende de 100 écus à verser au trésorier du duché. Pour sa défense, Baffoigne invoque l’achat de la baronnie qu’il aurait fait au seigneur de Podenx pour 1 200 écus. Autorisation lui est donnée de poursuivre ce vendeur mais interdiction lui est faite de s’intituler désormais baron de Sabres. Malgré tout, Baffoigne ne résiste pas à la tentation de le faire parfois dans des documents ultérieurs. Il faut noter que l’arrêt de condamnation du 29 octobre 1583 oblige aussi Baffoigne à se désister de l’action qu’il avait intentée contre les habitants de Sabres « par devant la chambre de justice sur certains dommages et intérêts par lui prétendus ». La nature de ce conflit n’est pas précisée, mais son existence révèle la contrainte que fait peser sur la communauté le pouvoir multiforme de l’un des siens.

7Cette réussite individuelle permet aussi de comprendre quels autres dangers, plus graves à long terme, menacent ces communautés landaises : entre 1575 et 1620, le riche marchand de Sabres et son fils, promu écuyer, rachètent seigneuries et maisons nobles à des nobles locaux, endettés et parfois ruinés. Cet accaparement entraîne la disparition de petites seigneuries ou caveries landaises au profit de seigneuries plus étendues, mieux entretenues et mieux gérées dont les possesseurs portent ombrage au rôle et au pouvoir de communautés longtemps protégées par leur isolement et leur organisation économique. A cet égard, la conjoncture de la seconde moitié du xvie siècle eut sans doute une influence décisive.

Notes

1 J.B. Marquette, Les Albret (1240-1360), publication des Cahiers du Bazadais, 1977-1977-1979 ; J.B. Marquette et J. Poumarède, « Les Coutumes de Brassenx », Bull. Soc. de Borda. 1978, 1979.

2 J.B. Marquette et J. Poumarède, art. cité, p. 38.

3 A.M. Cocula-Vaillières, « Permanence et changement : essai sur l’occupation du sol en Brassenx, du xvie au xixe siècle », Histoire naturelle et humaine de la Grande Lande, en cours de publication.

4 J.B. Marquette et J. Poumarède, art. cité, art. 8 des Coutumes, p. 47.

5 Tous les documents qui ont permis de faire cette étude font partie du fonds de Castillon (dossiers Arengosse) dont les actes photocopiés sont déposés à l’Ecomusée de la Grande Lande.

6 M. Paul Ourliac a bien mis en valeur, pour le Midi de la France et la Catalogne, l’extension à partir des xve et xvie siècles de l’aînesse par la pratique de l’institution contractuelle formulée dans le contrat de mariage des parents.

7 J.B. Marquette, Les Albret, p. 744 à 746.

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