1On sait que les communautés villageoises des provinces méridionales avaient une organisation plus solide, plus élaborée que celles du reste du royaume. Nous disons communautés villageoises et nous nous efforcerons d’éviter toute confusion avec les villes à l’organisation différente, toujours plus bourgeoise, plus oligarchique à cause des tensions plus vives entre les divers groupes sociaux1.

Les fondements

2Il convient toutefois d’indiquer au préalable que les communautés villageoises étaient fondées comme celles des provinces septentrionales sur un certain nombre de liens communautaires remis en question au xviii^e siècle.

3Mentionnons tout d’abord l’assistance mutuelle qui s’exprimait de façons fort différentes : à Capvern dans les Pyrénées centrales en 1685 par l’indemnisation des propriétaires des attelages de bœufs requis pour le transport des marbres de Campan2 ; en Bas-Languedoc par des fournitures de semences aux plus démunis, ou par des « charités » ou rentes que le pouvoir municipal s’efforçait de contrôler3. Cette solidarité se retrouvait en Provence dans l’organisation des services publics. Ceux-ci concernaient les moulins, les fours, parfois une forge, une plâtrerie, des magasins de débit de pain et de la viande. Tous étaient affermés sous monopole avec obligation pour l’adjudicataire d’entretenir le matériel, d’assurer un fonctionnement conforme aux besoins des usagers, le tout au prix le plus avantageux pour le consommateur, mais la spéculation sur les marchés de gros, surtout pour les grains, créait des difficultés.

4Les biens communaux et les droits d’usage constituaient toutefois, en général, l’élément fondamental, le ciment de cette vie communautaire. On peut objecter que, dans quelques contrées, sur les collines de la Gascogne centrale et orientale, ces biens communaux se trouvaient fort réduits. Dans une étude concernant 46 communautés de Gascogne orientale, à la fin de l’Ancien Régime, nous constatons que douze communautés ne possédaient pas de biens communaux.4 Dans trois communautés seulement, les revenus étaient plus élevés que les charges locales ; dans trois autres les charges locales ne dépassaient que faiblement les revenus. Pour l’ensemble des quarante-six communautés, les revenus patrimoniaux et d’octroi ne couvraient que 67 % des dépenses locales. Peu étendus, ces communaux étaient toutefois menacés, notamment par des dédommagements aux particuliers à qui on avait pris une partie de leurs fonds pour l’établissement des nouvelles routes. Cette étroitesse des communaux n’empêchait pas toutefois une intense vie communautaire, la part des dépenses dans l’intérêt de la communauté atteignant souvent les deux tiers ou les trois quarts des dépenses communales5.

5La situation était bien différente dans les Pyrénées. A l’ouest, les Navarrais avaient résisté à l’ordonnance des Eaux et Forêts de 1669 et obtenu l’arrêt du Conseil du 22 mai 1672 qui les maintenait dans « la propriété, jouissance de leurs biens particuliers et communs, terres cultes et incultes, vaines et vagues, eaux et forêts de tout le dit pays », malgré l’ordonnance du mois d’août 1669. Quelques années après, le projet du commissaire royal Louis de Froidour consacrait, en les ordonnant, les usages suivis traditionnellement pour la jouissance collective des forêts et ses conseils inspirèrent les statuts de la vallée de Baïgorry rédigés en 1704. Cette vallée étroitement encaissée et orientée nord-sud possédait un véritable espace collectif dans la partie supérieure : le quartier des Aldudes ; au-delà se trouvaient même des pâturages collectifs en indivision avec des communautés situées sur le territoire espagnol (pays quint)6.

6Dans les Pyrénées centrales, du xi^e au xviii^e siècle, les vallées ont été en conflit avec leurs seigneurs à propos des communaux et des droits d’usage dans les forêts et les pâturages seigneuriaux, ce qui a amené une multitude de jugements et de transactions favorables ou défavorables, sanctionnant la victoire ou la défaite de la vallée ou du seigneur. J. Goy constate que ces textes étaient très habiles ; jamais ils ne contestaient l’autorité éminente du seigneur mais enfermaient les prérogatives seigneuriales dans un système serré de franchises locales, notamment dans les Quatre Vallées7. Dans la vallée de Campan étudiée par H. Lefebvre, les propriétés collectives s’élevaient jusqu’à 75 % ou 80 %. Pour échapper à l’envahissement seigneurial, la vallée avait réussi à conserver le roi comme seigneur direct ; seigneurie roturière et collective, elle possédait, sous la mouvance du roi, l’ensemble des terres ainsi qu’une montagne achetée à un noble pour laquelle elle payait un fief au roi. Disposant de droits de juridiction, de police et d’administration, elle était, en particulier, souveraine pour tout ce qui concernait l’organisation de la vie pastorale et le régime de l’irrigation8.

7Communaux et droits d’usage restaient étendus en Nébouzan et Comminges. Ainsi les habitants du lieu d’Ardiège en Nébouzan jouissaient paisiblement des bois et vacants ; en outre, ils possédaient et jouissaient en commun avec les habitants de Labarthe du bois de Monthieu « avec ses appartenances et dépendances garnies de châtaigniers et autres arbres » ; les habitants pouvaient cueillir des fruits, couper du bois pour construire, se chauffer « et autres usages », « faire dépaître le bétail en tout temps et toutes saisons »9. Les droits d’usage des habitants de la vallée de Larboust dans « les forêts et montagnes » seigneuriales voisines figuraient dans un dénombrement du 15 novembre 1540 et étaient assortis de redevances en fromage. Les communautés tiraient largement parti des ressources communautaires ; adjudications de fougères, de glands, même des fientes tout en réservant des quartiers pour l’usage des habitants10.

8Au nord de la province de Languedoc, dans le pays de Gévaudan, sur 39 procès-verbaux de délibérations communales dépouillés par R. Bernard, 21 concernent les communaux et les questions connexes : droit de dépaissance, « ténements » de bétail, nuits de « fumature », quatre les droits d’usage, un les droits seigneuriaux, huit les aspects matériels du culte, deux la désignation des collecteurs de taille, deux les travaux publics. Les communaux et les droits d’usage constituaient donc bien la préoccupation majeure des communautés villageoises du Gévaudan. Les communaux y occupaient d’ailleurs une partie importante du terroir : au moins un tiers de celui-ci dans certaines paroisses du nord-est du pays. Ces communaux étaient formés pour une grande part de landes et de pâtures médiocres appelées « herbes champestres » et louées par les communautés villageoises aux propriétaires de moutons transhumants du Bas-Languedoc. Ceux-ci, auxquels se joignait le troupeau commun du village, devaient après la levée des récoltes séjourner sur les terres des villageois pour les fumer à l’aide de leurs déjections. Les droits d’usage concernaient à la fois les communaux : pacage sur tout ou partie de la terre commune et les héritages des particuliers après la récolte : le glanage, la vaine pâture, et les forêts seigneuriales : glandage, dépaissance, coupe de bois pour la construction et le chauffage. Les concessions seigneuriales qui se trouvaient à l’origine de ces communaux comprenaient à la fois des attributions de champs et de landes et des droits d’usage dans les forêts qui restaient seigneuriales11.

9En Provence, les droits d’usage dans les forêts ou les « terres gastes » passaient pour naturels dans l’esprit des paysans. Les communautés villageoises en usèrent largement à la fin du xiv^e siècle, pour défricher, voire coloniser une partie de l’incult qui entourait les exploitations. Divers abus : incendie, coupe d’arbres de futaie ou introduction de bétail étranger, amenèrent les communautés à accepter, au xvi^e siècle, une nouvelle définition de ces droits tout en faisant échec aux restrictions seigneuriales trop prononcées. De là de multiples transactions qui fixèrent pour longtemps les droits d’usage des communautés villageoises de Provence. Le dépouillement des procès-verbaux de réaffouagement de 1728 par M. Derlange lui a permis de donner des précisions chiffrées. Sur 589 rapports dépouillés, 543 apportent des renseignements exploitables. Cinquante communautés ne bénéficiaient d’aucune « faculté » et 121 ne disposaient que d’usages partiels, 21 pour la bûcherage, 100 pour le pâturage. Restaient donc 372 communautés, soit un peu plus des deux tiers (68 %) qui jouissaient de l’ensemble des usages. Parmi celles-ci : 157 offraient les usages sur leurs seuls biens communaux, 136 sur la seule « terre gaste » du seigneur tandis que 143 en profitaient à la fois sur leurs communaux et la « terre gaste » du seigneur.

10A ces biens communaux et ces droits d’usage s’ajoutaient les banalités que les communautés s’efforçaient de racheter au xviii^e siècle. Selon les procès-verbaux d’affouagement de 1729 et l’enquête sur les biens communaux faite par l’intendance en 1765, si les seigneurs détenaient 45 % des moulins et 44 % des fours, les communautés contrôlaient 34 % des moulins et 40 % des fours12.

11Les luttes communes ont renforcé les liens communaux. Si le poids de, la féodalité est resté faible dans les Pyrénées, il n’en a pas été de même dans les deux provinces — le Languedoc et la Provence — où pourtant on trouvait les institutions communales les plus élaborées. En Languedoc, la présentation de deux ou trois noms par chaperon consulaire à pourvoir s’accompagnait parfois de diverses brimades. Les seigneurs présents sur leurs terres, les engagistes du domaine royal, les marchands et fabricants acquéreurs de seigneuries étaient enclins à se montrer plus tâtillons que les autres. Un pair de France, le duc de Luynes et de Chevreuse, ne dédaignait pas d’user de son influence pour obtenir du Parlement en 1775 un arrêt très strict vis-à-vis de la communauté de Saissac pourtant peuplée de 1500 habitants. A partir de 1740 on peut parler d’une véritable réaction seigneuriale aidée par divers arrêts du Parlement. Ce fut le cas notamment d’un arrêt rendu en faveur du conseiller de Cèles le 26 avril 1740 et plusieurs fois repris par la suite ; il tendait à accroître l’autorité de ce dernier sur les communautés de ses seigneuries et comportait diverses mesures agraires. Ces dispositions furent étendues à d’autres seigneuries par arrêt des 10 juillet et 5 septembre 1747, 26 février 1751, 9 juillet 1753, etc. L’arrêt du 13 mai 1768 qui les étendait au comté d’Agde faisait défense aux habitants d’envoyer dépaître leurs bestiaux de quelque nature et espèce qu’ils fussent, de jour et de nuit, sur les terres, prés et bois dépendant de la mense épiscopale. Mais les communautés réagissaient chaque fois qu’elles réunissaient un minimum de consensus notamment pour contester la nobilité de certains biens et l’intendant refusait rarement l’autorisation de plaider13.

12Les communautés provençales ont dû lutter pour limiter l’emprise féodale. Une minorité seulement a pu conserver ce que M. Derlange appelle une féodalité légère de type ancien. En 1729, 81 communautés, à peine 12 %, anciennes possessions comtales, plutôt des villes ou des bourgs, en bénéficiaient. A ce type s’opposait la féodalité pesante de la fin du Moyen Age. Tout d’abord 70 communautés dont les habitants n’avaient obtenu aucune transaction depuis le xvi^e siècle et se trouvaient accablés de cens, de fouages, de tasques, de banalités et même de corvées ; le plus souvent elles ne possédaient pas de vacants ou terres gastes. A ces 70 communautés s’en ajoutaient 46 autres astreintes à quelques pensions féodales qui n’amélioraient leur situation que sur des points de détail.

13Le type le plus commun « la féodalité marchandée des temps modernes » concernait au moins 300 communautés qui s’étaient efforcées d’améliorer leur condition avec plus ou moins de succès. Au xvi^e siècle les communautés ont lutté pour obtenir la suppression des banalités ou les exploiter à leur profit. Au xvii^e siècle, les communautés ont surtout essayé d’obtenir un allègement du taux des cens et des tasques ; au cours de la deuxième moitié du siècle, ces discussions se sont étendues aux redevances pour les droits d’usage et au rachat des vieux droits. Durant le premier tiers du xviii^e siècle, les communautés mirent à nouveau l’accent sur la révision ou l’extinction des cens et des tasques. Certaines communautés ont fait preuve d’une longue obstination dans leur grignotage de la féodalité. Pour arriver à leurs fins, elles ont attendu l’occasion favorable, les difficultés financières de tel ou tel seigneur, mais celui-ci a pu parfois les surmonter d’une autre façon, en vendant purement et simplement l’ensemble de la seigneurie.

14La vigueur des communautés, le soutien des procureurs du pays et de la Cour des comptes d’Aix ont d’ailleurs conduit certains seigneurs âpres au gain à procéder à des réinféodations particulières, à donner « à nouveau bail » à de nouveaux venus ; ces baux révisés réintroduisaient les tasques et revalorisaient les cens ; ces nouveaux baux correspondaient à de nouvelles colonisations, à des défrichements dans les gastes ; d’après le réaffouagement de 1728 ces procédés ont été utilisés dans 116 communautés.

15On peut parler en certains lieux d’une véritable réaction féodale ; jouant sur de vieilles transactions qui ne concernaient que certains quartiers, certains possédants-fiefs ont rétabli des tasques partout ailleurs ; une dizaine de communautés ont particulièrement illustré cette réaction féodale, notamment Ollioules dans la viguerie de Toulon, Cabris et Saint-Cézaire dans la viguerie de Grasse. Mais, même dans ce cas, les communautés ne s’inclinaient pas, plaidaient devant le Parlement, faisaient étalage de leurs charges devant les commissaires de l’affouagement et la lutte se poursuivait à la fin de l’Ancien Régime14.

16Une crise communautaire n’en existait pas moins au xviii^e siècle et ses débuts étaient antérieurs aux écrits des physiocrates.

17Dans les Pyrénées, le problème des défrichements en était souvent la cause. Certes, dans la vallée de Campan, les cadets pouvaient s’établir au-delà de la zone traditionnellement cultivée ; la communauté ne se laissait pas enfermer dans un rigoureux et immuable statu quo ; le livre des tailles de 1649 faisait apparaître un grand nombre d’ostalets et de bordes occupés par des cadets. Ailleurs, le nombre des maisons restait, en général, fixe ; les cadets étaient exclus du mariage, on ne défrichait pas, les maisons nouvelles restaient très rares. Mais l’augmentation de la population tendait à faire éclater ces structures ; celle-ci aurait doublé en Basse-Navarre de 1650 à 1750 et provoqué une colonisation de terres destinées traditionnellement au pacage. Comme les héritages cultivables étaient réservés aux aînés qui seuls siégeaient aux assemblées, on peut dire que les conflits au sujet des communaux correspondaient, en réalité, à un antagonisme politique et social15.

18Dans toute la Gascogne, la politique de défrichement de l’intendant d’Etigny tendait à réduire les communaux. D’Etigny favorisait les affièvements communaux et appliquait largement les deux arrêts du Conseil obtenus par son prédécesseur d’Aligre de Boislandry : celui du 10 juillet 1750 qui permettait aux communautés d’aliéner partie de leurs fonds communs pour payer leurs dettes ; celui du 5 mai 1750 qui autorisait l’attribution de biens communaux aux particuliers dont les biens étaient traversés par de nouvelles routes. D’Etigny remit même en question les droits de la vallée d’Ossau sur les vastes landes du Pont-Long près de Pau. Mais la vallée se défendit et, après des hésitations, en 1770, le Conseil condamna cette initiative et maintint « les habitants et communautés de la vallée d’Ossau dans la possession et jouissance de la lande du Pont-Long sauf les droits d’usage sur ladite lande appartenant à différentes communautés conformément aux titres des propriétaires ».

19L’étendue des défrichements — en Soule, en Chalosse — amena toutefois d’Etigny à modifier sa position ; les années passant, il se rendit compte qu’une certaine propriété communale était indispensable à l’élevage d’une bonne partie des habitants et il tendit à freiner le mouvement. Mais la propagande physiocratique se développait et la législation royale en portait la marque : les déclarations royales du 14 juin 1764 et du 13 août 1766 exemptaient pendant quinze ans de toutes dîmes et impositions les terres qui seraient désormais défrichées. Les arrêts du Conseil du 28 octobre 1771, du 9 mai 1773 et du 26 octobre 1777 autorisèrent, dans l’intendance, le partage des communaux par ménage à la condition que la propriété des lots restât incommutable. Ces dernières mesures provoquèrent maintes controverses et n’eurent finalement qu’une portée limitée.

20La vaine pâture et l’accès aux communaux posaient le problème des clôtures de terres. A la fin du xvii^e siècle, dans les Pyrénées, la vaine pâture était quasi générale, une fois les fruits retirés. Cependant, dès la première moitié du xviii^e siècle, certains particuliers, notamment en Béarn, se sont efforcés de soustraire à la vaine pâture au moins une partie de leurs héritages en établissant des fermetures autour de propriétés traditionnellement soumises au pacage commun. Comme ailleurs ces clôtures ne pouvaient que susciter le mécontentement des petits paysans traditionnellement attachés aux droits d’usage. Pendant plusieurs décennies, les Etats de Béarn se sont faits les défenseurs de la vaine pâture traditionnelle tandis que le Parlement de Navarre rendait plusieurs arrêts favorables à des clôtures. En 1759, les Etats ont été gagnés à leur tour par le réflexe des possédants ; ils ont demandé l’autorisation de clore toutes les terres hormis les communaux et celles situées dans les plaines « en nature de labours et prairies ». Après quelques années de résistance, d’Etigny se rallia à la clôture des terres en Béarn, à la condition que les friches ne bénéficient pas d’un traitement préférentiel16.

21L’affaiblissement de l’ancien système communautaire se manifestait aussi en Gévaudan dans le nord du Languedoc : défrichement de communaux, nourrissage excessif, accueil individuel de bétail transhumant, etc. Les habitants reconnaissaient que ces abus étaient « la principale source de disputes qui se levaient journellement entre eux »17.

22Dans l’ensemble du Languedoc, les restrictions de la vaine pâture suscitèrent beaucoup de tensions et de conflits ; dans la pratique, après l’arrêt rendu par le Parlement le 27 mars 1734, la vaine pâture se trouva limitée aux communautés où les possesseurs de fonds l’acceptaient, mais elle ne s’appliquait qu’aux champs en chaume et aux prairies entremêlées avec ceux-ci ; en outre, on ne pouvait envoyer sur les terres d’autrui qu’un nombre d’animaux proportionnel à l’étendue de ses propres biens, mesure qui tendait à écarter les petites gens. Mais ceux-ci et beaucoup de communautés résistaient à cette législation et les consuls lui opposaient souvent une véritable force d’inertie18.

23Le schéma classique sur le démembrement des communaux ne convient pas à la Provence. Ceux-ci étaient déjà fort réduits au xviii^e siècle, les seigneurs s’y étaient taillés de larges pans avant que la monarchie n’imposât le cantonnement. Les communautés avaient aussi procédé à des partages, de fort bonne heure, sous la poussée démographique de la fin du xvi^e siècle et, par la suite, la monarchie leur en avait imposé la vente quand elles étaient endettées.

24Des situations de rupture n’en existaient pas moins. On peut tout d’abord parler de rupture au seuil de l’autonomie de subsistance et de la dépendance économique : le ménager était autonome sur sa terre, le travailleur restait dépendant. Rupture de nature économique d’autre part, celle qui opposait l’économie rurale proprement dite aux diverses activités de l’économie marchande. Artisans autonomes et trafiquants étaient de véritables marginaux de la société rurale ; s’ils prospéraient, ils projetaient au-dehors les ramifications commerciales de leur activité et véhiculaient avec eux des modèles extérieurs de réussite sociale.

25Des formes de contestation apparaissaient. Quand les critères censitaires le permettaient, les travailleurs dans leurs biens et les artisans se trouvaient plus assidus aux conseils généraux. De leur côté, des artisans importants, des négociants s’infiltraient dans le consulat et les plus apparents ressentaient parfois cette poussée comme une atteinte à leur autorité.

26Les foules écartées du droit politique manifestaient contre les prix faits au marché par l’adjudicataire communal de telle ou telle ferme de service public. Tout s’aggravait en cas de crise d’approvisionnement ; la montée des prix rendait intolérable la fiscalité indirecte développée par les plus apparents, surtout le fameux piquet, l’impôt sur la farine, l’une des causes essentielles des troubles du printemps de 178919.

L’organisation municipale

27Etudions maintenant l’organisation du système municipal qui a permis de faire face à ces besoins et qui a subi les conséquences de la dégradation du système communautaire. Nous distinguons quatre modèles : le pyrénéen, le gascon, le languedocien, le provençal.

Le modèle pyrénéen

28Dans les Pyrénées occidentales et centrales, notamment en Bigorre et Béarn, on trouvait à la base du système les voisins qui occupaient les anciennes maisons ; ce terme composite désignait à la fois le lieu d’habitation, le patrimoine et la famille ; c’était l’élément de base du jeu social et, pour assurer la protection et la reproduction de cette maison, on ne désignait qu’un héritier ou héritière principal. Seuls les voisins votaient à l’assemblée générale ou vésiau. Les cadets qui gardaient des troupeaux ou, au xviii^e siècle, défrichaient des portions de communaux, ne votaient pas. Au xviii^e siècle, on pouvait acheter le droit de voisinage en Béarn. Réunis en vésiaux, les voisins déléguaient leurs pouvoirs à des consuls ou jurats et des conseils de nature variable. En outre, la vésiau désignait des députés à l’assemblée de vallée ou même aux Etats ainsi que les employés de la communauté : marguillier, berger ; elle votait la répartition des impôts et décidait des mesures d’application relatives aux règlements communautaires. Le pouvoir des seigneurs ayant toujours été très faible dans cette partie de la chaîne, l’élection des consuls ou jurats par la vésiau constituait un acte très important, bien que les bergers, brassiers et domestiques, qui constituaient souvent la moitié de la population réelle en fussent exclus. Ces consuls ou jurats faisaient exécuter les décisions de l’assemblée, déterminaient le détail de la répartition des impôts, étaient juges ordinaires ou directs, ce qui leur permettait de régler tout conflit simple entre habitants ; leur tâche étant facilitée par des traditions d’autodiscipline et de délation civique. En outre, la plupart des représentants de l’autorité locale étaient choisis parmi les possesseurs des plus anciennes maisons, les maisons casalères, celles que l’on appelait « les bonnes familles » et, à partir du xvii^e siècle, surtout parmi les notaires et les marchands. Le régime était mal vu par tous les exclus de la représentation politique ; en période de poussée démographique, cette tension était accrue par les revendications des cadets qui avaient réussi à trouver une femme.

29Il convient d’insister sur l’importance des communautés de vallées réunissant plusieurs communautés locales avec leurs hameaux et écarts et destinées à lutter contre les empiètements des pouvoirs royaux et seigneuriaux tout en étendant les espaces agropastoraux ; dans la plupart des cas, elles bénéficiaient d’une base juridique, de privilèges, de fors et coutumes arrachés au seigneur.

30Plus à l’ouest, l’assemblée qui réunissait tous les maîtres de maison portait le nom d’assemblée capitulaire en Basse-Navarre. La maison y restait d’ailleurs à la base de toute l’organisation politique et sociale. Qualifiés de voisins, les maîtres de maison de la paroisse pouvaient participer à son administration, jouir des biens communs, exercer tous les métiers en contrepartie de l’acquittement des charges.

31L’assemblée capitulaire choisissait le plus souvent les jurats parmi les maîtres de maisons anciennes ; un tour de rôle entre les maisons existait dans la vallée de Baïgorry mais dans la majorité des pays et vallées, l’assemblée capitulaire exerçait réellement un choix. En principe, seul chargé de l’administration et de la police générale de la paroisse, le jurat devait porter à la connaissance de l’assemblée capitulaire toute question dépassant la gestion courante. Le jurat convoquait et présidait l’assemblée capitulaire qui le désignait souvent comme représentant de la paroisse aux cours générales du pays ou vallée. Il procédait à la répartition des impôts en présence de délégués de l’assemblée capitulaire et désignait les collecteurs qui assuraient le recouvrement en suivant un tour de rôle établi entre les maîtres de maison. Au point de vue économique, les jurats vérifiaient les poids et mesures, surveillaient les cabaretiers, les bouchers et les boulangers.

32A l’est de la Bigorre, dans les Quatre Vallées : Aure, Neste, Barousse, Magnoac, la communauté était, en général, constituée par un village. Parfois plusieurs villages se groupaient : Sarrancolin et Ilhet, Pailhac et Jézeau, Cadeilhan et Trachère, le val d’Aragnouet comprenant Aragnouet, Eget, Le Plan, Castets.

33Seule une partie des habitants participait à l’élection consulaire, le jour de « jurade » ; c’étaient les jurats et les prudhommes, ou les habitants reçus ou encore les habitants formant la plus grande et saine partie du village. A Jézeau en 1699, vingt-cinq hommes majeurs sur quarante-cinq ne faisaient pas partie de la jurade ; c’étaient en général ceux qui payaient moins de deux livres d’imposition.

34Les mécanismes des élections étaient variés ; à Arreau, les quatre consuls sortant s’adjoignaient quatre membres de la jurade et tous ensemble établissaient une liste de huit noms ; le choix de la jurade se portait sur quatre de ces huit candidats. A Sarrancolin, les consuls en place établissaient la liste de ceux qu’ils jugeaient les plus aptes à leur succéder. Un secrétaire en donnait lecture et les proposait par groupe de trois au vote de la jurade. Quatre scrutins se succédaient, ainsi pour les quatre consuls.

35Dans la vallée des Nestes, à Labarthe, le 27 mars 1735, la jurade élisait directement les consuls bien qu’elle eût le duc d’Antin comme seigneur mais à Saint-Laurent tout proche, avec le même seigneur, les consuls sortants, sans consultation de la jurade, soumettaient quatre noms au choix du juge du duc d’Antin.

36En Barousse où les seigneurs jouaient pourtant un rôle réduit, ceux-ci choisissaient les consuls entre des sujets présentés par la jurade ou les consuls sortants. Situation analogue en Magnoac où les sujets étaient présentés par les consuls sortants, la prestation de serment se faisant entre les mains du seigneur ou de son juge.

37Les consuls répartissaient les impôts et en assuraient parfois la levée. Ils déterminaient les quartiers, forêts et pacages à interdire, l’usage des fontaines et des canaux d’arrosage, s’occupaient de l’entretien des routes, de la vérification des bornes, de l'estimation des dégâts commis aux chemins et ponts de la communauté. Disposant des pouvoirs de police, ils détenaient aussi un droit de justice civile jusqu’à 3 livres mais ne pouvaient condamner à la prison que pour injure à leur personne ou à celle des syndics généraux des Vallées20.

38Plus à l’est, en Comminges et Nébouzan, la possession de la terre, la qualité des biens-tenant permettait d’assister à l’assemblée générale. M. Molis relève toutefois une « singularité » ; tout nouvel habitant qui se fixait à Ardège était tenu d’acquitter un droit de voisinage. M. Molis relève aussi, en Nébouzan, une large participation des intéressés à la répartition de la capitation : la totalité à Gariscan, le quart à Barbazan, etc. Le pourcentage des répartiteurs était évidemment plus faible dans les localités d’une certaine importance. En général proposés par les consuls sortant de charge, assistés parfois comme à Saint-Paul par des membres de la jurade, les consuls prêtaient parfois serment entre leurs mains, connaissaient de la police et pouvaient fréquemment juger au civil jusqu’à trois livres et désigner un bayle pour les aider dans leur charge. Ils taxaient le pain, le vin et la viande, vérifiaient les poids et mesures, visitaient les dégâts ou les dommages faits par les personnes ou les animaux aux fruits des propriétaires, et plus rarement pouvaient borner et limiter les héritages21.

39Ajoutons quelques particularités pour les bourgs : un suffrage restreint comme à Saint-Frajou où l’on parlait de la plus grande et saine partie de la communauté22 ; parfois les consuls élus désignaient, comme à Saint-Plancard, un conseil pour les aider dans l’administration de la communauté ; toujours à Saint-Plancard, ils prêtaient serment entre les mains du bayle royal et pouvaient juger au criminel en concurrence avec le juge royal23.

40Plus à l’est, dans le comté de Foix, on constate parfois une dissociation du village et du consulat. La juridiction du consulat de Foix s’étendait à vingt-sept villages et comptait plus de dix mille habitants. Dans chaque village on désignait un collecteur qui rendait compte directement au trésorier des Etats mais ces villages n’avaient pas de consul et, pour la police et l’entière juridiction criminelle, ils dépendaient tous des consuls de la ville de Foix24.

Le modèle gascon

41Le régime des consulats était général en Gascogne. On trouvait dans chaque communauté d’habitants de deux à quatre consuls, le plus souvent choisis par le seigneur parmi les sujets proposés par la communauté, à raison de deux ou trois noms par place à pourvoir. Ces consuls étaient tout d’abord des officiers de police qui pouvaient parfois juger au civil jusqu’à trois livres. Ils maintenaient l’ordre, faisaient respecter les usages, surveillaient les porteurs de contrainte contre les contribuables en retard, examinaient leurs pouvoirs, taxaient les denrées, vérifiaient les poids ; ils avaient aussi autorité sur les collecteurs des impôts royaux et assuraient l’exécution des décisions de l’assemblée, bien que celle-ci pût désigner des syndics pour faire appliquer telle ou telle résolution. Cette assemblée avait gardé un caractère général dans les campagnes gasconnes ; tous les biens-tenants, parfois tous les chefs de famille y étaient admis. Seule l’assemblée pouvait engager la communauté25.

42Il existait un petit « budget » communal pour les dépenses locales. Son financement faisait l’objet d’une opération compliquée. Les « revenus patrimoniaux » qui auraient pu couvrir une partie des charges locales étaient mis « en moins imposé » sur la taille, ce qui permettait un allègement de celle-ci. Mais, en fait, on ajoutait un additif à la taille pour couvrir les charges locales. Certaines étaient imposées par l’administration. Les autres reposaient sur une autorisation tacite ou formelle de l’intendant, parfois assez ancienne. On rappelait la date de l’ordonnance quand la permission risquait d’être discutée.

43Pour 46 communautés de Gascogne orientale qui ont pu être étudiées, les charges féodales concernaient 15 communautés ; les charges parafiscales les touchaient toutes à des titres divers ; les dépenses pour le culte en concernaient 29, les intérêts des dettes 10. Les dépenses dans l’intérêt de la communauté représentaient quand même les deux tiers ou les trois quarts du total ; mentionnons : les honoraires du secrétaire (42 communautés), les honoraires des consuls (32), les gages du bayle ou valet de ville (43), les dépenses imprévues (17), l’horloge communale (16), les gages du régent (8), etc.

44On distinguait trois modes de désignation des consuls : sur présentation des consuls sortants, consultation de l’assemblée et choix du seigneur, enfin choix du seigneur s’exerçant directement sur les sujets présentés par les consuls sortants.

45Dans le premier cas, on trouvait tout d’abord des communautés comme Pouylebon, où les consuls sortants nommaient qui bon leur semblait. Plus souvent, ils proposaient des candidats au choix de l’assemblée. A Maubourguet, ils présentaient dix sujets parmi lesquels l’assemblée générale choisissait les cinq nouveaux consuls. A Lagraulet, les consuls sortants présentaient une liste de huit noms ; l’assemblée choisissait le premier consul parmi eux et celui-ci nommait ensuite ses trois collègues en les prenant sur la liste. A Saint-Sauvy, les consuls sortants présentaient une liste de huit noms au choix de neuf jurats dits « les plus qualifiés », en fait choisis également par les consuls sortants. Ces jurats retenaient parmi les huit noms proposés ceux des sujets qu’ils voulaient élever au consulat.

46Passons au deuxième cas caractérisé par le choix seigneurial. A Bivès, les deux consuls dressaient chacun une liste de noms qu’ils soumettaient à l’assemblée. Le seigneur choisissait un nom sur chacune de ces listes sans pouvoir les modifier. Au Pergain, les consuls formaient une liste de huit noms qui était d’abord soumise à l’agrément de l’assemblée ; si celle-ci l’approuvait les huit noms étaient présentés au seigneur et celui-ci choisissait parmi eux les quatre nouveaux consuls. A Léguevin, le premier dimanche de septembre, les consuls présentaient une liste de six noms — deux par rang consulaire — à l’approbation de l’assemblée. Le seigneur choisissait alors trois sujets sur les six noms proposés mais ne respectait pas forcément l’ordre dans lequel ils lui étaient proposés. Quand le seigneur formulait des exclusives, les consuls et l’assemblée établissaient une nouvelle liste en remplacement des candidats invalidés par le seigneur.

47Quant au troisième cas, l’assemblée n’était pas consultée. A Estramiac, en particulier, les consuls présentaient directement leurs successeurs au choix du seigneur ; le premier consul désignait deux candidats parmi lesquels le seigneur choisissait son remplaçant et les autres consuls faisaient de même26.

48Si les modalités de recrutement des consuls variaient d’une communauté à l’autre, ceux-ci devaient toujours prêter serment entre les mains du seigneur ou de son juge desquels ils reconnaissaient tenir leur autorité. Mais les réclamations contre les élections étaient portées devant la sénéchaussée. Les consuls sortants devaient rendre compte de la gestion des deniers royaux et communaux ; ils pouvaient être emprisonnés pour les dettes de la communauté, notamment pour des retards dans la levée des impôts royaux. C’est pourquoi les fonctions consulaires étaient souvent peu recherchées.

49Au-delà des règles et des pratiques institutionnelles, il convient de souligner l’intensité de la vie communale, de faire ressortir les liens qui unissaient les membres de la communauté villageoise. La solidarité communale se manifestait nettement à Léguevin où l’on ne constate pas de différends entre l’assemblée et les consuls. Le contrôle de l’assemblée, les révisions de comptes éventuelles ordonnées par l’intendant ou la Cour des aides, la connaissance réciproque des agissements des uns et des autres, courante dans un village, aidaient à une gestion correcte. Consuls et assemblées veillaient ensemble à l'allivrement, à la bonne répartition de la taille selon le cadastre, à la rénovation éventuelle de celui-ci. Avec le consentement de l’assemblée, le premier consul mettait en non-valeur les terres abandonnées ; en contrepartie, les consuls donnaient à bail les biens des particuliers morts sans héritier27.

50Le modèle gascon s’étendait au Quercy et à l’Agenais voisins. A Saillac-en-Quercy sur le Causse de Limogne, les biens-tenants participaient à l’assemblée générale et élisaient directement deux consuls sur proposition des consuls sortants à raison de deux noms par place à pourvoir ; ces consuls détenaient des pouvoirs de justice et de police, étaient responsables de la levée des impôts. Ils bénéficiaient de l’assistance de trois syndics, et de deux estimateurs également élus par l’assemblée générale28. A Pujols en Agenais, c’étaient aussi les biens-tenants qui siégeaient à l’assemblée et élisaient directement les consuls ; mais, en Albret, au xviii^e siècle, les agents du duc de Bouillon s’efforcèrent de réduire l’élection à la présentation de deux listes au choix définitif du seigneur. Ce fut le cas à Sainte-Bazeille où les consuls se soumirent après force protestation.

51Ajoutons quelques remarques relatives à l’étendue des consulats. Dans le modèle gascon, consulats et paroisses coïncidaient en général et on ne trouvait que rarement de très grandes communautés unissant plusieurs paroisses. Quelques exceptions toutefois : en Astarac la ville et perche de Mirande qui s’étendait à dix-huit villages ; dans les Landes, la communauté de Brassens dont la superficie avait, au xvi^e siècle, la valeur d’un canton29. En Agenais, la communauté correspondait, en règle générale, à la juridiction. Elle pouvait donc englober plusieurs paroisses ; la juridiction de Castelcuilier regroupait Saint-Amans, Saint-André, Saint-Denis-Lasgourgues et Cabalsant. Combedonnet englobait les paroisses de Combedonnet, Engayrac, Cambot, Gardaille et Saint-Sixte30.

52Mal connues les communautés du Rouergue ne différaient pas profondément des communautés gasconnes. L’assemblée générale y constituait l’institution fondamentale. Quel que fût le nombre des participants, ceux qui comparaissaient constituaient les « principaux habitants » ou « la plus grande et saine partie de la communauté ». On constate une grande diversité sociale quand les professions étaient mentionnées ; on ne peut pas dire pour le moment qu’il y ait eu un minimum censitaire. La réunion se tenait le dimanche à l’issue de la grand-messe ; la fréquence de ces réunions ne paraît pas régulière ; l’élection des consuls avait lieu au début de septembre ; une réunion pour les questions fiscales se tenait vers la fin de l’année. On relève six réunions à Saint-Rome-de-Cernon entre les élections consulaires de 1736 et 1737.

53Le nombre des consuls variait de deux à quatre ; la procédure de nomination avait été fixée par un règlement de la Cour des aides de Montauban qui remontait à 1666. Chaque consul sortant proposait deux ou trois noms à l’assemblée. Officiers de police, ils prêtaient serment, portaient le chaperon, s’engageaient à poursuivre les blasphémateurs, à bien gouverner la communauté, à conserver ses privilèges, à faire la collecte des impôts royaux en faisant au besoin des avances. Il existait un petit budget communal dont la charge s’ajoutait aux impôts royaux : réparations à l’église, gages du régent, du valet de ville, de « celui qui monte l’horloge », etc.

54Ici aussi les communautés correspondaient à une ou plusieurs paroisses. Une tentative de regroupement de treize communautés situées sur les pentes de l’Aubrac eut lieu en 1747 mais cette expérience échoua31. En 1789, les trois élections de Rodez, Villefranche et Millau comptaient 700 communautés ce qui nous amène à penser que les communautés du Rouergue comprenaient en général une ou deux paroisses32.

Le modèle languedocien

55Le régime des consulats était quasi général dans la province de Languedoc de Toulouse au Rhône. Elus pour un an, les consuls ne pouvaient être réélus qu’après un intervalle de cinq ans. Dans la majorité des communautés, les trois quarts dans le diocèse de Carcassonne, les seigneurs choisissaient entre des candidats présentés par le conseil. Dans ce cas, les consuls demandaient, en général, au seigneur haut justicier, son consentement avant de procéder aux élections. L’évêque de Lodève était plus strict ; les consuls devaient solliciter une autorisation écrite dans les localités dont il était le seigneur particulier. En outre, des évêques indiquaient parfois le nom du sujet qu’ils désiraient voir accéder au premier consulat quand ils se trouvaient dans cette situation. L’intervention du seigneur se limitait, toutefois, en général, au choix entre les candidats présentés par la communauté. Une fois élus, les consuls prêtaient serment devant le seigneur ou son juge ou encore son viguier.

56Les consuls correspondaient à un rang ou échelle dans la plupart des communautés, conformément à un arrêt du Conseil du 20 septembre 1689 relatif aux conseils politiques du Languedoc. Le système le plus fréquent était le suivant : 1^er rang, bourgeois ; 2^e rang, ménagers et boutiquiers ; 3^e rang, artisans et brassiers33. Une certaine confusion au niveau des rangs existait toutefois dans les petites localités. Ainsi, à Lespignan où les bourgeois n’étaient pas nombreux, les riches ménagers accédaient au premier consulat ; les ménagers aisés occupaient régulièrement le deuxième, tandis que les brassiers petits propriétaires parvenaient au troisième. En revanche, à Fleury, le respect des rangs était strict au niveau des consuls : premiers consuls bourgeois, seconds consuls ménagers, artisans exclus du troisième consulat. A Saint-Hilaire, les bourgeois défendaient avec vigueur leur monopole du premier consulat, mais sous la poussée des paysans riches, ils furent obligés d’admettre des premiers consuls ménagers à partir de 1762. A Montréal, bourg de plus de 2 000 habitants possédant une véritable bourgeoisie, les contestations relatives au rang furent tranchées par un arrêt du Conseil en date du 13 mars 1787 qui imposa des critères censitaires d’après les biens figurant au cadastre tant pour le consulat que pour le conseil politique : 8 livres d’allivrement pour le premier rang, 6 livres pour le deuxième rang, 4 livres pour le troisième rang, 3 livres pour le 4^e rang.

57Les consuls étaient proposés par un conseil avec lequel ils partageaient l’administration de la communauté. Il s’agissait, à l’origine, d’un conseil général groupant tous les chefs de famille ou tous les contribuables. Des conseils plus restreints ou politiques avaient fait de bonne heure leur apparition. Ces conseils ont été généralisés à la suite d’une délibération des Etats en date du 23 novembre 1688. Arguant de la détresse financière, les Etats avaient demandé au roi d’établir un conseil politique dans les communautés qui n’en étaient pas pourvues. Ce conseil devait comprendre les « bons habitants » ayant un certain allivrement divisés en trois classes : les plus allivrés, ceux qui l’étaient médiocrement, ceux qui l’étaient moins. Un arrêt du Conseil, en date du 20 septembre 1689, approuva la délibération des Etats et, par la suite, les répertoires administratifs affectèrent de ne mentionner que ces sortes de conseils. Le conseil politique pouvait être renforcé par un nombre d’habitants égal à celui des conseillers et choisis, soit parmi les plus riches, soit par le doublement de chaque catégorie représentée au conseil. Un mémoire rédigé en 1766 mentionnait aussi des assemblées générales ou conseils généraux. Mais l’intendant Saint-Priest écrivait en marge : « N’ordonner en aucun cas des assemblées générales ».

58Les récents travaux de G. Fournier ont pourtant montré que les conseils généraux continuaient à se réunir dans les diocèses civils de Carcassonne, Narbonne et Béziers vers le milieu du xviii^e siècle. Pour les dix-huit communautés pour lesquelles la situation est connue dès 1750, neuf ne possédaient qu’un conseil général, six faisaient alterner un conseil général et un conseil politique ; seules trois communautés ne disposaient que d’un conseil politique. Ces conseils généraux dépourvus de règlements ne suivaient pas une pratique locale clairement définie. Les comptes rendus étaient souvent rédigés sur des feuilles volantes et le contenu des délibérations restait fort réduit car le secrétaire aurait dû traduire très vite des propos tenus en occitan. De 25 % à 70 °7o des contribuables fréquentaient les conseils généraux. Ajoutons que les conseils généraux et les conseils politiques paraissent avoir coexisté dans certaines localités du Gévaudan.

59Quant aux conseils politiques, ils ne comprenaient que les consuls sortis de charge dans les petites communautés ; au contraire, dans les communautés plus importantes, on trouvait, en général, douze conseillers renouvelables par moitié chaque année et divisés en trois rangs correspondant chacun à un groupe social : bourgeois, ménagers, artisans et brassiers. Les conseillers étaient, en général, renouvelés par cooptation en accord avec les consuls.

60D’une façon générale, le conseil politique était moins représentatif que le conseil général. Il ne faut pas toutefois exagérer son caractère oligarchique. En certains lieux, les conseillers se faisaient remplacer par des parents, parfois des non-conseillers prenaient part aux débats. Les conseils politiques admettaient souvent au dernier rang les brassiers petits propriétaires tandis que les riches ménagers siégeaient au premier rang. A Fleury, les bourgeois avaient longtemps voulu se réserver le premier rang mais ils ont dû l’ouvrir aux riches ménagers à partir de 1775. A Capestang, quatre rangs permettaient une large représentation, des bourgeois aux tout petits propriétaires : 1^er rang, bourgeois ; 2^e rang, riches ménagers et boutiquiers ; moyens et petits ménagers au 3^e rang ; artisans et tout petits propriétaires au 4^e rang. Finalement, en dehors des bourgs industriels, la fortune foncière l’emportait de plus en plus à la fin de l’Ancien Régime et les critères censitaires tendaient à l’emporter sur la stricte hiérarchie socio-professionnelle. Si le conflit entre conseil général et conseil politique a dominé la vie de beaucoup de petites communautés, les querelles au sujet de la composition des conseils politiques n’ont pas manqué, surtout dans les bourgs.

61Ajoutons que le conseil politique a peu marqué la vie municipale de certaines communautés du Toulousain qui connaissaient un grand développement de la propriété foraine. Les affaires les plus importantes étaient tranchées par un conseil des contribuables qui se réunissait à Toulouse et où la plupart des propriétaires paysans n’avaient pas la possibilité de se rendre.

62Les consuls répartissaient la taille réelle et jouissaient de pouvoirs de police qui leur permettaient de veiller au bon ordre, à la propreté des rues et à l’observation du repos dominical. Ils surveillaient les poids et mesures, taxaient les denrées de première nécessité, faisaient estimer les dégâts causés aux récoltes sur pied par les personnes et les chevaux. Ils pouvaient infliger des amendes pour les infractions qui relevaient de leurs pouvoirs de police. Quand une communauté voulait préciser les limites de l’autorité consulaire, elle insistait toujours sur l’exercice de la police entendue dans un sens large. Beaucoup de serments consulaires insistaient longuement sur la fonction de police qui permettait de nombreuses interventions dans des domaines divers.

63Comme en Gascogne, les revenus des biens patrimoniaux étaient mis en moins imposés sur la taille ce qui permettait un allégement de celle-ci et les dépenses communales ordinaires fixées par règlement s’ajoutaient à la « mande royale ». Comme les sommes disponibles pour les « cas inopinés » restaient en général insuffisantes : 100 l. à Capestang, 40 l. à Alairac, 15 l. à Villar, il fallait solliciter fréquemment l’autorisation de l’intendant pour des dépenses extraordinaires.

64Cette tutelle n’empêchait pas une grande vitalité des communautés languedociennes qui surveillaient attentivement la confection ou la révision des cadastres ou compoix et ne manquaient pas de contester la nobilité de certains biens ou de réclamer des indemnités. Beaucoup de communautés s’efforçaient de contrôler des moyens de production comme les moulins à huile, des approvisionnements comme la boucherie. Conscient de la solidarité communale, l’intendant refusait rarement l’autorisation de plaider ; il essayait certes de réduire les frais si la communauté dépassait le montant autorisé mais finissait par s’incliner. En outre, comme le reconnaissait en 1786 l’intendant Ballainvilliers, des communautés entreprenaient des travaux et faisaient des procès sans autorisation, grâce à des quêtes et des revenus dissimulés.

65Ces communautés du Languedoc jouissaient d’un grand prestige à la fin de l’Ancien Régime tant auprès des syndics généraux du Languedoc que du gouvernement royal. L’intendant voyait d’un bon œil la généralisation des conseils politiques tandis que les Etats considéraient la communauté comme la cellule de base de la constitution du Languedoc et les notables ne se plaignaient pas d’une évolution qui tendait à accroître leur rôle34.

66Il ne faut pas toutefois trop exalter le système. Même dans les lieux où ils dominaient, petits et moyens propriétaires abandonnaient volontiers la gestion courante à la première classe faute de temps et d’instruction.

Le modèle provençal

67La communauté d’habitants provençale jouissait de libertés fondamentales que les juristes du xviii^e siècle ont fort vanté en les représentant comme inhérentes à la personnalité du pays et fondées sur le principe de la souveraineté des habitants pour l’élection de leurs responsables et la gestion des intérêts collectifs. Le gouvernement communal qui reposait au début sur la coutume a été peu à peu défini dans des règlements mi-politiques, mi-administratifs que l’on trouvait dans la plupart des villages et étaient homologués par le Parlement d’Aix.

68A la base du système existaient deux conseils : le conseil général et le conseil ordinaire. Le conseil général était à l’origine un « conseil général de tous les habitants » mais il convenait d’entendre « habitants » dans un sens restrictif : les chefs de famille pouvant justifier d’une domiciliation foncière, les descendants et successeurs des emphytéotes ruraux. Ces « conseils généraux, de tous les habitants » s’étaient maintenus dans beaucoup de communautés dépourvues de règlement et se fiant aux usages ; un tiers des communautés au moins, surtout situées en Haute-Provence, bénéficiaient d’un pareil conseil général.

69Dans toutes les autres communautés, on trouvait un conseil général restreint soit par un système censitaire, soit par élection. La réduction du conseil général par un système censitaire reposait sur l’allivrement, l’estimation des biens possédés d’après le cadastre, mais la valeur des livres cadastrales variant d’une communauté à l’autre, il est difficile d’apprécier au premier abord la portée de cet allivrement. A Biot, un allivrement à deux sous ouvrait le conseil général à 43 % de la population masculine active, soit 70 % des ménagers, 50 % des artisans, 30 % des travaileurs. Ce système favorisait partout les bourgeois, les gens de robe et les marchands mais laissait une large place aux ménagers ; la moitié, les trois quarts d’entre eux entraient au conseil général. En revanche, on n’y trouvait que les artisans aisés et fort peu de travailleurs.

70Le conseil général restreint pouvait être aussi recruté par l’élection. Dans ce cas, on ajoutait, en général, un certain nombre d’habitants-conseillers à un conseil ordinaire assez étoffé. L’élection des habitants-conseillers le jour de la désignation des consuls constituait le procédé normal.

71Mais certaines communautés allaient plus loin et ne faisaient pas appel aux habitants. A La Ciotat, le conseil général comprenait le conseil ordinaire en place plus le « conseil vieux » dont on avait exclu les trois consuls pour éviter les accusations d’accaparement. Quelques règlements prévoyaient le nombre et la qualité des appelés : à Seillans, les « six des principaux du lieu », à Ceyreste, trois des « plus apparents », à Viens dans la viguerie d’Apt, « les six habitants bourgeois qui font ordinairement séjour dans le village ».

72La division par rangs : bourgeois, marchands, ménagers et artisans introduisait pour « les plus apparents » une garantie supplémentaire. Dans certains cas, ces rangs pouvaient d’ailleurs correspondre à un allivrement cadastral progressif. A Salernes, le conseil général comprenait dix-huit conseillers répartis en deux rangs : six pour le premier rang, douze pour le second rang. Cent cinq habitants, soit 88 % des ménagers et des travailleurs, pouvaient accéder au rang inférieur, tandis que quarante-six personnes, surtout bourgeois, marchands et ménagers, pouvaient figurer dans le rang supérieur35.

73Un conseil ordinaire ou particulier se réunissait autour des consuls, discutait des affaires et mettait au point les projets à soumettre au conseil général. Le conseil particulier siégeait pour les affairs ordinaires ; le vrai critère ne paraît pas avoir été l’importance de l’affaire mais l’intérêt que lui portait la population ; en outre, le conseil général pouvait demander au conseil ordinaire de s’occuper d’affaires qui lui revenaient. Chaque année, les membres du conseil ordinaire étaient renouvelés en même temps que les consuls lors de la formation du « nouvel état ».

74Il existait, en général, dans le conseil ordinaire des rangs correspondant aux rangs du conseil général. Comme nous l’avons vu, ces rangs se retrouvaient parfois parmi les habitants-conseillers du conseil général restreint par élection.

75Un exécutif au sens large se trouvait entre les mains des consuls élus chaque année par le conseil général. Contrairement à ce qui se passait dans la majorité des communautés villageoises de Gascogne et de Languedoc, il s’agissait d’une véritable élection et non d’une présentation au choix du seigneur. Le juge seigneurial appelé d’ailleurs l’autorisant se bornait à légaliser la réunion par sa présence.

76Ces consuls devaient remplir certaines conditions de rang et d’allivrement. On distinguait, en général, trois rangs socio-professionnels : bourgeois, marchands et professions libérales, ménagers et artisans. Dans les petites communautés, les artisans et les ménagers pouvaient quand même se hisser au deuxième rang. Mais il fallait aussi en général un minimum d’allivrement, un minimum de propriété foncière figurant au cadastre. Comme en Languedoc, vers la fin de l’Ancien Régime, l’allivrement tendait à devenir plus important que le rang socio-professionnel.

77Les juristes provençaux du xviii^e siècle insistaient beaucoup sur l’importance et le rôle des consuls. L’abbé Coriolis écrivait : « Les communautés ne connaissent d’autres administrateurs que leurs consuls. » Ces consuls disposaient de pouvoirs politiques étendus qui s’ajoutaient à leurs pouvoirs de police. Ils convoquaient les divers conseils et avaient seuls le droit d’y faire des propositions. Le rôle financier particulier de la province, « la liberté de s’imposer », leur permettait de jouer un rôle financier beaucoup plus important que celui des consuls du Languedoc. Les procureurs du pays indiquaient à chaque communauté la part qu’elle devait supporter des abonnements d’impôts royaux et des deniers provinciaux. Les dépenses locales s’y ajoutaient bien entendu.

78Ainsi les consuls ne se bornaient pas à passer les baux pour les revenus patrimoniaux et les banalités appartenant à la communauté ; ils proposaient au conseil général les impôts : taille réelle, rêves, éventuellement capage qu’il fallait lever pour comprendre leur insuffisance. Consuls et conseil général pouvaient ainsi mettre l’accent sur l’impôt foncier direct, ou l’impôt à la consommation. Principaux propriétaires fonciers de la communauté, les « plus apparents » du consulat et du conseil général avaient tendance à utiliser surtout les rêves qui pesaient sur l’ensemble de la population.

79Les consuls participaient à la désignation du « nouvel état » en proposant leurs successeurs et nommaient quelques officiers municipaux subalternes. Ceux-ci, beaucoup plus nombreux que dans les communautés du Languedoc et de la Gascogne, étaient toutefois souvent élus par le conseil général après la désignation des consuls. Selon les communautés, on trouvait de deux à quatre auditeurs des comptes devant lesquels se rendaient les comptes de l’année précédente. Ils proposaient leurs successeurs dont les noms étaient soumis à l’approbation ou au choix des conseils généraux. Plus originaux, les regardateurs, que l’on trouvait aussi dans le comté de Nice, assuraient la police économique ; ils contrôlaient la qualité des denrées sur les marchés et dans les boutiques, surveillaient les produits de l’artisanat local, contrôlaient les adjudications et vérifiaient les poids et mesures. Les regardateurs sortants proposaient, en général, leurs successeurs au conseil général mais, dans quelques lieux, ceux-ci étaient nommés par les consuls. Autres officiers subalternes originaux, les estimateurs qui évaluaient la valeur cadastrale des biens-fonds et les dégâts causés aux cultures et aux bois tant par les hommes que par le bétail. Indiquons encore deux officiers subalternes que l’on retrouvait ailleurs : le trésorier nommé en principe pour un an mais qui restait souvent en place pour des mandats supplémentaires, le greffier ou secrétaire qui assistait aux diverses séances des conseils et mettait les délibérations au net dans un registre particulier. Comme le trésorier, le secrétaire restait souvent en place pendant plusieurs années à cause de la pénurie de candidats valables36.

80On peut parler d’institutions communales élaborées. La supériorité provençale nous paraît incontestable sur deux points : l’absence de choix seigneurial et « la liberté de s’imposer ». Notons encore que les divers systèmes électoraux remettaient le pouvoir d’élire à un ensemble de propriétaires, grands et petits, qui font penser aux citoyens actifs de la Constituante et que les divers « rangs » ou groupes sociaux étaient associés aux décisions et à la gestion. Mais, tous ces systèmes, même les plus démocratiques, tendaient à confier le pouvoir, surtout le poste de premier consul, aux « plus intéressés », aux « plus apparents », c’est-à-dire aux tenants de la richesse foncière.

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81La communauté villageoise existait sous l’Ancien Régime, tout spécialement dans les provinces méridionales. Certes, le choix seigneurial dans la majorité des cas, le barrage censitaire ailleurs, la considération qui s’attachait au rang, la nécessité de connaître et pratiquer le français pour accéder aux postes de responsabilité, surtout au premier consulat, éloignaient de la démocratie.

82Mais l’influence des notables, « les plus apparents » de la Provence a largement survécu à la Révolution et un débat pourrait s’instaurer sur le fait de savoir à quelle date on a atteint ou on n’a pas atteint une véritable démocratie communale.