1Il ne peut être question ici d’étudier les lieux colonisés par les Vikings et les Normands, mais seulement de poser un problème et d’essayer de le résoudre... En effet, si tous les envahisseurs ont laissé des traces, la plupart du temps des camps, les Vikings n’auraient pas marqué le sol de retranchements militaires ! Du moins, aucun n’est attesté ! Auraient-ils donc procédé autrement que leurs descendants normands, qui, lors de leur conquête de l’Angleterre, de l’Irlande, du sud de l’Italie, se sont mis à y édifier des enceintes circulaires et des mottes ?

2Pourtant, dans leur pays d’origine, la Scandinavie, ils connaissaient bien l’art de la défense. Ils construisaient de remarquables ouvrages de terre et de bois, aussi importants que le Danewirke, ou les fameuses enceintes circulaires de Trelleborg, Aggersborg, Fyrkatt ou Odense.

3N’auraient-ils donc effectué que des raids « éclairs » ? Certes, au début de leur expansion, qui dura plus de deux siècles, ils en firent beaucoup. Mais souvent aussi, les chroniques ou annales nous apprennent qu’ils séjournaient des mois ou des années, et même dès le début du ix^e siècle, dans des îles, près des fleuves et principalement à leur embouchure, où ils disposaient donc de bases et, forcément, de camps fortifiés... Or, précisément, les enceintes circulaires, fréquentes dans les territoires conquis par les Normands, et les mottes ne seraient-elles pas non seulement des camps de Normands, mais aussi et d’abord de Vikings ?

4Il n’y a pas lieu de voir dans toutes les enceintes et dans toutes les mottes l’œuvre des Vikings et des Normands, même s’ils sont allés partout en Europe, et de tomber ainsi dans le travers des archéologues des générations précédentes, qui, trop empreints de « romanité », voyaient dans toute levée de terre et toute enceinte quadrilatérale le témoin du passage de César : en effet, les fouilles de mottes, même si elles restent trop rares jusqu’à ce jour pour tirer des conclusions, inclineraient plutôt à faire penser qu’elles furent plus nombreuses après l’an 1000 et se sont multipliées dans le cadre propice de la féodalité (d’où leur qualificatif de « féodales » qui n’est pas toujours exact, puisqu’elles auraient été d’abord castrales).

5Il faut bien observer, en faveur d’une origine plus ancienne et Viking, que, d’abord, les mottes, comme les enceintes, qui sont également présentes en Scandinavie, où malheureusement elles demeurent trop peu connues et fouillées, ainsi qu’il sera vu plus loin, apparaissent en Europe à peu près en même temps que les Vikings (si l’on tient compte, toutefois, que leur datation actuelle très imprécise serait sujette à une marge d’erreur de 50 à 200 ans suivant les cas1, et qu’elles peuvent donc être vieillies, ainsi que des textes et d’autres indices nous y invitent2), et qu’ensuite, partout ailleurs qu’en Scandinavie, les fortifications antérieures aux Vikings, ou du moins aux Normands, étaient toujours, semble-t-il, quadrilatérales et polygonales, ou alors d’un tracé irrégulier, et correspondaient à des enceintes le plus souvent plus vastes, du type curtis ou oppidum, dans la tradition de la Protohistoire3 !

6Les enceintes circulaires sont même très anciennes dans les pays nordiques ! Dans l’île suédoise d’Oland, quinze ont été recensées et, d’après les recherches et fouilles de Marten Stenberger4, auraient été élevées à l’époque des invasions. Leur occupation a duré jusqu’à l’expansion viking. Les plus petites mesurent 40 mètres de diamètre et les plus grandes 200 mètres. Ce même archéologue les compare à celles des régions voisines (il en compte des centaines en Estonie, en Lettonie, ou dans le Brandebourg !) ou des Pays-Bas, comme le « Hunnenschans », au bord de l’Uddel Meer, fouillée par J.-H. Holverda, ou encore de Rhénanie, comme celle du Pipinsburg, fouillée par C. Schuchhardt.

7En Normandie, M. de Bouàrd en a fait un recensement5, et, à son instigation, des fouilles ont été entreprises, par exemple à Buchy. Elles y apparaissent généralement6 de petite taille (30 ou 40 m de diamètre) et s’appellent quelquefois le bayle (ou « besle »). Selon M.-C. Bezenger ce toponyme pourrait précisément venir du danois « bol » ou « boel », qui signifie « installation agricole nouvelle7 » !

8Pour les archéologues allemands8, d’après leurs recherches en Rhénanie, ainsi que pour M. de Bouard, qui retient cette hypothèse, ces enceintes correspondraient à de premières résidences seigneuriales. En serait-il autrement des mottes que des enceintes, et l’hypothèse d’une origine également nordique de ces dernières ne serait-elle pas à envisager9 ?

9Les Normands, suivant la chronologie actuelle et si l’on ne tient pas compte des constructions de terre des pays frisons, dont certaines, comme il sera indiqué plus loin, sont tout à fait identifiables à des mottes et bien plus anciennes que partout ailleurs, ont été parmi les tout premiers à en élever, ainsi que des enceintes circulaires, dans leurs conquêtes et les y ont propagées !

10Mais si l’hypothèse de leur origine viking doit être retenue, dans ces pays conquis, où leurs ancêtres vikings étaient déjà venus souvent, ne serait-il pas logique de rencontrer ces fortifications ? Ainsi, en Angleterre, des mottes danoises devraient être un jour identifiées. Mais la rareté des recherches archéologiques, les insuffisances de notre connaissance de la céramique de cette période en Europe et plus généralement de l’habitat, font qu’il n’est pas du tout sûr qu’une motte, estimée normande, ne soit en réalité danoise10 et ne puisse remonter aux premières installations vikings ! Cependant, il a déjà été établi que quatre mottes, d’après des textes, étaient antérieures à la conquête normande11. Et les Saxons n’en ont pas édifié ! Il apparaît donc que les Danois auraient très bien pu introduire les mottes dans ce pays, avant les Normands, et qu’en cela il n’y ait rien d’étonnant, puisque ces deux peuples ont la même origine et que ces derniers les ont introduites en Normandie...

11Si les Normands n’ont donc pas plus inventé les mottes en Normandie que les Danois en Angleterre et si celles-ci y étaient inconnues avant leur colonisation, comme partout ailleurs en Europe, semble-t-il, ou bien elles représentent un nouveau type de fortification mis au point par les Vikings pour leurs besoins (il est à noter qu’il leur est particulièrement bien adapté, par la rapidité de son élévation et le peu de défenseurs qu’il requiert, tout comme il le sera plus tard, pour les mêmes raisons dans la société féodale), ou bien elles constituaient déjà un moyen de défense caractéristique des contrées d’où ils venaient !

12L’argument opposé, qui vient à l’esprit, est que ces nouvelles défenses auraient pu être tout aussi bien inventées dans les pays conquis contre les envahisseurs ! L’exemple de la conquête de l’Irlande par les Normands n’incite pas à abonder dans ce sens, ni surtout la présence d’ouvrages de cette sorte en Frise en grand nombre et très anciens, ni même les quelques recherches sur les mottes Scandinaves... Il semble, de plus, difficile d’admettre devant l’ampleur et la simultanéité de ce phénomène, qu’il ait été spontané et que chaque région envahie ait réagi par le même genre de fortification, en renonçant à leurs enceintes traditionnelles et en négligeant souvent les ressources locales en sites défensifs naturels à aménager ou réaménager !

13En Irlande, en effet, selon R.E. Glasscock, qui y a dressé la carte de répartition des mottes, il existe une parfaite corrélation entre leur présence et les zones d’occupation normande12.

14C’est en Frise que la tradition nordique des ouvrages de terre a laissé le plus de vestiges. Dans ces régions basses et marécageuses, le souci de protection contre les eaux s’est ajouté à celui de défense militaire et, suivant les périodes, a même pu l’emporter, comme avoir été à leur origine. Cette primauté, jointe à cette priorité, a fait croire que ces tertres artificiels de terre, appelés « Terpen » en Frise néerlandaise et « Wurten » en Frise allemande, n’avaient rien à voir avec les mottes13. Il est vrai que, le plus souvent, ils sont beaucoup plus grands, n’ont pas de fossés et que les quelques fouilles, dont ils ont été l’objet, n’ont pas permis de conclure à une fonction militaire !

15Deux auteurs néerlandais, cependant, P.L. Tack et C.V. Tréfois14 ont envisagé une parenté entre ces « Terpen » et les mottes. Plus récemment, M. de Bouàrd avouait qu’il existait bien une correspondance troublante entre eux, non seulement typologique, mais d’après les résultats de fouilles de « Terpen », comme ceux de Tofting ou Feddersen-Wierde en Frise allemande ou de Borssele aux Pays-Bas, et de mottes, comme celles du Husterknupp ou du Büderich en Rhénanie15. Ces recherches révèlent un même type d’installation, résultant d’exhaussements successifs du niveau habité, à partir d’une résidence située sur le sol plan. A Douai, se déroulent actuellement les fouilles du château à motte des comtes de Flandre, qui viennent de mettre au jour une structure analogue, comprenant une série stratigraphique s’étendant de l’époque mérovingienne (Période I) jusqu’au xii^e siècle (Période V16).

16Certains de ces tertres frisons remontent à la Protohistoire17 et forment de véritables « tells » supportant un village et pouvant être à l’origine d’une ville actuelle18. Le mot « Terp » est l’équivalent du néerlandais « Dorp » et de l’allemand « Dorf », signifiant « village ». Dans ces cas, les « Terpen » ont effectivement perdu de leur ressemblance avec les « mottes féodales », telles que nous sommes habitués à les voir ! Mais le processus d’édification ne demeure-t-il pas le même ? Le « Terp », à l’origine, ne constitue-t-il pas une « motte », par le talutage ou « emmottement » d’un bâtiment, pour le mettre à l’abri des inondations ? Et dans l’esprit de leurs constructeurs peut-on faire abstraction de tout souci de défense militaire ? En quelque sorte, la motte serait un « Terp » à usage essentiellement militaire ailleurs qu’aux PaysBas et qui n’aurait pas eu le temps de se développer comme dans ce pays, parce qu’il n’aurait été « exporté » que tardivement par les Vikings et abandonné à partir du xiii^e siècle au profit de « maisons fortes » ou de châteaux forts de pierre. En Frise, il existe cependant des mottes féodales proprement dites ; mais celles qui ont été étudiées, ne dateraient que du xii^e ou xiii^e siècle. Ne constitueraient-elles pas une nouvelle génération de « Terpen », à fonction nettement militaire ? Et au moment des incursions de Vikings en Frise, qui fut conquise de 843 à 888, les précédents « Terpen » n’ont-ils pas pu former des défenses toutes prêtes, et n’y en a-t-il pas eu de nouveaux édifiés ? Et si les Vikings ne les connaissaient pas, n’ont-ils pas pu, à ce moment-là, d’abord en pâtir et les éprouver, puis les adopter ? En tant que voisins des Frisons pouvaient-ils les ignorer et n’y a-t-il vraiment aucun espoir d’identifier des mottes de cette époque en Scandinavie ?

17D’abord, en ce qui concerne les « Terpen » et leur vocation civile exclusive, qui les distinguerait arbitrairement des mottes, il faut bien constater non seulement que les fouilles complètes et modernes ont été rares19, mais qu’en plus les nombreuses phases d’occupation (sur mille ou deux mille ans et plus, au lieu de quelques siècles pour les mottes) et réaménagements du site, ainsi que les destructions dues à l'affouillement des eaux et à l’humidité, ont dû provoquer la disparition de toutes traces de fossés et de palissades, seuls témoins d’une éventuelle fonction de défense. Ces dernières, toutefois, pouvaient être remplacées par des haies d’épines, formant des barrages très efficaces, si l’on en croit César ou des récits du Moyen Age20 ! La toponymie nord-ouest européenne, très riche en lieux-dits « la Haie » ou « l’Epine », confirme cette antique tradition, qui nous fait comprendre qu’une simple enceinte de terre ou une motte aient pu très bien être défendues par ces haies et doivent être considérés comme d’authentiques fortifications et non pas forcément comme de simples enclos agricoles (ou culturels, pour la Protohistoire), parcs ou refuges à bestiaux, ou comme des moyens de défense plus symboliques que réels. Si la motte est souvent sous-estimée, n’est-ce pas parce qu’on n’envisage pas que ses versants étaient vraisemblablement couverts de haies épineuses et qu’elle ne constitue elle-même qu’un « émottement » et non pas un support élevé ? Le talutage préservait la base du bâtiment des coups de bélier et de la sape et, quand celui-ci était assis sur un roc, par son apport de terre permettait de planter ces précieuses haies, qui seules expliquent la présence de mottes sur des pitons rocheux, où elles n’ont vraiment aucune autre utilité21.

18D’autre part, en Frise allemande, l’étude d’un petit « Terp » (ici appelé « Gehöft-Wurt »), à Woltersberg, près de lever, vient de révéler le seul exemple, à ce jour et à notre connaissance, de donjon à motte, entouré de fossés et de remparts, remontant à la fin du ix^e siècle, d’après les découvertes, qui y ont été faites, et selon les informations données par W. Haarnagel22. L’éminent archéologue allemand, que nous avons consulté à ce sujet, reconnaît que les mottes ressemblent par leurs dimensions et par leur structure aux « Wurten » de la nouvelle génération du ix^e siècle, qui s’étend sur toutes les Frises, et pense qu’ils ont servi (ceux, du moins, qui manifestement étaient fortifiés) contre les envahisseurs ! Mais justement au ix^e siècle, se produisent les raids vikings et leur conquête de la Frise. Ces nouveaux « Wurten » n’étaient-ils pas édifiés contre leurs invasions ? Ceux, qui n’ont pas laissé de traces de fossés ni de palissades, ne les ont-ils pas vu s’effacer pour les raisons évoquées ci-dessus ? W. Haarnagel admet, par ailleurs, l’hypothèse que les Vikings aient pu apprendre des Frisons à construire des « Wurten ». Ne pas tenir compte de tels faits ni de telles hypothèses c’est refuser à cette génération de « Wurten », contre toute vraisemblance, toute relation avec les invasions vikings et tout rôle militaire ; c’est aussi refuser aux Frisons ce que les Vikings, ou du moins leurs descendants normands, ont su faire : entourer de tels tertres de fossés, dresser des palissades..., c’est-à-dire construire des mottes, que ces mêmes Frisons, pourtant, sauront bien faire un peu plus tard, aux xii^e et xiii^e siècles ; c’est enfin ignorer le site de Woltersberg et fermer les yeux sur cette ressemblance entre mottes et « Wurten » ou « Terpen »... Si, au contraire, les mottes ne représentent qu’une nouvelle génération de ces derniers, les Vikings n’auraient-ils fait que les adopter comme défense et les propager en Europe ? Ne pouvaient-ils pas déjà les connaître ?

19En Scandinavie, les recherches sont, à notre connaissance, actuellement inexistantes, sauf au Danemark, où il y a eu quelques fouilles de mottes par V. La Cour et H. Stiesdal23. Mais celles-ci n’ont révélé que des sites, qui, semble-t-il, ne remonteraient pas au-delà du xii^e siècle ! Faut-il en conclure, comme M. de Bouàrd l’a fait, qu’il n’y en aurait pas de plus anciens ? H. Stiesdal, lui-même, ne le pense pas et n’exclut pas, loin de là, que des mottes aient pu exister antérieurement24.

20Un autre argument, avancé contre ce vieillissement des mottes, est qu’au ix^e siècle la céramique, dans toute l’Europe, est très différente de celle des xi^e et xii^e siècles et que, jusqu’à présent, elle n’a jamais été rencontrée dans aucune d’entre elles25. Outre qu’il faut se garder de généraliser en présence de si peu de fouilles par rapport au nombre de mottes, ces recherches paraissent suffisantes, au contraire, pour montrer que cette évolution ne concerne pas toute l’Europe. Ainsi, cette différence n’apparaît pas dans le Finistère, où la poterie dite « onctueuse » perdure au-delà du ix^e siècle et même jusqu’au xii^e26, ou dans le Maine, où des bassines ou charniers de terre analogue à la poterie dite en « oeil-de-perdrix », ou « tête-de-chouette », ont été fabriqués du viii^e au xi^e siècle, et même jusqu’au xv^e27. Et, dans le nord de l’Europe, si effectivement la poterie funéraire du type de « Tating28 » et les cruches dites « frisonnes » changent de forme et de décor après le ix^e siècle, ne serait-ce pas à cause des progrès du christianisme qui en ont transformé l’usage, et que de funéraires elles sont devenues utilitaires ? Si, avant le ix^e siècle, elles étaient funéraires, pourquoi, en effet, les rencontrerait-on dans les mottes29 ?

21D’autres indices incitent à ne pas trop vite conclure qu’il n’y aurait pas de mottes anciennes au Danemark ou dans les autres pays Scandinaves. A Jelling, par exemple, le tertre sud de ce remarquable ensemble archéologique, fouillé par E. Dyggve30, qui croyait se trouver en présence d’un tumulus, n’a recelé aucune tombe, mais un dispositif de pieux minces à l’intérieur, de forme rhomboïdale et long de vingt mètres, et au sommet les vestiges de ce qui apparaît comme une « tour de guet » ou un donjon. Une découverte semblable a été faite dans la motte d’Abinger (Surrey), où une tour du même genre a été mise au jour. Le site de Jelling date du x^e siècle. D’autre part, les fouilles ont montré que cet immense tertre de 78 mètres de diamètre résultait de trois phases d’exhaussement. La construction de pieux appartient à la première ; une épaisse couche d’herbe marque la seconde phase d’occupation, sans que cependant ces fouilles, qui n’ont pas concerné l’intégralité du site et reprennent de premières recherches ayant eu lieu en 1827 et 1875, en aient révélé des preuves matérielles.

22En Norvège, les fouilles de Ragnehaugen, le plus grand tertre artificiel de ce pays (95 m de diamètre), par A. L’Orange en 1867-1870 et par S. Grieg en 1939-1940, ont également prouvé qu’il ne s’agissait pas d’un tumulus et mis au jour, sur trois niveaux, une couche de troncs d’arbres disposés en pile au centre et horizontalement à la périphérie, et, au niveau du sol, quatre couches de cendre de foyers. S. Grieg ne s’est pas prononcé sur la destinée de ce tertre, le rapprochant seulement des tumulus d’Uppsala, ou évoquant la possibilité d’un bûcher ou d’une « colline du thing31. » Les archéologues Scandinaves sont donc dans la plus grande perplexité. On peut se demander si, comme en France au xix^e siècle et dans l’ignorance où ils se trouvent sur les mottes, ils ne prennent pas tout simplement des mottes pour des « tumulus-cénotaphes ». De plus, il y a tellement de tumulus dans ces pays qu’il ne serait pas étonnant que pareille confusion se fasse et que, sur le lot, ils n’aient pas encore eu l’occasion de tomber sur une motte caractérisée, d’autant plus que les constructions de bois étaient quasiment générales et que le bois est particulièrement périssable ou laisse des traces difficiles à détecter, surtout lorsqu’on s’attend à autre chose et que la fouille est partielle... En Suède, à notre connaissance, aucune motte n’a été mentionnée. Seul le fort de Birka, sans autre argument, est cité par R. Pörtner32, comme étant une « motte fortifiée de l’époque viking ».

23Les enceintes urbaines du type Birka ou Haithabu, composées d’un immense rempart, avec château-refuge extérieur, mais attenant, ne sont pas sans ressemblance, du point de vue conception défensive, avec les « basses-cours » flanquées de leur motte. Ce phénomène nouveau de renforcement de la protection civile militaire, qui est peut-être apparue avec les grandes enceintes circulaires soit du type d’Ismantorps borg, de l’île d’Öland, abritant presque une centaine de maisons33, soit de celui de Trelleborg, si toutefois ce dernier n’était pas qu’un camp militaire, se manifeste très tôt en Scandinavie et constitue une sorte d’« incastellamento » nordique. Les « borgar » Scandinaves, les « burhs » saxons, les « bourgs perchés » du sud de l’Europe, qui ont déjà en commun la même étymologie et auxquels peuvent s’apparenter les châteaux à motte, n’appartiendraient-ils pas à un même phénomène européen et ne procéderaient-ils pas de mêmes traditions d’origine nordique comme celle des envahisseurs, qui repeuplèrent l’Europe par vagues successives, depuis les Cimbres et Teutons jusqu’aux Vikings ? Quelle différence fondamentale y a-t-il entre un « castelnau » du Midi de la France, composé d’un château et d’une enceinte, un « castrum » comme Haithabu, et un château à motte et son « bayle » ? Et n’est-ce pas précisément dans le Nord que ces deux derniers sont les plus anciens ? Pourquoi ne pas envisager une telle dimension européenne, à laquelle nous invitent cette communauté d’origine et les exemples protohistoriques, comme celui de la civilisation des « Champs d’Urnes » ?