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Châteaux et peuplements

 | 
Charles Higounet

Communications

Les mottes féodales et le peuplement de la haute vallée du Gers

Jean-Michel Lassure

Texte intégral

  • 1 Ces recherches ont donné lieu aux articles suivants : C. et J.-M. Lassure, La motte féodale n° II (...)

1La prospection d’une bande de terrain triangulaire ayant le Gers pour axe et délimitée à l’est par la Gimone et à l’ouest par la Petite-Baïse (71 communes, 61 000 hectares) a permis de recenser 43 mottes féodales qui, du point de vue typologique, se répartissent en deux catégories : circulaires, avec un profil d’ogive tronquée, et rectangulaires. Les mottes pourvues d’une basse-cour sont peu nombreuses ; trois cas de mottes multiples ont été relevés1.

  • 2 P. Laverdure, Le château et la chapelle du Goua, commune de Monléon, (Hautes-Pyrénées), dans Revue (...)

2Les sites choisis pour leur implantation sont divers. Pourtant, dans cette région où la dissymétrie des vallées gasconnes est particulièrement accusée, la plupart sont établies sur les promontoires et les collines du versant regardant l’ouest tandis que deux seulement sont sur le versant opposé en pente douce : sur son rebord abrupt dominant le lit du Gers pour la motte n° Il de Panassac, à mi-versant pour celle de Matalanes à Labarthe. Une seule (Le Goua à Monléon-Magnoac2) est en bordure d’un cours d’eau.

  • 3 Châteaux et peuplement en Gascogne (Gascogne gersoise) aux xie, xiie, xiiie siècles, thèse de 3e c (...)

3Indice de la persistance au haut Moyen Age de la structure agraire élaborée au cours de la période gallo-romaine, mais aussi, comme l’a souligné B. Cursente3, témoignage du souci des seigneurs « de ne pas trop se couper de la partie la plus riche et la plus peuplée de leurs domaines en implantant leur château », nombre de ces mottes sont voisines de l’emplacement qu’occupait une villa à l’époque gallo-romaine (Masseube, Panassac, Samaran, Sabarros).

  • 4 Le Tuco de Panassac, dans Revue de Gascogne, 1882, p. 275 et lettre de ce chercheur publiée par A. (...)
  • 5 La villa gallo-romaine de Gelleneuve. Commune de Mouchan (Gers), dans Mémoires de la Société arché (...)

4Les fouilles ont d’ailleurs montré que — en ce qui concerne la Gascogne — l’abandon des villas romaines ne fut pas toujours total après leur destruction au début du ve siècle : ainsi à Saint-Pé-d’Ornézan, où L. Lartet a constaté que des « murs plus récents auxquels paraissaient se rapporter des fragments de poteries semblables à ceux du Tuco de Panassac » (motte no I), existaient « à côté des murs gallo-romains en petit appareil4 ». Dans d’autres cas, elles ont révélé l’existence, au voisinage immédiat de ces dernières, d’installations médiévales qui, parfois tardives, prouvent la permanence du centre domanial (fouilles de G. Fouet à Gelleneuve, commune de Mouchan5).

5Reste à établir à quelle date eut lieu le transfert de ce dernier sur un site différent et l’apparition des châteaux sur motte qui, semble-t-il, lui est liée.

6Si certaines familles seigneuriales telles les Panassac sont citées dès la fin du xe siècle, les documents ne font mention que tardivement de leurs châteaux. Moncassin et Castillon (commune de Villefranche-d’Astarac), qui étaient aux comtes d’Astarac, apparaissent au xiie siècle, les autres au siècle suivant seulement : Boussens (motte no II de Samaran) (1215), Lagarde (1220, mais signalé comme étant détruit depuis un certain temps déjà), Bernet (1245), Clermont et Esclassan (1265).

  • 6 Voir M. De Boüard, Manuel d'archéologie médiévale. De la fouille à l’histoire, Paris, p. 93, à pro (...)

7L’archéologie permet de rectifier sensiblement les données de la documentation écrite puisque des tessons de poteries semblables aux plus anciens livrés par plusieurs mottes féodales de la haute vallée du Gers ont été trouvés à Saint-Blancard en même temps qu’un denier des comtes de Toulouse frappé au xie siècle ou au début du siècle suivant. Même si elle est insuffisante, cette indication est précieuse : il est fort probable que, comme dans le reste de la Gascogne, les châteaux sur motte sont apparus dans la région qui nous concerne au plus tard dans le courant du xie siècle. Il se peut cependant que le phénomène ait pris naissance plus tardivement dans le Magnoac (partie méridionale de la région étudiée) où les mottes sont pratiquement toutes rectangulaires6.

Fig. 1. — Carte de répartition des mottes féodales de la haute vallée du Gers. 1. Motte circulaire ; 2. Motte rectangulaire ; 3. Motte avec basse-cour ; 4. Mottes multiples.

8Des mécomptes accompagnèrent ce mouvement de transfert des centres domaniaux et d’érection de châteaux sur motte. Des réajustements furent nécessaires. C’est ce qui advint à Panassac où une première motte érigée dans un bas-fond fut assez vite abandonnée et remplacée par un ouvrage plus vaste placé en bordure de la vallée du Gers.

9D’autres mottes furent rapidement abandonnées : les mottes nos I et II de Masseube l'étaient vraisemblablement déjà vers 1142 lorsque l’abbaye de Sère céda à celle de l’Escaledieu la portion de la haute vallée du Gers où elles se trouvaient.

10La plupart des mottes recensées eurent cependant une existence assez longue et se trouvaient sur un site assez accueillant pour qu’un village ou un bourg naisse et se développe à leur voisinage.

  • 7 En 1303, le seigneur de Saint-Blancard, Pierre d’Orbessan, relève les habitants de la garde du châ (...)

11Les documents écrits ou archéologiques ne permettent pas de connaître exactement le processus qui aboutit à la création de ces agglomérations nouvelles. Elles ont pu être le fait de la volonté seigneuriale aussi bien que l’aboutissement du regroupement progressif de la population du domaine, attirée notamment par la possibilité de refuge en cas de danger qu’offrait la forteresse seigneuriale. Des raisons de commodité ont dû jouer, car celle-ci était à la fois centre administratif et judiciaire ; elle faisait aussi l’objet de corvées d’entretien et de garde7.

  • 8 P. Laverdure, Rapport sur les fouilles archéologiques du « Baverc » (commune de Lassales), Tarbes, (...)

12Si quelques-uns de ces bourgs et villages ont un nom d’origine prélatine (Aussos, Sabarros) ou perpétuant le souvenir d’un domaine antique (Esclassan, Samaran, Aujan, Panassac), ils forment dans l’ensemble une couche bien distincte dans la toponymie de la haute vallée du Gers. La plupart comportent dans leur désignation un élément orographique (Mont ou Pouy) ; quelques-uns tirent leur nom de l’ouvrage en terre qui a suscité leur naissance (Lamothe) ou de l’édifice que portait celui-ci Lassales8). (D’autres fois, le nom du village rappelle le rôle de surveillance et d’observation que jouait la fortification (Lagarde).

13Ces agglomérations sont de trois types : étagées sur le flanc escarpé d’un éperon, en contrebas du château qui est placé de façon à protéger le côté le plus accessible (c’est le cas de Monléon qui, avant d’être supplanté par Castelnau, fut la première capitale du Magnoac) ; alignées de part et d’autre d’une unique rue qui emprunte la crête de l'éperon à la tête duquel se dresse la motte. L’église paroissiale fait la transition entre le village et le château (Samaran, Pouy). L’agglomération est parfois légèrement à l’écart (Moncassin) mais il est possible qu’elle arrivait à l’origine jusqu’au pied de la motte ; réparties en ordre plus ou moins lâche au voisinage de la motte et de l’église. A Mont-d’Astarac et, semble-t-il, à Panassac, les maisons du village étaient groupées à l’intérieur d’une enceinte, respectivement à l’Est et à l’Ouest de la motte. A Arrouède, elles sont encore aujourd’hui rassemblées à l’Est et au Sud de cette dernière tandis qu’à Esclassan et à Saint-Ost la structure villageoise est au contraire assez distendue.

14Un cas de restructuration, au début du xive siècle, de village subordonné à une motte, a pu être étudié de façon détaillée. Une transformation radicale du village de Saint-Blancard fut en effet opérée à la suite d’un accord conclu en 1303 entre le seigneur, Pierre d’Orbessan, et les habitants pour « la construction d’un nouveau castrum près de l’ancien ».

  • 9 La motte ne fut pas détruite ; ses vestiges sont encore visibles dans le parc du château actuel.
  • 10 L’église se rattache au type V (églises à nef unique et abside semi-circulaire avec contrefort axi (...)

15Cet accord se traduisit dans les faits par : l’abandon du château sur motte9 et la construction d’un nouveau château, en pierre cette fois, plus au Nord ; l’enfouissement, sous les déblais du fossé de ce nouveau château, de l’église et de son cimetière10 qui sont transférés au Nord-Est du château primitif ; la destruction du village existant et la création de toutes pièces d’un nouveau village dont les habitations sont mises à l’abri derrière des fortifications.

  • 11 Op. cit., p. 89-92. Ces mêmes seigneurs d’Orbessan procédèrent à la fin du xiiie siècle et dans le (...)
  • 12 Voir Ch. Higounet, Cisterciens et bastides, dans Le Moyen Age, 1950, p. 78.

16L’initiateur de ce remodelage fut un de ceux que B. Cursente11 appelle « seigneurs de rang moyen ». Ses motivations semblent être du même ordre que celles qui incitèrent les comtes d’Astarac à fonder toute une série de bastides sur leur domaine (Masseube, 1274, Aujan et Meilhan, 1280, Mirande et Pavie, 1281) : si pour ces derniers, il s’agissait de faire obstacle à la pénétration du pouvoir royal dont l’implantation de villes nouvelles était l’instrument12, pour les seigneurs tels les d’Orbessan, il fallait faire face à un pouvoir comtal qui, s’affirmant toujours plus, les rabaissait d’autant.

  • 13 Ce four n’a jusqu’ici fait l’objet que d'une brève note (C. et J.-M. Lassure, Un four de tuilier m (...)

17Nous avons vu que le remodelage du village de Saint-Blancard s’était soldé notamment par l’abandon de la motte. Les données de l’archéologie semblent indiquer que la plupart des mottes de la haute vallée du Gers cessèrent d’être occupées dans le courant du xive siècle. La poterie la plus récente que l’on y trouve — elle se caractérise par une pâte gris cendré, rêche au toucher — a en effet été recueillie, à Saint-Blancard, dans le comblement de la chaufferie d’un four de tuilier, en association avec un double parisis de Charles IV le Bel(3e émission du 24 juillet 1326) et une obole d’Edouard Ier (1272-1307) ou d’Edouard II (1307-132713).

  • 14 Voir B. Cursente, op. cit., p. 36-37.

18La plupart des bourgs et villages de la haute vallée du Gers sont donc nés — dans le courant de ce xie siècle qui fut une des périodes heureuses de l’histoire de la Gascogne14 — au voisinage d’un château sur motte.

  • 15 L’architecture civile, dans Histoire de la Gascogne des origines à nos jours, Roanne, 1977, p. 273

19Cette origine castrale a fréquemment laissé des traces fort nettes dans la topographie. Comme l’a naguère souligné H. Polge, nombreuses sont les communes — en particulier dans le sud du département du Gers — où l’on note la disposition suivante : « A l’ouest une butte tronconique, ou une levée de terre quadrangulaire cernée de fossés ou, plus rarement, un château encore debout ; à l’est, l’église, généralement mieux conservée, orientée et entourée du cimetière. Chose remarquable, la paroissiale est toujours en contrebas du château, qui la domine parfois jusqu’au niveau du clocher, voire au-delà15. »

20Bien des problèmes restent à résoudre à propos de ces mottes, le plus délicat étant celui de la datation qui implique une meilleure connaissance de la céramique médiévale. Nous ignorons presque tout des châteaux qu’elles portaient et de la vie des gens qui y résidaient ; nous ne savons rien des maisons édifiées dans leur voisinage lorsque se créèrent les villages.

  • 16 Une des mottes de la haute vallée du Gers — la motte no I de Panassac (Tuco de Panassac) — a été i (...)

21Si nous voulons des réponses, il faudra agir vite. Depuis que nous étudions les mottes de la haute vallée du Gers, nous avons enregistré la destruction de plusieurs d’entre elles, d’autres ont été défigurées par des travaux de nivellement, d’extraction de terre ou la construction de bâtiments. Certaines ont même fait l’objet de fouilles clandestines16.

Notes

1 Ces recherches ont donné lieu aux articles suivants : C. et J.-M. Lassure, La motte féodale n° II de Panassac (Gers), dans B.S.A.G., 1975, p. 37-51 ; J.-M. Lassure, Mont-d’Astarac (Gers), Notes d’archéologie et d’histoire, dans B.S.A.G., 1976, p. 357-382 ; ID., A propos des fouilles archéologiques effectuées en 1889 dans la cour du château de Saint-Blancard (Gers), dans B.S.A.G., 1977, p. 343-360 ; ID., Un manuscrit inédit de Louis Lartet sur le « Tuco » de Panassac, dans B.S.A.G., 1978, p. 297-309 ; ID., Les mottes féodales de Masseube (Gers), dans Darentiacum, Revue de la Société drancéenne d’histoire et d’archéologie, Actes du IVe Colloque d’archéologie médiévale sur les châteaux à motte (Drancy, 7 et 8 octobre 1978), vol. I, p. 1-25 et B.S.A.G., 1979, p. 291-309. Nous avons également publié un Inventaire bibliographique des mottes féodales du Gers (dans Annales régionales, C.D.D.P., Auch, no 2, février 1976, 140 p.).

2 P. Laverdure, Le château et la chapelle du Goua, commune de Monléon, (Hautes-Pyrénées), dans Revue de Comminges, 1952, p. 101-104 (Goua provient de vadum : gué).

3 Châteaux et peuplement en Gascogne (Gascogne gersoise) aux xie, xiie, xiiie siècles, thèse de 3e cycle, Université de Bordeaux III, 1978, p. 60.

4 Le Tuco de Panassac, dans Revue de Gascogne, 1882, p. 275 et lettre de ce chercheur publiée par A. Lavergne (Mélanges épigraphiques, dans Revue de Gascogne, t. XXIV, 1883, p. 13). À Séviac, des fouilles récentes ont montré que la « grande villa résidentielle du Bas-Empire » avait au ve siècle « été transformée en petites habitations groupées autour d’un lieu de culte » (voir J. Lapart, Fouilles archéologiques de Séviac. Études du matériel archéologique. Essai de chronologie, Mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, 1978, p. 90).

5 La villa gallo-romaine de Gelleneuve. Commune de Mouchan (Gers), dans Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, 1961, p. 32. L’établissement agricole qui prend place entre la villa et ces installations n’a pas été retrouvé mais rien n’exclut qu’il ait effectivement existé, le site de Gelleneuve n’ayant pu être que partiellement fouillé.

6 Voir M. De Boüard, Manuel d'archéologie médiévale. De la fouille à l’histoire, Paris, p. 93, à propos des mottes des Pays-Bas, du Danemark ou à l’est de l’Elbe.

7 En 1303, le seigneur de Saint-Blancard, Pierre d’Orbessan, relève les habitants de la garde du château sur motte qu’il va abandonner au profit d’un château en pierre édifié un peu plus au nord (J.-M. Cazauran, Découverte archéologique à Saint-Blancard, dans L’Appel au peuple, numéro du 30 mars 1889 ; J.-M. Lassure, op. cit., p. 357-358 et 360.

8 P. Laverdure, Rapport sur les fouilles archéologiques du « Baverc » (commune de Lassales), Tarbes, 1934 ; ID.. Les fouilles du tumulus de Lassales (1934-1937), Toulouse, 1942.

9 La motte ne fut pas détruite ; ses vestiges sont encore visibles dans le parc du château actuel.

10 L’église se rattache au type V (églises à nef unique et abside semi-circulaire avec contrefort axial) défini par P. Mesplé dans son étude sur les plans des églises romanes du Gers, dans Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1971, p. 78. Elle était entourée de tombes à logette dans la construction desquelles on avait employé des marbres antiques.

11 Op. cit., p. 89-92. Ces mêmes seigneurs d’Orbessan procédèrent à la fin du xiiie siècle et dans les premières années du siècle suivant à une restructuration de l’habitat subordonné à leur château d’Ornézan, dans la vallée du Gers (B. Cursente, op. cit., p. 144-145).

12 Voir Ch. Higounet, Cisterciens et bastides, dans Le Moyen Age, 1950, p. 78.

13 Ce four n’a jusqu’ici fait l’objet que d'une brève note (C. et J.-M. Lassure, Un four de tuilier médiéval à Saint-Blancard (Gers), dans Archéologie médiévale, 1975, p. 441-442).

14 Voir B. Cursente, op. cit., p. 36-37.

15 L’architecture civile, dans Histoire de la Gascogne des origines à nos jours, Roanne, 1977, p. 273.

16 Une des mottes de la haute vallée du Gers — la motte no I de Panassac (Tuco de Panassac) — a été inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques par arrêté du 24 juillet 1979.

Table des illustrations

Légende Fig. 1. — Carte de répartition des mottes féodales de la haute vallée du Gers. 1. Motte circulaire ; 2. Motte rectangulaire ; 3. Motte avec basse-cour ; 4. Mottes multiples.
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