Châteaux et peuplements
|Rapports
« Castra » et castelnaux dans le Midi de la France (xie-xve siècles)
Texte intégral
- 1 Le problème de la perception de l’entité occitane au Moyen Age a bien été analysé par R. Mussot-Go (...)
- 2 Voir, en dernier lieu, l’Histoire de l’Occitanie, dirigée par A. Armengaud, Paris, 1979.
1Cette contribution à l’étude du thème « châteaux et peuplements » a pour cadre le Midi de la France ; un territoire qui couvre approximativement les trente-deux départements français où l’on parle ce que l’administration royale du xiiie siècle nomme la lingua occitana1. Chacun pour une part, Occitanie et Midi évoquent ce qui constitue la spécificité de ces pays : ici la permanence d’un milieu naturel, là une civilisation qui connaît son apogée au xiie siècle2. Cependant, ces deux vocables rendent imparfaitement compte du fait que cette originalité résulte de la juxtaposition complexe de situations particulières. Unité et diversité, donc, des terres occitanes.
- 3 Nous renvoyons à ce sujet à la récente synthèse de P. Bonnassie, L’Occitanie, un État manqué ?, da (...)
2La diversité se lit à plusieurs niveaux. On l’appréhende d’abord comme l’assemblage ou l’affrontement de quelques grands ensembles. Les conditions naturelles individualisent nettement un Midi aquitain, un Midi méditerranéen, et une vaste étendue de massifs montagneux. La géographie des dominations révèle, aux xie et xiie siècles, un territoire déchiré entre les influences antagonistes de trois grandes Maisons : celle de Barcelone, celle de Toulouse, et celle de Poitiers, relayée après 1154 par les rois-ducs Plantagenêts. Au cours de la première moitié du xiiie siècle, la majeure partie des pays occitans passe sous le contrôle direct des rois capétiens, à la faveur de la Croisade anti-albigeoise, qui est venue abolir la virtualité d’un État occitan3. Au niveau inférieur, la diversité du Midi se manifeste dans la juxtaposition d’une poussière de petits « pays », dont le compartimentage général du relief renforce le particularisme. Cette diversité se lit aussi dans les mille et une tribulations d’une féodalité turbulente, qui se greffent souvent sur la rivalité des trois « grands », et dont les guerres bausenques fournissent la plus célèbre illustration. Quel contraste aussi, enfin, entre le littoral septimanien, tôt fécondé par le grand commerce, et tous ces cantons reculés que l’on rencontre au cœur des Alpes, des Pyrénées, du Massif Central ou de la Gascogne ! Pourtant, si on prend le parti de ne considérer que la résultante des cas d’espèce, quelques lignes de force apparaissent, que l’on peut tenir pour caractéristiques des structures socioéconomiques du Midi de la France : l’importante proportion de paysans cultivant librement leurs tenures, l’archaïsme des techniques agricoles ; les formes spécifiques que prennent la militarisation et la « féodalisation » de l’aristocratie.
- 4 Thèses de M. Gramain (sur le Bas-Languedoc), G. Demians d’Archimbault (Rougiers), M. Fixot (Proven (...)
- 5 Dans l’attente de la publication de sa thèse, on dispose d’un nombre important d’articles de G. De (...)
- 6 G. Fournier, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen Age, Paris, 1962 ; La défe (...)
3Sur quel matériel érudit avons-nous pu nous fonder pour tenter de bâtir l’esquisse de synthèse que constitue ce rapport ? Le temps nous ayant fait défaut, nous nous sommes limités à quelques sondages dans la masse des publications anciennes et des revues locales d’érudition. Plusieurs travaux de première importance ont été récemment publiés, mais d’autres se trouvent en cours, ou bien dans l’attente d’une publication4. Par bonheur, depuis 1971, la chronique des fouilles qui paraît annuellement dans la revue Archéologie Médiévale, permet d’avoir une idée partielle de l’avancement des recherches archéologiques en chantier. Au total, entre les sites et les régions convenablement étudiés, subsistent de vastes zones d’ombre ou de pénombre. Cette discontinuité, au surplus, est aggravée par une certaine hétérogénéité de la couverture érudite. Notre question, en effet, présente plusieurs angles d’attaque possibles. Mme Démians d’Archimbault a opté pour la fouille exhaustive et exemplaire d’un site soigneusement choisi ; et nous aurons maintes fois recours ici aux leçons du village disparu de Rougiers5. M. Gabriel Fournier est à la fois le pionnier, le praticien et le théoricien d’une méthode synthétique qui consiste à combiner plus souplement, dans le cadre d’une étude régionale, les apports des textes, de la toponymie, des photographies aériennes, de l’archéologie du paysage, et de sondages ponctuels6. Entre ces deux pôles méthodologiques, chaque chercheur trouve sa voie, en fonction de sa formation et de ses possibilités matérielles de travail.
4Plaqué sur la mosaïque occitane, cet ensemble d’études discontinues se présente au premier abord comme une collection de cas d’espèce. Pour fondre ces éléments en une synthèse qui ne paraisse point trop insipide, nous avons dû prendre quelques risques : privilégier délibérément un centre d’intérêt, et bâtir un certain nombre d’hypothèses, sans doute discutables, et, nous l’espérons, discutées. L’axe de réflexion autour duquel s’organise ce rapport nous a été fourni par la remarquable convergence de la production érudite autour de deux constatations :
5Dans les premières décennies qui suivent l’an 1000, l’habitat rural est très généralement dispersé en une multitude de petites cellules inorganiques ;
6Deux à trois siècles plus tard, selon les régions, l’habitat est complètement ou partiellement regroupé en bourgs fortifiés, que les textes latins nomment castra, de la Méditerranée à l’Atlantique.
7Ainsi, durant le haut Moyen Age, l’habitat rural du Midi a connu une véritable révolution, d’où est sorti, pour l’essentiel, le réseau d’agglomérations villageoises qui caractérise les campagnes actuelles. La bisémie du mot castrum, à la fois forteresse seigneuriale et bourg fortifié, témoigne du rôle décisif, essentiel, joué par les châteaux dans cette mutation. Trois aspects seront successivement abordés. Selon quel processus et quelle chronologie les castra se sont-ils mis en place ? Quel a été leur devenir depuis leur formation jusqu’à l’orée du xvie siècle ? Quelles sont les structures caractéristiques de ces bourgs ?
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8On a longtemps pensé que les incursions sarrasines étaient directement responsables du perchement de l’habitat dans les régions méditerranéennes (de même, dans une moindre mesure, que les invasions normandes dans le domaine atlantique). Ces assertions sont aujourd’hui généralement abandonnées : des migrations vers des sites de hauteur se sont alors effectivement produites, mais elles n’ont pas donné lieu à des implantations structurées et durables. La réorganisation de l’habitat rural, dans sa forme la plus fréquente, est donc concomitante de la multiplication, à partir des années 950, des résidences aristocratiques fortifiées, que les textes nomment le plus souvent castrum, plus rarement castellum, rocca, turris, motta. Malheureusement, la documentation qui couvre ces décennies décisives qui chevauchent l’an 1000, est très généralement indigente, sinon inexistante.
- 7 Fournier, Peuplement rural, p. 365-399.
9La Basse-Auvergne paraît à cet égard une des régions les moins mal servies par les textes7. Ici, les castra apparaissent timidement passé 900 pour se multiplier franchement à partir de la fin du xe siècle. Il s’agit alors de châteaux sur motte, qui résultent du réaménagement de l’ancienne demeure aristocratique, ou bien de constructions nouvelles édifiées à proximité. Lieux de refuge, centres administratifs, souvent dotés d’une église, parfois d’un marché, ces forteresses exercent très vite une puissante attraction sur les villages voisins. Plusieurs indices, archéologiques et écrits, attestent dès la fin du xe siècle et le xie siècle, l’existence d’un habitat rural autour de certains châteaux. En définitive dans cette région, à la fin du xie siècle, la concentration autour des châteaux d’un habitat jusqu’alors dispersé est un processus largement amorcé, sans qu’il soit encore question de véritables enceintes villageoises subordonnées.
- 8 M. Fixot, La motte et l’habitat fortifié en Provence médiévale, dans Château Gaillard, t. VII, Cae (...)
- 9 J. de Font-Réaulx, L’origine des villages du Sud-Est, dans Bull. phil. et hist. du Comité des Trav (...)
- 10 E. Baratier, Les communautés de Haute-Provence au Moyen Age. Problèmes d’habitat et de population, (...)
- 11 E. Magnou-Nortier, La société laïque et l’église dans la province ecclésiastique de Narbonne, de l (...)
- 12 W. Hensel et collab., Dans l’Albigeois, le château et le village de Montaigut, dans Archéologie du (...)
10C’est dans les toutes dernières années du xe siècle qu’on pointe dans les textes provençaux les premières mentions de castra, qui vont surtout se multiplier dans la seconde moitié du siècle suivant, en même temps qu’émerge un vocabulaire plus technique, forcias, turres8. Cependant, l’étude du vocabulaire se révèle souvent décevante ou hasardeuse, car si castrum s’oppose effectivement parfois à villa, il est des cas où les deux termes sont simultanément employés pour désigner le même site. De fait, les fouilles que Michel Fixot a entreprises dans les campagnes d’Apt pour vérifier la nature des fortifications désignées par ces vocables, ont mis à jour les linéaments d’un processus progressif, mouvant et complexe. Dans tous les cas, le castrum se donne les allures d’un château sur motte, mais en fait de motte, il s’agit d’une simple adaptation du substrat rocheux. De plus, ces châteaux, peu utilisés pour l’habitat, ne semblent avoir joué un rôle militaire effectif qu’au tout début de leur érection, comme pour justifier la levée de droits et de coutumes. Au Castélas de Saint-Martin-de-Brasque, la forteresse a donné naissance à un village vraisemblablement ouvert, que les textes nomment cependant castrum, l’élément fortifié donnant ainsi son nom à l’ensemble de l’habitat. A Sannes, motte désignée en 1045 comme castrum, château et église préexistante ont continué à constituer deux pôles d’attraction autonomes, la forteresse ne parvenant pas, finalement, à cristalliser à son profit l’habitat rural environnant. Création de nouveaux villages, dédoublement d’anciennes cellules, tentatives avortées et réussites précaires : le mouvement qui va dans le sens d’un groupement et d’un perchement de l’habitat autour des castra est donc lent, et sans cesse remis en cause tout au long du xie siècle. A la lumière des travaux de M. Fixot, il paraît donc imprudent d’affirmer, comme l’a fait J. de Font-Réaulx pour le Dauphiné, que la seule mention d’un castrum au cours du xie siècle, constitue l’acte de naissance d’un village fortifié9. Un certain nombre de bourgs ont dû effectivement voir le jour antérieurement à 1 100, mais non pas, semble-t-il, la majorité10. La remarque vaut vraisemblablement aussi pour le Languedoc. Dans la Province ecclésiastique de Narbonne, E. Magnou-Nortier a relevé la liste des 168 tours ou châteaux mentionnés dans les textes antérieurs au xiie siècle, tout en montrant par ailleurs que la population rurale contemporaine de ces mentions est demeurée fondamentalement dispersée11. A Montaigut, dans l’Albigeois, l’archéologie corrobore la leçon générale des textes : la première motte, érigée vers la fin du xe siècle, n’a suscité à son pied aucun habitat subordonné conséquent12.
- 13 Pour tout ce qui concerne la Gascogne gersoise, nous renvoyons à notre thèse Les castelnaux de la (...)
- 14 M. Lassure, La motte no II de Panassac (Gers), dans Bull. Soc. Arch. du Gers, 1975, p. 37-51.
- 15 Les coutumes de Corneillan (1142), ont été publiées par Ch. Samaran, dans Bull. phil. et hist. du (...)
11Nous avons décelé en Gascogne une période assez comparable d’hésitation (qui se prolonge ici jusque vers la fin du xiie siècle), durant laquelle l’impact des forteresses semble se heurter à une assez grande inertie des structures préexistantes, et reste de ce fait limité et ponctuel13. Que sont les châteaux sur motte dont on devine l’existence dès les alentours de l’an 1000 en dépit de la grande misère de la documentation écrite ? Le castrum ou castellum de Marambat, cité vers 1060, se trouve environné d’une église en ruines et d’un habitat d’origine ancienne : la motte semble être venu étoffer un canevas de peuplement préexistant. A Panassac, J.M. Lassure a établi que la première motte, implantée vers le début du xie siècle au milieu d’un domaine est demeurée à peu près isolée jusqu’à son abandon, au profit d’un ensemble complexe motte-basse-cour édifié près d’un gué, qui à partir du début du xiie siècle environ a commencé à cristalliser l’habitat rural à ses côtés14. Quelques mentions de biens situés in castello ou in territorium castelli attestent que dès le xie siècle. certaines forteresses sont devenues le centre de circonscriptions nouvelles. Par ailleurs, on voit quelques puissants personnages prendre l’initiative d’installer un bourg fortifié auprès de leur château ; mais ils ne parviennent à le peupler qu’en usant de cœrcition ou de réquisition. A l’inverse, l’avènement des bourgs castraux de Castelnau-Barbarens et de Corneillan est étroitement lié à la concession de coutumes aussi précoces que libérales15.
12Dans bien des régions, on devine donc une période, plus ou moins longue selon les cas, durant laquelle les châteaux semblent poursuivre un obscur travail de sape pour cristalliser à leur pied l’habitat rural environnant ; une période semée d’échecs ou de réussites précaires, et ponctuée de quelques réussites. Et puis, à une date variant suivant les régions, voici ce seuil crucial et mal connu, à partir duquel on pointe une cascade de castra, incontestablement décrits comme des agglomérations fortifiées. Et si cette formidable mutation de l’habitat rural n’occupe pas dans les manuels la place qui lui revient, c’est qu’elle s’est déroulée dans le silence quasi général des textes. Quelques bribes éparses dans la documentation écrite, quelques sondages bien conduits, permettent d’affirmer que les promoteurs en furent nombreux et les modalités variées.
- 16 Demians d’Archimbault, L’habitation rurale, p. 86-87.
- 17 B. Cheronnet, La charte de peuplement de Herrère (1278) : aux origines de la puissance des Lescun, (...)
- 18 Arch. dép. Tarn-et-Garonne A 297 (Saume de l’Isle-Jourdain), fo 70 v°.
- 19 Hensel, Montaigut, p. 33-34.
- 20 Du Bourg, Etude sur la ville et communauté de Fonsorbes, dans Mém. de la Soc. arch. du Midi de la (...)
- 21 W. Hensel et collab., Dans les Baronnies : le village perché de Condorcet, dans Archéologie du vil (...)
- 22 D. Fèvre, Évolution architecturale et urbanisme de Cruas, village médiéval de la basse vallée du R (...)
- 23 M. Gramain, Aspects monumentaux des « castrum » du Bas-Languedoc occidental (xiie-xive siècles), d (...)
13Il s’agit parfois de fondations a novo. En Provence, c’est le cas du castrum de Rougiers, mis en place d’un seul jet à la fin du xiie siècle par un membre de la famille de Signe16. Dans le Haut-Béarn, Fortaner de Lescun, seigneur d’Escout et de Lescun, transfère vers la même période une partie de la population des villages d’Escou, Escout, Ogeu, à Herrère dans le quartier du château délimité par un fossé ; la charte spécifie qu’il reçut pour ce faire l’accord des habitants17. Ailleurs, le castrum vient doubler un habitat préexistant inorganique, qui se trouve rapidement vidé de sa substance : on le constate en Gascogne à Monferran-Savès, où le village de Saint-Clément disparut au profit du castet de Monferran, établi dans les premières années du xiiie siècle une centaine de mètres au nord de l’église primitive18. Parfois, la nouvelle structure s’est superposée à l’habitat ancien, en le démolissant et en l’oblitérant. Ainsi à Montaigut, dans l’Albigeois, a-t-on littéralement fait table rase : à la suite d’un incendie, la motte du xe siècle fut nivelée, un castrum entouré d’une enceinte en pierre fut édifié et alloti ; enfin, l’ensemble du promontoire fut occupé par un habitat plus modeste, protégé, semble-t-il, par des fortifications sommaires19. En 1205, à Fonsorbes, dans le Comminges, la sauveté fondée par les Hospitaliers de Saint-Jean céda la place à un vaste castrum, dont le seigneur de Panassac se chargea de mettre en place les infrastructures défensives collectives20. Souvent, enfin, les castra procèdent de la restructuration raisonnée de l’habitat préexistant. A Condorcet, dans les Baronnies, on retailla le versant des terrasses, dans le même temps qu’était construite la première enceinte21. A Cruas, les maisons fortes constituant un premier bourg inorganique furent conservées, et englobées dans le rempart collectif de pierre construit vers le xiie siècle22. Non loin d’Agde, à Vias, la documentation permet de suivre la naissance d’un castrum circulaire, par le réaménagement de l’habitat en place23. Depuis le xe siècle existe une tour qui appartient au chapitre cathédral d’Agde ; jusqu’au xiie siècle, cependant, il n’est question que de la villa de Vias. En 1147, on apprend qu’une maison, bâtie en 1133, jouxte désormais une maison mitoyenne à droite, et une autre à gauche, qu’on vient de lui accoler ; à cette même date, cette maison doit changer son accès de côté, car le fossé qui vient d’être creusé condamne désormais l’ouverture normale. Les textes, dès lors, ne nomment plus Vias que comme un castrum.
- 24 F. Moulenq, A. Galabert, Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, t. III, Montauban, 1874, p. (...)
- 25 Notamment celui de Pouillon, étudié par G. Fournier dans Le château dans la France médiévale, p. 3 (...)
- 26 Monferran, v. supra, n. 19 ; paréage de Montolieu publié dans l’Hist. gén. de Languedoc, éd. Priva (...)
14Diversité des entreprises, mais aussi diversité des initiateurs. Les familles comtales sont partout actives, particulièrement la maison raimondine, fondatrice notamment de Lauzerte24. Le roi-duc d’Aquitaine contribue lui aussi à la mise en place de plusieurs « castets25 ». En dessous, on devine le rôle considérable joué par quelques puissantes familles, parfois apparentées aux lignages comtaux : familles de Signes, de Villeneuve ou des Baux en Provence, seigneurs de Marestaing, de Montesquiou ou de Lescun en Gascogne et en Béarn… Dans la Gascogne gersoise, nous avons noté que nombre de seigneurs assez modestes purent également se doter d’un castrum populatum. Enfin, les cas de paréage entre un seigneur laïque et un établissement ecclésiastique ne paraissent pas avoir été exceptionnels : on ne mentionnera ici que ceux de Monferran-Savès ou de Montolieu26.
15Les multiples facettes de ce vaste mouvement de mise en place des castra recouvrent quelques tendances générales, il s’agit d’un phénomène qui, tout d’abord, va dans le sens d’un perchement de l’habitat, plus ou moins accentué il est vrai selon les régions. En second lieu, la disposition d’un habitat serré à l’intérieur d’un espace clos de dimension restreinte exclut toute idée de spontanéité, il s’agit de fondations organisées, planifiées par les seigneurs, avec dans bien des cas l’accord et la coopération sinon des habitants, du moins des probi homines qui, dans les textes des xie et xiie siècles apparaissent comme leurs représentants naturels.
- 27 Baratier, Communautés de Haute-Provence, p. 240.
- 28 Fait souligné récemment par Monique Zerner, La Croisade albigeoise, Paris, 1979, p. 41-42.
- 29 J.A. Brutails, Étude sur la condition des populations rurales du Roussillon au Moyen Age, Paris, 1 (...)
- 30 Fournier, Chartes de franchises et fortifications villageoises ; La défense des populations rurale (...)
16En l’état actuel des recherches, on ne peut que retracer une chronologie très grossière de cette flambée d’« incastellamento » qui a affecté pratiquement tout l’espace occitan. Il est clair cependant que selon les régions, elle se situe à des époques assez différentes, tout en revêtant une ampleur assez inégale. En Provence, Dauphiné, Languedoc, la majeure partie des castra semblent se rapporter au xie, et surtout au xiie siècle, et hors de ces bourgs, désormais, on ne trouve guère que de rares peuplements isolés marginaux ou résiduels, exception faite pour les vallées montagnardes de l’Ubaye, du Verdon ou du Var, où l’habitat reste en grande partie dispersé27. Le récit de la Croisade antialbigeoise montre que la plupart des grands castra de l’Aquitaine orientale (Agenais, Quercy, Rouergue) sont déjà en place à l’orée du xiiie siècle28. Dans la plaine du Roussillon, les castra s’implantent tout le long des xiie et xiiie siècles, tandis que les hautes vallées pyrénéennes ont tendance à conserver leurs anciennes structures de peuplement29. Les bourgs fortifiés gascons se multiplient surtout durant le xiiie siècle, à partir d’un réseau préexistant clairsemé, et en laissant subsister d’autres formes d’habitat rural, isolées ou inorganiques. En Basse-Auvergne, enfin, la mise en place des enceintes villageoises dotées d’une défense autonome par rapport au château s’amorce seulement au xiiie siècle, et ne prendra toute son ampleur que dans les derniers siècles du Moyen Age30.
- 31 Cursente, Castelnaux ; à Sainte-Livrade, par exemple, plus de la moitié des articles de la charte (...)
- 32 Abbé Degert, Une des plus anciennes coutumes de Gascogne, la fondation de Mugron, dans Bull. phil. (...)
- 33 Baratier, Communautés de Haute-Provence, p. 241 : les plateaux de la moyenne Provence, baillie de (...)
- 34 Fournier, Chartes de franchises et fortifications villageoises.
- 35 E. Le Roy Ladurie à propos du castrum languedocien de Coussergues, dans Les paysans du Languedoc, (...)
- 36 Dans les textes en langue gasconne, les « cavers ».
- 37 Fèvre, Évolution architecturale et urbanisme de Cruas, p. 11-12.
- 38 Hensel, Montaigut, p. 35.
- 39 J.B. Marquette, Les Albret, t. IV, Terres et hommes d’Albret, dans Les Cahiers du Bazadais, 1979, (...)
- 40 Cursente, Castelnaux ; cette fonction du castrum apparaît particulièrement à Montferran-Savès.
17Reste une immense question : pourquoi ? En l’absence de textes explicites convergents, aucun chercheur ne propose d’interprétation simple, mais un faisceau parfois complexe de facteurs explicatifs ; et chacun privilégie tel ou tel de ces facteurs. Un point rallie l’unanimité : les castra ont vu le jour dans un contexte d’expansion démographique et économique. De là on peut imaginer que l’aristocratie, en quête incessante de nouveaux revenus, a cherché à regrouper la population rurale afin de mieux capter les fruits de la croissance. L’importance qu’occupent, dans les chartes de coutumes gasconnes du xiiie siècle, les articles consacrés aux droits de justice ou de police économique nous a paru révélatrice31. Parfois (à Mugron par exemple32) le nouveau castrum fut associé à un marché préexistant ; plus souvent, le marché fut créé en même temps ou peu après la fondation du bourg. En sens inverse, on peut considérer que c’est parce que le château constituait un centre de consommation privilégié que les bourgs castraux ont connu un tel développement en attirant un petit monde de marchands et d’artisans. Les seigneurs ont-ils conçu les castra comme un système cohérent destiné à imposer à la population rurale un appesantissement des contraintes, comme ce fut le cas dans le Latium du xe siècle ? Si tant est qu’ils en aient eu l’idée, elle ne fut que rarement couronnée de succès, car si le pouvoir seigneurial resta effectivement longtemps contraignant dans quelques régions riches en castra33, les bourgs fortifiés ont généralement constitué des viviers propices à l’élargissement des libertés communautaires. Cet habitat serré, en effet, a inévitablement donné naissance à de nouvelles solidarités de voisinages, et souvent hâté la prise de conscience d’une classe villageoise aisée et sûre d’elle. En outre, la prise en charge de la défense du bourg, en tout ou en partie, a puissamment contribué à accroître les prérogatives communautaires, comme G. Fournier l’a bien montré dans la Basse-Auvergne34. Mais cet habitat, qu’on a pu qualifier de « démocratique35 », n’est-il pas surtout à son origine un habitat aristocratique ? On ne peut qu’être frappé par la fréquence avec laquelle, de la Gascogne à la Provence, les textes comme l’archéologie attestent à l’intérieur du castrum la présence d’un contingent plus ou moins fourni de milites36. A Cruas, l’enceinte primitive renferme essentiellement des demeures aristocratiques37 ; à Montaigut, la muraille de pierre construite au xiie siècle abrite principalement des habitations chevaleresques38 ; à Meilhan, le castrum réservé aux chevaliers, est bien distinct du burgus39… En Gascogne, on devine que plusieurs seigneurs considérèrent les castra comme un moyen d’entretenir à leur service un certain nombre de milites40. Dans le Languedoc, fortement et précocement urbanisé, les castra ne matérialisent-ils pas aussi, pour une part, l’aspiration de l’aristocratie rurale à vivre dans un cadre urbain, à l’instar des chevaliers d’Arles, de Nîmes, ou de Toulouse ?
- 41 Hypothèse avancée par Brutails, Etude sur la condition…, p. 34-35.
- 42 Idée émise par J. de Font-Réaulx, L’origine des villages du Sud-Est, p. 239.
- 43 Gramain, Aspects monumentaux.
18Plus simplement, n’est-ce pas l’existence même de la fortification qui fournit le facteur primordial d’explication ? L’enceinte du castrum apparaît naturellement comme une réponse à l’insécurité diffuse qui règne au haut Moyen Age dans le Midi de la France. La crainte des incursions mauresques, dont se fait l’écho le concile de Narbonne de 1134, a sans doute incité les populations de la plaine du Roussillon à se regrouper en bourgs fortifiés41. Plus généralement, c’est le climat d’insécurité entretenu par une aristocratie turbulente et brutale qui a pesé dans ce sens. La sécurité matérielle des murailles ou des palissades aurait en quelque sorte pris le relais de la protection théoriquement garantie par les institutions de Paix de la fin du xie siècle42. En sens inverse, l’enceinte villageoise a pu être mise en place par le seigneur pour servir d’avant-corps à son château ; et effectivement, en Gascogne comme en Basse-Auvergne, on peut voir de nombreux villages dans lesquels la forteresse installée en tête de promontoire, est protégée par le bourg fortifié sur le seul côté aisément accessible. A regarder de près, cependant, en Languedoc ou en Gascogne, la nature des enceintes fortifiées primitives, on est conduit à s’interroger, dans bien des cas, sur leur degré de fiabilité défensive. Efficaces contre les rôdeurs et les brigands, sans doute, mais rarement susceptibles de soutenir un siège en règle. Les petits castra ne cherchèrent que rarement à résister à la troupe de la Croisade, et, plus tard, peu d’entre eux furent en mesure de protéger leurs habitants lors de la grande chevauchée du Prince Noir43.
19Peut-on synthétiser ce qui précède ? Les castra paraissent étroitement liés à l’affirmation, à partir du xie siècle, d’une frange supérieure de l’aristocratie rurale. Ces seigneurs ont bénéficié, à des degrés divers, de l’éclipse prolongée des pouvoirs « centraux ». Ce n’est pas pure coincidence si la Gascogne centrale présente à la fois une densité remarquable des castra, et un exceptionnel émiettement des pouvoirs de commandement. Or cette conjoncture politique s’est trouvée correspondre à une période de croissance démographique et économique continue. L’aristocratie a ainsi eu la possibilité de remodeler l’habitat rural selon ses intérêts (qui ont pu être divers), en lui donnant la forme qui correspondait à sa vision militarisée et hiérarchisée de la société. À un moment donné, les préoccupations des seigneurs se sont trouvées en harmonie avec l’aspiration à la sécurité, les intérêts économiques et la sociabilité nouvelle des populations rurales. Le mouvement a pris dès lors une ampleur nouvelle balayant l’inertie des anciennes structures, supplantant la force d’attraction rivale constituée par les églises. Par la suite, lorsqu’un pouvoir centralisé suffisamment puissant (comtal, ducal ou royal) a repris le contrôle effectif des régions où les castra avaient proliféré, ces bourgs sont devenus les points d’appui naturels des rouages administratifs, militaires et fiscaux, qui furent alors mis en place. Ainsi l’ordre politique royal (ou régalien), corrobora-t-il généralement une forme d’habitat qui était, pour une bonne part du moins, la fille de l’émiettement des pouvoirs de commandement.
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- 44 Bibliographie des principales publications de G. Demians d’Archimbault sur Rougiers, supra, n. 5.
- 45 Ce problème se trouve au centre de la belle thèse du géographe Roger Livet, Habitat rural et struc (...)
- 46 E. Baratier, La démographie provençale du xiiieau xvie siècle, Paris, 1961, p. 78 ; en 1249, ce ca (...)
- 47 Archéologie Médiévale, t. VIII, 1978, p. 271 (D. Foy et M. Fixot).
- 48 Ibid., p. 271-272 (H. Ribot).
- 49 Ceux de Châteauneuf, Châteauvéron et Châteauguyon, cités par F. Fray et E. Sauze, Les enceintes fo (...)
- 50 L. Stouff, Peuplement, économie et société de quelques villages de la montagne de Lure (1250-1450) (...)
- 51 J.A. Durbec, Notes historiques, toponymiques et onomastiques sur quelques villages de la région de (...)
- 52 N. Coulet, Encore les villages disparus : autour d’Aix-en-Provence, xive-xve siècles, dans Annales (...)
- 53 Baratier, La démographie provençale, à compléter par l’art. cité de Noël Coulet.
- 54 A Rougiers, les pièces sont alors cloisonnées ; Demians d’Archimbault, Habitation rurale, p. 86-91
- 55 P. Gauberti, Peille, Nice, 1966-1973, t. I, p. 181-191.
- 56 Processus bien décrit par R. Livet, L’habitat rural, p. 200-206, et, dans un cadre plus restreint, (...)
- 57 Livet, op. cit., p. 152-158 ; Coulet, art. cit., p. 1467-1468.
- 58 R. Jeancard, Les seigneuries d’outre-Siagne, Cannes, 1952, p. 145.
20Dans les décennies puis les siècles qui ont suivi leur mise en place, les castra ont fait preuve d’une stabilité assez inégale selon les époques et selon les régions. La relative instabilité des castra a bien été mise en évidence en Provence, grâce d’abord à la fouille exemplaire du site de Rougiers44. La courbe des signes monétaires retrouvés au cours des diverses campagnes permet de constater qu’après une période d’occupation intense dans les premières décennies qui ont suivi la fondation, le bourg fortifié a connu une période de déclin rapide, dès le dernier quart du xiii e siècle. Ce déclin peut être mis en rapport, semble-t-il, avec la création d’un habitat de mi-pente. Un nouvel et bref essor, dans la première moitié du xive siècle paraît lié à la création d’une verrerie dans les environs immédiats. À partir de 1345, nouveau déclin, qui n’est interrompu qu’entre 1360-1370 puis 1389-1420, lorsque les troubles sont tels qu’ils justifient un repliement temporaire dans le cadre inconfortable du castrum. Enfin, le site fut totalement abandonné au xve siècle pour un nouveau village de plaine. Le schéma évolutif mis en évidence à Rougiers résulte à la fois de circonstances particulières (la création d’une verrerie), et de pesanteurs qui ont largement influé sur le devenir des villages fortifiés provençaux. Car, manifestement, l’habitat provençal semble écartelé entre un tropisme de l’escarpement tutélaire et un tropisme du terroir accueillant, qui ont tour à tour prévalu selon la conjoncture45. Il est vrai qu’à la faveur d’une croissance démographique très prononcée la majorité des castra, tels que celui de Malijai, connurent une expansion continue des années 1250 à 134046. Par contre, bien d’autres villages perchés eurent de la difficulté à passer sans trop de dommages le cap de la seconde moitié du xiiie siècle au cours de laquelle, mettant à profit la « paix angevine », l’habitat a eu tendance à quitter l’enceinte pour s’installer en bas de pente. A Cadrix, le castrum des xie et xiie siècles est alors abandonné, et son site ne sera réoccupé au xive siècle que par un atelier de verrier47. A Taradeau, le castrum cité au xiie siècle connaît au siècle suivant une profonde déchéance ; mais ici l’enceinte fut remise en état et réoccupée au xive siècle48. Dans le pays d’Aigues, au sud du Lubéron, trois des quatre localités disparues au cours du xiiie siècle portent des toponymes de castra49. Les villages haut perchés de la montagne de Lure, tels que Vière et Giron, furent alors délaissés pour Saumane, l’Hospitalet, et La Roche-Giron, situés en bas de pente50. La création de Villeneuve dans la plaine du Loup, vers le milieu du xiiie siècle, porta un rude coup aux castra perchés de Loubet, de Cagnes et de Saint-Paul51. L’étude des villages abandonnés des alentours d’Aix conduite par Noël Coulet permet de faire la part de cette première vague de désertions par rapport à celle de la période des crises des xive et xve siècles52. Pour le bas Moyen Age, les faits sont mieux connus ; à partir des recherches d’Edouard Baratier, il est possible de dresser une première esquisse, géographiquement très nuancée, des bourgs qui ont alors disparu ou régressé53. Les troubles, cependant, ont également redonné vie à un certain nombre de castra bien protégés par des escarpements naturels, et dont les plus importants se sont révélés les mieux aptes à résister au dépeuplement général des campagnes. Les textes, comme l’archéologie, attestent un élargissement et un renforcement des enceintes, qui vont de pair avec un entassement considérable de l’habitat54. Le castrum de Peille, près de Nice, dont les archives ont conservé plusieurs règlements d’urbanisme et procès, atteste la difficulté qu’eurent les responsables, à partir du xive siècle, à mettre un frein à la fièvre de constructions anarchiques : apparition de maisons sur les remparts, adjonction d’étages supplémentaires, multiplication de portiques enjambant les rues55. Dernière étape, enfin, la descente définitive de plusieurs villages perchés s’amorce dans la seconde moitié du xve siècle, pour se poursuivre au cours des siècles suivants56. Le château haut perché cesse alors de polariser l’habitat rural en reconstruction : la nouvelle classe des maîtres du sol multiplie ses bastides, situées aux confins des terroirs57 ; les villes neuves de la Provence orientale laissent généralement à l’écart la forteresse seigneuriale58…
- 59 Gramain, Aspects monumentaux.
- 60 Le doute émis à ce sujet par W. Hensel. Montaigut, p. 59, a été confirmé par Ph. Wolff, qui a retr (...)
- 61 M. Gramain, art. cit., souligne la modération du perchement des castra languedociens, alors qu’en (...)
21La Provence se trouve exceptionnellement éclairée par les textes comme par les leçons de l’archéologie. On se gardera bien, pourtant, d’étendre aux autres régions du Midi le schéma évolutif dont on vient de résumer les données. Dans une autre région méditerranéenne, voisine, le Bas-Languedoc, on ne signale la trace de la crise de croissance du xiiie siècle59. Ici, la densité de l’habitat intra muros apparaît à son maximum au début du xive siècle, et ne croîtra ultérieurement que par l’adjonction d’étages ; les « barris », qui flanquent généralement l’enceinte ne peuvent donc en aucun cas être interprétés comme un signe de désaffection à l’égard de l’habitat castrai. Seuls ont souffert un certain nombre de castra situés sur l’itinéraire des troupes de la Croisade. Encore a-t-on récemment démontré que le castrum de Montaigut, dont on reportait la ruine aux événements de la Croisade existait bel et bien encore au bas Moyen Age60. Enfin, il semblerait qu’à partir du xve siècle, les cas d’abandon de castra aient été moins fréquents dans le Languedoc qu’en Provence. La disparité de ces deux schémas évolutifs ne manque pas de poser problème. Un élément de réponse, au moins, peut être avancé : si on considère le choix des sites, on note que le perchement des castra est en général sensiblement moins accentué et excessif en Languedoc qu’en Provence, de sorte que la fidélité à l’habitat serré a pu demeurer plus aisément conciliable avec les impératifs de la vie rurale61. Point de fléchissement en Gascogne au cours de la seconde moitié du xiiie siècle : l’implantation des castra populata connaît alors son apogée. Fait remarquable ici, les bourgs castraux fortifiés ne semblent guère avoir souffert de la concurrence des bastides, qui se sont peuplées essentiellement aux dépens des habitats isolés ou inorganiques qui subsistaient en nombre assez élevé. La première vague importante de désertions semble se rapporter au xvie siècle.
- 62 Document cité par G. Fournier, Le château dans la France médiévale, p. 343-344.
- 63 Fray et Sauze, Les enceintes fortifiées, p. 381-384.
- 64 Fournier, Chartes de franchises.
- 65 Id., La défense des populations rurales.
- 66 En dernier lieu sur ce problème, l’article de G. Bourgeois, Formation et structure d’un village mé (...)
22Le destin des castra se profile donc comme une série de courbes décalées selon les régions, et, plus finement, selon les cas. Il nous semble cependant discerner une tendance qui affecte une partie notable de ces bourgs : le relatif effacement, matériel ou juridique, de la forteresse seigneuriale. Ce déclin est particulièrement précoce dans le Bas-Languedoc, où l’enceinte supérieure (cinctus superior) qui enclot la tour et les demeures seigneuriales a été abandonnée parfois dès le xiie siècle, plus généralement au cours du siècle suivant. On devine une tendance parallèle en Gascogne, quoique moins accentuée sans doute, dans la seconde moitié du xiiie siècle, où la résidence seigneuriale se fond de manière presque anonyme dans l’enceinte collective. Ainsi en est-il du « casted » de Pouillon, dans lequel le roi-duc se réserve seulement l’emplacement d’une demeure intra muros62. Dans les autres régions, ce sont surtout les crises des xive et xve siècles qui semblent avoir précipité l’effacement des forteresses, en favorisant l’autonomie des enceintes villageoises. Pour la Provence, on dispose d’une étude précise portant sur les douze villages fortifiés que comptent les actuels cantons de Cadenet et du Pertuis63. À l’origine de ces enceintes, on retrouve des castra mis en place aux xie ou xiie siècles, à l’ombre d’une forteresse. A l’occasion des crises du bas Moyen Age, qui ont contraint les habitants à effectuer de très importants travaux de fortifications, le château a perdu au profit de la collectivité le monopole de la protection qu’il exerçait primitivement. En Basse-Auvergne, G. Fournier a noté que dans une première étape, au xiiie siècle, les enceintes fortifiées accolées au château avaient permis à l’habitat subordonné d’affirmer une certaine autonomie64. Au cours des troubles incessants qui émaillent les xive et xve siècles, les constructions de fortifications collectives deviennent un impératif vital. Certains seigneurs prennent l’initiative de lotir leur basse-cour en « loges », comme à Aulnat ; mais bien souvent, ce sont les communautés qui cherchent à assurer leur propre défense, et qui érigent, à Jussat par exemple, de véritables forts collectifs. Ainsi voit-on s’accroître considérablement la densité des enceintes fortifiées65. On retrouve un phénomène assez comparable en Rouergue, avec notamment les forts villageois tels que La Couvertoirade ou Saint-Jean d’Alcas66.
- 67 J. Lartigaut, Les campagnes du Quercy après la guerre de Cent Ans, Toulouse, 1978, p. 213-223.
- 68 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté du Béarn, Bordeaux, 1960, p. 155, n. 127.
- 69 E. Fournial, Les villes et l’économie d’échanges en Forez aux xiiieet xive siècles, Paris, 1967, p (...)
- 70 En dernier lieu, Ph. Contamine, Les fortifications urbaines en France à la fin du Moyen Age : aspe (...)
23Dans le Quercy voisin, cependant, J. Lartigaut observe que les « seigneurs firent preuve de persévérance et les chefs de communautés d’une certaine nonchalance67 ». En effet, ce sont généralement les seigneurs qui pressent les habitants de restaurer les fortifications, ou bien de mettre en défense les villages restés ouverts, en construisant une enceinte qui vient se souder au « reduch » seigneurial. Ne parlons pas ici d’anomalie, mais interrogeons-nous sur les raisons profondes qui ont pu conduire à un effacement ou à un renforcement de la forteresse au bas Moyen Age. En gros, il y a eu renforcement dans les régions, telles le Quercy, où aucun pouvoir central fort n’était en mesure d’assurer la protection des habitants, où l’aristocratie châtelaine n’avait pas été touchée dans ses forces vives, et où l’habitat groupé était distribué en très petites unités. Là, une défense efficace ne pouvait reposer que sur la collaboration active du seigneur châtelain et des habitants. A l’inverse, le rôle joué par les forteresses et par leurs détenteurs s’est obligatoirement trouvé amenuisé dans deux cas de figures. D’une part, lorsque le roi, ou un seigneur disposant des droits régaliens, a décidé de prendre en mains la défense des populations : c’est 4e cas du Béarn où Gaston Fébus organisa le système des « reculhides », villages dotés d’une enceinte, et chargés de recueillir en cas d’alerte les paysans d’un secteur déterminé68. Déclin relatif aussi du pouvoir des seigneurs châtelains lorsque les castra, pour des raisons économiques ou politiques sont devenus des centres attractifs qui ont suscité la croissance rapide de faubourgs et l’épanouissement d’une population semi-urbaine. C’est le cas des gros castra des cantons de Cadenet et du Pertuis ; celui aussi de ces villes du Forez telles que Roanne ou Montbrison, qu’Etienne Fournial a si bien étudiées69. Ici dès le xiiie siècle, parfois, au xive siècle, généralement, l’enceinte primitive fut agrandie de façon à englober les faubourgs, et ce sont les habitants qui dès lors assumèrent la totalité, ou la quasi-totalité, de la charge défensive. Il n’est pas besoin de rappeler le lien qui existe entre la prise en charge des travaux de défense et l’affirmation des libertés urbaines70…
24De l’an 1000 à la fin du Moyen Age, le mot castrum a successivement (et parfois simultanément) désigné la seule tour féodale, l’ensemble de l’habitat situé dans la juridiction du château, le binôme château-bourg fortifié, enfin un village fortifié, même dépourvu de forteresse seigneuriale. En somme, au départ, c’est le château qui défend le village, et à l’arrivée, c’est le village qui s’est fait château…
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- 71 P. Toubert, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridonial et la Sabine de la fin du ixeà (...)
25Pour avoir choisi de mettre d’abord l’accent sur le mouvement et la diversité des destins des castra, tout ce qui précède donne sans doute l’impression d’un kaléidoscope insaisissable. Or les castra constituent aussi une structure d’habitat qui a souvent traversé les siècles en ne se modifiant que partiellement et avec lenteur. Considéré à grande altitude, le castrum se présente sous la forme d’un noyau d’habitat fortement aggloméré, implanté généralement sur un site de hauteur, et entouré de son terroir. Ainsi apparaît enfin dans cette synthèse le terroir, que les tribulations spectaculaires de l’habitat relèguent injustement dans l’ombre. Dans quelle mesure la réorganisation de l’habitat s’accompagna-t-elle d’une refonte des structures agraires ? En Gascogne, il ne semblerait y avoir eu que des réaménagements partiels ; mais cette région est bien marginale. En bref, dans le Midi de la France on a là un terrain de recherches pratiquement vierge, une vaste zone de pénombre qui jure fâcheusement avec les lumineuses conclusions que P. Toubert a déposées pour le Latium71.
- 72 Demians d’Archimbault, L’habitation rurale, p. 86.
- 73 Ce nom apparaît en 1598 à Cucuron : Fray et Sauze, Enceintes fortifiées, p. 371.
26A plus faible altitude, on distingue la disposition générale de l’habitat, et on note que très souvent, en Gascogne, dans le Bas-Languedoc comme dans le Roussillon, le castrum, pour si minuscule qu’il soit, est flanqué d’un faubourg que dans ces régions on nomme uniformément « barri ». En Provence, le caractère escarpé des sites à parfois été un obstacle au développement de ces faubourgs (à Rougiers notamment72). Dans les castra les plus importants, ce faubourg, on l’a vu, a été entouré d’une enceinte au moment des troubles du xive siècle. Le nouveau rempart vient alors se juxtaposer au castrum primitif, lorsqu’il ne l’englobe pas totalement. Le castrum originel reste cependant reconnaissable à sa trame plus serrée, et à son enceinte, souvent transformée en « balhoart »73. Notons qu’en Gascogne, la très grande majorité des castra n’ont eu d’autre enceinte que celle du bourg primitif, simplement améliorée et renforcée. La dimension des enceintes varie sensiblement à l’intérieur d’une même région (en Gascogne la fourchette est de 1 à 3, 6 000 à 18 000 m2), mais aussi selon les régions (elle est sensiblement plus importante en Provence qu’en Gascogne).
- 74 P. Lavedan, J. Hugueney, L’urbanisme au Moyen Age, Paris, 1974, p. 64-66.
- 75 L. Josserand, Les villages ronds du Razès, dans Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1 (...)
- 76 V. Raymond, Les villages perchés d’outre-Siagne. Étude de leur structure. Les maisons anciennes, d (...)
- 77 J.F. Massie. Les origines du bourg de Doazit, dans Bulletin de la Société de Borda. 1974, p. 399-4 (...)
- 78 Exemples pris en Gascogne, et analysés dans notre thèse, Cursente, Castelnaux.
27Le plan des castra, dans leur état primitif, a pris des formes diverses qu’on peut regrouper en grandes familles selon la classification commode de P. Lavedan : plans enveloppants et plans linéaires74. Les villages ronds matérialisent un plan radioconcentrique parfait. Leur tracé est d’autant plus géométrique que le terrain est moins accidenté : les fonds de vallées sont leur site de prédilection. La tour, souvent, occupait le point central. Ces bourgs sont représentés dans presque toutes les régions selon une fréquence variable, et qu’il serait intéressant de chiffrer : en Basse Auvergne (Aulnat), en Gascogne (Fourcès, Sarrant), dans le Bas-Languedoc (Alignan, Bram), dans le Comtat (Valréas), en Provence (Ramatuelle), ou encore dans le Razès, où leur densité a retenu l’attention des géographes75… Lorsque le château occupe le sommet d’un piton escarpé, l’habitat se dispose sur la pente en arcs de cercle concentriques étagés en terrasses. Cette disposition, exceptionnelle en Gascogne, est plus fréquente en Aquitaine orientale et dans le Languedoc, pour devenir largement prédominante en Provence76. Les plans linéaires sont plus nombreux dans les régions aquitaines ; le type le plus courant est un village-rue qui s’allonge sur un promontoire dont la forteresse couronne la tête. Là encore on trouve des tracés géométriques Doazit77), (des tracés plus souplement adaptés à la topographie (Biran), des plans très élémentaires (Castelnavet), ou un quadrillage relativement complexe (Estang78).
- 79 Gramain, Aspects monumentaux ; Lartigaut, Campagnes du Quercy, p. 216.
- 80 Notamment pour la Gascogne, la thèse de Jacques Gardelles, Les châteaux du Moyen Age dans la Franc (...)
- 81 J.B. Marquette, Les Albret, IV, p. 602-605.
- 82 Hensel, Montaigut, p. 35.
- 83 Gramain, Aspects monumentaux.
- 84 Hist. gén. de Languedoc, t. IV, p. 449-450.
28Un examen au ras du sol permet d’appréhender la structure du castrum élément par élément. Le château qui domine le bourg est plus ou moins intégré au système de fortifications collectif. Dans le Bas-Languedoc ou le Quercy, le château est le plus souvent encastré dans l’enceinte, et il constitue le cinctus superior, le « reduch », qui comprend une tour et des bâtiments d’habitation seigneuriaux79. En Basse-Auvergne, les deux enceintes semblent plus fréquemment juxtaposées, à la fois solidaires et autonomes ; et nous avons relevé une tendance analogue en Gascogne. Dans le détail des cas d’espèce, cependant, la diversité des figures est telle qu’il est impossible d’en rendre compte dans les limites de cette synthèse. Les travaux de castellologie classiques fournissent à cet égard un appoint précieux aux historiens de l’habitat rural80. Mais outre le château, les textes comme l’archéologie attestent une autre forme d’habitat aristocratique, qui correspond aux demeures des milites. Ces chevaliers ont parfois disposé d’une enceinte particulière, comme à Meilhan81, et, semble-t-il à Montaigut82. Dans la majorité des cas, même si elles ont tendance à se regrouper dans un même quartier, les demeures chevaleresques sont protégées par le même système de défense collectif que le restant de la population du castrum. C’est le cas général dans le Bas-Languedoc, où les résidences aristocratiques, désignées dans les textes par le mot solarium, se distinguent par leur hauteur et la richesse de leur ornementation. Au xive siècle, les notaires les nomment domus cum turre83. Dès le xiie siècle, cependant, le désir de couronner leur habitation d’une tour devait démanger plus d’un chevalier ; à preuve cette clause ajoutée à la charte de fondation du castrum de Montolieu par Roger Trencavel, en 1146, qui interdit à quiconque d’ériger turrem vel castellum dans les murs, à l’exception bien sûr de lui-même et de ses successeurs84. En dehors des chevaliers, on devine parmi les habitants une population composée de strates assez nettement différenciées, et cette différenciation se traduit au niveau de la qualité, des dimensions et de la structure des habitations.
- 85 Demians d’archimbault, L’habitation rurale en Provence.
- 86 Archéologie Médiévale, t. VI, 1976, p. 338-339 (H. Ribot).
- 87 Gramain, art. cit.
- 88 Hypothèse émise pour le castrum de La Madeleine par Henri Ribot, Archéologie Médiévale, t. VI, p. (...)
29Pris globalement, l’habitat du castrum méditerranéen se caractérise par sa grande densité (qui laisse peu d’espace libre pour les places et les jardins), et par l’exiguïté des demeures dont la superficie au sol varie à Rougiers entre 30 et 50 m2 pour les plus aisées, et entre 20 et 30 m2 pour les plus modestes. Encore faut-il ajouter ici que les pièces furent généralement recloisonnées au xive siècle. Le faible volume habitable des maisons a pu être compensé en Provence par une qualité architecturale assez remarquable, plus particulièrement sensible pour les constructions remontant à la période de fondation85. Il ne semble pas, cependant, qu’on puisse considérer à cet égard l’exemple de Rougiers comme représentatif de l’ensemble des castra provençaux. D’autres sites ont révélé des constructions civiles de moindre qualité notamment celui de Sainte-Madeleine à La Mole86. La qualité architecturale de l’habitat castrai du Bas-Languedoc se situe également, par rapport à Rougiers, à un niveau plus modeste ; ici par exemple, les maisons étagées ne commencent à apparaître, fort timidement, qu’à partir du xive siècle87. Une sociabilité tournée vers l’extérieur, caractéristique des pays méditerranéens, n’est sans doute pas sans rapport avec l’exiguïté générale des habitations, qui pose par ailleurs un autre problème, celui de l’existence de maisons secondaires, situées au milieu du terroir… À moins que, dans certains cas, ce soient les demeures intra muros qui aient fini par être considérées comme des habitations d’appoint, utilisées seulement en cas de danger88.
- 89 Compte non tenu, évidemment, des quelques grandes constructions en pierre ou en brique dues à des (...)
- 90 Archéologie Médiévale, t. VI, 1976, p. 336.
- 91 Jacques Clémens est le premier à avoir attiré l’attention sur ce site : Le troglodytisme de Saint- (...)
30En Gascogne, et sans doute plus généralement dans les régions océaniques, l’habitat castrai présente des caractères sensiblement différents : moindre densité de l’habitat (existence fréquente de jardins), demeures de dimensions plus vastes (50 m2 minimum), mais, en contrepartie, d’une qualité architecturale plus médiocre. En fait, de par la diversité des matériaux employés, tant pour la construction des maisons que pour l’érection des enceintes, les castra aquitains contrastent avec ceux des pays méditerranéens, plus uniformément bâtis en pierre. Dans le Béarn et la partie la plus occidentale de la Gascogne, le bois et la terre sont restés les matériaux de base les plus courants jusqu’au bas Moyen Age89 ; palissades de bois et maisons en torchis ayant disparu, seuls en général le fossé et le talus témoignent sur le sol de l’existence d’un castet. Plus à l’est, le bois, la pierre et la brique ont concurremment été employés selon l’importance des moyens financiers et la nature des matériaux de construction les plus accessibles. La fouille du castrum de Grézet, dans l’Agenais, a permis à J. Clémens d’exhumer des fondations de pierre, des murailles de briques et des structures en bois et en torchis90. Dans le Périgord voisin, le castrum de La Roque Saint-Christophe fournit l’exemple remarquable d’un habitat castrai troglodytique91.
- 92 Souvent, les habitants ont la charge d’entretenir le segment de rempart qui correspond à leur deme (...)
- 93 Fèvre, Cruas, p. 13.
- 94 F. Benoît, Les Baux, Paris, s.d., p. 62-63.
31Seuls donc les castra directement bâtis en pierre, ou précocement rebâtis en dur, ont conservé dans leur structure actuelle les traces directement lisibles du système collectif de défense primitif. Lorsque leur façade extérieure ne fait pas simplement office de courtine, les maisons s’appuient sur le mur du rempart92. Dans certains cas, on trouve des formules beaucoup plus élaborées, mises en place à une époque assez tardive ; ainsi à Cruas, où des passages voûtés ménagés sous les habitations permettent aux défenseurs de circuler rapidement93. Mais de façon générale, la présence de véritables coursières reste exceptionnelle. Les accès sont contrôlés par des portails fortifiés, munis de vantaux ou d’un pont-levis. Dans bien des enceintes primitives, la préférence semble être allée au portail unique, objet de tous les soins ; c’est par exemple le cas du puissant castrum des Baux, uniquement accessible par la « calade » de la porte Eyguière94. En Gascogne gersoise, nous avons noté que la qualité architecturale des portes-tours contraste souvent avec la médiocrité du reste de l’enceinte, ce qui confirme le rôle important dévolu au portier dans les chartes de coutumes des xiie et xiiie siècles : faisant face au château, la porte-tour ne symbolisait-elle pas un peu, à la façon d’un beffroi, les prérogatives de la communauté ?
- 95 Hensel. Montaigut, p. 34.
- 96 Brutails, Etude sur la condition, p. 36-37 (ecclesiae incastellatae) ; l’église de Corsavi, délaiss (...)
- 97 J. Clémens, Églises paroissiales et bourgs dans le diocèse d’Agen, dans Revue de l’Agenais, 1968, (...)
- 98 Archéologie Médiévale, t. VI, p. 338 339 (H. Ribot).
- 99 G. Carrot, Saint-Jeannet, Grasse, 1977, p. 53.
- 100 Soulignons-le : il ne s’agit là que d’une tendance, qui mériterait d’être évaluée numériquement, e (...)
32L’église n’est pas toujours sans rapport avec le système défensif. Il est des cas où l’épaisseur de ses murs a été mise à profit pour renforcer l’enceinte (à Montaigut notamment95), et, par ailleurs, le clocher a pu faire office de porte-tour (nous en avons trouvé plusieurs exemples en Gascogne, à Biran. Samatan ou Castelnau-d’Angles par exemple). Dans la plaine du Roussillon, le clocher fortifié a souvent rempli la fonction de forteresse centrale96, de même aussi, parfois, que dans le Languedoc. Cependant, il convient d’aborder avec circonspection les castra dans lesquels l’église occupe une position dominante : il s’agit souvent d’édifices tardivement érigés à l’emplacement de la forteresse primitive ; Castelnau-Barbarens fournit en Gascogne une illustration typique de cette éventualité. On s’attendrait en fait à ce que la majorité des églises soient situées à la jonction du bourg et du château, or c’est loin d’être le cas le plus fréquent. On l’a signalé dans le Bas-Languedoc, nous l’avons souligné pour la Gascogne : l’église du castrum n’occupe qu’exceptionnellement une position centrale ou éminente. Dans de nombreux cas, même, elle se trouve franchement hors les murs, comme cela a été montré en Gascogne, dans l’Agenais97, ou dans le Bas-Languedoc. La situation primitive des castra provençaux ne semble pas avoir été en moyenne sensiblement différente. A la Mole, l’église est située en contrebas et hors les murs du castrum98. Les habitants de Saint-Jeannet ont dû attendre au moins le xive siècle pour qu’un édifice paroissial soit édifié non loin de l’enceinte99… De simples raisons d’économie sont sans doute pour beaucoup dans l’explication de cette particularité notable : l’érection d’une nouvelle église étant une lourde charge, mieux valait rester fidèle au centre paroissial primitif. C’est souvent tardivement que la chapelle castrale ou la chapelle votive intra muros finit par supplanter l’église matrice. Considérée de façon objective, cette marginalisation assez fréquente de l’édifice paroissial par rapport au bourg confère aux castra, dans leur aspect primitif, un incontestable cachet d’habitat laïque100.
- 101 Livet, Habitat rural, p. 209.
- 102 Demians-d’Archimbault, Habitation rurale, p. 86.
- 103 Garrot, Saint-Jeannet, p. 151.
- 104 Gauberti. Peille, t. III, p. 6-7.
- 105 Chanson de la Croisade albigeoise, éd. Martin-Chabot, t. I, Paris, 1960, p. 138.
33Dans la composition du tissu vivant des castra, entrent d’autres éléments, qui ne prennent pas forcément une allure monumentale. La question de l’eau vient immédiatement à l’esprit. Or, on constate une relative indifférence à ce problème. Ce fait, pertinemment souligné par R. Livet101, a pleinement été confirmé par les résultats des fouilles de Rougiers : une seule citerne de 80 m3 pour tout le village (encore fut-elle détruite à la fin du xiiie siècle pour n’être plus remplacée102). On pourrait multiplier les exemples ; le castrum de Saint-Jeannet évoqué plus haut, par exemple, se trouve éloigné des sources pérennes103. La fontaine, qui semble inséparable du village provençal « typique », ne remonte guère, dans la majorité des cas, avant le xviie siècle. Celle de Peille, qui date du xive siècle, est sans doute une des plus anciennes104. Nous n’avons malheureusement pu recueillir que très peu d’éléments de comparaison pour le Languedoc ; mais il est bien connu que la pénurie d’eau potable fut fatale aux défenseurs de Termes lors de la Croisade105. En Gascogne, nous avons noté que les sources susceptibles d’alimenter toute la population se trouvent généralement hors les murs, parfois à plusieurs centaines de mètres. Puits et citernes ne palliaient que partiellement cet inconvénient.
- 106 Gramain, Aspects monumentaux.
- 107 Gauberti, Peille, t. III, p. 6-7.
34La place publique est un élément fondamental de la sociabilité villageoise, particulièrement dans les pays méditerranéens. En Gascogne, on n’en trouve pas toujours de trace nette à l’intérieur des enceintes. Cependant, plusieurs actes mentionnent la tenue d’assemblées publiques in platea ; il s’agit bien souvent d’un simple élargissement de la rue qui débouche sur le château. La platea est, en revanche, toujours présente dans les castra languedociens ; on s’y rencontre en fin de journée, on y rend la justice en public. Au départ, cette place est des plus exiguës, mais dès que les circonstances le permettent, on entreprend de l’élargir106. Même exiguïté, et même importance névralgique en Provence, par exemple à Peille, où la place de la Colle, face au bailliage, est le centre de rassemblement de la communauté, en même temps que le point de rassemblement des troupeaux de chèvres confiés au chevrier communal107.
- 108 Gramain, Aspects monumentaux ; Brutails, Étude sur la condition, p. 43.
- 109 Arch. dép. Gers, E suppl. 1079, fo 1.
- 110 Au cours de ce travail, nous avons relevé plusieurs mentions d’ormeaux situés intra muros. Il y a (...)
- 111 Demians-d’Archimbault, Habitation rurale, p. 84-85.
35Cette fonction pastorale du castrum revêt, du golfe de Gênes au golfe de Gascogne, des variantes et des nuances. En Bas-Languedoc et dans le Roussillon, elle prend la forme d’un parcage individuel, qui s’accompagne de l’existence de fosses à fumier creusées dans la rue108. En Gascogne, la garde des troupeaux revêt fréquemment au xiiie siècle un aspect communautaire, avec un personnel spécialisé. Une des responsabilités majeures du portier est d’éviter que des bêtes ne s’enfuient durant la nuit. Par ailleurs, le plus ancien livre terrier de Biran fait état du « fémier109 », aménagé au pied du château, près de l’ormeau mystique110. On a pu s’étonner que les fouilles du site de Rougiers n’ait pas mis en évidence d’activités pastorales intra muros ; ici, les bêtes étaient parquées à l’extérieur du castrum. A défaut de fosses à fumier, il est vrai, on y a découvert des fosses contenant des déchets domestiques111.
- 112 Livet, Habitat rural, p. 210-211.
- 113 Demians-d’Archimbault, Habitation rurale, p. 87.
36Les castra étant la matérialisation des intérêts et de la vision de la société de leurs initiateurs, certains éléments primitifs se sont trouvés périmés et anachroniques au bout d’un temps plus ou moins long. C’est ainsi par exemple, on l’a signalé, que furent rasées certaines enceintes originelles, ou réintégrées à une place de choix nombre d’églises primitivement laissées hors les murs. A l’inverse, on remarque la permanence de certains choix fondamentaux qui avaient présidé à la mise en place de la structure initiale. Ainsi les maisons furent-elles généralement rebâties sur l’emplacement primitif, et les plans géométriques ont le plus souvent traversé les siècles sans altération majeure. Permanence d’origine négative sans doute ici, car la présence d’un habitat serré dans une enceinte exiguë ne laissait guère de possibilités de réaménagements. Mais il existe aussi des permanences d’origine positive qui résultent d’une habile intégration du castrum au milieu écologique. Roger Livet l’a parfaitement démontré pour la Provence : faisant obstacle au mistral, captant le soleil de l’hiver et la fraîcheur de l’été, le castrum, de par sa disposition matérielle, fait bénéficier ses habitants d’un micro-climat favorable112. L’examen de la distribution générale des habitations dans le castrum primitif de Rougiers a conduit G. Demians d’Archimbault à souligner à son tour cette adaptation intelligente de l’habitat aux conditions climatiques113.
37Point de certitudes en conclusion, mais encore une brassée d’interrogations. Certaines, sans doute, seront sans objet à l’issue de ce Colloque. Quant aux autres, on ne saurait apporter de réponses définitives au terme d’une synthèse fondée sur des données terriblement lacunaires. On peut toujours rêver de la constitution d’un fichier normalisé regroupant toutes les données textuelles et matérielles qui concernent les castra méridionaux…
- Y a-t-il eu propagation d’un type d’habitat à travers l’espace occitan ? Dans une certaine mesure, il semblerait effectivement que oui. Les rivages méditerranéens paraissent à cet égard les plus précoces, avec une extension antérieure au xiiie siècle en direction de l’Aquitaine orientale et du Haut-Languedoc ; en gros, les terres gravitant dans l’orbite des comtes de Toulouse. Sorti de son cadre méditerranéen cependant, le castrum cœxiste avec d’autres formes d’habitat, qui demeurent souvent prépondérantes. En Gascogne, il faut attendre la seconde vague du xiiie siècle pour que les castra deviennent la forme dominante de l’habitat rural. En somme, on a l’impression d’une onde partie des bords de la Méditerranée, qui est allée s’affaiblissant en se propageant vers l’intérieur des terres. À partir d’un épicentre bien localisé ? Dans quelle mesure l’« incastellamento » latin a-t-il pu servir de modèle ? Questions bien prématurées. Il reste à espérer que dans quelques années la matière érudite accumulée par les chercheurs sera assez abondante pour rédiger une synthèse comparable à celle qui a permis à Marcel Gouron d’élucider le problème — contemporain au nôtre — de la propagation du droit romain et des villes à consulat114.
- Quelles sont les limites atteintes par ce type d’habitat ? Problème lui aussi bien épineux, car en débordant du domaine méditerranéen, le phénomène se dilue, et s’hybride progressivement au contact d’autres formes d’habitat, dans des secteurs par ailleurs fréquemment laissés à angle mort par la production érudite. Au sud, les Pyrénées forment une épaisse zone tampon. Point de percées vers la Péninsule Ibérique à la faveur des vallées qui s’enfoncent perpendiculairement dans la chaîne : de par son isolement, de par ses particularités sociologiques, le monde des vallées, pour l’essentiel, est demeuré imperméable au phénomène des castra. Montaillou présente la structure d’un habitat castral serré de hauteur sans être, à proprement parler, un castrum115. Le Bazadais, le Bordelais, le Périgord forment au nord-ouest une zone de transition entre le phénomène des castra et celui des bourgs, qui caractérise les pays de l’Ouest de la France116. Au nord du Périgord, du Quercy, du Rouergue, du Gévaudan et du Vivarais, nous cartographions un épais croissant de terres incertaines à notre connaissance… à tel point que la Basse-Auvergne, si bien étudiée par Gabriel Fournier fait figure d’isolat ! À partir de la vallée du Rhône, où le castrum remonte jusqu’au nord de Valence, la limite de ce type d’habitat dessine jusqu’au Mercantour une diagonale sinueuse, dont les géographes ont établi le tracé depuis un demi-siècle (aidés il est vrai par la netteté de l’opposition entre habitat perché et habitat dispersé117). Ici, les larges couloirs de circulation du Rhône et de la Durance ont favorisé la diffusion du castrum, tandis que d’autres vallées, pour des raisons tenant à leur isolement, à leur sociologie ou à leur économie ont au contraire joué en faveur de la permanence de l’habitat dispersé. En tout état de cause, l’analyse approfondie des zones de contact, l’examen attentif des anomalies micro-régionales devraient constituer des directions d’études prioritaires pour faire progresser la connaissance du phénomène des castra.
- La chronologie de la mise en place, la structure matérielle de l’enceinte et de l’habitat, la condition juridique des habitants, la disparition ou la résistance des autres formes de peuplement, l’évolution durant le bas Moyen Age : la synthèse de ces divers paramètres permet de discerner les castra non pas comme un phénomène uniforme, mais comme la juxtaposition de plusieurs faciès régionaux, plus ou moins fortement individualisés. Ces faciès correspondent, en gros, aux principales divisions régionales de l’ensemble occitan : Provence-Dauphiné, Languedoc, Guyenne, Gascogne. Pour cette dernière région, nos recherches nous ont conduit à souligner la profonde originalité que revêt ce phénomène, et le rôle déterminant des facteurs proprement locaux. Ainsi se trouve justifié, à nos yeux, le terme générique de « castelnaux » qui sert à désigner les bourgs castraux fortifiés de la Gascogne118.
- 119 Monique Zerner, Croisade albigeoise, p. 40-42, est la première à avoir relevé l’importance des cas (...)
38Aux traits originaux, depuis longtemps recensés, qui caractérisent la civilisation occitane médiévale, ne convient-il pas d’ajouter la fréquence des castra et des « castelnaux », qui ont si profondément et durablement marqué les paysages comme la sociologie des campagnes méridionales119 ?
Notes
1 Le problème de la perception de l’entité occitane au Moyen Age a bien été analysé par R. Mussot-Goulard, Les Occitans, Paris, 1978, p. 9-13.
2 Voir, en dernier lieu, l’Histoire de l’Occitanie, dirigée par A. Armengaud, Paris, 1979.
3 Nous renvoyons à ce sujet à la récente synthèse de P. Bonnassie, L’Occitanie, un État manqué ?, dans l’Histoire, no 14, 1979, p. 31-40.
4 Thèses de M. Gramain (sur le Bas-Languedoc), G. Demians d’Archimbault (Rougiers), M. Fixot (Provence), J. Clémens (Agenais)…
5 Dans l’attente de la publication de sa thèse, on dispose d’un nombre important d’articles de G. Demians d’Archimbault qui rendent compte des principaux centres d’intérêts mis en évidence au cours de la fouille de Rougiers ; citons notamment L’archéologie du village médiéval, exemple anglais et expérience provençales, dans Annales, E.S.C., 1962, p. 447-488 ; Archéologie et villages désertés en Provence occidentale : résultats de fouilles, dans Villages désertés et histoire économique, XIe-XVIIIe siècles, Paris, 1965, p. 287-301 ; L’habitation rurale en Provence occidentale : techniques de construction et d’aménagement d’après les fouilles récentes, dans La construction au Moyen Age, Paris, 1973, p. 59-110 ; Monnaies, céramiques et chronologie : essai d’analyse des fouilles de Rougiers (Var), dans Provence Historique, XXV, 1975, p. 227-241 ; en collaboration avec M. Fixot, L’organisation de la campagne en Provence occidentale : indices archéologiques et aspects démographiques (xie-xve siècles), dans Provence Historique, XXVII, 1977, p. 3-23.
6 G. Fournier, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen Age, Paris, 1962 ; La défense des populations rurales pendant la guerre de Cent Ans en Basse-Auvergne, dans Actes du XCe Congrès National des Sociétés Savantes, Section Archéologie, Nice, 1965 (Paris, 1966), p. 158-199 ; Chartes de franchises et fortifications villageoises en Basse-Auvergne au xiiie siècle, dans Les libertés urbaines et rurales du xie au xive siècle, Colloque de Spa, 1966, p. 223-244 ; Châteaux, villages et villes d’Auvergne au xve siècle, d’après l’Armorial de Guillaume Revel, Genève, 1973 ; Le château dans la France médiévale, Paris, 1978.
7 Fournier, Peuplement rural, p. 365-399.
8 M. Fixot, La motte et l’habitat fortifié en Provence médiévale, dans Château Gaillard, t. VII, Caen, 1975, p. 67-93 ; L’organisation de la campagne en Provence occidentale ; indices archéologiques et aspects démographiques (xie-xve siècles), dans Provence Historique, XXVII, 1977, p. 3-23.
9 J. de Font-Réaulx, L’origine des villages du Sud-Est, dans Bull. phil. et hist. du Comité des Travaux historiques, Année 1965 (1968), p. 257-243 ; jusqu’aux travaux de M. Fixot, les autres études sur les origines de l’habitat perché reposaient essentiellement sur l’interprétation des données du vocabulaire des chartes, notamment : J.C. Poteur, Origine et évolution de l’habitat médiéval en Provence orientale, dans Recherches archéologiques médiévales de la France de l’Est, t. VII, 1978, p. 21-29, et J.P. Charre, L’habitat et la mise en place du peuplement dans la vallée moyenne de la Durance, dans Bull. Soc. Études des Hautes-Alpes, 1969, p. 77-109.
10 E. Baratier, Les communautés de Haute-Provence au Moyen Age. Problèmes d’habitat et de population, dans Provence Historique, XXI, 1971, p. 237-348, et, dans la discussion qui a suivi ce rapport de synthèse, l’intervention de G. Demians d’Archimbault, p. 252-254 ; de ce même auteur, L’habitation rurale, p. 59.
11 E. Magnou-Nortier, La société laïque et l’église dans la province ecclésiastique de Narbonne, de la fin du viiie à la fin du xie siècle, Toulouse, 1974, notamment les p. 595-603 (liste et cartographie des châteaux) et 131-147 (dispersion de l’habitat rural en manses).
12 W. Hensel et collab., Dans l’Albigeois, le château et le village de Montaigut, dans Archéologie du village déserté, Paris, 1970, p. 13-53.
13 Pour tout ce qui concerne la Gascogne gersoise, nous renvoyons à notre thèse Les castelnaux de la Gascogne médiévale, Bordeaux, 1980.
14 M. Lassure, La motte no II de Panassac (Gers), dans Bull. Soc. Arch. du Gers, 1975, p. 37-51.
15 Les coutumes de Corneillan (1142), ont été publiées par Ch. Samaran, dans Bull. phil. et hist. du Comité des travaux historiques, 1951-1952 (Paris, 1953), p. 331-356.
16 Demians d’Archimbault, L’habitation rurale, p. 86-87.
17 B. Cheronnet, La charte de peuplement de Herrère (1278) : aux origines de la puissance des Lescun, Revue de Pau et du Béarn, 1978, p. 217-247.
18 Arch. dép. Tarn-et-Garonne A 297 (Saume de l’Isle-Jourdain), fo 70 v°.
19 Hensel, Montaigut, p. 33-34.
20 Du Bourg, Etude sur la ville et communauté de Fonsorbes, dans Mém. de la Soc. arch. du Midi de la France, t. X, 1874, p. 346-348 ; P. Ourliac, Les sauvetés du Comminges, Toulouse, 1947, p. 119.
21 W. Hensel et collab., Dans les Baronnies : le village perché de Condorcet, dans Archéologie du village déserté, Paris, 1970, p. 173-191.
22 D. Fèvre, Évolution architecturale et urbanisme de Cruas, village médiéval de la basse vallée du Rhône, dans Recherches archéologiques médiévales de la France de l’Est, t. VII, 1978, p. 3-19.
23 M. Gramain, Aspects monumentaux des « castrum » du Bas-Languedoc occidental (xiie-xive siècles), dans Actes du Colloque de Bazas, octobre 1978 (sous presse).
24 F. Moulenq, A. Galabert, Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, t. III, Montauban, 1874, p. 130.
25 Notamment celui de Pouillon, étudié par G. Fournier dans Le château dans la France médiévale, p. 343-344.
26 Monferran, v. supra, n. 19 ; paréage de Montolieu publié dans l’Hist. gén. de Languedoc, éd. Privat, t. IV, p. 449-450.
27 Baratier, Communautés de Haute-Provence, p. 240.
28 Fait souligné récemment par Monique Zerner, La Croisade albigeoise, Paris, 1979, p. 41-42.
29 J.A. Brutails, Étude sur la condition des populations rurales du Roussillon au Moyen Age, Paris, 1891, p. 35-42.
30 Fournier, Chartes de franchises et fortifications villageoises ; La défense des populations rurales, v. supra, n. 6.
31 Cursente, Castelnaux ; à Sainte-Livrade, par exemple, plus de la moitié des articles de la charte de coutumes concernent ce sujet ; les coseigneurs chargent l’un d’entre eux de rendre la justice et d’en percevoir les revenus, qu’il devra ensuite répartir équitablement.
32 Abbé Degert, Une des plus anciennes coutumes de Gascogne, la fondation de Mugron, dans Bull. phil. et hist. du Comité des travaux historiques, 1901, p. 45-52 ; l’abbé de Saint-Sever concède en même temps que l’emplacement du castrum de Mugron justitiam mercati quod dicitur Lobere.
33 Baratier, Communautés de Haute-Provence, p. 241 : les plateaux de la moyenne Provence, baillie de Castellane, et vallées du Var moyen et de l’Estéron.
34 Fournier, Chartes de franchises et fortifications villageoises.
35 E. Le Roy Ladurie à propos du castrum languedocien de Coussergues, dans Les paysans du Languedoc, Paris, 1966, p. 147.
36 Dans les textes en langue gasconne, les « cavers ».
37 Fèvre, Évolution architecturale et urbanisme de Cruas, p. 11-12.
38 Hensel, Montaigut, p. 35.
39 J.B. Marquette, Les Albret, t. IV, Terres et hommes d’Albret, dans Les Cahiers du Bazadais, 1979, p. 602-605.
40 Cursente, Castelnaux ; cette fonction du castrum apparaît particulièrement à Montferran-Savès.
41 Hypothèse avancée par Brutails, Etude sur la condition…, p. 34-35.
42 Idée émise par J. de Font-Réaulx, L’origine des villages du Sud-Est, p. 239.
43 Gramain, Aspects monumentaux.
44 Bibliographie des principales publications de G. Demians d’Archimbault sur Rougiers, supra, n. 5.
45 Ce problème se trouve au centre de la belle thèse du géographe Roger Livet, Habitat rural et structure agraire en Basse-Provence, Aix. 1962.
46 E. Baratier, La démographie provençale du xiiie au xvie siècle, Paris, 1961, p. 78 ; en 1249, ce castrum récemment réédifié, compte 15 feux, il en compte 20 en 1263, 35 en 1332, 40 en 1340, 12 en 1355.
47 Archéologie Médiévale, t. VIII, 1978, p. 271 (D. Foy et M. Fixot).
48 Ibid., p. 271-272 (H. Ribot).
49 Ceux de Châteauneuf, Châteauvéron et Châteauguyon, cités par F. Fray et E. Sauze, Les enceintes fortifiées dans les cantons de Cadenet et de Pertuis (Vaucluse), dans Mélanges André Villard, Marseille, 1975, p. 336-387.
50 L. Stouff, Peuplement, économie et société de quelques villages de la montagne de Lure (1250-1450), dans Cahiers du Centre d’études des sociétés méditerranéennes, no 1, 1966, p. 35-108.
51 J.A. Durbec, Notes historiques, toponymiques et onomastiques sur quelques villages de la région de Grasse, dans Bull. phil. et hist. du Comité des travaux historiques, année 1966, p. 441-445.
52 N. Coulet, Encore les villages disparus : autour d’Aix-en-Provence, xive-xve siècles, dans Annales, E.S.C., p. 1463-1483 ; 2 des 10 villages étudiés, Le Sembuc et Saint-Marc se trouvent abandonnés à l’orée du xive siècle.
53 Baratier, La démographie provençale, à compléter par l’art. cité de Noël Coulet.
54 A Rougiers, les pièces sont alors cloisonnées ; Demians d’Archimbault, Habitation rurale, p. 86-91.
55 P. Gauberti, Peille, Nice, 1966-1973, t. I, p. 181-191.
56 Processus bien décrit par R. Livet, L’habitat rural, p. 200-206, et, dans un cadre plus restreint, par J.P. Charre, L’habitat… dans la vallée moyenne de la Durance : 9 des 17 castra que semble avoir compté se secteur au haut Moyen Age ont finalement disparu.
57 Livet, op. cit., p. 152-158 ; Coulet, art. cit., p. 1467-1468.
58 R. Jeancard, Les seigneuries d’outre-Siagne, Cannes, 1952, p. 145.
59 Gramain, Aspects monumentaux.
60 Le doute émis à ce sujet par W. Hensel. Montaigut, p. 59, a été confirmé par Ph. Wolff, qui a retrouvé la trace de Montaigut dans un acte notarié de 1340.
61 M. Gramain, art. cit., souligne la modération du perchement des castra languedociens, alors qu’en Provence, comme en Catalogne, il y aurait eu résurgence d’une civilisation du rocher.
62 Document cité par G. Fournier, Le château dans la France médiévale, p. 343-344.
63 Fray et Sauze, Les enceintes fortifiées, p. 381-384.
64 Fournier, Chartes de franchises.
65 Id., La défense des populations rurales.
66 En dernier lieu sur ce problème, l’article de G. Bourgeois, Formation et structure d’un village médiéval en Rouergue : Saint-Jean-d’Alcas, dans Annales du Midi, 1974, p. 1-20.
67 J. Lartigaut, Les campagnes du Quercy après la guerre de Cent Ans, Toulouse, 1978, p. 213-223.
68 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté du Béarn, Bordeaux, 1960, p. 155, n. 127.
69 E. Fournial, Les villes et l’économie d’échanges en Forez aux xiiie et xive siècles, Paris, 1967, p. 23-40.
70 En dernier lieu, Ph. Contamine, Les fortifications urbaines en France à la fin du Moyen Age : aspects financiers et économiques, dans Revue Historique, 1978, p. 25-47.
71 P. Toubert, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridonial et la Sabine de la fin du ixe à la fin du xiie siècle, Rome, 1973, t. I, p. 205, 340.
72 Demians d’Archimbault, L’habitation rurale, p. 86.
73 Ce nom apparaît en 1598 à Cucuron : Fray et Sauze, Enceintes fortifiées, p. 371.
74 P. Lavedan, J. Hugueney, L’urbanisme au Moyen Age, Paris, 1974, p. 64-66.
75 L. Josserand, Les villages ronds du Razès, dans Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1931, p. 5-21.
76 V. Raymond, Les villages perchés d’outre-Siagne. Étude de leur structure. Les maisons anciennes, dans Actes du XCe Congrès national des Sociétés savantes. Section archéologie, Nice, 1965 (Paris, 1966), p. 139-155.
77 J.F. Massie. Les origines du bourg de Doazit, dans Bulletin de la Société de Borda. 1974, p. 399-423 (la régularité du plan, reproduit dans cet article, conduit l’auteur à interpréter ce castrum comme une bastide).
78 Exemples pris en Gascogne, et analysés dans notre thèse, Cursente, Castelnaux.
79 Gramain, Aspects monumentaux ; Lartigaut, Campagnes du Quercy, p. 216.
80 Notamment pour la Gascogne, la thèse de Jacques Gardelles, Les châteaux du Moyen Age dans la France du Sud-Ouest, La Gascogne anglaise de 1216 à 1327, Paris, 1972.
81 J.B. Marquette, Les Albret, IV, p. 602-605.
82 Hensel, Montaigut, p. 35.
83 Gramain, Aspects monumentaux.
84 Hist. gén. de Languedoc, t. IV, p. 449-450.
85 Demians d’archimbault, L’habitation rurale en Provence.
86 Archéologie Médiévale, t. VI, 1976, p. 338-339 (H. Ribot).
87 Gramain, art. cit.
88 Hypothèse émise pour le castrum de La Madeleine par Henri Ribot, Archéologie Médiévale, t. VI, p. 339.
89 Compte non tenu, évidemment, des quelques grandes constructions en pierre ou en brique dues à des initiatives comtales ou épiscopales.
90 Archéologie Médiévale, t. VI, 1976, p. 336.
91 Jacques Clémens est le premier à avoir attiré l’attention sur ce site : Le troglodytisme de Saint-Caprais et de Saint-Emilion, dans Saint-Emilion et Libourne. La religion populaire en Aquitaine, Fédération Historique du Sud-Ouest, 1979, p. 107, n. 6.
92 Souvent, les habitants ont la charge d’entretenir le segment de rempart qui correspond à leur demeure.
93 Fèvre, Cruas, p. 13.
94 F. Benoît, Les Baux, Paris, s.d., p. 62-63.
95 Hensel. Montaigut, p. 34.
96 Brutails, Etude sur la condition, p. 36-37 (ecclesiae incastellatae) ; l’église de Corsavi, délaissée par le castrum implanté sur un site plus escarpé, constitue, selon cet auteur, une exception : ibid.. p. 43.
97 J. Clémens, Églises paroissiales et bourgs dans le diocèse d’Agen, dans Revue de l’Agenais, 1968, a relevé la liste de 61 bourgs du diocèse d’Agen et de l’actuel département du Lot-et-Garonne ayant eu, à un moment donné, l’église paroissiale extra-muros ; une partie de ces bourgs se trouvent être des castra.
98 Archéologie Médiévale, t. VI, p. 338 339 (H. Ribot).
99 G. Carrot, Saint-Jeannet, Grasse, 1977, p. 53.
100 Soulignons-le : il ne s’agit là que d’une tendance, qui mériterait d’être évaluée numériquement, et nuancée régionalement. Il existe bien sûr aussi un certain nombre de castra qui donnent l’impression d’avoir été « suréquipés » en lieux de culte ; ainsi le minuscule bourg de Castelnau-Pégayrols, riche de deux églises romanes : G. Gaillard, Rouergue roman, La Pierre-Qui-Vire, 1963, p. 206-207.
101 Livet, Habitat rural, p. 209.
102 Demians-d’Archimbault, Habitation rurale, p. 86.
103 Garrot, Saint-Jeannet, p. 151.
104 Gauberti. Peille, t. III, p. 6-7.
105 Chanson de la Croisade albigeoise, éd. Martin-Chabot, t. I, Paris, 1960, p. 138.
106 Gramain, Aspects monumentaux.
107 Gauberti, Peille, t. III, p. 6-7.
108 Gramain, Aspects monumentaux ; Brutails, Étude sur la condition, p. 43.
109 Arch. dép. Gers, E suppl. 1079, fo 1.
110 Au cours de ce travail, nous avons relevé plusieurs mentions d’ormeaux situés intra muros. Il y a là matière à une intéressante recherche, à partir des pages suggestives d’Henri Polge, L’orme au village, dans Annales du Midi, 1976, p. 75-91.
111 Demians-d’Archimbault, Habitation rurale, p. 84-85.
112 Livet, Habitat rural, p. 210-211.
113 Demians-d’Archimbault, Habitation rurale, p. 87.
114 M. Gouron, La diffusion des consulats méridionaux et l’expansion du droit romain aux xiie et xiiie siècles, dans Bibl. École des Chartes, 1963, p. 26-76. Il est intéressant de comparer les cartes dessinées dans cet article (p. 52-53), avec l’aire d’expansion des castra ; dans quelle mesure n’aurait-on pas là deux aspects d’un même courant civilisateur, le premier affectant les milieux urbains et le second le monde rural ?
115 E. Le Roy Ladurie. Montaillou, village occitan, Paris, 1975. p. 25-26.
116 Le Rapport présenté ici même par M. Debord complète notre exposé pour cette région. Les recherches menées par J.B. Marouette sur Les castelnaux du Bazadais (Actes du Colloque de Bazas, sous presse), font apparaître des formes d’habitat castrai assez diversifiées, différentes quant au vocabulaire comme aux structures matérielles de celles que nous avons observées dans la Gascogne gersoise.
117 M. Rey, La limite géographique de l’habitat perché dans les Hautes-Alpes. dans Revue de Géographie alpine, XVII. 1929. p. 5-39 ; P. Veyret, Les pays de la Moyenne Durance alpestre, Paris, 1945, p. 522-524.
118 Cursente. Castelnaux ; en Gascogne ces toponymes, relativement fréquents, désignent toujours un bourg castrai fortifié, par opposition, souvent, au « Castelvielh », qui correspond à un bourg castrai inorganique. En donnant à ce toponyme de « Castelnau » une valeur générique, comme le fit intuitivement André Curie-Seimbres voici un siècle, il est donc possible dans cette région d’échapper à l’ambiguïté du mot castrum ou « castet », qui désigne à la fois la forteresse et le bourg fortifié.
119 Monique Zerner, Croisade albigeoise, p. 40-42, est la première à avoir relevé l’importance des castra dans la sociologie de l’hérésie ; ce problème mériterait une étude approfondie.
© Presses universitaires du Midi, 1980