1Après l’éclipse révolutionnaire, c’est l’école de Droit – hommage à une vocation plusieurs fois centenaire de Toulouse dans le domaine des sciences juridiques – qui est ressuscitée en premier, dès 1804 : le droit civil, cher à Napoléon, et le lieu où on l’enseigne, ont les honneurs du pouvoir. L’école de Droit retrouve le titre de faculté en 1808. Le schéma napoléonien, très centralisé et uniformisateur, conduit la faculté à se couler dans un moule unique tant pour ce qui est des programmes que des modes de recrutement des professeurs. Elle perd un peu ce qui faisait son caractère exceptionnel sous l’Ancien Régime, en France et en Europe. Elle garde cependant une place importante, parmi les plus nombreuses par les effectifs après Paris, et demeure une institution notable de la ville qui l’abrite.

2Parmi les professeurs, nombre jouent un rôle important, tant à Toulouse, qu’à Paris. Eugène Poubelle est à coup sûr le plus connu : préfet de la Seine, il laisse son nom à la postérité par son arrêté du 7 mars 1884, acte de naissance de la poubelle. La place reconnue à ces Maîtres du droit revêtus de leur robe rouge et noire, à ces notables habiles à tourner le discours, les dirige vers les fonctions politiques : ils sont maires, députés, conseillers généraux, présidents de l’assemblée de leur département. Théophile Huc occupe le siège de premier magistrat de la ville de 1882 à 1884. Honneur insigne, son buste, et celui du doyen Hauriou, présidaient la salle des Thèses de la faculté depuis 1930. Conseiller général en Tarn-et-Garonne, président de l’assemblée du département en 1853, Osmin Bénech, avocat, professeur de droit romain, est doyen de la faculté au moment de sa mort. Une génération plus tard, Ferdinand Arnault occupe la chaire d’économie politique. Quoique fort conservateur, comme Benech, il n’est pas sans goûter la consécration du suffrage universel. Il est conseiller général, puis député. La faculté est alors un petit cénacle, une douzaine de professeurs à la fin du Second Empire. On y fait assaut de bonnes manières, on fréquente assidûment l’Académie de Législation et celle des Jeux floraux, on est une autorité morale en ville : Antonin Deloume, doyen de la faculté en 1900, est la parfaite illustration de cette posture. Très attaché à la tradition universitaire, il suscite la galerie de portraits de la faculté. Très lié à la ville, il est l’exécuteur testamentaire de Théodore Ozenne. Par lui, le legs fait aux académies toulousaines permettra le salut de l’Hôtel d’Assezat.

3La faculté forme aussi nombre de personnalités éminentes, tels Vincent Auriol, président de la iv^e République (1947-1954), Gaston Monnerville, président du Sénat de 1959 à 1968, deuxième personnage de l’État sous la V^e République : parfaits exemples de la méritocratie républicaine. Tous ou peu s’en faut, dans leurs Mémoires, évoquent avec reconnaissance et, parfois, un peu de nostalgie, les années passées dans le quartier de la rue des Lois.

4Contre la réputation héritée du second xx^e siècle, les relations sont bonnes avec une faculté des Lettres à laquelle l’on est réuni par le même jardin : Jean Jaurès, professeur de philosophie, s’inscrit même à la faculté de Droit. Il retrouve son collègue le doyen Maurice Hauriou au café, place du Capitole, et l’on n’a pas fini de s’interroger sur les influences mutuelles nées de ces échanges.

5Les formations se diversifient progressivement, les cours nouveaux se créent, en dehors des anciennes matières reines, comme le droit romain enseigné en latin jusqu’en 1830.

6La période ouverte après la Libération est particulièrement riche. La filière « sciences économiques » apparaît, sur création ministérielle, en 1960 et donnera naissance à la faculté de Sciences économiques. Tiennent une place spécifique deux institutions dotées d’une forte autonomie : l’institut d’Études politiques, créé en 1948, et l’institut de Préparation aux Affaires, futur institut d’Administration des Entreprises, individualisé en 1955. Il convient enfin de rappeler, par ordre chronologique, les centres mêlant enseignement et recherche, successivement mis en place en fonction des spécialités que la faculté voulait développer et des partenariats qu’elle privilégiait : l’institut de Criminologie et des Sciences pénales et l’institut de Droit comparé des pays latins (tous deux dès 1924), l’institut des Techniques économiques et comptables (1944), l’institut d’Études judiciaires (1960), l’institut des Études juridiques de l’urbanisme et de la construction (à la suite d’une délibération du conseil municipal de Toulouse de 1964) et le centre d’Études juridiques et économiques de l’emploi. Sous les effets conjugués de cette diversification des formations, des évolutions de la démographie française et d’un effort pour une plus grande démocratisation de l’enseignement supérieur, les effectifs connaissent une forte croissance, passant de 1 000 environ dans l’entre-deux-guerres à plus de 5 000 en 1969, avec une croissance de plus de 15 % l’an dès 1961, année d’étiage (1 377 étudiants, enfants des classes creuses héritées de 1914-1918). Une partie des causes des événements de 1968 tiennent dans ces chiffres même s’ils sont moins marqués à la faculté de Droit et des Sciences économiques de Toulouse qu’ailleurs.

7Lorsqu’il faut appliquer la loi de 1968 sur le nouveau découpage universitaire, tendant à faire éclater les facultés les plus importantes, essentiellement celles de Paris, et à regrouper les moins peuplées, comme dans la plupart des villes de province, la position des juristes toulousains est assez spécifique. Toutes sortes de reconfigurations sont envisagées. Le ministère souhaite d’abord constituer deux pôles à Toulouse, l’un correspondant aux sciences dites « dures » et qui se réalisera avec l’université Paul Sabatier, l’autre correspondant aux sciences humaines et sociales, projet qui se heurte à la mauvaise volonté des juristes et des littéraires à fusionner malgré leur proximité géographique : les souvenirs très récents de mai 1968 n’étaient pas pour rien dans cette défiance mutuelle et réciproque. Nombre de juristes ne voyaient pas la barricade du même côté que les littéraires. Le directeur des Enseignements supérieurs propose alors aux économistes de participer à une « université expérimentale » où ils auraient rejoint les sociologues, une partie des historiens et les géographes, mais il se heurte là aussi à un refus. La faculté de Droit envisage quelque temps de se retrouver avec les médecins mais le projet est rapidement abandonné. La solution finalement adoptée constate l’attachement des juristes, économistes, gestionnaires et politologues à maintenir une structure résultant de plus de sept cents ans d’histoire, avec la transformation de la vieille faculté de Droit en université des Sciences sociales par un décret du 23 décembre 1970. Dès cette époque, les locaux voués à l’enseignement et à la recherche commencent à s’étendre de l’autre côté de la rue des Puits-Creusés.