Histoire générale

1La Révolution porte un rude coup à l’université de Toulouse. Le 27 novembre 1790, les ecclésiastiques sont astreints au serment de fidélité à la Constitution civile du clergé et le 22 mars 1791, tous les enseignants doivent prêter le serment civique. Les défections se multiplient, désorganisant les facultés, d’autant que nombre d’étudiants abandonnent les salles de cours pour rejoindre l’armée tandis que bien des professeurs s’engagent dans la vie politique. Les autorités locales tentent de reconstituer les effectifs en recrutant à la hâte des enseignants gagnés aux idées nouvelles. Mais nombre d’entre ces professeurs « patriotes » se consacrent surtout à des activités politiques, les crédits font défaut et, à mesure que se durcit le mouvement révolutionnaire, grandit la méfiance à l’égard d’institutions issues de l’Ancien Régime. Finalement, le 15 septembre 1793, « les collèges de plein exercice et les facultés de Théologie, de Médecine, des Arts et de Droit sont supprimées sur tout le territoire de la République ». La mesure, pourtant rapportée dès le lendemain, intervient à un moment où la situation semble avoir atteint un point de non-retour : ainsi, la faculté de Théologie n’a plus délivré le moindre diplôme depuis 1790 ; le nombre de bacheliers de la faculté de Médecine tombe de 38 pendant les deux premiers semestres de l’année 1790-1791 à 17 en 1792-1793 ; la faculté de Droit est moribonde : 36 bacheliers en 1790-1791, 17 en 171-1792, 2 pour les deux derniers trimestres 1792-1793.

2Soucieuse de ne pas laisser les choses empirer encore, l’administration départementale met, le 19 décembre 1793, un terme à l’agonie en organisant une structure nouvelle regroupée dans des locaux répartis entre le ci-devant collège royal (aujourd’hui lycée Pierre de Fermat), l’académie des Sciences, l’académie de Peinture, Sculpture et Architecture. Elle est baptisée « enseignement national provisoire » puis « institut Paganel », du nom du représentant du peuple en mission qui confirme cette création le 11 janvier 1794. On s’y attache à « élever l’esprit public [...] à la hauteur des vertus qui caractérisent le vrai républicain » en se consacrant à l’étude des « droits de l’homme, des devoirs du citoyen, de l’histoire des peuples, des éléments des sciences utiles » ; autant de cours dispensés par des professeurs qui, bien que pour la plupart déjà en activité sous l’Ancien Régime, acceptent d’abandonner ces « visibles emblèmes du pédantisme doctoral : robe noire et traînante, rabat plissé, bonnet carré à toupe, ceinture dont la largeur étoit toujours proportionnée à la vanité de celui qui en étoit décoré ». L’institut Paganel a le mérite d’avoir maintenu à Toulouse un enseignement à vocation supérieure durant une période particulièrement troublée : droit public, belles-lettres, mathématiques, physiques, sciences naturelles, géographie, médecine, art vétérinaire, beaux-arts, art militaire. Le bilan est cependant mitigé : situation financière catastrophique, public très hétérogène, absence de diplôme sanctionnant des études d’ailleurs dépourvues de tout contrôle.

3Il faut en définitive attendre l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte pour que soient posées les bases de ce que sera l’édifice universitaire jusqu’en 1968 avec la fondation de l’université impériale, structure administrative pyramidale fortement hiérarchisée : Grand-Maître (plus tard ministre), recteurs d’académies, doyens des facultés. Chaque ville universitaire est en principe doté de cinq facultés : trois à vocation professionnelle (droit pour le personnel judiciaire et les fonctionnaires, théologie pour le clergé, médecine pour les professions de santé), les deux dernières (lettres et sciences) couronnant les études secondaires. La mise en place ne se fait que progressivement. Le décret du 21 septembre 1804 créé une « école de Droit », ce qui contribue à restaurer partiellement l’antique lustre de l’ancien siège du parlement du Languedoc, siège d’un tribunal puis cour d’appel depuis 1800. Le décret du 1^er mai 1806 fonde « l’école impériale de Médecine et Chirurgie » qui ne pourra former que des « officiers de santé » sans pouvoir délivrer le grade de docteur en médecine, monopole réservé aux cinq facultés de Paris, Strasbourg, Montpellier, Turin et Mayence ; elle est d’ailleurs purement et simplement issue d’une initiative privée baptisée « société de Médecine, Chirurgie et Pharmacie » qui, depuis 1801, assurait avec succès et gratuitement cours, consultations et campagnes de vaccination contre la variole au profit des indigents. Le décret du 17 mars 1808 ayant rétabli les facultés dans tout l’Empire, au cours de l’année 1809 l’école de Droit devient faculté tandis qu’apparaissent une faculté de Théologie catholique qui végètera avant de disparaître en 1843 (Montauban est dotée en 1810 d’une faculté de Théologie protestante qui ne survivra pas à la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905), une faculté des Lettres et une faculté des Sciences, cette dernière issue de l’« école communale des Sciences » organisée en 1805 par la municipalité. En revanche, l’école de Médecine et Chirurgie devra attendre 1891 pour retrouver son ancien titre de faculté.

4Au xx^e siècle, ces facultés donnent naissance à nombre d’instituts et d’écoles qui renforcent la vocation scientifique de Toulouse : institut de Chimie (1906), institut Électrotechnique et de Mécanique appliquée (1907), institut Agricole (1909) qui donnent naissance en 1948 et 1953 à l’école nationale supérieure Agronomique, à l’école supérieure d’Électrotechnique, d’Électronique, d’informatique et d’Hydraulique et à l’école nationale supérieure de Chimie auxquelles s’ajoute, en 1949, l’institut du Génie chimique. La faculté de Médecine est à l’origine du centre régional de Toulouse de Lutte contre le cancer (1923), du centre régional de Transfusion sanguine (1946) qui constitue un modèle repris hors de Toulouse, du centre pilote de Réanimation et de Secours d’urgence (1964) avant que, en 1968, le professeur Louis Lareng ne crée le premier service d’Aide médicale urgente (« SAMU 31 »). Le principe du SAMU sera étendu aux autres départements français par la loi du 6 janvier 1986. Le domaine des sciences humaines et sociales donne naissance à l’institut d’Études méridionales (1913), à l’institut de Droit comparé des pays latins (1923), à l’institut de Criminologie et des Sciences pénales (1924), à l’institut d’Études politiques (1949) ; autant de structures qui attestent la vitalité d’équipes à la pointe de la recherche et de l’enseignement.

5Tout cela ne va bien évidemment pas sans une forte croissance des effectifs enseignants : des quatre ou cinq professeurs secondés par quelques suppléants que compte à l’origine chaque faculté napoléonienne, on atteint 122 enseignants en 1910, puis 175 en 1950 (21 en droit, 41 en lettres, 55 en sciences, 58 en médecine) au statut fort variable : professeurs, maîtres de conférences, chargés de cours, chargés de conférences, chargés de travaux, maîtres-assistants, assistants.

6Dans le même temps, la population étudiante, attirée par les perspectives multipliées de débouchés professionnels, augmente dans de très fortes proportions. Au début du XIXe siècle, les facultés des Lettres et des Sciences n’ont pratiquement pas d’étudiants permanents (30 en 1813 à la faculté des Lettres, aucun inscrit à la faculté des Sciences entre 1810 et 1814) les professeurs se bornant à peupler les jurys du baccalauréat, de licence et de doctorat et à organiser des conférences et des expériences publiques ; la faculté de Théologie ne compte que 40 étudiants en 1813, l’école de Médecine et Chirurgie se trouve dans une situation à peine plus enviable avec 59 inscrits pour un public de plus de 200 personnes en 1809. En revanche, la faculté de Droit s’enorgueillit de sa seconde place après celle de Paris avec 493 inscriptions en 1813, soit plus de 12 % des 4 000 étudiants recensés dans les facultés de Droit de l’Empire. Jusqu’au milieu du XXe siècle, la situation évolue assez lentement. Si, en 1900, le droit conserve toujours la première place avec 850 étudiants, il est désormais talonné par la médecine et ses 700 étudiants, les sciences et les lettres en comptant respectivement 280 et 250. Vers 1950, les effectifs ont sensiblement augmenté mais l’ordre des facultés demeure le même : environ 2 100 juristes, 1900 futurs médecins, 1 700 scientifiques et à peu près autant de littéraires. Ensuite, en à peine plus d’une décennie, la situation évolue brusquement entre 1955 et 1968 avec l’explosion des effectifs et, débouchés faisant, une modification du classement des facultés. À cette date, la faculté de Droit et des Sciences économiques compte désormais 4 600 étudiants auxquels s’ajoutent ceux des instituts, la faculté de Médecine et de Pharmacie en dénombre 5 600 en y joignant ceux du C.P.E.M. relevant pourtant officiellement de la faculté des Sciences qui en décompte malgré tout près de 8 300 tandis que, désormais au premier rang, la faculté des Lettres enregistre plus de 9 500 inscriptions. Se pose alors avec acuité la question de l’espace.

7Les juristes, installés depuis le xvi^e siècle en bordure de l’actuelle rue Albert-Lautmann, refusent de quitter ce lieu historique mais, nécessité faisant loi, s’étendent peu à peu le long de la rue des Puits-Creusés puis colonisent les terrains de l’ancien arsenal abandonné par l’armée. La médecine s’installe le long des allées Jules-Guesde en 1837 avant de déménager à la périphérie, dans le quartier de Rangueil, à compter de 1968. Qui, désormais, se souvient encore du temps (1804) où l’école de Médecine plaidait pour une réfection des locaux de la Grave aux toitures crevées, « rongés de salpêtre jusqu’à environ deux mètres du rez-de-chaussée » et en partie loués à des particuliers y élevant oies et porcs ? La faculté des Sciences, installée depuis 1810 dans un immeuble de la rue Lakanal, rejoint la faculté de Médecine allées Jules-Guesde en 1890 puis rallie aussi Rangueil qui affirme ainsi sa vocation de pôle scientifique. La faculté des Lettres, après avoir erré du lycée de Toulouse à la rue Lautmann où elle rejoint la faculté de Droit en 1890 en passant par les locaux de l’ancien siège présidial, rue de Rémusat, engage en 1965 les procédures qui la conduiront à son transfert au Mirail où s’édifie alors une ville satellite de Toulouse. En 1968, la carte universitaire toulousaine est définitivement éclatée en éléments isolés les uns des autres, seuls les juristes bénéficiant encore des agréments du centre-ville et notamment de la « forte éducation du café », chère au doyen Hauriou...