1Bien que relativement court, le « beau xvi^e siècle » voit l’université de Toulouse, et plus particulièrement sa faculté de Droit, briller d’un feu envié dans tout le royaume. Un dicton illustre bien son renom : « Paris pour voir, Lyon pour avoir, Bordeaux pour dispendre [dépenser], et Toulouse pour apprendre ! » et la ville rose est surnommée la « cité palladienne » !

2Les chaires de droit sont alors confiées à des humanistes brillants qui se sont fait un nom dans la science juridique en plein renouveau, ou dans les belles-lettres : qu’il suffise de citer... Mathieu Pac (Pacius), Jean de Boyssoné, Jean de Coras, et tant d’autres. On sait évidemment que la tache sur ce beau livre d’or reste le grand Cujas qui n’y a pu être titularisé : en plein concours qui s’éternisait, l’université de Cahors l’a ravi à sa prestigieuse voisine : mais Cujas y avait été formé (par Arnaud du Ferrier) et y avait donné quelques cours ; l’honneur est – presque – sauf !

3Quoi qu’il en soit, ces ténors du droit romain et/ou canon attirent en cette première moitié du xvi^e siècle nombre d’étudiants des quatre coins du royaume et même de l’étranger. Il faut dire que les étudiants de l’époque ont l’humeur voyageuse et effectuent une longue peregrinatio academica sur la carte universitaire européenne, visitant tour à tour les campus de renom au gré des célébrités du moment : Rabelais a fait effectuer à son héros Pantagruel un tel Grand Tour, satirique mais guère éloigné de la réalité estudiantine. La moitié nord du royaume n’hésite pas en effet à venir suivre ses cours dans la « cité palladienne » : il faut dire aussi qu’il est alors interdit à l’université de Paris d’enseigner le droit romain et, quitte à aller à Orléans, Bourges ou Poitiers, voire jusqu’en Italie, la plupart se font une nécessité d’aller s’asseoir un temps sur les bancs toulousains.

4On y vient même de l’étranger. L’université de Toulouse s’insère alors en effet au sein d’un vaste circuit international qui mène les étudiants du nord et du sud de l’Europe vers l’Italie, berceau de la Renaissance : de toutes les universités du royaume, elle est d’ailleurs l’étape la plus courue, selon les témoignages d’humanistes corroborés par les statistiques.

5Les Espagnols s’y pressent au premier chef, et ce depuis le Moyen Âge. Toulouse est devenue et restera longtemps une université transpyrénéenne : non seulement les étudiants viennent y étudier, et pas seulement en droit, mais encore ses chaires sont souvent confiées à des humanistes du Portugal ou de l’Aragon, marranes ou non : ainsi du fameux Martin Azpilcueta, alias le docteur Navarre, l’« oracle du droit ».

6Cette attraction nationale et même internationale pousse l’université à se doter de locaux adéquats. Il a évidemment fallu contraindre les édiles qui se contentaient de bénéficier de cet afflux de consommateurs sans vouloir débourser. Après maintes plaintes, les docteurs régents qui, jusqu’alors, devaient loger leur auditoire à leurs frais et ici ou là, obtiennent gain de cause : par un arrêt du 19 janvier 1516, le parlement de Toulouse condamne les capitouls à « édifier ou faire édifier... six bonnes et souffisantes escolles ou auditoires, trois pour lire le droit canon et trois pour lire le droit civil » ; ceci dans un délai de six ans1. Le bâtiment ouvre à la rentrée 1522, le jour de la Saint-Luc (18 octobre). Même si, au lieu des six salles exigées, il n’y en a que trois, la faculté de Droit a enfin des bâtiments universitaires dignes de son renom : remaniés en 1540 après l’incendie provoqué par des échauffourées étudiantes, puis en 1706, ils y sont encore, sis entre la rue Valade, la rue des Puits-Creusés et la rue du Peyrou.

7Ce « beau xvi^e siècle », véritable « âge d’or » universitaire, avorte, on le sait, dans le sang des Guerres de religion. L’université connaissait bien les conflits : c’étaient jusqu’alors les traditionnelles guerres entre « nations » étudiantes, véritable apprentissage rituel d’une sociabilité violente. Rabelais, dans le Grand Tour des universités qu’il fait accomplir à son héros, note la spécialité de « Toulouse, où il apprit fort bien à danser et à jouer de l’épée à deux mains, comme est l’usance des écoliers de ladite université » ; ce n’est pas de la littérature : on compte par dizaines les ordonnances des capitouls tentant d’interdire aux étudiants le port de l’épée ; et les archives criminelles de la ville abondent en étudiants tués lors de rixes dans le quartier latin toulousain. Pourtant, les guerres interconfessionnelles marquent un tournant dans l’histoire de l’université de Toulouse qui, au diapason de son parlement, s’enferme dans l’intolérance et devient vite une citadelle ultra-catholique. Des professeurs humanistes et/ou « luthéranisants » sont évincés, humiliés, voire brûlés ou massacrés : on comprend que le campus est bientôt déserté par tous les déviants, à l’image du héros de Rabelais qui « n’y demeura guère, quand il vit qu’ils faisaient brûler leurs régents tout vifs comme harengs saurets ». Après la fin de cette période tragique, c’en est fini de l’effervescence intellectuelle de naguère.

8Après le rétablissement de la paix religieuse, l’université de Toulouse, comme les autres, passe pourrait-on dire de l’âge baroque à l’âge classique. La première moitié du xvii^e siècle est marquée par un relâchement des règlements et des mœurs universitaires, estudiantines ou professorales. De grands noms montent encore en chaire, les étudiants viennent encore assez nombreux de lointaines provinces (Normandie, Picardie, Bretagne ou Provence et Franche-Comté), mais maints témoignages s’offusquent de la gabegie. Le constat le plus sévère provient d’une autocritique du professeur Guillaume de Maran, élève de Cujas, dans un livre sans concession publié en 1615 : Remonstrance de la nécessité de restablir les universitez pour le restablissement de l’Estat, et les moyens de ce faire. Il dénonce tous les dysfonctionnements, fraudes et abus qui gangrènent les universités, la sienne autant que les autres, et qui menacent au bout du compte les deux piliers de l’État, la justice et la religion : manque d’étude, vie estudiantine turbulente et dissolue, graduations accélérée sans aucun mérite par le laxisme des docteurs régents qui frôle la vénalité. Il en appelle à un ressaisissement urgent et salutaire. Parmi ce tableau accablant, l’université de Toulouse n’est pourtant pas la plus défigurée, loin de là : elle conserve son prestige dans le royaume et forme toujours son lot d’étudiants sérieux venus de loin et promis à un bel avenir. À tel point que le pouvoir royal en mal d’absolutisme et de serviteurs compétents, négligeant plutôt les autres campus, en fait l’objet d’un soin tout particulier. Pour cela, Louis XIV, après son passage à Toulouse, missionne l’archevêque de Toulouse, l’intendant de Languedoc et son grand réformateur des Forêts, le très compétent Louis de Froidour, pour une longue et minutieuse inspection de l’université et de ses huit petits collèges de boursiers (1667-1668) : si elle n’aboutit pas sur-le-champ à une réforme, malgré des propositions de Froidour datées de juillet 1672, cette inspection prouve du moins que le roi s’inquiète de son sort et conforte finalement Toulouse dans son rôle d’université privilégiée dans les intérêts de la monarchie. Elle reste alors en effet le deuxième campus du royaume par ses effectifs, recrutant encore notablement dans la moitié nord, d’autant que la capitale n’a toujours pas le droit d’enseigner le droit civil : de 1660 à 1666, ses trois facultés supérieures et ses 17 professeurs ont « diplômé » un gros millier d’étudiants (560 juristes, 460 théologiens, et 60 médecins). La faculté subalterne des Arts est alors négligeable, reléguées dans une petite salle du collège de l’Esquille, avant d’être bientôt livrée au collège jésuite.

9Après la grande réforme des études juridiques (1679) qui normalise toutes les facultés de Droit du royaume et astreint les cursus à une régularité vérifiable, Toulouse garde ce rang et cette réputation de sérieux, a fortiori durant le siècle des Lumières, peu brillant pour l’histoire universitaire en général, la plupart des campus étant retombés, au mieux dans la médiocrité routinière, au pire, dans les dysfonctionnements, le laxisme et la fraude. Au xviii^e siècle, la faculté de Droit est toujours sa clé de voûte. Des juristes de renom illustrent encore ses chaires, comme Dadine d’Hauteserre ou Boutaric ; les effectifs globaux vont, bon an mal an, de 220 inscrits par trimestre à 450 sous Louis XVI. Sur tout le xviii^e siècle, elle a vu s’inscrire près de 7 500 nouveaux étudiants, et deux fois plus à la fin qu’au début du siècle : les autres facultés peuvent l’envier. Signe des temps, la faculté de Théologie se ressent du déclin des vocations et de la mentalité utilitariste qui gagne même les ordinands, les détournant des études longues et des graduations supérieures (il fallait cinq ans d’études pour un baccalauréat de théologie) au profit des cursus brefs du droit canonique (trois mois pour un « bac » par bénéfice d’âge, six pour une licence !), ou du degré subalterne, la maîtrise ès arts. La faculté de Médecine, abritée frileusement du vent de l’Histoire, s’est enfermée dans un traditionalisme périmé et a recalé par deux fois (1668 et 1676) le médecin François Baylé, pourtant alors connu jusqu’en Angleterre et en Hollande : il a en effet osé critiquer Aristote et les Anciens, et a indiqué que la voie de l’avenir de la médecine passerait par la pratique, l’expérience et la chirurgie. Son disciple Courtial, intégré par un subterfuge royal (1705-1711), et Astruc, un temps Toulousain (1713-1717), n’ont pu changer les choses. En 1754, la faculté refuse l’ouverture d’une école de Chirurgie qui est donc inaugurée comme fondation privée, extra muros. La seule embellie tardive survient, après maintes années de réticence, avec le recrutement en 1773 d’un encyclopédiste, Jean-Baptiste Gardeil, disciple favori de Jussieu à Paris, ami de d’Alembert et du baron d’Holbach ; la faculté maintient ainsi un rang méritoire (le troisième en France) face à l’hégémonie médicale de Montpellier ; mais le jardin des plantes médicinales tarde à se concrétiser.

10À la Révolution, l’inadaptation patente du système d’enseignement supérieur d’« ancien régime » aux besoins d’une société moderne et la gabegie ambiante qui le pervertissait emportèrent dans la tourmente l’université de Toulouse et son bilan très honorable. La Convention, le 15 septembre 1793, fit table rase des vieilles facultés, sans exception. Des solutions de remplacement (comme l’institut Paganel) furent certes improvisées selon l’optique des Lumières et de Condorcet, donc sur des bases, structures et finalités totalement différentes : mais il fallut attendre le siècle suivant et Napoléon pour voir s’édifier une institution nouvelle qui prendrait durablement la succession de la vieille Alma mater.