Archéologie et histoire de l’Église d’Afrique. Uppenna I
|Avant-propos
Texte intégral
1La basilique d’Uppenna constitue dans le domaine de l’archéologie un des témoins importants de l’histoire de l’Église en Afrique. Le nombre des mosaïques découvertes, la qualité des œuvres et leur échelonnement dans la durée, la diversité des interrogations que ce lieu de culte suscite sur l’évolution de l’Église, en termes de continuité et de ruptures, depuis le temps des persécutions du troisième siècle jusqu’à la période byzantine, se conjuguent pour conférer à l’étude de ce site un grand attrait.
2Ce que nous pouvons savoir de cette basilique, dans des conditions de recherches, il est vrai, fort ardues, est inappréciable. Le sanctuaire d’Uppenna dédié aux martyrs nous offre en effet la capacité de pénétrer pour quelques moments décisifs de son histoire dans l’intelligence de la manière dont une communauté chrétienne vivait et proclamait sa Foi.
3La basilique d’Uppenna est située à Henchir Chigarnia, à 90 km au sud de Tunis et 5 km au nord d’Enfidha – anciennement Enfidaville – sur le grand axe côtier nord-sud de la Tunisie. Elle fut fouillée de novembre 1904 à juillet 1905, puis en juillet 1906, d’une manière qui fut reconnue à l’époque même comme peu satisfaisante.
4Paul Gauckler, directeur du Service des Antiquités et Beaux Arts de la Régence, supervisa de loin, les premiers mois, les travaux de dégagement du site dont il avait confié la responsabilité au conducteur des Ponts et Chaussées d’Enfidaville, Louis Robin.
5Un conflit de compétence entre la Direction des Antiquités et la Société Archéologique de Sousse, plus précisément entre P. Gauckler et le Dr Carton, des divergences avec l’Archevêché de Carthage, puis le départ de Tunisie de P. Gauckler influèrent négativement sur le déroulement du chantier et le contenu des publications qui lui furent consacrées.
6Quelques clichés du début du xxe siècle sont conservés à la photothèque du musée du Bardo et à la bibliothèque de la Prélature (Évêché) de Tunis. Ils restituent le souvenir des fouilles, représentent de manière incomplète des pavements disparus, abside, chœur oriental, complexe baptismal. Des plaques de verre, quelques-unes assez floues, car vieilles de quatre-vingt-dix ans, pérennisent la mémoire de certaines mosaïques funéraires.
7Chacun des documents, mais aussi des lettres, comptes rendus, procès-verbaux publiés ou non, ont une valeur unique et je me suis attaché à les réunir dans cet ouvrage. Ils ne sauraient malheureusement suppléer aux pertes irréparables dues aux hésitations concernant le devenir du site, à l’absence de spécialistes sur le terrain au moment du chantier, à la recherche précipitée des reliques des martyrs, à la disparition des niveaux, à la perte des grands pavements.
8Des fouilles du début du xxe siècle, il reste comme généralement acquises et admises trois données : une interprétation, une réalité et une interrogation.
9L’interprétation fut celle que P. Gauckler développa en 1907 dans le tome XV des Nouvelles Archives des Missions : un édifice aux dimensions restreintes au ive siècle, probablement détruit par les Vandales, reconstruit et considérablement agrandi à l’époque byzantine ; les deux inscriptions martyrologiques correspondant aux deux états successifs et attestant de la permanence de la vénération des fidèles de la cité pour « leurs martyrs ». Le plan Gauckler-Sadoux fixe cette représentation et cette interprétation (cf. fig. 3).
10La réalité est celle des mosaïques conservées dans l’ancienne église d’Enfidaville devenue, après l’Indépendance, musée d’Enfidha : un ensemble de quarante mosaïques tombales dont celle de l’évêque Honorius, membre de l’épiscopat catholique de Byzacène, victime en 484, comme l’ensemble de l’épiscopat africain, de la proscription du roi vandale et arien Huniric. On peut contempler également un pavement géométrique sur lequel le visiteur est étonné d’observer deux épitaphes pour un même défunt, épitaphes qui avaient été trouvées superposées. Les deux inscriptions des martyrs sont conservées au musée ; la plus ancienne fut dégagée mutilée ; la seconde, qui a conféré depuis bientôt un siècle à Uppenna sa célébrité, rassemble autour de la Croix-Arbre de Vie les noms des Apôtres Pierre et Paul, du prêtre Saturninus, et des martyrs de la première inscription.
11La question que se posèrent immédiatement le Père Delattre, Paul Monceaux et sans doute bien d’autres personnes, à l’énoncé du texte des martyrs de la grande mosaïque, fut celle du caractère « éventuellement donatiste » de l’inscription. Le fait qu’ils ne donnèrent pas de suite à cette interrogation soit parce qu’ils avaient répondu trop hâtivement par la négative, soit parce qu’ils ne cherchèrent pas à poursuivre dans cette voie, soit parce qu’ils ne se crurent pas en mesure de franchir le pas, ne retranche rien à la pertinence d’une telle intuition à propos d’une œuvre qui est incontestablement un document ecclésiologique de grande importance.
12Les Autorités de l’Institut National d’Archéologie et d’Arts, de la Tunisie (inaa), devenu Institut National du Patrimoine (inp), ont bien voulu programmer deux campagnes de dégagement des ruines aux mois de juin et novembre 1971 et m’en confier la supervision alors que j’étais assistant d’Histoire ancienne à la Faculté des Lettres de Tunis. Par la suite, au cours des années 1972-1975, j’ai poursuivi les investigations avec l’aide d’étudiants. Ultérieurement en 1988-1990, j’ai pu procéder à des relevés et sondages complémentaires en étroite coordination avec l’inaa.
13Les travaux furent d’abord conçus dans la perspective d’un retour à 1906, c’est-à-dire du site tel qu’il était, à peu près, à la fin du déblaiement.
14« À peu près » car ce site avait beaucoup changé en un peu plus de soixante ans. Un double phénomène aux conséquences opposées s’était produit.
15D’une part, l’accumulation éolienne qui avait assez vite recouvert le périmètre d’une pellicule protectrice. On lui doit sans doute la sauvegarde de la mosaïque des audientes, dégagée en 1905 et qui était considérée comme disparue.
16D’autre part, malheureusement, la disparition de bien des vestiges, bases de colonnes, fragments de mosaïques, éléments de tombes, qui avaient été laissés sur place. Tout ce qui était apparent et qui pouvait être pris le fut. Ce site, comme bien d’autres, devint un terrain de pauvres fouilles clandestines occasionnelles. Une comparaison entre les quelques clichés des années 1900 (fig. 1-2,22 etc.), où tout paraissait enchevêtré dans le plus grand désordre, et la nudité du terrain vague de 1971 sera suffisamment explicite (Upp. II, fig. 1-2).
17« Fouiller une fouille », la tâche pouvait paraître ingrate. Elle se révèle de fait bien plus complexe que dans le cas d’une première investigation, en raison du bouleversement de l’ensemble du terrain, consécutif aux méthodes employées à l’époque puis à l’abandon ultérieur du site. Elle interdit quasiment toute analyse stratigraphique.
18Pourtant l’exemple d’Uppenna montre l’utilité et la nécessité de telles opérations sur des chantiers anciennement explorés et pour lesquels il n’y eut pas de publications scientifiques satisfaisantes.
19Les travaux ont d’abord permis d’établir un plan plus fiable de l’église, ils ont apporté des connaissances importantes sur la période la plus ancienne de l’établissement chrétien : iiie et ive siècles. Mentionnons, dès maintenant, les découvertes d’une abside et d’une cuve baptismale antérieures aux deux absides et aux deux cuves déjà répertoriées ainsi que la mise au jour de vingt-six mosaïques funéraires inédites et de sépultures.
20Notre travail sur la basilique d’Uppenna impose donc d’effectuer un va-et-vient entre ce qui fut vu et souvent mal interprété dans les premières années du xxe siècle et les résultats des travaux de dégagement des années soixante-dix. Il s’agit là bien sûr d’une difficulté de notre étude. Les chevauchements sont moins fréquents que ce que nous pourrions souhaiter. Pour la partie la plus ancienne de l’édifice, les découvertes récentes, l’observation des murs les plus anciens s’avèrent primordiales. Pour l’époque vandale et le début de l’ère byzantine, nous devons surtout procéder à la relecture minutieuse de ce qui reste comme témoignage des travaux du début du xxe siècle.
- 1 D. Raynal, « Culte des martyrs et propagande donatiste à Uppenna », Les Cahiers de Tunisie, tome X (...)
- 2 D. Raynal, « La basilique d’Uppenna. De la période vandale à l’époque byzantine. Interprétation de (...)
21Cette synthèse de nos connaissances actuelles et de nos interrogations sur la basilique d’Uppenna a été précédée par deux études. La première analysait le contenu des deux inscriptions martyriales superposées et leur signification ecclésiologique1, la deuxième proposait, pour les périodes vandale et byzantine, une chronologie différente de celle qui avait été fixée par Gauckler et qui avait été acceptée, par la suite, à quelques nuances près. Cette chronologie reposait exclusivement sur l’interprétation des documents des années 19002.
22Sur le point de présenter ici le résultat de mes recherches et avant d’exprimer préalablement ma gratitude aux différentes personnes qui m’ont encouragé dans ma démarche, aidé dans mes travaux, conforté par leur amitié, je voudrais d’abord faire part d’une conviction.
23Cette conviction est que le site d’Uppenna est bien vivant. Il était très proche de la disparition pure et simple en 1971, de plus en plus enclavé dans un village en extension rapide. Grâce à l’intervention des Autorités scientifiques tunisiennes, l’emplacement du bâtiment chrétien est désormais sauvegardé.
24La décision de nettoyage du site en 1971, la volonté de conservation se sont révélées d’autant plus judicieuses que, depuis une vingtaine d’années, des découvertes d’édifices chrétiens se sont multipliées dans la région Cap Bon-Sahel. Uppenna occupe, à la marge des anciennes Proconsulaire et Byzacène, à peu près le centre géographique de ce secteur. L’importance et le rayonnement de ce sanctuaire et lieu de pèlerinage dont l’histoire tourmentée symbolise assez bien celle du christianisme africain s’en trouvent confortés.
25Des découvertes ultérieures grâce à des moyens supplémentaires d’investigation et à l’intervention d’équipes de chercheurs sont à attendre tout autour du périmètre mais aussi dans l’enceinte même de l’église. Elles devraient permettre notamment d’identifier avec précision la nature de l’édifice qui avait précédé le lieu de culte chrétien et de réduire considérablement l’étendue du champ des hypothèses que certains trouveront peut-être trop nombreuses à la lecture de mon travail.
26Ce vœu de troisième vie pour le site archéologique de la basilique d’Uppenna, après 1904-1906, après 1971 et les investigations qui ont suivi, est loin d’être un vœu pieux ou une clause de style que l’on se doit d’intégrer en fin d’introduction.
27La convention de partenariat entre l’Institut National du Patrimoine de Tunisie et l’Université de Toulouse-Le Mirail signée en 1994 fixe le cadre d’une véritable coopération scientifique et atteste de l’intérêt et de l’engagement de chercheurs de Tunisie et de France pour le site d’Uppenna.
28Le nombre de personnes à qui je suis redevable est considérable. Cela tient pour une part à la durée de mes recherches sur Uppenna mais aussi à la qualité de l’accueil, de l’écoute, de l’amitié qui me furent réservés par tant et tant de personnes à l’Institut National du Patrimoine et à l’Université de Tunis. Je suis bien conscient d’être injuste par omission dans l’expression de ma gratitude.
29Je me dois de citer néanmoins :
30M. Beschaouch, Directeur Général de l’inaa à l’époque des fouilles, Mme Harbi-Riahi, Secrétaire Général de la Commission de Recherche Archéologique, puis Directeur Général de l’inaa, qui a suivi ce travail avec bienveillance, M. Fantar qui, dès le début, a bien voulu manifester tout l’intérêt qu’il portait aux recherches sur Uppenna, M. et Mme Ennabli pour leurs conseils toujours avisés, M. Slim pour la chaleureuse attention avec laquelle il a facilité la conclusion des recherches sur le terrain, M. Ennaïfer, Directeur des Musées Nationaux, et M. Ben Younès, Directeur du Musée du Bardo pour les autorisations concernant les musées du Bardo et d’Enfidha, la fréquentation du fonds photographique du musée du Bardo, M. Belhadj, Architecte de l’inaa, pour les premiers travaux de relevés.
31M. Mahjoubi pour nos longues discussions et interrogations, sur le terrain ou à la Faculté de Tunis, concernant Uppenna et Belalis, MM. Harrazi et Henia, enseignants à l’Université, étudiants à l’époque des fouilles, pour leur participation active au chantier, M. Ben Lazreg également étudiant au moment des fouilles puis chercheur à l’inp dont la contribution a été essentielle lors des ultimes vérifications, M. Beji, gardien du site d’Uppenna.
32Monseigneur Labbe, décédé depuis, et Sœur Mercedes Guttierez qui ont mis, avec obligeance, à ma disposition le double du dossier Uppenna conservé dans les rayonnages de la bibliothèque de la Prélature, ainsi que le Père Page, Archiviste des Missionnaires d’Afrique à Rome, pour le Fonds Delattre.
33M. Bion pour la réalisation du plan de la basilique, les plans d’évolution, la minutieuse reconstitution à l’échelle des pavements funéraires qui a permis de présenter les plans hors-texte. M. Cauche pour des photos de mosaïques au musée d’Enfidha, M. Chauchard pour les plans sectoriels des absides, monuments des martyrs, baptistères, chapelles latérales et sondages, M. Pessey pour la reconstitution des pavements et mosaïques funéraires disparus ainsi que celle de la première inscription des martyrs.
34J’exprime ma gratitude à M. le Professeur Viard pour la découverte, à Langres, d’un manuscrit de Robin. Je n’aurai garde de laisser sous silence mes échanges durant la dernière période avec le Père Schneider et MM. Ferjaoui et Soumille.
35Charles Pietri m’avait encouragé et avait accepté de me conseiller dans l’élaboration de la thèse. M. Pailler a bien voulu prendre le relais et dépasser les contraintes inhérentes à une direction de thèse pour s’impliquer activement avec ses collègues de l’Université de Toulouse – Le Mirail – je cite tout particulièrement M. Alexandropoulos - dans la concrétisation de la coopération scientifique avec l’Institut National du Patrimoine de Tunisie.
36J’exprime ma reconnaissance aux Professeurs qui ont bien voulu constituer le jury, Madame Pietri, Messieurs Alexandropoulos, Lepelley, Mahjoubi, Maurin, Pailler.
37Je voudrais aussi évoquer la mémoire de mon ami le Père Maury de la Communauté des Pères Blancs de l’Institut des Belles Lettres Arabes de Tunis, décédé en décembre 1985, et qui s’était intéressé de près à mes recherches sur Uppenna.
38Enfin, je voudrais exprimer toute ma reconnaissance affectueuse aux membres de ma famille, à mes enfants, et plus particulièrement encore à mon épouse Denise, à qui je dois tant dans cette aventure commune.
39En fonction des considérations qui précèdent, de la complexité mais aussi de la diversité des centres d’intérêt de la basilique d’Uppenna, la présentation de mon travail de recherche s’articule autour de quatre grands ensembles.
- 3 [La première partie correspond au présent volume. Les parties II, III et IV sont regroupées dans l (...)
40La Première partie s’intitule « Uppenna 1904-1907 »3. Elle comprend l’historique des fouilles, recense la documentation disponible publiée ou inédite, fait le point des affirmations de l’époque concernant l’évolution de la basilique, l’emplacement originel des mosaïques funéraires ainsi que les premières interrogations à propos des inscriptions des martyrs. Les fouilles de cette basilique ont provoqué des échanges épistolaires, avivé des passions, mis en évidence la rigidité de visions de l’Histoire ; nous nous intéresserons à ces différentes composantes.
41Le problème essentiel pour les fouilles du début du xxe siècle tient à l’état de la documentation. Je me suis fixé comme règle de mettre à la disposition des chercheurs la totalité des sources d’information dont j’avais pu disposer. Pour des raisons d’exigence intellectuelle. Parce qu’il importe de placer le curseur très précisément à la limite de ce qui est aujourd’hui connu et de ce qui est ignoré afin de bien prendre la mesure de nos manques et de déterminer dans quelles directions nous avons une chance de progresser dans la connaissance. J’entends par là des sources d’informations vieilles de quate-vingt-dix ans que l’on doit s’attacher, encore de nos jours, à découvrir et qu’il ne faut surtout pas considérer comme définitivement perdues. Une autre raison me guide dans cette volonté de transparence : les hypothèses, les interprétations exposées dans cette recherche méritent débat. Il ne peut y avoir échange, voire éventuellement confrontation dialectique, dans l’espoir de progresser, que si chacun dispose rigoureusement des mêmes éléments d’appréciation.
42C’est ainsi que tous les anciens clichés, dessins, plans dont j’ai pu prendre connaissance seront présentés et la totalité des lettres, documents sur lesquels je fonde mes déductions, répertoriés. En Annexe de cette Première partie, je publie l’intégralité des correspondances disponibles présentement et inédites concernant Uppenna, de Gauckler, Robin, Monceaux, Merlin, du Père Delattre, de la Société franco-africaine propriétaire du Domaine de l'Enfida, ainsi que le Procès-Verbal inédit de la troisième Mission archéologique aux ruines de la basilique. Ces écrits sont conservés aux Archives Nationales de Tunisie, dans les rayonnages de l’Institut National du Patrimoine, dans ceux de la Prélature à Tunis, aux Archives Nationales de France à Paris, dans les dossiers "Père Delattre" à Rome à la Maison des Missionnaires d’Afrique.
43Je reproduis également les Procès-Verbaux des deux premières Missions, certes publiés en 1906 mais qui sont d’accès difficile et parce que l’ensemble des trois Procès-Verbaux constitue un tout. Deux articles de L’Avenir du Centre, en date du 5 février 1905 et du 14 mai 1905, montreront ce que pouvait être l’engagement d’une presse qui se disait à l’occasion d’"opinion".
44La Deuxième partie présente pour la première fois les résultats des investigations de 1971 et des années suivantes. Les informations des années 1900 et celles des années soixante-dix ne se recoupant pas nécessairement doivent être visualisées dans un éclairage réciproque. Nous procéderons à cette double mise en perspectives.
45Cette Deuxième partie se subdivisera en deux sous-ensembles.
- L’étude sectorielle avec cinq chapitres : Les absides / L’espace central / Les monuments aux martyrs et le chœur oriental / Les chapelles nord et le complexe baptismal / Les chapelles sud.
- La reconstitution proposée des grandes phases de l’évolution de la basilique avec deux chapitres : Des premiers temps à l’époque vandale / Les périodes vandale et byzantine.
46L’étude des mosaïques funéraires d’Uppenna constitue la Troisième partie. Ces œuvres se répartissent en trois groupes, les mosaïques du musée d’Enfidha, celles qui ont disparu, les mosaïques mises au jour en 1971, ou redécouvertes pour deux d’entre elles, sur le site. J’arrive au total de quatre-vingt-sept pavements ou fragments de pavements pour lesquels nous disposons de photos avec une latitude de un ou deux suivant que Ton considère ou non que deux épitaphes accolées doivent être comptées pour une ou deux. L’existence d’au moins cinq mosaïques supplémentaires est attestée ; pour deux d’entre elles nous possédons quelques renseignements concrets. Ce total constitue le nombre le plus élevé de mosaïques funéraires actuellement recensées dans une église d’Afrique.
47Il n’est plus besoin de souligner de nos jours combien la production de fabriques locales semble obéir à des logiques d’évolution internes. Ainsi le plus grand nombre des mosaïques d’Uppenna, à part les premières et les plus récentes, présentent des traits de parenté tels que Ton ne pourrait se tromper sur leur identification même si l’indication du lieu devait être cachée. Une telle constatation ne réduit pas la nature de nos interrogations. Aucune basilique n’est un monde clos, imperméable aux influences extérieures, surtout pas celle d’Uppenna placée sur un grand axe de communication. En outre, l’histoire de l’Église d’Afrique a été tellement marquée par l’autorité spirituelle de certains de ses membres les plus éminents, et caractérisée par la densité de son maillage territorial, elle fut aussi tellement syncopée de grandes ruptures politiques, époques romaine, vandale, byzantine et de crises internes que l’observation de la suite des mosaïques d’Uppenna entre héritages et mutations mérite une grande attention.
48La Quatrième partie sera centrée sur ces quelques moments décisifs de l’histoire de la basilique pour lesquels nous disposons d’éléments moins fragmentaires et qui nous permettent de progresser dans l’intelligence de la manière dont une communauté de chrétiens – ou des communautés successives – vivait et proclamait sa Foi.
49Ces moments sont ici celui de l’apparition du symbole du Christ, celui de la réalisation du groupe central et numériquement le plus nombreux des mosaïques d’Uppenna au nombre desquelles celle d’un flamine perpétuel. Quelle signification donner à la composition de ces pavements et à l’unité de ce groupe ? Il y a ultérieurement l’action décisive de l’évêque Baleriolus, très certainement le commanditaire de la grande mosaïque des martyrs. Enfin, nous serons très attentifs aux proclamations du moment de la conquête byzantine.
50Chacun convient que l’expression du culte des martyrs, si originale à Uppenna, confère à cette basilique sa place à part. Comme toute célébration des martyrs, celle-ci pose d’abord la question de la qualité du lien entre des générations successives de croyants et des martyrs considérés comme fondateurs d’identité communautaire. Mais ici, nous pouvons aussi observer les manifestations de la confrontation ecclésiologique entre Catholiques et Donatistes.
51Catholiques et Donatistes à Uppenna. Les éléments du dossier sont au moins au nombre de trois, peut-être quatre : la deuxième inscription consacrée aux martyrs avec l’invocation du prêtre Saturninus, le chef des confesseurs d’Abitina, puis l’affirmation catholique au moment de la restauration byzantine avec la célébration de la mémoire de l’évêque Honorius et la probable présence d’une troisième inscription martyrologique mentionnant les reliques de Julien. Bien plus tôt, l’invocation Ic qui digni sunt sic accipiant au bas de l’épitaphe d’une mosaïque disparue mais dont le cliché a été conservé, datable de la fin du ive siècle-première moitié du ve siècle, offre une référence ecclésiologique.
52La basilique d’Uppenna a le mérite de confirmer et même d’ouvrir des perspectives d’identification dans une direction de recherche que l’on a eu quelquefois trop tendance à considérer comme inutile, voire fallacieuse. Nous nous attacherons à vérifier que ces perspectives d’identification existent bel et bien à Uppenna, dépassent de beaucoup le périmètre de ce sanctuaire, et sont opérantes pour d’autres monuments chrétiens d’Afrique.
53Cette conviction de la fécondité de la fertilisation mutuelle des domaines de l’Archéologie et de l’Ecclésiologie a déterminé le choix des termes de l’intitulé de ce travail : « Archéologie et Histoire de l’Église d’Afrique : la basilique d’Uppenna ».
54Toulouse, janvier 1998
Notes
1 D. Raynal, « Culte des martyrs et propagande donatiste à Uppenna », Les Cahiers de Tunisie, tome XXI, 1973, no 81-82, p. 33-72.
2 D. Raynal, « La basilique d’Uppenna. De la période vandale à l’époque byzantine. Interprétation des résultats des fouilles de 1904-1906 », Africa, tome VII-VI1I, 1983, p. 179-284 (article rédigé en 1975).
3 [La première partie correspond au présent volume. Les parties II, III et IV sont regroupées dans le second volume (Uppenna II) auquel est adjoint un CD Rom reprenant l’essentiel de la partie II (monographie de fouille : études sectorielles)].
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