Chapitre premier. Les Seigneurs anciens
p. 71-104
Texte intégral
« Tolerar alguna cosa y fer del desentés â fí de evitar algun gran dany, ó lograr algun profit ».
Politar, maxime 28.
1La légende, qui sur ce point s’enracinait à tout le moins dans le xiie siècle, voulait qu’Andorre ait été libérée par Charlemagne de la suprématie musulmane. La diplomatique, la profonde banalité du mythe, l’état actuel de nos connaissances sur ces questions nous dispensent d’examiner sa vanité1. Une part de vérité peut néanmoins y être rattachée. Le Carolingien est bien le premier maître d’Andorre que les archives nous donnent à connaître, mais incarné, en l’occurrence, par Charles le Chauve2. Pour sommaire qu’il soit, le constat vaut déjà que l’on s’y arrête. Si le peuplement franc fut sûrement dérisoire dans la région3, s’il est plausible que les Andorrans de ces âges fussent pour une large part descendants de populations pré-romaines, l’Empire carolingien, jusqu’au cœur de ce val perdu, n’était pas qu’une fiction lointaine et inopérante. Un antécédent notoire le suggère vivement. En effet, au débouché des Vallées, à Tavèrnoles, et en Urgell, Charlemagne déjà avait fait rappeler l’orthodoxie contre les thèses adoptianistes de Félix, évêque d’Urgell4. Certes on peut douter tout à loisir de son influence doctrinale et de la diffusion de ses pensées chez les montagnards. Mais son éviction et son remplacement à la tête de l’évêché et du monastère de Tavèrnoles, et l’introduction de la règle bénédictine dans ce monastère relèvent d’une stratégie d’implantation culturelle et politique qui fut nécessairement remarquée5. De même, si l’on peut gager qu’avant d’en faire don à Sunifred Ier, en 843, Charles le Chauve n’avait pas la moindre idée de ce qu’était cette villa que vocatur vallis Andorre, les habitants du pays, eux, le savaient forcément. Le roi de Francie, ce qu’il représentait, s’y trouvait matérialisé. Il l’était tout autant par ces dîmes et prémices, dîmes du fer et de la poix, tonlieux partagés qu’évêques et comtes souhaitaient qu’il confirmât6. Mais c’est en essayant de suivre le devenir de cette villa aux mains des comtes d’Urgell que devrait apparaître mieux cette façon de présence impériale.
1/ LES COMTES D’URGELL
2De fait, il est hautement probable que le présent royal reçu par Sunifred en 843 fut constitué de terres fiscales, adjointes de la sorte à ses biens patrimoniaux. Cela dit, qu’est-ce que la vallée d’Andorre ? Qu’est-ce que la villa qu’on appelait ainsi ? Si l’usage aujourd’hui est de parler des Vallées d’Andorre, c’est que l’habitude a été prise de considérer chacune des six paroisses du pays, de par leur relative unité morphologique, comme une vallée en soi. Ce n’était pas le cas avant les derniers siècles du Moyen Âge7, et l’on peut donc écarter assez résolument l’hypothèse d’une largesse qui n’aurait concerné que la paroisse d’Andorre-la-Vieille. Cette villa ne peut être envisagée comme un village, ni d’ailleurs comme un vaste domaine cohérent, incongru en ces régions8. Il faut, par conséquent, y voir un ensemble de parcelles plus ou moins disséminées, de droits fonciers plus ou moins étendus, d’usages divers, sans doute. Comprenait-il, en outre, quelques droits publics ? Peu importe. Le bénéficiaire de cette largesse était comte d’Urgell ; en Andorre, il était la puissance publique. Ses lointains héritiers, lorsqu’ils se défirent des Vallées, étaient depuis longtemps les seuls maîtres du jeu, et ce type de distinction était toujours plus effacé.
Le domaine primordial
3Des biens-fonds dont disposa Sunifred Ier († 848), nous ne savons rien directement. En revanche, quatre actes nous montrent son successeur homonyme le comte Sunifred II (+ 948) achetant des vignes et procédant à des échanges de terres dans la première décennie du xe siècle. Le parcellaire y semble éclaté et le comte paraît vouloir regrouper quelque peu ses possessions9. L’oncle de ce dernier, un peu plus tôt, ou plus sûrement son frère, Mir II de Cerdagne († 927), quelques années après, donnait Toise, un hameau de la paroisse de Loria, au tout proche monastère de Tavèrnoles. Vers le milieu du siècle, son neveu, héritier et successeur, Borell II († 992), comte de Barcelone et Urgell, dotait la chapelle de sa cité (Castellciutat) du château d’Enclar, des biens, vignes et terres qu’il possédait autour, mais aussi de ses alleux d’Encamp et Canillo. Plus tard encore, la femme de Borell, la comtesse Letgarda († 978), cédait ses droits sur Abresem, un autre hameau de Sant Julià de Loria, de nos jours Puig Olivesa. Enfin, en 988, Borell décidait d’un échange avec l’évêque d’Urgell et lui livrait les alleux qu’il détenait à Loria, Santa Coloma, Andorre-la-Vieille, Ordino et autres lieux de la vallée d’Andorre10.
4Qu’est-il permis d’en conclure ? Le patrimoine de la famille comtale, quelle qu’ait pu être la dispersion des terres ou la modeste envergure des lopins, ne doit pas être négligé. Le don royal a pu arrondir d’éventuelles dotations antérieures et, incontestablement, fut augmenté de plus récentes acquisitions. Il pourrait, tout aussi bien, avoir constitué la plus grande part des possessions comtales en Andorre. Réserve familiale, ce domaine alimentait naturellement les partages successoraux des biens privés, comme pour le comte Mir, ou la constitution des douaires, comme ce fut le cas pour la comtesse Letgarda11. Ceux-là s’en débarrassèrent en donations pieuses ou bien monnayèrent la part échue. Les héritiers principaux, eux, tâchèrent de renforcer son assise ou au contraire en cédèrent des parties pour rationaliser l’agencement de leurs biens et de leurs aires d’influence. Mais rien de ce que nous savons n’incite à croire qu’il y eût là, après le début du xe siècle, une véritable stratégie domaniale.
5Pour cerner un peu mieux la mainmise foncière de la famille comtale en Andorre, il peut être utile d’en relever les localisations les plus précises. De Canillo, Encamp et Ordino, les mentions sont par trop évasives ; rien ne s’en devine. Abresem et Toise sont à l’écart du principal centre de peuplement de la paroisse de Loria et figureraient assez bien des mises en cultures commanditées et encadrées, des aprisions de quelques hermes fiscaux dont la prise de possession se serait trouvée légitimée par les libéralités de Charles le Chauve. Au demeurant, il n’est nul besoin de se faire violence pour croire que les terres et vignes qui dépendaient des église et château d’Enclar étaient directement issues du domaine public tardo-romain ou d’un fisc wisigothique12. L’archéologie y enjoindrait plutôt. Ces feixes minuscules et allongées, arrachées à la montagne, sont manifestement liées à la réoccupation du site pré-romain qu’elles ceignaient. Ces langues de terres ingrates inventées aux aspérités des rochers devaient nourrir le pressoir et, d’une façon ou d’une autre, alimenter la garnison13. Car, nous l’avons dit, là où les vestiges manquent, la vraisemblance s’en mêle ; ce lieu de fortifications, par son ancienneté, sa position stratégique au cœur ouvert de l’Andorre, était sans doute un pôle secondaire dans le réseau administratif wisigothique et une ébauche solide du château comtal de Borell. En somme donc, plus qu’à des descendants de solides fortunes foncières, les comtes d’Urgell ressemblaient fort, en Andorre, à des héritiers privilégiés d’une longue tradition, celle véhiculée par la continuité du droit romano-wisigothique, celle d’une intense présence de l’autorité publique.
6Malheureusement, cet aspect de leur présence dans les Vallées ne peut être aperçu que de manière indirecte ou rétroactive. Il est cependant en plein accord avec ce que l’on sait de façon générale sur les comtes catalans du xe siècle. Tonlieux et leudes, albergues, censum et functio14, il ne manque à l’appel des impositions publiques qu’une définition sans ambiguïté de la prééminence et des taxes qui pouvaient peser sur les pâturages et les bois, sur tous les biens soustraits à la sphère du privé. Les mentions de franceda ou adempramentum sur l’honneur comtal ne peuvent tenir lieu d’indices détournés dans la mesure où elles concernent selon toute vraisemblance des territoires qui n’étaient pas andorrans15. En revanche, le dixième prélevé par l’évêché d’Urgell sur l’exploitation du fer et de la poix évoque des pratiques fiscales anciennes plus qu’un prélèvement ecclésiastique16. Si le rôle judiciaire du comte n’est pas attesté, il est largement probable et son souvenir paraît encore vif au milieu du xiie siècle, pendant que le serment public se perpétuait sous de nouvelles formes17. Seul maître des châteaux, le comte disposait donc dans les Vallées d’un pouvoir qui reposait sur des assises parfaitement classiques jusqu’à l’aube du xie siècle. L’intégration précoce de certaines terres fiscales dans le patrimoine familial en constitue sans doute la seule originalité, mineure au demeurant.
L’affaire Bragafols
7Qu’en fut-il de ce domaine comtal après que Borrel abandonna tant de terres à l’évêque Salla, en 988 ? Et qu’advint-il exactement entre ces deux hommes durant les dernières années du comte ? Les éléments qui permettent d’en juger se font encore plus rares et confus. Dans un acte du tout début du xie siècle, un personnage mal connu, Sendred, fit donation à l’évêque d’Urgell d’un alleu qu’il disait posséder à Somont, un peu au sud d’Andorre18. Motivant sa décision, il relatait une bien étrange affaire qui avait mis aux prises le comte Borell mort depuis une dizaine d’années, Salla toujours à la tête de son évêché, les hommes d’Andorre et lui-même, archidiacre d’Urgell et bayle en leurs Vallées. Le comte, disait-il, avait fait bâtir contre les hommes d’Andorre un château nommé Bragafols, puis lui en avait confié la charge. Cependant, les Andorrans multiplièrent les coups de main contre le fortin et finirent par s’en emparer. De rage, Borell intima l’ordre de capturer Sendred et le fit mettre aux fers pour longtemps, avant que d’exiger, sans doute comme une réparation de son impéritie, qu’il lui donnât ses possessions de Somont contre sa liberté. Cet alleu, Sendred déclarait le tenir de par ses parents, mais également de par une franceda des hommes de la vallée d’Andorre. Il refusa absolument de livrer son héritage et fit envoyer un messager à l’évêque d’Urgell pour qu’il vînt à sa rescousse. Celui-ci se présenta devant Borell et affirma que son archidiacre n’était plus en mesure de donner un alleu qui, à ce jour, appartenait déjà à la cathédrale. Le comte, après avoir vérifié qu’il en allait bien ainsi, entra dans une colère noire, mais relâcha Sendred. Plus de dix ans après, par reconnaissance envers son bienfaiteur, l’archidiacre abandonnait à l’évêché son alleu de Somont, et justifiait son offrande par cette narration un brin contradictoire19.
8Les questions posées par ce récit sont pléthore, et il n’est pas permis d’y répondre concrètement quand on ne peut même pas dater tous les faits. Néanmoins, elles peuvent utilement s’ordonner autour de trois interrogations principales ; d’abord, qui était Sendred et quel rôle jouait-il en Andorre ? Ensuite, comment ces événements peuvent-ils s’articuler avec l’échange de terres par lequel Borell faisait don de ces alleux andorrans à l’évêque Salla ? Enfin, pourquoi le comte avait-il besoin de faire construire un château contre les Andorrans ?
9Par approximations successives, le statut social de Sendred peut se deviner. Tout paraît chez lui dénoter le puissant alleutier, et peut-être plus encore, le noble. Sachant ce qu’était la noblesse à l’extrême fin du xe siècle, il est raisonnable de penser qu’il était issu à tout le moins de quelque famille vicariale, qu’il gravitait dans ces strates sociales ou qu’il en gravissait les échelons20. Mais cette brassée de très fortes probabilités et les informations extraordinaires livrées par le texte ne doivent pas masquer des obscurités et des lacunes dont, paradoxalement, il est peut-être quelque profit à faire. Sendred se déclarait bayle ; mais l’était-il du comte ou de l’évêque, et était-ce sa fonction au moment des faits relatés ou lorsqu’il rédigea sa donation ? Comment se peut-il que ses droits procédassent d’une franchise des Andorrans ? Comment justifier une donation par un récit qui affirme que ce don a déjà eu lieu21 ? Pour progresser un peu, on doit d’abord remarquer que la cession de Somont était opérée par Sendred et sa femme Ermeriga, laquelle se déclarait finalement sa concubine. Par ailleurs, si quelques lignes sont effacées, la fin du texte est très claire : Sendred et Ermeriga réservaient la jouissance de ce domaine, sans doute contre un versement récognitif, pour eux-mêmes leur vie durant, puis pour celui de leurs descendants qui à chaque génération accepterait d’être clerc au service de la cathédrale. Par ailleurs, alors que Sendred prétendait en 1003 tenir cet alleu de ses parents et d’une franchise des hommes d’Andorre, on sait qu’il en avait acquis une partie de sa compagne, un manse et des moulins à tout le moins. En 987, quand il n’était que lévite, il avait acheté la jouissance viagère de ces biens à Ermeriga de même qu’un vaste ensemble de possessions – parmi lesquels de nombreux moulins et une petite tour – dans les villages d’Adrall, Nabiners et alentours. À la mort de Sendred, l’ensemble devait revenir à Unifred et à ses sœurs, vraisemblablement les enfants du couple. Ayant ainsi installé sa postérité dans la vassalité de l’évêché, Sendred apparaît dès ce moment comme un personnage non négligeable.
10Cela dit, pour se voir commander un château comtal par le puissant Borell, c’était en outre, un homme d’armes, nécessairement. Sergent de basse extraction ou rejeton de noble lignage, on ne pourrait, dans cette Catalogne vouée au combat, en juger aisément sans données supplémentaires. Mais, Sendred était archidiacre d’Urgell dès l’époque où il se fit enlever le fortin de Bragafols. Aux alentours de l’an mil dans cette région, c’était une dignité élevée ; dans cette hiérarchie, le futur évêque Ermengol, fils du vicomte de Confient, était son homologue. Pouvait-il vraiment, sans être d’assez bonne descendance, progresser autant et simultanément dans les faveurs comtales et la curie épiscopale (lévite et archidiacre cinq ans plus tard, il est devenu bayle ou viguier d’Andorre et châtelain de Bragafols) ? Au demeurant, l’alleu qu’il tenait en héritage était suffisamment important pour que Borell y vît une sorte de compensation à la perte d’un château. En outre, cette possession était complétée par une forme de domination (baylie et franchise), une prééminence juridique sur des terres à l’usage des Andorrans ; n’est-ce pas la preuve qu’il tenait quelque charge publique ?
11Car, il faut bien noter que malgré ses démêlés avec Borell, Sendred n’était pas devenu un paria. Parmi les témoins de sa donation apparaissait un certain Daco, probablement de la lignée des Montferrer, et surtout le vicomte Guillem d’Urgell. Au demeurant, Sendred fut témoin parmi les grands lors du procès qui en 1002 opposa l’évêque Salla à un autre Sindred (viguier de Gurb-Queralt) ; il n’était donc pas définitivement banni des cours comtales. Dès lors, il est fort intéressant de se demander quel genre de lignée aurait pu être issue de ce personnage sans son échec à Bragafols. Installés dans la clientèle de l’évêché par la donation de Somont, proches du vicomte, appuyés sur Bragafols et la baylie d’Andorre, sur la petite tour de Stazone et les alleux d’Adrall, de Nabiners et des environs, ses descendants n’auraient pas manqué d’allure. Et combien de châteaux frontaliers leur seraient revenus sans cette brouille avec Borell II ? Les futurs Montferrer, Benavent, La Vanza ou même Tost, n’étaient sans doute guère plus puissants vers 980. Qu’il fût un héritier de second plan ou un homme relativement neuf, force est de croire qu’il eut un destin interrompu et qu’on ne peut mésestimer la surface sociale de cet individu22.
12Grossièrement, trois grands groupes d’hypothèses peuvent alors se dessiner. Peut-être n’a-t-il voulu servir que ses propres intérêts, jouant d’une double fidélité et provoquant la révolte des Andorrans. Dans ce cas, l’échec aurait été total. Il se peut, également, qu’il n’ait fait que soutenir les visées d’un évêque soucieux d’asseoir sa puissance dans les Vallées. La récupération par la cathédrale des alleux de Borell aurait été l’esquisse d’un plan avorté ou une conclusion en forme de pis-aller. Enfin, il est envisageable que Sendred ait tenu lieu de viguier et que, rejeté par le comte, il ait dû se contenter d’une baylie réunissant seulement les droits épiscopaux sur Andorre. Comme ces trois axes d’explications se valent et sont susceptibles d’être combinés à l’infini – d’autant que comtes et évêques étaient loin de s’opposer systématiquement23 – il faut se borner à les enregistrer. Cependant, il convient de remarquer que l’épisode de Bragafols et l’abandon par Borell de ses biens-fonds andorrans prendraient des sens très différents selon leurs positions chronologiques respectives. En effet, le premier marque une volonté comtale de contrôle quand le second signifierait plutôt un certain désintérêt. Presque contemporains24 et franchement contradictoires en apparence, les deux faits relèvent sans aucun doute de motifs élaborés et insaisissables dans ce vide documentaire.
13Reste à se demander plus attentivement dans quels desseins fut érigé Bragafols. En admettant qu’il fût bien l’œuvre de Borell25, dans tous les cas de figure, la construction de ce château semble une inconséquence ou un calcul désastreux. Que le comte ait voulu renforcer sa suprématie ou compenser la perte de sa mainmise foncière, confier ce point fort à ses rivaux potentiels tenait au moins de la bévue. Mais il y a plus troublant encore : pour qu’il fût opportun de bâtir une forteresse contre les hommes d’Andorre, ne fallait-il pas qu’Enclar ne suffît plus à la tâche ? Or, si l’on écarte la conjecture d’un resserrement du maillage castrai – volontiers parce qu’il est fort peu d’actualité quand l’organisation des villae ne semble pas avoir déjà cédé à l’exploitation des châtellenies – il devient absolument impossible de croire à la pertinence stratégique de ce nouvel édifice. Enclar était une vieille structure, une citadelle qui gouvernait stratégiquement les Vallées. En aval, la cité épiscopale et le château comtal d’Urgell barraient l’accès direct aux valls des Valiras. Pourquoi donc ajouter un élément de fortification ? À la frontière du pays musulman, cela se concevrait peut-être, mais Borell fut-il jamais si acculé qu’il ait dû multiplier les défenses en deçà d’Urgell ou doubler les retranchements d’un passage malcommode vers le nord de la chaîne pyrénéenne ? Au contraire, la construction de Bragafols s’entend fort bien si le bastion d’Enclar n’était déjà plus qu’un tas de pierres. Les archéologues admettaient récemment encore sa longue décrépitude ; nous avions fait remarquer, au contraire, l’absence d’influence de ce site au cours des xie, xiie et xiiie siècles26. Les fouilles nous ont donné raison en situant l’occupation d’Enclar entre l’antiquité tardive et le haut Moyen Âge, et en signalant ensuite l’absence totale de traces jusqu’à sa restauration sommaire et inachevée à l’extrême fin du xiiie siècle27. N’est-il pas permis, dès lors, d’imaginer que la ruine de ces retranchements était largement entamée dès la fin du xe siècle plutôt que d’accepter sans raison une déchéance de dizaines et de dizaines d’années ? L’entreprise de Bragafols y gagnerait une cohérence qui lui paraissait refusée.
14Ce faisceau de questions ne résout nullement l’énigme que posent la donation de Sendred et l’échange de Borell. Encore faut-il ajouter que nous n’avons pas essayé d’expliquer pourquoi les hommes des Vallées se rebellèrent. C’est dire que, ponctuellement et à ce stade de notre analyse, l’arc des possibles demeure largement ouvert. Les extrémités s’en devinent qui situent cette affaire entre l’ouverture au sud de nouvelles perspectives celles – qui justifient l’attitude désinvolte du comte – et la montée de tensions politiques et sociales. Cependant, et même s’il est impératif de s’en tenir à cette prudente réserve, nous voudrions proposer, en forme d’illustration, une des dizaines d’hypothèses qui pourraient être formulées. Avouons qu’elle a notre préférence.
15Au cours de cette période marquée par la prise et de l’incendie de Barcelone par l’armée musulmane (985), puis par la rupture définitive avec le royaume franc (987-988)28, Borell, qui réorganisait ses terres29, prit acte de l’effondrement du château d’Enclar, de l’émiettement du patrimoine foncier que possédait en Andorre la famille comtale et de son intérêt très relatif dans la nouvelle donne politique. Il fit alors édifier Bragafols et, voulant prendre appui sur les réseaux épiscopaux, il en confia la garde à un archidiacre de la cathédrale30. En concertation avec l’évêque, il délégua une part de ses charges politiques et abandonna ses alleux à la mitre contre des revenus et des possessions qui lui paraissaient plus alléchants dans l’immédiat31. Cette nouvelle structure, qui préfigurait les châtellenies banales, n’eut pas l’heur de plaire aux Andorrans, à moins que ce ne soit une utilisation très personnelle des franchises par le nouveau venu qui eut le don de les irriter. Mais quel que fût le détail, le divorce entre le comte et l’évêque se profila très rapidement. À la suite de la chute de Bragafols, l’échange de 988 devint caduc pour ce qui concernait l’Andorre, et il est probable que la lignée comtale reprît le contrôle de ses biens-fonds dans les Vallées avant 993, c’est-à-dire avant le décès de Borell32. Une telle intrigue permettrait au moins d’expliquer la construction de Bragafols et sa désignation comme castrum plutôt que castellum, roca ou forcia33, elle justifierait le fait qu’un archidiacre fût placé à sa tête au moment où le comte se défaisait de son emprise foncière en faveur des évêques34 ; enfin, elle nous aiderait à comprendre comment ce viguier potentiel pouvait disposer d’un alleu qui était à la fois son héritage et une franchise des hommes d’Andorre. Par delà, ce schéma fournit même quelques jalons pour ébaucher une interprétation de la révolte des Andorrans, des structures sociales et politiques ultérieures ou bien encore du devenir des alleux comtaux.
La charte fausse d’Andorre
16Mais peut-être est-il permis d’aller plus loin sur cette période charnière, en nous interrogeant sur ce que pouvait être la franchise d’Andorre et sur le lien qu’elle pouvait avoir avec le bayle Sendred, Somont et la prise de Bragafols. Ici encore, on ne peut rien affirmer. Néanmoins, la multiplication des hypothèses peut aider à circonscrire un peu la logique des possibles. P. Bonnassie a remarquablement décrit les franchises octroyés dans le Sud de la Catalogne, plus proche de la frontière musulmane. Sur de vastes zones, ces actes exemptaient d’impôt les populations, mais surtout garantissaient leur liberté en leur assurant un lien direct avec l’autorité publique, en écartant le pouvoir des viguiers-châtelains et au besoin, comme à Cardona (986), en concédant aux hommes libres de se faire justice eux-mêmes dans certains cas de vols, injures, coups et blessures par exemple. Les plus anciennes mentions de franchises dont nous disposons concernant les Pyrénées catalanes sont plus énigmatiques. P. Bonnassie les considéraient comme rares et concernant des groupes isolés. Les textes tardifs qui en rendent compte appuient son interprétation en associant ces privilèges à des individus nommés, à leur parentèle et leur descendance. Mais sont-ils fidèles à l’esprit des franchises accordées presque un siècle auparavant ? Pour Arcavell, notamment, outre que l’attribution semble double (ad ipsos homines de prelibata villa / ad Centol sive ad posterita eius vel parentela), il n’est ressenti aucune contradiction avec les franchises territoriales de Nabiners, Hortons, Fontelles et La Freita qui sont connues par le même document.
17Aussi voudrions-nous, pour notre part, noter la remarquable concentration des lieux concernés. À l’exception d’un acte flou du Pallars, notre région compte les trois franchises les plus anciennes des Pyrénées, quatre avec celle d’Andorre. Au sud des Vallées andorranes, tout près de Bragafols, Arcavell et Bescaran forment une bande de terre qui, à l’est de la Valira, descend jusqu’au Segre. Au sud-ouest, cette zone s’élargit jusqu’à Aristot, au sud-est elle semble interrompue depuis les abords de la Seu d’Urgell (Calbinyà, Feners) jusqu’à Estamariu et Alas. Cette rupture n’est rien moins que certaine, surtout si l’on considère que Somont s’insère précisément dans cet espace pour relier Arcavell et le Segre. Au sud du fleuve se trouve Cerc (concerné par les franchises), puis de proche en proche, La Bastida d’Hortons, Nabiners, Fontelles et La Freita. En fait, ce long ruban de franchises paraît donc partir d’Andorre, contourner par l’Est la cité épiscopale pour se dérouler jusqu’au revers occidental de la Serra del Cadí et glisser vers la Montagne d’Arfa.
18Quel rôle Sendred pouvait-il jouer ici ? Au nord, il tenait Bragafols. À Ermeriga, il avait acheté des biens qui se répartissaient tout autour de la Seu d’Urgell, mais se trouvaient principalement à Somont, Nabiners et la Coma de Nabiners, c’est-à-dire au centre et au Sud de notre hypothétique zone de franchises. Plus encore, ses biens de Somont étaient limités par la Valira et Estamariu d’Est en Ouest, et par une Serra de Cruces au Sud ; ce ne peut être que sur la rive méridionale du Segre (entre Cerc et le col de Creus). Quant à la turrizela de Stazone, elle est manifestement située à l’Est de La Freita, soit à l’extrémité Sud-Est de ce petit pays de franchises. Pour le moins, il semble que Sendred avait su développer son influence dans cet espace. Cependant, il vaut la peine de poursuivre encore.
19Les franchises d’Arcavell, Nabiners et Hortons nous sont connues par la donation qu’en fit Ermengol IV au profit de l’évêché, en 1077. Au sud du Segre, le comte déclarait céder à la cathédrale les franchises qu’avaient obtenues les habitants, et quelques lignes plus bas les désignait comme baylies. On pourrait dès lors suggérer que franchise et baylie qualifiaient comme les deux faces d’une même réalité : d’une part, une garantie de liberté pour les habitants, d’autre part, la protection de ce privilège par l’autorité publique, avec bien évidemment le bénéfice tiré de cette protection. L’interprétation du passage de ce même texte consacré à Arcavell pourrait s’en trouver largement renouvelée. Ermengol IV affirmait donner à l’évêque les franchises et baylies que son trisaïeul, Borell II, avait concédées aux hommes de la villa, à Centol et à sa descendance. La formule est plus qu’ambiguë, et il n’est pas exclu que le copiste du xiiie siècle l’ait déformée. Mais il ne paraît pas interdit de proposer que la franchise ait concerné les habitants d’Arcavell et que sa garde, sa baylie, en ait été confiée à Centol et à sa postérité. En somme, cela signifierait qu’à Arcavell au moins, la cathédrale prenait la place des héritiers dudit Centol.
20Ce nom n’est pas fréquent, loin s’en faut. Or, c’était précisément celui du père de Sendred, bayle d’Andorre et maître d’une franchise sur Somont. En outre, un Centulle figurait parmi les trois témoins de la « vente » des biens d’Ermeriga à Sendred, son mari. Si l’on ajoute qu’en donnant Somont à l’évêché, Sendred stipulait que faute d’héritier l’alleu reviendrait à la cathédrale et plaçait ainsi sa descendance dans la clientèle de la cathédrale, n’at-on pas le sentiment de savoir d’où venait les prétentions de l’évêque d’Urgell sur Arcavell et sur les franchises voisines ? Tout en restant conscient de l’extrême fragilité de ces conjectures, nous pourrions donc suggérer le scénario suivant. Une vaste zone de franchises, plus ou moins anciennes, courait d’Andorre jusqu’au Sud de la Seu d’Urgell en contournant la cité par l’Est. Borrel délégua une partie de ses prérogatives à Centol, sur Arcavell assurément, sur la partie Sud de cet espace peut-être, sur Andorre éventuellement. En 987, ce dernier pouvait voir avec plaisir son fils épouser un beau parti de ce petit pays, d’autant qu’il lui avait peut-être déjà abandonné ses fonctions. Celui-ci devint, en effet, bayle d’Andorre avec un contrôle des franchises sur Somont, et se vit commander le château de Bragafols par le même Borell qui trouvait dans ce lignage un relais efficace. Hélas, enhardi par ses succès, Sendred poussa trop loin son avantage et subit une sévère déconvenue à Bragafols. Les libertés andorranes étaient préservées. Archidiacre, sauvé de la rancune comtale par l’évêque Salla, le fils de Centol plaça Somont dans la mouvance de la cathédrale, de même peut-être que les prérogatives qu’il exerçait encore sur Arcavell, Hortons, Nabiners et La Freita, voire Andorre. Sa descendance éteinte, l’évêché d’Urgell tenait là quelques prétentions à faire valoir.
21Mais revenons-en à cet espace de franchises et aux relations troubles que nouaient là Centol, Sendred et Borell. Au Sud du Segre, pour Hortons, Nabiners, La Freita et leurs environs, la donation d’Ermengol IV apporte, en 1077, quelques précisions. Pour être validée, la concession du comte avait nécessité la promesse des habitants de ne reconnaître aucun autre seigneur que l’évêque, contrairement à leurs habitudes35. Autrement dit, il semble qu’ici, à la différence de ce qui se passait à Arcavell, la transmission des droits du comte, de sa baylie, se heurtait à une forte tradition des franchises permettant aux habitants de se choisir un seigneur. En d’autres termes encore, il semble que le comte pouvait légitimement exercer sa baylie sur les franchises puisqu’il était l’autorité publique naturellement garante de ce statut, mais qu’en revanche, en les transmettant à un tiers, il les détournait de leur fonction, et qu’à tout le moins, il imposait une autorité médiate contraire à l’usage desdites franchises, lesquelles laissaient en principe la liberté de se choisir un seigneur intermédiaire.
22À ce point, il vaut la peine d’examiner un document fort difficile, connu comme la charte de Charlemagne ou charte fausse d’Andorre. Nous avouerons d’emblée qu’il n’est pas question d’en donner une analyse complète, et encore moins d’en résoudre l’énigme, qui nous reste entière à maints égards. Bien que très grossière dans sa forme, cette falsification est si complexe qu’il faut avoir en tête presque toute l’histoire d’Andorre pour en saisir les enjeux, et quand bien même, il est impossible d’en proposer une interprétation satisfaisante. L’acte se présente comme un précepte de Charlemagne et Louis le Pieux, délivré au retour de la libération de Barcelone et octroyant aux habitants d’Andorre (dont dix sont nommés) l’ensemble des Vallées, lesquelles sont ensuite délimitées. Les habitants sont placés sous la iussio directe des Empereurs ou de leurs comtes, mais liberté leur est laissée de se choisir un « seigneur défenseur », pourvu que ce fût sous l’autorité du comte local. Les hommes d’Andorre sont soumis à une redevance en poissons et à un droit de gîte dû aux envoyés venant de la cité de Barcelone. Homicides, rapt (ructu), et incendie sont attribués à la justice comtale, le règlement des autres délits est abandonné aux habitants. Enfin, le document semble rappeler que nul ne peut élire un seigneur contre l’Empereur ou son comte, et ajoute que nul ne peut expulser des Vallées celui qui désire y vivre, si ce n’est selon la loi et la justice.
23La principale difficulté d’interprétation de ce faux tient à cela qu’on ne sait à qui profite le crime, si ce n’est aux Andorrans, et qu’au surplus on ne connaît aucune revendication fondée sur ce document avant le xviiie siècle. La graphie du pseudo-original est de la fin du xviie. À cette époque, il aurait essentiellement limité les pouvoirs de l’évêché ; or c’est précisément dans les archives de la cathédrale qu’a été retrouvé le seul exemplaire de cette falsification que l’on connaisse, ce qui ne simplifie rien36. Dans ces années-là, tout porte à croire, en effet, qu’un faux de cette espèce aurait essentiellement servi les principaux adversaires de l’évêché, c’est-à-dire les vicomtes de Castelbon, complices en l’occurrence des Andorrans. Eux seuls, de fait, pouvaient avec intérêt tenir ce rôle de « seigneur défenseur ». Or, un étrange document de 1201 semble bien avoir revendiqué pour eux cet emploi, voire être issu de la même main que la charte fausse. Au contraire, les comtes d’Urgell étaient éliminés par la vente de 1133, et ceux de Barcelone n’avaient à faire valoir que des droits encore plus lointains.
24Si donc la rédaction tardive du pseudo-original reste énigmatique, elle n’en est pas moins certaine. Cela dit, il semble tout aussi évident que la confection de la charte s’est appuyée sur un texte ancien, du xe siècle probablement. Sur le fond d’abord, les conditions prétendument faites aux Andorrans sont celles des grandes franchises catalanes de cette époque : l’exemption fiscale, la sécurité accordée aux habitants et garantie par la loi et la justice, la dépendance directe du comte, l’accès à ses tribunaux pour les grands crimes et le droit pour les résidents de juger entre eux des autres sortes de délits. Au demeurant, dans le contexte du haut Urgell, le droit concédé aux Andorrans d’élire un seigneur défenseur rappelle étrangement les franchises d’Hortons, de Nabiners et de leurs environs. Par ailleurs, on note sur la forme quelques archaïsmes qui sonnent vrai, telle la mention de functio ou le rattachement du Sabartès au comté de Toulouse, comme il en allait effectivement avant que le comté de Foix ne s’en sépare. Enfin, l’évocation de missi venant de Barcelone mérite une attention toute spéciale. En effet, elle cesse de paraître totalement incongrue dès lors que le comte d’Urgell était aussi comte de Barcelone, ce qui nous ramène encore à la fin du xe siècle, et à Borell II.
25S’agirait-il donc d’une concession de Borell remaniée à la fin du xiie siècle ? L’affaire ne semble pas aussi simple. En particulier, et pour autant que Ton puisse se fonder sur un texte retouché plus tard, l’exemption totale de censum et functio apparaît en contradiction flagrante avec ce que Ton sait du statut des Andorrans. C’est dire que la charte de Charlemagne, en revendiquant et exagérant une large tradition de franchises, aurait tout aussi bien pu être fabriquée pour être opposée à Borell. Or, dans cette perspective et dans le contexte de l’épisode Bragafols, le fait que le premier privilège reconnu aux hommes des Vallées soit la dépendance directe du comte ou la libre élection d’un seigneur défenseur ne manque pas d’être suggestif. En définitive, d’Andorre à Nabiners, cela apparaît comme une revendication ordinaire des hommes libres protégés par des franchises, peut-être anciennes, que d’être dans la baylie directe du comte ou de choisir le seigneur mis en situation intermédiaire. La charte fausse pourrait même apporter ici un éclairage intéressant en montrant clairement que ce seigneur n’était pas substitué au comte mais se plaçait sous sa iussio et ne pouvait en aucun cas être choisi « contre la volonté du comte ». Précisément, en octroyant une ou des baylies patrimoniales à Centol et à ses descendants, dont vraisemblablement Sendred, il semble que Borell rompait brutalement avec cette tradition.
26Ainsi, s’il n’est possible ni de débrouiller le détail de l’affaire Bragafols, ni de reconstituer les étapes de la confection de la charte fausse de Charlemagne, les enjeux pourraient globalement s’en laisser deviner. En concédant à des lignages locaux la propriété de baylies sur les zones franches allant d’Andorre à Nabiners, Borell II créait les conditions d’émergence de seigneuries châtelaines et heurtait frontalement une même prétention des hommes à dépendre directement du comte ou à se choisir eux-mêmes un seigneur qui les maintînt dans l’orbite comtale. Dans les Vallées d’Andorre la réaction fut assez violente pour expulser le bayle et raser sa forteresse. À Somont, Arcavell ou Bescaran peut-être, l’évolution s’accomplit. À Nabiners, Hortons, La Freita, la tradition demeura assez vivace pour que le comte Ermengol IV, en 1077, ne pût céder ses droits à la cathédrale sans l’assentiment des habitants. Son petit fils, Ermengol VI, dut faire de même avec les Andorrans lorsqu’il voulut faire donation des Vallées aux évêques d’Urgell. Voilà, somme toute, qui n’en dit pas peu sur la nature du pouvoir exercé par les comtes d’Urgell en Andorre et sur l’importance de l’affaire Bragafols.
L’éloignement des comtes d’Urgell
27Située dans un plus large spectre chronologique, cette fin du xe siècle est d’évidence le premier temps d’un progressif éloignement des comtes, lequel aboutit, en 1133, à la vente de tous leurs droits sur Andorre aux évêques d’Urgell37. Préalablement, ils avaient cédé la moitié du cens et des paratae dus par les hommes des Vallées (1007), abandonné la paroisse de La Massana (avant 1038), donné la chapelle de Sant Vicenç d’Enclar (1099) et offert les mers qui étaient exigés des Andorrans (1083)38. À défaut d’en connaître les motivations précises, il se révèle opportun de fixer des cadres solides à ce délaissement.
28Comte d’Urgell mais également à la tête de la réunion des comtés de Barcelone, Gérone et Ausone, Borell II pouvait tenir Andorre pour peu de chose. À sa mort, l’ensemble fut scindé entre ses deux fils, et Urgell revint au plus jeune. Le comté resta dans cette branche cadette, transmis de père en fils et sans interruption jusqu’en 1209. Ainsi se succédèrent huit générations de comtes, tous baptisés Ermengol. Ce fut une lignée de batailleurs infatigables résolument tournés contre les musulmans. Des cinq premiers, quatre moururent lors d’opérations militaires, alors qu’Ermengol II décéda au cours d’un pèlerinage à Jérusalem39. Cet acharnement ne doit surtout pas se concevoir comme une quête isolée d’expansion territoriale. La politique de la famille fut d’abord faite en association étroite avec la maison de Barcelone. D’une fidélité rarement démentie, les comtes d’Urgell obtinrent d’importants bénéfices40. Dès l’origine, et de façon toujours plus marquée, ce comportement des Ermengol les plaça donc au sein de vastes réseaux d’actions et d’alliances, mais contribua aussi à les cantonner dans des rôles de « brillants seconds »41, rôles qui semblent avoir pris le pas sur le gouvernement de leur comté. Cela est d’autant plus accentué qu’ils ne se contentèrent pas de participer aux entreprises des comtes de Barcelone, mais prirent part aux affaires des rois chrétiens d’Aragon, Castille et Léon42. Depuis le mariage en Castille d’Ermengol V (1095), et tout au long du xiie siècle dominé par les figures d’Ermengol VI (1102-1154) et d’Ermengol VII (1154-1184), leur absence du comté est presque de règle43. Pour ces barons, c’est une certitude, Andorre présentait bien peu d’attraits.
29Moins déterminante que les cheminements personnels des descendants de Borell, l’évolution du comté est tout de même significative pour qui veut comprendre la vente d’Andorre. Entre le début du ixe siècle et la fin du xe sa superficie fut triplée. Au milieu du xiie siècle, le territoire du comté d’Urgell était près de six fois plus important qu’il ne l’était lorsque la villa d’Andorre fut donnée à Sunifred44. Dans ce nouvel espace, le comté originel – qui prit le nom d’Urgellet quand celui d’Urgell eut définitivement glissé au sud – faisait paradoxalement figure de petite excroissance qui s’étirait longuement vers la ligne de crête des Pyrénées. À l’extrémité septentrionale de ces bandes de terre qui bordent la vallée du Sègre, Andorre ne couvrait plus qu’une part négligeable du comté45. Si l’on ajoute qu’une analyse en termes de superficie survalorise beaucoup une zone de montagne, les Vallées devaient apparaître sans grand intérêt pour les comtes, d’autant que le déploiement de grands ensembles seigneuriaux isolait Andorre des principales positions tenues par les Ermengol46.
La vente de 1133
30L’acte par lequel nous connaissons la vente d’Andorre ne permet pas de décrire le type de domination auquel renonçait Ermengol VI. Globalement, il est évident que les droits qu’il abandonnait sont ceux que la cathédrale d’Urgell exigea des Andorrans trente ans plus tard, ceux dont elle fit établir une liste détaillée47. Une obscurité demeure néanmoins. En effet, puisque le comte Ermengol déclarait céder tous ses alleux andorrans, faut-il comprendre que Borell n’avait livré qu’une partie du domaine ancestral ou qu’il n’avait pas tenu ses engagements, ou bien encore faut-il croire que les affirmations d’Ermengol VI étaient purement rhétoriques ? Une fois de plus, il n’est aucun moyen de trancher fermement. Cependant, la constance avec laquelle les Andorrans continuèrent à désigner certains confronts comme vignes ou terres comtales – depuis 1135 jusqu’au milieu du xiiie siècle48 – nous enjoint d’écarter l’hypothèse d’une cession intégrale des alleux comtaux entérinée dès l’an mil. Il fut souvent admis que la transaction de 988 ne valait que pour les biens-fonds des paroisses de Loria, Andorre et Ordino, parce qu’elles étaient les seules nommément citées49. On peut toutefois rétorquer à cela, comme l’a fait C. Baraut, que les limites mentionnées ne sont pas décisives et surtout que la formule de Borell reste très ouverte puisqu’elle évoque pour Andorre tous les autres lieux où l’évêque pourrait trouver des droits à faire valoir50.
Le comté d’Urgell du ixe au xiie siècle

d’après F. Sabaté, El territori..., p. 371 et 378.
31Dans le contexte de la prise de Bragafols, il nous a semblé possible de prétendre que l’échange de 988 avait été partiellement dénoncé avant la mort de Borell, ce qui légitimerait le libellé choisi pour la vente d’Ermengol VI. À l’appui de cette suggestion viennent les formulations de deux bulles pontificales, lesquelles furent évidemment inspirées par les évêques d’Urgell lors de leurs voyages à Rome. En 1001, Sylvestre II considérait que la Mitre détenait tous les alleux comtaux d’Andorre, ce qui exclut logiquement la possibilité d’une donation limitée de Borell51. Mais plus significative est sans doute la bulle de Benoît VIII où fut reconnue à l’évêque la propriété des alleux andorrans qui appartenaient à Sunifred52. Ce dernier est probablement le deuxième du nom, celui dont les titres furent selon toute vraisemblance donnés à la cathédrale par Borell lors de l’échange de 98853. Parce qu’il est bien étrange de désigner ces terres de la sorte plutôt que d’évoquer leur donateur, on peut croire que le nom de Borell fut évité sciemment54. Cette répugnance ne s’explique à notre sens que par les suites de l’affaire Bragafols. Dans sa colère, Borell II avait récupéré ses alleux moins de quatre ans après les avoir donnés55. Les évêques d’Urgell continuèrent d’affirmer qu’ils les détenaient, mais préféraient ne pas rappeler la donation annulée du comte56. Outre ses motivations immédiates, on peut donc croire que la vente de 1133 réglait un vieux contentieux et qu’elle mettait fin à une situation sclérosée depuis longtemps. La donation sans suite de 1007 et les difficultés que rencontraient les comtes d’Urgell en Andorre57 affermissent l’hypothèse d’un long statu quo entre les Andorrans et leurs princes. À tout le moins, il est possible d’avancer que pendant un siècle et demi, l’éloignement des Ermengol a favorisé une certaine stabilité de l’architecture politique des vallées.
32Toutes proportions gardées, en 1133 la rupture était nette de ce point de vue. Passée cette date, les comtes d’Urgell n’eurent qu’une influence très indirecte sur l’histoire des Vallées. Ils intervinrent en 1162 pour apaiser les différends qui s’étaient fait jour entre la cathédrale et les hommes d’Andorre58. Mais très vite leur prestige s’estompa. Ainsi, lorsqu’en 1190 Ermengol VIII céda ses droits sur le château d’Enclar au vicomte de Castelbon, il n’agissait plus qu’au nom d’une bien vague suprématie, et l’affaire n’eut d’ailleurs aucune conséquence en Andorre59. Ce sont là leurs dernières interventions notables. De fait, à partir des dernières années du xiie siècle, l’histoire du haut Urgell fut dominée par l’intrusion des comtes de Foix. Si les comtes d’Urgell furent impliqués dans les démêlés qui embrasèrent alors la région jusqu’au début du xive siècle, leur puissance dans ces hautes vallées n’était plus qu’un souvenir. À la mort d’Aurembiaix, fille d’Ermengol VIII, le comté passait aux mains des Cabrera, et en 1314 il revenait à la monarchie catalano-aragonaise60.
2/ LE MONASTÈRE DE TAVÈRNOLES
33L’histoire du monastère de Tavèrnoles se déroule en Andorre de façon assez parallèle à celle des comtes d’Urgell. Pour cela, et bien que son influence nous paraisse somme toute assez négligeable, il est opportun d’en insérer ici une rapide ébauche. Sans doute d’origine wisigothique, Sant Serní dut être soumis à la règle bénédictine dès le début du ixe siècle61. Ce fut de loin le plus grand monastère de l’Urgellet. Par conséquent, quelques possessions foncières, trois chapelles andorranes et sa situation – sur la rive droite de la Valira, à une bonne heure de marche de l’actuelle frontière des Vallées – ont donné l’impression que cette communauté devait être fortement implantée dans les paroisses andorranes62. Précisément, en regard de son ancienneté et de sa localisation au débouché de hautes vallées pyrénéennes, on ne peut qu’être surpris de la maigreur de son domaine dans les Vallées63. Nulle concession d’estive, nulle domination territoriale ne vint asseoir ou couronner sa position stratégique. Par ailleurs, grossi de nombreuses donations, le patrimoine de l’abbaye s’épaissit jusqu’à la fin du xiie siècle, entre Arcavell et la vallée de Castelbon ou vers le sud-ouest de la Cerdagne ; il bénéficia surtout de largesses des puissants pour se répandre vers les nouvelles terres du sud. Au milieu du xiiie siècle, il est évident que les trois petites chapelles andorranes n’apportaient guère à son rayonnement64. Par la suite, le déclin de l’institution semble avoir été très rapide65.
34Même si le cartulaire de Tavèrnoles et les bribes réunies par C. Baraut n’offrent sans doute qu’une image partielle du domaine monastique dans les Vallées, ils permettent d’en tracer assez sûrement les grandes lignes. L’emprise de cette communauté est nettement limitée au territoire des deux paroisses les plus basses66. À proximité immédiate de Sant Sernt, la frange méridionale de Sant Julià de Loria semble avoir constitué un premier pôle d’implantation, finalement restreint autour du hameau de Toise67. Acensé au titre de manse en 1176, ce dernier se présentait selon toute vraisemblance comme un ensemble assez homogène, à mi-chemin entre un gros centre d’exploitation paysan et une minuscule seigneurie foncière68. L’abbé et les moines se réservaient la possibilité de contrôler la succession des tenanciers, de surveiller les productions agricoles par le biais de la fourniture de semences, et de juger des litiges quant au respect de ce contrat dont une partie ne fut pas transcrite69. À cela s’ajoutaient une redevance du tiers ou de la moitié des grains et de la vigne, et des services non détaillés, mais manifestement constitués de redevances et de corvées70. Bien tenu, ce domaine étriqué devait avoir quelque valeur, assez pour que l’attribution des revenus qui en étaient tirés soit mise par écrit en 1215, après négociation entre l’abbé et les moines71. Toutefois, les conditions restrictives couchées dans la convention de 1176 s’inscrivent comme en corollaire d’une maîtrise limitée des hommes et du terroir : les dîmes étaient abandonnées aux tenanciers72, certains champs ne devaient que de modestes rentes fixes73, les friches, le cheptel et les jardins étaient ignorés, l’ampleur et la valorisation du mas n’étaient pas même évoquées ; enfin, la fidélité due au bailleur était manifestement conçue de façon toute relative par les tenanciers. Alors que l’acte imposait aux preneurs de ne pas quitter le mas et de se le transmettre de pères en fils légitimes sans le diviser, le couple des tenanciers, en compagnie de leur fille et de leur gendre, prenait à cens un manse de la cathédrale d’Urgell, moins de dix ans plus tard74.
35Autour d’Engordany, Sant Serní fit preuve d’une politique plus suivie. Il est possible que la chapelle de Sant Jaume fût édifiée à son initiative, et il est probable que les dîmes de ce hameau lui revenaient depuis longtemps75. Dans ce petit périmètre, à l’interfluve des Valiras de l’est et du nord, la présence active de cet établissement est patente dès le xe siècle, et l’église doit dater de la même époque76. Le nombre des pièces transcrites dans le cartulaire et des originaux conservés qui traitent des possessions de Tavèrnoles dans ce hameau permettent de croire qu’il s’agissait de sa principale zone d’influence dans les Vallées77. Sur leurs terres, les moines imposaient des taux de prélèvement élevés, contrôlaient les tenures et revendiquaient une sorte de justice foncière78. Ici, au xiie siècle pour le moins, le monastère contrôlait tout, du temps des moissons à celui des vendanges, par l’intermédiaire d’agents qu’il envoyait et que devaient nourrir et abreuver les tenanciers – obligation qui certainement prit forme de redevance79. Tout contre Sant Jaume, il possédait des bâtisses où entreposer les redevances perçues et autres réserves. Néanmoins, aucune forme de domination ou d’organisation comparable à celle des sagreres ou des celleres ne se développa. Dans l’entourage immédiat du sanctuaire, les constructions jouxtaient vignes et champs, qu’ils fussent de l’abbé ou de particuliers80. Un rapide relevé des confronts suffit à dire la mesure de l’empire de Tavèrnoles sur ce minuscule village81. Somme toute, et malgré son poids affirmé, les terres alleutières restaient majoritaires. Sans pouvoir politique, le monastère n’avait donc qu’un impact économique assez restreint.
36Cela est encore plus net en ce qui concerne le troisième foyer de ses possessions andorranes. Entre le village de Santa Coloma et la chapelle de Sant Vicenç d’Enclar, obtenue des comtes d’Urgell en 1099, Tavèrnoles tenta d’organiser quelque peu son domaine82. La tâche était par trop malaisée. Le décimaire d’Enclar ne pouvait être que très exigu, cependant que les perspectives d’expansion foncière étaient bornées par les avoirs du comte puis de l’évêché d’Urgell83. Encore faut-il noter que sur ces terroirs également les parcelles tenues librement par les Andorrans étaient de loin les plus nombreuses84. Sous cet aspect, la seigneurie de Sant Serní est ici dérisoire.
37Ce dernier exemple invite à deux conclusions partielles. Il est manifeste d’abord que, sans l’appui des puissances publiques, la capacité du monastère à pénétrer les Vallées était presque nulle. L’importance toute relative de ses trois chapelles en fournit autant d’illustrations différentes, et la donation inféconde d’Ermengol ier en est une autre forme de preuve85. Par conséquent, ses ambitions furent en définitive exclusivement foncières. C’est là le second point qu’il faut souligner. Alimenté par quelques actes de piété, complété par quelques transactions et jouissant de la permanence d’une institution, le domaine du monastère ne parvint pas néanmoins à peser fortement. Les documents dont nous disposons montrent un établissement qui dans la première moitié du xiie siècle éprouve encore des difficultés à se faire une place en Andorre. La mainmise de la cathédrale, l’intrusion des vicomtes de Castelbon puis des comtes de Foix contribuèrent sans doute à figer cette seigneurie embryonnaire, d’autant que ces derniers se voulaient patrons du monastère86. Dès la fin du xiiie siècle, Tavèrnoles n’était même plus un acteur secondaire de l’histoire des Vallées.
3/ L’ÉVÊCHÉ D’URGELL
38Les évêques d’Urgell87, au contraire, tinrent des rôles premiers tout au long des six siècles d’histoire andorrane que nous voulons envisager. Pour cela, parce que leurs attitudes dessinent en creux celles de tous les autres seigneurs d’Andorre et parce qu’une part prépondérante de nos sources provient de leurs archives, la prudence commande de ne présenter qu’un croquis partiel de leur emprise sur l’évolution de la société andorrane. Nous privilégierons en conséquence les principales flexures et quelques aspects marginaux au détriment d’un aperçu synthétique.
39Attesté dès le vie siècle88, l’évêché d’Urgell gouvernait aux ixe et xe siècles un diocèse particulièrement étendu, qui recouvrait les comtés de Ribagorce (jusqu’en 956), Pallars, Urgell, Cerdagne et Berga. Si l’on doit rappeler l’acte, fameux entre tous, qui consacrait sa cathédrale et lui attribuait près de trois cents paroisses, ce ne peut être que pour en dire les limites : il est certain que bien des églises, nombre de villages qu’il dominait n’y ont pas été mentionnés89. Ainsi son pouvoir s’étendait sur les six paroisses des Vallées, sur la chapelle de Santa Coloma, mais également sur toutes les autres églises, villulae et villarunculae. Néanmoins, jusqu’à l’extrême fin du xe siècle, le mutisme documentaire ne permet d’évoquer guère plus que des probabilités triviales quant au rôle du siège épiscopal dans les Vallées. Seule est remarquable sa possession d’un énigmatique dixième du fer et de la poix d’Andorre90. Sur ce pays, celle-ci caractérise, semble-t-il, l’étroite imbrication des sphères d’autorité publique et ecclésiastique91. Il s’agit néanmoins d’une mention tout à fait isolée, à tel point qu’il est raisonnable de croire cette redevance caduque dès le xie siècle92. En somme, pour l’ensemble des ixe et xe siècles, la présence de la Mitre paraît singulièrement discrète dans une région si proche de la Seu d’Urgell.
Une montée en puissance au xie siècle
40Malgré toutes les restrictions que nous avons consignées, l’échange de terres conclu avec le comte Borell en 988 pourrait de ce point de vue marquer un retournement d’attitude, une recrudescence d’intérêt envers les espaces andorrans. Il préfigure un long xie siècle qui, selon des modalités souvent obscures, vit le transfert d’une incontestable suprématie des comtes vers les évêques. La donation des mers en 1083 et la vente d’Andorre en 1133 n’en constituent certainement qu’un temps fort et un point d’orgue. Trois tendances d’inégale importance en découpent des profils variés.
41En premier lieu, il est évident que dès le milieu du xie siècle, les territoires et les droits paroissiaux étaient devenus les maîtres pivots des structures seigneuriales. Églises, dîmes, prémices, oublies, droits et biens-fonds divers étaient donnés, échangés, inféodés dans un cercle de grands lignages qui entouraient la cathédrale (Benavent, Tost, Cabœt, et comtes d’Urgell)93. A un échelon inférieur, quelques indices trahissent une répartition des revenus qui devint rapidement complexe94. Par ailleurs, les mers donnés en 1083 pesaient également sur les paroisses, mais encore sur un certain nombre de chapelles annexes et de hameaux qui en relevaient95. Cela n’est en rien fortuit puisque, selon un acte de 1176, cette taxe était levée sur les dîmes96. Si donc l’évêché avait quelque contrôle sur cette distribution globale des rentes ecclésiastiques – et il n’en fut pas entièrement dépourvu – il tenait là, sans doute, une partie en germe de sa puissance future.
42Les traces de son domaine foncier sont d’une interprétation plus délicate. Au silence pesant des ixe et xe siècles succède une loquacité toute mesurée : une dizaine de donations pieuses réparties entre Tan mil et le milieu du xiie siècle en sont Tunique matière97. L’indication est maigre et affreusement commune ; les héritages tout en parcelles dispersées98 sont repris à cens et les redevances prévues pour les générations à venir oscillent entre quelques sous et la moitié des grains99. Il y a là néanmoins un goulet d’étranglement logique. Comment expliquer que le domaine foncier de la cathédrale n’ait pratiquement plus laissé de vestiges textuels dès lors que les évêques furent maîtres des Vallées ? Pourquoi les preuves de possession sont-elles multipliées pour l’époque où, nous a-t-il semblé, la Mitre échouait à récupérer les alleux comtaux ? Comment, au surplus, justifier que nulle politique domaniale n’ait jamais transparu ? S’il faut forcer la circonspection des sources, une voie principale se dessine : il est probable que les propriétés épiscopales, rassemblées en deux temps, ne furent jamais assez importantes pour que fût forgé un ensemble cohérent. À tout le moins, une conclusion ferme peut en être dégagée. C’est exclusivement au cours de cette période que les évêques essayèrent d’implanter en Andorre une seigneurie foncière.
43Bien que très excentriques, quelques documents ébauchent, en amont de ce mouvement avorté, une tentative de pénétration économique en Andorre, plus ou moins dirigée depuis la cathédrale d’Urgell. Il s’agit des testaments de proches du chapitre qui léguèrent des têtes de bétail élevées en Andorre100. Outre qu’ils manifestent sans doute un appétit nouveau pour les pacages, ces textes signalent selon toute vraisemblance une incapacité du milieu canonial. Globalement, ces bêtes paraissent placées chez des particuliers101 ; n’est-ce pas une illustration notoire de la faible présence foncière de l’évêché ? Autrement dit, faute de maîtriser les terroirs, on s’évertuait à en capter quelques bénéfices secondaires.
44Pour hypothétiques qu’elles demeurent, les trois tendances que nous avons découpées formeraient ainsi un ensemble relativement cohérent. Il en ressortirait, sous toute réserve, le schéma suivant. La cathédrale, ayant échoué à contrôler les maigres alleux comtaux aux alentours de l’an mil, s’immisça en Andorre par quelques compromis pastoraux. Elle tâcha ensuite de gagner les faveurs des Andorrans pour se fabriquer un début de domaine foncier. Sous cet angle, sa réussite fut très limitée. Mais dans le même temps, pour des raisons encore voilées, les structures ecclésiastiques devenaient prépondérantes. En jouant de ces données nouvelles, les évêques parvinrent à se placer en arbitres des combinaisons seigneuriales qui se tramaient en Andorre. En 1133, la vente d’Andorre par Ermengol VI couronnait leurs efforts autant qu’elle marquait le profond désintérêt des comtes.
L’héritage des comtes
45Même si dans les faits cette omnipotence se révéla fragile et de courte durée, l’entière domination des prélats urgélitains est bien connue grâce à deux chartes exceptionnelles datées de 1162 et 1176102. Il s’agit d’accords conclus entre les Andorrans et la cathédrale au sujet des droits qu’elle pouvait revendiquer dans les Vallées. C’est donc comme un inventaire des pouvoirs de l’évêché qu’ils furent unanimement utilisés. Bien qu’une telle interprétation soit très restrictive, c’est ainsi que nous procéderons d’abord.
46Avec quelques variantes, ces conventions prévoyaient que toutes les églises d’Andorre devaient être rendues à l’évêque et au chapitre d’Urgell103, que ces derniers seuls devaient en nommer les desservants104, recouvrer dîmes et prémices sur un grand nombre de productions105, choisir des bayles pour en contrôler le prélèvement106. À titres divers, albergues, vista, leudes, paratae ou receptos, la cathédrale d’Urgell recevait certaines années une cinquantaine de quartiers de porc, six vaches, deux cent quarante fouaces de froment, vingt-quatre mesures de vin et six muids de céréales pour les chevaux, auxquels s’ajoutaient des droits versés par les clercs andorrans et des oublies dont le montant ne fut pas précisé. De prime abord, il est assez malaisé d’attribuer une origine certaine à ces redevances. Il semble néanmoins qu’une bonne part fut le lot des comtes parce qu’elle s’inscrivait dans une périodicité singulière. Le croisement de plusieurs textes paraît indiquer que l’évêque ne se rendait en Andorre qu’un an sur deux, et que selon cette alternance il percevait des droits différents107. Il en allait ainsi, notamment, du vieux cens comtal qui était de deux cents sous en 1176.
47Outre ces rentes, les hommes des Vallées devaient à l’évêque un service militaire, les années où ils ne versaient pas les « sous du comte ». Chaque maison fournissait un homme bien armé pour un temps en principe illimité. Cependant, ces combattants n’emportaient de vivres que pour une journée. Au-delà, l’évêque devait les nourrir, sauf s’ils parvenaient à prendre le nécessaire sur l’ennemi. Du reste, ils refusaient de guerroyer au-delà de certaines limites géographiques, c’est-à-dire selon toute vraisemblance en dehors du haut pays d’Urgell108. Ce droit à l’aide militaire des Andorrans corrobore manifestement la vente de 1133 : les évêques d’Urgell avaient bel et bien reçu l’ensemble des pouvoirs de commandement du comte, et la fidélité exigée des hommes d’Andorre109 dévoyait les anciens devoirs des hommes libres envers la puissance publique.
48Les indices livrés sur la juridiction épiscopale forment comme en conséquence une sorte d’imbroglio bien difficile à démêler. Les traditions les plus diverses et les dynamiques sociales les plus contradictoires s’y télescopent. Droit sacré, Trêve de Dieu et excommunication, usage, serment, paix, justice et guerre font un amalgame de motifs aux mille facettes110. En d’autres termes, il est évident que la justice des prélats urgélitains devait composer avec bien des éléments réglés depuis longtemps par une litanie de coutumes qui nous échappent. Néanmoins, au premier abord, les choses étaient simples : partout, la prééminence de la cathédrale était affichée et finalement reconnue par les hommes d’Andorre. Que les griefs formulés à leur encontre le fussent par des habitants des vallées voisines, par des gens de la cathédrale ou par l’un d’entre eux, la norme était la même ; il fallait que les plaintes soient portées devant la cour de l’évêque111. Clercs et laïcs devaient s’y soumettre également, contraints, le cas échéant, par tous les hommes de leur paroisse ou par tout le peuple d’Andorre si besoin était112.
Inféodations et paréages
49Satisfaisante en théorie, cette belle construction seigneuriale se révélait sans doute plus évanescente dans sa pratique. Certes, bayles et chanoines supervisaient la levée des rentes113, et l’existence de viguiers d’Andorre est attestée incidemment114. Mais leurs interventions dans les Vallées demeuraient épisodiques plus que régulières. En somme, c’est l’affirmation permanente d’un principe de suprématie qui faisait clairement défaut à la cathédrale, l’absence symbolique et matérielle d’un château par exemple. Sans écarter a priori d’autres motivations, il est donc probable que ce soit pour pallier ces déficiences que les évêques choisirent de tailler de singuliers fiefs d’Andorre et d’en confier la charge aux principaux seigneurs de l’Urgellet : les Caboet et les Castelbon. Le succès de cette politique fut plus que mitigé.
50Plutôt que d’en préciser les détails, mieux vaut en dire ici l’aboutissement inattendu. Coup sur coup, les deux lignages tombèrent en quenouille115. En épousant l’héritière des Caboet et des Castelbon au début du xiiie siècle, Roger Bernard II de Foix raflait toute la mise. Préparée de longue date, cette union plongeait la cité épiscopale dans un inconfort notoire. De fait, le siècle qui s’étend depuis l’union des deux maisons catalanes (1186) jusqu’au second paréage d’Andorre (1288) n’est qu’un long bras de fer, et à l’échelle des stratégies fuxéennes, le cas des Vallées est quelque peu anecdotique. Au cours de ce long affrontement, la cathédrale fut sans doute spoliée plus d’une fois et, à terme, le conflit la contraignit à dédoubler sa seigneurie andorrane.
51Cette partition fut l’œuvre de deux arbitrages rendus en 1278 et 1288116 qui ont abusivement reçu les titres de premier et second paréages d’Andorre. En fait, les questions relatives à Andorre n’occupaient guère qu’un tiers des dispositions acceptées par Roger Bernard III, comte de Foix et Pere d’Urtx, évêque d’Urgell. En outre, la constitution du paréage fut essentiellement le résultat du texte de 1278, le second document n’apportant que des aménagements de détail. Cependant, parce que les clauses sur la coseigneurie ainsi instituée servirent de fondement au singulier statut juridique d’Andorre et aux polémiques nationalistes, elles ont envahi l’imaginaire collectif et pris le devant de la scène. On le sait, en domaine andorran, le chef de l’État français est l’héritier des comtes de Foix par l’intermédiaire des maisons royales de Navarre puis de France. Pour l’heure, mieux vaut esquiver ces querelles séculaires d’interprétation et constater que le texte de 1278 ménageait un équilibre subtil. La juridiction sur les Vallées était possédée en indivision et sur un pied d’égalité ; en revanche, le comte de Foix obtenait des avantages financiers importants mais devait hommage à l’évêque d’Urgell et recevait ses droits à titre de fief. Dans la pratique, le principe d’égalité l’emporta et le droit d’hommage devint caduc.
52Globalement, l’évêque avait donc en un siècle cédé beaucoup de terrain par rapport à ses feudataires. Dans l’intervalle nonobstant, la violence des temps lui permit vraisemblablement d’affermir sa puissance sur le pays des Valiras. Ainsi la queste fut-elle sensiblement alourdie et les dîmes entièrement récupérées, peut-être117. Les prestations de serments ou d’hommages118, l’aide militaire furent plus fréquemment requises119. Enfin, la juridiction, partagée avec les comtes de Foix à partir de 1278, était pleinement reconnue120.
53Par delà cette fin du xiiie siècle, et malgré des trajectoires politiques souvent antagoniques, la gestion seigneuriale de la cathédrale urgélitaine ne paraît guère se distinguer en Andorre de celle menée par leurs pariers d’outre Pyrénées. Les cadres des traités de 1278 et 1288 furent globalement respectés. Une enquête menée dans les années 1346-1347 résumait en treize points l’essentiel de leurs prétentions. L’évêque d’Urgell et le comte de Foix tenaient les Vallées en indivision, et confiaient en commun les charges de notaire121. Chacun avait pouvoir de nommer et révoquer un juge, un viguier qui avait un lieutenant, et un bayle, saïon ou sergent122. La justice était rendue au nom des deux seigneurs et il ne pouvait y avoir d’appel que devant une cour constituée par leurs deux viguiers123. Les évêques d’Urgell percevaient un quart des revenus de cette justice, les comtes de Foix empochaient le restant124. Ils percevaient la queste annuelle alternativement ; celle de l’évêque était limitée à quatre mille sous, celle du comte ne l’était pas125. Surtout, l’enquête voulait prouver qu’Andorre était une terre distincte et séparée de tout autre, une région qui ne relevait d’aucune autre, un pays qui était exclusivement régi et gouverné par ses deux coseigneurs – autant dire, puisque c’est le sens de cette démonstration, par ses deux cosouverains126. Ici, c’est une autre histoire d’Andorre qui prend corps127.
54De ces constats rapides sur la constitution des pouvoirs de la cathédrale d’Urgell, il faut donc retenir surtout une chronologie paradoxale. Les grandes dates de l’histoire institutionnelle (988 peut-être, 1133 et 1278 principalement) sont en décalage flagrant avec les évolutions déterminantes. Ainsi, semble-t-il, les évêques ont eu une stratégie bien plus assurée au xie siècle qu’au siècle suivant, alors même qu’ils détenaient en principe l’essentiel des droits sur les Vallées. Par la suite, ils essayèrent d’abord de maîtriser les empiétements de leurs feudataires, Cabœt ou Castelbon. Débordés vers 1200 par la force et la virulence des comtes de Foix, ils bénéficièrent cependant de ces climats nouveaux pour asseoir une domination qu’ils durent finalement partager. L’évolution de cette coseigneurie en souveraineté partagée illustre à merveille le rôle de porte-à-faux que joua la Mitre urgélitaine. Ces droits n’étaient plus que le reflet de dynamiques impulsées par ses vassaux majeurs, puis par ses pariers.
CONCLUSION
55En dépit de leur maigreur, les indices dont nous disposons quant aux plus anciens seigneurs implantés dans les Vallées tracent une évolution plus heurtée, moins rectiligne que ne le suggère une histoire encore largement imprégnée de positivisme. Le pouvoir n’est ni concentré dans une improbable origine, ni dispensé à partir de là en une série continue d’actes juridiques logiquement emboîtés.
56Avant l’an mil, Andorre et ses six paroisses, parfaitement intégrées dans les maillages comtal et épiscopal, font figure de cadres administratifs articulant une réalité essentiellement fiscale et militaire, couronnée par le vieil édifice du Roc d’Enclar. Les vacants soumis à l’aprision des particuliers, le réseau de l’habitat pulvérisé en minuscules noyaux, l’éclosion intense de chapelles secondaires donnent le sentiment qu’une société dynamique s’y mouvait sans souffrir de restrictions trop grandes.
57La donation de Charles le Chauve en faveur des comtes d’Urgell n’eut que des incidences mineures, au premier rang desquelles une certaine dispersion patrimoniale qui favorisa l’établissement limité de la seigneurie de Tavèrnoles. Il apparaît surtout que la grande propriété ne s’en trouva pas renforcée. Même disputés, les alleux de Borell étaient en apparence d’une consistance foncière restreinte, de sorte que l’on peut se demander jusqu’à quel point l’évêché visait ces miettes domaniales. Était-ce bien ces lopins uniquement que la Mitre souhaitait arracher à l’emprise comtale ? Il est permis d’en douter. Pour le moins, il est évident qu’aucune puissance significative en Andorre ne reposait sur la maîtrise de biens-fonds.
58Par conséquent, tout porte à croire que le récit du bayle d’Andorre fait état d’enjeux bien plus importants que les dizaines de parcelles et de censives grappillées ici ou là, et sur lesquelles la documentation s’arrête plus volontiers. L’érection puis la destruction de Bragafols, l’échange sans suite des alleux de Borell, l’opposition du comte et de l’évêque Salla protecteur de l’archidiacre bayle des Vallées, la franchise des Andorrans contestée ou renouvelée par Borell, la bataille livrée en Andorre en 996 dénoncent une période d’extrême tension. Il est probable qu’à cette époque, une première fois, le jeu des pouvoirs fut nettement modifié. Au-delà, il n’est plus trace de château ; villae et paroisses se confondirent définitivement ; chapelles, dîmes et paroisses apparurent en diverses mains, cependant que le comte prétendait lever partout des mers en réparation de l’inconduite des Andorrans, que ces mers était vraisemblablement pris sur les dîmes, et qu’il les abandonna finalement à la Mitre, laquelle depuis longtemps recevait et distribuait ces mêmes dîmes. Ce n’était plus l’expression d’une relative indistinction des sphères comtale et épiscopale, mais le résultat de confusions entretenues, de logiques concurrentes.
59Formellement, la prééminence du comte était peu discutée et conservait des traits anciens révélés en 1133 et 1162 : censum et functio, albergue et serment en étaient les piliers, certainement relayés par la vocation judiciaire des cours comtales, pour autant que leurs venues dans les Vallées ne fussent pas devenues trop sporadiques. Néanmoins, les revendications contradictoires des évêques sur les alleux comtaux, voire sur l’ensemble de la vallée, étaient dans le même temps soutenues par la coalescence de fidélités que suscitaient les inféodations de droits paroissiaux. En l’absence du comte, les bris de Trêve, la rupture des paix conclues entre voisins et des serments échangés, l’usage naissant, l’arbitrage requis ou imposé étaient sans doute autant de moyens d’insinuer la domination épiscopale. Les comtes, happés par les attraits du sud et le service des grandes cours ibériques, s’étaient éloignés, certes ; mais de ce réduit pyrénéen, la cathédrale ne se privait pas de leur fermer la porte.
60La vente de 1133 scella la réunion de ces deux axes de domination. Une tradition délétère voit dans cet acte la complète renonciation des comtes, quand ce n’est pas le transfert des droits souverains qu’ils auraient obtenus de Charles le Chauve ou par le détachement catalan de la couronne de France. Pour quatre raisons au moins, il est important de ne pas considérer cette aliénation comme une rupture de tout lien politique qui expliquerait, ne serait-ce qu’en partie, le devenir d’Andorre. En premier lieu, il faut rejeter l’idée d’une cession qui exclurait les Vallées du comté d’Urgell ; cette séparation ne fut consommée qu’au cours du xiiie siècle, après que les comtes eurent essayé plusieurs fois de réactiver le principe d’un comitivum, soit une espèce de suprématie territoriale qui aurait surplombé les alleux seigneuriaux, même dotés d’une pleine juridiction128. Il faut noter ensuite que le conflit qui opposa en 1162 les hommes d’Andorre et leur seigneur évêque d’Urgell fut résolu en présence du comte d’Urgell et selon son conseil, qu’il déboucha certes sur un hommage à l’évêque mais précédé d’un hommage au comte129, et qu’il fut tranché, selon les hommes de la Massana, dans la main du comte130. La donation d’Enclar en 1190, même avortée, relevait à n’en pas douter de ce sentiment de continuité politique131. Dans un troisième temps, il convient d’insister sur le fait qu’Arcavell fut donné aux évêques dans les mêmes conditions qu’Andorre, sans pour autant avoir suivi son destin institutionnel132. Enfin, il doit être souligné avec force que, pour contrepartie de leur fidélité à l’évêque, le comte offrait aux Andorrans l’ademprivium sur son honneur – Andorre ou le comté d’Urgell ? – et leur promettait son amparamentum ainsi que celui de ses hommes. Le sens de ce dernier mot est délicat, mais il signifie en substance que les Andorrans demeuraient sous la protection du comte. Était-ce en Andorre ou dans le comté d’Urgell ? Ce pouvait, surtout, être tout un.
61En somme, il faut asséner avec force que la vente d’Andorre n’implique rien de plus que celle d’Arcavell. L’évêque ne devenait pas souverain. Il ajoutait les prérogatives du comte, telles qu’elles étaient en 1133, à celles qu’il possédait déjà, sans pour autant annihiler l’autorité comtale. Cela est indispensable pour comprendre le bric-à-brac que faisait la seigneurie épiscopale, tout autant que les limites que lui imposaient les communautés andorranes. La Mitre ne joignait pas les deux termes opposés d’un pouvoir radical, elle assemblait les débris de deux traditions, leurs innovations et l’idée que l’on pouvait se faire vers 1130 d’une seigneurie alleutière sanctionnée par la volonté d’un comte.
62Des temps turbulents d’avant l’an mil jusqu’à cette date, la puissance comtale paraît immobilisée par l’entité que représentaient les hommes d’Andorre, ceux-là qui enlevèrent les châteaux, contestèrent les mers comtaux et devaient confirmer la vente de 1133. Il est possible que la franchise signalée en 1003 et la charte fausse façonnée entre xie et xiie siècle évoquent une même réalité, celle d’un statu quo qui aurait assujetti la suprématie comtale au respect de libertés andorranes, et vice versa. Il faut relever cela pour signaler à quel point le pouvoir des comtes avait dû changer à la suite des événements de Bragafols. En 1162, les hommes des Vallées étaient manifestement maîtres des terres hermes et ne versaient plus les dîmes du fer et de la poix, alors que depuis longtemps les gens de la cathédrale devaient recourir à des baux privés pour placer leurs bêtes sur les estives andorranes. Cela ne découvre-t-il pas partiellement le sens des supposées franchises d’Andorre ou la nature du compromis qui liait encore les Andorrans et la dynastie des Ermengol ? Autrement dit, il semble que l’autorité des comtes d’Urgell fut modelée en des termes contractuels qui leur assuraient le soutien mesuré des Andorrans, au moment-même où la cathédrale visait la mainmise.
63Ces remarques ne visent qu’à détourner d’une logique juridique sommaire qui fait dériver des uns le pouvoir des autres. Qu’il ait eu ou non une franchise délivrée ou contestée par Borell, le pouvoir qu’il exerçait n’avait rien de commun avec celui que son lointain descendant céda aux évêques d’Urgell. Ceux-ci, au demeurant, s’étaient déjà imposés par d’autres biais. Il n’y a, en outre, nulle commune mesure entre les droits revendiqués par la Mitre en 1162 et ceux qu’elle partagea avec les comtes de Foix en 1278. Alors même que juridiquement les droits des comtes de Foix semblent procéder de ceux de la cathédrale d’Urgell, et ceux-là des comtes d’Urgell, il est patent que leurs assises étaient déterminées par des rapports politiques et sociaux très fluctuants exprimés, cela n’est pas une incise mineure, dans les conceptions juridiques de chaque époque. Les stratégies des différents seigneurs d’Andorre ont évolué en conséquence. Notre présentation, qui met en scène la durée individuelle des seigneuries au détriment de leurs accointances chronologiques, permet au moins de pointer cette évidence.
64Les seigneurs d’Andorre qui pouvaient arguer de leur ancienneté ont joué de moyens très différents. Pour reprendre des catégories académiques, on peut proposer l’analyse suivante. La seigneurie foncière s’est révélée très limitée, inapte à provoquer des soumissions généralisées. Le pouvoir politique s’est heurté à des intérêts contradictoires et a dû composer avec la fidélité des hommes d’Andorre. Les réseaux ecclésiastiques se sont en définitive imposés par leur capacité à mobiliser les forces vives de la féodalité. Mais précisément, le jeu des feudataires mettait en œuvre d’autres coordonnées, celles auxquelles dut s’adapter la cathédrale d’Urgell. Dès avant 1100, et plus encore après le milieu du siècle suivant, ce sont eux qui modelèrent le visage des dominations de la vallée d’Andorre.
Notes de bas de page
1 R Pasquier, « Charte fausse... » ; sur les mythes pyrénéens touchant les origines du peuplement : S. Brunet, Les prêtres des montagnes..., p. 25-38 ; sur les chartes de franchises : J.-M. Font Rius, Cartas de franquicia...
2 A1, p. 92-93.
3 P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 86.
4 Ayant abjuré l’adoptianisme à Rome, après le synode de Ratisbonne (792), Félix, évêque d’Urgell, ne se rétracta définitivement qu’en l’an 800 à Aix-la-Chapelle, après avoir été excommunié par Léon III et après que Charlemagne eut envoyé auprès de lui Leidrade de Lyon, Néfrid de Narbonne et Benoît d’Aniane.
5 Sur la signification et la portée régionale de ses événements : R. d’Abadal, La batalla del adopcionismo... ; M. Riu, « Revisión... », p. 77-96. Sur les contextes politiques et religieux : J. M. Salrach, El procès..., p. 131-135.
6 A1, p. 93-95.
7 À ce sujet, le paréage de 1278 montre une hésitation significative en situant les droits des pariers in valle seu vallibus de Andorra (A1, p. 308-310). Sur les vallées comme cadres territoriaux des ixe et xe siècles : R. Marti, « Territoris... » ; F. Sabaté, El territori..., p. 21-30.
8 R Bonnassie, La Catalogne..., p. 215-219 ; U. To Figueras, « El marc... », p. 212-239.
9 A1, p. 101-105. Les confronts mentionnés dans ces quatre actes font apparaître les terres de sept personnes différentes, outre les quatre couples en commerce avec le comte. Ce dernier possède au moins autant de parcelles contiguës. Une rivière et une route constituent les seules autres limites.
10 Donation de Toise : A2, p. 27-28. (925) ; dotation de Castellciutat : A1, p. 107-109 (952) ; donation de la comtesse Letgarda : A2, p. 30-31 (avant 978) ; échange de Borell : A1, p. 109-112.
11 Sur le douaire en Catalogne aux environs du xe siècle : P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 259-260 ; LI. To Figueras, « Les femmes... », p. 51-65 ; et : Família..., p. 151-163 ; M. Aurell, Les noces..., p. 113-162.
12 P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 152 ; E. Magnou, « Note sur...fevum... », p. 141-152.
13 Roc d’Enclar..., p. 92-97 et 366-386.
14 Comme il est de règle en Catalogne (P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 155), le tiers des tonlieux levés dans les paroisses de son diocèse revient à l’évêque d’Urgell (860) ; Andorre est évidemment concernée, d’autant plus probablement qu’il en est question dans ce même acte à propos de fer et de poix. Des leudes abonnées sont évoquées en 1162 et 1176 ; elles ne sont pas dites comtales mais sont fermement associées à des droits de gîte qui eux étaient dus aux comtes. Des paratae et la moitié du cens comtal sont données par le comte en 1007 et reparaissent également en 1162 et 1176. Tous ces prélèvements étaient dus un an sur deux, l’année où les Andorrans ne devaient pas le service militaire. Cette alternance du type censum/functio contribue à faire croire toutes ces obligations anciennes et de nature publique (voir : A1, p. 93-95, 117-118, 192-196, 201-202 et 220-226 ; sur les paratae : P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 159 ; E. Magnou-Nortier, La société laïque..., p. 360-362). Nous reviendrons plus en détail sur tous ces points, notamment au chapitre IX.
15 Ces allusions de 1003 et 1133 sont néanmoins symptomatiques de la place tenue par l’institution comtale : A1, p. 115-116 et 158-160. P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 154-160.
16 Aucune certitude n’est de mise. Cependant, on comprendrait mal, s’il s’agissait d’un droit ecclésiastique, pourquoi il serait précisé que cette taxe revient à la cathédrale à propos de la production andorrane exclusivement. En revanche, le taux et le support de cette imposition pourraient fort bien dériver d’une charge pesant sur l’utilisation de la montagne, terres fiscales parce que libres de propriétés privées (A1, p. 93-95. E. Magnou-Nortier, La société laïque..., p. 207-208 et 360-365).
17 C’est dans la main du comte que furent réglés en 1162 les désaccords opposant les Andorrans et l’évêque d’Urgell. Le serment prêté en cette occasion, comme celui exigé d’eux dès 1133, se rapproche fort de ceux connus pour le haut Pallars (A1, p. 158-160, 192-196 et 201-202 ; P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 140).
18 Il était tacitement admis que cet alleu se trouvait en Andorre, ce qu’excluent les confronts cités dans la donation de Sendred. L’ordre des mentions de lieux dans les bulles des papes Agapet II, Sylvestre II et Benoît VIII (951, 1001, 1012) qui associaient Submonte à Feners et Calbinyà, et les confronts cités concourent à situer Somont au nord-est immédiat de la Seu d’Urgell, comme l’indique un acte de 987 qui le place à l’est de la Valira et à l’ouest de la rivière d’Estamariu. Ce toponyme a, semble-t-il, désigné un espace toujours plus réduit et dépendant du territoire de la Seu d’Urgell ; en 987, les biens acquis par Sendred sont situés in apendicio vero de sancta Maria Sedis Vico vel in villa Submonte (A1, p. 106, 114, 116 et 119 ; Urgellia 3, p. 41-42, doc. 210 ; C. Batlle, La Seu d’Urgell..., p. 45).
19 De racione quia cornes Borellus senior meus fecit castrum contra homines valle Norrensis qui vocatur Bragafols quod commendavit eum mihi. Ipsi tamen homines posuerunt insidias contra castrum et tenuerunt eum, et tamen prelibatus comes missit me in vinculis sive in compedibus et ternit me longo tempore per ilium castrum. Et inquisivit me ut nomine suo et suos optimos homines vel nobiles ut dedissem ei ipsum meum alodem quern habebam in Submonte, qui fuit ex franceda de homines de valle Andorra sive ex parentibus meis. Ego autem respondi ei : non do hereditatem parentum meorum antea pocius mori. Et missi ad seniorem meum nuncium ad Sallanum episcopum et petivit ipse ad comitem et dixit ei : Quare domine senior tenes clericum et archidiaconem sancte Marie in vinculis ? Respondit cornes : si non dederit mihi suum alodem quam habet in Submonte non dimitam eum. Respondit episcopus : ipsum alaudem quern inquiris iam est ex iam dicta Genitricis. Ut autem audivit comes verba episcopi et probavit omnia vera esse fuit iratus nimis et abstraxit me a compedibus sive a vinculis (A1, p. 115-116).
20 Sur la noblesse et les viguiers au xe siècle : P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 173-177 et 290-291. P. Bonnassie signale au contraire qu’en général les bayles — c’est le titre que prend Sendred — ne sont pas des nobles. Cependant, l’office de Sendred relève manifestement de ces baylies très particulières qui prenaient en charge des domaines comtaux (ibid., p. 286 et 597).
21 On notera, en outre, que la possession de Somont était reconnue à l’évêché par une bulle de 951 (A1, p. 106). L’interpolation est probable. Sinon, c’est que l’enchevêtrement des droits patrimoniaux de Sendred et de l’évêché était ancien, de même alors que les relations entre les parties, sans doute.
22 Pour reconstituer le parcours de Sendred et sur les lignages évoqués : A1, p. 115-116, Urgellia 3, doc. 206, 210 et 212 ; Urgellia 4, doc. 278 ; P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 290-291 et 785-797.
23 Coopération des évêques et tutelle des comtes sont plutôt la norme dans la Catalogne pré-féodale (P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 177-183 ; M. Zimmermann, « El bisbe català... », p. 137-165).
24 Seul un scepticisme forcené peut empêcher d’inscrire tous ces épisodes dans une fourchette chronologique assez étroite. De l’avènement de Salla à la mort de Borell, il n’y a qu’une dizaine d’années (981-992). En outre, lorsqu’il acquiert des terres à Somont en 987, Sendred n’est pas encore archidiacre ce qu’il était lors de la chute de Bragafols d’après son récit de 1003, il ne s’arroge aucune fonction en Andorre et ne fait aucune allusion à un éventuel statut particulier de Somont. L’on peut donc raisonnablement situer l’ensemble des faits relatés entre 988 et 992. Comme le texte ne suggère aucun intervalle de temps entre la construction du château de Bragafols et sa commende à Sendred, il est probable que l’édifice fut de très près contemporain de la donation de 988.
25 Si on ne peut exclure l’hypothèse d’un château adultérin d’abord légitimé par Borell II puis reproché à Sendred en raison de son échec, cela resterait pure conjecture, difficile à concilier avec nos rares données.
26 « L’irrationnelle possession... » et « Andorra... ». Au demeurant, les principales pièces qui concernent l’église et le château d’Enclar gagnent en cohérence si l’on suppose le castrum écroulé très précocement. En 1099, Ermengol V donnait tous les biens de sa cappelania de Castellciutat au monastère de Tavèrnoles, parmi lesquels était clairement cité Sant Vicenç d’Enclar. Parce qu’un vicomte de Castelbon, puis un comte de Foix voulurent le rebâtir, il fut proposé soit que la donation de 1099 ne concernait pas le château, soit que le monastère avait été floué. La première hypothèse se heurte à la constitution de la cappelania qui en 952 comprenait le castrum. La seconde est incompatible avec les silences du texte de 1099. Enfin, aucune de ces deux suggestions ne justifie l’aval que les abbés de Tavèrnoles avaient manifestement donné à la reconstruction de la forteresse. Tout cela au contraire s’explique fort bien si Tavèrnoles n’avait reçu en fait qu’un champ de pierres. Le monastère possédait bel et bien Enclar, mais nul château (A1, p. 107-109, 237-238, 324 et t. II, p. 14-17, 44-45 ; C. Baudon, Les relations..., p. 111 et 284-285).
27 On peut comparer les analyses proposées dans les travaux suivants : J. Guillamet et X. Llovera, « Sant Vicenç d’Enclar... » ; M. Rïu Riu, « Una tipologia... » ; Andorra Románica... ; et Roc d’Enclar...
28 R. d’Abadal, Els primers comtes..., p. 339-354 ; M. Zimmermann, « La prise de Barcelone... », p. 71-96 ; P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 343-347 ; J.-M. Salrach, El procés..., p. 227-252.
29 Cette conjecture ne s’appuie pas uniquement sur le contexte politique. Si les mentions nombreuses de ventes, d’échanges et de donations ne sont pas significatives pour des comtes qui disposaient d’un important domaine et plus encore pour un comte d’une telle longévité, elles sont relayées par l’exemple fameux des franchises de Cardona (986) et, comme nous le verrons, par l’étonnante proportion de franchises qui impliquèrent Borell et qui concernent le sud de l’Andorre et le nord du Segre entre la Seu d’Urgell et le Baridà (Arcavell, Bescaran, Somont, Aristot...). Avec l’échange de 988, il semble que nous tenons un faisceau d’éléments significatif pour le haut Urgell. Nous en sommes d’autant plus convaincu qu’en 988 également Borell donnait au vicomte d’Urgell ses possessions de la vallée de Castelbon, vallée où cette lignée s’implanta et dont elle prit le nom (HGL, t. V, col. 309-311, no 146 ; J. Miret, Investigaciόn..., p. 37 ; P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 311-316 ; et à titre d’exemples : Urgellia 3, p. 38-41, doc. 207 ; Urgellia 7, p. 44-45, doc. 913 et doc. 1014).
30 Autour de l’an mil, cela semble une politique courante des comtes catalans, au moins dans le comté d’Ausone où les archidiacres paraissent particulièrement impliqués dans la garde des châteaux (P. Freedman, Tradiciô..., p. 41-47).
31 Il s’agit de paroisses du Berguedà (Castell de l’Areny, Sagàs, Merlès...) toutes en périphérie de ce comté dépendant de la Cerdagne et du comté d’Ausone que Borell devait laisser à son fils aîné (A1, p. 109-114 ; J.-M. Salrach, El procès..., p. 236).
32 C’est sans doute de cette manière que se manifesta la colère comtale dont il est fait état par Sendred en 1003. Comme nous le verrons, cela permet d’expliquer la donation de son lointain descendant Ermengol VI, mais aussi les formules des bulles pontificales qui en 1001 et 1012 confirmèrent les droits tout théoriques des évêques sur les alleux comtaux d’Andorre.
33 « La signification de ce mot, qui appartient à la langue savante, se limite rarement au seul château (castellum) où réside le viguier. Castrum est un terme abstrait qui sert à désigner, outre la forteresse et ses annexes immédiates, l’ensemble des territoires qu’elle domine... » (P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 174). Comment pourrait-on concevoir Bragafols en satellite d’Enclar alors que ce dernier est en voie de ruine et qu’un bayle-viguier est installé dans le premier ? Surtout, et cette question est décisive, pourquoi les Andorrans auraient-ils enlevé de vive force un château bâti « contre eux » si restait dans leur dos la principale forteresse d’Andorre ?
34 Outre nos longues remarques sur le statut de Sendred, rappelons que placer un archidiacre à la tête d’un château comtal dont l’administration est abandonné à un évêque semble de pratique courante dans la Catalogne de l’an mil (P. Freedman, Tradiciό..., p. 41).
35 Cum volunptate vel consilio hominium ibi degencium et nullos alios fecerant vel eligant nec ipsi nec posterita eorum in perpetuo nullo modo sicut soliti erant facere nisi Sancte Marie Sedis (Urgellia, doc. 913).
36 Le Manual Digest et le Politar en signalent un autre dans les archives des Vallées, cf. supra, p. 39.
37 A1, p. 158-160.
38 A1, p. 117-118, 122-124 et 137-138 ; A2, p. 44-45.
39 L’essentiel des événements concernant les comtes d’Urgell et la bibliographie fondamentale se trouvent dans : S. Sobrequés, Els Barons..., p. 17-22. Signalons néanmoins : E. Corredera, Notícia...
40 Les grandes lignes apparaissent une fois de plus dans : S. Sobrequés, Els Barons..., p. 17-20. Quant au détail de cette allégeance, il a permis à P. Bonnassie des pages essentielles sur l’attitude des comtes catalans face aux royaumes musulmans (La Catalogne..., p. 350, 664, 666, 668, 866).
41 P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 699.
42 Ils tentèrent aussi de s’implanter en Provence (S. Sobrequés, Els Barons..., p. 19-22 ; P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 865).
43 J. M. Canal Sanchez-Pagin, « Casamientos... », p. 119-135.
44 Aux 1170 km2 initiaux, s’ajoutent d’abord 930 km2, puis 1050 km2 à la fin du xe siècle, pour atteindre un total de 5950 km2’au xiie siècle (F. Sabaté : « Organitzaciό... », p. 20, 22, 23, 27).
45 Avec ses 460 km2, Andorre représente moins de 8 % de la superficie du comté au xiie siècle, alors qu’elle en constituait un tiers aux origines. Compte tenu du relief d’Andorre, ces proportions doivent être nettement révisées à la baisse en ce qui concerne l’importance des Vallées en termes de population ou de production.
46 Entre les seigneuries des évêques d’Urgell, des vicomtes de Castelbon et des comtors de Cabœt ou Montferrer..., l’espace du haut Urgell paraît largement saturé. Cela explique peut-être les luttes endémiques qui, dans cette région, marquèrent le xiie siècle (J. Miret, Investigaciόn... ; et Noves... ; A. Udina Abello, « L’aristocràcia... », p. 65-77).
47 A1, p. 192-196.
48 Les lacunes documentaires ne permettent pas de considérer l’apparition de ces mentions après 1133 comme absolument déterminantes. Néanmoins, on doit noter que, si les expressions de champs et vignes comtales qui s’imposent au début du xiiie siècle ont sans doute une valeur de référence toponymique, elles remplacent des formules qui, au contraire, évoquent un changement récent. En 1144, il est question d’un confront in vineam comittis ; surtout, en 1135, soit deux ans après la vente d’Ermengol VI en faveur de l’évêché, une vigne est, on ne peut plus clairement, désignée comme vinea de Sancte Marie [la cathédrale] qui fuit de comite. La mémoire du domaine comtal fut particulièrement préservée dans la zone de Santa Coloma et Enclar. C’est dire qu’il s’agit de terres qui étaient inévitablement concernées par la donation de Borell en 988. On ne peut croire qu’elles n’aient été récupérées que depuis peu et que cette détention éphémère ait suffi à marquer les consciences de plusieurs générations. Par ailleurs, ces occurrences sporadiques confirment le caractère épars des possessions foncières de la lignée comtale. A2, p. 47 (1135), 50-51 (1144), 60-62 (1218), 122-123 (1265), 126-127 (1268).
49 Et in alio loco, que vocant valle Andorra, comutamus vobis ipsos nostros alodes quem abemus in villa Lauredia vel in villa Sancta Columba sive in villa Andorra vel in villa Ordinavi vel in aliis loris ubi invenire potueritis, id est... (A1, p. 111).
50 A1, p. 19-21.
51 In valle Andorra omnes alodes comitales, A1, p. 114.
52 Et ipsos alodes de val de Andora qui fuerunt de Seniofredo comite, A1, p. 119. Dans la bulle de 1001, la plupart des biens donnés en 988 sont qualifiés comme alleux ou fiefs comtaux. Au contraire, en 1012, ils sont suffisamment intégrés dans le patrimoine épiscopal pour que cette mention paraisse inutile, sauf à propos des terres andorranes.
53 Ceux dont nous sont parvenus quelques originaux datés de 904 à 907 (A1, p. 101-105 ; voir également supra).
54 Nous sommes d’autant plus fondé à penser ce silence volontaire que le même texte attribue sans difficulté à Borell l’origine des droits épiscopaux sur Tuixén. Il est vrai que Borell en avait décidé ainsi dans son testament et qu’il ne revint donc pas sur sa décision (Urgellia 3, p. 63-67, doc. 232 et 233).
55 Il paraît peu vraisemblable qu’Ermengol VI ait usurpé ces droits fonciers peu avant de les remettre à l’Église, ou que ce fut l’œuvre de son père qui passa en Castille l’essentiel de sa vie de comte. Il est tout aussi improbable que ce fut le fait de son grand-père, lequel après avoir tenté de mater les Andorrans et leur avoir imposé une nouvelle taxe, abandonnait presque aussitôt celle-ci à l’évêque d’Urgell. Outre la bulle de 1012 et l’épisode de Bragafols, c’est un argument pragmatique qui nous incite à croire précoce la dépossession de la cathédrale. Pour reprendre le contrôle d’un domaine composé de parcelles dispersées et acensées, mieux vaut avoir des agents qui aient encore une solide connaissance du terrain. Cela désigne Borell et Ermengol Ier comme principaux suspects. Le fils semble avoir été peu préoccupé par ses droits andorrans puisqu’il offrit la moitié du cens comtal des Vallées au monastère de Tavèrnoles en 1007 et qu’il n’empêcha nullement Salla de prétendre qu’il possédait ses alleux alors qu’il l’accompagnait lors de son voyage à Rome en 1001. Le père, au contraire, avait un mobile et semble dénoncé par l’ellipse de la bulle de 1012.
56 Les évêques Salla et Ermengol n’avaient pas les moyens de protester très fort à une époque où ils négociaient, pour le second, l’achat de l’episcopatus auprès du comte d’Urgell Ermengol Ier (P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 178).
57 En 1083, Ermengol IV fit donation à l’évêque d’Urgell des mers que lui devaient les hommes de toutes les paroisses et de toutes les églises andorranes. De ses explications un peu confuses ressort l’image d’une puissance comtale certaine mais néanmoins contrecarrée. Les Andorrans lui ont fait endurer d’énigmatiques maux que les mers ont peut-être servi à racheter. Au demeurant, il semble que les hommes des Vallées aient renâclé et se soient approprié ce tribut. Pour s’en tenir à un euphémisme, les habitants d’Andorre manifestaient une vive hostilité à certains changements. Est-ce pour cela que le monastère de Tavèrnoles ne put conserver la moitié des cens et des paratae dont lui avait fait présent Ermengol Ier ? Il n’est pas lieu d’interpréter déjà de telles réactions qui paraissent s’inscrire en droite ligne avec la prise de Bragafols et, sans doute également, avec cette mystérieuse bataille d’Andorre où mourut un homme du vicomte de Cerdagne (996). On peut, cependant, retenir cette impression d’une situation partiellement tendue et bloquée de la fin du ixe au début du xiie siècle (A1, p. 117-118, 137-138, A2, p. 139-141 ; sur le texte de 1083 : P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 648-649).
58 A1, p. 192-196.
59 A1, p. 237-238.
60 S. Sobrequés, Els Barons...., p. 21-22 et 65-74.
61 J. M. Salrach, El procés..., p. 111, 131-135 ; A2, p. 7-8 ; C. Baraut, « El monestir... ».
62 C. Baraut, « El monestir... » ; J. Miret, Investigación..., p. 188 ; J. Guillamet, Aproximació..., p. 143-150.
63 La comparaison est significative avec les monastères de Fuenfría, Cillas, Cercito, Navasal, au sud des Pyrénées, ou Saint Savin au nord (J.-J. Larrea, « Moines... », p. 222-224 ; J. Bourdette, Annales...).
64 En 1258, un accord intervenu entre l’évêché d’Urgell et le monastère montre que le domaine de Tavèrnoles s’organisait autour de deux prieurés (Sant Llorenç de Morunys et Santa Cecilia d’Elins) et d’une vingtaine d’églises au moins. L’acte interpolé de consécration de Tavèrnoles (1040) permet d’évaluer grossièrement le patrimoine de Sant Serní (A2, p. 64-69 et 35-41). Pour une cartographie précise : J. Soler, El cartulario..., p. 212-213.
65 Le monastère a manifestement souffert de sa mise sous tutelle par les comtes de Foix et les vicomtes de Castelbon. Il disparaît officiellement en 1592 (J. Miret, Investigación..., p. 188 ; A1, p. 289-290 ; A2, p. 7-8 et 24).
66 Trois chartes seulement dévoilent des possessions de Tavèrnoles au nord de la paroisse d’Andorre. Il s’agit vraisemblablement de trois exploitations aux lopins épars, anciennes propriétés reprises en tenures depuis plus ou moins longtemps. Il semble que le monastère ait préféré donner à faible cens la plus éloignée, alors qu’il imposa de forts agriers sur la plus proche dont il pouvait plus aisément contrôler les lopins. Rien n’évoque un domaine solidement charpenté (A2, p. 55, 57-58 et 60-62).
67 Sur les textes qui nous informent sur Toise, Juverri et Abresem cf. supra, p. 32-33. On ne sait pourquoi les deux derniers disparaissent complètement de la documentation après Tan mil, ni pourquoi Tavèrnoles n’a jamais revendiqué de droits sur ces hameaux (notamment pour Abresem qui était donné avec l’église Sant Mateu). Le Manual Digest et le Politar font mention d’un statut paroissial particulier qui aurait concerné cette zone (rattachement à la paroisse d’Arcavell) et qui pourrait être le dernier témoin d’une évolution particulière, suggérée déjà par la curieuse mention d’un capbreu de 1480 qui attribue au recteur de la paroisse d’Arcavell la moitié des cens perçus sur les mas de Juverri (ibid., p. 27-28, 30-31 ; A. Puig, Politar..., p. 29 ; M. W. Stancliff, Cultural..., p. 62 ; Capbreu, p. 9-26.).
68 Sur le lien qui existait entre le villare du xe siècle et le mansum du xiie les hypothèses peuvent être multipliées à l’envi. Le mas commandait l’ensemble du territoire de l’ancien villare, église comprise. L’acte de consécration de Tavèrnoles semble indiquer également que l’église articulait encore en 1040 un villare. Il n’est pas certain cependant qu’il constituait une totale unité foncière (à Puig Olivesa, donné dans les mêmes termes, existaient des alleutiers). Combien de tenanciers et de cultivateurs masque cette charte ? Quels étaient leurs statuts ? Que sont les bordes mentionnées et quels rapports entretenaient-elles avec les défrichements qui paraissent devoir les susciter ? Le texte se déroule comme un contrat agraire, ce qu’il semble être pour partie, mais révèle néanmoins une structure bien complexe (A2, p. 51-52). Sur l’articulation entre villare du haut Moyen Âge et manse de l’âge féodal : J. de Bolos, El mas..., p. 40-47, 55-57 et 68-69 ; M. Aventín, Vilamajor..., p. 68 et 100. Il convient de lier ces questions aux remarques de B. Cursente sur les deux sens du mot casai en Gascogne (Des maisons..., p. 52-57).
69 Ces clauses sont habituelles pour ce monastère. En revanche, il est tout à fait exceptionnel de voir mentionnées les tractations préalables, et plus encore les conventions orales (cum aliis convenientiis quas convenisti Berengario priori quas tu scis, A2, p. 51-52).
70 Faciatis nobis servitium .II. cestarios rasos frumenti ac sextarium venaloni et canadas quinque de vino puro venales et quatuor argencias de carne... cum omnibus servitiis et viaticis.
71 A2, p. 59-60.
72 De ipsam decimam et primiciam faciatis cantare et illuminare ecclesiam sancti Andreae que ibidem est (A2, p. 52). Même s’il est conservé une vocation religieuse à ses dîmes et prémices, il est remarquable que le monastère en abandonne le contrôle à une époque où l’évêque d’Urgell se démène pour en régler les modalités quant aux autres églises andorranes (en 1162 et 1176 ; A1, p. 193 et 221-222). En outre, deux questions restent en suspens : (1) quelle part des récoltes fut réellement affectée à cet usage par les preneurs du contrat ? (2) S’agissait-il du dixième de la production des preneurs, ou d’une dîme pesant également sur d’autres tenanciers ? Ces ambiguïtés ajoutent encore à l’impression de complexité que nous avons relevée. Or, si le mas de Toise était plus qu’une simple exploitation familiale, la dévolution des dîmes pouvait s’inscrire dans une répartition pyramidale (ou féodale) des redevances. En somme, le contrat serait bien moins défavorable aux tenanciers qu’il ne paraît de prime abord.
73 Alodium vero et vinea de ipso gradu Pilionis a damunt donamus vobis per casalitium ab integro, et faciatis nobis servitium (A2, p. 52). C’était un usage courant des contrats catalans que d’acenser pour très peu la parcelle bâtie et ses environs immédiats : le casaliticum, mansionaticum ou manedia (P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 443 ; et du même, « Un contrat... »). Mais, le cens qui y était rattaché pouvait être bien plus lourd lorsque s’y greffaient toutes les charges qui ne relevaient pas d’une partie précise de l’exploitation (charges banales, parfois). Ainsi interprétons-nous le poids du servitium qui, énoncé juste après le casalitium, lui paraît associé (le prélèvement prévu sur une éventuelle borde en est un pendant). En revanche, ce casalitium semble bien plus important qu’il n’était d’usage, puisqu’il s’agit de terrasses et de vignes, et d’une zone mal délimitée – jusqu’où pouvait-elle s’étendre a damunt ?
74 A1, p. 226-227 ; R. Viader, « Remarques... », p. 158.
75 L’acte de consécration de Tavèrnoles (rappelons qu’il est daté de 1040 et interpolé) désigne la chapelle d’Engordany comme cella et attribue ses dîmes au monastère. Un accord de 1289 entre l’évêque d’Urgell et l’abbé de Sant Sernf confirme cette attribution des dîmes (A2, p. 37 et 68).
76 En 949, un particulier faisait donation à Tavèrnoles d’une vigne située à Engordany ; parmi ses confronts figurait une autre vigne du monastère. En 1000, un autre personnage cédait la presque totalité de ses biens-fonds localisés dans la villa d’Engordany (terres, vignes, maisons, granges, en fait tout son héritage à l’exception de sept parcelles). Dans l’acte de consécration de l’église de Tavèrnoles, les quelques mots qui concernent les chapelles andorranes ne font pas mention de Sant Vicenç d’Enclar (alors que Sant Feliu de Castellciutat, reçue lors de la même donation, est évoquée dans un autre passage du texte, ce qui constitue une évidente falsification). Il est donc permis de croire que Toise et Engordany n’apparaissent pas au titre d’interpolations. Sant Jaume d’Engordany est par ailleurs attestée au début du xiie siècle. Compte tenu de l’importance de ce hameau dans les possessions andorranes du monastère, il est largement vraisemblable qu’il fit bâtir cette chapelle au début du xie siècle au plus tard (A2, p. 28-29, 31-32, 37-38 et 48-49).
77 Neuf actes exactement traitent des droits de Sant Sernf à Engordany. Cela représente un tiers des documents de Tavèrnoles qui concernent Andorre. Compte tenu de l’étroitesse du terroir considéré, il s’agit-là d’une concentration sans comparaison.
78 Les prélèvements normaux semblent osciller entre le quart et la moitié des récoltes, même si de rares parcelles sont acensées pour quelques deniers (A2, p. 48-49, 55-56, 62-63 et 69-70). Les tenures n’étaient transmissibles que de père en fils légitime. Enfin, comme à Toise, le monastère se réservait en général le droit de trancher des litiges qui pourraient survenir à propos de la tenure : et si feceris de ipsum alodem et de ipsos explets hoc quod facere non debes contra Sanctum Saturninum et abitatores eiusdem loci, facias directum in capitulum Sancti Saturnini et si facere nolueritis per hoc perdas totum (A2, p. 48) ; si forte aliquis inde fore feceritis de expletis vel de honoribus in capitulo Sancti Saturnini firmetis directum et semper faciatis (A2, p. 69).
79 Tali pacto quod de supra dictis terris in possessionibus sine licentia et voluntate nostra non vindemietis nec segetis, et tempore vindimie et mesis detis cibum et potum censualem, scilicet tasca et ova et vinum (A2, p. 63, voir aussi p. 61 et 69).
80 Sur ces sortes de celliers du monastère : A2, p. 48 et 62 (et pour comparaison : R Bonnassie, « Les sagreres... » ; A. Catafau, Les celleres...). Sur les alentours de l’église, on note qu’au début du xiie siècle, un certain Morato recevait de Tavèrnoles : ipsum alodem, qui est in villa de Engordan subtus ipsa via publica que pergit super ecclesia Sancti Jacobi, exceptus una vinea qui est subtus ecclesia (A2, p. 48). En 1184, un autre tenancier obtenait du monastère une vigne qui sur un flanc jouxtait l’église de Sant Jaume, et sur les deux autres une vigne et un jardin qui appartenaient à deux personnages différents (A2, p. 56).
81 Seul un acte tardif (1233) propose une série significative de confronts, mais à cette époque précisément le domaine de Sant Sernf devait être à son apogée. Sur vingt mentions, le monastère apparaît deux fois, l’église de Sant Jaume une fois ; en revanche, on compte une dizaine de propriétaires différents pour treize parcelles, le reste étant composé de chemins et de rochers (A2, p. 62). Ce document confirme l’impression laissée par des actes plus anciens (A2, p. 28-29, 31-32 et 48).
82 Deux chartes nous montrent qu’au début du xiie siècle le monastère a procédé dans cette zone à des échanges de parcelles (A2, p. 47 et 50-51).
83 Au pied du Roc d’Enclar, Santa Coloma est attestée comme une église prépondérante dès le ixe siècle. Il est peu vraisemblable que sa part de dîmes fût sérieusement rognée par l’ancienne chapelle castrale. Quant aux possessions foncières de Tavèrnoles, elles étaient limitées par les alleux paysans, mais aussi par les biens-fonds comtaux passés aux évêques d’Urgell. Un relevé des confronts livrés par les actes du monastère dans cette zone, fait apparaître un total de 48 confronts pour quatorze parcelles (dont douze étaient à Sant Serní) ; deux terres seulement appartenaient au monastère, six étaient aux comtes avant d’être aux évêques, et trente étaient propriétés de particuliers (A2, p. 47, 50-51, 54 et 60-62). Cette répartition peu favorable à Tavèrnoles est confirmée par les contrats passés entre Andorrans (A2, p. 113-114, 122-124 et 126-127).
84 Aux éléments fournis par les textes cités dans la note précédente, on peut ajouter trois exemples isolés du xive siècle qui montrent la persistance de propriétés paysannes (M. 100, M 96 et M 112, datés respectivement de 1352, 1353 et 1368). Au delà du noyau d’Enclar et Santa Coloma, Tavèrnoles n’a manifestement obtenu que des héritages de particuliers, c’est-à-dire autant de lopins dispersés (pour un exemple significatif : A2, p. 33-34).
85 Rappelons qu’il s’agissait d’une donation portant sur la moitié du cens et des paratae dus au comte. Comment comprendre autrement que par son étroite dépendance des stratégies comtales en Andorre l’incapacité de Tavèrnoles à faire valoir une donation aussi importante ?
86 Cela apparaît en 1258 à la suite d’un appel lancé par le comte de Foix auprès du pape contre une sentence d’interdit lancée par l’évêque d’Urgell sur les Vallées d’Andorre : Item quia in monasterio Sancti Saturnini, de quo sumus patroni et in possessione iuris patronatus (A1, p. 289-290).
87 Toute la bibliographie relative au Moyen Âge du haut Urgell fourmille bien entendu de références sur les évêques, l’évêché et le chapitre d’Urgell. Nous n’en ferons pas l’inventaire, préférant signaler le travail de référence, ancien mais toujours indispensable (J. Villanueva, Viage...), une mince biographie (E. Albert, Sant Ot...) et deux maîtrises récentes (P. Ruiz, Les évêques... ; M. Capdeville, Les évêques...).
88 A1, p. 14.
89 A1, p. 95-100, C. Baraut, : « La data... » ; P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 86-87.
90 A1, p. 94.
91 A1, p. 94. Sur l’imbrication des pouvoirs, cf supra p. 75, et R. d’Abadal, L’abat Oliba... ; E. Junyent Subira, Diplomatari... ; P. Freedman, Tradiciό..., op. cit., p. 30-66 ; M. Zimmermann, « ’Et je t’empouvoirrai’... », p. 31-32.
92 Si cette taxe avait survécu, elle aurait été mentionnée dans les conventions de 1162 et 1176.
93 A1, p. 124 (1040) ; 126-127 (1046) ; 131-133 (1067) ; 133-134 (1046-1069) ; 137-138 (1083) ; 145 (1096). Pour un aperçu sur ces grands lignages du comté d’Urgell : P. Bonnassie, La Catalogne..., t. 2, p. 785-797.
94 En 1067, Bernat Trasver de Benavent échangeait la paroisse de Sant Julià de Loria pour un autre fief également tenu de l’évêque d’Urgell ; il réservait le decimum d’Aubinya qu’il avait précédemment donné à Ramon Dacό (A1, p. 131-133). En 1096, Guitard Isarn de Cabœt sous-inféodait deux paroisses d’Andorre (ut abeatis et teneatis per nos in vitas nostras et post obitum nostrum similiter abeatis cum filio nostro cui ipsa honore remanserit in equali modo, in Deo servicio et Sancte Marie vel ipso episcopo qui ibi est aut erit, A1, p. 145). Sur l’imbroglio qui résulta de ces donations successives, cf. infra, p. 142-143.
95 Ipsis nostris mers... que exeunt de ipsis parrœchiis omnes qui sunt in val de Annorra... sive de omnibus ecclesiis suffraganeis eorum et villis et villarunculis (A1, p. 137-138).
96 Et de decimis primum accipiantur et separentur levate et mers et postea primicie cum decimis misceantur (A1, p. 221).
97 A1, p. 127-128 (1048) ; 128-129 (1052) ; 130-131 (1064) ; 134-135 (1071) ; 140-141 (1085) ; 141-142 (1089) ; 142-144 (1092) ; 157-158 (1111), 228 (1178) ; A2, p. 144 (1008).
98 Par exemple en 1052 : alodem nostrum que habemus in Ordinau vel in eius terminos ad locum que dicitur ad illo Puio sive in Taxaven, id sunt casas, casalibus, ortis, ortalibus... et advenit nobis ipsos alaudes de parentorum vel de comparacione... (A1, p. 130-131). Les mêmes confronts (les limites des villages et des hameaux) sont évoqués régulièrement ; c’est que les terres cédées ne faisaient pas des blocs mais des lopins éparpillés sur tout un terroir, celui dont les bornes étaient signalées. En 1089, un homme offrait à la cathédrale les deux tiers d’un alleu, sans doute sa part d’héritage résultant d’une melioratio et d’un partage avec un seul co-héritier. En outre, un champ acensé à Sant Esteve était exclu. Il est clair qu’avec ce type de pratique les Andorrans ne pouvaient guère offrir d’exploitation compacte (dono ad illa omnem alaudem meum, id sunt terras et vineas, kasas, casalibus, porticos... exceptus ipsa terra qui est super ipso prado qui est de receptum de Sancti Stephani, de ipsum alodium ipsas duas partes ab integrum qui mihi advenit de parentorum vel de comparacione vel per ullas voces ; A1, p. 141-142).
99 Les rentes fixes pouvaient être livrées en nature ; per singulos annos dare faciamus ad Sancta Maria libra.1. de cera (1008) ; donemus perna.1. per unumquemque annum valente argencios.III. (1052) ; per unumquemque annum argenciata. Ia. in carne (1089). Il est intéressant de noter que les prescriptions du donateur pouvaient être appliquées à la lettre bien des décennies plus tard, comme il en fut pour le mas d’Ort Cuminal offert en 1111 et baillé en 1176 (integre et sine divisione sicut resonat in carta que fecit beate Marie, sic facite censum annuatim ad festum sancti Michaelis.I. solidum gros denariorum Sancte Marie et eius preposito, et ipsum mansum non dividatur). Il semble que les biens cédés n’étaient qu’assez rarement repris moyennant une redevance à part de fruit. En 1052 l’agrier d’un tiers des récoltes était repoussé à la génération des petits-enfants et arrière-petits-enfants des donateurs (teneant nepti de Guinedell ad laborandum et donent terciam partem). En 1085, une donatrice imposait, non sans mauvaise grâce sans doute, une redevance de la moitié des fruits sur la tenure qui reviendrait à son frère (respectivement, A2, p. 144 ; A1, p. 128-129, 141-142, 157-158, 226-227, 141-142, 140-141).
100 Les trois premiers étaient des clercs — l’un se disait sacer (1044), les deux autres lévites (1048 et 1051) — dont les legs privilégiaient la cathédrale et souvent d’autres ecclésiastiques ; ils possédaient des terres patrimoniales dans la région et, semble-t-il, percevaient des rentes capitulaires ; enfin, ils avaient des biens dans la cité épiscopale. Pour ces raisons, nous pensons qu’ils gravitaient autour du chapitre (respectivement, A2, p. 145-146 ; 147-148 ; 148-151). Le dernier était un miles qui légua son cheval, son haubert et son épée (1074). Même si la phrase qui paraît l’indiquer est un peu elliptique, il est probable qu’il s’agissait d’un vassal de l’évêque (Ipso mulo quod mihi debet senior meus remaneat ad ipso episcopo Sancta Maria Guilelmo, et preco ut cantet mihi missa super .I. altare Sancta Maria pro anima mea et solvet meum sepulcrum, A2, p. 151-152).
101 Aucun des testateurs ne léguait de terres en Andorre. Voici les passages qui traitent d’animaux situés en Andorre : Et ipsa vacca qui est in Pal remaneat ad Guadall, et ipsa euga que habeo in Pal, ipsa medietate remaneat ad ipsa canonica cum ipso meo asino. Et ipso meo porcastro remaneat ad Guadall (Seniofred sacer, 1044) ; Et ipsa mea equa qua abeo in valle Andorra, que tenet Ramon Mir de Ordonavi, remaneat ad... Et ipsa vacca que abeo in Engordan, que tenet Plazezinus, simul cum suo vitulo vel cum suo nutrimento quern Deus illi dederit remaneat ad... (Esteve levita, 1048) ; et moltos. V. qui sunt in Civitate unde est fideiussor Bernard Eremir et alios VIII. quos debent presbiteri de Loria... Et ad Od modios.II. de annona en Encamp, et alios.II. modios a Sanfred scriba. Et ad Bernard Eremir ipsa mea parte de vachas que sunt en Encamp... Et ipsa mea egua quam habeo cum Oriol in Ordinau, cum ipso mulet, remaneat a Mir ipsa mea part (Oriol levita, 1051) ; Ipso bovo que habeo in valle de Andorra remaneat ad Arnall Oromir. Ipsas vaccas que ibi habeo apud Fedancio et alias bestias ubique habeo (Isarn Guadall, 1074). On notera que les mentions de parts et de moitiés peuvent résulter de toutes sortes de partages mais ne vont pas sans évoquer les contrats de parcerias pratiqués et attestés aux xiiie et xive siècles ; c’était là un moyen classique pour accéder aux herbages de communautés étrangères. Le faible nombre de têtes concernées par ces placements ne doit pas décourager cette interprétation puisqu’il était pratiquement de règle pour le gros bétail en 1280 encore (C. Rendu, « Un aperçu... », p. 90-91).
102 A1, p. 192-196 et 220-226.
103 In primis nos omnes homines vallis Andorre concedimus Deo et beate Sancte Marie et tibi Bernardo, Urgellensis episcopo, et canonicis eiusdem Sedis vestrisque successoribus quod de ista hora in antea habeatis omnes ecclesias vallis Andorre cum omnibus rebus ad eas pertinentibus (1162).
104 Ut stabiliatis eas [les églises des Vallées] quibuscumque volueritis absque nostra contradictione vel succesorum nostrorum, omnes scilicet ecclesias qui modo sunt vel erunt (1162).
105 Iterum convenimus vobis quod fideliter et absque dolo donemus vobis et baiulis vestris decimas et primicias semper in areis nostris... Decimas autem de agnis et de lana donemus semper ad festum sancti Johannis Baptiste fideliter et sine lucro ac sine engan. Caseos vero donemus fideliter per kalendas omnes. Cepas etiam similiter donemus ad festum sancti Johannis. De fructibus siquidem omnibus et lanificiis, pullis et vedels, porcis, gallinis et ovis, nabs et cols, donemus fideliter temporibus suis (1162).
106 Et quando debuerimus levare annonam nostrum notificemus hoc baiulis vestris et apellemus eos ut possent esse ad levandum (1162) ; Concedimus in super, vobis, quod mitatis per omnes parrochias vallis Andorre quoscumque baiulos volueritis, tam de vestra terra quam alia, sine aliqua contradictione (1176).
107 Cette périodicité repose sur l’alternance d’années au cours desquelles le seigneur entrait ou n’entrait pas en Andorre. Quelque temps après l’accord de 1162, un serment particulier des hommes de la Massana révélait que le service d’ost s’effectuait un an sur deux (In secundo anno absque omni contradictione faciemus etiam seguimentum... ; A1, p. 201-202). En 1176, il était précisé que les vaches de paratae, de même que les sous du comte devaient être versés in secundo anno (A1, p. 221). Un texte de 1199 prouve que le cens comtal n’était versé à l’évêque qu’un an sur deux, quand il pénétrait dans les Vallées (B. Urgellensis electus promito tibi... me daturum annuatim tibi.CC. solidos puplice monete in anno in quo intravero in vallem Andorre in redditibus terre. In alio vero anno quo non intravero in terram illam habeas illos in vino ipsius berani ; A1, p. 240-241). Ajoutons que les receptos signalés en 1176 semblaient paradoxalement versés lorsque l’évêque ne venait pas en Andorre. Sur ce point, on serait tenté de suivre le document de 1162 : Quando autem dominus noster episcopus intraverit in terram nostrum procuremus eum bene et honorifice cum sociis suis et servientibus et equitaturis. Quando vero intrare noluerit donemus ei de unaquaque parrochia pro ipsis redrets... Un document, daté de 1201 mais de tradition incertaine, suggère que le vicomte de Castelbon percevait cet abonnement des receptos les années impaires, soit quand l’évêque ne se présentait pas en Andorre (A1, p. 253-254). Il est difficile de débrouiller exactement les termes de cette périodicité.
108 Convenimus vobis quod faciemus vobis seguimentum super inimicos vestros, infra statutos terminos, una die cum nostro cibo ; aliis vero diebus quibus nos vobiscum esse volueritis stabimus vobiscum quamdiu super inimicos vestros cibum accipere poterimus. Et in hoc seguimento vadat de unaquaque domo unus bene armatus qui melius sit ibi in armis (1176). Au titre des fiefs de Cabό, Sant Joan et Andorre, Arnau de Cabœt s’engageait en 1159 à un seguimentum qui ne débordait guère la région du haut Urgell. Il est donc probable que les hommes d’Andorre n’en devaient pas plus (A1, p. 185).
109 En 1162, il est question d’hommage (facimus hominaticum propriis propriis manibus domino E. Urgellensi comiti, ac tibi B. domino nostro, Urgellensi episcopo, et iuramus supra crucem et.IIIIor. evangelia quod, A1, p. 195) ; en 1176, il n’est fait mention que de serment (unusquisque nostrum, propria manu, firmat et, tactis sacrosanctis euvangelis, iurat et posteris nostris idem facere constituimus imperpetuum, A1, p. 222) ; en 1133, le comte d’Urgell avait imposé aux Andorrans un serment de fidélité à l’évêque (Et ego iam dictus Ermengaudus mando vobis hominibus de valle Andorra ut hoc donum quod ego facio Sancte Marie fideliter donetis ei, et sitis ei adiutores et defensores contra cunctos homines et feminas, et afidetis in manu dompni Petri episcopi per sacramentum quod ita attendatis et teneatis, A 1, p. 159). Pour le moins, ce serment plonge ses racines dans la tradition comtale.
110 Concedimus... omnes ecclesias vallis Andorre... cognoscentes nefarium et iniustum esse quod laid teneant ecclesias vel clerici per manus laicorum... Trevam vero domini que inter nos fracta fuerit redirigamus semper ad stagnum, sicut inter antecessores nostros et vestros consuetudinis fuit ; et si forte propter hoc aliud sentencia excomunicationis vel interdicti de nobis facta fuerit, observemus earn firmiter... Si quandoque aliquod placitum evenerit inter vos et nos placitetur secundum usaticos nostros et vestros (A1, p. 193-194 ; 1162) Iterum convenimus vobis quod faciemus directum vobis et clericis predicte Sedis et omnibus hominibus qui conquesti fuerint de nobis, per vos et in vestro judicio. Ad nostros vero frontalers qui nobiscum pacem habent vel Sacramento nobis tenentur, per vos faciemus directum, secundum usaticos que habemus cum illis... Si forte quod absit, predictam iusticiam non tenuerimus, guerram vel quodcumque malum nobis, propter hoc, facere volueritis, licenciam habeatis, absque reclamatione quam vobis facere non possimus, (A1, p. 222 ; 1176).
111 Ad nostros vero frontalers qui nobiscum pacem habent vel sacramento nobis tenentur, per vos faciemus directum... convenimus vobis quod faciemus directum vobis et clericis predicte Sedis et omnibus hominibus qui conquesti fuerint de nobis, per vos et in vestro judicio... Et qui nostrum per vos voluerint habere directum, similiter per vos faciant et nobis, A1, p. 222 (1176).
112 Si vero clerici qui ibi fuerint in aliquo erunt vobis vel successoribus vestris inobedientes, nos distringamus eos sicut vos preceperitis, A1, p. 193 (1162) ; Homines vero terre nostre de quibus querimoniis habueritis, unaquaque parrochia distringat eos ad directum vobis faciendum; et si ipsa parrochia facere noluerit, omnis populus vallis Andorre distringat eos. Similiter convenimus vobis quod justicias quas dominus episcopus vel canonici posuerint super laicos et clericos nostros firmiter observabimus, A1, p. 222 (1176)
113 Concedimus insuper, vobis, quod mitatis, per omnes parrochias vallis Andorre, quoscumque baiulos volueritis, tarn de vestra terra quam alia sine contradictione... Et si aliqua contencio evenerit de ipsis vaccis et pernis de leuda, secundum arbitrium duorum canonicorum Sedis, qui magis discreti tunc temporis videbuntur, ac duorum proborum hominum vallis Andorre persolvantur et recipiantur, A1, p. 221 (1176).
114 Concedimus... quod mitatis, per omnes parrochias vallis Andorre, quoscumque baiulos volueritis, tarn de vestra terra quam alia sine contradictione... Et si aliqua contencio evenerit de ipsis vaccis et pernis de leuda, secundum arbitrium duorum canonicorum Sedis, qui magis discreti tunc temporis videbuntur, ac duorum proborum hominum vallis Andorre persolvantur et recipiantur, A1, p. 221 (1176). Attestations de viguiers : A1, p. 165-166 (1145) ; 229-230 (1185) ; 252-254 (1201) ; 344-345 (XIIe)
115 . Par son testament de 1170, Arnau de Cabœt laissa l’essentiel de ses fiefs à sa fille Arnaua qui fut promise à Bertrand de Tarascon en 1171 et dont elle eut un fils. En 1186, elle épousa Arnau de Castelbon en secondes noces. De ce couple naquit Ermessende de Castelbon qui fut mariée à Roger Bernard II de Foix en janvier 1202.
116 A1, p. 307-315 et 323-334.
117 En 1278, la queste épiscopale était limitée à quatre mille sous, soit vingt fois plus que la Mitre n’exigeait en 1176 (A1, p. 221 et 308). En 1176, les clercs andorrans conservaient la moitié des dîmes (A1, p. 221). En 1289, 1312 et encore en 1480, il apparaît que l’évêque s’était emparé de cette moitié et allouait neuf muids de blé aux prêtres locaux (A1, p. 338-339 ; Visites, p. 86, 88, etc. ; Capbreu., p. 9-26). En 1312, on se rappelait encore le temps heureux des chapelains, avant que l’évêque ne s’approprie cette part des dîmes (ante quant dominus episcopus urgellensis sibi primicias et decimas apropriaret et idem consuevit esse in aliis ecclesis de valle de Andorra, Visites, p. 87).
118 Un mémoire rédigé avant 1241 consignait sept serments prêtés par les Andorrans aux évêques d’Urgell en 1162, 1170, 1176, 1185, 1202, 1204-1230 et 1231 (A1, p. 275-279). Outre ceux contenus dans les accords de 1162 et 1176, le texte du dernier nous est parvenu à travers plusieurs copies (A1, p. 273-274). Il semble bien que la procédure était renouvelée après l’investiture de chaque nouvel évêque. Serment et hommage des hommes d’Andorre furent également au centre d’un conflit avec le vicomte de Castelbon en 1198 (A1, p. 239-240). Ils furent exigés par le roi d’Aragon en 1283 et provoquèrent de nouvelles chicanes entre l’évêque et le comte de Foix en 1299 (A1, p. 319-320 et 342-344). Ils étaient manifestement devenus des actes centraux de la seigneurie andorrane.
119 Le paréage de 1278 ne fait pas mention des restrictions coutumières qui étaient en vigueur à la fin du xiie siècle (A1, p. 2.22 et 310). La fréquence des conflits survenus au cours de cette période entre la Mitre et ses feudataires suggère cette inflation du service d’ost, de même que l’accusation portée par la cathédrale contre Arnau de Castelbon qui aurait infligé une lourde amende aux Andorrans pour avoir soutenu le parti épiscopal (A1, p. 285).
120 Semper bajuli predictorum dominorum episcopi et comitis, comuniter et in simul, exerceant merum imperium in dictis hominibus de Andorra, videlicet: maiores, mediocres et minores et omnia que pertinent vel pertinere debent ad merum et mixtum imperium atque jurisdictione, et simul capiant ac captos teneant delinquentes (A1, p. 308).
121 Predicta vallis Andorrae, cum iuribus et pertinentiis suis, est... comunis pro indiviso modo et forma infrascriptis inter dominos comitem et episcopum Urgellensem... constitutio et destitutio notarii curiae dictae vallis pertinet... et comuniter, ad predictos dominos comitem et episcopum et ad nullum alium.
122 Constitutio et destitutio judicis ordinarii dictae vallis pertinet... ad predictos dominos comitem Fuxi et episcopum Urgellensem, solum et insolidum et non ad aliquem alium... constitutio vegueriorum dictae vallis pertinet... ad dictos dominos comitem Fuxi et episcopum, solum et insolidum, et ad nullum alium... in dicta valle sunt... duo veguerii. Et constitutio et destitutio unius vegueriorum ad dictum dominum comitem et constitutio et destitutio alterius ad dictum dominum episcopum, sigillatim et divisim, pertinent... quisque duorum vegueriorum predictorum constituit... in dicta valle suum locumtenentem... quilibet dictorum dominorum comitis et episcopi constituant... suum saig.
123 Quandocumque contigerit appelare seu provocare a dicto iudicio ordinario dictae vallis, praedicti veguerii constituant ac députant comuniter et constituere consueverunt... iudicem ad cognoscendum ac diffiniendum de causa ipsius appelationis seu provocacionis.
124 Tres partes quorumcumque emolumentorum provenientium ex iurisdictione alta, media seu bassa dictae vallis ad dictum dominum comitem et quarta pars ipsorum emolumentorum ad ipsum dominum episcopum pertinuerunt.
125 Predictus dominus comes in homines dictae vallis habet... questiam ad suam voluntatem, et dictus dominas episcopus certam questiam ducentarum librarum barcinonensium certis temporibus consuetis
126 Praedicta vallis regitur et gubernatur ac régi et gubernari consueverunt... per dictos officiales temporales et non per aliquos alios vice ac nomine dictorum dominorum comitis et episcopi et non alicuius alterius... predicta vallis de Andorra, cum iuribus et pertinentiis suis est... distincta et separata a terra Ceritanie, episcopatu Urgellensi et a vicecomitatu Castriboni et aliis terris et locis quibuscumque, et pro tali comuniter habetur, tenetur ac reputatur et hactenus habita, tenta et reputata, per tempus antedictum et ab ipso tempore citra, in valle praedicta et curiis circumvicinis
127 R. Viader, « La frontière... ».
128 A1, p. 179-180 et 230-234, par exemple ; F. Sabaté, « Organitzaciό... », p. 33 et 39 ; J. Miret, Investigation..., p. 139-144 ; C. Baudon, Relations..., p. 286.
129 A1, p. 195.
130 A1, p. 201-202.
131 A1, p. 237.
132 Le comte est très clair qui affirme céder tout ce qu’il possède in valle Andorre et in Archavello (A1, p. 159).
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