Les mineurs et la grève

1Lors de sa parution, au début 1949, l’ouvrage d’André Philippe consacré à Michel Rondet me fit une forte impression1.

2Quelques mois auparavant, jeune mineur de 23 ans, j’avais compté parmi les onze membres élus au Bureau de la grande et puissante Fédération nationale des travailleurs du sous-sol (cgt). Les grosses pertes de militants dans la lutte contre l’occupant nazi, l’exclusion des militants qui s’étaient fourvoyés dans le chartisme et la collaboration, les tâches supplémentaires incombant aux syndicats suite aux conquêtes sociales et économiques de l’après-guerre, avaient nécessité une importante promotion. Et la direction de la cgt, en premier lieu son Secrétaire général Benoît Frachon, insistait pour que de nombreux jeunes figurent parmi les promus.

3En règle générale, ces derniers avaient fait leurs preuves dans la Résistance. Bon nombre avaient connu la prison, la déportation. La dure école de la vie les avait aguerris. Ils étaient combatifs, ils avaient déjà une solide expérience, mais leurs connaissances syndicales étaient très limitées. Ils ignoraient leurs racines. Ils avaient tout à apprendre de la vie syndicale.

4Pour les militants des mines, l’ouvrage d’André Philippe tombait à pic. Cette porte ouverte sur le passé éclairait le présent d’un jour cru. À la lumière de l’histoire, la prescience de la nécessité de l’action syndicale devenait certitude.

***

5Âgé de 26 ans, mineur dans la Loire, Michel Rondet attaque en 1866 la Compagnie minière devant les tribunaux pour que la gestion de la caisse de secours soit confiée aux mineurs. Puis, il fonde la Fraternelle, caisse de prévoyance des ouvriers mineurs de la Loire, comptant 8 000 adhérents et jouant le rôle de syndicat. Début 1869, il rédige le cahier de revendications des mineurs de la Loire, qui, outre l’augmentation des salaires, comprend la journée de 8 h au fond (alors qu’elle était pratiquement sans limite). Il organise une grève pour faire aboutir ces revendications. Elle est sauvagement réprimée le 16 juin 1869, la troupe tirant et tuant 13 personnes dont deux femmes et un bébé de six mois. C’est la tragédie de la Tranchée rouge, à la Ricamarie. Michel Rondet est arrêté le 27 juin en compagnie de 38 militants, mais la grève se poursuit, et le 26 juillet, les patrons accordent la journée de 8 h de travail (plus 2 h de repos au fond).

6Michel Rondet est condamné à sept mois de prison, le 7 août, par le tribunal de Saint-Étienne. Le 5 septembre 1870, avec les mineurs, il s’empare de la mairie de la Ricamarie et proclame la République. Il est arrêté le 28 mars 1871 à la mairie de Saint-Etienne avec d’autres communards et condamné en novembre à cinq ans de prison. Libéré en 1877, il reprend le flambeau de la lutte et fonde, en octobre 1883, la Fédération nationale des mineurs de France, devenue depuis la Fédération nationale des travailleurs du sous-sol et similaires.

7Décédé le 21 septembre 1908 dans l’indifférence et la misère, Michel Rondet ne se doutait pas qu’il était déjà entré dans l’histoire. Peu de temps avant sa mort, désabusé, il disait à sa fille Hélène : « J’ai sacrifié toute ma famille à mon œuvre syndicale et cela n’en valait pas la peine2. »

8Il se trompait. Aujourd’hui, sa statue en habits de travail se dresse sur la place de la Ricamarie, des rues portent son nom et la Fédération nationale des travailleurs du sous-sol ne manque jamais une occasion de lui rendre hommage.

***

9La tragédie de la Ricamarie, qui marqua profondément le fondateur du syndicalisme minier, allait être rapidement suivie d’une autre.

10Le 7 octobre 1869, moins de quatre mois après le 16 juin sanglant de la Ricamarie, les fusils chassepot crachent de nouveau le feu sur les mineurs en grève. C’est à Aubin, dans l’Aveyron. Après la fusillade, l’on relève 14 morts, dont deux femmes et un enfant. Parmi les 22 blessés, 5 décèdent rapidement, portant le nombre des victimes mortelles à 19. Ce nouveau crime du Second Empire inspire à Victor Hugo un poème célèbre, Aubin.

« […] Nous avons demandé, ne croyant pas déplaire,
Un peu moins de travail, un peu plus de salaire.
Et l’on nous a donné quoi ? Des coups de fusil.
Je m’en souviens, le maître a froncé le sourcil,
Mon père est mort frappé d’une balle… »

11À la fin du Second Empire et dans les débuts de la III^e République, les grèves dans les bassins miniers sont tellement nombreuses et dures que le schéma grève et répression est tout naturellement au centre du roman qu’Émile Zola consacre au monde de la mine, le célèbre Germinal, brillamment porté à l’écran par Claude Berry3.

12L’âpreté au gain des actionnaires, les interminables journées de travail, les salaires insuffisants, la sécurité sacrifiée au profit du rendement, les causes de conflits étaient multiples et quasi-permanentes. Le déclenchement et le déroulement de ceux-ci étaient facilités par la concentration des mineurs autour des exploitations. Ils comptaient d’autant plus dans la vie du pays qu’ils affectaient une industrie dont le rôle était de fournir l’énergie à toutes les autres. Et les mineurs, auréolés de leur travail dans les entrailles de la terre ont toujours bénéficié d’un potentiel énorme de sympathie de la part du peuple, leurs grèves entourées d’un puissant courant de solidarité, au xix^e siècle tout comme durant tout le xx^e siècle.

***

13Si la Ricamarie et Aubin sont les deux grèves minières ayant connu la répression la plus sanglante et ce par la troupe4, d’autres aussi ont été endeuillées par la répression. Dans des cas assez rares, l’on a également compté des victimes de « l’autre côté ». Ainsi la mort du chef porion (maître-mineur) Watrin, lynché par la foule lors de la grève de 1886 en Aveyron, ou encore celle du lieutenant Lautour, lors de la grève de 1906 dans la région du Nord. Atteint par une pierre, il tombe de cheval et se fracasse le crâne. Mais ce sont là des exceptions.

14À cette répression menée à coups de matraque, à coups de fusil, voire à la mitrailleuse5, s’ajoute la répression patronale et la répression judiciaire. Même lors des grèves où les salariés obtiennent des satisfactions immédiates (ce qui n’est pas toujours le cas), cela s’accompagne parfois de quelques licenciements. Lorsque la grève est battue, c’est la charrette complète.

15Au xix^e siècle, où les compagnies minières étaient très nombreuses et pas toujours solidaires, les licenciés pouvaient espérer retrouver du travail dans la profession. Ce ne fut plus le cas après la Première Guerre et encore moins après la Seconde, avec les nationalisations qui firent des Houillères nationales une seule entreprise.

16Quant à la Justice, si elle sort vraiment du puits, ce n’est pas d’un puits de mine. Les termes de « justice de classe » ont reflété une réalité qui a sévi pendant des décennies au bénéfice de la bourgeoisie industrielle et de son pouvoir. Ce fut encore vrai pendant et après la grève de 19486. Et est-ce vraiment terminé aujourd’hui ? Certains jugements récents attestent que non.

***

17Outre la répression, ce qui frappe également lorsque l’on étudie les conflits, c’est à la fois leur nombre impressionnant et leur durée : cinq, six, voire huit semaines et plus. Fallait-il que l’exploitation soit extrême pour qu’il en soit ainsi ?

18Jusqu’en 1864 (loi du 21 mai), les coalitions sont interdites, toute grève supposant coalition est considérée comme illégale et suscite l’intervention des « forces de l’ordre » qui viennent jeter le désordre dans les bassins. Après 1864, c’est au nom de la sacro-sainte liberté du travail conduisant à ce qu’une minorité puisse faire échec à la volonté de la majorité que les grèves sont réprimées.

19Bien souvent (et c’est particulièrement vrai avant la Première Guerre), il n’y a pas d’économies dans les foyers miniers. C’est la misère qui a poussé à la grève, et la grève aggrave la misère. Les familles vivent, ou plutôt survivent, au prix d’incroyables privations et aussi grâce au fameux crédit qui, parfois, n’était même pas encore entièrement remboursé lorsque éclatait une nouvelle grève.

20Mais il est dans la nature humaine de ne pas subir sans riposter, sans lutte. La défaite est moins lourde à supporter, quel qu’en soit le poids, lorsque l’on a tout mis en œuvre pour gagner. Et puis, l’évolution de l’espèce humaine est une quête permanente pour la liberté, et seuls sont vraiment libres ceux qui se révoltent contre l’injustice et la misère.

21En outre, la grève n’était pas toujours vaincue. Même lorsqu’elle l’était, elle finissait par payer, car sans lutte il n’y eût pas eu de progrès social, ou si peu. Et les mineurs peuvent se targuer d’avoir été les premiers salariés de l’industrie à bénéficier d’une caisse de retraite (1894), à obtenir des délégués permanents à la sécurité (1890), et à imposer la journée de huit heures (1913), vite remise en cause par la guerre.

***

22Tous ces conflits révèlent des traits originaux. Mais certains méritent d’être soulignés compte tenu de leur déroulement ou de leur conclusion qui leur confèrent une importance particulière. En voici quelques-uns, encore que le choix soit à la fois difficile et arbitraire.

23Le 21 février 1884, éclate aux mines d’Anzin (Nord) une grève qui durera jusqu’au 17 avril. Elle est motivée par des changements dans les conditions de travail. Curieusement, c’est à partir du 23 février qu’Émile Zola avait prévu de séjourner dans le bassin d’Anzin en vue de la rédaction de son Germinal. Il y restera jusqu’au 3 mars.

24Déjà, en 1872, Anzin avait connu une grande grève. Adolphe Thiers, président de la République, était en même temps un important administrateur de la Compagnie des Mines d’Anzin. Jamais collusion entre pouvoir d’État et intérêts capitalistes n’a sans doute été aussi nette. L’envoi des troupes allait de soi, en 1872 comme en 1884.

25La grève est battue. Émile Basly, dirigeant du syndicat et de la grève, figure naturellement parmi les 144 mineurs licenciés. La grève Ta fait connaître dans les milieux de « gauche » de la capitale. En 1885, Clemenceau et Rochefort le placent sur leur liste aux élections législatives et il est élu député. Il sera par la suite député-maire de Lens et président du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais. Quel aurait été son destin s’il n’avait pas été licencié en 1884 ?

***

2626 janvier 1886. Dans le bassin aveyronnais, les mineurs du puits Paleyrets 2 et Bouran se mettent en grève contre une réduction des salaires et se rassemblent place Decaze, à Decazeville.

27Une petite partie d’entre eux vont chercher le chef porion Watrin, très impopulaire compte tenu de sa dureté envers les ouvriers. Ils l’amènent à la mairie, située place Decaze. Des pourparlers peu fructueux s’ouvrent. Lorsque Watrin et l’ingénieur Lans sortent, ils sont hués et insultés par la foule. Ils se réfugient dans un bâtiment du parc à bois de mine. Le portail est fermé. Watrin est d’abord frappé, puis précipité par une fenêtre de l’étage. Au sol, il est émasculé. Fallait-il qu’il ait fait souffrir les mineurs pour attirer tant de haine !

28Dans le procès qui suivit et au cours duquel le ministère public réclamera dix condamnations à mort, le jury ne reconnut que quatre coupables, condamnés respectivement à cinq, six, sept et huit années de travaux forcés ; six accusés furent acquittés. Verdict relativement clément pour l’époque.

***

29En mai 1892, peu de temps après une grève victorieuse de deux semaines pour les salaires, une liste socialiste composée de mineurs et de verriers et conduite par Calvignac, secrétaire du syndicat des mineurs, s’empare de la mairie de Carmaux. Le 1^er août 1892, aux élections du conseil d’arrondissement, Calvignac bat le docteur Cabot, candidat du baron Reille, président du conseil d’administration des mines de Carmaux.

30C’en est trop. Le 2 août, le lendemain du scrutin, Calvignac est licencié. Les protestations et les démarches auprès des pouvoirs publics demeurent vaines. Le 16 août, c’est la grève. La direction tient bon. « Parce que la crainte était le ressort de la discipline, la compagnie ne pouvait admettre que le droit de renvoi soit amoindri » (Rolande Trempé).

31La grève, qui se prolonge, est soutenue par les députés socialistes et radicaux. Baudin et Duc-Quercy sont en permanence à Carmaux où se rendent également Briand, Millerand, Pelletan, Clemenceau.

32Le 18 octobre, l’affaire est portée devant la Chambre des députés. Un arbitrage est décidé. Le président Loubet rend sa sentence le 26 octobre. Calvignac est déclaré en congé tant que durera ses mandats et le licenciement de cinq grévistes est maintenu.

33Sur le moment, cette sentence ne satisfait personne. La grève continue jusqu’au 3 novembre. Promesse est faite que les cinq licenciés seront réintégrés. La grève a duré plus de deux mois et demi.

34Durant la grève, le 14 octobre, le marquis de Solages, gendre du baron Reille, avait démissionné de son poste de député. De nouvelles élections doivent avoir lieu. Après bien des discussions, le choix des socialistes carmausins se porte sur Jean Jaurès. Il sera élu le 20 janvier 1893.

***

35La grève de mai-juin 1941 des mineurs du Nord-Pas-de-Calais est sans doute la plus difficile, et la plus glorieuse, menée par la profession contre un ennemi implacable : l’occupant nazi.

36Les motifs de mécontentement sont nombreux. Allongement de la durée du travail, rétablissement du régime des amendes et jours de mise à pied auquel le Front populaire avait mis fin, manque de savon, ravitaillement insuffisant, salaires trop bas pour se fournir au marché noir. Les « boches » sont rendus responsables de cette situation et la fraction adulte de la population n’a pas oublié les souffrances de la précédente occupation lors de la Première Guerre. Le sentiment anti-allemand est donc profond.

37Si le syndicat légal reste passif, les comités syndicaux clandestins animés par les militants communistes exclus de la cgt en 1939 sont, eux, très actifs. C’est à leur initiative que les grèves partielles se déroulent dans le bassin au début de 1941.

38Le 27 mai, la grève éclate au puits Dahomey (Pas-de-Calais) à l’appel du jeune communiste Michel Brûlé (qui sera plus tard fusillé par les nazis). Elle s’étend rapidement à l’ensemble du bassin du Nord et du Pas-de-Calais.

39Et pourtant, ce n’est pas chose facile. L’occupant et la police vichyste, très actifs, inspirent la crainte et multiplient les arrestations. Malgré les précautions prises par les militants dont bon nombre « découchent » la nuit, il y aura 319 hommes et femmes arrêtés dans le seul département du Pas-de-Calais entre le 27 mai et le 17 juin7.

40Les femmes prennent une part active à la lutte. Sur de nombreux puits, ce sont elles qui font le piquet de grève. Elles organisent plusieurs manifestations en soutien à leur mari, père et fils.

41La grève dure jusqu’au 10 juin et même jusqu’au 12 dans la compagnie de Bruay. Elle est suivie par une forte majorité. Elle n’est pas sans résultats puisque, jusqu’à la fin de la guerre (et même encore après la Libération), les mineurs bénéficieront d’un ravitaillement supplémentaire.

42On a estimé à 1,5 millions de tonnes la production charbonnière perdue du fait de la grève. C’est important. Mais, plus encore, la grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais a eu un énorme retentissement, tant en France qu’en Europe et même aux États-Unis. Elle a montré que la lutte, y compris la grève, était possible. Au fil des mois, elle sera suivie d’autres. Tous les bassins miniers seront touchés durant l’occupation. On cite souvent cette pensée de François Mauriac : « Seule dans sa masse, la classe ouvrière est restée fidèle à la patrie profanée. » Les mineurs du Nord-Pas-de-Calais peuvent être fiers d’avoir ouvert le chemin de la lutte de masse.

***

43Le 4 octobre 1948, après consultation à bulletin secret, la grève démarre dans tous les bassins, en premier lieu pour l’abrogation des « décrets Lacoste », du nom du ministre signataire de ces décrets qui portent atteinte au statut du mineur et à la sécurité sociale minière. Dix-huit mois plus tard, dans le Populaire du 5 juin 1950, ce dernier dira crûment que ses décrets s’inscrivaient dans la perspective du pool Charbon-Acier, de la diminution sensible de la production charbonnière et des effectifs miniers.

44L’on est à peine sorti de la bataille de la production que les mineurs ont gagnée et qui a permis un relèvement relativement rapide du pays. Les Houillères ont été nationalisées, les mineurs ont acquis leur statut et la sécurité sociale minière. Ces conquêtes sociales sont mises en cause par les décrets Lacoste. Ce qui explique l’unanimité dans la grève qui bénéficie d’un immense courant de solidarité, tant au plan national qu’international.

45Dès le début de la grève, le bassin lorrain est occupé par les forces de répression. Au début de la cinquième semaine, c’est le tour de tous les autres bassins. Dans ses Mémoires, le ministre de l’Intérieur Jules Moch dira que 49 800 soldats ont été utilisés. En ajoutant les forces de police, ce sont 60 000 hommes qui sont engagés avec des blindés contre les mineurs désarmés. Tous les bassins houillers sont mis en état de siège.

46Bilan des opérations : Jansek assassiné à Merlebach, Barbin à Firminy8, Chaptal à Alès. Les mineurs du Nord, Bécart et Boucly, emprisonnés malades à Douai y décédèrent pendant leur internement. L’on compte plusieurs dizaines de blessés sérieux. Les arrestations sont légion : plus de 3 000 suivies de 2 783 condamnations (dont 375 à la prison ferme). Plusieurs milliers de mineurs sont licenciés. Jamais une grève de mineurs n’avait connu une telle répression, même si, en 1869, celles de la Loire et de l’Aveyron avaient été plus ensanglantées.

47Dans ces conditions, la grève finit par faiblir. À la fin de la huitième semaine, la fédération nationale des travailleurs du sous-sol (cgt) donne Tordre de la reprise du travail. D’une durée précise de 56 jours, elle aura été la grève nationale la plus longue de l’après-guerre. Il y a quelques années, apparaissait encore sur un mur de Billy-Montigny (Pas-de-Calais) cette inscription faite en 1948 à la couleur blanche : « Dieu punira Lacoste et Moch. »

***

48La grève de 1963 révèle plusieurs traits originaux. C’est la seule grève de mineurs commencée à l’appel de toutes les organisations syndicales ouvrières et terminée dans l’unité. C’est la seule grève où le chef de l’État (en l’occurrence le général De Gaulle) signe un décret de réquisition, lequel n’est suivi d’aucun effet. C’est la seule grève dans laquelle les « forces de Tordre » n’interviennent pas et de ce fait, elle se déroule dans un ordre parfait. C’est la seule grève à laquelle la maîtrise participe ouvertement et qui a le soutien des ingénieurs9.

49Ce sont les salaires qui constituent la première revendication de cette action qui débute le 1^er mars 1963. La Fédération nationale du sous-sol (cgt) a fait ses comptes. Elle trouve que, par rapport à l’évolution des salaires du secteur privé depuis le troisième trimestre 1957, il manque 11 % aux salaires des mineurs des charbonnages. Les fédérations fo et cftc ont fait leur cette revendication tandis que les Charbonnages de France ne reconnaissent qu’un retard de 4 %.

50À l’époque, le charbon joue encore un rôle essentiel dans l’approvisionnement en énergie : 60 % en 1962 hors carburants avec une production de 55,3 millions de tonnes. La grève concerne 200 000 salariés.

51Les mineurs ne sont pas seuls. Un formidable courant de solidarité nationale et internationale, semblable à celui de 1948, se manifeste. Il ne faiblira pas jusqu’à la fin du conflit.

52Discussions stériles avec la direction des charbonnages, contacts officieux, déclarations (contradictoires) gouvernementales et syndicales, le conflit dure. Après l’échec de son décret de réquisition, le général De Gaulle reste silencieux.

53Percevant nettement à quel point il est isolé, le gouvernement décide, le 13 mars, de former une commission (que l’on appellera commission des sages) pour examiner l’évolution des salaires miniers. Présidée par Pierre Massé, commissaire général au Plan, elle comprend François Bloch-Laîné, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que Pierre Masselin, conseiller à la Cour des comptes. Cette commission constitue un trait original de plus de cette grève de 1963.

54Dans les débats, les représentants syndicaux, possédant tout au plus le certificat d’études primaires et ayant fait leur université à la mine, discutent d’égal à égal avec ces personnalités très éminentes qui disposent de surcroît d’un important contingent de spécialistes. Ils font, entre autre, la démonstration de la qualité du syndicalisme français trop ignoré du grand public.

55Il eût, certes, été trop beau que les Sages reconnaissent 11 % de retard des salaires. Ne prenant pas la même date de départ ni les mêmes paramètres que la cgt, ils trouvent cependant qu’il manque 10 %.

56La grève est victorieuse. Outre le rattrapage des salaires, la quatrième semaine de congés payés est obtenue et, surtout, le droit de grève préservé. Le travail reprend le 5 avril.

***

57La grève de 1963 est la dernière grande grève nationale de la corporation minière seule. Affaiblie par la récession, ses combats vont désormais avoir pour objectif principal le sauvetage de l’industrie minière, c’est-à-dire la préservation de l’outil de travail, sans pour autant négliger les autres revendications.

58Déjà, en décembre 1961, les mineurs du bassin de l’Aveyron dont les puits étaient condamnés par le pool Charbon-Acier, s’étaient dressés contre cette politique. Pendant 66 jours, ils avaient bénéficié du soutien actif de la population, consciente que la cessation d’activité de l’industrie de base allait ruiner le département.

59La grève de Decazeville a ainsi donné naissance à un type nouveau de conflit dans lequel les salariés menacés dans leur emploi constituent le fer de lance d’une lutte d’ensemble pour la sauvegarde de l’économie régionale.

60Tous les bassins miniers connaîtront ce type de conflit dont les plus marquants, après celui de Decazeville, ont été celui de Trieux (mine de fer de la Meurthe-et-Moselle) en 1963, de Faulquemont (Moselle) en 1974 et de Ladrech (Gard) en 1979-1980. S’ils n’ont pu empêcher les fermetures, ils n’ont cependant pas été sans résultats. Ils ont retardé ces fermetures et permis l’installation d’entreprises de conversion. Ils ont évité les « licenciements secs ». La retraite anticipée et les primes de conversion obtenues ne sauraient être considérées comme négligeables.

61En cette fin de deuxième millénaire, seule la Moselle et la Provence comptent encore des mines de charbon en exploitation, mais leur fermeture est programmée pour l’an 2005. Incontestablement, la disparition de la profession minière crée un grand vide dans le mouvement revendicatif national. Mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le capitalisme étant par nature oppresseur et exploiteur, les salariés de l’informatique, tout comme ceux des grandes industries sauront trouver la voie et les moyens pour lutter, faire respecter leurs droits et en conquérir de nouveaux. Le syndicalisme a encore de beaux jours devant lui.