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Le temps des foires

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Jack Thomas

Chapitre III. Au marché, tout se vend : acteurs et pratiques du commerce

Texte intégral

1Le commerce des produits de la terre est la principale raison d'être de la plupart des foires et des marchés aux XVIIIe et XIXe siècles. Les foires aux marchandises, souvent très célèbres – Beaucaire dans le Midi, Guibray en Normandie –, sont jugées avant tout sur la quantité et le prix des produits textiles écoulés. Les grains et les bestiaux ne font pas nécessairement défaut, mais il ne s'agit pas de leur activité primordiale. En revanche, dans les milliers de foires et marchés ruraux, la production agricole est à l'honneur ; le succès du marché est visible par l'entassement des sacs de grains sous la halle, celui de la foire par le nombre d'animaux alignés sur le foirail (le champ de foire en français régional).

2Dans le Midi toulousain, l'agriculture régionale repose principalement sur la production des céréales et des animaux, les proportions variant selon les zones naturelles. La vigne n'est certes pas absente, les vins de Gaillac et de Cahors sont là pour en témoigner, mais son poids global dans l'économie rurale est relativement faible. Les grains occupent une place de choix au cœur du Toulousain, notamment dans le Lauragais traversé par le canal du Midi et qui s'étend sur des parties de quatre départements : la Haute-Garonne, l'Ariège, le Tarn et l'Aude. Avec souvent 70 % du terroir consacré aux cultures, surtout céréalières, le Lauragais fait figure de grenier à blé de la région. Plusieurs autres pays sont réputés pour leurs grains : le Bas-Comminges, la Gascogne gersoise, le Bas-Quercy autour de Montauban.

3L'élevage se pratique partout mais certaines zones s'en sont fait une spécialité souvent pour des raisons géographiques. En effet, dès que le relief décourage la culture des champs et que l'altitude s'élève, le pastoralisme devient une nécessité. Les paysans des hautes terres de la Montagne Noire à l'est, du Rouergue au nord-est, des Pyrénées au sud consacrent naturellement depuis des siècles l'essentiel de leur énergie à l’élevage bovin ou ovin. Mais les agriculteurs des plaines doivent aussi être des éleveurs, car ils dépendent des animaux pour le travail et pour la nourriture : c'est pourquoi ils élèvent fréquemment des cochons et de la volaille.

4En dépit d'un idéal autarcique qui voudrait que l'exploitation produise l'essentiel de ses besoins, la paysannerie du Sud-Ouest ne peut guère se passer du marché à la fin de l'Ancien Régime et encore moins au XIXe siècle. Il lui faut payer des impôts, en argent ; il lui faut régler des successions, payer des dots ; il lui faut débourser pour l'achat d'outils, de vêtements, de cheptel ; beaucoup doivent acheter leurs subsistances. Bref, vivre hors du marché ne peut être le fait que d’une petite minorité.

5L'activité marchande du plus grand nombre tourne autour de deux pôles fondamentaux de l'économie agricole régionale : les grains et les animaux.

VENDRE DES GRAINS

Métayers et maîtres-valets

  • 1 Sur le métayage et les maîtres-valets dans l'agriculture toulousaine, voir les thèses régionales q (...)
  • 2 A.D. Haute-Garonne, J 47 :15 vendémiaire an VIII.

6Une des spécificités de la région toulousaine par rapport à d'autres régions françaises est l'importance des méthodes de faire-valoir indirect, notamment par le biais du métayage, système traditionnel, ou par maîtres-valets, innovation de la fin de l'Ancien Régime. Tous les historiens et géographes ayant travaillé sur la région ont consacré de longs développements à ces deux modes d'exploitation, nous n'y reviendrons pas1. Il suffit de rappeler que le maître-valet travaille sous le contrôle direct du propriétaire ou de son régisseur et, qu'à la différence du métayer, il reçoit un salaire fixe en argent et en nature. Ce salaire connaît d'infinies variations selon les lieux et les années. Citons à titre d'exemple les gages d'un maître-valet à Puycasquier en l'an VIII : 10 sacs de blé, 3 d'orge, 2 de millet (probablement du maïs), 1 sac de vesces, un autre de fèves, 3 livres d'huile, 2 comportes de vendanges faites et 12 francs en argent. Le maître-valet aura le quart du profit sur le bétail à corne et sur la jument, la moitié sur les moutons et les cochons2. L'avantage de ce système par rapport au métayage, dont il est proche surtout par le partage des profits et des pertes sur le croît des animaux, est qu'il laisse au propriétaire la plus grande partie du froment, culture commerciale par excellence dans le Toulousain.

  • 3 La statistique du Gers, Auch, an XIII, p. 195.

7La mise en exploitation du sol par des métayers et des maîtres-valets reflète la sous-capitalisation de l'agriculture régionale ; l’importance des prestations en nature réduit d'autant les dépenses en argent des propriétaires rentiers. Ce système implique une faible participation des maîtres-valets dans la vie des échanges, surtout en ce qui concerne les grains. En effet, le salaire en nature est censé correspondre aux besoins de la famille en grains ; il n'est pas rare, de plus, que le maître accorde un champ de maïs à moitié, ce qui fournit du travail pour les femmes et les enfants tout en augmentant leurs ressources alimentaires. Pour ce qui est des métayers, la participation au marché des grains semble plus importante. Beaucoup dépend, néanmoins, de la superficie des terres travaillées ; trop modeste, la récolte suffit à peine à leur propre consommation ; plus importante, elle leur permet de commercialiser un éventuel surplus. Selon la Statistique du Gers, rédigée en l'an XIII, le « métayer se nourrit... de son blé et de ses légumes ; il se procure quelques écus en vendant son vin »3. Ce cas de figure semble concerner davantage des métayers de l'Armagnac que ceux du Lauragais où la production viticole était bien moins importante.

  • 4 A. Durrieux, Monographie du paysan du département du Gers, Paris, Librairie agricole de la Maison (...)
  • 5 F. Pariset, Economie rurale. Industrie, mœurs et usages de la Montagne Noire, Paris, 1882 (nouvell (...)
  • 6 Notice sur le commerce des produits agricoles, t. 1, Production végétale, art. Tarn, Paris, 1906, (...)

8Vers le milieu du XIXe siècle, A. Durrieux a consacré un ouvrage au métayage dans le Gers, en particulier la région de Lectoure, zone de forte production céréalière. Selon lui, une famille de métayers sur une exploitation d'environ 36 hectares produit 50 hectolitres de froment, 8 hectolitres de maïs et 5 de pommes de terre, ces seules trois cultures étant commercialisées. Environ 60 % du froment est vendu, 38 % du maïs et 20 % des pommes de terre4. Toutes les autres céréales sont consommées dans l'exploitation. Dans un livre d'inspiration similaire (proche de l'idéologie de F. Le Play), F. Pariset a étudié un domaine de la Montagne Noire, bien moins riche du point de vue agricole. Le seigle et les pommes de terre y constituent l'essentiel des cultures ; la part des trois familles de métayers, 17 hectolitres de seigle et 93 quintaux (50 kg) de pommes de terre, est consommée entièrement sur place, soit pour l’alimentation humaine, soit pour l'engraissement des animaux, des porcs surtout. Les familles de colons sont même obligées d'acheter du maïs5. Ici, les céréales ne donnent quasiment aucun profit aux métayers, sauf par l’intermédiaire des animaux engraissés avec les pommes de terre. Ils participent au marché des grains, avant tout, en tant qu'acheteurs ; ils sont, en revanche, plus concernés par les foires où ils vendent et achètent le bétail, leur principale source de revenus. Ce constat est confirmé pour le département du Tarn au début du XXe siècle où l'on considère que le morcellement des terres et l'importance du métayage ont réduit les quantités commercialisées, car les cultures sont orientées « vers les récoltes multiples, destinées à être consommées sur place pour l'entretien des producteurs, la nourriture des bestiaux et leur engraissement, souvent on ne produit que de faibles quantités pouvant être portées au marché »6. Paradoxalement, nos recherches suggèrent une augmentation à la fois des quantités de grains (froment surtout) vendues sur les marchés tarnais au XIXe siècle et de la proportion de la production que l'on y apportait. Il est vraisemblable que l'ensemble de ces petits producteurs n'entrent pas dans les circuits spécialisés dominés par les négociants qui travaillent à l'extérieur des marchés physiques. Ils sont donc obligés de livrer leur récolte au marché comme par le passé.

Petits propriétaires paysans

  • 7 H. D. Clout, The Land of France, 1815-1914, pp. 33-37. Aussi, R. Brunet, Les campagnes toulousaine (...)

9Au-dessus du monde des maîtres-valets et des métayers se situe celui des propriétaires paysans, pas toujours plus aisés que les premiers, ayant eux-mêmes souvent des terres en métayage pour compléter une exploitation trop étroite. Ces propriétaires de faible envergure sont légion, notamment dans les pays de montagne. Le leitmotiv de la plupart des témoignages que nous avons pu recueillir met en avant la faiblesse des ventes et la participation personnelle du cultivateur dans la vie des marchés. Si nous acceptons les chiffres de Durrieux comme représentatifs de la situation dans les parties les plus riches de la région, un paysan aisé aurait eu une trentaine d'hectolitres à vendre, le plus souvent en froment, mais aussi un peu de maïs, éventuellement de seigle ou d'avoine. Dans beaucoup de cas, ce total devait être bien inférieur, même dans les zones de forte céréaliculture, car peu de paysans avaient autant d'hectares à leur disposition. Le métayer lectourois cultivait 36 hectares, mais à mi-fruit. Sa trentaine d'hectolitres de surplus commercialisable correspond à une exploitation de 18 hectares de pleine propriété, une superficie rarement atteinte par la paysannerie avant notre siècle dans notre région7. Autrement dit, il y a lieu de penser que les quantités disponibles à la vente étaient, en moyenne, encore plus faibles.

  • 8 R. Sudries, Les subsistances dans l'Aveyron de 1787 à 1795, D.E.S., Univ. de Toulouse, 1948, p. 36

10Mais, paradoxalement, ce sont les grains et pommes de terre que l'on retrouve sur les places et sous les halles de la région. Quasiment toutes les sources sont d'accord sur la présence des petits propriétaires sur les marchés ; il est vrai que la documentation est plus abondante après 1850, mais il n'y a pas de raison que les petits aient été absents auparavant, même si on admet que leurs excédents étaient vraisemblablement moins importants en 1800 qu'en 1900. Au marché de Mur-de-Barrez, en 1788, ne dit-on pas que si les paysans y livrent leur blé, les apports en sont tellement faibles qu'ils « ne peuvent suffire au plus petit marché »8 ?

  • 9 A.D. Haute-Garonne, wU 4315 : juge de paix d'Aspet, 1809.
  • 10 A. Combes et H. Combes, Les paysans français sous le rapport historique, économique, agricole, méd (...)
  • 11 A.D. Haute-Garonne Br 4° 111 : monographie communale de Cier-de-Luchon.
  • 12 B. Mazières, Etude géographique de l'alimentation dans le département du Lot entre 1840 et 1880, R (...)

11Le recours au marché n'a pas toujours le même sens. On y vend des grains pour se procurer du numéraire qui sert aux besoins divers de la maison, les impôts en tout premier lieu ; on y vend afin d'acheter d'autres grains, plus prestigieux socialement ou offrant plus de ressources pour la famille ; on y échange des denrées dans une même optique. Quelques exemples montrent l'étendue des possibilités et les motivations. En 1809, à Aspet, un propriétaire a échangé six sacs de pommes de terre contre trois mesures de blé froment bien purgé que lui proposait un meunier. Dans ce pays pyrénéen, il était bien plus facile de produire des pommes de terre que du blé ; le problème était d'en trouver un débouché. Le meunier, plus intégré dans les circuits d’échange, était plus à même de le faire ou alors, comme beaucoup de ses confrères, il élevait des cochons nourris aux pommes de terre9. Quelques décennies plus tard, on rapporte que dans ce même canton les cultivateurs apportent leur froment aux marchés de la plaine où ils le vendent afin d'acheter une double quantité de maïs, profitant de l'écart habituel de prix entre les deux grains10. Dans notre premier exemple, le cultivateur avait préféré la qualité à la quantité, ici c'est la situation inverse. La crise du milieu du siècle n'est peut-être pas étrangère à un tel échange, le prix du froment ayant atteint des sommets rendant son achat par les montagnards plus difficile. Vers 1885, la mévente du blé semble avoir provoqué un mouvement d'échanges contraire. A Cier-de-Luchon, l'instituteur nous dit que les paysans trouvent plus avantageux « à vendre du maïs pour acheter du blé, dont le prix, depuis quelque temps n'est pas élevé »11. Dans le Ségala du Lot, vers 1855, les propriétaires livrent leur seigle à la vente, non pas pour acheter d'autres grains, mais pour se procurer quelque argent. Pour limiter leurs dépenses, ils se contentent de manger des châtaignes et des galettes de blé noir. Vers 1880, à Catus, terroir plus hospitalier aux céréales nobles, on continue à mélanger le maïs au froment dans la fabrication du pain afin d'économiser ce dernier grain destiné à la vente12. Ce type de mélange devient de plus en plus rare avec l'avilissement du prix du blé, sa consommation prenant une place prépondérante dans les régimes populaires même dans les pays traditionnellement déficitaires.

  • 13 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 569 : monographie communale de Gardouch.
  • 14 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 307 : monographie communale de Labastide-Paumès.
  • 15 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 62 : monographie communale de Chein-Dessus ; Br 4° 58 : monographie comm (...)

12Les monographies d'instituteurs de 1885 donnent pour la Haute-Garonne des éléments précieux quant aux habitudes de vente des petits producteurs. A Gardouch, au bord du canal du Midi dans le Lauragais, on nous apprend que le maïs et le blé sont vendus par les petits propriétaires au marché de Villefranche13. A Labastide-Paumès, en Bas-Comminges, « les petits propriétaires, seuls généralement pourvus de véhicules,... transportent eux-mêmes leurs grains par un, deux, trois ou quatre hectolitres au plus » aux marchés du Fousseret ou de L'Isle-en-Dodon14. Dans les Pyrénées commingeoises, les ventes de grains sont plus limitées. La répartition des propriétés, leur exposition font que seuls certains propriétaires vendent du blé. Sur les 206 maisons de Chein-Dessus en 1885, seulement 5 ou 6 peuvent vendre quelques hectolitres de blé. A Pujos, sur une centaine de maisons, une douzaine récoltent assez pour leur propre consommation et 9 disposent d'un excédent à commercialiser, sans doute en très faible quantité. Les 314 habitants d'Arbon réussissent à produire un surplus d'une centaine d'hectolitres que l'on vend sur les marchés d'Aspet et de Saint-Gaudens comme blé de semence. Les cultivateurs de Girosp, moins fortunés, échangent leurs pommes de terre et châtaignes contre le blé et le vin15. Comme on le voit, l'économie montagnarde ne dégage guère les quantités de grains que l'on trouve ailleurs ; de même, la participation paysanne au marché des céréales est mixte, on y achète autant que l'on y vend. Sur des terroirs plus riches, ce sont surtout des ventes paysannes qui viennent alimenter les multiples marchés cantonaux.

  • 16 Notice sur le commerce, t. 1, Haute-Garonne, p. 140.
  • 17 G. Désert, Les paysans du Calvados, p. 397.

13Au début du XXe siècle, les Notices sur le commerce donnent par département des indications similaires. Dans la Haute-Garonne, l'Aude, le Tarn, les auteurs répètent le même refrain, « les petits producteurs seuls portent tout ou partie de leur récolte au marché et la vendent ainsi à la halle même »16. Jusqu'à la guerre de 1914, une partie du commerce des grains se fait toujours dans les marchés physiques grâce à la multitude de cultivateurs qui, individuellement, ne produisent pas d'importants excédents, mais qui, collectivement, fournissent des quantités susceptibles de les faire vivre. En tout cas, nous ne constatons pas dans la région la disparition de marchés aux grains comme ce semble être le cas dans le Calvados17.

Grands propriétaires

  • 18 A.D. Hérault, C 2908.

14Si l'on monte dans la hiérarchie sociale, en passant aux grands propriétaires, notion toute relative cependant, les rapports avec les marchés physique et abstrait sont différents. Tout en reconnaissant l'absence de dynamisme chez beaucoup de propriétaires rentiers, on ne peut ignorer que leurs domaines sont davantage tournés vers la production commerciale que ceux de leurs voisins moins fortunés. A la tête de propriétés s'étendant de 20 à plusieurs centaines d'hectares, divisées en métairies exploitées par des métayers ou des maîtres-valets, ils contrôlent une proportion importante des terres et des récoltes. Comme l'a écrit le subdélégué d'Albi en 1764, « La plus grande partie des grains de ce Diocèze est entre les mains des ecclésiastiques, des seigneurs et des fermiers, le simple particulier en recueille peu au-delà de sa subsistance »18. Dans les zones de culture céréalière, au centre de la région, les profits viennent surtout de la vente des excédents en grains, les autres productions venant réduire au minimum les dépenses de la maison des propriétaires : les rentes en œufs et volaille, le bois, le vin...

15On peut dégager trois caractéristiques concernant les rapports entre ces grands propriétaires et le marché. Tout d'abord, les surplus commercialisables sont bien plus importants que ceux des petites exploitations. De ce constat élémentaire découle un deuxième trait : la possibilité de retarder la vente de tout ou d'une partie de la récolte jusqu'à un moment plus favorable, au printemps par exemple. Enfin, l'importance même des quantités à négocier rend leur transport plus difficile ; déplacer physiquement des centaines de sacs de grains au marché avec le risque de ne pas tout vendre et d'avoir à répéter le trajet incite les détenteurs à trouver un mode de vente plus approprié. Examinons dans le détail, maintenant, ces trois éléments.

  • 19 A.D. Haute-Garonne, 12 J 76.
  • 20 R. Forster, The Nobility of Toulouse in the 18th Century, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1960 (...)
  • 21 A.D. Haute-Garonne, 6 J 30.
  • 22 A.D. Haute-Garonne, J 51.
  • 23 A.D. Haute-Garonne 4 M 58 : maire de Rieux au préfet, 31 janvier 1847. Sur Cazeing-Laffont, grand (...)
  • 24 Archives privées appartenant à Monsieur Maurice Courpet, Montpezat-de-Quercy, et communiquées par (...)
  • 25 Z. Baqué, Deux exploitations dans le Gers, Auch, 1932, p. 69.

16Selon R. Forster, auteur d'un beau livre sur la noblesse toulousaine, les grandes familles nobles auraient eu, vers 1750, 250 setiers de blé à négocier en moyenne. Nous sommes bien loin de la trentaine d'hectolitres vendus par le métayer gersois un siècle plus tard. Diverses sources pour la longue période qui va de 1784 à 1930 peuvent nous fournir une fourchette des quantités vendues. Procédons par ordre chronologique. En 1784, un régisseur du Lauragais, terres de Folcarde et de Rieumajou, dispose de 200 setiers à vendre19. Entre 1808 et 1813, le comte de Villèle commercialise entre 600 et 900 setiers par an20. La famille de Pinsaguel récolte sur trois métairies au sud de Toulouse par l'intermédiaire de maîtres-valets 1 090 setiers de blé en 1823, dont 727 doivent être vendus21. Près de Fleurance dans le Gers, de 1827 à 1829, les propriétaires d'un domaine ont pu vendre entre 160 et 200 hectolitres de blé22. Lors de la crise de 1847, un des plus riches habitants de la Haute-Garonne, au moins par ses possessions foncières dans la région de Rieux et de Montesquieu-Volvestre, M. Cazeing-Laffont, fournit 2 000 hl de blé à la municipalité de Rieux pour être vendus au détail. Une part importante de ces grains vient certainement de ses propres métairies23. Au domaine des Prés, à la limite du Lot et du Tarn-et-Garonne, la culture céréalière occupe moins de place entre 1888 et 1896. La récolte de blé varie entre 60 et 130 hectolitres selon les années et les ventes ne dépasse jamais 56 hectolitres (1890). Il s'agit là d'un domaine agricole bien modeste, où deux familles paysannes travaillent sous la direction personnelle du maître. Les profits semblent venir surtout des produits de l'élevage, la mévente du blé décourageant probablement les efforts en ce sens24. Pour clore cette énumération, citons cette propriété paysanne du Gers, près de Vic-Fezensac, étudiée vers 1930 par Z. Baqué. Sur ce domaine, patiemment constitué par un agriculteur dynamique, on récolte alors 150 hectolitres de blé et 100 à 120 hl d'avoine, la plus grande partie étant vendue25. Ces différents exemples illustrent le potentiel commercial des domaines ruraux ainsi que les modifications survenues entre la fin de l'Ancien Régime et le début du XXe siècle. En filigrane on voit la décadence de la propriété noble, puis bourgeoise et l'ascension de la propriété paysanne sous l’impulsion d'hommes ambitieux et durs à la tâche.

  • 26 A.D. Hautes-Pyrénées, 6 M 232 : 3 février 1847.
  • 27 A.N., Fle III Haute-Garonne 9 : sous-préfet de Villefranche, 3 juin 1854.
  • 28 Ibid. : sous-préfet de Muret au préfet, 3 novembre 1854.

17Plus que d'autres propriétaires, les grands ont les reins assez solides pour attendre le meilleur moment pour vendre leur récolte. Cette possibilité est souvent évoquée par le gouvernement ou ses agents lors des crises de subsistances, puisqu'elle aboutit à une tension sur les prix et sur les relations sociales26. Au printemps de 1854, à Villefranche-de-Lauragais, un administrateur avertit ses supérieurs que des « propriétaires-spéculateurs », ceux qui vendent à la soudure, cherchent à maintenir le haut niveau de prix, mais sans expliquer comment27. Quelques mois plus tard, en novembre 1854, les prix restent élevés, ce qui incite le gouvernement impérial à tenter de convaincre « les principaux propriétaires et producteurs de céréales » à envoyer leurs grains sur les marchés comme s'il s'agissait d'un comportement exceptionnel28. Ont-ils l'habitude de les y envoyer plus tard ou évitent-ils peut-être la place du marché en règle générale, ayant d'autres circuits commerciaux ?

  • 29 A.D. Haute-Garonne, 12 J 76.
  • 30 D. Higgs, Ultraroyalism in Toulouse, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1973, p 62.
  • 31 A.D. Haute-Garonne, J 51.
  • 32 Comptabilité du domaine des Prés, Montpezat-de-Quercy.

18L'examen de plusieurs livres de comptabilité de domaines agricoles ne permet pas de dégager une règle absolue en ce qui concerne le calendrier des ventes. Dans un domaine du Lauragais en 1784, le régisseur agit très rapidement après la récolte ; dès le 2 août, il se rend à Castelnaudary où il trouve un acheteur29. Pendant la Restauration, le comte de Villèle donne instruction à sa femme en 1816 de vendre le plus tard possible et de mettre en vente le maïs après le froment. C'est là une stratégie avisée puisque la hausse du blé à Toulouse entre novembre 1816 et juin 1817 est de 29 % tandis que celle du maïs atteint plus de 73 %30. A Puycasquier, près de Fleurance, les ventes sont réalisées de manière plus espacée dans le temps. Le blé de la récolte de 1827 n'est vendu que le 19 avril. La récolte de 1828 est livrée en deux temps, le 14 novembre (40 hl) et le 29 avril (120 hl). Le propriétaire procède différemment pour la récolte suivante, vendant un premier lot le 9 septembre, un second lot le 3 octobre, un troisième le 20 décembre et un dernier le 2 mai31. Enfin, au domaine des Prés, le blé est vendu tardivement, la récolte de 1888 étant commercialisée entre avril et octobre 1889. Celle de 1889 est livrée en un seul lot en janvier 1890, alors que la récolte de 1890 ne trouve le chemin du marché qu'en juin et juillet 1891. On n'a pas l'impression que ces ventes correspondent à une recherche consciente d'un prix maximum. Il n'est pas rare, en effet, de voir toutes les ventes, quelles que soient les dates, se faire au même prix32.

Rythmes saisonniers des ventes

  • 33 Sur la question des rythmes saisonniers des ventes, voir notre thèse, L'âge d'or des foires et des (...)

19L'analyse des quantités vendues sur les marchés selon les mercuriales du siècle dernier fait ressortir un modèle de calendrier des transactions à un niveau collectif plutôt qu'individuel. Sur les marchés du Midi toulousain, le froment afflue dès la fin des moissons et des battages, c’est-à-dire dès le mois d'août parfois même dès la seconde quinzaine de juillet. Selon les années et les départements, le mois le plus important est août, ou septembre ou octobre, mois plutôt calmes sur les marchés du Nord de la France33. Dans certains cas les fortes ventes continuent jusqu'en novembre, mais c’est rare. Plus fréquentes sont les pointes de printemps, en mai et juin en particulier. Il y a presque toujours une petite remontée des ventes en mai par rapport à avril ; parfois juin se maintient mais sans régularité. Les mois des plus faibles ventes sont moins bien définis, mais deux ensembles saisonniers se dégagent. D’une part, majoritairement, les mois de plein hiver, décembre, janvier et février sont généralement mauvais pour les ventes ; d'autre part, le mois de juillet, alors que les travaux des moissons et des battages connaissent leur pleine activité.

  • 34 A.D. Aude, 9 M 108.
  • 35 Ibid.
  • 36 R. Brunet, Les campagnes toulousaines, pp. 347-349. Voir aussi Messieurs les inspecteurs de l'Agri (...)
  • 37 Gers : A.N., F11 353. Aude : Annuaire de l'Aude, Carcassonne, 1869, pp. 62-63. Tarn : G. Jacquenar (...)

20Comme partout, les rythmes saisonniers sont influencés par le climat local et par la condition sociale des cultivateurs. En ce qui concerne le cycle de la végétation, les semailles se font entre la fin octobre et la fin novembre, les moissons intervenant selon les années et l'altitude entre la Saint-Jean (24 juin) et la Saint-Laurent (10 août). L'année-récolte de froment court de juillet à juin, comme l'indique le sous-préfet de Castelnaudary en 1819 en annonçant le 21 juin « la fin de l'année rurale »34. La faible activité commerciale pendant le mois de juillet est illustrée par le même administrateur un mois plus tard lorsqu'il note que le marché chaurien est presque vide sauf pour une « montre » de blé nouveau (semaine du 12 au 18 juillet 1819)35. Une fois la moisson terminée, les batteurs rentrent en activité, aucun temps mort ne vient retarder cette opération. On a l'impression que les battages interviennent ici plus rapidement que dans le Nord de la France et qu'ils durent moins longtemps. Dans le Toulousain, il était de tradition dans les grands domaines et les métairies d'employer des travailleurs saisonniers, des estivandiers ou des solatiers, pour moissonner et battre des grains, le froment surtout. Ces ouvriers restaient le temps nécessaire pour les deux opérations successives. Payés le plus souvent en nature, entre 1/9 et 1/11 de la récolte, il était dans leur intérêt d’achever avec le plus de célérité possible36. Grâce à ce système de main-d'œuvre, le blé était déjà dans les greniers ou exposé en vente au mois d'août. Des témoignages concordants du Gers en 1813, de l'Aude en 1869 et du Tarn en 1929 suggèrent que le battage rapide est un phénomène régional durable37.

  • 38 A.D. Haute-Garonne, wU 628 :14 mars 1861.
  • 39 A.D. Haute-Garonne, wU 626 : 20 septembre 1863.
  • 40 A.D. Hautes-Pyrénées, 6 M 232 : 3 février 1847.

21Battre le blé n'est pas obligatoirement le vendre. Néanmoins, les témoins de l'époque confirme les courbes : les marchés regorgent de blé dès le mois d'août. Pourquoi n'attend-on pas la soudure pour vendre lorsque le cours a des chances de monter alors qu'au moment de la récolte la demande est moins pressante ? La réponse tient à des facteurs techniques et sociaux. La conservation des grains n'était pas facile jadis ; rongeurs, insectes, humidité, chaleur, autant d'éléments destructeurs, réduisant à la fois la quantité des stocks et leur valeur marchande. En les entreposant trop longtemps, on risque leur dégradation éventuelle. L'aspect social est sans doute plus important encore. En effet, les cultivateurs peu aisés doivent vendre tout de suite, poursuivis par les dettes, par l'impôt, par les règlements de comptes dûs au propriétaire. Dans le canton de Nailloux en 1861, le juge de paix remarque que ce qu'il appelle « la classe ouvrière » est « obligée de vendre immédiatement après la récolte pour satisfaire aux dettes qu'elle a contractées pendant l'année »38. Deux ans plus tard, à Villefranche-de-Lauragais, on entend la même plainte au sujet des « propriétaires » qui « gémissent de ne pouvoir tirer partie de leurs denrées et d'être forcés... de livrer le blé » en septembre39. Seuls les propriétaires les plus cossus peuvent attendre le printemps. D'après le sous-préfet de Bagnères-de-Bigorre, au cœur de la crise de 1847, « les principaux propriétaires ou fermiers sont dans l'usage d'attendre au printemps pour s’en dessaisir [des grains], pour la raison que c'est à cette époque qu'ordinairement le prix en est le plus élevé »40. La légère remontée des quantités vendues en mai et juin semble confirmer ce comportement. Toutefois, des ventes en mai et juin peuvent aussi résulter d'excédents dont on se hâte de se débarrasser avant la prochaine récolte.

Vendre sur le marché ou par échantillon ?

  • 41 G. Frêche, Etudes statistiques sur le commerce céréalier dans la France méridionale au XVIIIe sièc (...)
  • 42 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 409 : monographie communale de Saint-Léon, 1885.
  • 43 A.D. Haute-Garonne, 12 J 76.

22Si le calendrier des ventes semble plus clair à l'échelle collective qu’individuelle, les méthodes de commercialisation font preuve, au contraire, d'une certaine homogénéité. Partout le même refrain : ceux qui possèdent beaucoup de grains les vendent sur échantillon par l'intermédiaire de blatiers, commissionnaires, courtiers ou négociants. Déjà sous l'Ancien Régime, des commerçants achètent en gros « dans les grandes fermes et châteaux, avec la condition que les grains soient rendus par le vendeur au bord de la rivière, d’où ils peuvent gagner l'embouchure du Canal du Languedoc »41. Ce témoignage concorde avec celui bien plus tardif de l'instituteur de Saint-Léon, dans le Lauragais, qui affirme que « les familles nobles qui possédaient les 3/4 au moins des terres de la communauté, ne se rendaient jamais au marché », faisant confiance plutôt à un intermédiaire42. Les comptes d'un régisseur de la même région pour 1784 suggèrent qu'il faut être prudent à ce propos. Pour vendre son blé au mois d'août, il se rend à Castelnaudary, important lieu de marché. L'affaire étant conclue, la prochaine étape est la livraison, faite rapidement, le 7 août, au port du canal à Avignonet. Le transfert des 200 setiers nécessite l'emploi de 11 charrettes et de deux voyages entre le domaine et le port. Le lendemain, il revient à Castelnaudary chercher le montant dû de la vente43. Si les familles nobles elles-mêmes ne vont pas au marché, il n'est pas sûr que leurs régisseurs ne s'y rendent pas.

  • 44 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 569 : monographie communale de Gardouch.
  • 45 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 169 : monographie communale de Vignaux.
  • 46 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 307 : monographie de Labastide-Paumès.

23Le regard des instituteurs en 1885 est toujours utile. Plusieurs ont commenté les méthodes de commercialisation des denrées agricoles. Dans le Lauragais, à Gardouch, les grands propriétaires vendent leurs grains à Toulouse tandis que les petits les vendent sur place à Villefranche. Vendre à Toulouse signifie, sans doute, y apporter un échantillon à la halle aux grains ou auprès d'un courtier de la ville. La livraison devait avoir lieu au domaine même ou à la plus proche gare44. A Vignaux, près de Cadours, « ceux qui ont une grande quantité font au contraire leur vente en gros suivant échantillon et l'acheteur se charge généralement du transport de la marchandise, qui est prise alors à domicile »45. Les grands propriétaires de Labastide-Paumès vont rarement aux marchés du Fousseret ou de L'Isle-en-Dodon pour vendre leurs grains ; ils préfèrent « à cause des difficultés de transport, traiter directement avec les négociants ou gros commerçants, qui viennent sur les lieux même, ou sur un point convenu, chercher les marchandises qui ont fait l’objet de leurs transactions »46.

24L'échantillon est la méthode prépondérante de vente. Il évite aux marchands de courir dans toutes les grandes exploitations à la recherche d'un hypothétique vendeur en même temps qu'il épargne au propriétaire le transport, inutile peut-être, d'importantes quantités de grains. Le lieu de rencontre le plus commode reste toujours le marché à cause de la régularité de ses réunions et du rassemblement dans un seul lieu et à un même moment, d'un important contingent d'acheteurs et de vendeurs. Au marché exportateur de Villefranche-de-Lauragais au début du XIXe siècle, cette façon de faire est clairement expliquée par le sous-préfet :

  • 47 A.D. Haute-Garonne, 6 M 8 : sous-préfet de Villefranche-de-Lauragais au préfet, 23 mai 1812. Voir (...)

La quantité de grains qui se vendent à la halle est peu conséquente, et on y apporte toujours dans une proportion très supérieure à celle qu'exige la vente en détail pour l'approvisionnement du public ; mais hors de la halle il se fait des ventes d’une grande importance. Chaque propriétaire des communes formant le rayon du marché, à la distance de plusieurs lieues, apporte avec lui une montre de grain et la présente aux négociants en blé qui stationnent, ou circulent dans les rues adjacentes. C'est là que les spéculateurs, ou les marchands commissionnaires font leurs achats : chaque période hebdomadaire voit ainsi lancer dans le commerce plusieurs milliers d'hectolitres de grains47.

  • 48 En 1813, par exemple, les mercuriales de Villefranche n'ont enregistré la vente que de 2 362 hecto (...)

25La vente sur échantillon, pratiquée surtout par les propriétaires les plus aisés, aboutit certainement à la sous-évaluation des quantités commercialisées dans les marchés. En effet, les mercuriales officielles ne prennent en compte que les transactions portant sur des sacs de grains réellement présents à la halle. Alors que le sous-préfet de Villefranche parle de « plusieurs milliers d'hectolitres de grains » par semaine, les mercuriales n'enregistrent que quelques milliers par an48. Là où le commerce de gros est actif, notamment dans les marchés reliés aux circuits commerciaux extra-régionaux, il est presque certain que les échantillons l'emportent sur les ventes réalisées sac par sac.

Négociants, blatiers, meuniers

  • 49 Sur le rôle des marchands dans la société occidentale, voir F. Braudel, Civilisation matérielle, é (...)

26Depuis longtemps, le commerce dans les foires et marchés ne met plus en face uniquement producteurs et consommateurs. De nombreux intermédiaires participent aux transactions de toute sorte, la fonction marchande a acquis droit de cité en dépit de la méfiance de l'Europe chrétienne à son égard49. Le commerce des grains ne fait pas exception ; à tous les niveaux, des marchands s'interposent entre les producteurs et les consommateurs, un phénomène souvent décrié par ces derniers ainsi que par les autorités publiques. Isolons parmi les intermédiaires trois groupes, les négociants, les blatiers et les meuniers, tous particulièrement actifs dans les transactions portant sur les grains.

  • 50 G. Frêche, Etudes statistiques..., 2e partie, Revue d'Histoire économique et sociale, XLIX, 1971, (...)
  • 51 Ibid., pp. 184-192. Voir aussi sur les négociants à Castelnaudary à la fin de l'Ancien Régime et a (...)

27Le propre du négociant est d’acheter et de vendre en gros. A l'époque préindustrielle, ce n'est pas chose facile, les communications sont lentes ainsi que les transports. Ce que les économistes appellent les coûts de transaction sont relativement onéreux. Les réduire fait partie des buts de tout bon commerçant. En Haut-Languedoc, où le commerce des grains s'est beaucoup développé aux XVIIe et XVIIIe siècles, les négociants sont devenus les indispensables intermédiaires entre l'ensemble des producteurs, les grands surtout, et les consommateurs à l’extérieur de la région, en Provence et en Bas-Languedoc en tout premier lieu. Comme l’a si bien démontré G. Frêche, le négoce a élu domicile dans les principaux centres de production et sur les grandes voies de communication, qu'elles soient naturelles, la Garonne, ou artificielles, le canal des Deux Mers. On trouve les négociants au XVIIIe siècle dans les villes telles Toulouse, Castelnaudary, Castres, Revel, Limoux et Cazères et dans bien d'autres localités plus modestes50. Déjà, le choix de résidence montre le souci compréhensible des négociants d'être en contact permanent avec les grands courants d'échanges intra et extra-régionaux. L'information est plus abondante et moins chère à Toulouse que dans une ville plus isolée, à Cahors ou à Rodez par exemple. Selon G. Frêche toujours, le négoce en Haut-Languedoc ne s'est jamais affranchi d’une certaine tutelle financière des places provençales et bas-languedociennes, notamment de Marseille et de Montpellier. Ce sont les régions d'où provient la demande qui mènent la danse, qui passent les commandes et qui les financent. Les maisons de commerce de Toulouse et de sa région n'ont jamais réussi à mettre sur pied un réseau d'information sur les conditions de la demande dans les zones de consommation ; elles se sont contentées, volontairement ou non, d’agir en tant que commissionnaires pour d'autres, leur profit venant de leur droit de commission, un ou deux sols par setier à la fin de l'Ancien Régime. Cette dépendance a fait dire à G. Frêche que la situation commerciale de Toulouse ressemblait à « un marché dominé de type colonial »51.

  • 52 A.D. Aude, L 410 :14 août 1792.
  • 53 E. Connac, Essai historique sur Castelnaudary, pp. 201-202.

28Pour le négociant, réduire les coûts de transaction implique une politique d’achats limitant les déplacements du personnel et des marchandises. Le mieux, bien sûr, c'est d'acheter sur place. La description que fait le sieur Galabert de Castelnaudary, marchand commissionnaire de grains, de son activité commerciale semble obéir à cette priorité. En 1792 il écrit aux autorités départementales de l'Aude pour leur dire qu'il achète du blé fin « sur montre... dans la ville et aux marchés de Castelnaudary..., la plus grande partie rendue en barque sur la route du Canal... pour la commodité des vendeurs... »52. Autrement dit, il profite de l'importance de la place de Castelnaudary pour y rencontrer des vendeurs, comme ce régisseur du Lauragais dont nous avons fait la connaissance plus haut. Les ventes se font sur échantillon, la livraison a lieu au bord du canal ; le mouvement des grains est ainsi limité à un voyage entre le domaine et les barques qui les transporteront vers la Méditerranée. Pour le négociant, les frais sont limités car il n'a pas besoin de les prendre en charge, de les entreposer, ce qui est toujours une source de pertes et d’ennuis. Au début du XIXe siècle, les principaux négociants chauriens travaillent sur place mais aussi sur les marchés les plus importants dans un rayon d'une trentaine de kilomètres : Revel, Villefranche, Baziège, Castres et Mirepoix. Ces marchés se trouvent soit aux bords du canal, soit à quelque distance vers l'intérieur des terres au cœur des pays producteurs53.

  • 54 R. Orcival, Dans les comptes d'un commerçant de grains fleurantin sous la Monarchie de Juillet, Bu (...)

29Grâce aux livres comptables d'un marchand de Fleurance, mis en avant par R. Orcival, il est possible de cerner de plus près ce genre d'activité commerciale à l'époque de Louis-Philippe54. Le commerçant en question, Jean Duffaut, venait d'une famille fleurantine déjà impliquée dans le circuit agro-commercial local en tant que presseur d'huile. Lui-même a été meunier avant de s'installer dans le négoce des grains. R. Orcival nous fournit un état de son commerce pour les années-récoltes 1839-1840 et 1840-1841. La première année, Duffaut a traité un peu plus de 20 000 hectolitres de blé et moins de 2 000 des autres grains dont l'avoine constituait la grande majorité. La seconde année, les quantités sont moins importantes, 15 000 hl de blé et un peu plus de 3 000 hl d'autres céréales. Pour bien situer l’importance de ce commerce, il est utile de rappeler les quantités vendues sur le marché de Fleurance d'après les mercuriales : en 1837-1838, entre 34 000 et 41 000 hl de blé et environ 4 000 hl d'avoine. Imaginons que Duffaut ait acheté tous ses grains au marché : à lui seul, il aurait représenté la moitié environ des transactions. En fait, il est vraisemblable qu'il a acheté sur échantillon et que les quantités négociées à Fleurance par lui et par l'ensemble des commerçants montent à plusieurs fois la somme des ventes enregistrées par les mercuriales. Il est vrai, aussi, que Duffaut exerçait son négoce à l'extérieur de Fleurance, notamment en aval vers la vallée de la Garonne mais aussi jusqu'à Auch, Mirande, Miélan et Marciac plus au sud. Il semble que ses relations avec la zone d'approvisionnement toulousaine, en particulier avec les marchés de Gimont et de L'Isle-Jourdain, n'aient pas donné satisfaction ; presque naturellement, son commerce suivait avec plus de facilité le cours du Gers vers Astaffort et Layrac. Il avait un grenier permanent dans cette dernière localité, au bord de la Garonne, et souvent les vendeurs de grains devaient les y apporter. Ce qui frappe chez ce commerçant, sans doute chez bien d'autres comme lui aussi, c'est l'importance du réseau commercial – les achats se font dans et autour des marchés aux grains – alors qu'ils échappent très majoritairement à la comptabilité des municipalités chargées de la tenue des mercuriales. La halle est toujours le lieu de rencontre des acteurs économiques, mais les denrées elles-mêmes, les grains notamment, n'y apparaissent pas toujours.

  • 55 S. L. Kaplan, Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d'Ancien Régime, P (...)
  • 56 R. Forster, The Nobility of Toulouse.

30A une échelle plus modeste, les blatiers étaient des personnages importants dans ce commerce. Comme l'a écrit S. L. Kaplan au sujet du commerce parisien, les blatiers ramassaient les grains là où les autres commerçants n'allaient pas, dans les fermes et sur les petits marchés loin des grandes voies55. Selon R. Forster, les familles nobles de Toulouse cherchaient à tout prix à les éviter, confiant de préférence leur récolte à un négociant ou un commissionnaire réputé56. L'instituteur de Saint-Léon dans le Lauragais, communauté où pullulent les blatiers à la fin de l'Ancien Régime, propose une version contradictoire :

  • 57 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 409 : monographie communale de Saint-Léon.

[Chaque famille noble] mettait sa confiance en son blatier. Celui-ci était donc chargé de la vente de tous les grains de la propriété. Il avait pour cela un taux fixe par setier ; mais comme, à cause des côtes et des chemins souvent boueux, on ne pouvait porter des grains qu'à dos de cheval et de mulet, le travail était long et fatigant57.

31Dans cette description, le blatier est l'agent du domaine, chargé de livrer les grains à la vente. Le baron Trouvé, préfet de l'Aude durant l'Empire, dresse un tableau encore différent, inspiré probablement par les crises de subsistances successives subies pendant cette période :

  • 58 Baron Trouvé, Description générale et statistique du département de l'Aude, Paris, 1818, pp. 667-6 (...)

Ces marchés sont alimentés par une classe d'individus qui, depuis quelques temps, s'est assez multipliée : on les nomme blatiers. Ils fréquentent les marchés de Mazères, Mirepoix et Pamiers (Ariège), de Puylaurens et Lavaur (Tarn), de Revel, Villefranche, etc. (Haute-Garonne). Au moyen des grains qu'ils achètent, et qu’ils transportent à dos de mulet ou sur des charrettes, ils approvisionnent les villes de Carcassonne et de Limoux58.

32Les blatiers du baron Trouvé ne sont pas les agents vendeurs mais des fourmis industrieuses qui achètent là où les grains sont abondants pour les revendre là où ils sont rares et chers. En tant qu'administrateur, cette activité lui posait des problèmes car les populations urbaines de Carcassonne et de Limoux n'appréciaient guère ce qu'elles estimaient être de la spéculation sur leur misère en période de crise.

  • 59 R. Brunet, Les campagnes toulousaines, p. 355.
  • 60 A.D. Haute-Garonne, L 4529.

33Ce qui est sûr, c'est que les blatiers étaient nombreux dans le Lauragais vers 1800. A la fin de l'Ancien Régime, dans la seule communauté de Saint-Léon, il y en aurait eu une vingtaine59. Près de là, dans le canton de Caraman, les listes de patentés en 1797 ne révèlent pas moins de 38 blatiers. Il faut noter, cependant, que ce métier est souvent associé à un autre. A Caraman même, chef-lieu de canton et marché, on trouve un marchand blatier, quatre boulangers blatiers, quatre aubergistes blatiers, un meunier blatier, un charron blatier, deux bouchers blatiers et un blatier marchand de grains au détail. Dans les autres communes, on repère des blatiers combinant le métier de voiturier, d'épicier, de marchand de sel et de marchand de bestiaux. Cet ensemble de relations possède une certaine cohérence dans la mesure où il s'agit le plus souvent de métiers de l'alimentation, du transport ou du commerce des animaux, vivants ou morts. Ces blatiers circulent dans les marchés, voire dans les métairies, en achetant de faibles quantités de grains qu'ils revendent ensuite aux marchands et négociants. Une partie des grains, néanmoins, est gardée pour alimenter un commerce au détail60.

  • 61 S. L. Kaplan, Les ventres de Paris, p. 177.
  • 62 H. Heurtebise, Le commerce du bétail et les marchands de bestiaux : approches ethnologiques et soc (...)

34La grande époque des blatiers semble avoir correspondu à la longue période de la mise en place d’un marché national. Dénoncés déjà sous Louis XIV, les blatiers ont pu prospérer du fait des nombreuses imperfections du système commercial. Nous adhérons assez à l’analyse de S. L. Kaplan selon laquelle les blatiers seraient l'équivalent des colporteurs, travaillant dans les interstices de l'économie61. Décriés encore pendant les crises de la première moitié du XIXe siècle, ils semblent s'effacer assez rapidement de la scène après 1850. Le terme même a tendance à tomber en désuétude, les annuaires de la seconde moitié du siècle ne l'emploient pas, les listes nominatives de 1906 non plus. Les intermédiaires n'ont pas disparu, mais cet acteur des interstices ne trouve plus de profit dans un marché assagi et bien moins dynamique. Il n'est pas impossible que la place du blatier dans l'imaginaire social ait été prise par le maquignon, acteur omniprésent dans les foires aux bestiaux62.

  • 63 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle, Toulouse, Eché, t. 2, p. 74. Le préfet des Hautes-Pyrén (...)

35Que dire du meunier, autre personnage haut en couleur, immortalisé par Chaucer, décrit avec minutie par Eugène Le Roy dans Le Moulin du Frau ? Les meuniers, ainsi que les boulangers et les voituriers, occupent une place considérable dans les circuits commerciaux du grain. Le plus souvent payés en nature, ils contrôlent un petit surplus qu'ils peuvent négocier à leur guise, soit en le vendant au détail, soit en le livrant aux grossistes. Ils se meuvent dans les marchés comme des poissons dans l'eau, toujours une course à faire, des grains à acheter ou à vendre. Les boulangers fréquentent les marchés et les greniers en tant qu'acheteurs de grains pour l’approvisionnement de leurs fours, mais aussi comme vendeurs du pain au détail. Les meuniers semblent jouer un rôle plus spéculatif grâce à la mouture dont ils disposent. Leur connaissance du milieu local fait d'eux des intermédiaires naturels auprès des commerçants plus puissants, ils savent qui produit quoi et en quelle quantité. Les autorités les surveillent lors des crises comme faisant partie du groupe des spéculateurs, éventuels accapareurs, prêts à acheter des grains dans les fermes et sur les marchés afin de les rendre plus rares63.

  • 64 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 75 : monographie communale de Benque-d'Aurignac.

36Le meunier est de plus un prestataire de services. Ayant des moyens de transport, plus ou moins sophistiqués selon l'époque et le lieu, il est souvent chargé de faire des courses pour ses clients paysans. D’après un instituteur commingeois en 1885, « Les propriétaires ont peu de moyens de transport, et pour la vente de leurs denrées, ils ont recours aux meuniers qui se chargent moyennant une faible rétribution de transporter aux foires et marchés des villes voisines tout ce dont leurs pratiques ont besoin »64. Plusieurs autres témoignages d'instituteurs dans d'autres régions de la Haute-Garonne soulignent cet aspect du service rendu par les meuniers. Pour les petits producteurs, le transport de leurs denrées au marché est capital, le meunier est bien armé pour y répondre.

  • 65 Pour un développement plus approfondi des tendances de la production régionale, voir notre thèse, (...)

37Le commerce des grains a été certainement un des moteurs de l’économie rurale durant toute la période que nous étudions. Il est néanmoins vrai que son importance relative est moindre en 1900 qu'en 1750. A cette dernière date, les grains occupent une place énorme dans les régimes alimentaires comme dans les représentations mentales de la population. La question des grains et de leur commerce préoccupe les dirigeants du royaume comme ceux des provinces et des villes. En 1900, le contexte économique n'est plus le même ; la production s'est modifiée, le blé n’est plus le roi indiscuté des assolements, même si sa place est restée très importante. Le couple blé-maïs – le blé à vendre, le maïs pour survivre – n'est plus indissociable. En 1900, même les métayers mangent du pain de froment et les animaux de basse-cour consomment beaucoup plus de mais que les hommes. Les céréales secondaires, le seigle et le méteil en particulier, ont reculé ; on en trouve moins dans les champs et moins sur les marchés. En revanche, l’expansion de l'élevage a encouragé la culture de l’avoine que l'on retrouve en quantités plus importantes sur les places, dans le Gers notamment65. Tous les observateurs sont d'accord pour voir dans l'élevage un des éléments dynamiques du monde rural dans la seconde moitié du XIXe siècle.

COMMERCE DES ANIMAUX

  • 66 H. D. Clout, The Land of France, pp. 94-110.

38Lorsque l’on considère l'économie agricole depuis les dernières décennies de l'Ancien Régime, un des changements les plus frappants est la place conquise par l'élevage. Au siècle dernier, les agriculteurs français ont réussi à sortir des contraintes de la production céréalière, non sans mal. Les crises de la première moitié du siècle sont là comme autant de témoins de la dépendance des hommes vis-à-vis des grains. Presque tous les chroniqueurs du monde rural, d'hier ou d'aujourd'hui, ont déploré le manque de bétail dans l'ancien système agricole. Petit à petit, cependant, département par département, l'élevage commence à se développer, notamment en réponse à la demande des grands centres urbains, Paris en particulier66.

39L’expansion des activités d'élevage a puissamment contribué au maintien et à l'essor du nombre de foires et marchés que nous avons constatés, surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle. Parmi les motivations le plus souvent citées par les communes demandant de nouvelles foires, les progrès de l'élevage, le besoin des cultivateurs d'avoir des débouchés plus fréquents pour les animaux qu'ils élèvent. Les transactions concernant les animaux se font en trois endroits différents : à la foire, au marché ou à l’étable. Les deux premiers lieux sont certainement les plus fréquemment utilisés, sans que l'on puisse trancher définitivement faute de sources précises. Les ventes à l’étable, si elles ont toujours existé, ne sont vraiment devenues importantes qu'avec l'avènement des camions qui permettent aux intermédiaires d'y accéder plus facilement. Le commerce des animaux est avant tout associé aux foires qu'elles soient annuelles, mensuelles ou bi-mensuelles comme c'est de plus en plus le cas à la fin du siècle dernier. Nous allons donc aborder ce commerce par l'intermédiaire du champ de foire, le foirail, bien que les sources soient bien plus fragmentaires que pour le commerce des grains.

  • 67 J. Mulliez, Du blé, « mal nécessaire ». Réflexions sur les progrès de l'agriculture de 1750 à 1850 (...)

40Quelles sont les principales finalités de l'élevage dans notre champ d'étude ? Traditionnellement, ici comme ailleurs, l'élevage est subordonné à la production céréalière67. Les animaux sont utilisés pour le travail, pour les engrais qu'ils fournissent, pour la nourriture du ménage, pour l’habillement (la laine) et, très secondairement, pour les revenus. Chaque espèce d'animal y contribue selon sa nature. Ce qui semble caractériser le siècle dernier, c'est le développement d'un élevage spéculatif, surtout au cours de ses trente dernières années. L'élevage à but spéculatif ne remplace pas cependant l'élevage plus traditionnel mais l'accompagne. Nous essayerons de montrer les domaines dans lesquels la spéculation a fait le plus de progrès et ceux dans lesquels les échanges interviennent surtout dans la poursuite de finalités plus traditionnelles.

Ventes et achats de bovins

41Les diverses manières de pratiquer l'élevage des bovins peuvent servir d'illustration à la distinction entre comportements traditionnels et spéculatifs. Dans toute la région, comme dans la plupart des pays méridionaux, les bovins représentent l'animal de trait par excellence. Selon les localités, on emploie soit des bœufs, soit des vaches, soit les deux pour tirer l'araire (la charrue s'imposant lentement au cours du siècle). Le choix de bœufs ou de vaches est dicté, en partie, par la nature des sols, les terreforts exigeant une force de travail supérieure à celle des terres plus légères. Mais d'autres considérations jouent également : les pays montagneux se sont depuis longtemps constitués en pays « naisseurs », le troupeau y étant composé presque exclusivement de femelles. C'est le cas des Pyrénées ; c'est également vrai dans la Montagne Noire, les Monts de Lacaune et dans les hautes terres rouergates, l'Aubrac en particulier. Dans ces zones, les cultures sont déjà limitées par la nature (altitude, pentes, sols) ; les labours ne sont pas la priorité du troupeau bovin. Sa principale fonction est la production de veaux et de lait, utilisé pour élever les veaux ou pour faire du fromage. Puisque les lois de la nature sont ainsi faites, les vaches produisent autant de mâles que de femelles. Si les secondes peuvent trouver leur place dans le troupeau, que faire des premiers ?

  • 68 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, Paris, Ed. M.-Th. Génin, Librairie de (...)

42La solution la plus évidente est de les vendre en direction de la plaine. C'est le cas tout le long des Pyrénées, mais avec des variations intéressantes. Procédons d'est en ouest, du haut Comté de Foix au Comminges. Dans la haute vallée de l'Ariège, les éleveurs amènent les jeunes veaux sur les estives avant de les vendre dans les foires de septembre et d'octobre à Ax-les-Thermes et à Tarascon. Ces braus (bouvillons) sont achetés par des éleveurs du Pays de Sault (Aude) où ils sont élevés et dressés jusqu'à l'âge de trois ans ou plus avant d'être revendus vers la plaine audoise ou ariégeoise comme bœufs de travail68. Ce genre de spéculation peut fonctionner à cause des ressources herbagères et forestières du Pays de Sault qui se trouve à une altitude moins élevée que les grandes estives de la montagne toute proche.

  • 69 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, p. 847.

43Plus à l'ouest, en Couserans, les jeunes animaux sont destinés le plus souvent à la boucherie. Vendus à l'âge de 2 à 3 mois, ils viennent alimenter les villes de la plaine, Toulouse en premier lieu. Les éleveurs de cette région ont aussi commencé à vendre des veaux bien plus jeunes, les repoupets, vers le Comminges voisin69. Ces ventes très précoces permettent la transformation d'une plus grande partie du lait en fromage, une des principales activités économiques du Couserans. Les petits veaux vendus vers le Comminges viennent grossir un élevage spéculatif très actif depuis le premier quart du XIXe siècle au plus tard. Dans les cantons d'Aspet et de Salies-du-Salat, le veau blanc est une spécialité locale très prisée par le marché toulousain, voire parisien. Dès 1826, le sous-préfet de Saint-Gaudens explique son importance :

  • 70 A.D. Haute-Garonne, 6 M 41 : rapport sur les charcutiers, arrondissement de Saint-Gaudens, 1er déc (...)

Le canton d'Aspet fournit une grande quantité de veaux, non seulement à tout l'arrondissement de Saint-Gaudens, mais encore à celui de Muret et à la ville de Toulouse. Ce sont des veaux dont la qualité est renommée à Toulouse, sous le nom de « veaux d'Arbas ». On compte que le canton d'Aspet (dont la vaste commune d'Arbas fait partie) en livre au commerce environ 4 000 chaque année70.

44Avant le chemin de fer, donc, ces veaux de lait à la chair très blanche ne sont guère connus au-delà de la capitale de la Haute-Garonne. Sans que l'on sache exactement à quel moment cet élevage a pris un tournant encore plus résolument spéculatif, il est sûr que dès avant 1885 la pratique d'achat de repoupets s'est répandue comme en témoigne l'instituteur d'Estadens :

  • 71 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 58 : monographie communale d'Estadens.

... les propriétaires tirent leur principal revenu des bestiaux et principalement des veaux qui sont élevés très soigneusement par les cultivateurs ; au lieu d'employer le lait à faire du beurre, ils achètent de jeunes veaux et les élèvent pour la boucherie. On peut estimer à 1 200 le nombre de veaux qui sont vendus annuellement par les éleveurs de la section d'Estadens71.

45A cent francs le veau, les habitants d'Estadens font rentrer environ 120 000 francs par an dans l'économie communale, soit la somme considérable de 120 francs par habitant.

  • 72 La Dépêche, 30 novembre 1901 et janvier-février 1903.
  • 73 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 512 : monographie communale de Mane, 1885 ; A.D. Haute-Garonne, M 120 : (...)
  • 74 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 496 : monographie communale de Saint-Martory.

46Les veaux blancs du Comminges ainsi que des veaux de boucherie de moins bonne qualité se vendaient sur plusieurs marchés locaux. Grâce à diverses sources, on peut se faire une idée approximative du volume d'affaires portant sur les veaux entre 1880 et 1914. A Aspet, au cœur de la région de production, on a vendu 125 veaux à la foire de la Sainte-Catherine (25 novembre) de 1901, la plus réputée de l'année ; en janvier et février 1903, les ventes dans les marchés hebdomadaires ont oscillé autour de la centaine72. A moins de 20 km de là, en 1885, l'instituteur de Mane parle d'une cinquantaine de veaux vendus chaque semaine, alors que le service sanitaire du département signale en 1902 des apports de 60 à 90 et des ventes de 35 à 40. En 1912, le même service ne comptabilise qu'une vingtaine de veaux amenés73. La principale victime de ce nouveau marché est, comme nous l'avons vu plus haut, Saint-Martory dans la vallée de la Garonne. Avant 1881, selon le maître d'école, le marché attirait une centaine de veaux par semaine, ce chiffre étant réduit de moitié à la suite de la mise en place du nouveau marché à Mane74.

  • 75 A.D. Haute-Garonne, 6 M 45. Journal de Saint-Gaudens, 1904 (50 semaines sur 52).

47Le véritable vainqueur de la lutte entre Mane et Saint-Martory, la ville de Saint-Gaudens, a vu son marché aux veaux (tous les jeudis) prendre un essor qui l'a propulsé premier lieu d'échanges pour les jeunes bovins du département jusqu'à nos jours pratiquement. Selon les mercuriales de 1877, les ventes de veaux s'élèvent déjà à environ 150 par semaine, soit plus de 7 500 par an ; au début du XXe siècle, d'après nos propres relevés dans le journal local, il s'en vend environ 385 par semaine, 19 000 dans l'année. Cette croissance est le fruit à la fois de l'expansion de la production des veaux et de la concentration des ventes à Saint-Gaudens aux dépens de marchés plus proches des zones d'élevage de la montagne mais trop isolés par rapport aux moyens de transport, le chemin de fer en tout premier lieu75.

48Un autre avantage que possède Saint-Gaudens, tout comme Montréjeau à une quinzaine de kilomètres en amont, est le fait d'être en contact avec des cantons de montagne, de la plaine de la Garonne et des coteaux du Bas-Comminges. Les veaux pyrénéens débouchent naturellement vers la vallée en route vers les lieux de consommation ; dans les coteaux on fait également venir des veaux, de façon moins intense, certes, mais toujours en vue d'une vente sur un des marchés locaux. L'instituteur du petit village d'Arnaud-Guilhem décrit très précisément le fonctionnement et les motivations de cet élevage :

  • 76 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 497 : : monographie communale d'Arnaud-Guilhem.

Quoiqu'ils soient tous que de petits propriétaires, ils ont presque toujours plus de bétail que ne comporte l'étendue de leur domaine. Ils agissent ainsi dans un but de spéculation, le genre de bétail qu'ils choisissent de préférence est la vache montagnarde... Tel qui a à peine un hectare et demi de terre, a néanmoins une paire de vaches à son service ; il arrive même que certains, trop pauvres pour se charger d'une paire, se contentent d'une vache et s'associent à deux pour exécuter leurs travaux... Ils se consolent de tous leurs désagréments en songeant que ces animaux qui sont à charge, leur épargneront une grande fatigue pour remuer le sol, et qu'à un moment donné ils pourront compter sur les produits de leur bétail76.

49Dans les pays montagneux, les propriétés sont petites mais les terres communales et les ressources fourragères permettent l'entretien d'un troupeau bien plus important que dans des communes de coteaux où les petits propriétaires doivent utiliser les feuilles des arbres pour faire la litière des étables et doivent exploiter le moindre espace libre pour élever une ou deux vaches seulement. Dans le Saint-gaudinois, tous ces petits propriétaires apportent leurs veaux, un ou deux par an, en priorité aux marchés du chef-lieu, certains d'y trouver un débouché sûr et peut-être rémunérateur.

  • 77 A.D. Haute-Garonne, J 747 : métairie de Coujoulet, commune de Revel.

50La vente des veaux représente, donc, une source de revenus assez stable et fiable pour bon nombre d'agriculteurs de la région. Dans la Haute-Garonne, le Comminges n'est pas le seul pays intéressé par les veaux ; dans le Lauragais, les cultivateurs ont souvent gardé des vaches dans les métairies afin de fournir des veaux vendus vers Toulouse ou vers le Bas-Languedoc. Dans une seule métairie sise dans la commune de Revel, les livres de comptes des années 1820 et 1821 permettent de suivre la vente de 7 veaux la première année et 6 l'année suivante, une rentrée d'argent frais d’entre 400 et 500 francs77. Cette tradition s'est maintenue pendant la IIIe République selon les maîtres d'école de Renneville et de Montclar :

  • 78 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 577 : monographie communale de Renneville. Son collègue à Montclar s’est (...)

Dans presque toutes les fermes où il y a ordinairement une paire de vaches on élève des veaux que l'on vend pour la boucherie. On en retire un revenu net qui est partagé entre le propriétaire et le métayer78.

51Sans doute c'est le terme de « revenu net » qui est au cœur de l'attachement de tant de paysans aux veaux. Dans l'agriculture régionale, où la traction animale est fournie par des bovins, l'utilisation des vaches satisfait à deux besoins pressants : travail et revenu. Cette solution est d'autant plus répandue que les vaches coûtent moins cher à l'achat tout en rapportant pendant plusieurs années grâce aux veaux qu’elles donnent. Ce double avantage explique probablement l'évolution de la composition du troupeau dans la Haute-Garonne entre 1813 et le début du XXe siècle. Selon l’enquête de 1813, il y avait plus de bœufs que de vaches dans le département (111 bœufs pour 100 vaches) ; en 1840, les vaches sont plus nombreuses (94 bœufs pour 100 vaches), la situation est à peu près la même en 1852. En 1892, la proportion des vaches a fortement augmenté (66 bœufs pour 100 vaches), une tendance qui s'affirme selon les enquêtes de 1905 et de 1929. La croissance urbaine et le développement des moyens de transport ne sont pas étrangers à ce mouvement, le marché de Toulouse et les villes du Bas-Languedoc, alors toujours en pleine expansion grâce à la viticulture, absorbant une bonne partie des veaux ainsi livrés au commerce lors des dizaines de marchés du département.

  • 79 A.D. Haute-Garonne, 11 M 12 : statistique bovine de 1819.
  • 80 J.-B. Goux, La race bovine garonnaise, 2e édition, Paris, La maison rustique, 1865. Sur les origin (...)

52Les jeunes bovins destinés à la boucherie ne constituent pas cependant la seule activité spéculative des agriculteurs locaux. Au pied des Pyrénées, le troupeau est souvent composé en majorité de bœufs de travail et de bouvillons que l'on élève en vue d’une vente future ou du remplacement des vieux attelages. Dans les arrondissements de Pamiers et de Muret, il y a au milieu du XIXe siècle deux ou trois bœufs pour une vache, la production de veaux étant nécessairement limitée. Puisque le troupeau ne peut se reproduire, les agriculteurs doivent importer leurs animaux de l'extérieur. Dans le canton de Carbonne en 1819, par exemple, on rapporte que « l'usage n'étant pas d'avoir des vaches de reproduction, il n'y a que très peu de produits ; le cultivateur se pourvoit de bœufs assez généralement à Castelnau... où ils sont réputés d'une bonne constitution »79. Castelnau-Magnoac est effectivement connu pour la vente des bœufs de travail. Tout au long du siècle, les cantons le long de la vallée de la Garonne achètent leurs bœufs de travail dans le Gers, les Hautes-Pyrénées, l'Ariège, l'Auvergne, le Quercy et, de plus en plus, dans l'Agenais, grand exportateur de beaux bœufs dans tout le Sud-Ouest80.

53La préparation de bœufs de travail n'est pas une mince affaire. Il est toujours mieux pour la vente de choisir des animaux de même âge et constitution, éventuellement se ressemblant par la couleur de la robe. Il faut les dresser à supporter le joug, à obéir aux commandements, à tirer droit. C'est cette éducation qui en fait la plus-value au moment de la mise sur le marché. Le dressage des braus intéresse surtout les cantons limitrophes de l'Ariège et de la Haute-Garonne ainsi que les éleveurs du Pays de Sault. Un grand propriétaire de la Haute-Garonne a décrit ce système en 1905 :

  • 81 Cité par V. Fons, Les usages locaux de la Haute-Garonne, 3e éd., Toulouse, 1910, p. 104.

L'élevage des bouvillons, très rémunérateur surtout quand on peut assortir les sujets,... est très pratiqué dans les métairies des cantons de Cazères, Montesquieu, Le Fousseret. Le bouvillon est rendu en quelque sorte obligatoire par les maîtres-valets. Il fait partie de leurs gages... Le capital est fourni par les maîtres et le bénéfice est partagé. Ils sont conservés pendant 10 mois ou un an sur la métairie. C'est la spéculation la plus sûre et la plus économique81.

  • 82 A.N., F10 1 764 : concours général, Ariège, 1901 (je dois la découverte de cette source à R. Hubsc (...)
  • 83 J.-B. Goux, La race bovine garonnaise, p. 41.
  • 84 Z. Baqué, Deux exploitations dans le Gers, pp. 55, 87-88, 154-156.

54Les animaux sont acquis dans les foires de l'arrondissement ou de l'Ariège où les propriétaires et les métayers ou maîtres-valets sont également engagés dans ce genre de spéculation. Les dossiers des exploitations primées lors des concours agricoles du début du XXe siècle semblent le confirmer. Dans un petit domaine des coteaux dans la commune de Saint-Ybars, Jean Rives élève en 1901 2 paires de bœufs de travail, 2 vaches laitières (pour leurs veaux) et 1 « jolie » paire de braus. Sur le domaine d'Antujas (La Bastide-de-Sérou), le fermier Eychenne peut viser plus large avec 80 hectares : il y élève 8 bœufs de travail, 2 vaches et 12 braus. A Carla-Bayle, sur 11 hectares seulement, le cultivateur compte 2 bœufs, 1 vache et 6 braus dans son cheptel82. Dans le Lot-et-Garonne, la même spéculation existe en vue de l'exportation de paires de jeunes bœufs vers les pays qui les feront travailler, avec peut-être une étape intermédiaire. On achète les jeunes âgés de trois mois avant l'hiver, on les vend au printemps, surtout si l'on peut réaliser un bénéfice. D’autres les achètent, encore trop jeunes pour le travail, et terminent le dressage avant de les vendre vers le Gers, le Tarn-et-Garonne, la Haute-Garonne et la Gironde83. Des propriétaires gersois s'adonnent à un élevage spéculatif de ce type aussi, surtout après la Grande Guerre, mais en élevant les jeunes sujets dès la naissance, les veaux les moins bien formés sont vendus à la boucherie, les mâles sont châtrés à 18 mois environ, dressés et vendus vers l'âge de 3 ans sur les champs de foire de Condom, Eauze, Vic-Fezensac ou ailleurs, la plupart allant peupler les exploitations du Bas-Armagnac84.

  • 85 A.D. Haute-Garonne, 11 M 21 : statistique bovine de 1819.

55Les animaux adultes donnent lieu traditionnellement à moins de transactions pendant leurs années de production, qu'il s'agisse de bœufs ou de vaches. On garde volontiers une paire de bœufs pendant plusieurs années surtout si sa capacité de travail est bonne. De même, une vache qui est bonne laitière, bonne reproductrice ou bonne travailleuse reste plus longtemps dans l'exploitation qu'une bête moins douée. Au début du XIXe siècle, les propriétaires du Toulousain vendent leurs animaux de travail vers l'âge de 10 ans ; c'est à peine si on les laisse se reposer un peu afin qu'ils prennent du poids avant d'être livrés à la consommation. Souvent, on ne vend que contraint et forcé ; à Aucamville, près de Toulouse, en 1819, le maire rapporte que les bœufs et vaches sont vendus « lorsqu'ils sont hors de service »85. Dans la seconde moitié du siècle, on a l'impression que certains propriétaires, profitant du fait que les échanges sont assez faciles et que les prix augmentent, utilisent leur cheptel bovin comme un stock de roulement que l'on achète et vend au gré des nécessités et des opportunités. Les monographies de 1885 fournissent quelques illustrations de cette nouvelle façon de faire. A Couladère, situé sur la Garonne en face de Cazères, quelques petits cultivateurs se sont convertis en commerçants en bestiaux :

  • 86 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 230 : monographie communale de Couladère.

Ils possèdent pour la plupart une seule paitre de bœufs ou de braus. Cazères, Le Fousseret, Montesquieu-Volvestre étant les centres commerciaux de la contrée, c'est là qu'ils amènent leur bétail. S'ils vendent ils vont dans la montagne à Saint-Gaudens, Montréjeau, Boulogne-sur-Gesse, Castelnau, faire de nouveaux achats pour, à la prochaine foire, faire nouvelle vente. Si minime que soit leur bénéfice il est net : point de patente, point de frais si bien qu’on peut dire que ce commerce les fait vivre dans l’aisance et leur tient lieu de la propriété qu’ils n’ont pas86.

56Ce sont des marchands paysans qui travaillent à une échelle extrêmement réduite : une paire de bêtes à la fois, leurs capitaux ne leur permettant pas d'en acheter davantage, et leur bien étant trop exigu pour les nourrir entre deux foires.

57La demande en viande de boucherie étant plus forte et l'exigence d'une certaine qualité se faisant sentir, les éleveurs se sont mis à engraisser les animaux spécifiquement pour ce nouveau marché. Plusieurs pays s'en sont fait une spécialité, la vallée de la Garonne entre Cazères et Fronsac, les coteaux ariégeois autour de Pamiers, la verte plaine au pied de la Montagne Noire autour de Verdalle et Dourgne. Leur atout principal est l'herbe et les autres ressources alimentaires destinées à engraisser les bovins plus ou moins jeunes. Les bêtes sont nourries abondamment avec un mélange de fourrages, de pommes de terre, de topinambours, de maïs, un régime beaucoup plus riche qu'à l'ordinaire ; assez rapidement elles prennent de l'embonpoint et peuvent trouver acheteur sur les places marchandes à proximité. En 1842, le maire de Verdalle, dans une tentative de convaincre les autorités tarnaises de la justesse de sa demande de marché, a fait publier une petite brochure vantant les mérites de sa localité et décrivant sa place dans les circuits commerciaux. Son témoignage est précieux même s'il exagère quelque peu l'importance de ce commerce :

  • 87 Observations sur les marchés de Verdalle, présentées par le maire de cette commune, le 15 mai 1842 (...)

Le territoire de Verdalle est une vaste prairie qu'arrosent les eaux du Sant, et qui s'étend dans les communes voisines ; les produits de ses pâturages sont éminemment propres à engraisser les bestiaux ; aussi le commerce des bêtes à corne et des bêtes à laine est-il l'industrie qui vivifie cette contrée ; sa population s'y livre avec une affection, un entraînement caractéristique. C'est l'occupation de tous les habitants ; hommes, femmes, enfants, chacun a ses fonctions et son labeur. Les bestiaux sont le sujet de toutes les conversations, le but de tous les projets, le fondement de tout espoir d’aisance. Si les propriétaires riches ou aisés ont toujours leurs étables pleines, de leur côté les petits ménages tiennent à cheptel un petit troupeau de 15 à 20 brebis ou quelques vaches. Ils afferment chèrement quelque lopin de pré, s'il n’en possèdent pas ; s'ils ont un champ, ils en sèment une partie de plantes fourragères ; les animaux nourris avec un soin minutieux s'engraissent en peu de temps, sont revendus et remplacés de suite87.

  • 88 A.N., F121271 : an VI.

58En plus de ses « vastes prairies », Verdalle est favorisé par sa position près des voies de communication vers le Bas-Languedoc (Béziers) par Mazamet et Saint-Pons, une route importante depuis longtemps pour le transport des grains et du bétail. Déjà pendant la Révolution, cette petite localité est accréditée de ventes s’élevant annuellement à plus de 15 000 ovins et 1 200 bovins lors de ses foires88.

  • 89 J.-B. Goux, La race bovine garonnaise, p. 61.
  • 90 Rapport sur le service des épizooties en 1910, Rapport du préfet, Haute-Garonne, 1911, pp. 614-618 (...)

59Les transactions sur les bovins suivent donc des modèles divers dont nous n'avons fait qu'effleurer les multiples circuits locaux et régionaux, selon l'âge et les fonctions de l'animal. On remarquera que les ventes et achats montrent une tendance à se concentrer dans les périodes de transition entre deux étapes du cycle de vie de la bête. Les transactions sont plus nombreuses au moment des passages, entre veau et brau, entre brau et bœuf, entre bœuf de travail et bœuf réformé et engraissé... Selon un vétérinaire du département de Lot-et-Garonne, déjà vers la fin du Second Empire, un cinquième au moins « de la population bovine change de mains annuellement, et se déplace sans sortir du pays », ce qui représenterait des milliers de transactions portant sur les seuls bovins dans les foires de ce département89. Avant la Première Guerre mondiale, le Service sanitaire de la Haute-Garonne a estimé à plus de 195 000 le nombre de bovins vendus dans les foires et marchés de ce département, alors que les statistiques agricoles n'en dénombraient qu'environ 175 00090. Indépendemment de la qualité des statistiques, des ordres de grandeur plus que des données exactes dans les deux cas, il semblerait que les transactions aient subi une prodigieuse accélération. Si l’on admet qu'une partie du troupeau n'est pas vendue pendant l'année, il faut conclure que l'autre partie a été vendue plusieurs fois sur le chemin de l'abattoir ou de l'étable. Du Quercy vient cette dénonciation d'une telle tendance, parue dans Le mouvement social en 1894 :

  • 91 Bourjade, Le Quercy, Le mouvement social, octobre 1894, p. 226.

L'abus des foires et l’agio sur les bestiaux, qui passent toujours en un grand nombre de mains dans le Quercy, avant d'aboutir à la boucherie, sont une des plaies de la région. Pour un bénéfice toujours aléatoire, que de dépenses de cabarets et que de pertes de temps91.

60C'est le même son de cloche chez E. Labat, moraliste gascon, en 1910 :

  • 92 E. Labat, En Gascogne, Revue des Deux Mondes, 1er août 1910, p. 651.

Nous... sommes avertis par un fait intéressant, la tendance au maquignonnage, à un maquignonnage spécial, curieux, qui porte sur les animaux que les paysans achètent et vendent entre eux, et qui pour beaucoup se réduit à une sorte de jeu de hasard92.

  • 93 D’après les statistiques agricoles de 1840 et de 1892. Si l’on prend les chiffres de 1840 comme ba (...)

61Sans suivre ces deux notables dans leur condamnation sans nuance du commerce des bestiaux, il est possible que ces multiples transactions sur les bovins aient abouti à un mouvement d'échanges intense mais sans grande valeur économique. Avec la baisse durable des cours des céréales, les paysans cherchaient d'autres sources de revenus, l'élevage étant une des seules spéculations disponibles. Mais la taille des exploitations n'a pas beaucoup changé et les ressources en fourrages n'ont pas permis une intensification générale de l'élevage comme dans certaines régions. D'ailleurs, les départements de notre région n’ont pas connu une augmentation du nombre de bovins aussi importante entre 1840 et 1892 que le reste de la France93. Ne peut-on pas y voir la logique suivante : ne pouvant intensifier leur production pour des raisons diverses (structure des propriétés, manque de capitaux, climat, habitudes...), les cultivateurs ont intensifié les échanges, multipliant les transactions dans leur recherche de revenus supplémentaires, aussi minimes soient-ils. Il nous semble que le poids des produits de l'élevage bovin a augmenté dans les revenus paysans du Toulousain au cours du siècle passé. Mais sans accès à des comptabilités d'exploitation sur une période relativement longue, toute affirmation est à mettre au conditionnel.

Les ovins : spéculations et circuits d'échanges

62Quel élevage évoque plus profondément les anciennes traditions séculaires que celui des ovins ? Quelle image est plus romantique que celle du berger avec son chien et son troupeau en train de traverser quelque lande déserte ou quelque col pyrénéen ? Dans l'élevage ancien, les ovins sont omniprésents, aussi bien dans les plaines que dans les hauts pays. Le Haut-Languedoc, le Rouergue, le Quercy, la Gascogne gersoise, la Bigorre, le Comminges, le Couserans et le Comté de Foix ne font pas exception ; dans certains cas, même, ces pays leur consacrent de vastes territoires et beaucoup d'énergie.

  • 94 Ministère de l'Agriculture et du Commerce, Statistique de la France, Paris, Imprimerie royale, 184 (...)

63La Statistique agricole de 1840 offre un point de vue commode pour bien cerner les zones de prédilection de l'élevage ovin dans la région. Deux arrondissements se distinguent par leurs hautes densités, Castres et Saint-Affrique ; ils recouvrent un territoire contigu tout en étant très variés. En effet, il s'agit d'un territoire qui s'étend de la plaine devant Castres à travers la Montagne Noire et les Monts de Lacaune jusqu'au rougier de Camarès et au causse de Larzac à l'ouest de Saint-Affrique. La densité des ovins y dépasse 135 pour 100 hectares (la moyenne française est alors d'environ 63 pour 100 ha). Une seconde zone favorable aux ovins est plus vaste et s'étend sur deux domaines bien distincts : un premier ensemble rouergat, albigeois et quercynol couvre les arrondissements de Gourdon, Figeac, Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Millau et Albi ; un second recouvre tout le département de l'Ariège. Sur ces assez vastes étendues, la densité varie entre 80 et 100 ovins pour 100 hectares, un taux toujours supérieur à la moyenne nationale. Les plus faibles densités se trouvent dans le Gers, autour d'Auch94.

64Il serait trop simple de conclure que l'élevage ovin a pris pour terre d'élection les pays montagneux tout en délaissant les plaines agricoles. L'arrondissement de Pamiers, comprenant des bonnes terres du Lauragais, celles de la vallée de l'Ariège, et d'autres moins bonnes des coteaux dans sa partie ouest, est néanmoins un important lieu d'élevage de bêtes à laine. En revanche, l'arrondissement de Saint-Gaudens, dont une large partie est montagneuse, paraît bien moins favorisé par la densité ovine. Est-ce le seul fait du partage de cet arrondissement en deux parties haute et basse ? Autour de Gaillac, Montauban et Castelsarrasin, les ovins occupent une place non négligeable alors que dans la région de Bagnères-de-Bigorre cette place paraît bien plus faible. Au moins deux facteurs interviennent dans l'explication des variations régionales. D'une part, l’élevage ovin est favorisé dans les plaines et riches vallées par la présence de grands domaines agricoles, plus nombreux là qu'ailleurs. Chaque domaine possède son troupeau ou ses troupeaux selon son organisation interne – un seul tenant ou plusieurs métairies. D'autre part, dans l'élevage ovin, plus que dans tout autre, les relations entre plaine et montagne sont étroites à cause de la transhumance. Le fait que les enquêtes agricoles devaient dénombrer les animaux vers la fin du mois de novembre ne favorise-t-il pas les bas pays qui accueillent à ce moment-là les troupeaux ayant passé la belle saison sur les estives ou sur les hautes terres des causses ?

65Comme bien d'autres massifs montagneux, les Pyrénées ont une longue histoire de transhumance. Mais à la différence des Alpes, par exemple, les distances parcourues sont relativement faibles, une centaine de kilomètres tout au plus. La configuration de cette chaîne fait que les plaines et coteaux où hivernent les troupeaux se trouvent à proximité des pâturages d'été. Vers 1800, Casimir de Puymaurin, agronome averti, a fait une des premières descriptions détaillées de la transhumance dans les Pyrénées centrales :

  • 95 C. de Puymaurin, Description topographique du canton de L'Isle-en-Dodon, mémoire manuscrit, A.N., (...)

On ne garde point dans le canton [L’Isle-en-Dodon] de brebis pendant les chaleurs de l'été, les montagnards des vallées d'Aure et de Luchon viennent les chercher à la Pentecôte et ne les ramènent qu'à la Saint-Martin. Le trajet est de 15 lieues, ces brebis sont si accoutumées à cette transmigration qu'on en a vu d'oubliées dans le pays, s'acheminer seules et faire heureusement ce voyage sans chien ni conducteur. Les montagnards ramènent les brebis à la Toussaint, les frais de garde et de la nourriture sont à la charge des pasteurs de la montagne, qui ont en compensation, le fumier, la laine des agneaux et le lait, ils donnent même au propriétaire par brebis laitière une livre de fromage95.

  • 96 A.D. Hautes-Pyrénées, 7 M 51 : service vétérinaire, 1856.
  • 97 H. Guilhamon, Journal des voyages en Haute-Guienne de J. F. Henry de Richeprey, t.1, Rouergue, Arc (...)

66Au cours du XIXe siècle, il semblerait que ce mouvement saisonnier des troupeaux ait continué, mais sur des distances moins grandes encore : bien des ovins ne traversent même plus la Garonne à la sortie des Pyrénées et restent dans les cantons de Montréjeau et de Saint-Bertrand-de-Comminges, par exemple96. En Rouergue, à la fin du XVIIIe siècle, des bêtes à laine circulent aussi dans leur recherche de pâturages saisonniers. Du Ségala, du Levézou, des pays limitrophes au département du Tarn, des troupeaux se mettent en route à la fin du printemps pour atteindre les lieux d'estivage sur les causses du Larzac, du Gévaudan ou sur les montagnes auvergnates en direction probablement des Monts du Cantal. Les causses rouergats accueillent également des troupeaux venus du Bas-Languedoc par des sentiers millénaires, les drailles. Il y a des mouvements similaires entre la plaine de l’Aude et la Montagne Noire97.

  • 98 Ibid., t. 2, Quercy (voir les articles sur chaque localité citée).

67Examinons quelques situations locales qui illustrent à la fois les multiples formes du commerce des ovins, l'importance des foires et des marchés dans ce commerce et son caractère foncièrement local. Procédons par ordre chronologique. A la fin du XVIIIe siècle, le journal de voyage de J. F. de Richeprey nous donne le meilleur aperçu de l'élevage ovin en Quercy et en Rouergue. Les foires du Haut-Quercy – Sousceyrac, Hôpital-Saint-Jean, Vayrac, Gramat, Fons, Larnagol – sont importantes, plusieurs milliers de bêtes à laine y sont vendus pendant les mois d'avril et de mai et des centaines de quintaux de laine y sont commercialisées après la tonte, au mois de juin98. Le même phénomène est à l'œuvre dans le Rouergue, surtout à partir de Rodez en allant vers l'est. Si la grande foire de la Saint-Pierre dans la capitale du Rouergue est célèbre pour les ovins, bien d'autres, moins connues, contribuent puissamment à ce commerce au cours des mois du printemps : Durenque, Le Pont-de-Cirou, Salles-Curan, Saint-Beauzély, Millau, Saint-Rome-de-Cernon, Camarès, Belmont... Même dans le nord, plus réputé pour ses vaches d'Aubrac, les ovins avaient leur place, modeste il est vrai. Au sujet de Mur-de-Barrez, par exemple, Richeprey décrit un petit circuit de commerce :

  • 99 Ibid., t. 1, p. 36.

Il consiste à acheter des moutons du Quercy ou des pays calcaires de la Province. On les nourrit pendant 3 mois ; on tond les troupeaux, on vend la laine aux gens des environs de Saint-Geniez, qui viennent l'acheter. Les moutons vont se vendre dans les foires de l'Auvergne, du Languedoc et dans celles du pays99.

68Saint-Geniez étant le centre de l'industrie lainière, cette communauté et ses environs étaient de grands consommateurs de la laine provenant des troupeaux de la province, y compris les laines du Quercy. Sous l'Ancien Régime et jusqu'à la mort de la plupart de ces industries textiles locales, la demande pour la laine représente un débouché intéressant pour les propriétaires de troupeaux. Le déclin de l'élevage local au cours du XIXe siècle trouve au moins une partie de ses racines dans la disparition de cette industrie, en Rouergue et ailleurs.

  • 100 G.-E. de Falguerolles, Contribution à l'analyse de l'économie agricole en Haut-Languedoc : le trou (...)

69Un peu plus au sud, l'élevage et le commerce des ovins étaient très répandus. Grâce à des papiers d'une famille noble, G.-E. de Falguerolles a pu reconstituer les mécanismes de l'élevage ovin sur une propriété située entre Puylaurens et la Montagne Noire. On voit comment, au début du XVIIIe siècle, les métayers allaient chercher des brebis « par la montagne » jusque dans le Minervois. Partant à pied ou à cheval dans la première quinzaine du mois d'août, ils se déplaçaient jusqu'à Conques-sur-Orbiel (Aude) à la recherche « d'un pied » de bêtes à laine. S'ils n'en trouvaient pas assez, ils repassaient par Anglès (Tarn), important centre d’élevage et de commerce, avant de redescendre vers la plaine. Au mois de septembre, on complétait « l'hivernée » par des achats dans les foires plus proches du domaine, aux Cammazes, Arfons, Fontiers-Cabardès, Pont-de-Larn et Labruguière. Chaque hiver, donc, une moyenne de 160 brebis profitaient des riches pâturages pour prendre du poids avant d'être revendues vers le mois de février dans d'autres foires connues pour leur commerce de bêtes grasses : Verdalle, Dourgne, Sorèze, Revel et jusqu'à Castelnaudary et Carcassonne. La plupart de ces brebis ainsi engraissées prenaient le chemin du Bas-Languedoc100.

  • 101 A.D. Haute-Garonne, J 747 : métairie de Coujoulet, commune de Revel, 1820-1821.

70Les comptes de deux métairies près de Revel nous donnent l'occasion assez rare de voir le mouvement des ventes et des achats entre 1820 et 1829. Le modèle de spéculation mis en évidence par Falguerolles pour le début du XVIIIe siècle reste toujours d'actualité une centaine d'années plus tard. Des achats sont faits à deux moments de l'année, en août-septembre et en février-mars. Le troupeau d’août-septembre hiverne sur la métairie et est revendu en janvier et en février. Le troupeau de février-mars est revendu plus rapidement, en avril et mai, s’il s'agit des mêmes animaux. La laine est vendue en juillet (1820). Quelle idée peut-on avoir de la rentabilité de cet élevage ? A la métairie d'En Betou, où la comptabilité est assez complète pour une période de 10 ans, on a acheté et vendu environ 475 moutons et brebis (seuls 6 agneaux sont notés). Les achats montent à une somme de 4 088 francs, les ventes à 5 090 francs, soit un taux de profit brut de presque 25 %. Ces chiffres globaux obscurcissent des variations importantes dans les prix saisonniers. Les achats d'août-septembre sont réalisés à très bon marché, autour de 5,40 francs par brebis et de 7,90 par mouton. Ceux de février-mars sont nettement plus chers, entre 8,30 (brebis) et 11 francs (moutons). Les ventes effectuées en janvier et février s'élèvent à 8,50 pour les brebis et à 11,80 pour les moutons, ce qui représente un gain brut respectivement de 58 % et de 33 %. En revanche les ventes plus tardives (mars-avril) ne permettent pas de tels bénéfices ; les prix de vente de mars-avril sont en moyenne inférieurs aux prix d'achat de février-mars pour les brebis et à quasi-égalité pour les moutons. On comprend pourquoi le propriétaire achète le plus d'ovins possible en septembre (entre 25 et 30 par an pour cette métairie), alors que l'offre est forte et les ressources fourragères limitées dans beaucoup d'endroits. Les communes favorisées de ce point de vue peuvent vraiment bénéficier des variations de prix saisonnières. Les foires et marchés fréquentés par le métayer d'En Betou sont à peu près les mêmes que ceux courus un siècle auparavant : Anglès, Labruguière, Pont-de-Larn, Arfons, Puylaurens (Tarn) ; Revel (Haute-Garonne)101.

  • 102 Messieurs les inspecteurs de l'Agriculture, Le département du Tarn, Paris, 1845, pp. 391-392.
  • 103 Ibid., pp. 393-395.

71Vers 1840, les inspecteurs de l’Agriculture, en tournée dans la région, ont observé une forme de spéculation dans cette même zone qui ressemble beaucoup à ce que nous venons de décrire. Les propriétaires achètent des brebis en septembre, celles-ci mettent bas vers la fin décembre, les agneaux sont vendus deux mois plus tard, les mères sont engraissées encore pendant une quinzaine de jours avant d’être livrées au marché. Selon les inspecteurs, la vente des agneaux rapporte environ 6 à 7 francs par animal tandis que les brebis donnent un profit de 2 à 5 francs par rapport au prix d'achat102. Dans les cantons de Labruguière et de Dourgne, au pied de la montagne, les bons pâturages permettent une véritable industrie d'engraissement portant sur les ovins mais aussi sur les bovins, comme à Verdalle que nous avons cité plus haut. La partie haute de l'arrondissement de Castres les fournit en moutons et vieilles brebis ; ces dernières donnent un ultime agneau, puis elles entrent dans le circuit de la viande. A Dourgne, on garde les ovins un peu plus longtemps afin de profiter de la tonte ; les acheteurs de Béziers les enlèvent pour les faire passer sur la route entre Mazamet et Béziers. A Brassac, déjà dans la montagne, le troupeau est coupé en deux, les brebis vers le bas, les moutons vers le haut. Une partie des agneaux est vendue après le sevrage, une autre à un an environ, une dernière partie, les moutons, est vendue au bout de deux ou trois ans. Les femelles ont une espérance de vie plus longue car on les garde pour régénérer le troupeau103.

  • 104 A.D. Haute-Garonne, J 51 : métairie à Puycasquier, 1828-1830.

72Dans une métairie gersoise près de Fleurance, vers la même époque (1828-1830), les ventes seulement ont été enregistrées. Les moutons et les brebis trouvent acquéreur dans les foires et marchés des environs, les premiers pendant les mois d'hiver de janvier à mars, les secondes plutôt au printemps, mai-juin, et en automne, octobre-novembre. Ne sachant pas l'époque de leur achat, il n'est pas possible de décrire avec précision les mécanismes de cette spéculation. Toutefois, les ventes hivernales des moutons pourraient bien correspondre à des achats effectués au début de l'automne en vue de leur engraissement. Le décalage dans les transactions sur les brebis suggère que l'on attend la naissance d'agneaux et leur sevrage ainsi que la tonte avant de les livrer au marché104.

  • 105 Théron de Montaugé, L’agriculture et les classes rurales dans les pays toulousains, Paris, 1869, p (...)
  • 106 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 484 : monographie communale de Valentine.
  • 107 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 368 : monographie communale de Balesta.
  • 108 A.D. Haute-Garonne, 6 M 45 : mercuriales ; Journal de Saint-Gaudens, 1904.

73Dans la Haute-Garonne et dans l'Ariège, l'élevage et le commerce des ovins semblent avoir obéi à peu près aux mêmes rythmes saisonniers. En ce qui concerne le Saint-gaudinois, Théron de Montaugé, l'auteur de l'ouvrage le mieux informé sur l'agriculture locale au siècle dernier, distingue deux types de spéculation portant sur l'engraissement105. Dans certaines communes (non spécifiées), des cultivateurs achètent au mois de novembre et revendent les bêtes grasses en avril. En 1885, l'instituteur de Valentine, commune riveraine de la Garonne, confirme ce schéma qui, selon lui, concerne 600 à 700 ovins par an106. D'autres éleveurs font leurs achats au mois de mai et revendent vers la fin septembre après avoir tondu les ovins. Cette opération implique des animaux de 4 à 5 ans, autrement dit des animaux réformés que l'on ne veut plus envoyer aux estives. Un autre instituteur, celui de Balesta, abonde dans le même sens : « Au mois de mai, un certain nombre de propriétaires achètent des brebis qu'ils mettent à l’engrais pour revendre en juillet et août pour la boucherie »107. Le contraste saisonnier entre Valentine, commune de la vallée de la Garonne, et Balesta, situé sur les coteaux, est net. Les éleveurs de Valentine disposent de très riches prés qui permettent l'engraissement des troupeaux même pendant l'hiver ; ceux de Balesta doivent, en revanche, utiliser l'herbe qui pousse au printemps et au début de l'été. Ressources différentes, possibilités spéculatives différentes aussi. L'examen des rares mercuriales que nous possédons semblent confirmer ces deux rythmes. En 1877, à L'Isle-en-Dodon, dans la zone des coteaux, le grand marché-foire a lieu le dernier samedi du mois ; les transactions sur les moutons sont particulièrement nombreuses de la seconde quinzaine de juin à la seconde quinzaine de septembre, avec les plus fortes ventes au cours des marchés de juillet, comme l'a indiqué l'instituteur de Balesta. Un relevé des apports au marché de Saint-Gaudens en 1904 montre un rythme très différent. Là, les moutons apparaissent entre la fin du mois de février et la mi-avril, ce qui est assez proche des dates proposées par Théron de Montaugé et par le maître d'école à Valentine108.

  • 109 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, pp. 301-303.

74Selon M. Chevalier dans sa magistrale étude sur les Pyrénées ariégeoises, le piémont pyrénéen s'est spécialisé dans la mise à l'engrais des ovins durant les mois d'hiver. Vers le milieu du XIXe siècle dans le Bas-Couserans, on se rend aux foires d'automne de Castillon et de Seix, au cœur de la zone de l'élevage, où on achète de petits troupeaux de moutons de 4 ans. On les engraisse pendant quelques semaines, les livrant ensuite à la boucherie. Dans le pays de Foix, autour de Lavelanet, l'engraissement dure plus longtemps. On acquiert un lot de moutons à la Toussaint que l'on revend seulement après la tonte au printemps. Dans la plaine de l'Ariège, les achats se font plus tard, en plein hiver, aux foires d'Ax-les-Thermes. On y achète des moutons, les engraisse et les revend vers le Bas-Languedoc109. On remarquera que cette spéculation concerne tout particulièrement les moutons, les brebis n'entrant dans le circuit commercial qu’au moment de leur réforme, protégées par leur statut de reproductrices et de laitières.

  • 110 Domaine des Prés, Montpezat-de-Quercy, Archives privées.
  • 111 P. Quercy, Rapport, Bulletin de la Société agricole et industrielle du Département du Lot, 1907, p (...)

75On termine ce tour de la région par l'analyse de la comptabilité du domaine des Prés, à mi-chemin entre Montauban et Cahors. On peut y suivre d'assez près l'entrée et la sortie des moutons entre 1889 et 1896. Les ventes et les achats se font en priorité durant les mois de février, juillet, août, septembre et novembre. Bien qu'il ne soit pas toujours très clair qu'il s'agit des mêmes animaux, il semble que le propriétaire fasse entrer et sortir les animaux assez rapidement. Prenons la séquence d'achats et de ventes sur une année, 1895, dont la courbe correspond à celle de l’ensemble de la période. Le troupeau moyen de 25 ovins environ ne vieillit pas au domaine des Prés ; il y reste entre un et trois mois au maximum. Les achats se font quelques jours seulement après les ventes, parfois le jour même. Ce rythme rapide implique que les animaux sont mis à l'engrais ; il est vrai que peu d'agneaux apparaissent dans les registres du domaine. Pendant notre année témoin, le propriétaire fait 16 transactions, achats et ventes, portant sur les ovins. La plupart ont lieu sur les champs de foire du voisinage : 7 se font au bourg de Montpezat, à moins de 2 kilomètres du domaine, lors des foires mensuelles (3e jeudi du mois) ; d'autres se passent à Lalbenque lors du marché hebdomadaire (le mardi) ; une au moins se fait à Puylaroque au moment de sa foire mensuelle (2e mercredi). Parfois les transactions se négocient à l'étable, mais il s'agit d'une nette minorité qui annonce une tendance croissante dans les années à venir110. En tout cas, l'élevage pratiqué au domaine des Prés correspond assez exactement au changement repéré au début de notre siècle par le professeur d’agriculture du Lot. Pour M. Quercy, la vieille tradition de laine et de lait avait récemment cédé la place à la production de viande ; cette production était plus intensive sur les causses de Gramat, de Limogne et de Martel. Les bêtes de réforme étaient vendues et engraissées ailleurs111. Le propriétaire du domaine des Prés était un de ces engraisseurs, achetant souvent ses troupeaux dans le Lot.

TABLEAU 10. ACHATS ET VENTES D'OVINS AU DOMAINE DES PRÉS (Tarn-et-Garonne), 1895

13 décembre 1894

achat de 25 moutons

10 février 1895

vente de 25 moutons

13 février

achat de 21 moutons

21 mars

achat de 2 moutons

18 avril

vente de 20 moutons

18 avril

achat de 19 moutons

24 avril

achat de 5 moutons

16 mai

vente de 1 brebis

29 juillet

vente de 24 moutons

30 juillet

achat de 23 brebis

22 septembre

vente de 24 brebis

22 septembre

achat de 16 moutons et 2 brebis

29 septembre

achat de 1 mouton

21 novembre

vente de 20 moutons et 5 brebis

21 novembre

achat de 25 moutons

31 décembre

vente de 25 moutons

  • 112 Sur le recul de l'élevage ovin au XIXe siècle : R. Brunet Les campagnes toulousaines, p. 405. Thér (...)

76L'élevage ovin a fortement reculé au cours du XIXe siècle presque partout en France. Si l'on prend comme base les chiffres de 1840, le nombre d'ovins en France est passé de 100 à 65 en 1892. Dans notre région, la baisse a été encore plus sensible dans le Gers (indice 35 en 1892), le Tarn-et-Garonne (indice 44) et le Tarn (indice 57). Elle a été, en revanche, moins prononcée dans l'Ariège (indice 82), l'Aveyron (indice 77), les Hautes-Pyrénées (indice 82) et le Lot (indice 74). La Haute-Garonne a suivi la tendance nationale à quelques points près. Ce recul est dû à plusieurs facteurs : la concurrence des pays neufs, notamment en ce qui concerne la laine ; le déclin de l'autoconsommation familiale ; la régression des jachères, le morcellement des propriétés, en particulier dans les riches plaines autour de Toulouse ; les lois sur la forêt qui rendent leur accès plus difficile aux petits éleveurs de montagne (la loi du 21 mai 1827)112. Sans avoir des données à une échelle plus fine que le département, il n’est pas aisé de trouver des explications pour les différences constatées dans la baisse de l'élevage ovin. Toutefois, des conditions naturelles ne sont pas à exclure. En effet, les départements qui ont le mieux résisté sont d'abord ceux des Pyrénées, avantagés par les grands pacages souvent communaux. L'Aveyron et le Lot se distinguent aussi par les vastes causses calcaires peu exploitables par d'autres animaux ou d'autres cultures. La montée commerciale du fromage de Roquefort a contribué aussi à fixer les troupeaux grâce à la demande du lait, alors que les industries textiles anciennes à base de laine avaient presque toutes disparu en Rouergue.

77A la différence du troupeau bovin, donc, le troupeau des bêtes à laine a diminué entre le début et la fin de notre période d'étude. Sans doute le nombre d'exploitations concernées par l'élevage ovin a aussi baissé. Mais dans les régions où l'élevage est resté important, en particulier sur les franges montagneuses de relief difficile, le commerce est resté actif, la spéculation portant de plus en plus sur la préparation des animaux pour la boucherie, qu'il s'agisse de jeunes ou de vieux sujets. Ce commerce se fait pour l'essentiel encore, avant la Grande Guerre, dans les foires et marchés, suivant un rythme saisonnier variable selon les localités. Les mouvements saisonniers des troupeaux, bien que sur des distances moins grandes, animent toujours les transactions, les mois d'avril, mai, septembre et octobre étant particulièrement actifs.

Du cochon familial à l'élevage commercial

  • 113 H. D. Clout, The Land of France, p. 103. R. Brunet, Les campagnes toulousaines, p. 405. Brunet voi (...)

78Alors que le nombre de porcins a connu une forte augmentation au cours du XIXe siècle dans l'ensemble de la France, dans Factuelle région Midi-Pyrénées le mouvement a été nettement moins dynamique. Entre 1840 et 1892, cinq départements sur huit ont affiché des gains modestes tandis que trois autres ont enregistré une légère perte. Cette relative stagnation régionale témoigne, d'une part, d'une tradition déjà ancienne d'élevage porcin et, d'autre part, de la poursuite d'un élevage familial destiné surtout à l'autoconsommation113.

  • 114 A.N., F20 190, p. 214.

79En dépit du caractère peu spéculatif de l'élevage porcin, le commerce s'est développé autour du cycle de vie du cochon de la même façon que pour les bovins. Les transactions sont plus actives à deux moments, au sevrage et à la fin de l'engraissement. Des cochons sont vendus aussi jeunes et maigres ou à demi engraissés. Certaines régions se sont spécialisées dans la vente de porcelets, d’autres sont plus intéressées par la mise à l'engrais, soit pour la consommation familiale, soit pour la vente. Nous allons donc examiner, tour à tour, ces deux versants de l'élevage porcin. Les principales zones de reproduction couvrent une partie des départements de la Haute-Garonne, du Gers et des Hautes-Pyrénées, de la région de Cazères à l'est à Trie et à Miélan à l’ouest. Dans ces pays de coteaux, beaucoup d'exploitations élèvent une ou plusieurs truies reproductrices afin d'avoir des portées successives de porcelets que l'on garde jusqu'au sevrage (environ deux mois) avant d'en vendre la plupart. Ces très jeunes porcs sont achetés par des propriétaires ou des métayers afin d'assurer leur propre consommation. Déjà en l'an X, le Grand mémoire statistique de la Haute-Garonne constate la présence de beaucoup de truies dans les cantons de Boulogne, d'Aurignac et de L'Isle-en-Dodon114. A la fin du siècle, les autorités vétérinaires départementales signalent l'importance de ce type d'élevage :

  • 115 Procès-verbal des rapports du Conseil général de la Haute-Garonne, Toulouse, 1891, p. 459.

Dans les cantons de l'Isle-en-Dodon, de Boulogne, de Saint-Gaudens, etc., etc., il n'est pas si petit paysan qui ne possède une truie livrée à la reproduction, et souvent elle fournit le plus clair de ses revenus115.

  • 116 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 368 : monographie communale de Balesta. Ardouin-Dumazet, Voyages en Fran (...)
  • 117 Z. Baqué, Deux exploitations dans le Gers, pp. 55, 89-90. Voir aussi Notice sur le commerce des pr (...)
  • 118 Le cultivateur de l’Aveyron, du Cantal, du Lot et de la Lozère, 1890, extraits dans E. Baux, Agric (...)

80A Balesta, en 1885, l'instituteur évalue à 250 le nombre de porcelets vendus chaque année par les habitants de la commune ; en revanche, ils ne vendraient que 6 cochons gras. La vocation de pays « naisseur » s'étend à la région de Trie et de Miélan. L'infatigable voyageur de la IIIe République, Ardouin-Dumazet, cite l'important marché de Trie comme étant un grand centre du commerce des petits cochons que l'on expédie vers la gare de Miélan116. Dans ce petit bourg gersois, les porcelets se vendent par milliers à l'âge de 3 mois ; achetés par des intermédiaires, ils sont ensuite revendus dans les marchés du Gers et d'autres départements à des ménagères qui les mettent à l'engrais comme dans les deux exploitations étudiées par Z. Baqué vers 1930117. Si les deux grands marchés de porcelets sont certainement ceux de Trie et de Miélan, ils ne sont pas les seuls. A Cazères, au Fousseret, à L'Isle-en-Dodon, par exemple, ce commerce se fait sur une assez grande échelle. Et dans beaucoup d'endroits, selon les saisons, les porcelets apparaissent sur les marchés. A Cahors, la foire du 2 juin 1890 a vu l'apport de quelques 300 porcelets destinés aux exploitations des environs118. Dans le Rouergue, l'arrondissement de Villefranche est surtout le pays « naisseur » pour les autres parties du département. On remarquera qu'à la différence des espèces bovine et ovine, les porcins ne sont pas nés en montagne ; les cantons « naisseurs » sont plutôt dans les pays de coteaux, souvent caractérisés par un habitat dispersé et ayant des ressources alimentaires suffisantes pour nourrir des truies gourmandes : pommes de terre, navets, topinambours, maïs...

  • 119 Voir, par exemple, F. Pariset, La Montagne Noire, pp. 235-238.

81L'engraissement des cochons semble moins limité dans l'espace ; rares sont les endroits où les ressources et les traditions n’autorisent pas l'élevage d'au moins un cochon pour le saloir familial. Avec l’essor de la pomme de terre, même les zones de montagne assez pauvres arrivent à engraisser une bête119. Le recours au charcutier professionnel est longtemps resté exceptionnel en dépit d'une grande consommation de produits à base de cochon comme en témoigne le sous-préfet de Saint-Gaudens en 1826 :

  • 120 A.D. Haute-Garonne, 4 M 16 : enquête sur la boucherie et la charcuterie, 1826.

Le commerce de la charcuterie est de fort peu d'importance, parce que, dans toutes les contrées, il est d’usage que chaque ménage tue un ou plusieurs cochons, chaque année, pour sa consommation en graisse, lard et viande. Aussi, n'y a-t-il guère de charcutiers proprement dits120.

82Le rôle de l'autoconsommation est particulièrement important dans l'élevage des cochons et cela durant tout le XIXe siècle. Sur les petites propriétés, il est souvent question d’un seul cochon qui est consommé sur place. Dans les métairies, exploitées soit par des métayers, soit par des maîtres-valets, la participation au marché semble avoir été plus importante. Le rapport des inspecteurs d'Agriculture dans le Tarn vers 1840 est assez représentatif du système en vigueur dans le grand Toulousain :

  • 121 L'agriculture française, Le Tarn, pp. 397-398.

Il n'est pas une seule métairie du Tarn, quelque minime qu’elle soit, où Ton n'élève pas quelques porcs, soit pour être vendus au marché, soit pour être consommés dans l'exploitation. Ces animaux sont tenus, en général, à moitié perte et profit. Lorsqu'il y a 3 cochons sur un domaine, le propriétaire choisit celui qui lui convient le mieux, le métayer en prend un autre ; le troisième est vendu, et le prix qu'on en retire sert à repeupler la porcherie de jeunes élèves121.

  • 122 V. Fons, Les usages locaux de la Haute-Garonne, 3e éd., p. 28.
  • 123 Ibid., pp. 52-53.

83D'après V. Fons, auteur des Usages locaux de la Haute-Garonne, il en est de même dans le canton d’Aspet ; le troisième cochon est appelé de miègès, ce qui signifie de moitié dans le gascon local. L'argent de sa vente sert à acheter trois petits cochons lors des foires d'hiver122. Dans le Lauragais, le cochon vendu « sert à payer le pied déjà avancé par le maître ainsi que le pied de ceux qu'il faut acheter pour l'année suivante ». S'il reste un profit, il est partagé entre le propriétaire et le maître-valet123. Le cochon passe, donc, dans le circuit commercial au moment où il quitte le lieu de sa naissance ; il y repasse, peut-être, s’il fait partie des miègès qui financent les achats futurs. Il y a commerce, mais le côté spéculatif reste fort peu développé.

  • 124 H. Sablayrolles, Etude sur l'engraissement du porc dans la commune de Pexiora, Bulletin de la Soci (...)

84Grâce à un instituteur audois doté d'un sens de curiosité et d'observation certain, nous pouvons accéder à une forme d'élevage porcin bien plus spéculatif. De façon très fine, H. Sablayrolles a décrit l'engraissement du porc vers 1898 dans le village de Pexiora, commune située dans le Lauragais audois, au bord du canal du Midi et en pleine zone de la culture du maïs. Voici, en bref, comment les habitants font d'importantes affaires à partir de leur maïs et des cochons. Au mois de septembre, ils se rendent nombreux à la foire mensuelle de Cazères ou de Montesquieu-Volvestre. Ils y trouvent de très nombreux jeunes cochons à acheter, pesant environ 125 kg, ce qui représente la moitié du poids d'un porc engraissé. Chacun en achète entre 8 et 15 et jusqu'à 30 que l'on envoie par voie ferrée à la gare de Pexiora. Le travail essentiel consiste à les faire doubler de poids en trois mois en les nourrissant de maïs (8 hl par bête durant ce temps) et un peu de son. Les dépenses d’achat, de transport et d'engraissement s'élèvent à environ 188 francs ; le prix de vente du cochon gras étant d'un franc par kilogramme, soit autour de 225 francs, le bénéfice sur chaque bête se monte à 35 francs. Avec une dizaine de cochons mis à l'engrais, le profit pour l'exploitation peut atteindre 350 francs. La transformation du maïs en viande de porc se révèle très rentable à une époque où le prix des céréales souffre d'une mauvaise conjoncture nationale et internationale. Certaines familles cherchent à augmenter encore plus leurs bénéfices en transformant l'animal en charcuterie plutôt que de le vendre vivant dans les foires et marchés du voisinage. Cette industrie artisanale de salaisons fait croître la valeur ajoutée du produit. Les salaisons sont alors vendues dans le Bas-Languedoc aux viticulteurs de plus en plus spécialisés et de moins en moins producteurs d'autre chose que de vin. A Pexiora, à la fin du XIXe siècle, pour une bonne partie de la population, engraissement rimait avec enrichissement124.

  • 125 A.D. Aude, 14 M 100 : foires et marchés, arrondissement de Carcassonne, 1909.
  • 126 A.D. Haute-Garonne, 12 M 22 : foires et marchés, début XIXe siècle. Sur le calendrier du cochon, v (...)
  • 127 R. Béteille, la commercialisation des produits d'élevage dans le Ségala du Rouergue, D.E.S., Géogr (...)

85Le tableau des foires de l'arrondissement de Carcassonne en 1909 montre que beaucoup de petites communes à vocation viticole avaient obtenu la création de foires au mois de janvier, dont le principal, pour ne pas dire l'unique, commerce porte sur la vente de cochons gras aux populations locales. A Badens le 8 janvier, à Barbaira le 9, à Trèbes le 10, à Saint-Couat-d’Aude le 11, à Douzens le 12... des porcs gras nés autour de Cazères et élevés dans le Lauragais audois sont vendus à des viticulteurs pour qui cet achat est le signe d'un certain bien-être125. Ces foires audoises reflètent très exactement le calendrier des ventes de porcs gras dans toute la région. A partir de novembre, dès que le temps tourne à l’hiver, jusqu'à Mardi gras, les foires « grasses » sont nombreuses et importantes. L'élément climatique est déterminant : on ne peut tuer et préparer les salaisons que dans des conditions de froid suffisantes pour éviter tout accident de viande gâtée. Le calendrier du cochon est très similaire dans tous les pays où il figure en bonne place dans les régimes alimentaires. La limite du Mardi gras s'explique moins par le risque d'un redoux que par le calendrier chrétien. En effet, après le Mardi gras, le Carême, la période maigre de l'année ; il était difficile de concilier les festivités liées à la « fête du cochon » et les impératifs religieux propres au Carême. En revanche, la fin du Carême s'accompagne souvent de foires au « salé », où se vendent charcuteries sèches – saucissons, jambons – préparées au mois de janvier ou février. A Toulouse, par exemple, il y avait un marché au salé le jeudi saint et le lundi après Quasimodo et une foire au salé à la Saint-Orens (1er mai)126. Dans le bourg rouergat de Najac, la foire aux jambons était un des grands moments commerciaux de l'année ; tenue le 4 avril, elle attirait des marchands venus de loin et était le théâtre de ventes de centaines de jambons et d'une grande quantité de cochons127.

Chevaux, mules et ânes dans les échanges régionaux

86Dans une région où les bovins fournissaient l’essentiel de la force animale dans les travaux agricoles, quel pouvait être le rôle des chevaux, mules ou ânes ? Les chevaux avaient une place importante dans les transports, qu’il s'agisse des transports en commun d'hommes et de marchandises ou de transports individuels. On imagine mal, en effet, une grande famille toulousaine allant de la ville à sa résidence de campagne sur une charrette tirée par des bœufs. Ce qui était bon pour une famille de métayers en déménagement à la Saint-Martin ne pouvait convenir à une situation sociale plus ambitieuse. La possession d’un cheval que l'on employait lors des déplacements était donc un marqueur social limité à certaines couches plus aisées de la société. Ce qui était vrai au début du XIXe siècle, l’est devenu moins à la fin ; il semble qu’il y ait eu une démocratisation du cheval dans les campagnes du Sud-Ouest liée à une plus grande prospérité des cultivateurs et à l’accession au statut de propriétaire d'un plus grand nombre d'entre eux. Pouvoir atteler son cheval à la jardinière lors de la visite hebdomadaire au marché servait toujours de signe de distinction, mais à un niveau déjà plus modeste que par le passé.

  • 128 H. D. Clout, The Land of France, pp. 102-105.

87La relative démocratisation du cheval est soutenue par l'augmentation de ses effectifs entre 1840 et 1892, une croissance plus forte que dans le reste de la France. Dans l'ensemble du pays, le changement n'a pas dépassé 4 %, alors que dans notre région plusieurs départements ont vu le nombre de chevaux augmenter de plus de 40 %. Ce mouvement s'inscrit avec plus ou moins de force dans une large partie de la France au sud d'une ligne Normandie-Genève, là où la présence chevaline avait été moins forte sous l'Ancien Régime et au début du XIXe siècle. Une des raisons de ce progrès est l'extension de l'assolement triennal avec la possibilité de cultiver de l’avoine, principale ressource alimentaire pour les chevaux128.

  • 129 Baron Desazars de Montgaillard, Animaux et graines alimentaires produits dans la Haute-Garonne et (...)

88L'histoire des mules et des ânes, animaux sympathiques sans doute, mais presque toujours considérés moins nobles dans nos sociétés, montre une toute autre évolution. Pour les mules, le déclin est net ; dans tous les départements, la baisse des effectifs a dépassé 30 % et même 70 % dans le Gers et le Lot. Si le nombre d'ânes a augmenté dans l'Ariège, c'est bien là une exception ; partout ailleurs ce sont entre 5 % et 45 % des effectifs qui ont disparu. Selon M. Montgaillard, qui écrit en 1902, les mules et mulets étaient moins nombreux à cause des machines à battre qui se répandaient alors un peu partout et qui les remplaçaient. Les ânes ont mieux résisté dans les Pyrénées où ils étaient bien adaptés aux terrains en pente. On les utilisait également dans les transports pour tirer les petits véhicules qui sillonnaient les routes de marché en marché avec des chargements de lait, de volailles et œufs et de légumes129.

89La principale spéculation commerciale sur ces différents animaux fut pendant très longtemps la reproduction et vente de mules et mulets destinés en priorité au marché espagnol. Voici comment Casimir de Puymaurin décrit cette activité au tout début du XIXe siècle en Bas-Comminges, à la lisière des départements de la Haute-Garonne, du Gers et des Hautes-Pyrénées :

  • 130 C. de Puymaurin, Description topographique... L'Isle-en-Dodon, A.N., F20 190.

On tient dans les métairies un peu fortes une ou deux juments, elles sont de petite taille, on les tire du côté de Castelnau-Magnoac, on les donne au baudet pour obtenir des mules qui à 6 mois se vendent depuis 8 à 25 pistoles selon leur beauté130.

  • 131 Balguérie, Rapport sur le Gers, pp. 16-17.
  • 132 A N., F12 1255 B : foires et marchés, Gers.

90Ce serait donc une forme d’élevage réservée à ceux qui possèdent pas mal de ressources puisqu'il est question de « métairies un peu fortes », ce qui exclut la plupart des petits propriétaires. Au même moment, la Statistique du Gers de Balguérie parle, au contraire, des « petits propriétaires », pour qui une des principales ressources, en plus des petits cochons qu'ils élèvent, consiste dans les « mules ou mulets qu'ils vendent aux Espagnols, dès l'âge de 6 mois, ou un an, depuis 60 écus jusqu'à 60 pistoles »131. Quoi qu'il en soit, cet élevage de jeunes mules était déjà solidement implanté sous l'Empire. Pour donner une idée de son importance, voici des éléments recueillis par le préfet du Gers en 1815 et 1816, après les difficiles années de guerre entre la France et l'Espagne. Le 4 novembre 1815, à la foire de Mauvezin, on aurait vendu 600 mules et mulets de 6 mois à un prix moyen de 240 francs, soit 144 000 francs au total. Le 7 novembre, à Masseube, les ventes se seraient élevées à 400 mules de 6 mois et à 450 mules de 18 mois, le montant des transactions étant de 235 000 francs. Lors des deux mêmes foires en 1816, il y aurait eu 200 animaux vendus à Mauvezin et 1 000 à Masseube. Comme l'a écrit le préfet, « J'ai cru devoir faire connaître ces détails à votre excellence parce que le commerce des mules et mulets dans ce département est une des principales ressources et que nous devons sa vivification à l'heureux retour de la paix avec l'Espagne »132.

  • 133 Agriculture française, Haute-Garonne, p. 270.

91Une quarantaine d'années plus tard, selon les inspecteurs de l'Agriculture, l'élevage de mules se faisait toujours dans les vallées au pied des Pyrénées, avec, toujours, les Espagnols comme principaux clients133. La proximité de la frontière a permis aux éleveurs de la région d’avoir pour leur production mulassière un débouché qui n'existait plus sur le marché national.

  • 134 M. Bastié, Description complète du département du Tarn, t. 1, Albi, 1875, p. 239. Aussi : A.D. Hau (...)

92Ce commerce se faisait surtout dans les foires de l'automne, au mois de novembre en particulier. La « foire aux mules » était une véritable institution dans maintes localités, des Pyrénées-Atlantiques au Tarn et au Lot ; le commerce concernait tout le front pyrénéen sur une profondeur de plus de 200 kilomètres. Il était plus intense dans les départements des Hautes-Pyrénées, du Gers, de la Haute-Garonne et du Tarn. Les foires les plus réputées étaient celles de Masseube, Mauvezin et Lectoure (Gers) ; de Maubourguet, Rabastens et Castelnau-Magnoac (Hautes-Pyrénées) ; de Cazères, Boulogne, Saint-Béat, Montréjeau, Saint-Gaudens, Nailloux, Verfeil (Haute-Garonne) ; et de Lavaur, Puylaurens, Graulhet et Albi (Tarn). De grands marchés ou foires aux chevaux existaient également à Toulouse, Rodez et Tarbes, pour ne citer qu'eux. Les Espagnols écumaient la région, seuls ou avec des agents français qui les aidaient à négocier lors des transactions. Ce commerce a perduré jusqu'à la guerre d'Espagne, mais déjà dans la seconde moitié du XIXe siècle, les affaires marchaient moins bien selon plusieurs observateurs. Pour M. Bastié, s'agissant du Tarn, il fallait incriminer la création des voies ferrées, alors que pour l'instituteur de Montégut (près du Fousseret), c'était surtout un problème de mauvaises communications134. Il n'est pas impossible que la demande espagnole ait commencé à fléchir à cause de changements dans les techniques agricoles.

Oiseaux de basse-cour ou le commerce au féminin

  • 135 M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Flammarion, 1980, pp. 102-103. A. Fine, (...)

93Après les grandes bêtes, les petites. Après le champ de foire, la place du marché ou la halle. Après un monde où les hommes sont les plus nombreux, un autre où la place des femmes est prééminente. Dans les exploitations, les soins de la basse-cour appartiennent aux femmes le plus souvent. Cette responsabilité est récompensée par la possibilité de vendre des volailles au marché et d'en garder l'argent pour des dépenses diverses relevant du ressort féminin : épicerie, vêtements, articles de ménage, trousseau d'une fille135.

94Comme pour d'autres formes d'élevage, la basse-cour doit d’abord assurer une part de l'alimentation familiale. Lorsqu'il s'agit de métayers ou de maîtres-valets, elle subit également des prélèvements de la part du maître, souvent appelés « la rente ». A dates fixes dans l’année, les cultivateurs lui doivent poules, chapons, poulets, œufs, etc. Au début du XIXe siècle, sur une des métairies d'un noble toulousain, la rente était fixée ainsi :

  • 136 A.D. Haute-Garonne, 6 J 30 : fonds Pinsaguel. Etat des rentes, début XIXe siècle.

à la Saint-Jean :

– 15 paires de poulets

à la Toussaint :

– 15 paires de chapons et 24 canards

à la Noël :

– 15 paires de poules

aux mois de février, mars et juillet :

– 100 œufs par mois136.

95De telles redevances pesaient lourdement sur les capacités des employés agricoles de dégager un surplus commercialisable.

96Comme pour le cochon, il s'est développé une division de travail entre les pays « naisseurs » et les pays engraisseurs. Les inspecteurs d’Agriculture en tournée dans le Tarn vers 1840 ont pu voir déjà cette division fonctionner :

  • 137 Agriculture française, Tarn, pp. 410-411.

Le département du Tarn élève et engraisse, chaque année, un grand nombre d'oies et de canards. Cette spéculation constitue souvent trois branches particulières du commerce. Les uns font éclore les œufs et vendent les oisillons dès le premier âge ; les autres élèvent jusqu’à six ou sept mois ; après ce temps, les oies sont achetées par ceux qui doivent les engraisser137.

  • 138 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 574 : monographie communale de Montclar-Lauragais.

97Dans certains cas, les oiseaux ainsi engraissés étaient vendus, faisant l'objet d'une troisième vente avant l'ultime consommation. Les oisons et les autres très jeunes oiseaux ne pouvaient être transportés très loin, par conséquent les pays « naisseurs » se trouvaient un peu partout et non regroupés dans une seule zone écologique. A Montclar, dans le Lauragais toulousain, les ménagères étaient spécialisées dans l'élève d'oisons et de canetons qu'elles vendaient très jeunes138. Tout à fait à l'ouest du département, à Nizan, près de Boulogne-sur-Gesse, c'étaient des dindons et des oisons que vendaient les ménagères :

  • 139 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 159 : monographie communale de Nizan.

Les jours de marché à la ville voisine, les ménagères munies d'une cage légère uniquement préparée à cet usage, portent cette denrée au marché heureuses toutefois de s'en défaire, car les corbeilles occupées par celle-ci sont destinées à de nouvelles couvées... C'est là la principale occupation de nos ménagères139.

98Dans le nord-ouest du département, il en allait de même à Cabanac :

  • 140 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 175 : monographie communale de Cabanac.

Les oisons ne sont élevés qu'en très petit nombre dans la maison où ils sont nés, la plupart sont vendus, environ huit jours après leur naissance, sur les marchés de Cadours, de Beaumont, de Grenade, ou de Verdun-sur-Garonne, au prix de quatre, cinq et même six francs la paire140.

99Dans chaque département, il devait y avoir plusieurs communes spécialisées dans cet élevage de premier âge.

  • 141 A.N., F11 2697 (Ariège), 2702 (Haute-Garonne et Gers) et 2711 (Tarn) : enquête agricole de 1862, r (...)

100La prochaine étape, l'engraissement, se faisait presque partout, mais les zones d’élevage les plus intensives étaient celles où les ressources en grains étaient abondantes. L'enquête décennale de 1862, analysée à l'échelle cantonale pour les 4 départements du Gers, de la Haute-Garonne, de l'Ariège et du Tarn, montre clairement que la basse-cour est plus développée dans l'ensemble du Gers, dans le Bas-Comminges, le Volvestre, le Lauragais toulousain et tarnais et dans la basse vallée de l'Ariège qu'ailleurs. C’est surtout dans les cantons de montagne que la basse-cour se rétrécit de façon dramatique, surtout pour les oiseaux les plus exigeants : canards, oies et dindons. Les ressources alimentaires sont insuffisantes ; il n'est pas alors question d'acheter des grains pour nourrir des oiseaux. L'enquête fait ressortir l'extraordinaire capacité avicole du Gers, gros producteur de grains, assez faiblement peuplé, disposant de tous les éléments pour le développement de la basse-cour141. Les données fournies par l'enquête agricole de 1892 confirment à l'échelle départementale cette répartition géographique. Le Gers occupe la première place régionale dans l'élevage de poules et poulets et de dindes et dindons ; la Haute-Garonne mène dans l'élevage d'oies et de canards. Le Tarn-et-Garonne produit aussi un grand nombre d'oiseaux de basse-cour, poules, oies et canards surtout.

  • 142 Z. Baqué, Deux exploitations du Gers, p. 90.

101Le commerce des oiseaux et des œufs est étroitement lié aux marchés hebdomadaires et, à un degré moindre, aux foires. Prenons l'exemple des œufs. Selon les saisons, les poules pondent quotidiennement ou presque ; la fermière doit les ramasser régulièrement et les écouler assez rapidement pour éviter toute déperdition. Le rythme du marché hebdomadaire est donc mieux adapté qu'un rythme de foire mensuelle ou bi-annuelle. Dans les exploitations gersoises étudiées par Z. Baqué en 1930, les agricultrices apportent les œufs à Vic-Fezensac deux fois par semaine, surtout le vendredi, jour de marché. Là, les coquetiers les recueillent et les expédient vers les lieux de consommation142.

  • 143 Desazars de Montgaillard, Animaux et graines alimentaires..., p. 321 ; et Z. Baqué, Deux exploitat (...)

102Les poulets, poules et chapons sont l'objet d'un commerce plus ou moins intense selon les saisons. Les poulets se vendent plus nombreux au printemps, à l'âge de trois mois, à la suite des éclosions de la fin de l'hiver. Les poules entrent sur le marché à partir du mois de juin, car les fermières remplacent les vieilles par les jeunes. Comme dans d'autres formes d’élevage, les jeunes produits vendus sont majoritairement des mâles ; on n'en garde qu'un ou deux par génération pour devenir des coqs et un autre petit lot pour devenir des chapons. Le chaponnage a lieu vers le mois de septembre afin de les avoir prêts pour les fêtes de la fin d'année. Les chapons sont vendus plus chers que les poulets, mais il faut les nourrir pendant trois mois de plus. On trouve ces oiseaux sur quasiment tous les marchés de la région. Ils sont vendus vivants et le plus souvent par paires143. Les acheteurs sur les marchés sont de deux sortes. Il y a d'abord les consommateurs qui achètent en fonction de leur budget et des circonstances : fêtes familiales, festivités saisonnières. Ils subissent parfois la concurrence d'acheteurs professionnels, les volaillers, qui ressemblent beaucoup aux anciens blatiers. Ils sont fréquemment les agents de maisons de gros, notamment toulousaines ; ils circulent de marché en marché comme en témoigne cette description de la fin du Second Empire par Théron de Montaugé :

  • 144 Théron de Montaugé, L'agriculture et les classes rurales, p. 410.

Elles [les maisons de gros toulousaines] s'approvisionnent dans les foires et marchés par l'intermédiaire d'une foule de petits commissionnaires qu'on voit sillonner rapidement les routes, juchés au sommet des cages échafaudées sur leurs chariots et toujours en compagnie d'un fidèle chien loulou, qui n'a pas son pareil pour saisir et rapporter, sans les blesser, les poules saisies en flagrant délit d'évasion144.

103Comme d'autres intermédiaires, les volaillers ou coquetiers ont la réputation douteuse, voulant toujours acheter trop bon marché, prêts à finasser avec la pauvre cultivatrice n'ayant que son bon sens et sa ténacité comme défense. Les consommateurs sont aussi méfiants à leur égard, car ils peuvent vider un marché par leurs achats, ne laissant que les oiseaux de moins bonne qualité et trop peu nombreux aux acheteurs locaux. A la fin du XIXe siècle, de nombreuses communes réglementent l'accès aux intermédiaires dans un effort de protéger les acheteurs au détail.

  • 145 Z. Baqué, Deux exploitations du Gers, pp. 92-93. Desazars de Montgaillard, Animaux et graines alim (...)

104Les dindons, les canards et les oies sont aussi l'objet d’un commerce important dans la plupart des marchés. Les dindons et les dindes sont particulièrement recherchés à la fin du XIXe siècle à la Noël. On essaie de les faire naître en avril afin qu'ils soient prêts à la consommation au mois de décembre. Achetés dans les marchés locaux, ils sont expédiés vers les grandes villes et même à l'étranger, vers l'Angleterre notamment, grande consommatrice de dindes de Noël. En plus des marchés gersois, un grand nombre de dindes se vendent à Cazères, Carbonne et Montesquieu-Volvestre145. Les oies, dont une bonne partie est destinée aux confits pour la consommation domestique (le confit n'est pas encore un objet de commerce important), sont portées jeunes aux marchés du printemps ; adultes, à la fin de l'été ou au début de l'automne ; ou grasses, depuis la fin novembre jusqu'à Mardi gras. Les quantités vendues sont parfois impressionnantes. En 1912, plusieurs localités près de Toulouse ont fourni les renseignements suivants sur leurs foires. Pour la plupart de ces villages, la foire d'automne était la grande foire de l'année et concernait davantage les transactions sur les oiseaux de basse-cour que sur le grand bétail.

  • 146 A.D. Haute-Garonne, M 120 : foires et marchés, services sanitaires. Tableaux de 1912.

TABLEAU 11. VENTES DE VOLAILLE, RÉGION TOULOUSAINE, 1912146

Launaguet

15 octobre

1 000 oies amenées
500 oies vendues

Grenade

18 octobre

3 000 oies vendues

Fourquevaux

22 octobre

760 oies et dindons

Lanta

22 octobre

2 000 oies vendues
1 800 dindons vendus

Castelnau-d'Estretefonds

28 octobre

1500 oies

Castanet

29 octobre

1 500 oies
1500 dindons

Azas

2 novembre

822 oies
317 dindons

Montbéron

6 novembre

300 oies
1 000 dindons
60 canards
150 poulets

Vacquiers

11 novembre

60 oies
100 dindons

  • 147 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 251 : monographie communale du Fousseret.

105Malheureusement, nous ne possédons qu’une estimation vraisemblable des ventes sur un marché hebdomadaire : Le Fousseret vers 1885. Ces chiffres, proposés par l'instituteur, représentent la base de l’adjudication des droits de place de l’année147 :

TABLEAU 12. VENTES DE VOLAILLES AU FOUSSERET VERS 1885

TABLEAU 12. VENTES DE VOLAILLES AU FOUSSERET VERS 1885

106Ces ventes constituent pour les ménagères du canton un pactole important, même si individuellement les sommes sont bien plus modestes. Comme nous l’avons dit plus haut, cet argent est spécifiquement féminin. L’instituteur de Saint-Cézert l’affirme ainsi :

  • 148 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 288 : monographie communale de Saint-Cézert.

Ce sont les revenus spéciaux aux ménagères, les hommes n'y touchent pas. Volailles et lapins se transforment généralement en robes, fichus, rubans, dentelles et mille autres instruments de toilette ou ustensiles de ménage148.

107La basse-cour est parmi les rares activités qui leur rapporte de l'argent pour leurs propres besoins. Selon les régions, les revenus tirés de la basse-cour occupent néanmoins une grande place dans les revenus familiaux. Le Gers et la Haute-Garonne semblent particulièrement privilégiés à cet égard. L'aviculture a très certainement progressé au cours du XIXe siècle en réponse à la demande urbaine croissante, aux meilleurs moyens de transport qui font arriver œufs et volailles vivantes rapidement sur les lieux de consommation, à la mévente des céréales après la fin du Second Empire, à l’éloignement de la disette qui permet de consacrer une plus grande partie des grains à l'élevage. Mais, avant 1914, il s'agit toujours d'un élevage assez traditionnel, sans grandes concentrations d'oiseaux, toujours dans le cadre d'une assez forte autoconsommation et s'insérant dans des circuits commerciaux dans lesquels les foires et marchés occupent les premiers rôles.

*

108Les échanges de denrées agricoles sont certainement au cœur de l'économie des foires et marchés. Si le XIXe siècle marque l’apogée du commerce périodique dans la région toulousaine, c'est grâce à une production agricole plus forte, qu'il s'agisse de céréales ou d'animaux. Le commerce des grains a longtemps été le moteur de l'économie régionale ; même s'il ne joue plus ce rôle après le milieu du XIXe siècle, son activité reste soutenue dans les marchés locaux. Ce maintien pourrait s'expliquer par l'accession à la propriété de cultivateurs modestes ou par l'expansion de la moyenne propriété paysanne ; ces exploitations arrivent néanmoins à dégager des excédents même si ceux-ci sont modestes, trop sans doute pour intéresser le grand commerce qui travaille à l'extérieur des marchés physiques. Plusieurs sources soulignent le fait que les marchés de grains sont alimentés par les petits propriétaires, ce qui permet leur maintien. Ces grains sont achetés de plus en plus, à la fin du XIXe siècle, par des professionnels, meuniers, boulangers, marchands de grains, beaucoup moins par les particuliers comme cela avait été le cas avant la IIIe République.

109Le commerce des animaux, moins actif, semble-t-il, durant la première moitié du siècle, a pris son élan avec l’augmentation de la demande urbaine, le développement des moyens de transport et la mévente des céréales. Dans chaque branche d'élevage, aussi bien dans l'élevage des bovins que dans celui des oiseaux domestiques, on constate un mouvement similaire : une spécialisation certaine, le plus souvent en rapport avec l'âge et la destination finale. Il y a des pays « naisseurs », des pays éleveurs, des pays engraisseurs, des pays consommateurs. Certaines localités, certaines exploitations se consacrent à l'élevage des très jeunes animaux, parfois pour la boucherie, parfois en prévision d'une prochaine étape. Les animaux passent de ferme en ferme, de région en région, selon leur âge, leur sexe, les ressources locales, les débouchés. Ce n'est pas, stricto sensu, une nouveauté, les troupeaux ont toujours eu plus de mobilité que les grains, mais l'esprit commercial qui règne désormais semble plus affirmé.

110Dans une agriculture régionale, toujours très attachée à la polyculture et à l'autoconsommation, les échanges commerciaux ont néanmoins progressé sans pour autant bouleverser les structures établies. Un observateur qui aurait visité des fermes en 1800 et en 1900 aurait probablement vu des paysans moins obsédés par leur pain quotidien, se nourrissant de pain plus blanc et plus frais, consommant davantage de volaille et de charcuterie, vendant un peu plus de grains et bien plus d’animaux de toute sorte, les moutons exceptés (à part quelques pays bien précis). Il aurait vu des déplacements aux foires et aux marchés plus fréquents à la fois pour les hommes, occupés principalement à acheter et à vendre le gros bétail, et pour les femmes, maîtresses incontestées de la basse-cour. Ces changements sont venus, semble-t-il, progressivement, en particulier après le milieu du siècle et les dernières crises de subsistances. La modernisation de cette partie de la France rurale est loin d'être achevée, mais il faut reconnaître une incontestable montée de la place des échanges dans la vie économique.

Notes

1 Sur le métayage et les maîtres-valets dans l'agriculture toulousaine, voir les thèses régionales qui suivent : A. Armengaud, Les populations de l'Est Aquitain au début de l’époque contemporaine. Recherches sur une région moins développée (vers 1845-vers 1871), Paris, Mouton, 1961. R. Brunet, Les campagnes toulousaines, étude géographique, Toulouse, 1965. G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières, Paris, Cujas, 1975.

2 A.D. Haute-Garonne, J 47 :15 vendémiaire an VIII.

3 La statistique du Gers, Auch, an XIII, p. 195.

4 A. Durrieux, Monographie du paysan du département du Gers, Paris, Librairie agricole de la Maison rustique, 1866, pp. 106-107.

5 F. Pariset, Economie rurale. Industrie, mœurs et usages de la Montagne Noire, Paris, 1882 (nouvelle édition, Carcassonne, G.A.R.A.E., 1985), pp. 358-364.

6 Notice sur le commerce des produits agricoles, t. 1, Production végétale, art. Tarn, Paris, 1906, p. 343.

7 H. D. Clout, The Land of France, 1815-1914, pp. 33-37. Aussi, R. Brunet, Les campagnes toulousaines, p. 413 (tableau).

8 R. Sudries, Les subsistances dans l'Aveyron de 1787 à 1795, D.E.S., Univ. de Toulouse, 1948, p. 36.

9 A.D. Haute-Garonne, wU 4315 : juge de paix d'Aspet, 1809.

10 A. Combes et H. Combes, Les paysans français sous le rapport historique, économique, agricole, médical et administratif, Paris, 1853, p. 172.

11 A.D. Haute-Garonne Br 4° 111 : monographie communale de Cier-de-Luchon.

12 B. Mazières, Etude géographique de l'alimentation dans le département du Lot entre 1840 et 1880, Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, t. 25, 1954, pp. 294-295.

13 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 569 : monographie communale de Gardouch.

14 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 307 : monographie communale de Labastide-Paumès.

15 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 62 : monographie communale de Chein-Dessus ; Br 4° 58 : monographie communale de Pujos ; Br 4° 67 : monographie communale d'Arbon ; Br 4° 50 : monographie communale de Girosp.

16 Notice sur le commerce, t. 1, Haute-Garonne, p. 140.

17 G. Désert, Les paysans du Calvados, p. 397.

18 A.D. Hérault, C 2908.

19 A.D. Haute-Garonne, 12 J 76.

20 R. Forster, The Nobility of Toulouse in the 18th Century, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1960, p. 74-75.

21 A.D. Haute-Garonne, 6 J 30.

22 A.D. Haute-Garonne, J 51.

23 A.D. Haute-Garonne 4 M 58 : maire de Rieux au préfet, 31 janvier 1847. Sur Cazeing-Laffont, grand propriétaire terrien, voir J.-M. Minovez, Les mutations de la vie rurale à Montesquieu-Volvestre, 1830-1913, mémoire de maîtrise, Histoire, Toulouse-Le Mirail, 1988, pp. 85 et 245.

24 Archives privées appartenant à Monsieur Maurice Courpet, Montpezat-de-Quercy, et communiquées par sa fille Mademoiselle Evelyne Courpet. Je les remercie vivement.

25 Z. Baqué, Deux exploitations dans le Gers, Auch, 1932, p. 69.

26 A.D. Hautes-Pyrénées, 6 M 232 : 3 février 1847.

27 A.N., Fle III Haute-Garonne 9 : sous-préfet de Villefranche, 3 juin 1854.

28 Ibid. : sous-préfet de Muret au préfet, 3 novembre 1854.

29 A.D. Haute-Garonne, 12 J 76.

30 D. Higgs, Ultraroyalism in Toulouse, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1973, p 62.

31 A.D. Haute-Garonne, J 51.

32 Comptabilité du domaine des Prés, Montpezat-de-Quercy.

33 Sur la question des rythmes saisonniers des ventes, voir notre thèse, L'âge d'or des foires et des marchés. Commerce, politique et sociabilité dans le Midi toulousain, vers 1750-vers 1914, thèse, Histoire, Université de Toulouse-Le Mirail, 1989, pp. 152-157.

34 A.D. Aude, 9 M 108.

35 Ibid.

36 R. Brunet, Les campagnes toulousaines, pp. 347-349. Voir aussi Messieurs les inspecteurs de l'Agriculture, Agriculture française. Département de la Haute-Garonne, Paris, Imprimerie royale, 1843, pp. 55-59.

37 Gers : A.N., F11 353. Aude : Annuaire de l'Aude, Carcassonne, 1869, pp. 62-63. Tarn : G. Jacquenard, La culture intensive du blé dans le Tarn et les régions voisines, Albi, 1929, p. 136.

38 A.D. Haute-Garonne, wU 628 :14 mars 1861.

39 A.D. Haute-Garonne, wU 626 : 20 septembre 1863.

40 A.D. Hautes-Pyrénées, 6 M 232 : 3 février 1847.

41 G. Frêche, Etudes statistiques sur le commerce céréalier dans la France méridionale au XVIIIe siècle, Revue d'Histoire économique et sociale, XLIX, 1971, p. 192. Il cite les « Observations sur la déclaration du Roi, 26 septembre 1773 », Archives du canal du Midi, boîte 12.

42 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 409 : monographie communale de Saint-Léon, 1885.

43 A.D. Haute-Garonne, 12 J 76.

44 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 569 : monographie communale de Gardouch.

45 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 169 : monographie communale de Vignaux.

46 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 307 : monographie de Labastide-Paumès.

47 A.D. Haute-Garonne, 6 M 8 : sous-préfet de Villefranche-de-Lauragais au préfet, 23 mai 1812. Voir aussi G. Frêche, Etudes statistiques..., p. 37-38. Dans le tableau que l'auteur présente, page 37 (« Nombre de setters approximativement négociés sur les marchés du diocèse de Toulouse vers 1775 »), d'après l'enquête du subdélégué de Toulouse (A.D. Haute-Garonne, C 117), il donne comme droit de mesurage à Fronton, Montastruc et Bessières les sommes de 9 sols, 8 sols et 6 sols par setter respectivement. Les revenus annuels ainsi retirés sont de 78, 70 et 3 livres tournois, ce qui correspondrait à un nombre de setters allant de 173 et 175 pour Fronton et Montastruc à 10 seulement pour Bessières. Nous avons relevé aussi ces droits mais le taux n'est pas en sols par setier mais en deniers. Par conséquent, à Fronton et à Montastruc les quantités négociées s'élèveraient plutôt à plus de 2 000 setiers par an, quantités sans doute modestes, mais plus proches de la réalité. Cela cadre mieux avec les appréciations exprimées en 1764 lors d'une autre enquête sur les marchés aux grains : « Les marchés de Toulouse, Fronton, Villefranche et Auterive sont à proprement parler les seuls de ce diocèse où le commerce extérieur ait lieu, il sont abondamment pourvus... Le commerce intérieur s'étend tout au plus à 3 ou 4 lieues à la ronde. Le marché de Fronton fournit du côté de Grenade, Montauban et de Bas-Montauban... ». A.D. Hérault, C 2908.

48 En 1813, par exemple, les mercuriales de Villefranche n'ont enregistré la vente que de 2 362 hectolitres de blé ; durant les années 1825-1835, les ventes enregistrées oscillent entre 4 000 et 5 000 hectolitres par an. A.D. Haute-Garonne, 6 M 10-11, 6 M 25 et 27.

49 Sur le rôle des marchands dans la société occidentale, voir F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, t. 2, Les jeux de l'échange, Paris, A. Colin, 1979.

50 G. Frêche, Etudes statistiques..., 2e partie, Revue d'Histoire économique et sociale, XLIX, 1971, pp. 181-186, surtout le tableau, p. 183.

51 Ibid., pp. 184-192. Voir aussi sur les négociants à Castelnaudary à la fin de l'Ancien Régime et au début du XIXe siècle, E. Connac, Essai historique sur la ville de Castelnaudary, ms. inédit, A.D. Aude, 2 J 79, p. 104.

52 A.D. Aude, L 410 :14 août 1792.

53 E. Connac, Essai historique sur Castelnaudary, pp. 201-202.

54 R. Orcival, Dans les comptes d'un commerçant de grains fleurantin sous la Monarchie de Juillet, Bulletin de la Société archéologique du Gers, LXXXIIe année, 1981, 3e trimestre, pp. 295-303. Le paragraphe qui suit est fondé largement sur cet article. Il serait regrettable que ces livres comptables eussent disparu à la mort de M. Orcival, car il y aurait certainement bien d'autres renseignements à en tirer.

55 S. L. Kaplan, Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d'Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988 (traduit de l’américain par S. Boulonge), pp. 177-180.

56 R. Forster, The Nobility of Toulouse.

57 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 409 : monographie communale de Saint-Léon.

58 Baron Trouvé, Description générale et statistique du département de l'Aude, Paris, 1818, pp. 667-668.

59 R. Brunet, Les campagnes toulousaines, p. 355.

60 A.D. Haute-Garonne, L 4529.

61 S. L. Kaplan, Les ventres de Paris, p. 177.

62 H. Heurtebise, Le commerce du bétail et les marchands de bestiaux : approches ethnologiques et sociologiques, thèse de 3e cycle, Sociologie, Toulouse-Le Mirail, 1988, 2 vol.

63 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle, Toulouse, Eché, t. 2, p. 74. Le préfet des Hautes-Pyrénées soupçonne les marchands de grains, meuniers, boulangers, etc. de se rendre sur les petits marchés autour de Tarbes « dans le but de contribuer à élever le prix des denrées de manière à faire rejaillir cette hausse sur le grand marché » de Tarbes... (janvier 1854). Voir aussi A.N., F11 728 : Lot. En août 1817, un meunier lotois est condamné par le tribunal correctionnel de Cahors à 2 mois d'emprisonnement et à 1 000 francs d'amende pour avoir cherché par des manœuvres frauduleuses à opérer une hausse dans le prix des grains.

64 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 75 : monographie communale de Benque-d'Aurignac.

65 Pour un développement plus approfondi des tendances de la production régionale, voir notre thèse, L’âge d'or des foires et des marchés, pp. 135-152.

66 H. D. Clout, The Land of France, pp. 94-110.

67 J. Mulliez, Du blé, « mal nécessaire ». Réflexions sur les progrès de l'agriculture de 1750 à 1850, Revue d'Histoire moderne et contemporaine, XXVI, janv.-mars 1979, pp. 3-48.

68 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, Paris, Ed. M.-Th. Génin, Librairie de Médias, 1956, pp. 299, 629 et 849. P. Irlat, Le Donezan. Un type de « pays » pyrénéen, Bulletin de la Société languedocienne de Géographie, 1950, p. 63. G. Barbut, L'espèce bovine dans l’Aude, Carcassonne, 1896, pp. 22-23. A.N., F10 1671 B.

69 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, p. 847.

70 A.D. Haute-Garonne, 6 M 41 : rapport sur les charcutiers, arrondissement de Saint-Gaudens, 1er décembre 1826.

71 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 58 : monographie communale d'Estadens.

72 La Dépêche, 30 novembre 1901 et janvier-février 1903.

73 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 512 : monographie communale de Mane, 1885 ; A.D. Haute-Garonne, M 120 : foires et marchés, service sanitaire.

74 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 496 : monographie communale de Saint-Martory.

75 A.D. Haute-Garonne, 6 M 45. Journal de Saint-Gaudens, 1904 (50 semaines sur 52).

76 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 497 : : monographie communale d'Arnaud-Guilhem.

77 A.D. Haute-Garonne, J 747 : métairie de Coujoulet, commune de Revel.

78 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 577 : monographie communale de Renneville. Son collègue à Montclar s’est exprimé dans des termes presque identiques : Br 4° 574.

79 A.D. Haute-Garonne, 11 M 12 : statistique bovine de 1819.

80 J.-B. Goux, La race bovine garonnaise, 2e édition, Paris, La maison rustique, 1865. Sur les origines des bœufs au début du XIXe siècle, voir A.N., F20 190 : Grand mémoire statistique de la Haute-Garonne, an X. Sur la provenance des bœufs de travail dans le département de la Haute-Garonne vers 1850, A.D. Haute-Garonne, 11 M 21 : enquête sur le commerce des animaux, 1850-1851.

81 Cité par V. Fons, Les usages locaux de la Haute-Garonne, 3e éd., Toulouse, 1910, p. 104.

82 A.N., F10 1 764 : concours général, Ariège, 1901 (je dois la découverte de cette source à R. Hubscher. Qu'il en soit remercié).

83 J.-B. Goux, La race bovine garonnaise, p. 41.

84 Z. Baqué, Deux exploitations dans le Gers, pp. 55, 87-88, 154-156.

85 A.D. Haute-Garonne, 11 M 21 : statistique bovine de 1819.

86 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 230 : monographie communale de Couladère.

87 Observations sur les marchés de Verdalle, présentées par le maire de cette commune, le 15 mai 1842 (dans le fonds local des A.D. Tarn).

88 A.N., F121271 : an VI.

89 J.-B. Goux, La race bovine garonnaise, p. 61.

90 Rapport sur le service des épizooties en 1910, Rapport du préfet, Haute-Garonne, 1911, pp. 614-618. Statistique agricole annuelle, 1905 et 1906, A.D. Haute-Garonne, M 380.

91 Bourjade, Le Quercy, Le mouvement social, octobre 1894, p. 226.

92 E. Labat, En Gascogne, Revue des Deux Mondes, 1er août 1910, p. 651.

93 D’après les statistiques agricoles de 1840 et de 1892. Si l’on prend les chiffres de 1840 comme base de départ (100), l'indice pour la France en 1892 est de 140 alors que pour les 8 départements de notre aire, l'indice varie entre 105 (Ariège) et 135 (Haute-Garonne et Hautes-Pyrénées).

94 Ministère de l'Agriculture et du Commerce, Statistique de la France, Paris, Imprimerie royale, 1841.

95 C. de Puymaurin, Description topographique du canton de L'Isle-en-Dodon, mémoire manuscrit, A.N., F20 190 (avant 1807).

96 A.D. Hautes-Pyrénées, 7 M 51 : service vétérinaire, 1856.

97 H. Guilhamon, Journal des voyages en Haute-Guienne de J. F. Henry de Richeprey, t.1, Rouergue, Archives historiques du Rouergue, XIX, Rodez, 1952, pp. 91-92, 111-112, 203...

98 Ibid., t. 2, Quercy (voir les articles sur chaque localité citée).

99 Ibid., t. 1, p. 36.

100 G.-E. de Falguerolles, Contribution à l'analyse de l'économie agricole en Haut-Languedoc : le troupeau ovin en métayage au XVIIIe siècle, Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, t. 34, 1963, pp. 369-371.

101 A.D. Haute-Garonne, J 747 : métairie de Coujoulet, commune de Revel, 1820-1821.

102 Messieurs les inspecteurs de l'Agriculture, Le département du Tarn, Paris, 1845, pp. 391-392.

103 Ibid., pp. 393-395.

104 A.D. Haute-Garonne, J 51 : métairie à Puycasquier, 1828-1830.

105 Théron de Montaugé, L’agriculture et les classes rurales dans les pays toulousains, Paris, 1869, pp. 393-395.

106 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 484 : monographie communale de Valentine.

107 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 368 : monographie communale de Balesta.

108 A.D. Haute-Garonne, 6 M 45 : mercuriales ; Journal de Saint-Gaudens, 1904.

109 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, pp. 301-303.

110 Domaine des Prés, Montpezat-de-Quercy, Archives privées.

111 P. Quercy, Rapport, Bulletin de la Société agricole et industrielle du Département du Lot, 1907, pp. 159-160, dans E. Baux, Agriculture et vie rurale en Quercy au XIXe siècle, Cahors, Archives du Lot, Service éducatif, dossier no 3,1982.

112 Sur le recul de l'élevage ovin au XIXe siècle : R. Brunet Les campagnes toulousaines, p. 405. Théron de Montaugé, L'agriculture et les classes rurales dans les pays toulousains, p. 401. P. Dirat, Système de culture et assolement des terres fortes du département de la Haute-Garonne, Journal des propriétaires ruraux, 1889, p. 76. Pour un témoignage sur ce mouvement dans les Pyrénées, voir la monographie communale de l'instituteur de Chaum : A.D. Haute-Garonne, Br 4° 455.

113 H. D. Clout, The Land of France, p. 103. R. Brunet, Les campagnes toulousaines, p. 405. Brunet voit une augmentation, entre 1840 et vers 1900, pour les trois départements du Gers, de la Haute-Garonne et du Tarn-et-Garonne de presque 49 %. Pour ces mêmes départements, entre 1840 et 1892, nous avons trouvé une augmentation de 4 % environ. Est-ce raisonnable de conclure à une croissance fulgurante entre 1892 et les premières années de ce siècle ?

114 A.N., F20 190, p. 214.

115 Procès-verbal des rapports du Conseil général de la Haute-Garonne, Toulouse, 1891, p. 459.

116 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 368 : monographie communale de Balesta. Ardouin-Dumazet, Voyages en France, t. 40, Pyrénées centrales, Paris, Berger-Levrault, 1904, p. 183.

117 Z. Baqué, Deux exploitations dans le Gers, pp. 55, 89-90. Voir aussi Notice sur le commerce des produits agricoles, t. 2, Productions animales, Gers, pp. 203-205 : à Miélan, le commerce des porcelets porterait sur 1 000 à 2 000 animaux par semaine selon les saisons.

118 Le cultivateur de l’Aveyron, du Cantal, du Lot et de la Lozère, 1890, extraits dans E. Baux, Agriculture et vie rurale en Quercy, p. 167.

119 Voir, par exemple, F. Pariset, La Montagne Noire, pp. 235-238.

120 A.D. Haute-Garonne, 4 M 16 : enquête sur la boucherie et la charcuterie, 1826.

121 L'agriculture française, Le Tarn, pp. 397-398.

122 V. Fons, Les usages locaux de la Haute-Garonne, 3e éd., p. 28.

123 Ibid., pp. 52-53.

124 H. Sablayrolles, Etude sur l'engraissement du porc dans la commune de Pexiora, Bulletin de la Société centrale d'Agriculture de l'Aude, 1899, pp. 36-47. Je dois cette référence à Daniel Fabre et Claudine Fabre-Vassas. Pour bien comprendre la place du cochon dans la société languedocienne, voire européenne, il faudra consulter l'ouvrage de C. Fabre-Vassas, La bête singulière : le porc dans les sociétés pyrénéennes, à paraître.

125 A.D. Aude, 14 M 100 : foires et marchés, arrondissement de Carcassonne, 1909.

126 A.D. Haute-Garonne, 12 M 22 : foires et marchés, début XIXe siècle. Sur le calendrier du cochon, voir par exemple, D. Fabre et J. Lacroix, La vie quotidienne des paysans du Languedoc au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1974, pp. 211-213 ; et surtout l'ouvrage de C. Fabre-Vassas, la bête singulière. Pour une autre région où le calendrier se prolonge davantage vers le printemps, voir : Y. Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979, pp. 24-41.

127 R. Béteille, la commercialisation des produits d'élevage dans le Ségala du Rouergue, D.E.S., Géographie, Univ. de Toulouse, 1960, pp. 48-49.

128 H. D. Clout, The Land of France, pp. 102-105.

129 Baron Desazars de Montgaillard, Animaux et graines alimentaires produits dans la Haute-Garonne et susceptibles d'être exportés, Journal des propriétaires ruraux, 1902, p. 319. Voir aussi : E. Baux, Agriculture et vie rurale en Quercy au XIXe siècle, p. 158.

130 C. de Puymaurin, Description topographique... L'Isle-en-Dodon, A.N., F20 190.

131 Balguérie, Rapport sur le Gers, pp. 16-17.

132 A N., F12 1255 B : foires et marchés, Gers.

133 Agriculture française, Haute-Garonne, p. 270.

134 M. Bastié, Description complète du département du Tarn, t. 1, Albi, 1875, p. 239. Aussi : A.D. Haute-Garonne, Br 4° 254 : monographie communale de Montégut.

135 M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Flammarion, 1980, pp. 102-103. A. Fine, A propos du trousseau : une culture féminine ?, Une histoire des femmes est-elle possible ?, sous la direction de M. Perrot, Marseille, Rivages, 1984 pp. 168-170.

136 A.D. Haute-Garonne, 6 J 30 : fonds Pinsaguel. Etat des rentes, début XIXe siècle.

137 Agriculture française, Tarn, pp. 410-411.

138 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 574 : monographie communale de Montclar-Lauragais.

139 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 159 : monographie communale de Nizan.

140 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 175 : monographie communale de Cabanac.

141 A.N., F11 2697 (Ariège), 2702 (Haute-Garonne et Gers) et 2711 (Tarn) : enquête agricole de 1862, récapitulations cantonales.

142 Z. Baqué, Deux exploitations du Gers, p. 90.

143 Desazars de Montgaillard, Animaux et graines alimentaires..., p. 321 ; et Z. Baqué, Deux exploitations du Gers, pp. 90-91.

144 Théron de Montaugé, L'agriculture et les classes rurales, p. 410.

145 Z. Baqué, Deux exploitations du Gers, pp. 92-93. Desazars de Montgaillard, Animaux et graines alimentaires..., pp. 321-322.

146 A.D. Haute-Garonne, M 120 : foires et marchés, services sanitaires. Tableaux de 1912.

147 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 251 : monographie communale du Fousseret.

148 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 288 : monographie communale de Saint-Cézert.

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Titre TABLEAU 12. VENTES DE VOLAILLES AU FOUSSERET VERS 1885
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