« Apprendre à devenir un observateur de terrain pose le même problème qu’apprendre à vivre en société. Il faut donc savoir faire assez de paris judicieux en se fondant sur l’expérience pour se mettre socialement en situation d’acquérir plus de savoir et d’expérience, qui seront le point de départ de nouveaux paris judicieux qui donneront accès à une situation meilleure, et ainsi de suite » (Hughes, 1996 : 279).

1L’enquête s’intéresse aux danseurs et chorégraphes qui font œuvre dans des lieux inhabituels, loin des parquets de danse, des miroirs des studios et donc loin des salles de spectacle organisées autour d’un dispositif scénique à « l’italienne »1. Sur les terrains de la création chorégraphique « hors les murs » les danseurs peuvent s’engager dans des espaces détournés, comme des parvis d’églises, des musées ou des galeries, en passant par des places ou des jardins publics, des centres commerciaux ou des gares… La manière dont les artistes s’approprient ces espaces et la démarche de création qui y est associée résultent d’une construction sociale et spatiale. En analysant les expériences urbaines jalonnant les parcours individuels des artistes, nous pouvons avoir accès à leurs « processus de spatialisation » (Brunaux, 2010), c’est-à-dire aux formes et aux séquences d’agencement de leurs procédés d’écriture motrice. Comment l’espace urbain fait corps chez ceux qui se produisent hors des lieux institués ou légitimes de production ? Comment les effets de contexte participent de la construction de leur démarche artistique ? Quels sont les liens qu’ils ont développés entre leurs inscriptions dans la ville au cours de leur parcours biographique et leurs démarches chorégraphiques ?

2En mobilisant l’approche ethnographique, ce chapitre met en relation la part sensible et émotionnelle de la construction identitaire des artistes et les contextes sociaux et spatiaux qui permettent ses agencements et réagencements. L’enjeu pour le chercheur est alors de proposer différentes procédures d’engagements, au plus près des acteurs, pour identifier ce qui fait expérience urbaine pour chacun d’entre eux. La méthodologie de recueil de données s’est alors étoffée d’une analyse de parcours de ville, enrichissant l’entrée dans le monde quotidien des artistes. Nous avons ainsi parié, pour reprendre Hughes, qu’en « faisant lieu » avec les acteurs, nous nous mettrions socialement en situation et pourrions avoir accès à leurs expériences passées pour comprendre leurs engagements dans l’in situ. La mise en relation des matériaux récoltés soutient alors la réflexivité du chercheur sur ses procédures de distanciation et d’engagement, dans un mode de présence multi située et simultanée sur le terrain.

CONTEXTES DE PRATIQUES ET PRATIQUES DES CONTEXTES

3Les investissements des artistes dans l’espace public peuvent découler d’opportunités de travail (Menger, 2005). Ainsi, les dimensions urbaines vont forcément s’immiscer dans les démarches chorégraphiques des danseurs et changer leurs modalités de pratique de l’espace par rapport à des scènes plus conventionnelles. Ce n’est pas parce qu’un danseur se produit dans un espace public que de nouveaux usages spatiaux et sociaux apparaissent. Par contre, les chorégraphes qui pérennisent leurs investissements dans des expériences chorégraphiques urbaines en recherchant toujours différentes formes d’action ont développé une sensibilité singulière à la spatialité. En fonction de leurs « attachements2 » (Hennion, 2004) à l’espace, et de leurs profils sociologiques, ils vont se servir des lieux urbains de manière différenciée. La ville s’envisage alors comme une scène urbaine stimulant la réciprocité des usages par le jeu entre des rapports aux corps, aux « Autres » et à l’art que les acteurs se sont construits au cours de leur socialisation, et qui sont susceptibles de se réagencer au cours de l’action. Dans ce sens, l’expérience de l’in situ porte en elle des contraintes extrinsèques et intrinsèques à la situation.

Entrer sur le terrain par un dispositif artistique in situ

4Nous avons étudié le dispositif fabriqué par des danseurs de hip hop qui se retrouvent tous les dimanches soir sur le site de la Gare Matabiau à Toulouse. Haut lieu de rencontre connu et reconnu par les danseurs toulousains, la place où les danseurs s’affichent se situe dans les sous-sols, entre la sortie de la bouche de métro et les couloirs conduisant à la gare. À gauche de l’espace de danse se trouvent quatre distributeurs de billets de train, le long du mur. À droite, se détachent d’autres éléments urbains participant à délimiter un demi-cercle : au fond, deux distributeurs de boissons et de produits alimentaires et un photomaton ; en avant du demi-cercle, contre le mur, une cabine téléphonique. Au fond à droite, un espace circulaire cache une prise permettant le branchement du magnétophone. Enfin deux poteaux en tôle délimitent une scène plus en avant. L’enquête sur le site s’est déroulée sur une période de sept mois, ce qui fut un atout pour affiner la description spatiale puisque les manières d’investir l’espace de pratique changent en fonction des profils de danseurs et des séquences d’observation. Nous avons pu progressivement relever certains détails relatifs à l’appropriation symbolique du lieu et qui influencent le comportement corporel des danseurs. Ainsi, les baies vitrées cloisonnant les deux espaces entre la place et la bouche de métro nous ont conduite à souligner l’importance du mobilier urbain pour les danseurs car ce sont autant de miroirs où ils peuvent se regarder pour valider leurs postures. Certains danseurs de hip hop combinent leurs ressources corporelles aux ressources spatiales, en jouant avec les matériaux urbains mais ils les combinent aussi de manière symbolique, comme une marque de territorialisation collective du site. En effet, les impacts de pieds sur les poteaux en tôle sont autant d’empreintes matérialisant une forme d’appropriation spatiale lorsqu’ils ont quitté l’espace de pratiques.

5Les interventions chorégraphiques à la gare, en tant que lieu de passage, sont également riches en interactions sociales. Nous avons étudié les effets du mouvement des spectateurs sur les trajets des danseurs en relevant les avancées, les reculs, les évitements, les détours qu’ils provoquent chez eux mais aussi les arrêts, les reprises, les modifications de déplacement dans les activités corporelles quotidiennes des spectateurs, également influencés par les comportements des danseurs dans un mouvement réciproque. En fonction des enjeux situationnels éprouvés, les danseurs mobilisent de manière différenciée leurs ressources corporelles, relationnelles et communicationnelles. Par exemple, les comportements et les attitudes des danseurs à la gare peuvent se transformer très rapidement en fonction des statuts des spectateurs. Lorsque ceux-ci sont des groupies, les danseurs s’affichent dans l’espace de danse comme dans un entraînement ou un show, répétant des phrasés moteurs efficients et techniques afin de les impressionner par leurs prouesses techniques. Lorsqu’un chorégraphe de hip hop réputé se déplace sur le site, les modalités se transforment en défi, articulant des séquences corporelles apprises par cœur et des séquences improvisées in situ soulignant leur faculté d’adaptation. Si les passants sont des usagers de la gare allant rejoindre les quais, le jeu consiste corporellement à les interpeller, dans un souci de communication autour d’un ballet de rapprochement et d’éloignement à la limite du cercle de danse sur « la frontière qui sépare les coulisses de la scène » (Joseph, 1984 : 98). Le « faire public » est intrinsèque aux situations que nous étudions, véritable dialectique entre les dimensions spatiales et les dimensions sociales. Les propositions chorégraphiques sont des productions fluides, sources d’une combinatoire reliant les engagements d’une pluralité d’acteurs.

Effets de contextes et réciprocités spatiales et sociales

6Les effets de contextes influencent le caractère spatial de la réciprocité qui se déploie autant dans l’utilisation des caractéristiques morphologiques de l’espace que dans la gestion de la mise à distance du public. Les observations notent alors des comportements très différenciés des acteurs en présence dans le dispositif spatial. Leurs actions sont faites d’« engagements situationnels finalisés », c’est-à-dire « au sens où, quelle que soit leur intention de s’engager dans les situations, les individus règlent leur conduite en fonction de l’idée qu’ils se font de ce qui doit ou ne doit pas s’y produire » (Hannerz, 1983 : 134). En travaillant dans l’in situ, le chercheur modélise alors un ensemble de facteurs susceptibles de transformer la teneur des engagements des danseurs.

7Nous considérons le cercle de danse comme un « marqueur de relations », c’est-à-dire un espace qui a pour fonction « de manifester et de poser la revendication d’une partie à un territoire » (Goffman, 1973 : 193). Lorsque le danseur investit une zone au centre de la figure du cercle de danse il annonce un dialogue gestuel et le cercle devient un « marqueur central » (op. cit. : 55) de relation. Mais il peut aussi être « frontière » lorsque les acteurs se situent sur la périphérie du cercle, dans un jeu de rapprochement et d’éloignement en fonction des enjeux situationnels. Les formes de réciprocité spatiale et sociale portées par la situation peuvent alors se combiner et, dans certains contextes, également perturber les identités professionnelles de certains acteurs institutionnels de la ville dans un face à face avec les autres protagonistes. Lorsque l’anonymat est levé, la forme objective de l’identité, le statut social du sujet, s’active dans la situation et joue sur la teneur de son engagement. Dans certains contextes, l’identité professionnelle pèse davantage que l’identité culturelle et peut empêcher les acteurs de dévoiler leur sensibilité. Il peut y avoir des tensions entre le versant subjectif de l’identité et le versant plus objectif. Certains danseurs peuvent refuser la réciprocité et d’autres au contraire s’y adosser. Dans un cas, il y a renforcement identitaire et dans l’autre cas un possible remaniement identitaire. L’analyse ethnographique permet alors de relier des logiques d’action dans des micro situations à des processus sociaux de légitimation plus larges (Buscatto, 2010).

8Ainsi, passer par une modélisation des formes de réciprocité conduit le chercheur à mieux appréhender le poids des effets de contextes sur les processus de spatialisation3 des acteurs en présence. Par là-même, en analysant les formes de corps et les trajets moteurs proposés par les danseurs dans les expériences in situ, l’étude a relevé des liens entre leur propension à improviser à partir des aléas spatiaux et relationnels et les rapports aux corps construits au cours de leur socialisation. Les danseurs qui ont appris la danse très tôt en incorporant les codes classiques ou contemporains légitiment la technicité dans l’écriture de danse, les « belles formes », et ne vont en général pas s’investir dans des dispositifs « hors les murs ». Les rapports au corps que les acteurs se sont construits sont essentiels pour comprendre comment et pourquoi ils s’engagent ou ne s’engagent pas dans des expériences de réciprocité spatiale et sociale. Les effets de contexte intrinsèques aux dispositifs spatiaux activent les enjeux identitaires des protagonistes de l’événement, dans leur manière de « faire public », de « faire lieu », dans leurs usages corporels et sociaux en créant des tensions entre le versant subjectif de l’identité et son versant plus objectif.

PARCOURS DE VILLE : POUR UNE ETHNOGRAPHIE MULTISITUÉE

9Lorsque l’artiste envisage son projet il va marquer ses objectifs, les moyens et les mises en œuvre, et essaie de les articuler avec les perspectives des programmateurs et les contraintes organisationnelles définissant le « cadre structurel » dans lequel se déploient les propositions chorégraphiques. À côté de ce cadre orientant les formes de relations entre commanditaires et artistes, il existe d’autres cadres au plus près des acteurs. Lorsque le danseur met en mouvement un simulacre de relations avec le public – rapprochement, éloignement, jeu de regards… cela fait partie de sa composition. Lorsque les interactions avec le public le conduisent à transformer sa composition, il n’est plus sur la même « frange » de cadre (Goffman, 1991 : 91), et il peut influencer le changement de cadre d’autres participants. En effet, les activités de cadrage vont aussi dépendre de la perspective, du schème donné par l’acteur pour circonscrire la situation et cette activité peut se transformer selon les moments d’analyse du projet. En fonction des logiques d’acteurs certains schèmes persistent et les « cadres primaires », les cadres sociaux qui permettent aux acteurs d’accorder du sens à la situation donnée, se renforcent, alors que d’autres se transforment, se remodalisent, résultat du compromis entre les éléments objectifs des cadres structurels et les éléments subjectifs des « cadres de l’expérience » (op. cit.). Nous avons vu que les phénomènes imprévus intrinsèques aux événements in situ impulsent des réajustements comportementaux, ce qui conduit à l’apparition de nouvelles activités de cadrage chez certains acteurs qui vont aussi faire contexte puisqu’ils vont le transformer. Ces réajustements dépendent des rapports aux corps, aux « Autres » et à l’art qu’ils se sont construits au cours de leur socialisation. Pour comprendre pourquoi et comment certains acteurs sont plus capables que d’autres d’ajustements et de réajustements, de combiner différemment leurs ressources corporelles, relationnelles, communicationnelles au cours de l’action, il est alors nécessaire d’analyser leurs activités de cadrage dans plusieurs situations en les comparant, et de remonter leur parcours individuel afin de saisir le poids de leurs expériences de mobilité spatiale et sociale sur la construction de leurs cadres d’action. Nous empruntons alors une démarche ethnographique multisituée car articuler les effets de contextes aux productions de cadres suppose de penser l’analyse de façon simultanée en étudiant leurs comportements sur les sites qu’ils ont traversés au cours de leur socialisation et sur les sites où ils se produisent aujourd’hui. Les terrains d’enquête in situ nous ont ainsi conduite dans les parcours de ville de certains danseurs.

Du déplacement à l’alignement des cadres

10Nous les avons suivis dans leurs quartiers successifs d’habitation, sur les sites où ils avaient pu danser en reliant leur cheminement chorégraphique à la perception des espaces habités et investis au cours de leur carrière. Nadi est une danseuse de hip hop de vingt-deux ans. Lorsqu’elle danse à la gare, elle ne s’appuie pas sur la réciprocité spatiale et sociale. Les spectateurs étrangers au groupe ne l’intéressent pas, elle ne les voit pas. Seule compte son appartenance au groupe de pairs. Pour comprendre les ressorts de ses engagements, nous avons rencontré la jeune fille au café de la gare, à proximité du cercle de danse. Elle s’est attardée sur son apprentissage de la danse, sur les rapports avec les autres danseurs de hip hop et sur sa place dans le groupe. Elle restait évasive quant à son enfance, à son histoire de vie. À la fin de l’entretien, nous n’avions finalement que très peu d’informations par rapport aux données récoltées chez d’autres danseurs. Nous proposons alors de la ramener chez elle en voiture. C’est alors que nous avons fait basculer les propos de Nadi en changeant le cadre de notre entrevue. En la raccompagnant, nous avons créé plus de proximité entre nous et la traversée de la ville a délié ses souvenirs. Elle a fait tomber son masque et dépassé les propos surfaits et fabriqués qu’elle servait lors du premier entretien au sociologue comme à un journaliste, en nous donnant cette fois-ci davantage accès aux aspérités de son adolescence. En nous dirigeant vers un quartier relégué de Toulouse, nous avons pu relier lieu de vie et investissement dans la danse. Dans la proximité de l’habitacle de la voiture, elle commence à nous montrer les lieux où elle voyait les danseurs s’entraîner quand elle était adolescente. Elle parle de son étonnement face aux formes de corps qu’ils étaient capables de développer, de son enthousiasme quant à leur cohésion, à leur soutien mutuel et à leur persévérance. Les ressources que Nadi sollicite sur le site de la gare sont essentiellement corporelles et relationnelles c’est-à-dire qu’elle légitime la technicité des formes de corps, supports de reconnaissance face au groupe de pairs. Les liens entre les ressources sollicitées par Nadi lorsqu’elle danse à la gare et les rapports aux autres et au corps qu’elle s’est construite au cours de son parcours socialisateur deviennent plus explicites pour le chercheur dans la mesure où il mobilise plusieurs formes de recueil de matériaux pour les analyser.

11En effet, les parcours de ville sont riches en informations à partir du moment où ils sont combinés à d’autres approches méthodologiques. Des relations s’installent entre enquêteur et enquêtés et les amènent à définir un premier cadre commun d’engagement dans la mesure où les relations entre celui qui observe et celui qui est observé sont indissociables. Par la suite, les entretiens, la circulation sur les terrains chorégraphiques et les parcours de ville conduisent le sociologue à repérer des changements de cadres chez les enquêtés, en fonction de la nature de la situation d’échange et de l’imbrication des formes d’action. Le chercheur croise les données, identifie les récurrences sociales, de comportements, d’attitudes, de postures, de discours qui se détachent dans les changements d’usages, rendant saillantes les étapes de construction des processus de spatialisation. Il les repère car il arrive progressivement à aligner ses propres activités de cadrage sur celles des acteurs en fonction des contextes traversés. Dans les parcours de ville, de plus en plus de proximité entre les catégories de perception et d’appréciation du chercheur et des acteurs sur le terrain enrichissent les échanges dans le partage des expériences (Roulleau-Berger, 1999).

Construction identitaire et regards multisitués

12La complexité des activités de cadrage et la faculté chez certains acteurs de changer de cadres dans des contextes de réciprocité spatiale et sociale par rapport à d’autres qui ne le font pas relèvent aussi du processus de construction identitaire. La façon dont les acteurs participent aux interactions dans l’espace urbain dévoile, en quelque sorte, la manière dont ils assument les attitudes de leur groupe social d’appartenance. Certains acteurs qui éprouvent des difficultés communicationnelles en refusant les interactions dans des situations in situ, doivent souvent résoudre une forme de conflit entre l’« autrui-généralisé » (Mead, 1963) qu’ils se sont construits au cours de leur socialisation et la reconnaissance d’un autre « autrui » parfois contradictoire auquel ils sont confrontés, pouvant mettre en péril leur « je ». Leurs engagements dépendent de leurs activités de cadrage qui résultent de leurs itinéraires biographiques ; or, ces itinéraires sont des instruments de reconstruction de l’identité favorisant les réagencements identitaires (Roulleau-Berger, 2004).

13Dans le cas de Nadi, seuls comptent les regards des autres danseurs de la gare. Chez elle, les formes de reconnaissance dans le hip hop participent à forger une identité sociale, tout en renforçant son identité individuelle, et lui permettent aussi de véhiculer une identité collective dans la mesure où elle est considérée comme membre à part entière dans le groupe des danseurs. Le groupe concourt de manière subjective à une reconstruction objective de la réalité sociale (Berger et Luckman, 1996). La trajectoire originale et personnelle de la jeune fille s’est révélée lorsque nous avons entamé avec elle un parcours de ville. Les lieux, chargés de souvenirs, ont mis en exergue les formes de sociabilité et de reconnaissance prégnantes dans son parcours de vie. C’est en passant devant son immeuble qu’elle s’est attardée sur ses liens familiaux et nous a donné accès aux formes subjectives de reconnaissance. Elle s’est alors étendue sur les rapports avec son père, qui n’aurait pas accepté qu’elle danse et encore moins dans la rue. En choisissant de se produire à la gare Matabiau elle revendique son identité et le choix d’une pratique métissée et masculinisée devient hautement symbolique en réaction aux rôles inculqués aux femmes dans son milieu maghrébin d’origine.

14Contrairement à Nadi qui reste enfermée dans une vision communautaire de la danse où les danseurs sont des « adeptes », il arrive que des danseurs soient capables de changer d’attitude au cours de performances chorégraphiques urbaines quels que soient les mondes sociaux en présence. En observant les comportements et attitudes de Sam à la gare Matabiau, nous avons relevé que ses écritures motrices s’adossaient à la double réciprocité spatiale et sociale en potentiel dans la situation. Il peut ainsi activer différentes facettes identitaires en fonction de la lecture de la situation finalisée et du rapport à l’autre qu’il y projette. Comme le processus de construction sociale est intrinsèquement relié à une reconnaissance de l’autre (Mead, op. cit.), nous avons cherché les moments saillants dans son parcours de vie qui l’avaient confronté aux regards d’individus appartenant à d’autres mondes sociaux. Nous l’avons suivi en bas de son immeuble, dans les cages d’escaliers, sur les parvis, dans des friches urbaines. Nous avons remonté son histoire en reconstruisant ses trajets à travers les places de ses premières performances dansées. En notre présence, il a retrouvé l’enthousiasme de ses débuts et les souvenirs d’une période faste où tout était possible, et où les performances corporelles engendraient des performances sociales. En effet, les figures qu’il fabriquait à l’abri des regards s’éprouvaient dans un deuxième temps dans un espace public du centre ville (souvent au Capitole, place centrale dans la ville). Les performances étaient données en partage aux spectateurs et les comportements de ceux-ci, les mouvements de recul ou d’évitement ou encore de rapprochement, influençaient en retour ses écritures motrices, ses trajets de corps qui inventaient autant de nouvelles traces que les « combinaisons d’actions réciproques » (Strauss, 1992) étaient riches. En accompagnant les danseurs dans des parcours de ville, le chercheur caractérise aussi leurs discours sur les rapports au corps et aux autres à partir du sens situé des paysages sociaux qu’ils traversent. Les « récits de ville » font parler les lieux et révèlent chez les acteurs certains aspects de la structure et de la vie de leur société (Roulleau-Berger, op. cit. : 236). Ce sont les associations entre des sites et des contextes sociaux qui définissent les « espaces ethnographiques configurés » (marcus, 2010 : 390). La multiplicité des regards sur les expériences multi situées des acteurs conduit à comprendre comment s’articule la construction de la corporéité et de la sociabilité chez les danseurs de l’urbain.

ENGAGEMENTS COMBINÉS ET LANGAGES EN ACTES

15L’espace de création chorégraphique est une véritable « membrane » (Joseph, op. cit.) où respire le social, où les informations circulent, s’échangent et provoquent des réactions. Les spectateurs de l’urbain n’appartiennent pas tous à l’univers artistique, même s’ils participent aux « mondes de l’art » (Becker, 1988). Lorsque les espaces de fabrique s’ouvrent, les acteurs qui s’y croisent ne se rattachent pas tous aux pratiques de danse puisqu’ils peuvent appartenir aux différents mondes sociaux : les mondes des étudiants, des festivaliers, des commerçants, ou encore des habitants du quartier… En se rencontrant, les acteurs de l’urbain contribuent à influencer la nature des échanges, puisque les différents mondes en présence s’imbriquent à un moment donné dans celui de la danse4. Les danseurs peuvent redevenir spectateurs le temps d’un trajet comme certains spectateurs peuvent endosser le rôle d’acteur, voire de danseur dans certaines situations interactives. Or, lorsque les rôles des danseurs se brouillent avec ceux des spectateurs, ils favorisent l’émergence de « formes de sociabilités » (Rémy, Voyé, 1992) et d’écritures collectives de formes de corps. Les participants peuvent alors contribuer à hybrider les gestuelles et à irriguer le spectacle vivant de trajets moteurs imprévus, de déplacements improvisés, car le processus de réciprocité provoque des phénomènes spontanés. L’analyse des engagements conduit alors le chercheur à envisager les processus de spatialisation des acteurs comme des langages en actes, des écritures motrices révélant la nature de leurs rapports sociaux.

Espaces aux corps et formes d’engagement

16Le corps, dans le mouvement dansé, n’aurait pas la même consistance sans le regard de l’autre puisque c’est le regard qui relie le corps du danseur au corps du spectateur. Il lui permet d’activer le lien entre propriétés perceptives et sensations corporelles. La direction du regard renseigne aussi sur les stratégies des acteurs dans leur gestion du face à face, dans des situations collectives d’interaction. L’analyse interroge la façon dont résonne le corps pour les acteurs, cherche à rendre visible ce qui ne l’est pas, à relier la portée de leurs engagements spatiaux à leur rapport au corps. Si la manière de se saisir de la danse est davantage cognitive que corporelle, les spectateurs ne s’engageront pas facilement dans un espace d’interaction. Comme pour les danseurs, la façon dont les spectateurs appréhendent l’expérience au corps va aussi éclairer leurs choix, leurs formes d’engagements dans les projets. Il semble alors nécessaire de repérer les registres de danse, et donc les cadres interprétatifs sollicités dans la réception. Est-ce que le corps est un outil, un instrument de performance, ou un matériau au service d’un propos pour les acteurs ? Les dimensions du corps ne sont pas toujours faciles à saisir dans les entretiens car la verbalisation ne peut être la seule manière d’analyser les rapports au corps des acteurs, ou alors il faut qu’elle puisse être conduite en situation. Par exemple, pour les créations qui se déclinent en « installations », le spectateur doit se déplacer pour comprendre, il doit se mouvoir dans l’espace où ce qui est donné à voir dépend de la manière dont il se mobilise corporellement. L’objet-corps y draine alors un potentiel d’ouverture et de transformation qui contribue à pluraliser ses qualificatifs : c’est un lieu de passage, mais aussi un contenant et un contenu, un objet et un support de l’objet. Le sociologue étudie comment les propositions corporelles des danseurs peuvent s’aligner avec celles des spectateurs pour que les échanges aient lieu dans le dispositif et la nature des différents ajustements.

17Dans un atelier interactif la nature des engagements fluctue en fonction des dimensions objectives et subjectives des acteurs et le caractère participatif de l’atelier ne suffit pas pour que chacun s’engage dans un jeu de rôles. Certains spectateurs peuvent être inhibés et d’autres stimulés par l’expérience chorégraphique. Ceux qui envisagent le corps comme un véhicule des émotions accèdent plus facilement à la démarche artistique par rapport à ceux qui traitent le corps comme un outil efficient, une mécanique apte à produire de « belles formes ». Les premiers ont combiné leurs ressources corporelles avec leurs ressources communicationnelles au cours de l’action, ils se sont investis dans des interactions avec des personnes inconnues, pas seulement avec des pairs. Ils sont plus sensibles à l’altérité, à l’ouverture aux autres. Les autres sont en retrait de la situation, se positionnent en observateur, ou encore interagissent seulement avec leurs pairs. Leurs ressources relationnelles sont alors sollicitées comme des appuis, des supports sécurisants pour ne pas se sentir seuls dans une expérience déstabilisante pour eux. Comme chez les danseurs, les spectateurs qui activent la double réciprocité spatiale et sociale des usages, combinent ressources corporelles, relationnelles et communicationnelles plus que les autres. Ils s’inscrivent dans une démarche artistique plus sociale que formelle, plus citoyenne qu’esthétique. Ils transforment leurs trajets moteurs au cours de l’action en créant de nouvelles signatures corporelles dans un processus d’accumulation avec celles des autres acteurs.

Des langages corporels à la réflexivité du chercheur

18La démarche ethnosociologique s’est focalisée sur les différents rôles assumés sur le terrain, à partir d’une enquête où les formes d’investissement du chercheur se sont déclinées de manière combinée et multi-située. Le chercheur assume une posture engagée en renégociant ses engagements identitaires de site en site au fur et à mesure qu’il affine ses investissements dans plusieurs rôles. Ces « engagements circonstanciés » impulsés par la mobilité (Marcus, op. cit. : 395), le conduisent aussi à appréhender plusieurs formes de langages corporels, d’écritures motrices en fonction des effets de contextes et des contextes de pratiques. En empruntant les rôles de spectatrice, de chorégraphe et de danseuse, nous avons cherché non seulement à relier nos expériences passées aux problématiques de recherche, à expérimenter « in vitro » et « in vivo » un ensemble de réalités sociales, mais aussi et surtout à intérioriser les effets de contexte sur les manifestations comportementales des individus (Laplantine, 1996). même sur une courte durée, nous avons activé d’une certaine façon le processus d’« acculturation à l’envers », dans la recherche d’une « immersion totale » (op. cit. : 22) au plus près des perceptions et des émotions éprouvées par les danseurs de l’in situ. Loin de freiner l’objectivation du sociologue, nous pensons que ces formes d’engagements sont heuristiques pour le chercheur. La conscience du corps en tant que danseuse, la multiplicité des regards en tant que spectatrice aiguisent le travail réflexif en tant que chorégraphe, médiatrice et sociologue.

19L’étude des actions in situ ne s’intéresse pas qu’aux relations de face à face, qu’aux espaces de rencontre et de partage, mais c’est bien l’actualisation des expériences passées dans des manières de faire lieu qui nous anime. Pour analyser ces expériences l’enquêteur doit activer une attitude réflexive permanente. Il gagne à s’interroger sur sa propre capacité à circuler entre les mondes sociaux, sur les procédures qui l’amène à réfléchir sur ses propres activités de cadrage. Cette démarche se construit progressivement au cours de l’enquête, autant qu’elle participe de l’analyse des expériences ordinaires (Céfaï et Saturno, 2007) des figures d’artistes choisies pour l’étude. Ce qui sert de point d’accroche à la réflexion est autant le point de départ des expériences pratiques que leurs prolongements, ce qui complexifie la posture du chercheur. En effet, même si tout travail de recherche implique un double lien d’« engagement » et de « distanciation » (Elias, 1993), le rapport à l’objet concerne le corps, véhicule des émotions, ce qui demande parfois une très grande disponibilité lors des rencontres pour gérer et se questionner sur ses propres ressources affectives qui participent à la culture de soi, à l’accès au soi et aux autres.

RÉCIT BIOGRAPHIQUE ET CULTURE DE SOI

20En multipliant les procédures de recueil de données nous avons pu relever et recouper les redondances dans les présentations de soi chez les enquêtés en fonction des contextes dans lesquels nous les avons rencontrés. Mais nous avons aussi pu saisir l’importance des contextes d’entretiens comme « conditions d’énonciation » sur « les manières dont les individus thématisent leurs expériences et s’engagent dans les interprétations de leur biographie » (Demazière, Samuel, 2010). En les suivant dans leur parcours de ville, nous avons pu mieux comprendre comment la nature et la qualité de leurs engagements dans la ville participent de leurs usages des contextes urbains, envisagés comme espace d’activité, ou système institutionnalisé, ou encore lieux d’« interdépendance biographique »5 (op. cit.). C’est également à partir de la qualité d’écoute et de partage tissée avec les acteurs dans leurs parcours de ville et les expériences pratiques que l’approfondissement de certains entretiens s’est décidé, comme une évidence, ce qui nous a permis de glisser vers des récits de vie plus approfondis, afin de creuser les itinéraires. C’est ainsi que les mobilités sociales de certains danseurs se sont révélées lorsque nous avons multiplié les contextes des rencontres. Les séquences d’agencement de traces motrices divulguent des processus de spatialisation enchâssés dans une histoire de la mobilité spatiale et sociale. Les données recueillies au cours des récits de vie s’étoffent à partir du moment où les contextes réactivent les moments saillants qui ont impulsé des ré-agencements de leurs ressources, faisant de leur corporéité, de leur sociabilité autant de socles indissociables participant non seulement de la construction de soi, mais aussi de leur réflexivité sur cette construction, en quelque sorte de la culture de soi.

Des formes de reconnaissance entre soi et les « autres »

21Les expériences chorégraphiques urbaines placent les acteurs dans des relations de reconnaissance ou de déni de reconnaissance d’autant plus saillantes qu’elles touchent au rapport au corps. Le corps est une enveloppe identitaire qui renforce l’image que l’on veut donner de soi aux autres. Il exacerbe les relations de subjectivité et d’intersubjectivité par un ensemble d’artifices comportementaux et vestimentaires qui contribuent à catégoriser les acteurs qui se croisent dans un espace public (les uns par rapport aux autres). Comprendre pourquoi certains danseurs choisissent des procédés de spatialisation plus que d’autres suppose avant tout de reconnaître ces procédés en tant que tels, c’est-à-dire d’avoir soi-même suffisamment vécu d’expériences de mises en jeu corporel en tant que sociologue pour les appréhender comme de véritables signatures identitaires. Nous avons montré que les effets de la mobilité pouvaient influencer le processus de construction de la « carrière » chorégraphique comme « organisation séquentielle des situations vécues » (Hannerz, op. cit. : 336). Nous pouvons alors aller plus loin et penser la relation durable sur les terrains chorégraphiques comme une relation privilégiée où s’installent des formes de reconnaissance. Les parcours urbains favorisent les ajustements identitaires entre le chercheur et les enquêtés, les manières de se présenter à l’autre, et la conscientisation d’une culture de soi pour chacun des protagonistes, dans un mouvement où les compétences des uns s’imbriquent aux compétences des autres, continuant à alimenter la part créative de chacun d’entre eux.

22Nous avons aussi retracé le parcours de ville d’un autre danseur, Ram, le suivant de la salle d’un quartier des Grands Ensembles où il donnait des cours de danse aux espaces de représentation plus légitimes. Nous nous sommes déplacées pour voir certaines de ses interventions chorégraphiques dans la région. Nous lui avons proposé de donner des cours ponctuels pour un public d’étudiants pendant plusieurs années. Chaque rencontre nous permettait d’échanger davantage, et de creuser progressivement notre reconnaissance réciproque. Les liens tissés avec Ram ne sont pas des liens forts, puisque nous n’appartenons pas au même monde social. Néanmoins, ce sont aussi ces liens qui lui ont permis de renforcer son action dans le réseau didactique et pédagogique de la danse, et d’être aussi soutenu par des structures institutionnalisées. À partir des rencontres avec Ram, nos identités professionnelles se sont transformées mutuellement : il a éclairci sa perception de l’évolution du hip hop, il a conscientisé davantage ses processus de spatialisation. Cette focale lui a permis d’être encore plus précis par rapport aux partis-pris artistiques qu’il espère développer. Nous-mêmes, nous avons pu affiner notre perception des mondes de l’art et réfléchir à notre participation quant à la circulation des compétences sur leurs réseaux. Nos carrières professionnelles se sont ainsi imbriquées dans un partage de compétences parce que nous n’appartenons pas aux mêmes mondes sociaux.

La relation d’enquête comme expérience de l’altérité

23Vivre des expériences sociales dans des contextes variés soutient le développement de l’altérité et, dans le prolongement, l’appréhension plus fine des logiques d’action différenciées des acteurs d’autres mondes sociaux. Les engagements combinés dans plusieurs rôles conduisent le sociologue à activer différentes formes d’altérité (Dodier, Baszanger, 1997 : 52), à se rapprocher des acteurs interrogés, mais aussi à créer des empathies émotionnelles autant que corporelles, ce qui enrichit les rencontres formelles ou informelles. Les expériences de l’altérité amènent le sociologue à s’interroger sur ce qui circule, sur ce qui fait lien pour l’acteur interrogé dans chaque entretien. En effet, l’enquêté peut espérer un retour (certains acteurs interrogés le formulent clairement), même sous forme symbolique, en échange du temps consacré à la rencontre et aux informations qu’il a données. Il accepte l’entretien pour différentes raisons, et les valeurs auxquelles il attache de l’importance peuvent recouvrir des stratégies donnant accès à ses registres de légitimité : économiques et/ou corporels et/ou relationnels et/ou communicationnels (valeur marchande, reconnaissance comme bien symbolique, altruisme, altérité…). En général, ces valeurs recoupent celles qu’il mobilise préférentiellement dans le dispositif urbain via les ressources qu’il active, et l’entretien est encore l’occasion de valider les observations. C’est ainsi que ce que nous faisons, ce que nous disons, ce que nous éprouvons lors des entretiens se construit à l’interface d’une démarche réflexive et d’une démarche inductive qui s’alimentent mutuellement. Les données récoltées sous l’angle des expériences de l’altérité participent également des diverses formes d’engagements du sociologue sur ses terrains, de l’optimisation et du croisement des données empiriques, pragmatiques, scientifiques récoltées tout au long de la recherche, garantissant le maintien de ses facultés d’abstraction et d’objectivation.

CONCLUSION : PLURALITÉ DES CONTEXTES DE L’ENGAGEMENT ET PLURALISATION DES PROCÉDURES DE DISTANCIATION

24En abordant les rapports au corps et aux autres que les acteurs projettent sur les terrains chorégraphiques in situ, nous avons recherché chez eux les opérations d’objectivation et de subjectivation sur lesquelles ils s’appuient, et qui sont aussi impulsées dans l’action. Les liens se sont fait autour de leurs traces motrices, de leurs trajets sociaux et de leur parcours où s’enchevêtrent les épreuves spatiales et sociales. La manière dont l’acteur construit le contexte comme lieu d’expérience sociale est la résultante d’un mouvement dialectique, autant diachronique que synchronique, entre effets de contexte et parcours individuel. En passant par l’articulation entre les parcours de ville et les récits biographiques des artistes, le chercheur peut avoir accès à ce qui fait contexte pour eux. Chaque proposition chorégraphique participe du questionnement qui se construit progressivement au cours de l’enquête, autant qu’il participe de l’expérience urbaine et des choix pour de nouvelles propositions. Les différentes formes d’observation s’encastrent pour former un tout conceptuel. Les différents niveaux de réflexivité se chevauchent pour une montée en objectivité. Certes, l’analyse des expériences situées mobilise les outils d’observation ethnographique mais la méthode devient singulière, personnelle, puisqu’elle repose sur un savoir-faire issu du terrain, ancré dans un double rôle de chercheur et d’acteur-spectateur des œuvres chorégraphiques. L’enquêteur s’engage dans l’expérience en développant des procédures d’ajustement au plus près des acteurs tout en s’en distanciant dans un mouvement permanent entre empirie et théorie. Le niveau de réflexivité dépasse alors largement la connaissance de l’objet et devient une « ressource pour les acteurs »6 (Hennion, 2004) engagés dans la situation, donc pour le sociologue lorsqu’il se coule dans plusieurs rôles. Les activités réflexives ne sont pas du même ordre en fonction des formes d’engagement et des rôles endossés par le chercheur sur ses terrains d’enquête. En tant que chorégraphe ou spectateur il recueille aussi des données issues de la part subjective de sa construction du savoir. L’attitude réflexive s’enrichit alors de multiples opérations d’objectivation qui participent à le mettre à l’abri d’une surinterprétation. L’approche ethnographique conduit le chercheur à interroger les fondements mêmes des procédures de distanciation et d’engagement puisqu’elles prennent sens dans la multiplicité des actes et des situations. La pluralisation des opérations de distanciation dans la confrontation à d’autres formes d’engagements, aux discours des acteurs, et aux matériaux récoltés dans une démarche ethnographique multi située est un gage pour maintenir une posture scientifique. La confrontation aux différentes modalités de participation, aux différents moments d’altérité, conduit l’ethnographe à se déplacer hors de sa propre perspective (Céfaï, 2010 : 567). Les catégories conceptuelles de « distanciation » et d’« engagement » prennent alors des sens différents. L’analyse de leurs formes d’emboîtement en fonction des contextes sociaux et spatiaux aide le sociologue à se situer sur les terrains de création chorégraphique.