Allocution d’accueil du Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
p. 7-10
Texte intégral
1C’est pour moi une joie que d’ouvrir cette première session du colloque « Les projets de croisade et leurs objectifs (XIIIe-XVIIe siècle) », organisé par notre Académie et la Casa de Velázquez, avec le soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR)1. Ainsi occasion nous est offerte de rappeler tout à la fois l’intérêt constant que porte notre Compagnie aux travaux conduits par la fameuse école madrilène, l’un des joyaux du dispositif scientifique français à l’étranger, mais aussi de manifester son attachement à un domaine d’études remarquablement fécond, auquel une longue tradition attache le quai de Conti.
2Il serait loisible d’égrainer devant vous la liste des médiévistes qui, au sein de l’Institut de France ou bien à ses côtés, se sont distingués dans une discipline-phare de l’érudition, l’histoire des croisades – à concevoir comme la science de la rencontre, autour de la Méditerranée et au-delà, des civilisations ainsi que de leurs échanges de multiple nature (politiques, économiques, sociaux et culturels), tout autant que de l’étude de conflits et heurts qui ont émaillé les relations entre l’Orient et l’Occident du Moyen Âge à l’époque moderne. Pour illustrer cette tradition profondément ancrée sur les rives parisiennes de la Seine, je me contenterai d’évoquer quelques noms bien connus ainsi que le Recueil des Historiens des Croisades que l’Académie édita à partir de 1844 jusqu’au début du siècle dernier, prenant ainsi le relai d’une entreprise projetée par les savants et patients Mauristes. On s’en tiendra donc, dans l’enceinte qui est la nôtre, à signaler l’apport majeur des travaux de Joseph François Michaud (1767-1839), une sorte de père-fondateur en ce domaine, à qui l’on doit une Histoire des Croisades en cinq volumes, parue entre 1811 et 1822, suivie d’une Bibliothèque des croisades, recueil des sources où il avait puisé pour la rédaction de son maître-livre ; plus près de nous, on mentionnera l’œuvre considérable de René Grousset (1885-1952) et en particulier sa mémorable Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem en trois volumes (1934-1936), qui connut un succès d’édition considérable. Ces deux figures marquantes étaient membres l’Académie française. De la vitalité de l’intérêt de notre Maison pour le monde des croisades témoigne, et avec éclat, la présence dans nos rangs de plusieurs confrères dont j’aimerais également citer les noms : le doyen Jean Richard, spécialiste universellement reconnu de l’Orient latin et du royaume de Chypre, notre associé étranger le professeur Werner Paravicini, fin spécialiste de l’ordre teutonique, ou bien encore Philippe Contamine, membre de l’Académie, qui comme chacun le sait s’intéresse plus largement aux aspects de la guerre à la fin du Moyen Âge.
3Dans la série des quelque vingt collections formant les publications de l’Académie, les croisades occupent tout naturellement une place particulière ; en attestent à l’envie nombre de communications ou d’articles de fond parus avec régularité dans nos Comptes rendus (fondés en 1857) ou le Journal des Savants (à la charge exclusive de l’AIBL depuis un siècle). Plus fondamentalement, prennent place à côté de ces travaux, souvent dictés par l’actualité scientifique, d’imposants corpus des sources à l’établissement desquels l’Académie veille, comme c’est sa vocation, avec une grande fidélité depuis plus de 150 ans. Ainsi en est-il du Recueil des Historiens des Croisades, entreprise pharaonique déjà mentionnée, qui comprend six gros volumes in-folio d’historiens occidentaux, édités de 1844 à 1895, cinq volumes d’historiens orientaux, constitués d’extraits de chroniques arabes, avec leur traduction française, parus de 1872 à 1906, deux volumes d’historiens grecs, publiés en 1875 et 1881, enfin deux volumes de Documents arméniens – le premier (1869) composé de textes arméniens avec leur traduction, le second (1906) réunissant à la Chronique d’Arménie de Jean Dardel, à l’Histoire des royaumes d’Asie du prince arménien Haython et aux Gestes des Chiprois plusieurs textes relevant de la catégorie des projets de croisade, émanant de voyageurs du XIVe siècle. Abandonnée en raison de difficultés d’exécution à la veille de la Première Guerre mondiale, la collection, dont nul ne contestait l’utilité, fit peau neuve dans les circonstances tragiques de l’Occupation. Sous le titre de Documents relatifs à l'histoire des croisades, la nouvelle formule rassemble de volumes indépendants, consacrés chacun à un texte et publiés sans souci d’ordre systématique ; aux côtés des œuvres historiques sont appelés à voisiner actes privés et publics, relations de voyages, témoignages, etc. – bref, toute source documentaire susceptible d’enrichir notre connaissance sur les croisades. Elle compte aujourd’hui 20 volumes, dont le tout dernier, édité en 2008 par M. Jacques Paviot, professeur à l’Université de Paris-Est Créteil et coorganisateur de notre colloque avec Daniel Baloup, directeur des études anciennes et médiévales à l’École des hautes études hispaniques et ibériques (Casa de Velázquez, Madrid), porte justement sur les Projets de Croisade.
4S’inscrivant dans un cycle de rencontres internationales biannuelles, la présente rencontre participe d’un projet ayant abouti à la mise sur pied d’un véritable réseau de recherche européen de langue française – ce dont il faut se réjouir tout particulièrement –, un groupement réunissant notamment chercheurs de l’Europe de l’Ouest et centrale autour de l’étude des confrontations interconfessionnelles survenus à la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes – au vrai, une problématique par laquelle est d’ailleurs rejointe l’actualité scientifique et politique la plus récente, si ce n’est brûlante. De l’énumération des thèmes abordés lors des précédentes rencontres, on mesurera la diversité des approches et des méthodes mises en œuvre pour mieux cerner un phénomène historique parmi les plus complexes, mais aussi les plus fascinants de notre histoire ; en voici les intitulés : « Les Croisades tardives. Bilan historiographique et état de la recherche » (Toulouse, mars 2007) ; « La noblesse et la croisade : piété, diplomatie, aventure » (Prague, octobre 2007, avec une communication de mon confrère Philippe Contamine, sur « Les princes, barons et chevaliers qui a la chevalerie au service de Dieu se sont ja vouez [Philippe de Mézières] : recherches prosopographiques sur l'ordre de la Passion de Jésus-Christ [1385-1395] ») ; « Croisades et discours de guerre sainte à la fin du Moyen Âge. Légitimation, propagande, prosélytisme » (Toulouse, avril 2008) ; enfin « Mémoires, histoires et images des croisades à la fin du Moyen Âge » (Prague, novembre 2008, avec des conclusions tirés par mon confrère Jean Richard).
5Les communications qui seront présentées aujourd’hui au palais Mazarin, puis demain à la Fondation Del Duca de l’Institut de France, ont été réunies en vue de nourrir la réflexion sur un ensemble singulier et disparate de textes qui fit florès dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, ces « Projets de Croisades » qui furent en vogue alors que s’affirmaient les identités nationales naissantes dans le contexte de la mutation des relations entre Occident et Orient musulman et orthodoxe. Autrement dit durant une longue période de bouleversements et de crises tout à fait cruciale pour l’Occident qui fut à la fois marquée par la résistance à l’avancée ottomane, la fin de la Reconquête et les projets d’expansion outre-mer des royaumes ibériques, la lutte contre les païens en Europe septentrionale, enfin les croisades contre les hussites en Bohême.
6Animés au départ par le désir de recuperatio de la Terre sainte, les aspirations véhiculées dans les « Projets de Croisades » s’orientèrent par la suite différemment, en raison de la menace plus proche et plus pressante que faisaient peser sur la Chrétienté d’un côté les hérétiques et de l’autre la Grande Porte. L’on relèvera d’ailleurs que le statut, les conditions de rédaction de ces textes et les motivations de leurs auteurs apparaissent souvent extrêmement ambiguës, leur prolifération ne laissant pas d’étonner aussi, alors que les grandes expéditions armées au service de la foi n’avaient plus le vent en poupe – si bien que l’opinion commune des chercheurs à leur sujet s’est avérée le plus souvent dépréciative. De ce corpus vaste et composite dans la longue durée, trop souvent tenu pour un fatras de lieux communs démodés ou de rêveries entretenues par quelques personnalités isolées et détachées des réalités de leur temps, le présent colloque entendra rendre raison en contribuant à sa nécessaire réévaluation. Ainsi, s’agira-t-il d’éclairer d’une lumière rénovée, au fil de ces regards croisés, les véritables enjeux perçant au travers de cette précieuse documentation, par la combinaison des études de cas et des approches thématiques, centrées sur les aspects géographiques, stratégiques et diplomatiques.
7Avant de laisser la parole aux organisateurs de ce colloque, je voudrais, au nom de l’Académie, clore cette brève allocution en leur adressant, à eux-mêmes mais aussi à l’ensemble des participants, des souhaits de plein succès pour les travaux qui vont maintenant s’ouvrir.
Notes de bas de page
1 Nous reproduisons ici le texte de l’allocution de bienvenue prononcée le vendredi 12 juin 2009 par Monsieur Jean Leclant (1920-2011), Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en ouverture de la première session du colloque d’où est tiré le présent volume.
Auteur
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