1 D’un point de vue général, l'expropriation peut se faire grâce à la décision de l'État, ou à partir de la volonté du souverain, par la loi ou par la décision suprême, et avec la justification de répondre à l’intérêt plus ou moins général, que la distribution des terres en vigueur ne parvient plus à satisfaire. S'agissant d'un conflit militaire – par exemple, après le soulèvement franquiste –, lorsque nous nous trouvons dans une situation où la légalité et peut-être la légitimité en vigueur sont mises en cause, l'appropriation et l'expropriation deviennent une arme entre les mains des protagonistes du conflit, selon leurs critères, leurs intérêts et leurs attentes. L'expropriation peut alors rimer avec punition, mais aussi avec revanche (sociale et/ou nationale) et avec affaiblissement de l'adversaire, en vue de la victoire et de la soumission des vaincus. Les objectifs politiques, économiques et symboliques sont alors en confluence ; le pouvoir en est l'enjeu. Cette question a été abordée récemment par Luna et Mignemi en 2017.
2 Luis Garrido González, « Jaén y la Guerra civil (1936-1939) », Boletín del Instituto de Estudios Giennenses, 2008, 198, pp. 197-226.
3 En fait, nous parlons de la diversité de compréhension affichée par les paysans eux-mêmes, sur le terrain. Mais il faut aussi indiquer que la notion et la pratique de la colectividad (et pas seulement agraire) étaient différentes, selon qu'elles étaient proposées ou présentées par le gouvernement républicain ou par la Generalitat de Catalogne, ou qu’elles étaient préconisées et défendues par la CNT ou par certaines sections de l'UGT, sans parler des forces et des partis politiques. Et cela même si le point de départ de l'intervention paysanne et populaire a été très souvent l'assemblée générale (Buendía, 2003) ; une très ancienne instance de confrontation et de décision du collectivisme agraire espagnol.
4 La question a été examinée récemment dans le dossier « Les réformes agraires dans le monde », publié à Paris par la Revue d’histoire moderne et contemporaine, en particulier dans l’introduction (Jessenne, Luna et Vivier, 2016).
5 Benito Sanz Díaz, « Las colectividades campesinas durante la Guerra civil española », Al-Basit, 1978, no 5, pp. 119-130 ; José Sánchez Jiménez, « Las colectividades agrarias durante la Guerra civil », Anales de Historia Contemporánea, 1989, no 7, pp. 49-71 ; Walther Bernecker, « El anarquismo en la Guerra civil española : estado de la cuestión », Cuadernos de Historia contemporánea, 1992, no 14, pp. 91-115.
6 Hormis le cas de la guerre civile (et nationale) espagnole du XXe siècle, les exemples sont très divers, dans le temps et dans l'espace, et nous ne pouvons les évoquer ici. Rappelons seulement que la conflictualité pour la possession de la terre et des ressources naturelles, avec ou sans l'intervention de l'État – avec ou sans loi –, a traversé chaque étape de la progressive construction territoriale ibérique, depuis le bas Moyen Âge. Chaque État a pu être aussi un État de possédants ou de propriétaires, mais selon les époques, cet État, en tant qu’institution, a pu également jouer un rôle réformateur, en fonction du rapport des forces sociales et des groupes gouvernementaux en place (Béaur, 2016 : 273 et sq.).
7 L'idée d'une expropriation, y compris pour la construction des voies et des routes d'« intérêt national », se heurtait alors à l'opposition des propriétaires (Robledo, 2012 : 372 ; 2016 : 98).
8 Pourtant, tel que nous le savons, la rédaction des articles 14 et 27 de cette dernière loi a laissé ouverte la possibilité d'occupations et d'expropriations pour des raisons d'« utilité sociale » ; et ce sera une porte d’accès pour l’initiative paysanne (Luna, 2015, et dans ce même volume).
9 Francisco Espinosa Maestre, La primavera del Frente Popular. Los campesinos de Badajoz y el origen de la Guerra civil (marzo-julio de 1936), Barcelone, Crítica, 2007.
10 Parce que la propriété était visiblement « défigurée », selon le vocabulaire des fonctionnaires républicains les plus déterminés (Robledo, 2012 : 386-387 ; 2016 : 99-102).
11 Même si elle a été paradoxalement aidée par la loi de 1935 (celle de la « réforme de la réforme »), et aussi par les conditions climatiques et d'entretien des terres. La mise en cause de la propriété et celle du propriétaire se sont alors considérablement répandues, ce qui a suscité, en riposte, les rappels répétés concernant le respect nécessaire de la propriété, y compris au sein du gouvernement républicain, ou au sein des forces politiques qui le soutenaient (Cárdaba, 2001).
12 Robledo Hernández, Ricardo, « La réforme agraire en Espagne (1931-1939) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 63-4/4bis, p. 98.
13 Javier Tébar Hurtado, Reforma, revolución y contrarrevolución agrarias. Conflicto social y lucha política en el campo (1931-1939), Barcelone, Ediciones Flor del Viento, 2006.
14 Rappelons-nous aussi que les putschistes ont pu être mis en déroute, dès le 19 juillet 1936, par exemple, grâce au mouvement populaire de rejet qui a éclaté à Barcelone, lancé par la CNT, et qui s'est étendu à peu près partout en Catalogne, y compris au détriment de l’autorité représentée par les organismes de l’État républicain lui-même et de la Generalitat. Deux façons de lutter contre le fascisme s’y sont alors déployées. Pendant plusieurs mois – jusqu'au début de l'année 1937 –, le véritable centre de gravité du pouvoir s'est déplacé vers les assemblées générales, les comités locaux, les syndicats ou les municipalités. Ce n’était pas un fait social (ou politique) anodin.
15 Dans cette perspective, l'État – qui voulait conserver sa place centrale dans le processus –, était l'organisme expropriateur, alors que les producteurs bénéficiaires (individuels et/ou collectifs) étaient les usufruitiers à perpétuité (Robledo, 2012 : 393-394).
16 Le décret du ministre de l'Agriculture, Vicente Uribe, du 7 octobre 10 1936, décide l'expropriation des terres de ceux qui se sont soulevés contre la République. Il accorde la possession des terres expropriées et l'initiative économique à l'État, et il concède l'usufruit perpétuel aux paysans et journaliers locaux. Et ceci, pour une forme d'exploitation collective ou individuelle, selon les décisions adoptées sur le terrain. Bien que sans préciser toutefois qui avait le droit de percevoir les rentes produites (Ira, 1937 : 46-48).
17 Frank Mintz, La autogestión en la España revolucionaria, Madrid, La Piqueta, 1977, p. 169 ; Jacques Maurice, « Problemática de las colectividades agrarias en la Guerra civil », Agricultura y Sociedad, 1978, no 7, p. 59 ; Luis Garrido González, Colectividades agrarias en Andalucía : Jaén (1936-1939), Madrid, Siglo XXI, 1979, p. 86.
18 Pierre Vilar, La Guerre d'Espagne (1936-1939), Paris, PUF, 1986.
19 Antoni Gavaldà i Torrens, El pensament agrari de l'anarquisme a l'Alt Camp : 1923-1939. El papel de Pere Sagarra i Boronat, Tarragone, Diputació de Tarragona, 1986.
20 Pascual Carrión, La Reforma Agraria de la 2a República y la situación actual de la agricultura española, Barcelone, Crítica, 1973, p. 135.
21 Jacques Maurice, « Problemática de las colectividades agrarias en la Guerra civil », art. cit., pp. 61-62.
22 Ricardo Robledo Hernández, « “Bastante han gozado los señores”. La huella medieval del señorío en la Segunda República », in J. M. Mínguez Hernández, et G. Quijano, La Península en la Edad Media, treinta años después : Estudios dedicados a José Luis Martín, Salamanque, Ediciones de la Universidad de Salamanca, p. 28.
23 Par exemple à Gérone, il a été enregistré une augmentation très conséquente de la production agricole (en 1937 par rapport à 1936), du fait entre autres de l'augmentation de la surface mise en culture, après les incautaciones paysannes des terres incultes (Cárdaba, 2001). La production de blé dans l'Aragon collectivisé a également montré des indices de croissance, durant la première année de l'expérience (Malefakis, 1978b). D'autres cas pourraient également être cités (Buendía, 2003 : 46).
24 Jacques Maurice, « Problemática de las colectividades agrarias en la Guerra civil », art. cit. ; Marciano Cárdaba Carrascal, Colectividades agrarias en la región de Girona, 1936-1939, Girona, Universitat de Girona [Tesis doctoral], 2001 ; Javier Tébar Hurtado, Reforma, revolución y contrarrevolución agrarias. Conflicto social y lucha política en el campo (1931-1939), Barcelone, Ediciones Flor del Viento, 2006.
25 Aurora Bosch Sánchez, Ugetistas y libertarios. Guerra civil y Revolución en el País Valenciano, 1936-1939, Valence, Institut Alfons el Magnànim, 1983.
26 Julián Casanova, Anarquismo y revolución en la sociedad rural aragonesa, 1936-1938, Madrid, Siglo XXI, 1985 ; Michael Seidman, « Agrarian Collectives during the Spanish Revolution and the Civil War », European History Quarterly, 2000, no 30/2,
27 Pelai Pagès i Blanch, « El sueño igualitario de los campesinos de Huesca (1936-1938) », Sinpermiso, 2013, no 02/06.
28 Frank Mintz, La autogestión en la España revolucionaria, op. cit. ; Walther Bernecker, Colectividades y revolución social. El anarquismo en la Guerra civil española, 1936-1939, Barcelone, Crítica, 1982.
29 Marciano Cárdaba Carrascal, Colectividades agrarias en la región de Girona, op. cit., p. 179 : une cinquantaine de collectivisations, de terre et de travail.
30 José L. Gutiérrez Molina, Colectividades libertarias en Castilla, Madrid, Campo Abierto, 1977.
31 Et cela, même s’il y a eu également des partages individuels de parcelles entre les paysans sans terre. Cf. Natividad Rodrigo González, Las colectividades agrarias en Castilla-La Mancha, Tolède, Junta de Castilla-La Mancha, 1985 ; José Carrión Iñíguez, « Las colectividades agrarias en la provincia de Albacete durante la Guerra civil (1936-1939) », in Congreso de Historia de Albacete, IV, Edad Contemporánea, Albacete, Universidad de Castilla La Mancha, 1984, pp. 111-116 ; José Carrión Iñíguez, « Las colectividades agrarias en la provincia de Albacete durante la Guerra civil (1936-1939) », Al-Basit, 1996, no 1, pp. 41-50.
32 Walther Bernecker, « El anarquismo en la Guerra civil española… », op. cit., p. 110 ; Santiago Atienza Santiago, « Colectividades en Alcázar de San Juan », Tesela, 2006, no 26, Alcázar de San Juan, Patronato de Cultura, pp. 1-32.
33 José Carrión Iñíguez, « Las colectividades agrarias en la provincia de Albacete », art. cit.
34 Carte des collectivisations à Albacete (José Carrión Iñíguez, « Las colectividades agrarias en la provincia de Albacete », art. cit., p. 44).
35 Luis Garrido González, Luis, Colectividades agrarias en Andalucía et « Jaén y la Guerra civil (1936-1939) », op. cit.
36 Luis Buendía García, Luis, « La experiencia autogestionaria durante la Guerra civil española », Revista de economía crítica, 2003.
37 Walther Bernecker, « El anarquismo en la Guerra civil española”, art. cit., p. 104.
38 José Carrión Iñíguez, « Las colectividades agrarias en la provincia de Albacete durante la Guerra civil (1936-1939) », art. cit.
39 La chute de Gijón et Avilés en octobre 1937 a signifié que la République avait dès lors perdu complètement le Nord cantabrique (Euzkadi, les Asturies et la Cantabrie) et les matières premières qu'il pouvait encore fournir (Catalán, 2005).
