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Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution

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Michel Taillefer

Toulouse entre lumières et révolution

La fête de la Fédération du 4 juillet 1790 à Toulouse

Texte intégral

  • 1 Sur ce tableau de Joseph Roques, conservé au musée des Augustins et souvent reproduit, voir le cat (...)
  • 2 Aux récits purement descriptifs de Louis Ariste et Louis Braud dans leur Histoire populaire de Tou (...)
  • 3 Outre les délibérations du conseil général de la commune et la correspondance des officiers munici (...)

1De toutes les grandes manifestations publiques qui ont scandé le cours de la Révolution à Toulouse, la plus imposante fut sans conteste la fête de la Fédération de juillet 1790, tant par sa durée – si le serment fédératif proprement dit fut prêté le 4 juillet, cérémonies et réjouissances se succédèrent pendant une semaine, du 3 au 9 juillet – que par l’ampleur des foules qu’elle mobilisa – le chiffre de cent mille personnes avancé par plusieurs témoignages contemporains ne paraissant pas invraisemblable. C’est aussi l’épisode révolutionnaire qui a laissé le plus de traces dans les archives, les bibliothèques et les musées, et le seul qui ait donné lieu à une représentation figurée1. Il est donc bien connu et a été maintes fois décrit, de façon plus ou moins détaillée2. La découverte de quelques documents inédits va cependant nous permettre d’apporter un certain nombre de précisions et de nuances à ce que l’on peut savoir, deux cents ans après exactement, sur la genèse, le déroulement et surtout la signification politique d’un des événements-clés de la Révolution toulousaine, dont la portée historique n’a pas toujours été suffisamment soulignée jusqu’ici3.

  • 4 Pierre-Henri Thore, « Fédérations et projets de fédérations dans la région toulousaine », Annales (...)
  • 5 Ibid., p. 351. Voir aussi Pierre Arches, « Une Fédération locale : la Confédération des Pyrénées ( (...)
  • 6 Confédération du district de la ville du Mas-d’Azil, comté de Foix. Séance du 7 octobre 1789. Extr (...)

2Tenue dix jours avant la Fédération nationale du 14 juillet 1790, la Fédération de Toulouse s’inscrit dans le vaste mouvement fédératif qui avait débuté en province au cours de l’été de 1789 et qui culmina à Paris pour le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Comme l’a montré naguère Pierre-Henri Thore4, ce mouvement s’est développé en deux phases successives. La première est celle des « Fédérations locales », nées dans les campagnes à la suite de la Grande Peur ; regroupant autour d’une petite ville quelques localités du voisinage, elles visaient avant tout, face au danger réel ou imaginaire d’anarchie, à maintenir l’ordre public et à défendre les propriétés. Proposée dès le 9 août 1789 par le maire du Peyrat, la « Confédération des Pyrénées » organisée en septembre à Mirepoix avait ainsi pour but de « protéger la perception des impôts, le cours de la justice, d’arrêter des meurtres et des incendies »5 ; de même, la « Confédération du Mas-d’Azil » formée le 7 octobre devait veiller « à l’entretien du bon ordre, à la perception des impôts, à la conservation des propriétés, à tout ce qui pourra [...] procurer la sécurité publique »6. Bien différentes de ces modestes réactions d’autodéfense des populations rurales, d’inspiration essentiellement conservatrice, apparaissent les grandes « Fédérations régionales » qui se tiennent à partir de novembre 1789 et se multiplient au printemps de 1790, donnant à la deuxième phase du mouvement fédératif une coloration révolutionnaire beaucoup plus marquée. Réunissant les représentants des gardes nationales et des municipalités de vastes régions, voire de provinces voisines, elles rassemblent des milliers de participants moins soucieux de préserver la tranquillité publique et l’ordre social que d’affirmer leur attachement au nouveau régime ; dans le débat qui se durcit entre partisans et adversaires de la Révolution, elles se présentent comme des démonstrations de force du parti « patriote », destinées à faire échec au « complot aristocratique » des nostalgiques de la monarchie absolue. Tel fut bien le cas, nous allons le voir, de la Fédération toulousaine. Mais c’est précisément parce qu’elle constituait un enjeu politique majeur, âprement disputé entre les deux camps qui se partageaient l’opinion, que Toulouse, une des premières villes où un projet de Fédération ait été formulé, fut aussi l’une des dernières où il se soit concrétisé. Retracer sa longue et difficile genèse revient donc à analyser l’évolution du rapport des forces politiques prévalant à Toulouse pendant les premiers mois de la Révolution.

Une genèse difficile

  • 7 Né en 1743, Jacques-Marie Rouzet était le fils d’un tailleur d’habits et de la fille d’un perruqui (...)
  • 8 Henri Ramet, Histoire de Toulouse, Toulouse, Tarride, s. d., p. 649.
  • 9 Georges Fournier, op. cit., p. 9-23.
  • 10 Félix Pasquier, Notes et réflexions d’un bourgeois de Toulouse au début de la Révolution, d’après (...)

3Lancée le 10 novembre 1789 par Jacques-Marie Rouzet, un avocat connu pour ses convictions libérales et réformatrices7, l’idée d’une « Confédération » toulousaine ne rencontra d’abord qu’indifférence et hostilité ; source pour son auteur de « censures assez amères », elle tomba rapidement dans l’oubli dont elle ne devait sortir que six mois plus tard, en mai 1790. L’échec momentané de Rouzet reflétait la faiblesse du parti patriote, encore incapable d’imposer ses vues à une cité qui, sans être ce fief de l’aristocratie que dénonçaient certains orateurs de l’Assemblée constituante et certains journalistes parisiens, ne manifestait guère d’enthousiasme pour la Révolution. Comme l’a remarqué Henri Ramet, à Toulouse « trop de gens profitaient de l’Ancien Régime » pour souhaiter le mettre brutalement en question8 : le clergé omniprésent, la caste parlementaire habituée depuis des siècles à une domination politique et sociale sans partage, la bourgeoisie juridique et intellectuelle gravitant autour des tribunaux et de l’université, les artisans et les commerçants dépendant des commandes de la noblesse, et même les masses misérables survivant grâce à la charité des couvents. Métropole judiciaire, religieuse et administrative pratiquement dénuée d’industrie, la capitale du Languedoc se sentait particulièrement menacée par les projets de réformes débattus à l’Assemblée nationale, qui risquaient d’amoindrir son rôle traditionnel et de ruiner les fondements économiques de sa prospérité ; davantage que la suppression des anciennes provinces, on redoutait celle des parlements, qu’annonçait leur mise en vacances le 3 novembre 1789. À ces craintes diffuses pour l’avenir s’ajoutait, dans la bonne société, le souvenir de l’émeute populaire du 27 juillet 1789 et de la Grande Peur9 : chez beaucoup de notables et de possédants, comme l’avocat Fauré10, la Révolution s’identifiait à l’anarchie et à l’insécurité.

  • 11 Déclaration de l’ordre de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse du 16 octobre 1789, s. l., 4  (...)

4Il n’est donc pas surprenant que Toulouse soit apparue comme un pôle de résistance au changement, résistance symbolisée par l’absence de véritable « révolution municipale » et le maintien en fonctions des capitouls. Lorsque Rouzet émit son projet de Fédération, il n’avait aucune chance d’être entendu par les forces conservatrices qui contrôlaient toujours la scène politique toulousaine : le parlement, même réduit à sa chambre des vacations ; la noblesse, qui venait de s’assembler pour proclamer sa fidélité à la personne du roi et son opposition à la réforme administrative11 ; la municipalité animée par l’avocat Joseph-Marie Duroux, qui ne dissimulait guère son hostilité au nouveau cours des choses ; le clergé dirigé par l’archevêque François de Fontanges, dont les mandements exprimaient le rejet des principes de 89.

  • 12 Michel Taillefer, « La presse à Toulouse pendant la Révolution », dans Mémoires de l’académie des (...)

5Pour affronter cette puissante coalition des institutions et des hommes en place, les patriotes n’étaient cependant pas désarmés ; ils disposaient de deux moyens d’action politique nés avec la Révolution, et dont ils surent faire d’efficaces instruments de conquête du pouvoir : la presse périodique et la garde nationale. Sous l’impulsion de leur directeur, le libraire Jean-Baptiste Broulhiet, les vieilles et inoffensives Affiches de Toulouse se transformèrent au cours du deuxième semestre de 1789 en journal politique, appuyant sans réserve le nouveau régime et l’œuvre de l’Assemblée constituante. Ses audaces alarmèrent la chambre des vacations, qui condamna Broulhiet, le 27 janvier 1790, à deux amendes de 500 livres pour avoir publié des articles « contenant des expressions contraires au respect dû à la personne du roi et à la majesté du trône » ; ce procès anachronique, intenté plusieurs mois après la proclamation de la liberté de la presse par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne fit que renforcer l’engagement révolutionnaire des Affiches, intitulées désormais Journal universel... de Toulouse. Le 19 novembre 1789 apparut une deuxième feuille locale, Le Nouvelliste national, que publiait le libraire Noël-Étienne Sens ; ce quotidien, consacré pour l’essentiel au compte rendu des débats de l’Assemblée nationale et aux nouvelles étrangères, se voulait « libre et impartial » et s’interdisait en principe tout commentaire, mais ne faisait pas mystère de son orientation favorable à la Révolution12.

  • 13 Laurence Duret, La garde nationale pendant la Révolution à Toulouse (1789-1793), mémoire de maîtri (...)
  • 14 Le quartier du parlement ; l'église Saint-Barthélemy s’élevait au carrefour de la rue du Languedoc (...)

6Issue de la milice bourgeoise hâtivement mise sur pied lors de l’émeute du 27 juillet, la garde nationale organisée au début de septembre n’était pas seulement une force de maintien de l’ordre au service de la municipalité, mais aussi un lieu de pouvoir autonome. Composées de volontaires qui élisaient périodiquement leurs officiers, les quinze légions se comportaient en petites assemblées politiques, délibérant sur les problèmes du jour, votant des motions et des adresses et publiant le résultat de leurs discussions13. Jusqu’à la création des premiers clubs en mai 1790, et au-delà, elles constituèrent les principaux foyers politiques de la ville, ceux dont les interventions et les propositions avaient le plus de poids auprès de l’opinion. Le contrôle de la garde nationale était donc un enjeu de première importance dans la lutte pour le pouvoir ; or il échappa rapidement à l’aristocratie, à laquelle il avait d’abord été confié en raison de ses compétences militaires. Alors qu’à l’origine douze des quinze colonels de légion étaient des nobles, et que l’ensemble des troupes était placé sous les ordres du chevalier de Cambon, maréchal des camps et armées du roi et fils du premier président du parlement, dès le mois de novembre la majorité des officiers sont des bourgeois, et l’ancien chef du guet municipal Jean Douziech a remplacé Cambon au poste de général. Du fait du recrutement des gardes nationaux par capitoulat, le succès des patriotes n’était cependant pas complet : si la plupart des légions soutenaient la Révolution, d’autres, implantées dans les beaux quartiers, se montraient plus réservées, voire hostiles : c’étaient la troisième légion de Saint-Étienne, la première et surtout la deuxième légion de Saint-Barthélemy14. Commandée par un ancien officier de dragons devenu président à mortier, le baron Daspe, et formée de jeunes nobles, d’hommes de loi, d’artisans et de porteurs de chaise – les « gros bras » de l’époque – dépendant du parlement, cette « légion noire » s’affirmera, jusqu’à sa dissolution par la municipalité en mars 1791, comme le fer de lance de la Contre-Révolution à Toulouse.

  • 15 Philippe Nélidoff, La municipalité de Toulouse pendant la Révolution française (1788-1795), thèse (...)

7Les élections municipales de janvier-février 1790 ne modifièrent pas sensiblement le paysage politique. Sans doute plusieurs patriotes notoires figurent-ils parmi les officiers municipaux et les notables qui succédèrent alors aux derniers capitouls ; on remarque notamment que Rouzet, alors major en second de la légion de la Pierre, fut brillamment élu notable (il vient au quatrième rang, sur trente-six, par le nombre de voix), en dépit des protestations de ses adversaires soutenant qu’il ne remplissait pas les conditions fiscales d’éligibilité15. Mais, à l’image du maire Rigaud, un professeur de droit septuagénaire, la nouvelle municipalité se signalait dans l’ensemble par sa modération ; sincèrement acquise à une Révolution qui avait porté au pouvoir la bourgeoisie des affaires et des talents à laquelle appartenaient presque tous ses membres, elle ne souhaitait pas aller au-delà et redoutait les débordements. Elle n’était donc toujours pas prête à envisager la réunion à Toulouse d’une grande Fédération régionale, occasion probable de polémiques et de désordres, dont elle n’était pas certaine de maîtriser le déroulement. Il ne semble d’ailleurs pas que Rouzet ait profité de son accession à une fonction officielle pour renouveler la proposition qu’il avait faite quatre mois plus tôt.

  • 16 Jean-Claude Meyer, La vie religieuse en Haute-Garonne sous la Révolution (1789-1801), Toulouse, As (...)
  • 17 Procès-verbal de l’assemblée des citoyens actifs de la ville de Toulouse, réunis au nombre de plus (...)
  • 18 Adresses des citoyens actifs de la ville de Toulouse, au roi et à l’Assemblée nationale, s. l. n. (...)

8Ce qui contraignit la municipalité à sortir de sa réserve et à s’aligner progressivement sur les positions des patriotes les plus résolus, c’est l’agitation provoquée par la question religieuse. Après avoir aboli la dîme dans la nuit du 4 août 1789, et mis les biens du clergé à la disposition de la nation le 2 novembre, l’Assemblée constituante avait décrété, le 13 février 1790, l’interdiction des vœux monastiques et la suppression de la plupart des ordres religieux ; elle discutait de la constitution civile du clergé, qu’elle devait adopter le 12 juillet. Ces mesures soulevèrent parmi les Toulousains, restés dans leur grande majorité très attachés à leur religion traditionnelle, une intense émotion que les adversaires de la Révolution s’efforcèrent d’exploiter pour les mobiliser contre le nouveau régime16. Dès le mois de janvier 1790, Mgr de Fontanges avait publié des Considérations sur les limites de la puissance spirituelle et de la puissance civile où il condamnait les projets de réforme ecclésiastique. En février, les religieux des principaux couvents s’adressèrent solennellement à l’Assemblée nationale et à la municipalité pour demander la conservation de leurs établissements. Les 18, 19 et 20 avril, plus de cent cinquante citoyens actifs, comprenant de nombreux prêtres, parlementaires, hommes de loi et légionnaires de Saint-Étienne et de Saint-Barthélemy, s’assemblèrent au couvent des Augustins puis dans la salle de l’académie des sciences pour exiger que le catholicisme soit déclaré « religion nationale et la seule religion de l’État », et que soient maintenus le siège archiépiscopal, les chapitres, les cures, les séminaires, « tous les établissements ecclésiastiques » et « toutes les maisons religieuses de l’un et de l’autre sexe » existant à Toulouse et dans le diocèse17. Ces réunions furent troublées par des perturbateurs « armés de sabres, d’épées et de bâtons » que dispersèrent des légionnaires de la deuxième légion de Saint-Barthélemy « armés de fusils hérissés de baïonnettes », ce qui fournit à la municipalité un prétexte pour intervenir : le 21 avril, elle interdit toute nouvelle assemblée de citoyens actifs, et refusa le 26 de convoquer le conseil général de la commune pour « délibérer sur les intérêts de la religion catholique » comme ils le lui avaient demandé. Le 4 mai, l’Assemblée nationale approuva sa conduite et invita les Toulousains à la paix et à l’union mais le même jour débuta le recensement des maisons religieuses destinées à être vendues comme biens nationaux. Les organisateurs des assemblées d’avril firent alors circuler une pétition, qui recueillit plus de mille signatures, et rédigèrent deux adresses, au roi et à l’Assemblée, où ils réitéraient leurs revendications et leurs griefs contre les officiers municipaux18.

  • 19 Fabrice Schmit, Jacobins et jacobinisme à Toulouse. Étude des personnages de la Société populaire (...)
  • 20 Les Toulousains en avaient connaissance par leurs journaux, et surtout par Le Nouvelliste national(...)

9Les violences des 18-20 avril – les premières qui aient eu lieu à Toulouse depuis juillet 1789 – et le défi lancé par les « citoyens catholiques et actifs » à l’Assemblée nationale et à la municipalité amenèrent celle-ci à rompre définitivement avec les éléments les plus conservateurs de la ville. Jusque-là favorable aux aristocrates, le rapport des forces s’inversait au profit des patriotes, qui de leur côté s’organisaient plus efficacement en se regroupant au sein de sociétés politiques, les clubs. Le 6 mai fut fondé le Club littéraire et patriotique, qui n’allait pas tarder à s’affilier au club des Jacobins de Paris et à prendre comme lui le nom de Société des amis de la Constitution19 ; vers le même moment se forma le club du Café national, qu’animait Rouzet. Les circonstances étaient donc favorables à une relance de l’idée de Fédération, longtemps tenue sous le boisseau en raison de l’hostilité des nostalgiques de l’Ancien Régime et de la prudence des autorités municipales ; elle s’imposa d’autant plus facilement que les Fédérations régionales se multipliaient alors dans les provinces20 et qu’on commençait à parler d’une Fédération nationale à Paris. Alors qu’elle basculait dans le camp patriotique, Toulouse ne pouvait plus rester à l’écart d’un mouvement qui semblait entraîner toute le France nouvelle.

  • 21 Son principal rédacteur était l’avocat Jean Mailhe, bien connu de ses compatriotes par ses succès (...)

10L’initiative vint des secteurs les plus avancés de la garde nationale. Dans les premiers jours de mai, la légion du faubourg Saint-Étienne, celle de Saint-Pierre et les compagnies de grenadiers et de chasseurs de Saint-Michel prirent des délibérations en ce sens. Le 9, la légion de Saint-Pierre adopta une adresse à la municipalité, rédigée notamment par son colonel Jean-François Delmas, son lieutenant-colonel Rouzet et l’avocat Guillaume Veyrieu, lieutenant de grenadiers ; elle lui demandait l’autorisation de proposer « aux légions de la ville, dont quelques-unes ont déjà fait connaître leur vœu, et aux corps nationaux armés dans l’étendue du département, une fête patriotique sous les murs de Toulouse », à l’occasion de laquelle serait conclu « un pacte fédératif pour le maintien de la constitution ». Le lendemain éclatèrent les graves incidents de Montauban, ville où le conflit politique entre partisans et adversaires de la Révolution se doublait d’un conflit religieux entre protestants et catholiques. Provoqués par l’inventaire des biens des couvents, de violents affrontements opposèrent la foule catholique aux gardes nationaux en majorité protestants, dont cinq furent tués, une cinquantaine blessés et cinquante-cinq emprisonnés sur l’ordre de la municipalité conservatrice dirigée par le marquis de Cieurac. Dans ces événements dramatiques, au cours desquels, pour la première fois dans la région depuis le début de la Révolution, le sang avait coulé, les patriotes toulousains virent la preuve que le « complot aristocratique » était bien une réalité, et un encouragement à lui répondre par une démonstration de force : la Fédération, c’est-à-dire la concentration de milliers de patriotes armés, apparaissait plus que jamais comme la riposte la plus appropriée aux menées et aux espoirs des ennemis de la Révolution. C’est pourquoi la municipalité, abandonnant ses anciennes réticences, accepta le 11 mai d’« agréer » le projet que lui avait soumis la légion de la Pierre, projet d’abord rejeté par la troisième légion de Saint-Étienne mais repris avec enthousiasme par celle de la Dalbade. Le 28, elle décida de diffuser largement l’adresse que cette dernière avait rédigée à l’intention des « différentes légions patriotiques des villes, bourgs et villages du département de la Haute-Garonne »21, « comme un gage non équivoque du zèle qui enflamme et du patriotisme qui anime les citoyens de cette ville, et comme une preuve non suspecte de leur attachement inviolable au maintien de la nouvelle constitution ». Deux jours auparavant, elle avait proposé à la municipalité et à la garde nationale de Bordeaux, dont un détachement envoyé au secours des patriotes de Montauban s’était arrêté à Moissac, un « pacte fédératif » qui fut accepté le 29 ; en application de cet accord, des commissaires de l’armée bordelaise furent reçus par les légions toulousaines les 2 et 3 juin, une députation toulousaine, dont Rouzet était le secrétaire, assista à la fête de la Fédération tenue à Bordeaux le 17, et les Bordelais furent invités à celle de Toulouse. L’affaire de Montauban et son retentissement dans tout le Sud-Ouest ont donc pesé lourd sur la décision de convoquer enfin la Fédération toulousaine et sur son orientation définitive : conçue à l’origine comme une manifestation exclusivement départementale, elle s’ordonnait désormais autour de l’alliance bordelaise et s’ouvrait à d’autres participations, celle des Montalbanais réfugiés à Toulouse après le 10 mai et celle des gardes nationales de la région qui avaient offert de leur porter secours.

11Conformément à la décision prise le 28 mai par les commissaires de « l’armée patriotique » et confirmée le 4 juin par la municipalité, le général Douziech réunit une « commission chargée de tous les détails de la Confédération ». Composée de huit représentants de chaque légion (parmi lesquels Delmas, Mailhe, Rouzet, Veyrieu), cette commission s’assembla à six reprises à l’hôtel de ville entre le 14 juin et le 1er juillet. En liaison étroite avec les officiers municipaux, elle fixa la date, le lieu et l’ordonnance de la fête. Prévue d’abord pour le 25 juin, celle-ci fut reportée aux 4 et 5 juillet, et le Boulingrin de l’Esplanade (notre actuel Grand Rond) préféré au « pré qui longe le quai Dillon sur les bords de la Garonne » (la prairie des Filtres). Les avocats Mailhe et Veyrieu furent désignés comme orateurs, et l’abbé Paul-Benoît Barthe, doyen de la faculté de théologie, comme aumônier. On arrêta le dessin des drapeaux fédératifs, proposé par l’académie des arts, et la formule du serment, rédigée par Mailhe. Dans sa dernière séance, la commission adopta un règlement en trente-cinq articles organisant minutieusement l’accueil et le logement des « confédérés » ainsi que « l’ordre et le mode de la cérémonie ».

12L’hostilité du parti aristocratique, cependant, ne désarmait pas. Elle s’exprimait surtout au sein de la deuxième légion de Saint-Barthélemy, qui avait réprouvé l’intervention de la garde nationale toulousaine en faveur de celle de Montauban, menait une campagne de dénigrement contre Douziech et s’efforçait de dissuader les autres légions de participer à la Fédération. Elle refusa de se faire représenter à la commission préparatoire et ne s’y résolut qu’à partir du 28 juin, après le dénouement de « l’affaire de M. de Toulouse-Lautrec ».

  • 22 Rapport fait à l’Assemblée nationale, au nom de son Comité des rapports, dans l’affaire de M. de T (...)
  • 23 Selon le témoignage de Mathieu Dumas, alors présent à Toulouse, les légions « composées de révolut (...)
  • 24 Le comte de Toulouse-Lautrec, maréchal des camps et armées du roi, était député de la noblesse de (...)

13Une douzaine de jours auparavant avait couru le bruit que « des étrangers multipliaient leurs efforts pour provoquer une insurrection » en recrutant des hommes pour « empêcher, à main armée, la Fédération qui devait avoir lieu le 4 juillet »22. Le 18 juin, la municipalité fit arrêter le comte de Toulouse-Lautrec, accusé par deux témoins (dont un grenadier de la légion de la Daurade) d’être le chef de la conspiration ; mais elle dut rapidement le remettre en liberté, en dépit des réticences des légions patriotes23, à cause de la légèreté des charges qui pesaient sur lui et surtout de sa qualité de député à l’Assemblée nationale24.

  • 25 Michel Taillefer, art. cité, p. 299.
  • 26 Les Quatre Évangélistes, no 6, p. 66.

14À défaut d’avoir sérieusement envisagé de recourir à la force pour faire échouer le projet de Fédération, les aristocrates tentaient de le discréditer en le couvrant de ridicule dans Les Quatre Évangélistes, pamphlet périodique qui circulait sous le manteau depuis la mi-mai et abreuvait de railleries, de sarcasmes et de calomnies la municipalité, l’état-major de la garde nationale, les clubs et les principaux militants patriotes25. Sa verve satirique s’exerça par exemple aux dépens du drapeau ramené de Bordeaux par la délégation toulousaine à la fête de cette ville et promené en grande pompe dans les rues le 24 juin : sale et défraîchi, ce haillon ressemblant à « un de ces linges qu’on suspend au-dessus des tavernes pour annoncer qu’on y vend du vin » n’avait pu être donné que par « la plus vile canaille de Bordeaux »26...

  • 27 Du 13 au 15 juin la « bagarre de Nîmes » avait fait environ trois cents victimes, appartenant en m (...)

15C’est dans ce climat tendu, alourdi par les rumeurs de complot et par la menace de guerre civile que faisaient planer sur la région les affrontements politico-religieux de Montauban et de Nîmes27, que les Toulousains, partagés entre l’inquiétude et l’espérance, s’apprêtèrent à célébrer ou à subir leur fête de la Fédération.

Le triomphe des patriotes

16Composées de députés civils, membres des municipalités qui avaient répondu à l’invitation de celle de Toulouse, et de détachements d’infanterie et de cavalerie, parfois accompagnés de musiques, de leurs gardes nationales, les délégations de plusieurs centaines de communes de la Haute-Garonne, de Bordeaux et d’une soixantaine de localités de huit départements différents commencèrent à arriver le 2 juillet. Le lendemain, alors que la foule des confédérés continuait à affluer, se tint dans la salle des Illustres du Capitole une assemblée générale, qui entendit un discours de Veyrieu et approuva la formule du serment et le texte des adresses qui devaient être envoyées au roi et à l’Assemblée nationale.

17Le dimanche 4 juillet, sous un beau soleil d’été, les gardes nationaux en uniformes et en armes, arborant leurs drapeaux tricolores et escortés par leurs musiques, se rendirent à l’Esplanade, rebaptisée Champ-de-Mars pour la circonstance, où ils se disposèrent en cercles concentriques autour de l’autel de la Patrie, surmonté d’une croix et de six candélabres, élevé au milieu du Boulingrin. Au nombre d’environ trente mille, ils se placèrent au fur et à mesure de leur arrivée sur neuf lignes de trois rangs chacune, sans autre distinction que la séparation des corps d’infanterie et de cavalerie par mesure de sécurité. Vers deux heures de l’après-midi, les députés civils qui s’étaient rassemblés à l’hôtel de ville se formèrent en cortège. Venaient en tête, précédés par un détachement de dragons, les députés de Bordeaux et les Toulousains qui avaient assisté à la Fédération bordelaise, portant le drapeau qu’ils y avaient reçu. Puis marchaient la municipalité de Toulouse, environ deux mille maires, officiers municipaux et procureurs des autres communes ceints de leurs écharpes, les notables de Toulouse, de Bordeaux et des autres communes. Un second piquet de cavalerie fermait le cortège, qui sortit de la ville par la porte Montoulieu, traversa la foule des spectateurs et se rangea autour de l’autel.

18Ouverte par une salve d’artillerie, la cérémonie put alors commencer. L’abbé Barthe monta à l’autel avec quelques prêtres assistants et prononça un discours « sur la constitution française » consacré pour l’essentiel à l’éloge de la politique religieuse de la Révolution. Puis il bénit les deux drapeaux que lui présentaient le général Douziech et le maire Rigaud ; l’un fut remis à Rouzet, choisi comme porte-drapeau parce qu’il avait, « le premier, parlé à Toulouse de confédération », qui le confia pour la journée au chevalier Belot de la Digne, colonel général de la confédération des Pyrénées, « commandant des premières troupes confédérées de France » ; l’autre était destiné à la délégation bordelaise. De nouvelles salves de canon annoncèrent le serment fédératif, prononcé par Rigaud puis prêté par Douziech et « toute l’armée », au milieu des cris de Vive la nation, vive le roi ! L’enthousiasme redoubla lorsque Douziech reçut une couronne civique et fut proclamé, malgré ses protestations, général des gardes nationales du département.

19Vers six heures, le cortège des députés civils, suivi des détachements militaires, rentra dans la ville par la porte Saint-Michel. Après un ultime défilé au Capitole, aux cris de Vive la nation, vive le roi, vive l’Assemblée nationale, vivent les confédérés, vive la municipalité !, un grand banquet réunit dans le réfectoire des Augustins quelque huit cents convives, tandis que les « cercles particuliers » se formaient « pour différents soupers », et la nuit se passa en « réjouissances variées et multipliées », à la Comédie, sur les places et dans toutes les rues illuminées.

20Le lendemain, en fin de matinée, les délégations civiles et militaires se retrouvèrent au « Champ de la Confédération », dans le même ordre que la veille, en présence d’un public encore plus nombreux que le premier jour, qui avait attendu le cortège officiel en se livrant aux danses et aux farandoles. Les degrés de l’autel furent successivement occupés par les étudiants du collège de l’Esquile, au nom desquels un élève de rhétorique, Jean-Dominique Romiguières, fils d’un officier municipal, déclama un hymne patriotique à la liberté ; par Mailhe, qui prononça un discours très applaudi et reçut une couronne civique ; et par l’abbé Barthe, qui entonna le Te Deum suivi du Domine salvam fac gentem, salvam fac legem, salvum fac regem. À midi, le pacte fédératif, déposé depuis le début de la cérémonie sur l’autel, fut signé par Rigaud et Douziech. De retour en ville, les Toulousains et leurs hôtes s’adonnèrent, jusque bien avant dans la nuit, aux plaisirs des banquets, de la comédie, des danses, des courses, des sérénades, tandis que Mailhe était porté en triomphe par les confédérés, et que le produit d’une quête effectuée parmi les légionnaires était déposé entre les mains des officiers municipaux pour être distribué aux prisonniers.

21Les festivités se poursuivirent jusqu’au départ de la délégation bordelaise. Le 8 juillet, la municipalité offrit dans la salle des Illustres un dernier banquet public de deux cents couverts. Le 9, les députés de Bordeaux, qui avaient été reçus à déjeuner par l’officier municipal Bertrand, furent raccompagnés en musique au port de l’Embouchure, où ils s’embarquèrent sur la Garonne pour rentrer chez eux. Ainsi se termina « cette fête dont les annales ne fournissent aucun exemple. Puisse-t-elle, ainsi que toutes celles du même genre qui ont été célébrées dans le royaume, consolider à jamais l’heureux édifice de la liberté, et assurer à l’humanité qu’aucun des efforts qu’on oserait tenter pour le détruire ne demeurerait impuni ! »

  • 28 La Lettre d’un citoyen de Toulouse… porte leur nombre à quarante-cinq mille.
  • 29 Rappelons que le Tarn-et-Garonne n’existait pas encore, et que Montauban faisait partie du départe (...)

22Les dernières lignes du procès-verbal officiel mettent en relief les deux principaux enseignements que l’on peut tirer du déroulement de la Fédération toulousaine : celle-ci fut un incontestable succès, et ce succès doit être interprété comme la victoire du parti révolutionnaire sur le parti contre-révolutionnaire. La réussite de la fête se lit d’abord dans les chiffres : plusieurs milliers de députés des municipalités, trente mille gardes nationaux28, un millier de drapeaux, mille ou deux mille tambours, une masse énorme de spectateurs « des deux sexes et de tous les âges, ainsi que de tous les états », parmi lesquels « plus de vingt mille curieux accourus de plus de dix lieues à la ronde », au total peut-être cent mille personnes ; même Les Quatre Évangélistes parlent d’une « foule immense ». Ces chiffres paraissent d’autant plus impressionnants que le moment n’était guère favorable à un tel rassemblement, en raison des travaux des champs, de la tenue le même jour de la Fédération du département du Gers à Auch, et de la proximité de la Fédération nationale du 14 juillet. L’origine géographique des délégations venues de toute la Haute-Garonne et de neuf autres départements (Ariège, Aude, Aveyron, Corrèze, Gers, Gironde, Lot, Lot-et-Garonne et Tarn29) et d’aussi loin que Brive et Narbonne, n’est pas moins remarquable ; comme « l’alliance bordelaise » conclue en dépit de la rivalité traditionnelle entre les deux villes, elle traduit la mobilisation et la solidarité des patriotes du Sud-Ouest après les incidents de Montauban et les massacres de Nîmes.

  • 30 Il comportait notamment l’engagement de « poursuivre sans relâche les complots et les manœuvres qu (...)

23Le sens politique de la Fédération s’exprime clairement dans les textes qu’elle a suscités, des premières adresses des légions de la Pierre et de la Dalbade au discours de Mailhe du 5 juillet, en passant par la formule exceptionnellement longue et combative du serment fédératif30. Il s’agissait bien, pour ses promoteurs, de « contenir » les « fanatiques », les « séditieux » et les « mal intentionnés », ennemis de la liberté, des droits de l’homme, de la constitution, de la patrie et de la Révolution, par une démonstration de force armée ; de « prévenir leurs complots, arrêter leurs manœuvres, réprimer leur audace » ; bref, de les « faire trembler » par le déploiement d’un appareil militaire « redoutable ». Le trajet suivi par le cortège pour se rendre de l’hôtel de ville au Boulingrin fut certainement choisi dans ce but : passant par la rue de la Pomme, la rue Boulbonne, la place Saint-Étienne, la rue des Nobles, la place Saintes-Scarbes et la rue Ninau, il traversait un des quartiers les plus aristocratiques et ne pouvait manquer d’être perçu comme un défi lancé aux anciens maîtres de la ville, le haut clergé et la caste parlementaire.

  • 31 « Partout la messe en est le centre » (Mona Ozouf, « Il y a deux cents ans : la fête de la Fédérat (...)
  • 32 Le procès-verbal indique qu’« il avait été d’abord décidé que la Fédération serait précédée de la (...)

24Ceux-ci eurent d’autres raisons, plus graves, de se sentir provoqués. Alors qu’ils faisaient campagne depuis des mois pour que le catholicisme conserve son statut de religion d’État et son monopole du culte public, et contre la réforme ecclésiastique engagée par l’Assemblée constituante, la Fédération prit l’allure d’un manifeste en faveur de la tolérance religieuse et de la réorganisation de l’Église conformément aux principes de 89. Les « infortunés Montalbanais » protestants qui avaient trouvé refuge à Toulouse y furent officiellement invités, pour « prêter ce jour-là le serment civique dont les circonstances les avaient privés », et traités avec des égards particuliers ; l’un d’entre eux tenait la bride du cheval de Douziech lorsqu’il parcourut les rangs de l’armée après avoir été proclamé « généralissime » du département. Cinq cents gardes nationaux de Montauban désarmés par leur municipalité, « parmi lesquels il y en avait qui avaient été blessés à l’affaire du 10 mai », furent intégrés aux détachements de la légion de la Daurade et des dragons. C’est la raison pour laquelle la cérémonie du 4 juillet, bien qu’elle ait eu lieu un dimanche, et contrairement à l’usage constamment observé dans les fêtes de ce type31, ne comporta pas de service religieux ; lorsque l’abbé Barthe monta à l’autel, ce ne fut pas pour célébrer la messe, qui aurait pu gêner les nombreux protestants présents32, mais pour réfuter méthodiquement les arguments des catholiques traditionalistes et prononcer une vibrante apologie de la constitution civile du clergé que s’apprêtait à voter l’Assemblée nationale.

  • 33 Le procès-verbal reconnaît que « toutes les précautions indiquées pour que les confédérés fussent (...)

25Sur le moment, la seule réaction des aristocrates toulousains fut l’abstention : ceux qui n’avaient pas « déserté la ville quelques jours avant la fête » se barricadèrent chez eux ; l’avocat Fauré, qui imita « ce bon exemple », confirme que « les bonnes maisons de la ville restèrent fermées ce jour-là » et que « les personnes [de qualité] ne se présentèrent pas à ce spectacle ». Vaincus par la force du nombre, ils n’avaient plus d’autres armes que l’insulte et la dérision. Les deux numéros des Quatre Évangélistes publiés après la fête prennent rageusement le contrepied de la version officielle développée par le procès-verbal et les journaux patriotes, selon laquelle tout s’était passé, sinon dans un ordre parfait33, du moins dans une atmosphère exaltante de fraternisation et d’enthousiasme révolutionnaire, et sans le moindre incident ou accident ; ils dépeignent la cérémonie comme une mascarade grotesque, les confédérés comme une horde de paysans patibulaires, ivrognes et brutaux, l’abbé Barthe comme un pantin ridicule, Douziech comme une baderne intrigante, et les réjouissances populaires comme de scandaleuses orgies.

26Pour ses principaux protagonistes, la Fédération servit de tremplin à leur carrière politique. Dans les mois qui suivirent, Rouzet fut élu officier municipal, Mailhe procureur général syndic du département, Veyrieu juge au tribunal du district, et l’abbé Barthe évêque constitutionnel du Gers. Inversement, ses adversaires les plus déterminés se trouvèrent bientôt réduits au silence : Les Quatre Évangélistes cessèrent de paraître à la fin du mois d’août, le parlement fut définitivement supprimé en septembre, et la deuxième légion de Saint-Barthélemy dissoute en mars 1791.

  • 34 Georges Fournier, op. cit., p. 37.

27Aboutissement d’une lutte de plusieurs mois, au cours de laquelle le parti patriote avait progressivement pris le dessus sur le parti aristocratique, la Fédération toulousaine de juillet 1790 ne fut donc pas seulement la fête joyeuse, colorée et bon enfant qu’a su rendre le pinceau de Joseph Roques ; « instant crucial d’un combat politique34 », elle marque une étape décisive dans l’évolution qui fit de Toulouse, la vieille capitale religieuse et parlementaire si fortement attachée à l’Ancien Régime, une ville majoritairement acquise à la Révolution, une « ville rouge ».

Notes

1 Sur ce tableau de Joseph Roques, conservé au musée des Augustins et souvent reproduit, voir le catalogue de l’exposition Toulouse et le néo-classicisme. Les artistes toulousains de 1775 à 1830, musée des Augustins, 11 octobre 1989-7 janvier 1990, p. 64.

2 Aux récits purement descriptifs de Louis Ariste et Louis Braud dans leur Histoire populaire de Toulouse, Toulouse, aux bureaux du Midi républicain, 1898, p. 274-292, d’Émile Connac dans La Révolution à Toulouse et dans le département de la Haute-Garonne, Toulouse, Privat, 1902, p. 19-24, et de Michel Barré dans sa thèse de troisième cycle d’histoire sur Les fêtes révolutionnaires à Toulouse, 1789-1800, université de Toulouse-Le Mirail, 1976, p. 18-27, on préférera désormais la vivante évocation et les judicieuses analyses de Georges Fournier dans ses Journées révolutionnaires à Toulouse, Nîmes, Chambon, 1989, p. 25-44.

3 Outre les délibérations du conseil général de la commune et la correspondance des officiers municipaux conservées aux archives municipales de Toulouse, la documentation sur la Fédération de juillet 1790 consiste en de nombreuses brochures imprimées. Voici la liste de celles que nous avons consultées à la bibliothèque municipale de Toulouse, à la bibliothèque municipale de Montauban et à la Bibliothèque nationale : Extrait des délibérations de la légion de la Pierre, s. l. n. d., 8 p. ; Adresse de la légion patriotique de la Dalbade de Toulouse, aux différentes légions patriotiques des villes, bourgs et villages du département de la Haute-Garonne, à Toulouse, chez D. Desclassan, s. d., 16 p. ; Discours d’un légionnaire, adressé à la troisième légion Saint-Étienne, assemblée dans la tribune de MM. les Pénitens Noirs de Toulouse, le 24 mai 1790, s. l., 16 p. ; Correspondance de la municipalité de Toulouse avec celle de Bordeaux pour le pacte fédératif, à Toulouse, chez D. Desclassan, s. d., 14 p. ; Lettres et délibérations des municipalités de Toulouse et de Bordeaux pour un pacte fédératif, à Bordeaux, de l’imprimerie des Frères Labottière, s. d., 8 p. ; Lettre de M. Rouzet, avocat, à un de ses amis du département du Lot, s. l. n. d., 8 p. ; Procès-verbal de la Confédération jurée sous les murs de Toulouse le 4 juillet 1790, par des gardes réunies des départemens de la Haute-Garonne, de la Gironde, du Lot-et-Garonne, du Gers, de l’Aude, du Tarn, du Lot, de l’Ariège, de l’Aveyron et autres, à Toulouse, chez D. Desclassan, 64-56 p. ; Discours prononcé dans la salle des Illustres, le 3 juillet 1790, par M. Veirieu, capitaine des grenadiers de la légion de la Pierre, en présence de la municipalité, à la réception de MM. les commissaires des gardes nationales qui se sont confédérées sous les murs de Toulouse, à Toulouse, chez D. Desclassan, 16 p. ; Discours sur la constitution française, prononcé au Champ de Mars, le jour de la Fédération générale des municipalités et gardes nationales réunies des départemens de la Haute-Garonne, de la Gironde, du Tarn, du Lot, du Lot-et-Garonne, du Gers, de l’Aude, des Pyrénées et autres, jurée à Toulouse le 4 juillet 1790, par Paul-Benoit Barthe... aumônier de ladite Fédération, s. l., 12 p. ; À la Liberté. Hymne patriotique sur la Fédération générale du département de la Haute-Garonne, dédié aux légions de la ville de Toulouse et de son département, par M. Romiguière, écolier de rhétorique, au nom des étudiants du Collège de l’Esquille, 4 juillet 1790, s. l., 8 p. ; Discours prononcé sur l’autel de la Patrie, par Jean Mailhe, capitaine de la légion de la Dalbade, au moment où l’on allait signer le pacte fédératif juré à Toulouse le 4 juillet 1790, à Toulouse, chez D. Desclassan, 8 p. ; Lettre d’un citoyen de Toulouse à un citoyen de Bordeaux sur la Fédération qui a eu lieu dans cette ville le 4 juillet 1790, Toulouse, 6 juillet 1790, 8 p. Nous avons également utilisé les comptes rendus publiés par les trois journaux qui paraissaient alors à Toulouse : Le Nouvelliste national, no 195, lundi 5 juillet 1790, p. 113-114 ; no 196, mardi 6 juillet, p. 127-128 ; Journal universel et Affiches de Toulouse et du département de la Haute-Garonne, no 27, mercredi 7 juillet 1790, p. 105-107 ; Supplément au Journal universel de Toulouse et du département de la Haute-Garonne, no 27, samedi 10 juillet, p. 106 ; Les Quatre Évangélistes, ou Supplément aux Actes des Apôtres, no 7, p. 74-81 ; no 8, p. 85-88.

4 Pierre-Henri Thore, « Fédérations et projets de fédérations dans la région toulousaine », Annales historiques de la Révolution française, 1949, p. 346-368.

5 Ibid., p. 351. Voir aussi Pierre Arches, « Une Fédération locale : la Confédération des Pyrénées (1789-1790). Travaux d’approche », Bulletin d’histoire économique et sociale de la Révolution française, 1971, p. 11-101.

6 Confédération du district de la ville du Mas-d’Azil, comté de Foix. Séance du 7 octobre 1789. Extrait des registres de l’hôtel de ville, à Pamiers, de l’imprimerie de Larroire, 8 p.

7 Né en 1743, Jacques-Marie Rouzet était le fils d’un tailleur d’habits et de la fille d’un perruquier ; en dépit de cette extraction modeste, il était devenu un des avocats les plus distingués du barreau de Toulouse. On lui attribue plusieurs brochures publiées à la veille et au début de la Révolution : Étrennes pour l’année 1789, ou Almanach historique à l’usage du tiers état ; Libération de la dette nationale, par souscription ; Mode d’imposition. Tableau et nouveaux produits de finance à proposer à l’Assemblée nationale ; Nouveau catéchisme français. Sur ses origines familiales et le début de sa carrière, consulter Pierre Arches, « Les origines du conventionnel toulousain Jacques-Marie Rouzet (1743-1820) », Annales du Midi, 1971, p. 431-439.

8 Henri Ramet, Histoire de Toulouse, Toulouse, Tarride, s. d., p. 649.

9 Georges Fournier, op. cit., p. 9-23.

10 Félix Pasquier, Notes et réflexions d’un bourgeois de Toulouse au début de la Révolution, d’après des lettres inédites, Toulouse, Bonnet, 1917, 64 p.

11 Déclaration de l’ordre de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse du 16 octobre 1789, s. l., 4 p.

12 Michel Taillefer, « La presse à Toulouse pendant la Révolution », dans Mémoires de l’académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 1989, p. 296-299 [voir supra p. 353-360].

13 Laurence Duret, La garde nationale pendant la Révolution à Toulouse (1789-1793), mémoire de maîtrise d’histoire, université de Toulouse-Le Mirail, 1990, p. 85-107.

14 Le quartier du parlement ; l'église Saint-Barthélemy s’élevait au carrefour de la rue du Languedoc et de la rue Nazareth.

15 Philippe Nélidoff, La municipalité de Toulouse pendant la Révolution française (1788-1795), thèse pour le doctorat en droit, université des sciences sociales de Toulouse, 1990, p. 308-310.

16 Jean-Claude Meyer, La vie religieuse en Haute-Garonne sous la Révolution (1789-1801), Toulouse, Association des publications de l’université de Toulouse-Le Mirail, 1982, p. 43-65.

17 Procès-verbal de l’assemblée des citoyens actifs de la ville de Toulouse, réunis au nombre de plus de cent cinquante, après avoir donné avis à MM. les maire et officiers municipaux, les 18, 19 et 20 avril 1790, pour demander une assemblée générale de la commune de cette ville, afin d’y délibérer sur les intérêts de la religion catholique, apostolique et romaine, s. l., 40 p.

18 Adresses des citoyens actifs de la ville de Toulouse, au roi et à l’Assemblée nationale, s. l. n. d., 20 p.

19 Fabrice Schmit, Jacobins et jacobinisme à Toulouse. Étude des personnages de la Société populaire de 1790 à 1795, mémoire de maîtrise d’histoire, université de Toulouse-Le Mirail, 1990, p. 65.

20 Les Toulousains en avaient connaissance par leurs journaux, et surtout par Le Nouvelliste national qui, de février à juin 1790, évoqua les Fédérations rassemblées à Pontivy, Valence, Romans, Épinal, Grenoble, Lyon, Lille et Nîmes. Au début de mai circulaient les relations des Fédérations d’Orange et de Rochefort.

21 Son principal rédacteur était l’avocat Jean Mailhe, bien connu de ses compatriotes par ses succès répétés aux concours des jeux Floraux, capitaine de la légion de la Dalbade.

22 Rapport fait à l’Assemblée nationale, au nom de son Comité des rapports, dans l’affaire de M. de Toulouse-Lautrec, par M. Varin, député de Rennes, à Paris, de l’Imprimerie nationale, s. d., 16 p.

23 Selon le témoignage de Mathieu Dumas, alors présent à Toulouse, les légions « composées de révolutionnaires [...] entouraient le Capitole où se trouvait M. de Toulouse-Lautrec avec des clameurs menaçantes, tandis qu’une autre, recrutée parmi les parlementaires, se disposait à favoriser sa sortie par la force » (Souvenirs du lieutenant général comte Mathieu Dumas, de 1770 à 1836, publiés par son fils, Paris, Gosselin, 1839, t. 1, p. 476).

24 Le comte de Toulouse-Lautrec, maréchal des camps et armées du roi, était député de la noblesse de la sénéchaussée de Castres. Le 26 juin, l’Assemblée nationale, tout en approuvant le « zèle patriotique » de la municipalité de Toulouse, décréta qu’aucun de ses membres ne pourrait être arrêté et inculpé « avant que le Corps législatif, sur le vu des informations et des pièces à conviction, ait décidé qu’il y ait lieu à accusation » : c’est l’origine de l’immunité parlementaire (Décret de l’Assemblée nationale concernant l’affaire de M. de Lautrec, avec les détails qui l’ont précédée, s. l. n. d., 4 p.).

25 Michel Taillefer, art. cité, p. 299.

26 Les Quatre Évangélistes, no 6, p. 66.

27 Du 13 au 15 juin la « bagarre de Nîmes » avait fait environ trois cents victimes, appartenant en majorité à la communauté catholique de la ville.

28 La Lettre d’un citoyen de Toulouse… porte leur nombre à quarante-cinq mille.

29 Rappelons que le Tarn-et-Garonne n’existait pas encore, et que Montauban faisait partie du département du Lot.

30 Il comportait notamment l’engagement de « poursuivre sans relâche les complots et les manœuvres qu’on pourrait former contre l’ordre établi par nos représentants ».

31 « Partout la messe en est le centre » (Mona Ozouf, « Il y a deux cents ans : la fête de la Fédération », dans Le Monde, 8-9 juillet 1990, p. 2). On sait qu’à Paris la messe fut célébrée par Talleyrand, évêque d’Autun.

32 Le procès-verbal indique qu’« il avait été d’abord décidé que la Fédération serait précédée de la messe », mais la Lettre d’un citoyen de Toulouse… explique que cet « acte religieux, tout saint et auguste qu’il est d’ailleurs, n’aurait point été au gré d’une foule d’étrangers dont les principes contrastent avec lui, et qui ne pouvaient en être les témoins sans commettre un acte d’hypocrisie, ou affecter par leur façon de penser une coupable indifférence ».

33 Le procès-verbal reconnaît que « toutes les précautions indiquées pour que les confédérés fussent reçus et placés avec la distinction que l’armée toulousaine leur préparait furent insuffisantes ».

34 Georges Fournier, op. cit., p. 37.

© Presses universitaires du Midi, 2014

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