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Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution

 | 
Michel Taillefer

Histoire de la presse régionale pendant la révolution française

Un enjeu de la vie politique locale sous la Révolution : la liberté de la presse

Texte intégral

  • 1 Raymond Manévy, La Révolution et la liberté de la presse, Paris, Éditions Estienne, 1965.

1Le 9 mars 1793, la Convention décréta que ses membres qui rédigeaient des journaux « seront tenus d’opter entre les fonctions de député et celles de rédacteur de journal ». Ce décret fut rapporté dès le 2 avril ; comment aurait-il pu être appliqué, à une époque où tant de journalistes, marchant sur les traces de Brissot, de Desmoulins, de Marat, se lançaient dans une carrière politique, et où les principaux hommes politiques, de Mirabeau à Robespierre, possédaient leur journal ? Simple épisode d’un débat quasi permanent, commencé le 24 août 1789 lors de la discussion de la Déclaration des droits de l’homme et qui se poursuivit jusqu’à la veille du 18 Brumaire1, cet incident confirme que le statut de la presse, le rôle des journalistes et leurs rapports avec le pouvoir constituèrent tout au long de la période révolutionnaire un des enjeux essentiels de la vie politique nationale. Mais le problème de la liberté de la presse se posait aussi en province, et plus particulièrement dans les villes où étaient publiés des journaux. Comment les détenteurs du pouvoir politique réagirent-ils face à ce nouveau pouvoir né de la Révolution, le journalisme ? C’est ce que nous voudrions montrer brièvement à partir de l’exemple du Midi toulousain.

  • 2 Fondées en 1759, les Affiches de Toulouse et du Haut-Languedoc n’étaient publiées sans interruptio (...)

2Il faut d’abord rappeler que, toutes proportions gardées, l’essor de la presse provinciale provoqué par la Révolution ne fut pas moins spectaculaire que celui de la presse parisienne. Dans la région toulousaine, où ne paraissait au début de 1789 qu’une modeste feuille périodique, les Affiches de Toulouse2, trente-six journaux au moins furent créés en dix ans dans huit villes différentes. Certes beaucoup d’entre eux ont été très éphémères : fondé le 2 juin 1792, le Journal du département du Tarn de Castres disparut dès le 7 novembre ; L’Observateur du département du Lot de Cahors ne dura guère plus longtemps, du 22 septembre 1796 au 30 mars 1797, et le Journal de l’Aveiron de Rodez atteignit à peine un an, du 21 décembre 1796 au 20 décembre 1797. Mais Montauban eut trois journaux, publiés de juillet 1789 à mars 1793 et d’août 1796 à septembre 1797 ; Tarbes en eut cinq, entre février 1792 et juin 1798, Auch sept entre juillet 1792 et avril 1800, et Toulouse seize, jusqu’en août 1800. Plus significativement encore, les habitants d’Auch, de Montauban, de Tarbes et de Toulouse eurent à certaines époques le choix entre plusieurs feuilles de tendance opposée ; en août 1796 par exemple, les Toulousains pouvaient lire, outre la presse parisienne, un journal résolument jacobin, L’Observateur républicain, un journal violemment contre-révolutionnaire, L’Anti-Terroriste, et deux périodiques inspirés par le clergé réfractaire, La Feuille villageoise catholique et Le Philosophe catholique.

  • 3 D’après Jacques Godechot, La Révolution française dans le Midi toulousain, Toulouse, Privat, 1986, (...)
  • 4 D’après Max Fajn, « La diffusion de la presse révolutionnaire dans le Lot, le Tarn et l’Aveyron, s (...)
  • 5 Archives départementales du Tarn, L 1531, fol. 53 v°.

3Bien qu’il soit difficile à mesurer avec précision, l’impact de ces journaux était certainement plus considérable que ne pourraient le laisser croire leurs dimensions réduites et leur faible tirage. Comptant habituellement huit pages in-octavo à une colonne ou quatre pages in-quarto à deux colonnes, ils n’offrent à leurs rédacteurs qu’une surface limitée ; mais ils paraissent généralement plusieurs fois par semaine ou par décade, voire, comme Le Nouvelliste national de Toulouse, tous les jours sauf le dimanche. De même, leur tirage peut sembler dérisoire : moins d’un millier d’exemplaires pour le Journal du département du Gers et Les Documens de la Raison d’Auch, peut-être 600 pour les grands journaux toulousains et moitié moins pour ceux de Montauban3, moins de 300 pour le Journal du département du Tarn4, et 200 environ pour le Journal de l’Aveiron ; quant à L’Ami des campagnes de Revel, un contemporain, il est vrai malintentionné à son égard, prétendait qu’il « avait à peine 20 abonnés » et « ne tirait pas à 60 exemplaires » ! Mais on ne doit pas oublier que la pratique très répandue de la lecture collective, en famille, sur les lieux de travail, dans la rue, au café, au cours des séances des sociétés populaires, multipliait le public potentiel des journaux et élargissait leur audience réelle bien au-delà du cercle nécessairement restreint de leurs abonnés ; elle leur permettait de surmonter l’obstacle de l’analphabétisme et de l’ignorance du français, et d’atteindre une bonne partie de la population urbaine et même rurale. Tel était le but que se proposait le Journal du département du Tarn dans son premier numéro : « MM. les curés constitutionnels et les officiers municipaux sont instamment priés de le lire au peuple à la sortie des offices religieux et dans les assemblées champêtres des Amis de la Constitution. » Les Documens de la Raison étaient également destinés à être lus publiquement par les officiers municipaux des « communes des campagnes » tous les décadis, et à servir de base aux « discours civiques qu’ils doivent prononcer ces jours-là ». Lorsqu’on parvient à la repérer au hasard des archives, la diffusion des journaux locaux paraît donc avoir été plus efficace qu’on n’aurait pu s’y attendre ; c’est ainsi que l’unique numéro de L’Homé franc, « journal tout noubel én patois, faït ésprès per Toulouso » publié le 8 février 1791, arriva jusqu’à Castres où il fut lu le 10 juin suivant à la Société des amis de la Constitution5.

4Comme les autres feuilles provinciales, les journaux du Midi toulousain sont de trois types : les journaux d’information générale, privilégiant les nouvelles nationales et internationales et s’interdisant tout commentaire, dont le meilleur exemple est fourni par Le Nouvelliste national ; les pamphlets périodiques et les revues doctrinales, ne contenant pas d’informations proprement dites mais des considérations idéologiques ou des prises de position polémiques, tels que Les Quatre Évangélistes de Toulouse, Les Documens de la Raison et La Feuille villageoise catholique ; et les journaux mixtes, alliant en proportions variables commentaires et nouvelles nationales, internationales et locales, qui sont de loin les plus nombreux. Tous ont cependant en commun de consacrer à la politique la quasi-totalité de leur surface rédactionnelle, le Journal de l’Aveiron étant le seul à proposer régulièrement quelques articles littéraires et scientifiques.

  • 6 Albi remplaça Castres comme chef-lieu du département du Tarn en novembre 1797.

5Leur présence dans les villes les plus importantes (tous les chefs-lieux de départements à l’exception de Foix et d’Albi6, et Montauban, chef-lieu de district du Lot jusqu’à la création du Tarn-et-Garonne en 1808), leur audience auprès d’un large public appartenant à la plupart des catégories sociales et leur contenu presque exclusivement politique faisaient donc des journaux publiés dans la région un des éléments essentiels de la vie politique locale. Mais leurs auteurs ne se contentaient pas d’en être les témoins ; ils voulaient en être aussi les acteurs, ce qui les conduisit souvent à en devenir les victimes.

  • 7 Du nom de son rapporteur, le député de Rouen Jacques Thouret.
  • 8 Jérôme Pétion de Villeneuve, député de Paris.
  • 9 Article 17 du chapitre V du titre III.

6Quelles étaient en effet les ambitions des journalistes de l’époque révolutionnaire ? La majorité d’entre eux se fixaient pour principal objectif d’informer leurs lecteurs sur l’actualité politique. Ceux qui rédigeaient des pamphlets périodiques ou des revues doctrinales souhaitaient surtout diriger l’opinion, dans un sens favorable ou contraire à la Révolution. Mais tous ou presque s’assignaient en outre une mission plus spécifique, impliquant inévitablement une confrontation avec les pouvoirs. Se considérant comme les interprètes et les défenseurs naturels du peuple, ils prétendaient exercer une surveillance constante sur l’action des autorités constituées, afin de dénoncer et de prévenir les abus que celles-ci ne manqueraient pas de commettre si elles n’étaient pas soumises à une telle surveillance. Héritiers de Brissot, qui dès les premiers jours de la Révolution avait mis en épigraphe à son Patriote français qu’« une gazette libre est une sentinelle qui veille sans cesse pour le peuple », ils voyaient dans la presse un « quatrième pouvoir » indépendant des trois autres, un contre-pouvoir au penchant spontané de l’administration vers le despotisme, et la plus sûre protection des libertés individuelles. Dans la discussion de la première loi sur la presse, la loi Thouret7 du 22 août 1791, de nombreux orateurs développèrent cette conception que l’on pourrait appeler « tribunitienne » du journalisme ; Pétion8 résuma leur pensée lorsqu’il s’exclama : « Un des plus grands bienfaits de la liberté de la presse, n’est-ce pas d’inciter les citoyens à surveiller sans cesse les hommes en place, à éclairer leur conduite, à démasquer leurs intrigues, à avertir la société des dangers qu’elle court ? La liberté de la presse crée des sentinelles vigilantes. » Le principe selon lequel « la censure sur les actes des pouvoirs constitués est permise » fut donc inscrit dans la loi et repris dans la Constitution du 3 septembre 17919.

7Comme la plupart de leurs confrères, les journalistes du Midi toulousain s’attribuaient les fonctions de « sentinelles du peuple » et le rôle de « palladium de la liberté ». Le 15 décembre 1789, l’auteur du Nouvelliste national affirma que « la liberté de la presse est là pour surveiller les divers pouvoirs, et pour nous informer de leurs déviations ». Le 7 mars 1792, les rédacteurs du Journal du département de la Haute-Garonne, titre pris en 1790 par les Affiches de Toulouse, se déclarèrent déterminés à poursuivre, « sans déclamation et sans faiblesse, les erreurs et les négligences des autorités constituées ; ils leur rappelleront ce que la patrie a le droit d’attendre d’elles pour prix de sa confiance ». Répondant le 1er août 1792 à un administrateur du département qui lui reprochait de l’avoir « censuré », l’auteur du Journal constitutionnel du département du Gers d’Auch répliqua fièrement : « Je me crois, Monsieur, le surveillant naturel de l’administration ; c’est le droit d’un journaliste honnête, je dis plus, c’est son devoir [...]. Par la constitution, la censure sur les actes des pouvoirs constitués est permise ; les ministres de cette censure, Monsieur, ce sont les journalistes. » En avril 1795, toujours à Auch, le prospectus du Journal décadaire du département du Gers justifiait ainsi sa parution : « N’y a-t-il pas des corps administratifs, des municipalités, des tribunaux à surveiller ? Ce journal est une sentinelle que l’on pose à leur côté, et sans doute il n’est pas indifférent qu’un administrateur, à chaque pas qu’il fait dans la carrière, se dise : demain, je serai jugé, et jugé à haute voix [...]. » On pourrait multiplier les citations, qui iraient toutes dans le même sens. Elles souligneraient que, dans l’esprit des journalistes, c’est bien une révolution que la Révolution avait opérée dans les relations entre la presse et le pouvoir politique : sous l’Ancien Régime, ce dernier censurait les journaux ; désormais, ce sont les journaux qui le censurent. Mais qu’en pensaient, de leur côté, les « hommes en place » ?

8La réponse à cette question doit être cherchée moins dans leurs discours, peu explicites sur ce sujet, que dans leurs actes. Ceux-ci font apparaître que, pour les journalistes de province, le « despotisme censoral » aboli en 1789 fut trop souvent remplacé par l’arbitraire des pouvoirs locaux. En effet, les membres des corps constitués – administrations des départements et des districts, municipalités, tribunaux – et les militants des sociétés populaires toléraient difficilement l’expression d’idées politiques divergentes des leurs, et surtout refusaient d’être mis en accusation devant le « tribunal de l’opinion » et de voir leur autorité minée par les journalistes. Connaissant – et peut-être exagérant – l’influence des journaux sur l’esprit public, ils adoptèrent donc à leur égard une double attitude, consistant à tenter de réduire au silence les feuilles qui critiquaient leur action et à soutenir celles qui l’approuvaient, voire à les susciter si elles n’existaient pas.

9Pour faire taire les journalistes qui leur déplaisaient, ils avaient recours à toute une panoplie de mesures d’intimidation – condamnations publiques, autodafés symboliques, violences physiques – ainsi qu’aux procédures administratives et judiciaires. Non sans succès, comme le montrent maints exemples empruntés à presque toutes les villes de la région.

10À Toulouse, un pamphlet périodique royaliste, Les Quatre Évangélistes, disparut en août 1790 après que la Société des amis de la Constitution eut menacé un de ses auteurs présumés de « le promener dans les rues, avec un bâillon sur la bouche, ayant un écriteau devant et derrière avec les mots : calomniateur public, et monté sur un âne ». De même, en janvier 1791, Le Spectateur du Sud de la France, pourtant favorable à la Révolution, ne survécut pas à une délibération de la Société désavouant cet « ouvrage rempli d’erreurs et de faux faits ». En juin 1792, l’imprimeur Pierre Lalanne, qui publiait une version toulousaine du Bulletin et Réviseur impartial du pour et du contre, compilation de divers journaux plutôt hostiles au nouveau régime, fut poursuivi en justice par les officiers municipaux dont il avait « affecté le patriotisme chatouilleux » ; son acquittement par le jury ne l’empêcha pas d’abandonner son entreprise. En 1793, c’est le rédacteur du Journal du département de la Haute-Garonne, l’imprimeur Jean-Baptiste Broulhiet, ardent patriote de 1789 rallié aux Girondins, qui se heurta à l’intolérance des autorités jacobines. Dénoncé en février au directoire du département pour avoir critiqué « la loi qui dispense les conseils des communes de motiver leur refus des certificats de civisme », il fut convoqué par le procureur général syndic qui lui enjoignit de modérer à l’avenir « ses jugements et ses réflexions ». Le 10 avril, la Société des amis de la Constitution décida de « faire brûler en public » son journal, parmi d’autres « feuilles anticiviques ». Le 8 août, mandé au comité de surveillance par un représentant en mission, il dut promettre de rétracter « toutes les erreurs dont il avait infecté jusqu’ici les citoyens ». Broulhiet fut finalement arrêté le 14 septembre, en même temps que le directeur de son imprimerie Martial Meilhac, sous le prétexte d’avoir rapporté sans précaution la proclamation d’un général espagnol, mais en réalité à cause de ses opinions « fédéralistes », ce qui entraîna quelques semaines plus tard la disparition de son journal.

11À Montauban, le Journal national fondé par l’imprimeur Jean-Vincent Teulières dès la fin de juillet 1789 prit très vite une orientation franchement contre-révolutionnaire. Dénoncé à la municipalité comme « libelle incendiaire » par le club des Patriotes, en octobre 1790 et de nouveau en janvier 1791, il fut déféré à l’accusateur public en mars 1791 pour avoir publié le bref du pape Pie VI condamnant la constitution civile du clergé. Le 15 juin, des patriotes saccagèrent l’atelier de Teulières, qui quitta la ville en désignant pour lui succéder le directeur de son imprimerie, Jean Sagnes ; mais celui-ci fut arrêté le 22 septembre et le journal cessa de paraître.

  • 10 Sans doute le Journal de Toulouse et des frontières de l’Espagne, suite du Journal révolutionnaire(...)

12Citons encore le Journal du département du Tarn, dont le numéro du 7 juillet 1792 fut brûlé par la Société des amis de la Constitution de Mazamet parce qu’il contenait un article trop favorable à La Fayette, et le Journal constitutionnel du département du Gers, qui subit peu après le même sort à la Société des amis de la Constitution d’Auch. Vers la fin de la réaction thermidorienne, en août 1795, un journal, « qu’on disait être teint de principes terroristes10 » fut brûlé « sur le théâtre de la Maison commune » de Toulouse. Inversement, sous le premier Directoire, L’Anti-Terroriste, tribune virulente des contre-révolutionnaires toulousains, devint la cible permanente de la municipalité dont les Jacobins avaient repris le contrôle. Une dizaine de procès, plusieurs suspensions consécutives à l’arrestation de son principal rédacteur Meilhac, les avanies qu’essuyaient dans les rues les colporteurs qui le vendaient à la criée, les menaces de mort et les coups de bâton reçus par son propriétaire Broulhiet ne purent venir à bout de sa détermination, jusqu’à sa suppression par le gouvernement au lendemain du coup d’État du 18 Fructidor.

13Ne réussissant pas toujours à éliminer les journaux qui leur étaient contraires, les « hommes en place » s’efforçaient de leur opposer des journaux reflétant leur point de vue. Ainsi naquit une presse officieuse, voire officielle, étroitement contrôlée par le parti au pouvoir et souvent subventionnée par l’administration locale.

14L’initiative vint d’abord des sociétés populaires. Le Journal du département du Tarn était directement publié par la Société des amis de la Constitution de Castres, qui en confia la rédaction à son secrétaire, C.-A. Labru, tandis que la Société de Montauban et celle de Tarbes s’exprimaient moins ouvertement, mais tout aussi efficacement, par le canal des Nouvelles intéressantes et du Journal des Hautes-Pyrénées. La « feuille hebdomadaire » dont la Société toulousaine avait envisagé la création en juillet 1793 ne vit pas le jour sous cette forme, mais elle est à l’origine du Journal révolutionnaire de Toulouse fondé deux mois plus tard. Prototype des journaux de propagande montagnarde, seuls tolérés pendant la Terreur, c’était l’organe officiel des agents du gouvernement révolutionnaire : publié « par ordre des représentants du peuple et du Comité de surveillance qui en prépare les matériaux », son contenu était soumis au visa de l’agent national du district et son rédacteur touchait de la municipalité un traitement annuel de 4 000 livres, le produit net des abonnements devant être reversé au comité de surveillance. Les deux journaux qui paraissaient à Auch à la même époque recevaient également une aide financière de l’administration départementale, qui payait les frais des Documens de la Raison et souscrivit 800 abonnements au Journal du département du Gers, pour les adresser gratuitement aux municipalités et aux sociétés populaires du département.

15Le rétablissement de la liberté de la presse et du pluralisme après la chute de Robespierre n’entraîna pas l’abandon de ces pratiques nées sous la dictature montagnarde. Créé en septembre 1795 pour faire pièce à L’Anti-Terroriste, L’Observateur républicain était activement soutenu par la municipalité de Toulouse et l’administration du département, qui souscrivaient des abonnements et incitaient les municipalités de canton à suivre leur exemple. De même, la municipalité de Cahors et l’administration centrale du Lot contribuaient à financer L’Observateur du département du Lot, publié à Cahors pour combattre l’influence réactionnaire du Journal du Lot de Montauban ; le Journal de l’Aveiron était lui aussi subventionné par l’administration de ce département.

  • 11 Archives départementales de la Haute-Garonne, 201 U 2 et 201 U 5.

16Le coup d’État jacobin du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) marque un tournant dans l’histoire de la presse provinciale de l’époque révolutionnaire. Pour la première fois depuis 1789 en effet, celle-ci se voyait soumise à une législation répressive nationale. En plaçant les journaux sous l’inspection de la police et en permettant au ministre de la Police générale de les prohiber, la loi du 19 fructidor transférait à l’État et à ses agents l’initiative du contrôle de la presse exercé depuis 1789 par les autorités locales. C’était pour les journalistes une situation beaucoup plus dangereuse et ceux du Midi toulousain ne tardèrent pas à s’en apercevoir comme leurs confrères des autres régions. Immédiatement après le coup d’État, L’Anti-Terroriste fut prohibé par un arrêté du Directoire du 20 fructidor et ses rédacteurs condamnés à la déportation par la loi du 22 fructidor. Les interdictions de journaux crypto-royalistes, ou simplement modérés, se multiplièrent ensuite, frappant successivement L’Ami des campagnes de Revel (en janvier 1798), le Journal des Hautes-Pyrénées de Tarbes (en avril 1798), le Journal du département de Haute-Garonne de Toulouse (en avril 1799). Le sommet de la répression fut atteint en juillet 1798, avec la condamnation à mort par le tribunal criminel de la Haute-Garonne (par contumace il est vrai) de l’auteur de L’Ami des campagnes, Marc-Antoine Durand, tenu pour « complice de la conspiration qui a été déjouée le 18 fructidor11 ».

17Dépendant désormais directement du pouvoir central, la presse provinciale cessa d’être un enjeu de la vie politique locale. En l’étouffant progressivement, le second Directoire ouvrait la voie à la dictature consulaire, qui la supprima totalement. Au 18 brumaire ne subsistaient dans la région que deux journaux, organes des néo-jacobins : Le Républicain démocrate d’Auch, interdit le 27 avril 1800 par le ministre de l’Intérieur, et L’Observateur républicain, de Toulouse, suspendu le 11 août suivant par le préfet de la Haute-Garonne. Pour de longues années, la liberté de la presse ne sera plus, dans le Midi toulousain, qu’un souvenir.

Notes

1 Raymond Manévy, La Révolution et la liberté de la presse, Paris, Éditions Estienne, 1965.

2 Fondées en 1759, les Affiches de Toulouse et du Haut-Languedoc n’étaient publiées sans interruption que depuis 1781. C’était un hebdomadaire de quatre pages in-quarto, paraissant le mercredi.

3 D’après Jacques Godechot, La Révolution française dans le Midi toulousain, Toulouse, Privat, 1986, p. 107.

4 D’après Max Fajn, « La diffusion de la presse révolutionnaire dans le Lot, le Tarn et l’Aveyron, sous la Convention et le Directoire », Annales du Midi, juillet-septembre 1971, p. 30.

5 Archives départementales du Tarn, L 1531, fol. 53 v°.

6 Albi remplaça Castres comme chef-lieu du département du Tarn en novembre 1797.

7 Du nom de son rapporteur, le député de Rouen Jacques Thouret.

8 Jérôme Pétion de Villeneuve, député de Paris.

9 Article 17 du chapitre V du titre III.

10 Sans doute le Journal de Toulouse et des frontières de l’Espagne, suite du Journal révolutionnaire publié sous la Terreur.

11 Archives départementales de la Haute-Garonne, 201 U 2 et 201 U 5.

© Presses universitaires du Midi, 2014

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