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Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution

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Michel Taillefer

Histoire de la presse régionale pendant la révolution française

La presse montalbanaise au début de la Révolution (1789-1793)

Texte intégral

  • 1 Sur ce premier périodique montalbanais, consulter Jean-Joseph Lebon, La presse montalbanaise des o (...)

1Montauban est en dehors de Toulouse la seule ville du Midi toulousain à avoir possédé un journal sous l’Ancien Régime. Mais les Affiches de Montauban, fondées par l’imprimeur Jean-Vincent Teulières sous le titre de Feuille hebdomadaire de la ville et généralité de Montauban le 23 juillet 1777, ont semble-t-il disparu trois ans plus tard1, et il fallut donc attendre la Révolution pour voir naître une véritable presse montalbanaise.

  • 2 Jean-Joseph Lebon a analysé de façon détaillée la série complète du Journal du Lot (op. cit., p. 1 (...)

2Fort de sa première expérience, Teulières lança dès juillet 1789 le Journal national, qui dura jusqu’en septembre 1791. À partir de novembre 1790, il fut concurrencé par les Nouvelles intéressantes de Jean-Pierre Fonland, dont la publication s’interrompit en mars 1793. En août 1791 enfin, Charles Crosilhes créa le Journal du Lot, qu’il édita jusqu’en septembre 1797. Mais nous nous en tiendrons dans cette communication aux deux premiers journaux, qui ont été moins bien étudiés que le troisième2, alors qu’ils constituent un des éléments clés de la vie politique montalbanaise dans les premières années de la Révolution.

  • 3 Jean-Vincent Teulières (1748-1820) exerçait l’imprimerie depuis 1772, d’abord place de l’Évêché, p (...)
  • 4 Daniel Ligou, La première année de la Révolution vue par un témoin (1789-1790). Les « bulletins » (...)

3Le Journal national de Jean-Vincent Teulières3 est presque exactement contemporain des débuts de la Révolution à Montauban, puisque son premier numéro, daté de Paris le 20 juillet 1789, est sans doute sorti des presses le 25 ou le 26, quelques jours à peine après que fut connue la nouvelle de la prise de la Bastille (le 20 juillet), et que se fut formé au côté de l’ancienne municipalité le « comité patriotique » qui prit la direction effective de la ville (le 22 juillet). Dans cette période cruciale, où l’Ancien Régime vacillait sous les coups de la foule parisienne avant de s’effondrer le 4 août sous la menace de l’insurrection paysanne, Teulières avait compris que ses concitoyens aspiraient à être rapidement et commodément informés des événements extraordinaires qui bouleversaient la France. Pour leur donner satisfaction, il fallait notamment assurer une meilleure diffusion aux « bulletins » manuscrits que le député de Montauban aux États généraux, Jean-Baptiste Poncet-Delpech, qui avait été son principal collaborateur à la rédaction des Affiches, adressait chaque semaine de Versailles au comité de correspondance de la municipalité, et qu’on lisait publiquement au théâtre. Tel était sans doute l’objectif premier de son journal, qui fut d’abord composé pour l’essentiel d’extraits de ces bulletins où Poncet-Delpech rendait compte, séance par séance, des discussions de l’Assemblée constituante, et retraçait la marche de la Révolution parisienne4.

  • 5 Ce sont les nos 47, 48 et 49 de la première série (datés des 13, 20 et 26 juin 1790) et 1 et 5 de (...)
  • 6 Elle s’arrêtait au 4 janvier 1791, mais comprenait quelques numéros ultérieurs (É. Forestié, op. c (...)
  • 7 Léon Lévy-Schneider, Le conventionnel Jeanbon Saint-André, membre du Comité de salut public, organ (...)

4Des quelque cent quatre-vingts numéros publiés pendant plus de deux ans, six seulement ont été retrouvés dans les collections publiques montalbanaises : cinq de juin-juillet 1790 et un de septembre 1791, sans doute le dernier paru5. Mais Léon Lévy-Schneider, qui a pu en consulter la série presque complète que possédait à la fin du siècle dernier le libraire Émerand Forestié6, y fait de nombreuses allusions dans sa biographie de Jeanbon Saint-André7. Il est donc possible d’avoir une idée assez précise de ses principales caractéristiques et de son orientation politique.

  • 8 É. Forestié, op. cit., p. 257 et 308.

5Au format in-quarto des anciennes Affiches, imprimées sur quatre pages à deux colonnes, Teulières préféra le format in-octavo, plus maniable. Chaque livraison du Journal national comporte donc normalement huit pages (parfois douze ou seize lorsque l’abondance des matières l’exige), mesurant environ 23 cm sur 14, imprimées sur une colonne. C’est la présentation de la majorité des journaux provinciaux de l’époque. Comme eux également, il offre une mise en page austère et compacte, dépourvue du moindre souci de mise en valeur de l’information : pas de décor, pas d’illustrations, pas de titres accrocheurs... Les numéros de la première série, qui en compte quarante-neuf jusqu’au 26 juin 1790, portent la date du courrier de Paris, qui quittait la capitale le dimanche matin, mais non celle de la parution à Montauban, qui avait lieu le vendredi suivant en fin d’après-midi ; ils sont paginés séparément. Les numéros suivants, distribués en trois séries semestrielles, ne sont pas toujours datés et sont paginés de façon continue. Cette modification correspond à un changement de périodicité, qui devient bihebdomadaire au début de juillet 1790. L’adresse de l’imprimeur, placée au bas de la dernière page, semble avoir disparu après que Teulières eut quitté Montauban en juin 1791. Le prix de l’abonnement n’est pas indiqué sur les exemplaires que nous connaissons ; d’après Forestié, il s’élevait à 30 sous par mois8.

  • 9 Le no 237 de ce quotidien publié par Baudouin, imprimeur de l’Assemblée nationale, a été réimprimé (...)
  • 10 Par surface utile, nous entendons la surface imprimée, diminuée de celle du titre et de l’adresse.

6Conformément à ce qu’annonce son titre, le Journal national privilégie l’information politique générale par rapport à l’information locale. Les « Nouvelles de l’Assemblée nationale » y tiennent la plus grande place. Pendant les premiers mois elles furent empruntées aux bulletins hebdomadaires de Poncet-Delpech, dont de larges extraits étaient reproduits. Quand celui-ci mit fin à sa collaboration au lendemain de la journée du 10 mai 1790, Teulières dut trouver d’autres sources – probablement les publications parisiennes spécialisées, comme le Moniteur universel ou le Journal des débats et des décrets9 –, mais il ne négligea pas pour autant une rubrique essentielle qui occupe la quasi-totalité des numéros retrouvés (93 % de la surface utile10 en juin-juillet 1790, 89 % en septembre 1791). Elle consiste dans l’analyse détaillée d’une semaine de travaux parlementaires, de la séance du samedi soir à la séance du samedi matin suivant – sauf si « l’abondance des matières oblige à renvoyer la suite à l’ordinaire prochain » –, l’accent étant mis sur les délibérations susceptibles d’intéresser plus particulièrement les Montalbanais (telles que par exemple celles qui portaient, au début de l’été 1790, sur les suites des « affaires » de Montauban et de Nîmes, ou sur l’arrestation du vicomte de Mirabeau à Castelnaudary et du comte de Toulouse-Lautrec à Toulouse). L’atmosphère des débats est rendue de façon plus concrète et plus vivante que dans la plupart des journaux de province : le rédacteur nomme les principaux orateurs, cite textuellement des passages de leurs discours ou de leurs dialogues, mentionne les interruptions et les exclamations des députés, les applaudissements et les « murmures » du public. Les lecteurs pouvaient donc se croire transportés, grâce à leur journal, dans la salle du Manège des Tuileries, où se jouait le drame révolutionnaire. Certains d’entre eux se plaignaient pourtant de la prépondérance excessive accordée à l’actualité politique, comme en témoigne un avis de l’éditeur de juillet 1790 :

Plusieurs personnes ont adressé au sieur Teulières des avis, des demandes, des vers pour insérer à la suite du journal qu’il imprime. Quoique ce journal ne soit destiné principalement qu’à donner les nouvelles de l’Assemblée nationale, ainsi que les nouvelles étrangères, le sieur Teulières, voulant se prêter au vœu du public, le prévient qu’on peut lui adresser toutes les demandes que l’on voudra rendre publiques par la voie de ce journal ; lorsqu’elles auront quelque étendue, elles y seront insérées par un supplément.

  • 11 Des six numéros retrouvés, seul le no 1 de la deuxième série évoque en quelques lignes la situatio (...)

7Nous ignorons si cette proposition fut suivie d’effet, mais on sait que très tôt Teulières avait ajouté aux nouvelles parisiennes des nouvelles régionales et locales. Sous le titre de « Nouvelles du département du Lot » ou de « Mélanges », celles-ci ne couvrent cependant que 4,5 % de la surface des numéros de juin-juillet 1790 et 11 % de celle du dernier numéro de septembre 1791. Quant aux « Nouvelles étrangères », elles paraissent avoir été moins développées encore11.

  • 12 D. Ligou, Histoire de Montauban, Toulouse, Privat, 1984, p. 192.
  • 13 D. Ligou, La première année de la Révolution, op. cit., p. 7 et 253-254.
  • 14 L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 78.

8L’évolution politique du Journal national reflète fidèlement celle de la majorité catholique de la population, qui conduisit Montauban, première ville du midi toulousain à réagir aux événements de juillet 1789, à s’affirmer quelques mois plus tard comme « un îlot de fidélité à l’Ancien régime12 ». Tribune du député patriote Poncet-Delpech, il semble d’abord partager son enthousiasme pour la Révolution naissante, et encourage la conciliation entre les deux communautés religieuses qui coexistent difficilement dans la région : le no 19 de la première série contient à la fois le « discours prononcé dans l’église cathédrale le 22 novembre 1789 pour la bénédiction des drapeaux de la milice nationale » de Montauban par son aumônier catholique, et le discours « adressé à une assemblée religieuse de protestants dans une ville du Quercy le jour que la milice bourgeoise fut appelée à prêter le serment national ». Mais le choix de Cahors comme chef-lieu du département du Lot, longuement évoqué en janvier 1790, le détourne du nouveau régime, tandis que se réveille le vieil antagonisme religieux, désormais doublé d’un conflit politique. Lié au parti aristocratique, qui vient de remporter les élections municipales de février 1790, Teulières passe au service de la Contre-Révolution. Il fait suivre les bulletins de Poncet-Delpech, toujours rédigés dans un esprit très favorable à la Révolution, de commentaires de plus en plus franchement hostiles. Si bien que le constituant, prétextant le manque de temps et le fait qu’on recevait à Montauban « un grand nombre de journaux qui valent probablement beaucoup mieux qu’un bulletin que je suis forcé d’écrire à la hâte », mais en réalité parce qu’il « ne se sentait plus en harmonie avec l’évolution politique de ses compatriotes13 », déclare au no 34 (daté du 14 mars) qu’il suspend l’envoi de ses bulletins. Il les reprend au no 37 (daté du 4 avril), bien que Teulières accentue sa dérive vers la droite, déplorant dans le no 39 (daté du 18 avril) la suppression du chapitre de Montpezat-de-Quercy, et annonçant dans le même numéro la mise en vente de pamphlets ouvertement réactionnaires. L’échauffourée sanglante du 10 mai, dont Teulières pouvait apparaître comme un des instigateurs, provoque le retrait définitif de Poncet-Delpech. Les numéros de juin-juillet rapportent sans commentaire les délibérations de l’Assemblée nationale sur la réforme ecclésiastique, le décret abolissant la noblesse héréditaire, la lecture d’une adresse des cinquante-cinq patriotes montalbanais emprisonnés le 10 mai et les débats consécutifs à l’arrestation de deux députés aristocrates, le vicomte de Mirabeau et le comte de Toulouse-Lautrec, ce qui pourrait laisser croire à l’objectivité du journal. Mais bien vite cette apparente neutralité laisse place à « une campagne des plus violentes contre les protestants et les révolutionnaires14 ». Le no 13 de la deuxième série condamne les horreurs commises à Avignon depuis que la ville n’est plus soumise à la bienfaisante domination du pape. Le no 17 insiste sur les conséquences économiques désastreuses de la disparition des nobles, des seigneurs et des riches. Le no 35 et le no 53 dénoncent les troubles réels ou imaginaires suscités par les protestants dans les Cévennes et à Troyes, où ils auraient projeté de « faire massacrer tous les chanoines de l’église royale et collégiale ». Les nos 42 et 43 évoquent les assemblées tenues à Cahors et à Toulouse pour demander que le catholicisme soit déclaré religion de l’État. Le no 47 se réjouit de la répression exercée à Namur par l’armée autrichienne contre les Français qui soutenaient les révoltés brabançons.

9De telles prises de position ne pouvaient laisser indifférents les patriotes de Montauban, qui avaient repris le contrôle de la ville depuis la suspension de la municipalité présidée par le marquis de Cieurac le 26 juillet 1790. Fondé le 8 septembre, le club des Patriotes prend presque aussitôt pour cible le « Journal soi-disant national », et s’efforce d’en obtenir l’interdiction.

  • 15 A.D. Tarn-et-Garonne, L 402, f. 17-18 ; François Galabert, « Le club jacobin de Montauban. Son ail (...)

10Voyant « avec la plus vive peine et le plus grand effroi que des personnes mal intentionnées cherchent encore à fomenter et à perpétuer la division et la discorde, en répandant dans le public des écrits anticonstitutionnels et capables d’opérer les effets les plus dangereux », il consacre son assemblée générale extraordinaire du 27 octobre à l’examen du no 30 de ce « journal des plus incendiaires, et fait pour porter l’alarme et l’effroi parmi tous les bons citoyens ». Est particulièrement visé l’article « Mélanges », où Teulières, joignant « le fanatisme politique » au « fanatisme religieux », s’en prenait aux réformes judiciaire et religieuse de l’Assemblée constituante et revenait sur « la malheureuse affaire de Nîmes » : « On embouche la trompette du fanatisme, et sous le prétexte spécieux de plaindre les peuples par une fausse commisération, on voudrait les voir renouveler ce temps de carnage et de sang, dont nos pères ont été les témoins et les malheureuses victimes » (c’est-à-dire les guerres de Religion). Persuadé que « tous les malheurs qui ont affligé notre ville ont été occasionnés par de semblables écrits », le club demande à la municipalité de « mettre en usage tous les moyens pour en arrêter la diffusion15 ».

  • 16 Le club des Patriotes avait pris le 5 novembre 1790 le nom de Société des amis de la Constitution.

11Le 10 janvier 1791, constatant que « les mesures prises pour la prohibition du journal par la municipalité à laquelle il avait été ci-devant et infructueusement dénoncé par la Société16 étaient insuffisantes, que d’ailleurs l’auteur demeurait impuni, ainsi que les distributeurs et colporteurs » (parmi lesquels un commis de la poste « qui abusait de son ministère »), le club décide de revenir à la charge auprès des commissaires municipaux. Une pétition signée le 12 janvier par « plus de 160 citoyens actifs membres de la Société » dénonce violemment le no 53, daté du 28 décembre 1790, où Teulières

renouvelle toutes les calomnies atroces [qui avaient] préparé la catastrophe à jamais effroyable du 10 mai [...], insulte les représentants de la nation [...], pousse l’esprit de révolte et de sédition au point d’encourager la désobéissance aux lois en incitant les ecclésiastiques à refuser de prêter le serment civique [...], ne voit dans les amis de la Révolution que des protestants,

  • 17 A. D. Tarn-et-Garonne, L 402, f. 39-41 ; F. Galabert, art. cité, p. 162 et 164-165.

12bref s’emploie à « diviser les esprits, aliéner les cœurs qui commençaient à se rapprocher, rallumer la torche du fanatisme ». Le texte se termine par un appel à la répression : « L’outrage fait à la vérité et aux lois exige impérieusement que la modération fasse place à la rigueur. Il faut qu’un grand exemple effraye enfin ces agents opiniâtres d’une contre-révolution qui osent se montrer sans déguisement. » La Société exige donc que le numéro litigieux soit déféré par le procureur de la commune au tribunal du district, que des poursuites soient engagées contre ses « auteurs, complices, participants, adhérents, imprimeur, distributeurs ou colporteurs », et qu’il soit défendu « pour l’avenir au sieur Teulières et à ses ayants cause toute publication et distribution de libelles tendant à altérer l’ordre public17 ».

13Les autorités ne se décidèrent à agir que plus de deux mois plus tard. Dans la séance du corps municipal du 25 mars 1791, un des officiers municipaux rappela à ses collègues que le Journal national leur avait été

plusieurs fois dénoncé comme contenant une multitude de faits inventés à dessein et réimprimés comme des extraits d’autres écrits anonymes, toujours contraires à la vérité et démentis par les journaux publics et par les lettres des différentes villes inculpées dans cet ouvrage, et notamment par celle de la municipalité de Troyes du mois de janvier dernier.

  • 18 Archives communales de Montauban, 2 D 3, f. 17-18 ; F. Galabert, art. cité, p. 250.
  • 19 A. C. Montauban, 4 I 9.

14Il les informa que son éditeur venait de « mettre le comble à sa témérité » en insérant dans le no 17 (de la troisième série), daté du 2 mars, « un prétendu bref du pape Pie VI [... contenant] des maximes entièrement contraires à l’instruction de l’Assemblée nationale sur le serment prescrit aux ecclésiastiques, et tendant à répandre la terreur parmi les âmes timorées sur ce serment ». Les officiers municipaux ordonnèrent que les exemplaires saisis la veille chez Teulières soient « remis au procureur de la commune, pour pas lui en faire la dénonce à l’accusateur public et être informé contre les auteurs, rédacteurs, imprimeur et distributeurs de semblables écrits », et interdirent provisoirement la vente et la distribution de ce numéro dans l’étendue de la municipalité18. Conformément à leur ordonnance, le substitut du procureur de la commune déféra Teulières à l’accusateur public, le 26 mars19.

  • 20 Ce procès-verbal est reproduit par Lebon, op. cit., p. 18-19.
  • 21 É. Forestié, op. cit., p. 260.
  • 22 Chef-lieu de district du département de la Lozère.

15Mais le Journal national continuait de paraître, toujours aussi virulent, provoquant chez les patriotes une exaspération croissante. Le 15 juin, vers huit heures du soir, « une foule considérable » mit à sac la librairie de Teulières et fit au milieu de la place Trimond « un grand feu » de papiers et de brochures, parmi lesquels, on peut le supposer bien que le procès-verbal des officiers municipaux dépêchés sur les lieux avec une patrouille de la garde nationale ne le précise pas, des exemplaires du Journal national20. Ne se sentant plus en sécurité à Montauban, Teulières se réfugia à Cahors, après avoir confié l’administration de son imprimerie et la direction de son journal à son principal ouvrier et fondé de pouvoir, Jean Sagnes21. Celui-ci ne modifia en rien la ligne politique du Journal national, si l’on en juge par le no 21 de la quatrième série, publié vers le 20 septembre 1791. Après les nouvelles de Paris, consacrées notamment à l’acceptation de la Constitution par Louis XVI, qui occupent la plus grande partie du numéro, la rubrique « Mélanges » évoque en ces termes la manifestation de fidélité monarchique qui s’était produite à Villefort22 le 25 août, jour de la Saint-Louis :

On commença ce beau jour par célébrer la messe pour la délivrance de notre bon roi et le prochain retour de nos princes exilés. Un Salvum fac Regem, qui arracha des larmes aux yeux des assistants, termina ce pieux devoir. La messe fut suivie d’un repas très nombreux, qui se donna dans la salle du tribunal du district. Les bons royalistes y portèrent tour à tour les santés du roi, de la reine, des monarques coalisés, de nos princes exilés, de M. de Bouillé, de M. de Cazalès, de M. l’abbé Maury, etc., etc., etc. On remarquait dans ce repas les membres du directoire du district, à l’exception de M. le procureur syndic, ceux du tribunal et de la municipalité. M. le commissaire du roi porta lui-même la santé du monarque dont il est le digne interprète [...]. Le soir, grande illumination ; au-dessus de la principale porte de la ville brillait un transparent, au centre duquel on lisait ces mots écrits en lettres de feu : Vive le roi !

Ô Louis XVI ! si ce récit véridique parvient jusqu’à toi, s’il peut soulager ton cœur et te faire verser quelques larmes de plaisir, nous serons trop heureux !

  • 23 A. C. Montauban, 4 I 9.

16On conçoit aisément que ce manifeste d’un royalisme exalté, cette apologie de la Contre-Révolution, cet appel non dissimulé à l’intervention militaire des souverains européens contre le régime constitutionnel que la France venait de se donner, ne pouvaient rester impunis. La municipalité fit une fois encore saisir le journal et arrêter Sagnes qui reconnut le 22 septembre « qu’il le rédigeait lui-même23 ». Nous ne savons pas ce qu’il advint de lui par la suite, mais il est certain que la publication du Journal national s’interrompit alors définitivement.

  • 24 Jean-Pierre Fontanel (1720-1801), oncle de Jean-Vincent Teulières, pratiquait l’imprimerie et la l (...)
  • 25 É. Forestié, op. cit., p. 267.
  • 26 À partir du 26 février 1792, les Nouvelles intéressantes portent l’adresse de « Fontanel père et f (...)

17Les Montalbanais ne se trouvèrent pas privés de journal pour autant. Le 20 novembre 1790 en effet sortait des presses d’un rival de Teulières, Jean-Pierre Fontanel24, un nouveau périodique portant le titre alléchant de Nouvelles intéressantes. D’après Forestié, Fontanel se serait lancé dans l’entreprise « pour occuper ses ouvriers25 » ; mais il n’est pas douteux qu’il obéissait aussi à des motivations politiques : le parti patriote, dont il était un des membres les plus actifs avec son fils et futur associé26 Pierre-Armand, voulait briser le monopole du Journal national et contrebalancer l’influence réactionnaire qu’il exerçait sur l’opinion.

  • 27 Bibliothèque de la Sorbonne, H Fr 614 (8°).
  • 28 É. Forestié, op. cit., p. 308 ; L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 81-257.

18La seule collection que nous ayons pu retrouver, dans une bibliothèque parisienne, rassemble quarante-deux des cinquante-trois premiers numéros et ne couvre donc qu’une année, de novembre 1790 à novembre 179127. Mais Forestié, qui en détenait une série quasi complète, et Lévy-Schneider, qui l’a utilisée, fournissent quelques indications sur les numéros publiés jusqu’en mars 179328.

  • 29 Les exemplaires que nous avons consultés mesurent 20,5 cm sur 13, mais ils ont été rognés pour êtr (...)
  • 30 À l’exception du premier numéro, daté du 7 novembre 1790 et non du 14.

19La présentation matérielle des Nouvelles intéressantes ne se distingue guère de celle du Journal national, que Fontanel a sans doute pris pour modèle. Elles paraissent chaque samedi, sur huit pages de format in-octavo29, imprimées sur une colonne, avec de nombreux passages composés en petits caractères. Répartis en trois séries annuelles paginées de façon continue, les numéros mentionnent la date du courrier de Paris, c’est-à-dire du dimanche précédant leur sortie à Montauban30, en 1790-1791 ; puis, semble-t-il, la date du jour de parution, en 1792 et 1793. L'adresse de l'imprimeur figure au bas de la dernière page. L’abonnement coûtait 12 sous par mois ; à la fin du premier mois, Fontanel précisa que

l’abonnement de ceux qui ont souscrit pour plus d’un mois ne doit pas échoir selon le nombre de numéros, mais à l’expiration de la date ; ce qui est d'autant plus avantageux pour MM. les abonnés, qu'en évitant les embarras du renouvellement minutieux d’une souscription réitérée aux quatrièmes numéros, ils recevront quelquefois cinq numéros par mois.

20Le contenu des Nouvelles intéressantes s’ordonne en rubriques plus rigoureusement structurées que celles du Journal national, mais d’importance très inégale. Intitulée « Assemblée nationale », la première est de loin la plus développée, puisqu’elle occupe en moyenne 77,2 % de la surface utile, avec des pointes jusqu’à 93 % à l’occasion d’événements exceptionnels comme « l’enlèvement » de Louis XVI et son retour de Varennes (aux nos 33 et 34, datés du 26 juin et du 3 juillet 1791). Le compte rendu des travaux de l’Assemblée constituante (puis, à partir d’octobre 1791, de l’Assemblée législative, et ensuite de la Convention) couvre une semaine, de la séance du dimanche à celle du samedi ; on y trouve le résumé des interventions des députés et des extraits des principaux décrets. Les deux rubriques suivantes, « Départements » et « Pays étrangers », n’en forment plus qu’une à partir du no 28, sous le titre de « Variétés » ; représentant 19,5 % de la surface utile, elle réunit les nouvelles de Paris, des provinces et parfois des colonies françaises, des pays étrangers (parmi lesquels l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas autrichiens, l’Espagne et l’Italie sont les plus souvent cités), et les nouvelles de Montauban. Celles-ci n’y tiennent qu’une place modeste ; présentes dans un numéro sur trois environ, elles n’occupent que 4,5 % de la surface totale, guère plus que les rubriques de service (3,3 %). Nous regroupons sous cette dénomination le prix des grains (blé du Causse, blé fin, blé commun, mixture, seigle, fèves, millet, avoine), complété à partir du no 17 par le prix de la livre de pain blanc et de la livre de pain bis, les « numéros sortis de la Loterie royale » et les petites annonces et publicités commerciales, concernant notamment les « nouveautés qui se trouvent chez Fontanel ».

  • 31 L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 81.
  • 32 Elles annoncent par exemple que « l’on trouve chez le sieur Fontanel » le discours de Mirabeau sur(...)

21Si leur apparence extérieure et leur organisation interne apparentent les Nouvelles intéressantes au Journal national, leur tendance politique est diamétralement opposée. Publiées sous le patronage du club des Jacobins – du no 8 au no 26, elles portent comme seule adresse « À Montauban, de l’imprimerie de la Société des Amis de la Constitution » –, elles peuvent être considérées, au moins jusqu’en 1792, comme « le journal du club31 » et l’organe officieux du parti patriote, dont elles servent la propagande au même titre que les brochures diffusées par Fontanel32.

22Soutenant en toute occasion l’œuvre de l’Assemblée constituante, en matière économique comme en matière politique, elles attaquent sans relâche les contre-révolutionnaires et les émigrés. Mais c’est dans le domaine religieux, si sensible à Montauban depuis l’émeute du 10 mai, dont elles entretiennent le souvenir de façon quasi obsessionnelle, qu’elles s’engagent le plus énergiquement et se démarquent le plus nettement du Journal national. Alors que celui-ci faisait de la défense du catholicisme traditionnel et du maintien des structures ecclésiastiques existantes son cheval de bataille, elles mènent une campagne systématique et véhémente en faveur de la constitution civile du clergé et du serment civique. Le numéro daté du 13 février 1791 contient par exemple ces quelques vers adressés « à mon ami le curé de... » :

Sur le scrupule qui t’arrête,
Veux-tu mon sentiment ?
Pour ne point prêter le serment,
Il faut être méchant ou bête,
Il faut être bête ou méchant.

23Dénonçant « les protestations séditieuses de quelques évêques et de quelques prêtres intéressés ou fanatiques », elles leur opposent les « prêtres vraiment patriotes » qui « ne font aucune difficulté de prêter le serment civique exigé par la nation », et se réjouissent de leur adhésion massive : « D’après les avis de chacun des départements », croient-elles pouvoir affirmer dans le même numéro daté du 13 février, « il conste clairement aujourd’hui que la majorité des prêtres en France a prêté le serment ». Elles publient des listes « d’ecclésiastiques fonctionnaires publics » assermentés, dans le district de Montauban, le département du Lot et les départements voisins, et annoncent l’élection des nouveaux évêques constitutionnels : Grégoire dans le Loir-et-Cher, Barthe dans le Gers, Danglars dans le Lot, Sermet en Haute-Garonne. Le choix de ce dernier, cible favorite des catholiques traditionalistes toulousains, est défendu avec chaleur :

Une vie irréprochable et trente-cinq ans de prédication devant le roi et dans les premières chaires du royaume, joints à un patriotisme peu commun, lui ont mérité cet honneur. L’âge, la simplicité, la pureté des mœurs, jointe au génie et au savoir, valent bien sans doute la forfanterie, la vanité et l’ignorance des jeunes prélats que les courtisans, et souvent les courtisanes, élevaient auparavant aux sièges épiscopaux.

24La condamnation de la constitution civile du clergé par Pie VI relance la polémique contre le pape, le haut clergé (en la personne notamment du « cardinal-collier », le cardinal de Rohan) et la « secte » des prêtres réfractaires.

25En politique étrangère, les Nouvelles intéressantes retiennent surtout les échos rencontrés en Europe par la Révolution française. Avec une satisfaction non dissimulée, elles rapportent qu’à Turin « une certaine tendance à la liberté se manifeste depuis quelque temps », qu’à Cadix a été célébré un service funèbre en l’honneur de Mirabeau, qu’une Société de la Révolution s’est formée à Londres, que l’anniversaire du 14 Juillet a été fêté en Irlande et à Amsterdam « non comme une solennité qui nous est particulière, mais comme un grand exemple que nous donnons à l’univers ; et avant qu’il soit peu le 14 juillet sera la fête du genre humain ».

  • 33 F. Galabert, art. cité, p. 239.

26Bien que les informations locales soient peu fréquentes, elles jettent un éclairage précieux sur la vie politique montalbanaise après le 10 mai. Ici encore prédominent les problèmes religieux liés aux difficultés d’application de la constitution civile du clergé. Le 18 février 1791, le rédacteur fait l’éloge du seul ecclésiastique ayant prêté le serment, l’abbé Saint-Sardos, vicaire du faubourg de Sapiac, « le plus vertueux et celui qu’on peut le moins soupçonner d’agir par intérêt ». Par contre, il s’indigne bruyamment du « complot » dont un autre prêtre assermenté a été victime « de la part des anti-révolutionnaires33 » :

Le mercredi 9 mars, jour des Cendres, M. l’abbé Calmon, prédicateur du Carême, avant de commencer son sermon, renouvela son serment. Un tas de gens appostés, ralliés vis-à-vis de la chaire, se mirent à vomir des imprécations, et à pousser des hurlements affreux. Le sentiment de leur crime, et la crainte du châtiment, leur fit aussitôt prendre la fuite. [...] Les officiers municipaux, présents à cette scène surprenante, rassurèrent le prédicateur, qui débita son sermon avec une fermeté extraordinaire. Les cris du fanatisme, s’écria-t-il, ne sauraient ébranler mes principes ; le devoir des ministres d’un Dieu de paix, c’est l’obéissance aux lois ; à la face des autels, je jure d’y être toujours soumis, je le jure avec joie, puisque ces lois sont fondées sur l’Évangile même.

27Et le journal de commenter :

Cet événement horrible découvre parfaitement le tissu des complots des ennemis de la constitution ; il est bien propre à ramener aux bons principes les citoyens qui se laissaient séduire par leurs raisonnements hypocrites. Il est aisé de voir qu’un vil intérêt, et non la cause de Dieu, préside à toutes leurs démarches ; car enfin qui sont ces soi-disant chrétiens qui violent ainsi sans pudeur le temple du Dieu de leurs pères, et qui sans respect pour les saints tabernacles où règne spécialement l’Être éternel élèvent des clameurs criminelles contre un de ses ministres, qu’ils auraient massacré sans doute, si leur force eût égalé leur malice ? Ce sont ces citoyens pieux qui par humilité se font appeler les soutiens de la religion, qui se disent eux-mêmes les bons catholiques, qui donnent charitablement le nom de rénégats aux citoyens soumis aux lois divines et humaines ; ce sont enfin les grands acteurs de la journée du 10 mai.

28Relatant l’installation des « nouveaux fonctionnaires publics ecclésiastiques », qui s’était pourtant déroulée le 12 mai 1791 « avec beaucoup de décence et de tranquillité », il prend encore violemment à partie « les gens qui crient hautement pour la défense de la religion », en qui il ne veut voir que des « ci-devant nobles, privilégiés, procureurs, greffiers, huissiers, commis, gardes de sel, enfin tous les suppôts du fisc, toutes les sangsues de l’Ancien Régime ».

29Inversement, les Nouvelles intéressantes s’attachent à mettre en valeur toutes les circonstances favorables aux patriotes. L’installation de la nouvelle municipalité, le 25 février 1791, est saluée par un sonnet exaltant « la félicité publique que nous nous promettons de ce nouveau règne » :

Au rang des magistrats les citoyens admis,
Ferrand, Cornac, Dubois, Labarthe, Capdeville,
Frézières, Brute, Pons, élus par mille voix,
Répondent à l’honneur d’un si glorieux choix.
Patriotes, amis, recommencez vos fêtes,
Les rebelles complots vont par eux être éteints,
Les civiques lauriers dont vous ceindrez leurs têtes
Du sang des bons Français ne seront jamais teints.

30Le 11 avril, les funérailles de Duchemin, lieutenant de la compagnie des dragons nationaux de Montauban, une des victimes du 10 mai, donnent lieu à une cérémonie « pompeuse », suivie par « un peuple immense », que ne parvinrent pas à troubler « une poignée de polissons rassemblés dans un cabaret » qui jetèrent des pierres et tirèrent des coups de fusil ou de pistolet sur le cortège. Trois jours plus tard, l’oraison funèbre de Mirabeau, prononcée au cours du service organisé « d’après une délibération de la Société des Amis de la Constitution » par l’ancien capucin Chabot, permit d’apprécier « le génie enflammé de cet excellent orateur ». Le 28 avril, les officiers municipaux passèrent en revue la garde nationale : « Cette troupe patriotique, qui lutta si longtemps et avec tant de fermeté contre le despotisme, et dont les malheurs intéressèrent toute la France, est maintenant sur un pied qui ne laisse point craindre le renouvellement des scènes horribles qui ont souillé cette ville. » Le 14 juillet, « l’anniversaire de l’anéantissement du despotisme » fut fêté dans « la joie universelle » ; joie renouvelée le 23 septembre à la nouvelle de l’acceptation de la Constitution par Louis XVI. En octobre, le retour à Montauban de l’ancien constituant Poncet-Delpech, élu président du tribunal du district, inspira au citoyen Valette des vers plus militants que vraiment poétiques :

  • 34 En avril 1792, les Nouvelles intéressantes publièrent l’éloge d’un autre patriote montalbanais, l’ (...)

Poncet est enfin de retour.
Il vient au gré de notre amour,
Muni de son patriotisme
Et de ses travaux glorieux,
Fortifier notre civisme.
Que pouvons-nous faire de mieux,
Que de le prendre pour modèle ?
Si tous les hommes d’aujourd’hui
Agissaient, pensaient comme lui,
Nous ne verrions plus de querelle,
Et l’aristocrate égaré
Irait dans la nuit éternelle
Ensevelir le fiel dont il est dévoré34.

  • 35 Ibid., p. 188.
  • 36 É. Forestié, op. cit., p. 267.

31Si la ligne politique des Nouvelles intéressantes jusqu’à la séparation de l’Assemblée constituante est donc sans équivoque, nous sommes moins bien renseignés sur leur évolution ultérieure, qui semble s’être faite dans le sens de la modération. En juillet 1791 déjà, au lendemain de la fusillade du Champ de Mars, elles avaient approuvé la répression exercée contre les émeutiers qui réclamaient la déchéance du roi, et l’arrestation des journalistes extrémistes, Marat et l’abbé Royou. Après le 10 août 1792, elles se rallient aux Girondins ; le compte rendu de la séance de la Convention du 26 octobre témoigne d’un « esprit tout à fait hostile à la commune de Paris35 », et il est significatif que leur dernier numéro, daté du 2 mars 1793, reproduise « en entier » le testament de Louis XVI36.

  • 37 Ibid., p. 84.
  • 38 L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 264.

32D’après Forestié, Jean-Pierre et Pierre-Armand Fontanel ont cessé de les publier « parce que le montant des abonnements ne suffisait point au paiement des frais37 ». Mais un organe girondin, édité par des adversaires de Jeanbon Saint-André38, pouvait-il continuer à paraître alors que les Montagnards s’installaient au pouvoir ?

  • 39 Ibid., p. 84.
  • 40 J. Godechot, La Révolution française dans le Midi toulousain, Toulouse, Privat, 1986, p. 107.

33Quoi qu’il en soit, l’échec des Nouvelles intéressantes, venant après la disparition brutale du Journal national, souligne la fragilité des journaux montalbanais, et plus généralement des journaux provinciaux de l’époque révolutionnaire. Fragilité d’ordre économique d’abord. S’adressant à un public nécessairement restreint, en raison du coût relativement élevé des abonnements et de l’analphabétisme d’une grande partie de la population, ces journaux subissaient en outre la concurrence des feuilles parisiennes, largement répandues en province. On peut se demander aussi si leur contenu répondait réellement à l’attente de leurs lecteurs : les Montalbanais n’auraient-ils pas aimé trouver dans le Journal national et dans les Nouvelles intéressantes – « au titre d’ailleurs très décevant », note Lévy-Schneider39 – davantage d’informations locales ? Tout laisse donc à penser que leur tirage était très faible, sans doute inférieur à trois cents exemplaires selon Jacques Godechot40, et que leur publication ne devait guère être rentable pour leurs éditeurs. Fragilité d’ordre politique surtout. La liberté de la presse proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et garantie par la Constitution de 1791 n’a jamais été pleinement respectée par les détenteurs du pouvoir local. Si le Journal national n’avait rien à redouter de la municipalité Cieurac, dont il soutenait l’orientation réactionnaire, ni les Nouvelles intéressantes de la municipalité Ferrand, qu’elles encensaient en vers de mirliton, le Journal national se trouva après le 10 mai en butte au harcèlement du parti patriote. Les dénonciations répétées à la tribune du club des Jacobins, le saccage de la librairie de Teulières, les saisies et les procédures judiciaires finirent par avoir raison de la détermination de ses éditeurs, et il fut réduit au silence. Comme sera réduit au silence, après le coup d’État antiroyaliste du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), le Journal du Lot de Charles Crosilhes, lui aussi d’inspiration franchement contrerévolutionnaire.

  • 41 D. Ligou, Montauban à la fin de l’Ancien Régime et aux débuts de la Révolution, 1787-1794, Paris, (...)

34Prenons garde cependant de ne pas trop noircir le tableau. Sous la Révolution et grâce à elle, les Montalbanais ont disposé de véritables journaux politiques, à la fois moyens d’information et instruments de pouvoir ou de contre-pouvoir ; plus important encore, de novembre 1790 à septembre 1791, ils ont eu le choix entre deux organes de tendance opposée. En dépit de sa brièveté, cette première expérience de pluralisme, au cours de laquelle partisans et adversaires de la Révolution se battirent « avec la plume41 », marque une étape capitale dans la longue et difficile conquête de la liberté d’expression et d’opinion.

Notes

1 Sur ce premier périodique montalbanais, consulter Jean-Joseph Lebon, La presse montalbanaise des origines au début du XXe siècle, mémoire de maîtrise, université de Toulouse-Le Mirail, 1972, p. 36-106.

2 Jean-Joseph Lebon a analysé de façon détaillée la série complète du Journal du Lot (op. cit., p. 121-175), alors que son étude du Journal national, dont il ne connaissait qu’un numéro, et surtout des Nouvelles intéressantes, dont il n’avait retrouvé aucun exemplaire, est beaucoup plus succincte (ibid., p. 107-121).

3 Jean-Vincent Teulières (1748-1820) exerçait l’imprimerie depuis 1772, d’abord place de l’Évêché, puis place Trimond ; il était en 1789 « seul imprimeur du roi » (Émerand Forestié, Histoire de l’imprimerie et de la librairie à Montauban, Montauban, Forestié, 1898, p. 251-260 ; J.-J. Lebon, op. cit., p. 14-23).

4 Daniel Ligou, La première année de la Révolution vue par un témoin (1789-1790). Les « bulletins » de Poncet-Delpech, député du Quercy aux états généraux de 1789, Paris, Presses universitaires de France, 1961, 321 p.

5 Ce sont les nos 47, 48 et 49 de la première série (datés des 13, 20 et 26 juin 1790) et 1 et 5 de la deuxième série (sans date, juillet 1790), à la bibliothèque municipale de Montauban, RF 44 162 ; le no 21 de la quatrième série (sans date, septembre 1791), aux archives départementales de Tarn-et-Garonne.

6 Elle s’arrêtait au 4 janvier 1791, mais comprenait quelques numéros ultérieurs (É. Forestié, op. cit., p. 308).

7 Léon Lévy-Schneider, Le conventionnel Jeanbon Saint-André, membre du Comité de salut public, organisateur de la marine de la Terreur, 1749-1813, Paris, Alcan, 1901, p. 59-83.

8 É. Forestié, op. cit., p. 257 et 308.

9 Le no 237 de ce quotidien publié par Baudouin, imprimeur de l’Assemblée nationale, a été réimprimé à Montauban par Jean-Pierre Fontanel. Daté du 8 avril 1790, il est partiellement consacré aux débats concernant le conflit opposant la milice nationale aux officiers municipaux (B. M. Montauban, RF 44 162 ; A. D. Tarn-et-Garonne, Fonds Forestié, 509).

10 Par surface utile, nous entendons la surface imprimée, diminuée de celle du titre et de l’adresse.

11 Des six numéros retrouvés, seul le no 1 de la deuxième série évoque en quelques lignes la situation diplomatique et militaire de la Russie et de l’Espagne.

12 D. Ligou, Histoire de Montauban, Toulouse, Privat, 1984, p. 192.

13 D. Ligou, La première année de la Révolution, op. cit., p. 7 et 253-254.

14 L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 78.

15 A.D. Tarn-et-Garonne, L 402, f. 17-18 ; François Galabert, « Le club jacobin de Montauban. Son aile politique pendant la Constituante », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1899-1900, p. 161 et 164.

16 Le club des Patriotes avait pris le 5 novembre 1790 le nom de Société des amis de la Constitution.

17 A. D. Tarn-et-Garonne, L 402, f. 39-41 ; F. Galabert, art. cité, p. 162 et 164-165.

18 Archives communales de Montauban, 2 D 3, f. 17-18 ; F. Galabert, art. cité, p. 250.

19 A. C. Montauban, 4 I 9.

20 Ce procès-verbal est reproduit par Lebon, op. cit., p. 18-19.

21 É. Forestié, op. cit., p. 260.

22 Chef-lieu de district du département de la Lozère.

23 A. C. Montauban, 4 I 9.

24 Jean-Pierre Fontanel (1720-1801), oncle de Jean-Vincent Teulières, pratiquait l’imprimerie et la librairie depuis 1759. Imprimeur du roi, de l’évêque et du clergé sous l’Ancien Régime, il s’intitulait en 1790 « imprimeur de la Société des Amis de la Constitution » (É. Forestié, op. cit., p. 261-269 ; J.-J. Lebon, op. cit., p. 23-30).

25 É. Forestié, op. cit., p. 267.

26 À partir du 26 février 1792, les Nouvelles intéressantes portent l’adresse de « Fontanel père et fils ».

27 Bibliothèque de la Sorbonne, H Fr 614 (8°).

28 É. Forestié, op. cit., p. 308 ; L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 81-257.

29 Les exemplaires que nous avons consultés mesurent 20,5 cm sur 13, mais ils ont été rognés pour être reliés.

30 À l’exception du premier numéro, daté du 7 novembre 1790 et non du 14.

31 L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 81.

32 Elles annoncent par exemple que « l’on trouve chez le sieur Fontanel » le discours de Mirabeau sur L’exposition des principes de la Constitution civile du clergé par les évêques députés à l’Assemblée nationale (5 décembre 1790), la brochure de l’abbé Grégoire sur la Légitimité du serment des ecclésiastiques (30 janvier 1791), son Adresse aux députés de la seconde législature et le discours de Brissot Sur l’intérêt des sociétés patriotiques et populaires, « ouvrage précieux pour tous les clubs » (23 octobre 1791).

33 F. Galabert, art. cité, p. 239.

34 En avril 1792, les Nouvelles intéressantes publièrent l’éloge d’un autre patriote montalbanais, l’ancien commandant de la garde nationale au moment du 10 mai 1790, Dupuy-Montbrun, devenu député à l’Assemblée législative (L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 134).

35 Ibid., p. 188.

36 É. Forestié, op. cit., p. 267.

37 Ibid., p. 84.

38 L. Lévy-Schneider, op. cit., p. 264.

39 Ibid., p. 84.

40 J. Godechot, La Révolution française dans le Midi toulousain, Toulouse, Privat, 1986, p. 107.

41 D. Ligou, Montauban à la fin de l’Ancien Régime et aux débuts de la Révolution, 1787-1794, Paris, Rivière, 1958, p. 247.

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