Les journaux toulousains au début de la Révolution (1788-1793)
p. 381-391
Texte intégral
1Comme la plupart des grandes villes de province, Toulouse ne possédait à la veille de la Révolution qu’une feuille d’Affiches, et comme toutes les publications de ce genre ces Affiches toulousaines évitaient de s’aventurer sur le terrain politique. Elles devaient en effet se plier aux contraintes juridiques imposées à la presse provinciale par la législation de l’Ancien Régime : le système du privilège, qui réservait à l’officieuse Gazette de France le monopole de l’information politique, et la censure royale, exercée conjointement à Toulouse par un inspecteur de la Librairie et par le juge-mage (le lieutenant général de la sénéchaussée). « Si nos Affiches ne présentent pas de ces avis qui alimentent la curiosité naturelle de l’homme pour tout ce qui est relatif à la politique », s’excusait en janvier 1782 leur directeur, le libraire Jean-Florent Baour, « ce n’est pas que nous ne le désirassions pas autant que nos lecteurs : mais cette matière est pour les feuilles de province ce qu’était l’Arche du Seigneur pour les Philistins, elles ne pourraient y toucher sans le plus grand danger1 ». Le journaliste s’efforçait donc de ne pas attirer les foudres des autorités en pratiquant une stricte autocensure, mais sans toujours y parvenir : le 14 janvier 1789 par exemple, un article consacré à la convocation des états généraux et à l’éloge des « bienfaits » de Necker fut amputé de quatorze lignes, remplacées par des points.
2Pourtant, bien que la censure n’ait été levée qu’à l’automne de 17892, une presse politique apparut à Toulouse dès le printemps de 1788, à l’occasion de la campagne menée par les milieux parlementaires contre la réforme judiciaire du gouvernement de Loménie de Brienne. L’enregistrement forcé, le 8 mai, des édits suspendant le parlement et créant le grand bailliage souleva l’indignation quasi unanime de la population, et tandis que la jeunesse perturbait les audiences du nouveau tribunal une pluie de pamphlets s’abattait sur la ville. Seuls nous intéressent ici ceux qui revêtirent un caractère périodique. Les Nouvelles Affiches de Toulouse eurent huit numéros de huit, dix ou douze pages, dont deux sous le titre d’Articles divers pour servir de Supplément aux Nouvelles Affiches de Toulouse, du 24 juin au 15 octobre ; le Courier récréatif, d’abord paru sous le titre de Supplément aux Affiches de Toulouse et du Haut-Languedoc, sept numéros de huit ou douze pages, du 25 juin au 22 octobre ; et L’Observateur toulousain, deux numéros de quatorze et seize pages, parus sans date en octobre et en novembre3.
3Rédigées semble-t-il par un groupe d’avocats éminents, le capitoul Joseph-Marie Duroux, le futur bâtonnier Alexandre-Auguste Jamme et Jean-Baptiste Lafage4, ces publications ne sont pas à proprement parler des journaux. On n’y trouve pas d’informations ni de réflexions politiques, mais presque uniquement des attaques personnelles, souvent spirituelles, parfois ordurières, toujours injurieuses, contre les promoteurs, les acteurs et les bénéficiaires de la réforme : les ministres Brienne et Lamoignon, les commissaires royaux chargés de l’exécution des édits (le conseiller d’État de Cipière et le commandant en chef de Périgord), les officiers des régiments appelés pour maintenir l’ordre, et surtout les membres du grand bailliage et leurs rares partisans. Si ce contenu satirique les apparente aux libelles de toute sorte répandus à la même époque, les Nouvelles Affiches et le Courier récréatif n’en sont pas moins de véritables feuilles périodiques, paraissant régulièrement chaque semaine (la première le mardi, la seconde le mercredi), et offrant, à l’exception du format in-octavo au lieu d’in-quarto, toutes les apparences des Affiches officielles dont elles imitent la présentation typographique et l’ordonnance des rubriques : À vendre, à louer, Agriculture, Beaux-arts, Poésie, Livres nouveaux, Spectacles, Charade ou Logogriphe, Cours des grains... Elles poussent le mimétisme – et la provocation – jusqu’à s’attribuer un « permis d’imprimer » apocryphe du lieutenant général du grand bailliage, précédant une adresse fantaisiste : « De l’imprimerie de Nicolas Prêt-à-tout, à l’enseigne du Monastère » ou, plus audacieusement, « À Toulouse, chez la dame Liberté, à l’enseigne du Parlement5 ».
4Le rétablissement de ce dernier entraîna la disparition de ces pamphlets périodiques qui avaient fait pendant quatre mois la joie du public toulousain, en dépit des efforts du procureur du roi pour en arrêter la diffusion. Nul ne pouvait alors prévoir que, par la violence du ton, la verdeur de la satire, le recours constant à l’ironie et à la parodie, ils annonçaient la presse qui allait naître deux ans plus tard en réaction contre la Révolution. Mais avant d’évoquer cette presse contre-révolutionnaire héritière des fausses Affiches de 1788, il faut analyser l’impact de la Révolution sur les Affiches authentiques.
5Fondées en 1759, ce qui en faisait un des plus anciens journaux de province, elles avaient connu de nombreuses interruptions et de fréquents changements de titre et de propriétaire6. En 1789 elles s’intitulaient Affiches de Toulouse et du Haut-Languedoc et appartenaient au libraire Jean-Baptiste Broulhiet, qui les dirigeait depuis 1785 ; elles sortaient des presses de l’imprimeur Pierre-Benoît-Augustin Robert chaque mercredi et comptaient quatre pages de format in-quarto. Broulhiet en assura lui-même l’impression à partir de septembre 1790 et resta à leur tête jusqu’à leur interruption en octobre 1793 ; s’il recruta parfois des collaborateurs, dont le plus connu est l’homme de loi Jean François-Magdelaine Corail7, il demeura pendant toute la période le principal responsable de la rédaction.
6Cette continuité n’empêcha pas les Affiches de subir à partir de juin 1789 de profondes transformations8. Le titre fut modifié à plusieurs reprises, tantôt pour annoncer un programme plus ambitieux (Journal universel, et Affiches de Toulouse et du Languedoc, 23 décembre 1789), tantôt pour s’adapter à l’évolution administrative et politique (Journal universel, et Affiches de Toulouse et du département de la Haute-Garonne, 7 juillet 1790 ; Journal et Affiches du département de Haute-Garonne, et de l’Armée des Pyrénées, 2 janvier 1793). L’abondance des matières liée à l’essor de la vie politique rendit nécessaire la création, le 9 janvier 1790, d’une livraison supplémentaire le samedi, et à partir de juin 1792 de nombreux numéros parurent sur six pages. Mais c’est bien sûr le contenu des Affiches qui présente la mutation la plus radicale.
7Sujet tabou avant la Révolution, la politique devient rapidement le thème dominant et bientôt quasi exclusif. Occupant déjà 14 % de la surface utile du journal9 pendant le premier semestre de 1789, elle double sa représentation en juin (28 %), la double encore les mois suivants (56 % pendant le second semestre), dépasse 80 % au début de 1790, 90 % au printemps de 1792, et atteint 97 % en 1793. Le 10 juin 1789, le roi ayant autorisé les feuilles périodiques à rapporter « ce qui se passe aux États généraux », les Affiches s’engagent à publier « régulièrement et jour par jour, sinon tous les détails, du moins les résultats de chaque séance ». Le compte rendu des travaux des assemblées parisiennes (résumé des débats, citations des discours les plus marquants, texte des décrets les plus importants) figurera en effet au sommaire de presque tous les numéros, d’abord en deuxième position après les annonces, puis en première page à partir du 11 janvier 1792, et couvrira entre le tiers et la moitié de leur surface (29 % en 1789, 46 % en 1790, année d’intense activité législative, 32 % en 1791, 40 % en 1792 et 47 % en 1793, lorsque l’essentiel de la vie politique se concentre au sein de la Convention). Les autres aspects de l’actualité, nationale, locale et étrangère, sont regroupés à partir de 1791 sous les rubriques Nouvelles de Paris, Nouvelles des départements et Nouvelles étrangères, auxquelles s’ajoute en mai 1792 une rubrique Armées. Elles sont composées de documents officiels, généralement reproduits sans commentaire, d’extraits de journaux parisiens, provinciaux et étrangers, dont près de soixante sont cités en 1792, et beaucoup plus rarement de témoignages personnels du rédacteur ou de ses correspondants, comme les articles de Broulhiet sur la crise fédéraliste à Toulouse (19 juin 1793) ou de Sol sur les opérations de l’armée des Pyrénées-Orientales (24 juillet 1793), véritables reportages vivants et passionnés mais tout à fait exceptionnels.
8La promotion de la politique s’opère évidemment au détriment des autres sujets, dont la part tombe de 44 % pendant le deuxième semestre de 1789 à moins de 20 % en 1790 et 1791, 8 % en 1792 et 3 % seulement en 1793. Ce recul affecte les articles de littérature, de sciences et de médecine, qui représentaient avant la Révolution le tiers environ du contenu du journal10 et disparaissent virtuellement en 1792 ; les jeux (énigmes, charades et logogriphes), qui sont abandonnés en mai 1790 ; le prix des grains et du pain, qui en 1793 n’apparaît plus que dans un numéro sur vingt ; et surtout les petites annonces et les publicités commerciales. Raison d’être originelle et principale rubrique des Affiches d’Ancien Régime, occupant au début de 1789 30 % de leur surface, en première et deuxième pages, elles sont reléguées en dernière page à partir de janvier 1792 et ne cessent de voir leur importance diminuer, de 10 % de la surface en 1790 à 2,5 % en 1793.
9Feuille d’annonces et de divertissement littéraire jusqu’en 1789, les Affiches se sont donc brutalement transformées, dès les premiers mois de la Révolution, en journal politique. Au service de quelle cause ?
10« Homme remuant et frondeur » qui avait eu maille à partir avec le pouvoir monarchique pour avoir contrevenu aux règlements de la Librairie11, Broulhiet accueillit la Révolution avec un enthousiasme sincère. D’abord discrète, son adhésion au nouveau régime s’affirma avec éclat au cours de l’été de 1789, et pendant deux ans il soutint sans réserve l’œuvre de l’Assemblée nationale et l’action des autorités municipales et départementales. Les Affiches firent en particulier une propagande résolue en faveur de la constitution civile du clergé, s’efforçant de démontrer la légitimité du serment et critiquant sans ménagement les prêtres réfractaires et le pape lui-même.
11Une évolution se dessine au début de 1792. Tout en restant attaché aux conquêtes de la Révolution, au premier rang desquelles il place la liberté, Broulhiet se détourne de ses partisans les plus avancés qui lui paraissent menacer désormais la paix civile et les droits de l’homme. Le 7 mars, il déclare solennellement la guerre « à l’impétuosité des démagogues, aux complots des factieux, aux manœuvres incendiaires du fanatisme, au délire persécuteur de l’intolérance », et se donne pour devise « La loi, rien que la loi, toute la loi ». Exerçant « le droit de censure que la constitution donne à tout citoyen sur les actes des autorités constituées », il dénonce les abus de pouvoir commis par ces dernières, notamment à l’encontre des prêtres et des fidèles « non conformistes » dont il prend maintenant la défense face au clergé constitutionnel. « L’affligeante journée » du 20 juin le conduit à s’engager dans le débat politique national et à embrasser ouvertement la cause des Girondins. Mises en sourdine après le 10 août, ses attaques contre « les factieux et les anarchistes » incarnés par Marat reprennent en décembre. Pendant la crise fédéraliste de juin 1793, il se déchaîne contre les « projets liberticides » du représentant montagnard Chabot. Le 27 juillet, il ose saluer « le courage et le sang froid que Charlotte Corday a montrés dans son assassinat et dans son supplice » ; mais les Jacobins ont définitivement triomphé, et les Affiches, malgré la prudence dont elles font preuve à partir du mois d’août, sont condamnées. Déjà inquiété à plusieurs reprises, Broulhiet finit par être arrêté le 14 septembre. Son journal continua pourtant de paraître pendant quelques semaines encore, sans doute grâce aux soins de son collaborateur du moment François Rémond ; mais on ne connaît pas de numéros postérieurs au 26 octobre. En dépit des apparences, il était resté fidèle aux principes qui le guidaient depuis 1789 : attachement aux libertés individuelles, et d’abord à la liberté d’expression, tolérance religieuse, modération politique, légalisme juridique.
12La Révolution ne bouleversa pas seulement le destin des vieilles Affiches, elle provoqua la création de plusieurs autres journaux, dont aucun cependant ne réussit à s’imposer durablement12.
13Le Nouvelliste national, ou Journal de Toulouse. politique, libre et impartial ; contenant les résultats des opérations de l’Assemblée nationale, les anecdotes qui y sont relatives, et toutes les pièces authentiques qui peuvent servir à l’histoire de la Révolution actuelle13 fut fondé par le libraire Noël-Étienne Sens, qui se chargea de l’impression mais confia la rédaction à un de ses parents originaire de Nîmes, Auguste Gaude. Il parut, sur huit pages in-octavo, tous les jours sauf le dimanche et les grandes fêtes religieuses, du 19 novembre 1789 au 19 février 1791, puis quatre jours par semaine, les mardis, jeudis, vendredis et samedis, du 22 février au 10 mai 1791. Les abonnés furent alors prévenus de l’arrêt de sa publication, attribué à la lassitude de Gaude rebuté par « l’ennui d’un travail qui se répétait tous les jours » et « la difficulté de plaire à tous les partis », et à son départ de Toulouse.
14Conformément à ce qu’annonce son titre, Le Nouvelliste national est avant tout un journal d’informations politiques générales, qui offre deux rubriques principales. La première, Assemblée nationale, débute en première page et couvre en moyenne 67 % de la surface utile ; elle rend compte des débats de l’Assemblée constituante, avec de larges extraits des discours prononcés et des décrets adoptés. La seconde, intitulée Affaires politiques étrangères, est plus épisodique et moins développée (11 % de la surface) ; elle évoque la situation intérieure des grandes puissances de l’Europe et leurs relations diplomatiques et militaires. Le reste du journal est consacré à l’actualité politique française, parisienne plus que provinciale, et à l’actualité judiciaire, dans la tradition des recueils de causes célèbres. Quant à la chronique toulousaine, elle est réduite à la plus simple expression (2 % de la surface seulement).
15Dans son prospectus et plusieurs avis aux lecteurs, Gaude avait proclamé sa volonté de fournir une information objective et impartiale, et de s’abstenir de réflexions personnelles. On est frappé en effet par l’abondance des documents, rapportés dans leur « rédaction littérale » pour servir de matériaux « au philosophe et à l’historien », et par la rareté des commentaires. Mais l’orientation idéologique du Nouvelliste national n’en est pas moins claire : favorable au nouveau régime, il approuve la politique de l’Assemblée constituante, en matière religieuse notamment, et appelle de ses vœux la diffusion en Europe des idéaux révolutionnaires.
16C’est au contraire la haine de la Révolution qui anime Les Quatre Évangélistes, ou Supplément aux Actes des Apôtres, brûlot hebdomadaire de douze pages in-octavo dont douze numéros furent diffusés au cours des mois de juin, juillet et août 179014. Rigoureusement anonyme, il aurait été inspiré, sinon rédigé, par trois parlementaires (le président Daguin, les conseillers de Cambon et d’Escalonne) et par l’ancien capitoul Duroux ; l’avocat Jean-François Bergez fut également accusé d’être un de ses auteurs15. À l’instar des « Apôtres » parisiens qu’ils avaient pris pour modèles, les « Évangélistes toulousains défendent les nobles, les seigneurs, les prêtres, les religieux, les avocats, les procureurs, enfin tous ceux que la révolution actuelle dépouille de leur état, de leurs propriétés, de leurs moyens de subsistance », et mobilisent toutes les ressources de l’ironie, de la satire et de la calomnie pour ridiculiser et déconsidérer les patriotes : « Il serait à désirer que quelqu’un nous donnât de ce mot de patriotes une définition exacte et vraie », écrivent-ils dans leur numéro 12 : « ceux que j’ai vus prendre impunément ce titre ne sont que des malheureux sans propriété, ou des forcenés sans foi, sans religion, sans probité ». Reprenant les procédés éprouvés en 1788 contre les conseillers du grand bailliage, ils abreuvent de leurs railleries et de leurs sarcasmes les officiers municipaux, les chefs de la garde nationale et les membres du Club des amis de la Constitution, « assemblée de misérables » fort peu évangéliquement traités de « horde de cannibales », n’épargnant pas au passage les imprimeurs Broulhiet et Sens ; mais ils s’en prennent aussi aux dirigeants nationaux de la Révolution, Barnave, Duport, La Fayette ou Mirabeau.
17À la même époque parut un périodique éphémère par nature, le Journal de l’Assemblée électorale du département de la Haute-Garonne, dont les onze numéros de huit pages in-octavo furent publiés quotidiennement du 12 au 22 août 179016. Son rédacteur, resté inconnu, mêle à l’« historique » des séances de l’assemblée des commentaires élogieux pour les électeurs toulousains et hostiles à ceux du district de Saint-Gaudens, soupçonnés de sympathie pour l’Ancien Régime.
18Du Spectateur du Sud de la France n’a été conservé que le numéro 6 du 19 janvier 179117. Paraissant les mercredis et samedis sur huit pages in-octavo, sans nom d’auteur ni d’imprimeur, c’était un concurrent direct des Affiches tant par son contenu – nouvelles de Paris et de l’Assemblée nationale, de l’étranger et des départements « du Sud de l’empire français » – que par son orientation politique très favorable à la Révolution, au point qu’il passait, à tort semble-t-il, pour l’organe officieux de la Société des amis de la Constitution.
19Plus original, dans la forme sinon dans le fond, L’Homé franc. Journal tout noubel én patois, faït ésprès per Toulouso, n’eut sans doute qu’un numéro, le 8 février 179118. Ce fascicule de huit pages in-octavo a pour seul sujet la réfutation des arguments opposés par les curés et les évêques réfractaires au « seromén cibiqué » et à la « constitutio cibilo » du clergé. Destiné « a las brabos gens de mestié », L’Homé franc représente une tentative remarquable, mais vouée à l’échec, pour élargir le public traditionnel des journaux aux travailleurs manuels : la grande majorité d’entre eux ne sachant pas lire, même en patois, ils ne formaient pas une clientèle susceptible de faire vivre un périodique.
20Signalons enfin que pendant l’été de 1793 François Rémond, collaborateur des Affiches, rédigeait également des Annales politiques et militaires de l’Espagne, consacrées « aux événements qui se passent sur la frontière » des Pyrénées, dont aucun exemplaire n’a été retrouvé19.
21Si l’on peut négliger deux projets de journaux restés au stade du prospectus – Le Courrier universel de Toulouse, ou Mélanges historiques, politiques, littéraires..., par un « ancien rédacteur des Affiches » non identifié, qui aurait dû paraître en décembre 1789 chez l’imprimeur Marie-Joseph Dalles20, et un Nouveau Journal poétique, lyrique et divertissant, par une Société de patriotes, annoncé par l’imprimeur Jean-Mathieu Douladoure pour le 1er janvier 179321 –, deux réimpressions toulousaines de publications parisiennes méritent de retenir l’attention.
22La plus durable fut celle du Bulletin de Madame de Beaumont, ou Journal des Journaux, entreprise à l’automne de 1789 (le premier numéro connu est daté du 16 octobre) par la veuve Resplandy, libraire, poursuivie à partir de septembre 1791 par l’imprimeur Pierre Lalanne, et qui se prolongea jusqu’en juin 1792 sous les titres successifs de Bulletin de Paris et de Versailles, Bulletin, Bulletin et Réviseur impartial du pour et du contre22. Paraissant d’abord les mardis et vendredis, puis les mardis, jeudis et vendredis, sur huit pages in-octavo, ce Bulletin reproduit le texte de l’édition parisienne, augmenté de comptes rendus des débats de l’Assemblée nationale et de rares annonces ou informations toulousaines. Il est donc constitué pour l’essentiel par une compilation des journaux « patriotiques » et « royalistes », prétendument objective mais favorisant nettement ces derniers. La seconde réimpression est une des nombreuses Collections des Actes des Apôtres suscitées par le succès de la célèbre feuille satirique de Jean-Gabriel Peltier ; comprenant cent soixante-quinze chapitres répartis en trente-cinq « livraisons », elle forme cinq volumes in-octavo, dépourvus de date et d’adresse mais ornés d’un décor gravé qui prouve qu’elle a bien été imprimée à Toulouse23.
23« La liberté de la presse existe, et des faisceaux de lumière s’élèvent de toute part pour dissiper les ténèbres qui nous environnaient », s’exclame Auguste Gaude dans le prospectus du Nouvelliste national. La Révolution permit en effet aux Toulousains d’exprimer librement leurs opinions et de les communiquer à leurs concitoyens par la voie de publications périodiques. Mais les bienfaits escomptés de l’abolition de la censure se révélèrent assez vite plus minces que prévus. À l’exception des Affiches, deux journaux seulement se maintinrent plus d’une année : le Bulletin (33 mois) et le Nouvelliste national (18 mois) ; tous les autres n’eurent que quelques numéros. Les innovations les plus prometteuses ou les plus originales, telles que le rythme quotidien du Nouvelliste national et l’usage de l’occitan pour L’Homé franc, restèrent sans lendemain. Le pluralisme des tendances politiques, bien vivant en 1790 quand Les Quatre Évangélistes injuriaient les libraires patriotes, n’a pas survécu au Bulletin, qui n’en donnait déjà qu’une version très édulcorée. En octobre 1793 ne subsiste qu’une feuille locale, le Journal révolutionnaire de Toulouse, ou le Surveillant du Midi fondé le 26 septembre par ordre des représentants en mission et de la Société populaire, organe de propagande dont le conformisme politique est sans doute plus pesant que celui des Affiches d’Ancien Régime24.
24Ce bilan décevant s’explique d’abord par les difficultés matérielles auxquelles se heurtaient les journalistes toulousains, et plus particulièrement ceux qui rédigeaient des feuilles d’information générale comme les Affiches, le Nouvelliste national et le Bulletin. Ils étaient en effet confrontés à l’étroitesse de leur public potentiel, dans une ville ne comptant guère plus de 50 000 habitants majoritairement occitanophones et illettrés : à la concurrence que leur faisaient les journaux parisiens, très largement diffusés, et à celle qu’ils se livraient entre eux, dont témoigne par exemple la polémique feutrée qui opposa les Affiches et le Nouvelliste national à propos des mérites respectifs de leur rubrique Assemblée nationale ; aux embarras financiers, malgré la hausse du prix des abonnements (de six livres en 1789 à 20 livres en 1793 pour les souscripteurs toulousains des Affiches), qui leur interdisaient d’augmenter leur pagination autant que l’auraient exigé « l’abondance et l’intérêt des matières » ; à l’éloignement de Paris enfin, d’où provenait l’essentiel de leurs informations, et aux fréquents retards des courriers qui les obligeaient à interrompre ou à bouleverser l’ordre des nouvelles25. Toutes ces contraintes les empêchèrent de réaliser les programmes qu’ils avaient annoncés et de donner pleine satisfaction à leurs abonnés, qui auraient souhaité trouver dans leurs feuilles, à côté des débats des assemblées parisiennes qui occupaient parfois la totalité des livraisons26 et des autres nouvelles politiques nationales ou étrangères, une chronique locale plus développée, des petites annonces plus nombreuses, et aussi ces rubriques littéraires et divertissantes auxquelles ils étaient habitués avant la Révolution.
25Mais si la liberté de la presse n’a pas répondu à tous les espoirs qu’on avait placés en elle, c’est surtout parce qu’elle ne fut jamais totale et que l’arbitraire des autorités locales se substitua trop souvent au « despotisme censoral » de la monarchie absolue. De quelque bord qu’elles fussent, elles acceptèrent difficilement le contrôle que prétendaient exercer sur elles les journalistes, qui de leur côté se considéraient comme « les sentinelles du peuple » et « le palladium de la liberté ». « La liberté de la presse est là pour surveiller les divers pouvoirs, et pour nous informer de leurs déviations », écrivait le 15 décembre 1789 Auguste Gaude, à qui font écho Jean-Baptiste Broulhiet le 21 juillet 1790 : « Je vois avec peine que très peu de villes aient, à l’exemple de la capitale, multiplié les presses [...]. La France ne sera vraiment libre que lorsqu’il y aura dans chaque bourg une presse, un journal », ou son collaborateur Sol le 14 février 1792 : « Personne n’est plus que moi pénétré de vénération pour les dépositaires de l’autorité mais doit-on respecter leurs erreurs ? Le citoyen, l’homme libre, doit-il être spectateur indifférent des écarts qui compromettent la chose publique ? »
26La menace vint d’abord des nostalgiques de l’absolutisme, regroupés autour du parlement. Vers la fin de 1789, indignés par les audaces que se permettait Broulhiet dans ses Affiches, ils le dénoncèrent aux capitouls, mais l’avocat du roi estima qu’il ne faisait que « jouir de la loi qui accorde la liberté à la presse ». Ils l’accusèrent ensuite d’être un faux patriote et de favoriser secrètement l’aristocratie et le despotisme ; « arraché de chez lui par 50 soldats », il put se justifier devant les commissaires des légions de la garde nationale. Le parlement intervint alors directement ; le 27 janvier 1790, au terme de ce qui fut probablement le premier procès de presse de la période révolutionnaire27, la chambre des vacations le condamna à deux amendes de 500 livres pour avoir publié des articles « contenant des expressions contraires au respect dû à la personne du roi et à la majesté du trône » et « tendant à porter le peuple à la révolte »28, alors que ces articles avaient déjà paru dans divers journaux parisiens29 sans faire l’objet de poursuites. Sommé d’appliquer dorénavant « les règlements concernant la librairie », dont les magistrats feignaient de croire qu’ils étaient toujours en vigueur, Broulhiet contre-attaqua en imprimant la brillante plaidoirie de son avocat30 et en portant l’affaire devant l’Assemblée nationale. Le 20 février, celle-ci déféra la procédure à son comité des rapports, et l’Assemblée législative ordonna le 30 août 1792 la cassation de l’arrêt du « ci-devant parlement ». Mais c’étaient maintenant les Jacobins qui ne supportaient plus la liberté de ton des Affiches. En février 1793, Broulhiet fut dénoncé au directoire du département pour avoir critiqué « la loi qui dispense les conseils des communes de motiver leur refus des certificats de civisme » ; le procureur général syndic le convoqua pour lui enjoindre de modérer à l’avenir « ses jugements et ses réflexions »31. Le 10 avril, la Société des amis de la Constitution délibéra de « livrer à l’exécration publique » et de « faire brûler en public » son journal, parmi d’autres « feuilles anticiviques »32. Le mois suivant, elle lui reprocha d’avoir imprudemment donné des informations militaires dangereuses pour la sécurité des troupes françaises engagées contre les Espagnols33. Le 8 août, mandé au comité de surveillance par le représentant Baudot, il dut promettre de rétracter « toutes les erreurs politiques dont il avait infecté jusqu’ici les citoyens » et « de se convertir à la République »34, mais nous savons qu’il fut arrêté le 14 septembre, sous le prétexte d’avoir rapporté sans les précautions nécessaires la proclamation d’un général espagnol, en réalité à cause de ses sympathies girondines35. Ces persécutions précipitèrent son évolution politique : quand il put reprendre la direction d’un journal en février 1795, il lui donna le titre de L’Anti-Terroriste et en fit une des feuilles les plus violemment contre-révolutionnaires de France36.
27Les Affiches ne furent pas les seules victimes des pouvoirs nés de la Révolution.
La liberté de la presse a sans doute été décrétée, mais on ne peut en user qu’autant qu’on calomniera la religion et ses ministres, qu’on déclamera contre le roi, la reine et tous les agents du ci-devant pouvoir exécutif, qu’on fera l’éloge de l’Assemblée nationale, des départements, des districts, des municipalités, etc., etc., sans quoi on est recherché, poursuivi avec un acharnement que n’avait pas le despotisme,
28s’indignent dans leur dixième numéro Les Quatre Évangélistes. Ils purent échapper aux recherches activement menées contre eux par la municipalité, mais la Société des amis de la Constitution menaça un de leurs auteurs supposés, l’avocat Bergez, de « le promener dans les rues, avec un baillon à la bouche, ayant un écriteau devant et derrière avec les mots : calomniateur public, et monté sur un âne37 » : intimidation qui ne fut sans doute pas étrangère à l’arrêt de leur publication. De même, Le Spectateur du Sud de la France ne survécut pas à la délibération de la Société du 17 janvier 1791 désavouant cet « ouvrage rempli d’erreurs et de faux faits » pourtant favorable à la Révolution38. En juin 1792 enfin, un article du Bulletin de Lalanne ayant « affecté le patriotisme chatouilleux des officiers municipaux », ils le firent arrêter et inculper, bien qu’il ait pu prouver, comme Broulhiet naguère devant le parlement, que le passage incriminé avait été « copié » dans un journal déjà publié ; il fut acquitté par le jury39 mais dut lui aussi mettre un terme à son entreprise.
29Avant même la chute de la monarchie, trois journaux toulousains avaient ainsi disparu, sans avoir été officiellement condamnés ou supprimés, mais à la suite de pressions de nature indiscutablement politique. Il convient donc, à la lumière de cet exemple qui ne fut sans doute pas isolé, de nuancer quelque peu l’opinion communément admise selon laquelle la presse française aurait joui, entre le 5 mai 1789 et le 10 août 1792, d’une « liberté illimitée40 ».
Notes de bas de page
1 Cité par Cécile Turlay, La presse provinciale à la fin de l’Ancien Régime, à travers les Affiches, Annonces et Avis divers de Toulouse et du Haut-Languedoc, de 1775 à 1785, T.E R., faculté des lettres de Pau, 1982-1983, p. 48.
2 Le permis d’imprimer du lieutenant principal de la sénéchaussée figure au bas des Affiches jusqu’au 2 septembre. L’approbation de l’inspecteur de la Librairie jusqu’au 7 octobre ; la mention A.P.D.R. (Avec privilège du roi) sera maintenue jusqu’au 30 décembre 1789.
3 Bibliothèque municipale de Toulouse, Fa C 1097.
4 Jean-Baptiste Dubedat, Histoire du parlement de Toulouse, Paris, Rousseau, 1885, t. 2, p. 676 ; Lenard R. Berlanstein, The Barristers of Toulouse in the 18th Century (1740-1793), Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1975, p. 144-145. D’après un libelle contemporain cependant, les véritables auteurs des Nouvelles Affiches et du Courier récréatif seraient des personnages moins connus, Tirosquy fils, Bellouguet et Caldaguès (Lettre à un ami. Toulouse, ce 30 juillet 1788, p. 2).
5 G. Baudens, « Les brochures et l’état des esprits à la veille de la Révolution » dans Recueil de législation de Toulouse, 1910, p. 347-349. Marie-Louis Desazars de Montgailhard, « Les débuts du journal à Toulouse », dans Mémoires de l’académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 1911, p. 171-174.
6 Marie-Thérèse Blanc-Rouquette, La presse et l’information à Toulouse des origines à 1789, Association des publications de la faculté des lettres et sciences humaines de Toulouse, 1967, p. 127-170.
7 Ancien conseiller au sénéchal et au grand bailliage, élu président du tribunal du district en octobre 1792, il sera destitué par le représentant Baudot en juin 1793 et arrêté en décembre par la municipalité.
8 B. M. Toulouse, B XVIII 130 (3-6) ; BNF, 4° Lc 11. 976 et 976 bis-quater.
9 Par « surface utile », nous entendons la surface imprimée, diminuée de celle du titre et de l’adresse.
10 Cécile Turlay, op. cit., p. 93.
11 Marie-Thérèse Blanc-Rouquette, op. cit., p. 162.
12 Diana Escamez, La presse périodique à Toulouse de 1789 à 1794, mémoire de maîtrise, faculté des lettres et sciences humaines de Toulouse, 1969, p. 5-15.
13 B. M. Toulouse, C XVIII 66 et P 13450 ; BNF, 8° Lc 11. 989 (33).
14 BNF, 8° Lc 2. 273 bis.
15 R. de Bouglon, Les reclus de Toulouse sous la Terreur, Toulouse, Privat, 3e fascicule, 1912, p. 30-35 ; Lenard R. Berlanstein, op. cit., p. 164.
16 B. M. Toulouse, La C 341.
17 BNF, 8° Lc 11. 989 (58).
18 BNF, 8° Lc 11. 989 (55).
19 Archives municipales de Toulouse, 5 S 117.
20 BNF, 8° Lc 11. 989 (82).
21 B.M. Toulouse, Br Fa C 1698.
22 B.M. Toulouse, D XVIII 662 (12), Br. Fa D 370-371, C XVIII 238.
23 B.M. Toulouse, Fa C 1132 ; BNF, 8° Lc 2. 273 E. Nous remercions Mme Élisabeth Contourna, conservateur à la bibliothèque municipale de Toulouse, pour l’aide qu’elle nous a apportée dans l’identification de cette édition.
24 B. M. Toulouse, B XVIII 130 (7) ; BNF, 4° Lc 11. 989 (78).
25 On imagine la perplexité des lecteurs du Nouvelliste national devant l’avis suivant : « Nous donnerons la suite de ces décrets dans nos prochains numéros. Les articles qui précèdent ceux-ci, et qui on été renvoyés de la feuille d’hier, se trouveront dans celle de demain » (31 décembre 1790).
26 Près de 20 % des numéros du Nouvelliste national leur sont entièrement consacrés.
27 Edmond Lamouzelle, Le premier procès de presse à Toulouse sous la Révolution, Tarbes, Lesbordes, 1922, p. 3.
28 Archives départementales de la Haute-Garonne, B 1874.
29 Les Révolutions de France et de Brabant de Camille Desmoulins, et la Chronique de Paris de Millin et Noël.
30 Plaidoyer prononcé au parlement de Toulouse, le 27 janvier 1790 par Me Roque, avocat, sur la liberté de la presse, s. l., s. n., in-4°, 28 p.
31 Journal... du département de Haute-Garonne, 13 février 1793 ; Émile Connac, La Révolution à Toulouse et dans le département de la Haute-Garonne, Toulouse, Privat, s. d., p. 91.
32 A.D. Haute-Garonne, L 4548 ; Journal… du département de Haute-Garonne, 17 avril 1793.
33 Ibid., 22 mai 1793.
34 A.D. Haute-Garonne, L 4552.
35 A.D. Haute-Garonne, L 283.
36 Jacques Godechot, La Révolution française dans le Midi toulousain, Toulouse, Privat, 1986, p. 208 et 231.
37 Journal universel... du département de la Haute-Garonne, 21 août 1790.
38 A.D. Haute-Garonne, L 4552.
39 Journal universel du département de la Haute-Garonne, 16 juin 1792.
40 Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, t. I : Des origines à 1814, Paris, PUF, 1969, p. 423-441.
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