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Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution

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Michel Taillefer

Académies et activités académiques

Les Pyrénées ariégeoises vues par les membres d’une société savante du XVIIIe siècle

Texte intégral

  • 1 Michel Taillefer, L’académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse au XVIIIe si (...)

1Il n’est sans doute pas déplacé, au moment où la société ariégeoise des sciences, lettres et arts célèbre son centenaire, de rappeler que ses membres ont eu des précurseurs, et que dès le XVIIIe siècle l’étude du comté de Foix et du Couserans figurait, pour partie du moins, au programme d’une société savante. Je veux parler de l’académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, fondée en 1729 sous le titre de société des sciences, transformée en académie royale en 1746, et qui fut jusqu’à la Révolution une des académies provinciales les plus actives1.

Les Pyrénées offrent aux recherches des physiciens et des naturalistes le théâtre le plus vaste, le plus riche et le plus varié. [...] L’Académie, excitée par le voisinage de ces belles montagnes, semble se les être appropriées. Plusieurs académiciens, dans leurs fréquents voyages, y vont successivement interroger la nature, et viennent déposer dans [ses] registres les secrets qu’ils lui ont arrachés.

  • 2 Histoire et Mémoires de l’Académie royale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse(...)
  • 3 Né à Tarascon en 1746, docteur en médecine de la faculté de Montpellier, François Pilhes était « m (...)

2On doit pourtant remarquer que la vocation pyrénéiste si fortement affirmée en 1788 au début du troisième volume de ses Mémoires2 ne s’était vraiment éveillée qu’une quinzaine d’années plus tôt, ce qui explique que sur près de 1 700 communications lues dans ses séances de 1729 à 1793, 52 seulement traitent de manière spécifique des Pyrénées, et 20 des Pyrénées ariégeoises. Il faut également tenir compte du recrutement de l’académie, où la place des Ariégeois était très modeste. Nous n’en avons trouvé que deux parmi les associés ordinaires : Pierre Gouazé, professeur royal de médecine à l’université de Toulouse, un des fondateurs de la société des sciences dont il dirigea le jardin botanique, né à Lescure, près de Saint-Girons, en 1689, et Louis-Guillaume Dubernard, premier médecin de l’hôtel-Dieu Saint-Jacques, professeur de matière médicale, chimie et botanique à la faculté de médecine, capitoul de 1783 à 1786, né à Saint-Girons en 1728. Quant aux associés correspondants, qui assuraient le rayonnement de l’académie à l’extérieur de Toulouse, et inversement contribuaient à orienter ses recherches vers leur région de résidence, ils n’étaient que six : les médecins Pilhes, de Tarascon, et Vergnies de Bouischère, d’Ax-les-Thermes ; le chirurgien Durozier, d’Ax également ; l’ingénieur Mercadier, de Bélesta ; l’astronome Vidal, de Mirepoix ; et un certain Vidalot, ancien officier de marine retiré à Foix3. Mais il n’était pas nécessaire d’être originaire des Pyrénées ariégeoises pour s’y intéresser, et ce sont au total quatorze académiciens qui leur ont consacré des travaux restés inédits pour la plupart, mais dont certains ont été imprimés dans les Mémoires de l’académie ou publiés séparément. Quel regard ont-ils porté sur ces « belles montagnes » et quelle image ont-ils donnée d’elles à leurs confrères et au public cultivé de leur temps ?

3Tout d’abord, l’image d’une contrée inhospitalière, presque vide d’hommes. Ses habitants, leurs mœurs, leurs coutumes, leur histoire civile et religieuse, ne semblent pas avoir excité la curiosité des savants toulousains ; et quand ils apparaissent néanmoins sous leur plume, c’est le plus souvent en tant que victimes de conditions naturelles, mais aussi économiques, particulièrement défavorables. Le 14 août 1766, François Pilhes rapporta par exemple le cas singulier d’« un homme qui est resté quatre jours et demi dans la neige et qui en est sorti en vie » :

Il est aux extrémités du pays de Foix des villages bâtis au pied ou vers le sommet des montagnes qui séparent la France de l’Espagne. Les paysans qui les habitent ne trouvent point leur subsistance dans la culture des terres voisines, parce que la nature sauvage ne leur offre en ces climats que des rochers pelés ; forcés de porter leur industrie dans le royaume voisin, ils y travaillent aux forges, et reviennent après quelques mois pourvus d’un gain suffisant pour soulager l’indigence impatiente de leurs familles.

  • 4 Mémoire manuscrit (archives de l’académie).

4Chaque année, plusieurs d’entre eux succombaient au passage du port de Siguer, « un des chemins qui les conduisent chez l’étranger ». En février 1765 un forgeron des Cabannes fut momentanément plus heureux. « Saisi par le froid, épuisé de lassitude, appesanti par le sommeil », il tomba dans « une espèce d’anéantissement » que le docteur Pilhes assimile à l’hibernation des marmottes, et en sortit vivant à l’aurore du cinquième jour ; mais, mal soigné par un chirurgien ignorant, il mourut peu de temps après de la gangrène4.

  • 5 Associé ordinaire de la classe de botanique, Jean-Baptiste Gardeil était professeur de mathématiqu (...)
  • 6 Registre des délibérations, XIII, p. 137 (archives de l’académie).

5Le 19 janvier 1775, le médecin Gardeil5 rendit compte de « la maladie qui vient de désoler la paroisse de Seix dans le Couserans ». Envoyé sur place par l’intendant pour étudier cette épidémie mortelle, dont « le symptôme le plus universel est de rendre par le haut ou par le bas une quantité étonnante de vers », il avait diagnostiqué « une fièvre putride maligne vermineuse, qui n’est devenue si générale et si contagieuse que par l’infection de l’air, la malpropreté du lieu et le resserrement des habitants », et pris en conséquence des mesures pour « établir des infirmières ambulantes afin de parfumer les chambres jusqu’à six fois par jour » et faire acheter « les draps et chemises nécessaires pour changer les malades », mesures qui s’étaient rapidement révélées efficaces6.

  • 7 Futur député de la Haute-Garonne au Corps législatif, adjoint de la classe de mécanique.
  • 8 Ancien avocat général à la chambre des Eaux et Forêts du parlement de Toulouse, Philippe Picot, ba (...)
  • 9 Philippe Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer et les forges du Comté de Foix, à Toulou (...)

6Rudesse du relief et du climat, infertilité du sol, misère matérielle et physiologique des populations : le tableau que les académiciens du XVIIIe siècle nous ont laissé de la région serait bien sombre, s’ils n’avaient également souligné les ressources qu’elle offrait à leurs contemporains. « L’aspect de ses rochers escarpés et leurs masses verticales étonnent l’étranger », notait François Pilhes dans l’introduction de son Traité sur les eaux d’Ax et d’Ussat ; « il ne soupçonne pas que la richesse puisse naître de la stérilité même de ces montagnes, ni qu’elles recèlent dans leur sein des trésors précieux à l’humanité ». Ces trésors que l’académie, poussée par le souci du bien public qui animait toute l’époque, s’efforça d’inventorier étaient de deux ordres, minéralogiques et hydrologiques. Aux premiers appartenaient « une terre dont le commerce peut tirer un grand parti », mais sur laquelle nous n’avons pas d’autre renseignement, découverte en 1781 par le docteur Vergnies de Bouischère ; les carrières de grès, de gypse ou d’ardoise mentionnées en 1786 par Philippe Picot de Lapeyrouse dans ses « fragments de la minéralogie des Pyrénées » ; et surtout l’or recueilli dans le lit des rivières et les mines de fer. Le 13 mai 1756, Jean-Baptiste Gardeil lut à ses confrères les extraits d’un « journal de voyage aux Pyrénées » concernant « l’origine de l’or que l’Ariège roule dans ses sables, ainsi que la manière de l’en retirer » ; le 8 janvier 1789, Jean-François-Joseph de Marcorelle7 leur soumit des « observations sur la nature et sur la pêche des paillettes d’or de la rivière du Salat ». Mais il s’agissait-là d’une production marginale et déclinante ; la véritable richesse des Pyrénées ariégeoises, c’étaient le minerai de fer et l’industrie sidérurgique, auxquels Philippe Picot de Lapeyrouse8 consacra son Traité sur les mines de fer et les forges du comté de Foix, publié en 17869.

7La valeur de cet ouvrage fut reconnue tant par l’académie, qui mit la lecture de son Introduction au programme de sa séance publique du 7 avril 1785 et le jugea le 10 mars 1786 digne de paraître sous son privilège, que par les états du Languedoc, qui avaient décidé le 18 février précédent d’en accepter la dédicace et de souscrire deux cents exemplaires destinés à être distribués aux maîtres de forges de la province. L’auteur s’y proposait un double but. D’abord, perfectionner la méthode de fabrication du fer en incitant les ouvriers forgerons à abandonner leurs pratiques empiriques et routinières pour des procédés rationnels. Les ouvriers et non leurs employeurs, car

c’est malheureusement entre leurs mains qu’est abandonnée la direction de tout le travail des forges. Ceux des grands seigneurs qui en possèdent les abandonnent à leurs fermiers et ne connaissent souvent ces fabriques que par leur nom. La plupart des fermiers n’entreprennent ce travail, qui leur est absolument étranger, que par l’espoir du bénéfice momentané de leur bail. Parmi les propriétaires qui résident sur leur forge et qui en surveillent la conduite, ceux-là mêmes qui sont instruits ne connaissent que cette routine aveugle qu’ils ont vu pratiquer à leurs ouvriers. [...] Ainsi, ce sont les ouvriers que je dois principalement tâcher de persuader et d’instruire, parce que ce sont eux qui presque partout gouvernent la fabrication du fer.

  • 10 Son Traité fut traduit en allemand par le minéralogiste Dietrich Karsten sous le titre Abhandlung (...)

8Entreprise malaisée, ces ouvriers, par ailleurs fort habiles et expérimentés, lui apparaissant comme « des gens grossiers qui n’ont point de théorie, incapables de raisonner sur leur art, d’une obstination et d’une vanité qu’il sera bien difficile de vaincre ». Picot de Lapeyrouse s’y emploie néanmoins, en exposant avec précision, planches à l’appui, l’aménagement et le fonctionnement de la meilleure forge de Vicdessos, et en proposant une série d’améliorations techniques propres à réduire la grande irrégularité observée dans la quantité et la qualité du fer obtenu. Son second objectif était de démontrer, à l’intention des maîtres de forges du Languedoc, d’autres provinces comme la Bourgogne et le Dauphiné, et même de l’étranger10, la supériorité de la méthode dite « à la catalane », mais qu’il appelle plus justement « méthode du comté de Foix », sur celle des hauts fourneaux. Réunissant « dans le même feu les trois opérations de la fabrication du fer, c’est-à-dire la fusion du minerai, l’affinage de la fonte et le suage du fer », elle permettait en effet de substantielles économies d’outillage, d’entretien, de matières premières et de temps, tout en donnant un métal particulièrement résistant. On trouve également dans son Traité – et c’est sans doute la partie la plus susceptible d’intéresser l’historien – une description détaillée des mines de fer de Rancié et une vivante évocation du « peuple mineur » de la vallée de Vicdessos, ce peuple « grossier », mais « bon, généreux et sincère », qui en assurait l’exploitation collective.

  • 11 Doctrinaire, professeur de philosophie au collège de l’Esquile et agrégé de la faculté des arts, a (...)
  • 12 Registre de mémoires copiés, II, p. 108-113 (archives de l’académie).
  • 13 Apothicaire major des eaux de Bagnères-de-Luchon, correspondant de l’académie.

9L’autre « trésor » caché par la nature dans les montagnes ariégeoises, c’étaient bien sûr les sources thermales, que le XVIIIe siècle redécouvrait avec enthousiasme pour les placer au premier rang de son arsenal thérapeutique. Le 5 mai 1739, le père Planque analysa les eaux de Fontcirgue, près de La Bastide-sur-l’Hers. Le 16 mars 1747, le père Ricaut11 crut pouvoir affirmer, sur le témoignage du médecin de Cintegabelle, que l’eau de l’Ariège elle-même, « cette rivière si fameuse par les paillettes d’or dont son sable est chargé et par le poisson exquis qu’elle produit », était un « remède spécifique » contre plusieurs maladies12 ; mais l’académie, consciente du « danger qu’il pourrait y avoir à attribuer des vertus singulières à des eaux qui ne les auraient pas », l’engagea à « donner à ces faits une authenticité qui ne permît plus de les révoquer en doute ». Esquissé par le docteur Dubernard le 23 mai 1765, l’analyse des eaux minérales d’Audinac, près de Saint-Girons, fut reprise le 19 mai 1768 par le chirurgien Campardon13. Mais ce sont les eaux d’Ax et d’Ussat qui firent l’objet des études les plus poussées.

  • 14 Abraham Sicre, Mémoire sur les eaux minérales d’Ax, dans le Comté de Foix, à Toulouse, chez Me J.- (...)

10En 1756 un jeune et brillant chirurgien originaire de Mérens, Abraham Sicre, atteint de phtisie pulmonaire, dut abandonner sa place d’interne à l’hôtel-Dieu de Paris et revenir se soigner dans son pays natal. Les eaux d’Ax ayant entraîné une amélioration spectaculaire de sa santé, il en rechercha « la nature et les propriétés » et en exalta les « vertus médicinales uniques » dans un Mémoire imprimé dédié à « Nosseigneurs des États du pays de Foix »14. Lu à l’académie, qui l’avait reçu le 8 juin 1757 comme adjoint de la classe d’anatomie, le 7 septembre 1758, ce mémoire contient la description et l’analyse des principales sources et vingt-quatre cas de guérisons particulièrement remarquables, donc celle de Sicre lui-même – guérison malheureusement illusoire, puisqu’il mourut peu après, à l’âge de 37 ans, alors qu’il venait d’être nommé professeur à l’école royale de chirurgie de Toulouse.

  • 15 Hippolyte Marcailbou d’Aymeric, Monographie de la ville d’Ax, Toulouse, Viallèle, 1886, p. 180 et (...)
  • 16 Pilhes, Traité analytique et pratique des eaux thermales d’Ax et d'Ussat, avec la description des (...)

11La parution de son Mémoire, qui lui attira la reconnaissance du conseil politique de la ville, provoqua une hausse sensible du prix d’affermage des bains, qui passa de 91 livres en 1758 à 240 livres en 176015. Mais le véritable essor d’Ax-les-Thermes date des années 1780, époque de l’achèvement de la route carrossable et de la construction des bains du Couloubret sous la direction du docteur Pilhes. Le Traité analytique et pratique des eaux thermales d’Ax et d’Ussat publié en 1787 par ce dernier, à la demande des états de Foix16, permet de mesurer le chemin parcouru en une trentaine d’années dans la connaissance scientifique des sources – Pilhes en dénombre cinquante-trois, dont il fait une analyse plus précise et plus exacte que son prédécesseur – et dans leur utilisation thérapeutique ; grâce à un équipement moderne de bains doux ou forts, d’étuves, de douches et de fontaines, celle-ci l’emporte désormais sur les usages industriels (le dégraissage des laines pour les moulins à foulon) et domestiques (le lavage de la vaisselle et du linge, la cuisson des aliments) encore prépondérants au milieu du siècle.

  • 17 À Pamiers, chez André Larroire, 1787, in-4°, 200 p.
  • 18 Cet ouvrage et le précédent, que nous n’avons pu retrouver, sont cités par Louis Lafont de Sentena (...)
  • 19 À Toulouse, chez Dupleix et Laporte, 1771, in-12, 23 p.
  • 20 Félix Garrigou, Étude chimique et médicale des eaux sulfureuses d’Ax (Ariège), précédée d’une noti (...)

12Très élogieux pour les bains d’Ax, François Pilhes se montrait très sévère pour les bains d’Ussat, qu’il présente comme des fosses malsaines, peuplées en hiver de crapauds, grenouilles et autres reptiles, et souillées en été par les ordures et les excréments des malades. Cette description peu propre à attirer les curistes, et l’affirmation que les eaux d’Ussat « n’ont rien qui les distingue des eaux communes qu’on aurait fait tiédir, et ne devraient pas être rangées dans la classe des eaux minérales », ne pouvaient rester sans réplique. Le propriétaire des bains, M. de Fraxine, baron d’Ornolac, fit aussitôt répandre les Réflexions d’un citoyen, ou Préservatif contre le Traité analytique et pratique des eaux thermales d’Ax et d’Ussat17, auxquelles répondit l’année suivante une Défense du même Traité18. Par ailleurs un professeur à l’école royale de chirurgie de Toulouse, Bertrand Bécane, qui avait publié en 1771 des Observations sur les bains et eaux d’Ussat19 où il soutenait qu’elles contiennent « une espèce de soufre savonneux et bitumineux », critiqua aigrement, dans les Affiches de Toulouse, son confrère qui n’y avait pas trouvé « le plus petit indice de soufre ». Pilhes offrit alors de « prier la Société royale de médecine d’envoyer deux de ses membres sur les lieux pour en faire une analyse rigoureuse ; et s’il résulte de leur travail que ces eaux soient sulfureuses et bitumineuses, je paierai leur voyage ; dans le cas contraire, ce seront les fauteurs de cette opinion erronée »20.

  • 21 Mémoires copiés, VII-VIII, p. 218-220.
  • 22 Histoire et Mémoires de l’Académie, tome premier, 1782, p. 208-223.
  • 23 Ibid., p. 256-257, et Journal de Physique, t. XXVIII, janvier 1786, p. 68-69.
  • 24 Avocat au parlement, futur député de l’Hérault à l’Assemblée législative, associé ordinaire de la (...)
  • 25 Directeur des Fermes à Narbonne, associé ordinaire de la classe de mécanique, correspondant de l’A (...)
  • 26 Mémoires de mathématique et de physique présentés à l’Académie royale des Sciences par divers Sava (...)
  • 27 Histoire et Mémoires de l’Académie, tome troisième, 1788, p. 384-427. D’autres fragments de cette (...)

13La violence de ces polémiques s’explique par les intérêts matériels qui étaient en jeu. La plupart des travaux scientifiques consacrés par les académiciens toulousains à l’histoire naturelle des Pyrénées ariégeoises furent accueillis plus sereinement. Le père Planque étudia « un vent qui naît de la terre, au midi et à quatre lieues de Mirepoix » (22 mai 1731) ; Jean-Baptiste Gardeil, des stalactites d’une forme remarquable trouvées par le peintre Jean-Pierre Rivalz, dessinateur de l’académie, dans une grotte du Couserans (11 juillet 1765)21 ; Philippe Picot de Lapeyrouse, quelques plantes récoltées dans la vallée de Vicdessos (30 juillet et 6 août 1778)22 et un échantillon de manganèse natif prélevé dans la mine de Rancié (24 février 1781)23 ; Henri Reboul24, deux fragments de minerai de fer spathique de la même provenance (6 juin 1787). Dans son « voyage souterrain », présenté le 20 juillet 1775 et que l’Académie des sciences de Paris jugea digne de figurer dans le Recueil des savants étrangers, Jean-François de Marcorelle25 donna une description détaillée des grottes de Lombrives et de Bédeilhac26 ; cette dernière est également décrite dans les « fragments de la minéralogie des Pyrénées », ou « excursions dans une partie du Comté de Foix », lus par Picot de Lapeyrouse en juin et en août 178627.

  • 28 À Paris, chez P.-G. Cavelier, 1776, in-8°, 135 p.
  • 29 Roger Martin, professeur de philosophie au collège royal, futur député au Conseil des Cinq-Cents e (...)
  • 30 Histoire et Mémoires de l’Académie, tome second, 1784, p. 71-78.

14Dans son Discours en forme de dissertation sur l’état actuel des montagnes des Pyrénées et sur les causes de leur dégradation, prononcé pour l’inauguration de la chaire de chimie du collège royal le 11 décembre 177528, le médecin d’Arcet rapportait un fait surprenant : au cours d’une ascension du pic du Midi de Bigorre, il aurait observé que « plus il s’élevait dans l’atmosphère, plus le mercure montait dans le thermomètre ». L’académie de Toulouse chargea alors « ceux de ses correspondants qui habitaient les Pyrénées de faire des expériences sur diverses montagnes, pour constater l’élévation ou l’abaissement du mercure dans le thermomètre dans les hautes régions ». Menées aux environs d’Ax-les-Thermes par le docteur Vergnies de Bouischère et l’abbé Martin29, ces expériences donnèrent bien entendu des résultats « diamétralement opposés » à ceux de d’Arcet, dont la bonne foi ne pouvait cependant être mise en doute30.

  • 31 Louis Planque, oratorien, associé ordinaire de la classe de physique, secrétaire de la société des (...)
  • 32 À Toulouse, de l’imprimerie de G. Robert, 1731, in-4°, 18 p., pl.
  • 33 Ancien professeur d’anatomie à Toulouse et à Montpellier, Jean Astruc était médecin consultant de (...)
  • 34 Jean Astruc, Mémoires pour l’histoire naturelle de la province de Languedoc, divisés en trois part (...)
  • 35 Nous n’avons pu retrouver sa Réponse à M. Astruc, citée par Joseph-Marie Quérard dans La France li (...)

15Les « observations sur la fontaine de Fontestorbes, accompagnées de l’explication de tout ce qu’elle a de remarquable », présentées par le père Planque31 le 13 juin 1730 et publiées l’année suivante32, avaient provoqué des incidents plus graves. Accusé dans un libelle anonyme imprimé à Montpellier, mais largement diffusé parmi ses confrères toulousains (ce qui entraîna l’exclusion de l’un d’entre eux, le mathématicien Banière), d’avoir copié un mémoire lu en 1707 par le fameux médecin Astruc33 à la société royale des sciences de Montpellier, le père Planque chercha à se disculper en faisant éditer ce mémoire. Mécontent de ne pas avoir été consulté sur l’opportunité de cette publication, Astruc répliqua en insérant côte à côte, dans ses Mémoires pour l’histoire naturelle de la province de Languedoc parus en 1737, son travail et celui du père Planque ; il les accompagna de notes où, tout en lavant son adversaire de l’accusation de plagiat, il contestait l’originalité de son explication et lui déniait l’honneur de l’avoir découverte34. Il semble que le père Planque lui répondit publiquement35, puis la controverse s’éteignit. Était-elle justifiée ? L’examen des deux mémoires révèle quelques différences minimes dans la description de la fontaine de Fontestorbes ou l’étymologie de son nom, et une grande similitude dans l’explication de son écoulement intermittent, attribué par les deux auteurs à l’existence de deux réservoirs souterrains reliés par un siphon. Ce qui ne prouve pas le plagiat, mais suffit à enlever au père Planque le mérite d’avoir, le premier, « dévoilé le mystère » de cette célèbre fontaine.

16Des paysages grandioses et austères où la nature semble écraser l’homme ; une population pauvre mais digne et laborieuse ; une agriculture peu productive ; des activités minières et industrielles non négligeables mais quelque peu archaïques ; une vocation touristique fondée sur l’abondance des grottes et des sources thermales : les Pyrénées ariégeoises vues par les savants toulousains du XVIIIe siècle ressemblent beaucoup à celles que nous présentent aujourd’hui les manuels de géographie et les dépliants des syndicats d’initiative. Avec une différence cependant : l’époque des Lumières n’avait pas découvert Montségur, et ne s’intéressait pas encore aux Cathares.

Notes

1 Michel Taillefer, L’académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse au XVIIIe siècle, thèse pour le doctorat de troisième cycle, université de Toulouse-Le Mirail, 1975, 2 vol. dactylographiés [publiée sous le titre Une académie interprète des Lumières. L’académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse au XVIIIe siècle, Paris, Éditions du CNRS, 1984].

2 Histoire et Mémoires de l’Académie royale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, tome troisième, 1788, p. 11.

3 Né à Tarascon en 1746, docteur en médecine de la faculté de Montpellier, François Pilhes était « médecin pensionnaire de la ville de Tarascon et de la vallée de Vicdessos » quand l’académie le nomma correspondant le 18 avril 1771. Il exerça ensuite à Pamiers, avec le titre de « professeur de l’art des accouchements, pensionné par la province de Foix ». Intendant des eaux d'Ax et d’Ussat depuis 1781, il fut à l’origine de la construction des bains du Couloubret et d’Ussat, qu’il dirigea respectivement jusqu’en 1808 et 1824, et mourut à Pamiers en 1832. Outre le Traité analytique et pratique des eaux thermales d’Ax et d’Ussat dont il sera question plus loin, il a publié en 1811 un Journal des bains d’Ussat.
Quand il fut élu correspondant le 6 septembre 1781, le docteur Vergnies de Bouischère se trouvait à la Guadeloupe où l’avait appelé l’intendant Foulquier, ancien conseiller au parlement de Toulouse et membre de l’académie, qu’il suivit en 1786 à la Martinique ; mais il résidait auparavant à Ax-les-Thermes.
Ancien aide-major militaire lieutenant du premier chirurgien du roi et chirurgien major de l’hôpital de la ville d’Ax, M. Durozier fut nommé correspondant le 29 mars 1781.
Né à Bélesta le 18 avril 1750, mort à Foix le 14 janvier 1816, Jean-Baptiste Mercadier fut précepteur des enfants du marquis de Mirepoix avant de devenir inspecteur des Travaux publics de la province de Languedoc puis, après la Révolution, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du département de l’Ariège ; mais ce sont ses travaux sur la musique qui lui valurent une place de correspondant le 10 mars 1774. Il a publié un Nouveau système de musique théorique et pratique (Paris, Valade, 1776, in-8°, LXXII-304 p.), des Recherches sur les ensablements des ports de mer et sur les moyens de les empêcher à l’avenir..., ouvrage qui a remporté le prix proposé en 1784 et 1786 par la société royale des sciences de Montpellier (Montpellier, Martel aîné, 1788, in-4°, XIV-164 p.), les Tableaux des anciennes mesures du département de l’Ariège, comparées aux mesures républicaines (Foix, Pomiès aîné, an VII, in-8°, 44 p.), et une Ébauche d’une description abrégée du département de l’Ariège (Foix, Pomiès aîné, an IX, in-8°, IX-70 p.).
Né le 30 mars 1747 dans une famille modeste de Mirepoix, Jean Vidal put satisfaire sa passion pour l’astronomie grâce à la générosité du procureur général du parlement de Toulouse Riquet de Bonrepos ; celui-ci lui confia l’observatoire qu’il avait fait aménager au château de Bonrepos et lui légua ses instruments et une pension viagère de 2 000 livres, ce qui lui permit d’établir à Mirepoix son propre observatoire. Directeur de l’observatoire de Toulouse de 1800 à 1807, il se retira dans sa ville natale où il mourut le 2 janvier 1819 alors qu’il observait, par un temps glacial, le passage d’une comète. Correspondant de l’académie de Toulouse depuis 1791, il avait été élu associé non résidant de la section d’astronomie de l’Institut national le 24 avril 1802. Le résultat de ses observations a été recueilli de 1795 à 1807 dans les Additions à la connaissance des temps du Bureau des longitudes ; un manuscrit intitulé Recherches sur l’origine de divers bâtiments dont il ne reste pour la plupart que des ruines dans le département de l’Ariège a été publié par Adolphe Garrigou dans ses Études historiques sur l’ancien pays de Foix (Toulouse, Hénault, 1845, p. 29-36).
M. Vidalot fut nommé correspondant le 20 décembre 1787.

4 Mémoire manuscrit (archives de l’académie).

5 Associé ordinaire de la classe de botanique, Jean-Baptiste Gardeil était professeur de mathématiques au collège royal de Toulouse, et professeur de physiologie et d’hygiène à la faculté de médecine.

6 Registre des délibérations, XIII, p. 137 (archives de l’académie).

7 Futur député de la Haute-Garonne au Corps législatif, adjoint de la classe de mécanique.

8 Ancien avocat général à la chambre des Eaux et Forêts du parlement de Toulouse, Philippe Picot, baron de Lapeyrouse, parcourait chaque année les Pyrénées centrales dont il étudiait systématiquement la faune, la flore et la géologie. Il poursuivit après 1789 une double carrière d’administrateur (président du directoire du district de Toulouse en 1790, maire de Toulouse de 1800 1806, député à la Chambre des représentants en 1815) et de professeur (à l’École des mines de Paris, à l’école centrale de la Haute-Garonne puis à la faculté des sciences de Toulouse). Associé ordinaire de la classe de botanique, il était correspondant de l’Académie des sciences et de la Société d’agriculture de Paris et de l’académie de Stockholm.

9 Philippe Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer et les forges du Comté de Foix, à Toulouse, de l’imprimerie de D. Desclassan, 1786, in-8°, VI-XVII-386 p., pl.

10 Son Traité fut traduit en allemand par le minéralogiste Dietrich Karsten sous le titre Abhandlung über die Eisenbergwerke und Eisenhütten in der Graffschaft Foix, Halle, 1789, in-8°.

11 Doctrinaire, professeur de philosophie au collège de l’Esquile et agrégé de la faculté des arts, associé ordinaire de la classe de chimie.

12 Registre de mémoires copiés, II, p. 108-113 (archives de l’académie).

13 Apothicaire major des eaux de Bagnères-de-Luchon, correspondant de l’académie.

14 Abraham Sicre, Mémoire sur les eaux minérales d’Ax, dans le Comté de Foix, à Toulouse, chez Me J.-H. Guillemette, 1758, in-8°, II-71 p.

15 Hippolyte Marcailbou d’Aymeric, Monographie de la ville d’Ax, Toulouse, Viallèle, 1886, p. 180 et 292.

16 Pilhes, Traité analytique et pratique des eaux thermales d’Ax et d'Ussat, avec la description des bains, des douches et des fontaines, et la meilleure manière de les employer dans les différentes maladies, à Pamiers, chez André Larroire, 1787, in-8°, XVI-142 p.

17 À Pamiers, chez André Larroire, 1787, in-4°, 200 p.

18 Cet ouvrage et le précédent, que nous n’avons pu retrouver, sont cités par Louis Lafont de Sentenac dans sa Bibliographie ariégeoise, Foix, Pomiès, 1899, p. 88 et 34.

19 À Toulouse, chez Dupleix et Laporte, 1771, in-12, 23 p.

20 Félix Garrigou, Étude chimique et médicale des eaux sulfureuses d’Ax (Ariège), précédée d’une notice historique de cette ville..., Paris, Baillière, et Toulouse, Delboy, 1862, p. 4-5.

21 Mémoires copiés, VII-VIII, p. 218-220.

22 Histoire et Mémoires de l’Académie, tome premier, 1782, p. 208-223.

23 Ibid., p. 256-257, et Journal de Physique, t. XXVIII, janvier 1786, p. 68-69.

24 Avocat au parlement, futur député de l’Hérault à l’Assemblée législative, associé ordinaire de la classe de botanique.

25 Directeur des Fermes à Narbonne, associé ordinaire de la classe de mécanique, correspondant de l’Académie des sciences de Paris ; oncle de l’académicien cité à la note 7.

26 Mémoires de mathématique et de physique présentés à l’Académie royale des Sciences par divers Savants et lus dans ses assemblées, 1776, p. 565-592.

27 Histoire et Mémoires de l’Académie, tome troisième, 1788, p. 384-427. D’autres fragments de cette « minéralogie des Pyrénées » avaient paru dans le Journal de Physique de juin 1785.

28 À Paris, chez P.-G. Cavelier, 1776, in-8°, 135 p.

29 Roger Martin, professeur de philosophie au collège royal, futur député au Conseil des Cinq-Cents et au Corps législatif, associé ordinaire de la classe de mécanique.

30 Histoire et Mémoires de l’Académie, tome second, 1784, p. 71-78.

31 Louis Planque, oratorien, associé ordinaire de la classe de physique, secrétaire de la société des sciences de 1730 à 1738.

32 À Toulouse, de l’imprimerie de G. Robert, 1731, in-4°, 18 p., pl.

33 Ancien professeur d’anatomie à Toulouse et à Montpellier, Jean Astruc était médecin consultant de Louis XV et professeur au collège royal.

34 Jean Astruc, Mémoires pour l’histoire naturelle de la province de Languedoc, divisés en trois parties, ornés de figures et de cartes en taille-douce, à Paris, chez Guillaume Cavelier, 1737, p. 257-284.

35 Nous n’avons pu retrouver sa Réponse à M. Astruc, citée par Joseph-Marie Quérard dans La France littéraire, t. 7, 1835, p. 204.

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