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    Plan détaillé Texte intégral La Parfaite Union et Parfaire Vérité, puis les Frères réunis (1777-1781) Les Enfants de l'union triomphante (1780-1790) Les Enfants réunis de la parfaite union (1781-1784) La Constance couronnée (1783-1789) Notes de bas de page

    Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution

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    Les premières loges maçonniques de Castelnaudary (1777-1790)

    p. 205-212

    Texte intégral La Parfaite Union et Parfaire Vérité, puis les Frères réunis (1777-1781) Les Enfants de l'union triomphante (1780-1790) Les Enfants réunis de la parfaite union (1781-1784) La Constance couronnée (1783-1789) Notes de bas de page

    Texte intégral

    1L’historiographie maçonnique française bénéficie depuis une vingtaine d’années d’un incontestable renouveau d’intérêt et surtout d’un profond renouvellement de ses objectifs et de ses méthodes. Aux légendes, noires ou dorées, qui nourrissaient une littérature surabondante mais essentiellement polémique, ont succédé des recherches fondées sur l’utilisation critique des documents. Les précédents congrès de la Fédération ont déjà contribué à l’élaboration de ce que Daniel Ligou, dont on n’a pas oublié les communications sur les francs-maçons de Moissac et de Montauban1, a pu appeler une « maçonologie scientifique », et c’est dans cette perspective que seront évoquées ici les premières loges de Castelnaudary, de 1777 à 1790.

    2Quoique modeste, une telle entreprise ne va pas sans difficultés, dont la principale tient à la pauvreté de la documentation disponible. Les archives internes des ateliers ne nous étant pas parvenues, nos sources se limitent à leur correspondance avec le Grand Orient de France, provenant des archives centrales de l’obédience aujourd’hui déposées à la Bibliothèque nationale2. Bien des aspects de leur histoire nous échappent donc, et nous devrons nous contenter d’en retracer les grandes lignes et d’en dégager quelques traits caractéristiques3.

    La Parfaite Union et Parfaire Vérité, puis les Frères réunis (1777-1781)

    3La capitale du Lauragais demeura « plongée dans les plus profondes ténèbres », c’est-à-dire privée de la lumière maçonnique, jusqu’au début de l’année 1777. La fraternité y fut introduite par un ancien « receveur et contrôleur du canal », André Borreldat, qui voulait remettre en vigueur un atelier dont il avait été vénérable, fondé sept ans plus tôt au Somail, près de Narbonne, sous le titre de Saint-Jean de la Parfaite Union et de la Parfaite Vérité de Clermont réunies4. Son projet fut bien accueilli par les « maçons épars » présents dans la ville, en majorité des officiers initiés dans diverses loges militaires, et c’est l’un d’eux, le chevalier de Chalvet-Rochemonteix5, qui fut porté, au cours de l’assemblée inaugurale tenue le 29 janvier 1777, à la tête de la première loge de Castelnaudary.

    4Celle-ci résultait par conséquent non d’une création ex nihilo, mais de la « translation » d’un atelier préexistant. Autorisée le 7 février 1777 par sa loge-mère de Carcassonne à reprendre ses travaux, elle fonctionna pendant trois ans hors du contrôle du Grand Orient et donc, aux yeux de la quasi-totalité des maçons français, dans des conditions irrégulières. La crainte de voir s’établir un second atelier à Castelnaudary l’amena pourtant à se tourner vers le « centre commun de la maçonnerie » et à lui demander, le 1er janvier 1780, de « nouvelles patentes en reconstitutions sous le titre distinctif de Saint-Jean des Frères réunis ».

    5À l’appui de sa requête, le chevalier de Chalvet-Rochemonteix fit valoir qu’elle était « susceptible, par son heureuse situation, les qualités des membres qui la composent et la quantité de personnes de considération qui se présentent sans cesse pour être reçues et se faire initier dans nos mystères, de devenir avec le temps une des plus florissantes de cette province » ; il ajoutait qu’elle correspondait avec « les loges les mieux constituées de la monarchie » et que la plupart de ses adhérents étaient « parvenus aux plus hauts grades de l’art royal ». Défendu par la Parfaite Amitié de Carcassonne6 et son député auprès du Grand Orient Thoron de Lamée, le dossier des Frères réunis paraissait donc très solide. Mais ils prétendaient obtenir des reconstitutions à la date de 1769 et être exemptés de la taxe de 120 livres prélevée sur les ateliers créés par le Grand Orient, ce que ce dernier ne pouvait admettre. Le 5 octobre 1780, conformément au rapport du frère L’Huissier, la chambre des provinces décida de leur accorder des « constitutions pures et simples » pour prendre rang au 1er janvier précédent, époque de leur demande, et d’exiger le versement des 120 livres7. Bien qu’elle leur ait offert d’« approuver et rappeler les travaux faits sous leurs premières constitutions », les Frères réunis s’obstinèrent et préférèrent se séparer quelques mois plus tard plutôt que d’accepter les formalités qui leur étaient imposées. L’échec de cette loge aristocratique, peuplée « d’anciens militaires et de gentilshommes », est sans doute imputable à un point d’honneur mal placé ; mais il traduit aussi la répugnance de certains maçons provinciaux, initiés de longue date et jaloux de leur indépendance, à reconnaître l’autorité du Grand Orient.

    Les Enfants de l'union triomphante (1780-1790)

    6Avant de disparaître, les Frères réunis avaient condamné « le tort fait à la maçonnerie par un homme se disant maçon, qui pour une mince rétribution a initié aux mystères de l’art royal beaucoup de personnes de cette ville sans pouvoirs, sans loge, sans assistant [...], et a formé par cette conduite facile et irrégulière plutôt une bande qu’une loge de maçons ». Les victimes de cette dénonciation, un groupe de commerçants et d’avocats conduits par le négociant Michel-Fidèle Surbin, trouvèrent davantage de compréhension auprès de deux ateliers de la région, les Enfants de la Gloire de Limoux et la Victoire de Montolieu, qui leur accordèrent des certificats quand ils demandèrent, le 3 avril 1780, à être constitués sous le titre des Enfants de l’union triomphante. Le rapport du frère Roëttiers de Montaleau à la chambre des provinces leur fut également favorable8, et des patentes délivrées dès le 11 mai 1780 pour prendre rang au 3 avril9. Confiée au frère Sarthe, vénérable des Enfants de la gloire, l’installation du nouvel atelier eut lieu le 27 septembre suivant en présence de commissaires de la Victoire. Précédée de la messe célébrée en l’église des Carmes « par l’aumônier de la loge » et suivie d’un banquet, la cérémonie se déroula dans le temple tendu de velours bleu et « éclairé du nombre parfait et mystérieux de 81 étoiles » ; orné de broderies « des deux plus purs métaux », le trône du vénérable était entouré par les statues en marbre blanc du patron de l’ordre et du dieu du silence, saint Jean l’Évangéliste et Harpocrate ; deux tableaux représentant l’un « Moïse descendant du mont Sinaï et lançant sur le peuple idolâtre qui dansait autour du Veau d’or les tables de la loi, image sensible de l’aveuglement des profanes », et l’autre « le portrait de la séduisante et divine Amitié », complétaient la décoration du local10.

    7Sous le maillet de leurs premiers vénérables, les négociants Surbin (1780), Foyssac (1781) et Soulier (1782), les Enfants de l’union triomphante connurent d’abord une période de prospérité qui culmina le 2 décembre 1781 lors des réjouissances qu’ils organisèrent en l’honneur de la naissance du dauphin11. « Annoncée par une triple salve de l’artillerie » et précédée par la distribution de pain et d’aumônes aux « pauvres mendiants et honteux » et aux prisonniers de la ville, la fête commença par un service religieux.

    La symphonie et les fanfares rassemblées, la loge en corps se rendit à la chapelle de Saint-Jean de MM. les Pénitents Gris au son de nos airs et de nos cantiques, pour y assister à une messe chantée et célébrée en action de grâce, après laquelle le Te Deum et l’Exaudiat furent chantés en chœur et en musique [...]. Les prières finies, les maçons se rendirent à l’atelier dans la salle du banquet pour mettre en œuvre les matériaux à l’instant du midi plein, et les frères ayant déjà dessiné sur leur planche, le canon extérieur annonça la première santé, celle de Louis XVI le bien-aimé [...], après laquelle suivit immédiatement et dans le même ordre celle de notre auguste Dauphin ; cette santé fut célébrée avec les plus grandes acclamations et la joie la plus vive [...]. Le vénérable dès lors fit charger les armes à feu pour notre auguste reine ; cette santé fut tirée au bruit de l’artillerie et avec tous les nombres et honneurs mystérieux, et accompagnée d’une marche maçonne que nos musiciens exécutèrent avec mélodie [...]. Au moment du minuit plein les frères furent à une salle décorée où toute la ville se rendit. Le bal commença et dura jusqu’au souper. La salle était en blanc avec des pilastres de laurier, [ornée] de médaillons chargés au centre de Vive le Roi, la Reine, Mgr le Dauphin, la Maçonnerie et la Patrie [et] des armes de France, de Mgr le Dauphin et de l’Empire, le tout éclairé par des lumières sans nombre mystérieusement rangées. Le bal ne fut interrompu que pour aller allumer un feu que l’artillerie annonça ; le concours fut prodigieux ; tant qu’il dura on ne cessa de tirer des fusées et de faire jouer des pièces d’artifice. De là on revint à la salle, le bal recommença, il dura jusqu’au jour et se passa dans la plus grande décence.

    8On voit, à travers ces bruyantes manifestations de « zèle patriotique » et « d’attachement au roi et à la famille royale », que la franc-maçonnerie d’Ancien Régime n’avait rien d’une société secrète, conspirant clandestinement à la perte de la monarchie !

    9Les vénérables élus par la suite, les frères de Marion de Gaja, « seigneur de Gaja, Saint-Julien, Cahuzac et autres places » (1783), de Bailot d’Acher, officier du génie (1784), Chambert, négociant (1785), Gardelle, avocat au parlement (1786), Poulaine, négociant (1788), et Soulier, désormais qualifié de « bourgeois » (1789), furent moins heureux que leurs prédécesseurs. À la fin de 1783, divers incidents, dont l’initiation irrégulière « d’un particulier reçu à la hâte et sans convocation générale, au mépris d’un scrutin successif défavorable », entraînèrent l’exclusion ou la « désertion » d’une douzaine d’adhérents qui formèrent une loge rivale sous le titre de la Constance couronnée. La reconnaissance de celle-ci par le Grand Orient en avril 1785 provoqua une nouvelle « émigration », qui priva les Enfants de l’union triomphante de l’essentiel de leurs ressources humaines et matérielles. Passés de quarante membres à huit, harcelés par leurs créanciers à qui ils devaient quelque 3 000 livres, obligés de quitter leur local, ils vécurent pendant quatre ans « dans une inertie dont peut-être on n’a jamais vu d’exemple parmi les maçons ». Mais le début de la Révolution coïncida avec un regain de leurs activités, qui se poursuivirent au moins jusqu’au 23 avril 1790, date de leur dernière « planche » au Grand Orient.

    Les Enfants réunis de la parfaite union (1781-1784)

    10Le 29 mai 1781, le Grand Orient reçut une lettre de « frères épars de l’orient de Castelnaudary désirant y élever un atelier » et demandant « des constitutions maçonniques » sous le titre des Enfants réunis de la parfaite union. Sitôt connu, ce projet se heurta à une violente opposition de la part des Enfants de l’union triomphante, qui pendant trois ans multiplièrent les démarches auprès de la chambre des provinces pour le faire échouer. Ils soutenaient d’abord que la population de la ville n’était pas suffisante pour permettre la coexistence de deux loges, ce que l’avenir devait partiellement confirmer puisque la création de la Constance couronnée faillit entraîner leur disparition. Mais ils mettaient surtout en cause l’origine sociale des impétrants, accusés de ne pas « professer l’état libre et honnête » exigé des francs-maçons. Aux yeux des nobles, des officiers du sénéchal, des avocats, des négociants et des rentiers qui ornaient les colonnes des Enfants de l’union triomphante, dont les statuts portaient que « nul ne pourra être proposé s’il exerce quelque profession vile et mécanique, si ce n’est pour être frère servant », les simples marchands, petits artisans, officiers subalternes, praticiens et étudiants qui sollicitaient leur admission dans l’ordre n’étaient pas dignes de cet honneur. La virulence de leurs diatribes en dit long à la fois sur les tensions qui traversaient la société chaurienne à la fin de l’Ancien Régime, et sur les limites de l’égalitarisme maçonnique. En voici quelques extraits. Le 19 décembre 1781 :

    Un contraste frappant se présente ici avec éclat. Nous avons pour frères dans notre loge le procureur du roi, l’avocat du roi et autres officiers du palais. De quel œil verraient-ils un huissier venir sous la loi de l’égalité partager leurs travaux [...], eux qui par état peuvent infirmer judiciairement les fonctions de sa charge ? Et nous tous négociants, officiers militaires, chanoines et bourgeois, comment pourrions-nous nous mesurer avec nos cordonniers, tailleurs, boulangers, cabaretiers, plâtriers et autres semblables ? [...] Notre orient fourmille de maçons de basse extraction qui se propagent dans les cabarets, se querellent publiquement et finissent par se battre. Si le Grand Orient constituait ces frères, il gâterait tout.

    11Le 27 février 1782 :

    La maçonnerie aujourd’hui est la société la plus distinguée et la plus respectable de France ; on travaille dans toutes les loges, et particulièrement dans cette province, à trouver des prétextes honnêtes pour écarter les frères qui manquent d’état, de moyens et d’éducation.

    12Le 20 novembre 1783 :

    Pourquoi faut-il que la maçonnerie, intacte et en bonne odeur dans cet orient, soit déshonorée par une classe de personnes dont les deux tiers n’ont jamais mérité le caractère de maçons ? [...] Tels qu’on dit être négociants n’en sont plus à cause des événements de leur état ; tel autre, distingué par la qualité de marchand imprimeur, n’est qu’un chétif relieur sans moyens ; d’autres enfin, qui se qualifient de marchands ou bourgeois, sont un fabricant de colle, un passementier sans parents marié à une servante, et un bourgeois forcé de l’être, ayant perdu un petit emploi qu’il avait sur le canal.

    13Les Enfants réunis de la parfaite union avaient en effet prêté le flanc à la critique en essayant de se faire passer pour plus aisés et plus honorables qu’ils n’étaient réellement12. Ils trouvèrent pourtant des appuis auprès d’authentiques initiés. Si les Enfants de la gloire de Limoux confirmèrent les accusations de leurs adversaires, la Parfaite Amitié et les commandeurs du Temple de Carcassonne certifièrent la régularité de leurs travaux ; les membres de la Parfaite Union et Parfaite Vérité, un dignitaire des Cœurs unis de Paris et certains maçons toulousains soutinrent également leur tentative. Mais celle-ci était vouée à l’échec. Le 10 janvier 1782, sur le rapport du frère Nourichel, la chambre des provinces arrêta « d’une voix unanime qu’il n’y avait pas lieu de leur accorder des constitutions13 ». Une nouvelle requête présentée le 11 août 1783 ne fut pas plus fructueuse. Le 29 avril 1784, après avoir entendu le rapport du frère Deynaut (qui n’avait pas manqué de relever qu’elle était « pleine de fautes d’orthographe »), la chambre des provinces renvoya sa décision à « la première assemblée »14 ; mais ses procès-verbaux ne portent aucune trace des conclusions annoncées. Le 24 mai, la loge se résigna à réclamer le remboursement des 120 livres qu’elle avait versées en 1781, sans perdre encore tout espoir : « À la vérité, dans le temps il y avait à redire sur les qualités civiles de certains frères ; mais cela ne subsiste plus, étant décédés ou exilés ; de manière qu’aujourd’hui nous nous trouvons au nombre de 24 à 28 et tous de la qualité requise. » Elle se dispersa peu après, au bout de trois années d’existence pendant lesquelles elle avait été successivement présidée par le greffier à la subdélégation Combes et le commerçant Jalabert.

    La Constance couronnée (1783-1789)

    14Le dossier de la Constance couronnée à la Bibliothèque nationale étant presque vide, son histoire se réduit à quelques dates. Fondée en novembre 1783 par douze négociants, pour la plupart transfuges des Enfants de l’union triomphante comme Jean-Baptiste Tainan, vénérable en 1788 et 1789, auxquels se joignirent quelques anciens membres des Enfants réunis de la parfaite union comme le libraire Payan, elle demanda le 21 juillet 1784 des constitutions que la chambre des provinces, conformément à l’avis du frère Duluc, lui octroya « d’une voix unanime » le 23 avril 1785, tout en régularisant « les travaux ci-devant faits de bonne foi »15. Ce délai s’explique sans doute par l’obstruction des Enfants de l’union triomphante, qui reçurent pourtant la mission de procéder à son installation officielle. Un incident survenu au cours de la cérémonie raviva le conflit latent entre les deux loges, qui ne tardèrent pas à suspendre leurs relations. Elles se réconcilièrent le 14 février 1787, à l’occasion de l’installation par le vénérable de la Constance couronnée des Arts réunis de Sorèze16, et devaient fusionner en 1803 sous le titre des Enfants de l’Union triomphante et de la Constance couronnée réunies. Peuplée de négociants, d’artisans et d’hommes de loi, la Constance couronnée avait travaillé jusqu’à l’été de 1789.

    15Les loges de Castelnaudary appartiennent à la dernière vague de créations maçonniques avant la Révolution et témoignent des ultimes conquêtes, géographiques et sociales, d’un ordre parvenu à son point de plus grande expansion. Après Paris en 1725, les capitales provinciales comme Toulouse et Montpellier au début des années 1740, les grandes villes comme Carcassonne un peu plus tard, ce sont les petites villes comme Castelnaudary (ou, pour rester dans le cadre de l’actuel département de l’Aude, Lézignan, Limoux, Quillan et Sigean) qui sont gagnées à l’art royal. De même, après l’aristocratie, le clergé, la haute et moyenne bourgeoisie du négoce, des offices et des professions libérales, c’est la petite bourgeoisie de l’échoppe et de la boutique qui pénètre dans les temples. L’analyse sociologique des cent vingt-six initiés chauriens connus fait en effet apparaître 15 % de nobles, sans profession ou officiers militaires17, 4 % d’ecclésiastiques, 24,5 % de négociants et de rentiers, 32,5 % de membres des professions libérales, d’officiers roturiers et d’employés des services publics, et 24 % de petits artisans et petits commerçants. En dépit de l’idéal d’égalité et de fraternité professé par la maçonnerie, la cohabitation d’adhérents issus de milieux aussi éloignés se révéla particulièrement difficile dans « une petite ville de province » où, comme l’écrivaient les Enfants de l’union triomphante au Grand Orient, « rien n’est confondu ». L’examen de la composition sociale des différents ateliers met en lumière une indéniable ségrégation, la Parfaite Union et Parfaite Vérité se recrutant à 65 % dans les ordres privilégiés, les Enfants de l’union triomphante et la Constance couronnée à 76 et 73 % dans la haute et moyenne bourgeoisie, et les Enfants réunis de la parfaite union à 57 % dans la petite bourgeoisie. Fidèle reflet de la société profane, la société maçonnique était donc fortement hiérarchisée, et nous avons vu que les relations entre les diverses loges exprimaient, plutôt que l’union proclamée par leurs titres et leurs devises18, une cascade de mépris ; les officiers nobles de la Parfaite Union et Parfaite Vérité regardaient de haut les négociants et les robins des Enfants de l’union triomphante, qui à leur tour refusaient de frayer avec les artisans et les boutiquiers des Enfants réunis de la parfaite union.

    16S’adressant au Grand Orient le 19 décembre 1781, les Enfants de l’union triomphante n’hésitèrent pas à contester le dogme de l’égalité, valeur suprême de l’idéologie maçonnique :

    Nous savons que sous le niveau tout est égal, et c’est sans contredit ce qui fit tomber primitivement la maçonnerie dans l’adversité et dans la disgrâce de nos princes [...]. Notre ordre respectable a toujours reconnu que les personnes d’un état honorable avaient plus de lumières, d’éducation et de moyens pour maintenir une loge dans tout son lustre et mettre la maçonnerie en bonne odeur.

    17Une telle prise de position conduit à s’interroger, pour conclure ce survol des premières loges de Castelnaudary, sur leur attitude politique et leur rôle éventuel dans la préparation de la Révolution. Bien que nos sources soient muettes sur ce point, rien n’autorise à croire qu’elles aient formé des « sociétés de pensée » ou des foyers d’agitation politique ; il est infiniment plus probable que leurs membres, comme la très grande majorité de leurs confrères à cette époque, se consacraient exclusivement à des activités rituelles et philanthropiques19. Sans doute un initié, l’avocat au parlement Joseph Martin Dauch, fut-il élu le 26 mars 1789 député de la sénéchaussée aux États généraux. Mais il s’agissait d’un personnage doublement marginal, sur le plan maçonnique puisqu’il appartenait à une loge (la Parfaite Union et Parfaite Vérité) non reconnue par le Grand Orient, et sur le plan politique puisqu’il fut le seul député du Tiers à s’opposer au serment du Jeu de paume. Il serait donc pour le moins téméraire de voir dans son élection un argument en faveur de la thèse, ou plutôt de la légende, du « complot » imaginé par l’abbé Barruel.

    Notes de bas de page

    1 Daniel Ligou, « Les francs-maçons de Moissac et les événements politiques (1762-1852) », dans Moissac et sa région. Actes du XIXe congrès d’études régionales de la Fédération des sociétés académiques et savantes Languedoc-Pyrénées-Gascogne, tenu à Moissac les 5 et 6 mai 1963, p. 155-162 ; « Hommes d’affaires montalbanais et franc-maçonnerie à la fin de l’Ancien Régime », dans Montauban et le Bas-Quercy. Actes du XXIIe congrès d’études de la Fédération des sociétés académiques et savantes Languedoc-Pyrénées-Gascogne, et du XXIVe congrès d’études de la Fédération historique du Sud-Ouest, tenu à Montauban les 9, 10 et 11 juin 1972, p. 171-279.

    2 Département des Manuscrits, Fonds maçonnique, FM2 203.

    3 Les loges de Castelnaudary font l’objet de brèves notices dans l’ouvrage d’Alain Le Bihan, Loges et chapitres de la Grande Loge et du Grand Orient de France (seconde moitié du XVIIIe siècle), Paris, Bibliothèque nationale, 1967, p. 60-61.

    4 Selon un document de 1780 repris par Alain Le Bihan, cette loge aurait été « constituée en 1757 par la loge de la Parfaite Union et Parfaite Vérité à l’orient de Carcassonne » et « confirmée en 1762 par les Trois Loges réunies à l’orient de Toulouse et en 1769 par la même loge de la Parfaite Union et Parfaite Vérité ». Fondée en réalité en novembre 1769, constituée le 6 février 1770 par la Parfaite Union et Parfaite Vérité de Carcassonne qui la considérait comme sa « sœur cadette », elle travailla sous la direction du frère Borreldat jusqu’en 1774, époque à laquelle « le décès, la séparation et l’absence de la plupart des membres qui la composaient » entraînèrent sa fermeture.

    5 Né le 16 février 1739 à Toulouse, où son cousin Henri-Auguste occupait l’office de sénéchal, ancien capitaine au régiment de Bourbonnais-Infanterie, Bernard-Marie-Barbe de Chalvet-Rochemonteix était « membre et ancien vénérable de la loge militaire dudit régiment, établie à l’orient de Lille par le prince de Clermont » en 1764. D’après Alain Le Bihan, ses notes d’inspection, bonnes en général, dénonçaient en 1769 « un esprit dangereusement intrigant » (op. cit., p. 285).

    6 Titre sous lequel la Parfaite Union et Parfaite Vérité avait été reconstituée par le Grand Orient en 1773.

    7 Bibliothèque nationale, FM1 78, fol. 852.

    8 Sous réserve de l’abrogation de certains articles de leurs statuts « contraires à ceux du Grand Orient », dont celui qui stipulait que « les juifs maçons, quand même ils seraient munis d’un certificat, n’auront jamais entrée dans la loge ». En effet, « les règlements fondamentaux de notre ordre nous défendent expressément de nous occuper en loge de tout objet étranger à la maçonnerie ; en conséquence le maçon ne s’informe point quelle est la croyance du frère qui prouve par des pièces authentiques qu’il a été initié dans l’ordre, et qu’il a conservé les sentiments qui lui ont mérité cette faveur » (FM1 86).

    9 FM1 78, fol. 822, et FM2 202.

    10 Planche à tracer générale de l’installation de la R... L... Saint-Jean, régulièrement constituée à l’O... de Castelnaudary, sous le titre distinctif des Enfans de l’Union Triomphante, s. l. n. d., in-4°, 23 p.

    11 Louis-Joseph-Xavier, premier fils de Louis XVI, né le 26 octobre 1781.

    12 Le relieur Joseph Payan par exemple se présentait comme « imprimeur-libraire », alors que l’imprimerie avait été supprimée à Castelnaudary en 1739.

    13 FM1 79, fol. 96.

    14 Ibid., fol. 365.

    15 Ibid., fol. 458, et FM6 212.

    16 FM1 79, fol. 269.

    17 Dans son étude sur « Les élections aux états généraux de 1789 dans la sénéchaussée de Castelnaudary. Max Caffarelli du Pillas et la Déclaration des droits de l’homme », Henri Begouen avait déjà noté l’attrait des hobereaux du Lauragais servant dans l’armée pour la franc-maçonnerie (Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, 49e année, t. 43, 1939. p. 136).

    18 Hinc Harmonia Mundi (la Parfaite Union et Parfaite Vérité), Cuncta Superat Unio (les Enfants de l’union triomphante), Mutuo Jungimur Amore (les Enfants réunis de la parfaite union).

    19 Aumônes aux pauvres de la ville et secours aux maçons de passage : « Notre orient se trouvant situé sur la ligne de la poste est journellement exposé à recevoir des frères errants dans le besoin, qui ne se sont jamais séparés de nous sans être munis d’une somme suffisante pour se rendre au lieu de leur destination » (planche des Enfants de l’union triomphante au Grand Orient, 23 décembre 1789).

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    1 Daniel Ligou, « Les francs-maçons de Moissac et les événements politiques (1762-1852) », dans Moissac et sa région. Actes du XIXe congrès d’études régionales de la Fédération des sociétés académiques et savantes Languedoc-Pyrénées-Gascogne, tenu à Moissac les 5 et 6 mai 1963, p. 155-162 ; « Hommes d’affaires montalbanais et franc-maçonnerie à la fin de l’Ancien Régime », dans Montauban et le Bas-Quercy. Actes du XXIIe congrès d’études de la Fédération des sociétés académiques et savantes Languedoc-Pyrénées-Gascogne, et du XXIVe congrès d’études de la Fédération historique du Sud-Ouest, tenu à Montauban les 9, 10 et 11 juin 1972, p. 171-279.

    2 Département des Manuscrits, Fonds maçonnique, FM2 203.

    3 Les loges de Castelnaudary font l’objet de brèves notices dans l’ouvrage d’Alain Le Bihan, Loges et chapitres de la Grande Loge et du Grand Orient de France (seconde moitié du XVIIIe siècle), Paris, Bibliothèque nationale, 1967, p. 60-61.

    4 Selon un document de 1780 repris par Alain Le Bihan, cette loge aurait été « constituée en 1757 par la loge de la Parfaite Union et Parfaite Vérité à l’orient de Carcassonne » et « confirmée en 1762 par les Trois Loges réunies à l’orient de Toulouse et en 1769 par la même loge de la Parfaite Union et Parfaite Vérité ». Fondée en réalité en novembre 1769, constituée le 6 février 1770 par la Parfaite Union et Parfaite Vérité de Carcassonne qui la considérait comme sa « sœur cadette », elle travailla sous la direction du frère Borreldat jusqu’en 1774, époque à laquelle « le décès, la séparation et l’absence de la plupart des membres qui la composaient » entraînèrent sa fermeture.

    5 Né le 16 février 1739 à Toulouse, où son cousin Henri-Auguste occupait l’office de sénéchal, ancien capitaine au régiment de Bourbonnais-Infanterie, Bernard-Marie-Barbe de Chalvet-Rochemonteix était « membre et ancien vénérable de la loge militaire dudit régiment, établie à l’orient de Lille par le prince de Clermont » en 1764. D’après Alain Le Bihan, ses notes d’inspection, bonnes en général, dénonçaient en 1769 « un esprit dangereusement intrigant » (op. cit., p. 285).

    6 Titre sous lequel la Parfaite Union et Parfaite Vérité avait été reconstituée par le Grand Orient en 1773.

    7 Bibliothèque nationale, FM1 78, fol. 852.

    8 Sous réserve de l’abrogation de certains articles de leurs statuts « contraires à ceux du Grand Orient », dont celui qui stipulait que « les juifs maçons, quand même ils seraient munis d’un certificat, n’auront jamais entrée dans la loge ». En effet, « les règlements fondamentaux de notre ordre nous défendent expressément de nous occuper en loge de tout objet étranger à la maçonnerie ; en conséquence le maçon ne s’informe point quelle est la croyance du frère qui prouve par des pièces authentiques qu’il a été initié dans l’ordre, et qu’il a conservé les sentiments qui lui ont mérité cette faveur » (FM1 86).

    9 FM1 78, fol. 822, et FM2 202.

    10 Planche à tracer générale de l’installation de la R... L... Saint-Jean, régulièrement constituée à l’O... de Castelnaudary, sous le titre distinctif des Enfans de l’Union Triomphante, s. l. n. d., in-4°, 23 p.

    11 Louis-Joseph-Xavier, premier fils de Louis XVI, né le 26 octobre 1781.

    12 Le relieur Joseph Payan par exemple se présentait comme « imprimeur-libraire », alors que l’imprimerie avait été supprimée à Castelnaudary en 1739.

    13 FM1 79, fol. 96.

    14 Ibid., fol. 365.

    15 Ibid., fol. 458, et FM6 212.

    16 FM1 79, fol. 269.

    17 Dans son étude sur « Les élections aux états généraux de 1789 dans la sénéchaussée de Castelnaudary. Max Caffarelli du Pillas et la Déclaration des droits de l’homme », Henri Begouen avait déjà noté l’attrait des hobereaux du Lauragais servant dans l’armée pour la franc-maçonnerie (Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, 49e année, t. 43, 1939. p. 136).

    18 Hinc Harmonia Mundi (la Parfaite Union et Parfaite Vérité), Cuncta Superat Unio (les Enfants de l’union triomphante), Mutuo Jungimur Amore (les Enfants réunis de la parfaite union).

    19 Aumônes aux pauvres de la ville et secours aux maçons de passage : « Notre orient se trouvant situé sur la ligne de la poste est journellement exposé à recevoir des frères errants dans le besoin, qui ne se sont jamais séparés de nous sans être munis d’une somme suffisante pour se rendre au lieu de leur destination » (planche des Enfants de l’union triomphante au Grand Orient, 23 décembre 1789).

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