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    Plan détaillé Texte intégral Le voyage du grand maître et son passage à Toulouse L’ode au grand maître imprimée à Toulouse Notes de bas de page Notes de fin

    Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    À propos du « voyage maçonnique » du duc de Chartres dans les provinces méridionales du royaume (1776)

    p. 165-177

    Texte intégral Le voyage du grand maître et son passage à Toulouse L’ode au grand maître imprimée à Toulouse Notes de bas de page Notes de fin

    Texte intégral

    Le voyage du grand maître et son passage à Toulouse

    1Le 8 avril 1776, le duc et la duchesse de Chartres1 quittèrent le Palais-Royal pour la côte méditerranéenne où ils devaient prendre la mer. Convoitant la charge d’amiral de France détenue par son beau-père le duc de Penthièvre2, et désirant se distinguer dans une carrière où aucun autre prince du sang ne s’était illustré avant lui3, le jeune duc avait obtenu de Louis XVI l’autorisation de servir dans la marine royale. Après une première campagne effectuée comme simple volontaire sous les ordres du comte de Guichen pendant l’été 1775, il venait d’être nommé chef d’escadre et de recevoir le commandement d’un vaisseau de soixante-quatre canons, Le Solitaire. C’est pour rejoindre ce navire en manœuvres au large du cap Saint-Vincent qu’il s’embarqua à Toulon le 30 avril 1776 ; au terme d’une croisière de quinze semaines dans l’Atlantique, il revint à Paris à la fin du mois d’août4. Quant à sa femme, elle était partie d’Antibes pour Gênes, d’où elle alla rendre visite à son grand-père maternel le duc de Modène5.

    2Le déplacement du couple princier s’expliquait donc par diverses obligations militaires ou familiales. Mais pourquoi, au lieu de gagner directement la Provence en descendant la vallée du Rhône, fit-il un long détour par Poitiers, Bordeaux, Toulouse et Montpellier ? Les contemporains n’en furent sans doute guère surpris. Ils connaissaient la passion du duc pour les voyages, qui lui procuraient un puissant dérivatif à l’ennui de sa jeunesse dorée. « Je m’aperçois que tous les jours mon goût pour les voyages augmente, écrivait-il de Bruxelles le 29 juillet 1773 à sa maîtresse Mme de Genlis, car mon plaisir en partant d’un lieu pour aller dans un autre augmente à chaque fois. » Ce qu’il aimait en effet, ce n’était pas tant découvrir à loisir les régions traversées, rencontrer leurs habitants, visiter leurs monuments, bref faire du tourisme avant la lettre, que se griser de vitesse et s’étourdir de dépaysement. Brûlant les étapes, dormant souvent à bord de sa berline, ne s’attardant jamais dans les rares villes où il s’arrêtait, il courait la poste sous un incognito relatif qui lui épargnait les fastidieuses formalités de l’étiquette. En 1773, il avait ainsi brièvement parcouru les Pays-Bas autrichiens ; plus tard ce seront la Hollande, l’Italie et l’Angleterre. Le périple de près de 1 400 km accompli en trois semaines entre Paris et Toulon en passant par l’Aquitaine paraît donc s’inscrire naturellement dans cette série de voyages-éclairs6.

    3Pour les francs-maçons du Sud-Ouest cependant, il revêtait une tout autre signification. « Instruit que S.A.S. Monseigneur le Duc de Chartres, Grand-Maître de la Maçonnerie de France7, ferait incessamment un voyage dans les Provinces méridionales du Royaume », le Grand Orient en avait donné avis le 1er avril 1776 « à toutes les LL... situées sur la route que devait tenir le S.G.M. » ; son chambellan le vicomte de Noé, grand maître des cérémonies, qui devait l’accompagner8, avait reçu un brevet l’autorisant à représenter l’administrateur général9 et « à recevoir, en cette qualité, & à présenter au S.G.M., les Députés de toutes les LL... Régulières ». Les archives des ateliers concernés montrent que sitôt informés de sa prochaine venue ils se préparèrent à l’accueillir avec toute la solennité requise, et le compte rendu du « Voyage du S.G.M. dans les Provinces Méridionales de la France » paru l’année suivante dans l’État du Grand Orient de France10 confirme que « les Députés de la plus grande partie des LL... situées dans ces provinces ont été reçus avec cette bonté si naturelle à nos Princes, tant par le S.G.M. que par la S. Sœur Madame la duchesse de Chartres »11.

    4Peut-on pour autant présenter le déplacement du grand maître comme un « voyage maçonnique », dont le but principal, sinon exclusif, aurait été d’inspecter les loges du Midi et de resserrer leurs liens avec le Grand Orient ? Telle est la thèse de Paul Naudon12. Prenant le contre-pied de l’opinion traditionnelle selon laquelle « le duc de Chartres, à peine nommé, se désintéressa complètement de l’ordre »13, il affirme que le grand maître prit « une part réelle [...] dans l’œuvre unificatrice du Grand Orient lors de sa création », et en donne pour meilleure preuve « l’efficacité » de sa tournée de 1776, qui aurait contribué de façon décisive à convaincre les ateliers méridionaux hésitant encore entre la Grande Loge maintenue et le Grand Orient de se rallier à celui-ci14. Mais Paul Naudon se trompe lorsqu’il écrit qu’« aucune mission, aucune raison d’ordre officiel due à la qualité du prince dans l’État » n’ont motivé son voyage, et que « seuls des objectifs maçonniques paraissent avoir été en cause » : nous avons vu qu’il allait prendre le commandement naval que le roi lui avait confié. Il semble qu’en réalité le grand maître, qui se déchargeait habituellement de l’administration de l’ordre sur le duc de Luxembourg15, ait seulement saisi cette occasion pour prendre contact avec quelques ateliers, de même qu’il avait profité de son séjour en Belgique pour visiter, le 26 juillet 1773, la Vraie et Parfaite Harmonie de Mons16. Si le désir de rallier les francs-maçons du Sud-Ouest au Grand Orient avait été à l’origine de son déplacement, comment expliquer qu’il ait mis si peu d’empressement à les rencontrer en plus grand nombre et dans de meilleures conditions ? Ce qui frappe en effet dans le compte rendu publié par l’État du Grand Orient de France, c’est la minceur du bilan de ce « voyage maçonnique », au cours duquel le grand maître n’entra en tout et pour tout en rapport qu’avec treize ateliers appartenant à cinq orients (Poitiers, Bordeaux, Agen, Montauban et Toulouse), alors que bien d’autres villes placées sur sa route possédaient des loges (Orléans, Tours, Carcassonne, Narbonne, Nîmes et Marseille notamment). C’est surtout qu’il ne fit visiblement aucun effort pour modérer « la rapidité de sa marche » qui l’empêcha, à une exception près, de recevoir dignement les hommages de ses confrères provinciaux, dont la déception s’exprime plus ou moins ouvertement dans les planches qu’ils adressèrent ensuite au Grand Orient17.

    5Les membres de la Vraie Lumière de Poitiers, « instruits de la marche précipitée du Prince, & craignant d’être privés de la faveur qu’ils désiraient », durent se contenter de lui envoyer une députation au château des Ormes, près de la ville où il ne s’arrêta pas. Ceux de la Parfaite Union d’Angoulême, où il « passa, sans s’arrêter » davantage, eurent encore moins de chance et ne le virent pas. À Agen par contre, il accepta de recevoir les députés de la Parfaite Union et de la Sincérité et de signer leurs constitutions. Mais les trois loges de Montauban, la Bienfaisance, la Bonne Foi et la Constance, qui « se flattaient de l’espérance de pouvoir signaler leur zèle » par une fête en son honneur, furent obligées de l’annuler quand elles apprirent qu’il « voulait se rendre en hâte à Toulouse et ne s’arrêterait pas » dans la ville ; une députation composée des « trois premières lumières » de chaque atelier et conduite par le vénérable de la Bienfaisance put néanmoins le saluer « au passage de la rivière d’Aveyron » et l’accompagner « dans une barque décorée de trophées symboliques et militaires ». Quand il traversa Montpellier enfin, il était « très pressé de se rendre à Nîmes » et ne put recevoir les députés de la loge Ancienne et de la Réunion des élus.

    6Il n’y a donc qu’à Bordeaux que son séjour prit un caractère véritablement maçonnique, grâce aux cérémonies, rituelles et profanes, organisées les 12 et 14 avril par l’Amitié et la Française : tenue commune des deux ateliers, banquet en musique, feu d’artifice, pose de la première pierre du temple de la Française, comédie au théâtre du Colisée18... Rien ne prouve cependant que ce traitement de faveur ait été dû, comme le suppose Paul Naudon, à la volonté d’intervenir au nom du Grand Orient dans « les luttes d’influence entre les divers courants » (français, anglais et « écossais ») qui se partageaient l’orient aquitain.

    7Si l’État du Grand Orient de France consacre six pages à l’étape de Bordeaux, la plus longue et la plus spectaculaire, quelques lignes suffisent pour évoquer celle de Toulouse :

    Le 17 [avril], leurs A.A. S.S. arrivèrent à Toulouse. Le 18 toutes les LL... de cet O...19 ayant été convoquées & réunies dans le Local de la Sagesse, elles nommèrent des Députés, & choisirent, pour porter la parole, le T.C.F. Ricard, V. de la L... des Vrais Amis Réunis20. Les Députés, laissant les travaux en vigueur, se rendirent, à dix heures du matin, auprès du T.R.F. Vicomte de Noé, qui les présenta au S.G.M. ; ce Prince, après avoir fait aux Députés l’accueil le plus satisfaisant, recommanda l’Union & la Concorde, entre les LL... & parmi les FF..., & signa les Constitutions de la L... des Vrais Amis Réunis21. Les Députés rendirent compte à leurs LL..., qui, pour se conformer aux intentions du S.G.M., terminèrent tous leurs différends & arrêtèrent un banquet général qui fut célébré quelques jours après, & auquel plus de deux cents Maçons assistèrent.

    8Moins favorisés que leurs confrères bordelais, mais plus heureux que ceux de Montauban ou de Montpellier, les initiés toulousains tirèrent de leur entrevue avec le grand maître une grande satisfaction ; « le bon accueil dont il a honoré la commission des cinq loges réunies, écrivaient-ils le 7 mai à la chambre des provinces, est d’autant plus flatteur pour le peuple maçon de cet orient qu’il est le seul à qui il ait été permis d’approcher sa respectable personne ». Les sources profanes confirment en effet que le duc et la duchesse de Chartres voyageaient « presque dans l’incognito » et refusèrent « tous les honneurs qu’on avait délibéré de leur rendre ». L’académie des jeux Floraux, qui avait désigné dès le 12 mars une députation pour les complimenter, y renonça parce qu’« ils n’ont voulu recevoir ni honneurs ni visites d’aucun corps »22. Le chroniqueur Pierre Barthes, à qui nous devons la relation la plus détaillée de leur passage, traduit la déception des Toulousains frustrés dans leur curiosité :

    M. le Duc de Chartres, fils à M. le Duc d’Orléans, cousin du Roy, faisant la visite des ports de mer du Royaume en compagnie de Madame son épouse et d’autres personnes de qualité, arriva en cette ville le 16e de ce mois venant de Montauban. On lui avait député dans cette ville deux capitouls pour le complimenter, et savoir de lui quels honneurs il voulait qu’on lui fît à Toulouse. Il les remercia et les dispensa de toute dépense, ne voulant déranger personne ; néanmoins on avait donné des ordres pour illuminer les fenêtres, tapisser les rues depuis la porte Matabiau jusques à l’archevêché, et sonner toutes les cloches de la ville, ce qui fut exécuté ponctuellement mais fort inutilement, puisqu’étant entré extrêmement tard et d’une vitesse inconcevable il trompa l’attente de tout le monde qui se flattait de le voir, et que personne ne [le] vit. Il arriva à l’archevêché où s’étaient rendus les grenadiers de la troupe qui était en ville, tous sous les armes et en très belle ordonnance. Là après s’être reposé, il en partit à minuit près en carrosse avec Madame la Duchesse et s’en alla aux Cordeliers pour visiter le fameux caveau que ces Pères ont chez eux23, il y descendit avec les personnes de sa suite, il admira ces cadavres desséchés et conservés depuis si longtemps dans ce souterrain, il en partit dans le même cortège pour aller se coucher. Et comme on s’attendait le lendemain à le voir dans la ville, il en partit à neuf heures et disparut sans que personne le vit, pour se rendre à Toulon24.

    9Les Affiches de Toulouse confirment qu’arrivé « à une heure après minuit » il repartit « dans la même matinée »25.

    10L’audience qu’il accorda à ses frères maçons fut donc nécessairement très courte. Elle déboucha néanmoins sur un résultat positif, la réconciliation générale des ateliers, déchirés depuis deux ans par une violente querelle à laquelle mit fin le « traité d’union et de paix » conclu le 1er mai sous ses auspices26. En dépit de sa brièveté et de son peu d’éclat, la visite du duc de Chartres à Toulouse se solda donc par un succès, le plus notable peut-être, sur le plan maçonnique, d’un voyage où les préoccupations de cet ordre ne tinrent dans l’ensemble qu’une place modeste.

    L’ode au grand maître imprimée à Toulouse

    11La visite du grand maître fut également marquée par la parution d’une brochure de huit pages in-quarto, intitulée Ode à Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Chartres, dans son passage à Bordeaux, Par un Frère des Loges Réunies de l’Orient Aquitain, qui mérite à plusieurs égards de retenir l’attention.

    12Bien que les imprimeurs et libraires toulousains aient été particulièrement actifs sur les colonnes des ateliers27, qui leur confiaient naturellement leurs travaux d’impression (papier à en-tête, circulaires, tableaux des officiers, diplômes et certificats), les pièces maçonniques publiées à Toulouse au XVIIIe siècle sont très rares. Nous ne connaissions jusqu’à maintenant que les « planches à tracer générales » de l’installation ou de la réinstallation de quatre loges de la ville (la Sagesse, 1774 ; les Cœurs réunis, 1775 ; Clermont, 1780 ; la Paix, 1782) et peut-être de quelques loges de la région, comme la Fidélité de Lectoure (1782) ou la Parfaite Union de Montech (1783). La découverte de cette brochure, parmi les documents versés par Jean Baylot au fonds maçonnique de la Bibliothèque nationale28, vient donc utilement enrichir une bibliographie des plus réduites29.

    13La page de titre présente deux particularités. L’adresse d’abord : « À Toulouse, de l’Imprimerie de J.-H. Guillemette, Avocat, vis-à-vis St. Rome », dans la mesure où les autres publications maçonniques toulousaines, si elles portent parfois une date, comme ici MDCCLXXVI, ne mentionnent jamais le nom de l’imprimeur, et où Jean-Henri Guillemette, le seul à avoir apposé sa signature sur un ouvrage de ce genre, semble paradoxalement ne pas avoir été maçon lui-même. Le motif ornemental placé au centre de la page ensuite, qui fait référence à une loge depuis longtemps disparue. On y lit en effet, dans une banderole entourant une composition symbolique alliant trois fleurs de lys à divers emblèmes maçonniques (l’équerre, le compas, la truelle, le maillet) : « Les trois L. St. Jean de Toulouse réunies. » Or cet atelier, né en 1760 de la fusion de Saint-Jean ancienne et Fille de Clermont réunies et de Saint-Jean de l’harmonie, avait éclaté dés 1762 : la loge de Clermont, qui lui avait succédé, était en sommeil depuis une dizaine d’années et ne devait reprendre ses activités qu’en 177930. Il faut donc supposer que Guillemette a réutilisé cet ancien sceau, choisi peut-être pour sa valeur décorative, sans se soucier du fait que c’étaient cinq loges, et non trois, qui accueillaient le grand maître.

    14Autre singularité, le texte de la brochure n’est pas d’origine toulousaine mais, comme l’indique son sous-titre, bordelaise. Il s’agit certainement de l’ode qui fut récitée par « un des frères de la loge Française » à la fin du banquet offert le 12 avril au duc et à la duchesse de Chartres31. Avait-elle été d’abord imprimée à Bordeaux ? Il ne le semble pas, les minutieuses recherches de Johel Coutura ne lui ayant pas permis d’en retrouver la trace32. Elle parvint néanmoins à la connaissance des initiés toulousains, qui la jugèrent digne de l’impression et lui assurèrent ainsi une certaine diffusion. Cette œuvre de circonstance peut donc être considérée comme un témoignage représentatif des sentiments qu’éprouvaient les maçons provinciaux à l’égard de leur grand maître, et plus généralement de leurs attitudes politiques au début du règne de Louis XVI.

    15Si les dernières strophes consacrées à la duchesse de Chartres ne contiennent guère que l’éloge conventionnel du « divin hyménée » qui l’unissait à son époux, et une discrète allusion à son appartenance maçonnique33, le portrait du duc est plus explicite et plus complexe. Il juxtapose en effet trois personnages distincts : le franc-maçon, le chef d’escadre et le prince du sang, ces deux derniers inséparables du contexte diplomatique et politique de l’époque.

    16Le « frère de l’Orient aquitain » n’insiste pas outre mesure sur « l’apprenti, compagnon et maître » promu, grâce à ses « talents », « chef » des « Français-maçons », qui présidait pourtant les travaux au cours desquels son poème fut déclamé.

    17Il s’attarde beaucoup plus longuement sur le ressortissant du « vaste empire des mers ». Mais celui-ci n’est pas seulement pour lui l’aimable royaume mythologique de Neptune, des Tritons et des Naïades ; c’est le champ de bataille bien réel où vont s’affronter la France et l’Angleterre. Il n’ignorait pas que le but du voyage du duc de Chartres était de s’embarquer sur un vaisseau de ligne qui risquait d’être prochainement engagé dans des combats. Il savait que la révolte des colonies anglaises d’Amérique entraînerait à brève échéance leur rupture avec Londres (l’indépendance fut effectivement proclamée le 4 juillet suivant), et que la France de Louis XVI, de Vergennes et de Sartine34, impatiente de venger l’humiliation subie à l’issue de la guerre de Sept Ans, prendrait probablement le parti des Insurgents. Une guerre maritime se préparait donc, qu’il appelait de ses vœux, pour « dompter » l’orgueil de l’Angleterre et lui reprendre les conquêtes qu’elle devait « au malheur des temps »35. Elle donnerait en outre au grand maître, devenu « l’appui de la France » et « la terreur de ses ennemis », l’occasion d’acquérir une gloire qui rejaillirait sur l’ordre tout entier. Le décorant par avance du titre d’amiral qu’il ne possédait pas encore, son panégyriste lui promet donc « le sort le plus brillant » et annonce que, sous ses ordres, la marine royale retrouvera sa suprématie du temps de Louis XIV, et rendra à la France la maîtrise des mers de l’Ancien comme du Nouveau Monde36.

    18L’avenir n’allait pas tarder à démentir ces flatteuses prédictions. Nommé le 4 janvier 1777 lieutenant général des armées navales, et le 12 mars 1778, au début des hostilités avec l’Angleterre, inspecteur général de la marine, le duc de Chartres prit la mer pour la troisième fois le 8 juillet avec l’escadre du comte d’Orvilliers, au sein de laquelle il commandait un navire de quatre-vingt-quatre canons, Le Saint-Esprit. Lors du premier combat qu’elle livra le 27 juillet au large d’Ouessant à l’escadre de l’amiral Keppel, il commit une fausse manœuvre qui priva la flotte française de la victoire. Dû sans doute à l’inexpérience, mais imputé par la malignité publique à l’incompétence et à la lâcheté, cet incident mit fin à la carrière militaire du duc, qui fut relevé de ses fonctions par Louis XVI et ne reçut jamais la charge d’amiral tant convoitée.

    19Par contre, son rôle de chef de l’opposition libérale au gouvernement royal ne cessa de s’affirmer jusqu’à la Révolution. En 1771, avec les autres princes de sang (son père le duc d’Orléans, son oncle le prince de Conti, ses cousins le prince de Condé et le duc de Bourbon, son prédécesseur à la tête de la Grande Loge le comte de Clermont), il avait solennellement protesté contre la réforme judiciaire, voulue par Louis XV et mise en œuvre par le chancelier Maupeou, qui privait les parlements de leurs prérogatives politiques, et s’était vu interdire de paraître à la cour37. Rentré en grâce après la mort de Louis XV, il continuait d’apparaître comme un des principaux adversaires du « despotisme ministériel », et le rétablissement des parlements en 1774 avait mis le comble à sa popularité auprès des partisans des idées libérales38. Le frère de la Française de Bordeaux, malgré ses multiples protestations de loyauté à l’égard de la dynastie des Bourbons, appartenait indiscutablement à ces derniers. Après avoir rappelé que le duc n’avait pas hésité à braver « la plus longue disgrâce » pour défendre « nos lois fondamentales », il le félicite surtout d’avoir renoncé, depuis son initiation, à la supériorité que lui conférait sa naissance « près du trône », et de se plier à la règle maçonnique qui place tous les frères « au même niveau » et les soumet à la même discipline, quels que soient leurs « titres, grandeurs, talents, richesses » dans le monde profane. Il va même plus loin, en laissant entendre que « la loi suprême de l’adorable égalité » ne devait pas s’exercer seulement à l’intérieur des temples, mais régir, conformément à la volonté du « Grand Architecte éternel » qui « ne voit dans l’homme que l’homme », l’ensemble de la société.

    20En parfait accord avec la politique étrangère du gouvernement de Louis XVI, prêt à faire la guerre à l’Angleterre pour restaurer la puissance et le prestige de sa « chère patrie », l’auteur de notre texte condamnait donc sa politique intérieure, et plus largement les structures politiques et sociales de l’Ancien Régime, fondées sur l’absolutisme et les privilèges. Le choix de son œuvre pour être lue aux fêtes de Bordeaux et sa publication à Toulouse suggèrent que ses convictions patriotiques et libérales étaient partagées par beaucoup de francs-maçons méridionaux. Quant au duc de Chartres, lorsqu’il prit le 15 septembre 1792, sous la pression de la Commune de Paris, le nom révolutionnaire de Philippe Égalité, se souvenait-il de l’hymne à « l’adorable égalité » que lui avaient dédié, seize ans plus tôt, ses frères de l’orient aquitain39 ?

    Ode à Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Chartres, dans son passage à Bordeaux.
    Par un Frère des Loges Réunies de l’Orient Aquitain.

    QUEL jour ! & quelle est notre gloire !
    Ô FRÈRES ! Ô PEUPLE MAÇON !
    Que, dans nos Fastes, sa mémoire
    Vive avec le nom de BOURBON !
    Enivré du plus beau délire,
    Je chante ce jour sur ma lyre :
    Phébus, prête-moi tes accords ;
    Toi, Rousseaua, toi, sublime Horace,
    Rivaux du Chantre de la Thrace,
    Venez seconder mes efforts.

    QUEL est ce Mortel qui préside
    Dans ce beau jour à nos travaux ?
    Pallas le couvre de l’égide,
    Mars l’admet parmi ses égaux :
    À son côté, je vois Neptune,
    Qui l’associe à sa fortune,
    Dans le vaste Empire des Mers.
    J’entends les divines Peuplades,
    Et des Tritons & des Naïades,
    Qui le chantent dans leurs concerts.

    CE Mortel est né près du Trône,
    De l’illustre Sang des BOURBONS :
    Le Sceptre encore & la Couronne
    L’investissent de leurs rayons.
    Second héritier de nos Maîtresb,
    Il compte parmi ses Ancêtres
    Des Politiques lumineuxc ;
    Il compte des Foudres de guerred ;
    Un Aïeul qu’on vit sur la terre
    Vivre en vrai Citoyen des Cieuxe.

    DANS le Livre des destinées,
    Qui s’ouvre à mes yeux dans l’instant,
    Parcourant toutes ses années,
    Je vois le sort le plus brillant.
    Je lis qu’un jour, par sa vaillance,
    Il sera l’appui de la France,
    La terreur de ses ennemis ;
    Que, par sa profonde sagesse,
    Parmi les Sages de la Grèce,
    Il eût mérité d’être admis.

    Ô FRANCE ! ô ma chère Patrie !
    Né pour le bonheur des humains,
    De joie & de plaisir ravie,
    Tu le vois remplir ses destins.
    Fais consigner dans tes Annales,
    Que de nos Lois fondamentales
    Il s’est montré le défenseur ;
    Et que la plus longue disgrâce,
    De son Père suivant la trace,
    Ne put abattre son grand cœurf.

    ADMIRONS-LE dans la carrière
    Où ce Héros court aujourd’hui :
    Que d’activité, de lumière,
    Que de beaux traits dignes de lui !
    Non, non, à son âme attentive,
    Rien, sur la maritime rive,
    N’échappe, non plus qu’à son œil :
    Des Mers tu t’arroges l’empire,
    Anglais ! mais l’ardeur qui l’inspire
    Un jour domptera ton orgueil.

    UN jour les brillantes Enseignes
    De notre nouvel AMIRAL
    Couvriront les Mers où tu règnes ;
    Ah ! crains un si puissant rival.
    En vain tu tiens tes foudres prêtes,
    Il t’enlèvera les conquêtes
    Que tu dois au malheur des temps :
    Conduit par le Dieu des batailles,
    Il pourrait bien sur tes murailles
    Arborer nos drapeaux flottansg.

    QUELS Héros, sous ce Chef habile,
    Se formeront ! les Dugué-Trouin,
    Et les Jean-Bar, & les Tourville
    Vont renaître avec les Forbinh.
    Par eux, sur l’Empire de l’Onde,
    À l’ancien comme au nouveau Monde,
    La France donnera des Loix :
    Tandis que LOUIS, sur la Terre,
    Fera redouter son tonnerre,
    Et brillera par ses exploits.

    MAIS est-ce donc à ces grands Titres,
    Ô Prince ! que nous te chantons !
    Du Monde que sont les Arbitres,
    Dans les Temples des FRANCS-MAÇONS ?
    On y rend hommage aux Couronnes ;
    On respecte les droits des Trônes,
    Mais tout est au même niveau :
    On n’y connaît que la sagesse,
    Titres, Grandeurs, Talens, Richesses,
    Tout s’y confond comme au Tombeau.

    INTRODUITS dans nos Sanctuaires,
    Monarques les plus révérés,
    Vous n’auriez que le nom de Frères,
    Et vous en seriez honorés.
    Malgré votre auguste Origine,
    Soumis à notre discipline,
    Vos manquements seraient punis :
    Et si votre orgueil, en souffrance,
    S’élevait contre la sentence,
    Ô ROIS, vous en seriez bannis.

    PRINCE : telle est la Loi suprême
    De l’adorable égalité :
    Le plus superbe Diadème
    N’en pourrait pas être exempté.
    Loi sublime, Loi toute sainte,
    Qui grave en nous la noble empreinte
    Du Grand Architecte Éternel,
    Qui ne voit dans l’homme que l’homme
    Et, dans les Rois que l’on renomme,
    N’aperçoit qu’un simple Mortel !

    CETTE Loi te fut toujours chère :
    Non, tu ne crus point t’avilir
    En désirant le nom de Frère,
    Et l’on satisfit ton désir.
    Apprenti, Compagnon & Maître,
    Tes Talens t’ont mérité d’être
    Le Chef, l’œil des FRANÇAIS-MAÇONS ;
    Qui, dès ce moment, de sagesse,
    À l’Europe ont donné, sans cesse,
    Les plus fructueuses leçons.

    AUSSI chère, aussi vénérable
    À ton Épouse, cette Loi,
    Dans la Loge la plus vénérable,
    Elle vient d’engager sa foi.
    Ah ! que cette PRINCESSE illustre
    De lumière, d’éclat, de lustre,
    Va donner à l’Ordre Maçon !
    Ce lien, de l’un à l’autre pôle,
    Publiera qu’il est le symbole
    De votre parfaite union.

    Ô sacré, ô divin Hyménée !
    Toi qui formas de si beaux nœuds
    Dans cette immortelle journée,
    Des Maçons, exauce les vœux.
    Puisse cette Sœur si chérie
    Pousser la course de sa vie
    Jusqu’au terme le plus lointain !
    Puisse le Maître de nos Loges,
    Agréant nos tendres éloges,
    Éprouver le même destin !

    Notes de bas de page

    1 Né au château de Saint-Cloud le 13 avril 1747, Louis-Philippe-Joseph, duc de Chartres, prit le titre de duc d’Orléans à la mort de son père le 18 novembre 1785. Il avait épousé le 5 avril 1769 Louise-Marie-Adelaïde de Bourbon, fille du duc de Penthièvre.

    2 Supprimée par Richelieu en 1626, la charge d’amiral de France avait été rétablie par Colbert en 1669, mais la direction effective de la marine royale incombait désormais au secrétaire d’État. Très lucrative, elle était traditionnellement dévolue à un prince de sang ; le duc de Penthièvre l’avait héritée de son père, le comte de Toulouse, un des fils légitimés de Louis XIV et de Mme de Montespan.

    3 Fréquemment placés à la tête d’armées terrestres (comme le duc Philippe d’Orléans, bisaïeul du duc de Chartres et futur régent, pendant la guerre de Succession d’Espagne), les princes du sang étaient normalement tenus à l’écart des armées navales, pour des raisons d’étiquette et de sécurité.

    4 Amédée Britsch, La maison d’Orléans à la fin de l’Ancien Régime. La jeunesse de Philippe-Égalité (1747-1785), d’après des documents inédits, Paris, Payot, « Bibliothèque historique », 1926, p. 270-275.

    5 Sur la duchesse de Chartres, consulter André de Maricourt, Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, duchesse d’Orléans. La jeunesse, le duc de Penthièvre, le Palais-Royal, la séparation (1753-1791), Paris, Émile-Paul, 1913, XIV-329 p.

    6 Amédée Britsch, op. cit., p. 116-123.

    7 Élu par la Grande Loge le 24 juin 1771 en remplacement du comte de Clermont, il avait été installé à la tête du Grand Orient le 22 octobre 1773.

    8 Le vicomte Louis de Noé, maréchal des camps et armées du roi, était membre de Saint-Jean de Chartres à l’orient de Mousseaux. Il possédait un château près de Fleurance et patronna la naissance de la Victoire de cette ville en 1778 (Bibliothèque nationale, FM2 234, fol. 3).

    9 Le duc Anne-Charles-Sigismond de Montmorency-Luxembourg.

    10 État du G... O... de France. Tome premier, s. l., 1777, Ire partie, p. 60-72.

    11 Le 27 mai 1776, à l’occasion de la réinstallation de la Paix de Tarbes, l’orateur rappela que « nous venons de voir notre Sérénissime Grand Maître traverser ces heureuses provinces comme un astre bienfaisant, qui répand partout, dans toute l'étendue de sa sphère d’activité, la vie et la chaleur ; nous l’avons vu accueillir ses frères avec une distinction marquée, les traiter avec une bonté touchante, exhorter les différentes loges à l’union entre elles, et à la paix intérieure, comme les deux principales colonnes de l’édifice maçonnique » (Planche tracée de la réinstallation de la L... de la Paix à l’Orient de Tarbes, à l’Orient de Tarbes, sous l’enseigne de la Paix et de la Vertu, s. d.). Le voyage du grand maître et de sa femme fut encore évoqué lors de l’assemblée générale du Grand Orient tenue le 3 juillet 1777 en présence du duc de Chartres par le chanoine Pingre, plus connu comme astronome que comme poète, dans un « ouvrage en vers de sa composition » : « Sous ce titre il daigna visiter l’Attelier / De plusieurs OO... de France ; / Partout il instruisit, son auguste présence / Fit partout des Maçons heureux ; / Partout mille chants d’allégresse / Étaient interrompus par mille & mille vœux / Pour sa prospérité, pour l’illustre Princesse / Unie à lui par le plus saint des nœuds… » (État du Grand Orient de France, IVe partie, p. 40).

    12 Paul Naudon, « Un voyage maçonnique du Grand Maître le duc de Chartres en 1776 », dans Travaux de Villard de Honnecourt, t. 5, 1969, p. 58-65.

    13 Amédée Britsch par exemple le dépeint comme « le plus indifférent des francs-maçons de France » (op. cit., p. 254).

    14 Le Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie publié sous la direction de Daniel Ligou (Paris, Éditions de Navarre et Éditions du Prisme, 1974) note plus sobrement que les « résultats bénéfiques » de son « périple à travers les orients du Sud-Ouest » ont constitué « une étape heureuse dans l’expansion du Grand Orient » (t. 2, p. 949).

    15 Selon Pierre Chevallier, il avait dès son installation « abandonné la réalité du pouvoir maçonnique à Luxembourg. [...] Son goût et son intérêt le dirigeaient moins, en vérité, vers les assemblées et les cérémonies solennelles que vers le travail maçonnique en loge personnelle où toute contrainte disparaissait » (Histoire de la franc-maçonnerie française, t. 1 : La maçonnerie, école de l’égalité, 1725-1799, Paris, Fayard, « Les grandes études historiques », 1974. p. 173). Il maçonnait volontiers dans sa loge Saint-Jean de Chartres à l’orient de Mousseaux (Monceau), ou dans le petit temple qu’il avait fait aménager au Palais-Royal même.

    16 Il visitera plus tard, dans des circonstances comparables, la loge Saint-Germain de Compiègne (22 novembre 1776), la Triple Unité de Fécamp (15 juillet 1779) et les loges de Besançon (29 juin 1780).

    17 Voir entre autres la planche de la Constance de Montauban du 12 mai 1776 (Bibliothèque nationale, FM2 303, fol. 11).

    18 Johel Coutura, La franc-maçonnerie à Bordeaux (XVIIIe-XIXe siècles), Marseille, Jeanne Laffitte, 1978, p. 47-53.

    19 Les Cœurs réunis, les Élus de Chartres, la Sagesse, Saint-Jean d’Écosse et les Vrais Amis réunis (la Française Saint-Joseph des arts étant encore en instance).

    20 Né a Toulouse le 27 juin 1740, Jean-Pierre-François Ricard était avocat au parlement et conseiller référendaire en la chancellerie ; secrétaire du premier président en 1789, il devint sous la Révolution secrétaire-greffier du conseil général du département.

    21 Accordées le 8 juin 1775, c’étaient les plus récentes de celles des loges toulousaines.

    22 Archives de l’académie des jeux Floraux, registre des délibérations, 12 mars et 3 mai 1776.

    23 Ce caveau du couvent des Grands Cordeliers, qui conservait à l’état de momies les cadavres qui y étaient déposes, était une des principales curiosités que l’on montrait aux voyageurs de passage à Toulouse.

    24 Pierre Barthes, Les Heures perdues, ou Recueil des choses dignes d’être transmises à la postérité arrivées dans cette ville ou près d’icy, bibliothèque municipale de Toulouse, ms. 705, p. 99.

    25 Affiches et annonces de Toulouse, 24 avril 1776, p. 66.

    26 Michel Taillefer, La franc-maçonnerie toulousaine sous l’Ancien Régime et la Révolution, 1741-1799, Paris, Commission d’histoire de la Révolution française, 1984, p. 177-178.

    27 On relève notamment sur leurs tableaux les noms de Jean-Florent Baour, Jean-Baptiste Broulhiet, Dominique Desclassan, Sébastien Hénault, Jean-Arnaud-Honoré-Marie-Bernard Pijon, Simon Sacareau et Jean Viallanes.

    28 Baylot FM2 649, fol. 1-4.

    29 Peut-être faudrait-il y ajouter une édition de L’Ordre des Francs-Maçons trahis et leur secret révélé de l’abbé Pérau, dont la bibliothèque municipale de Toulouse possède deux exemplaires portant l’adresse suivante : « À Amsterdam, et se débite à Toulouse chez les Vrais Amis Réunis ».

    30 Michel Taillefer, op. cit., p. 42-43 et 58.

    31 État du Grand Orient de France, Ire partie, p. 66.

    32 Johel Coutura, « Le livre maçonnique à Bordeaux au XVIIIe siècle », Revue française d’histoire du livre, no 32, juin-septembre 1981, p. 419-429 ; Histoire de la franc-maçonnerie à Bordeaux et en Gironde. Bibliographie des sources imprimées, Reignac, Éditions du Glorit, 1984, 41 p. Par contre, deux textes de même nature. que celui qui nous occupe ici ont été imprimés à Bordeaux : l’Éloge de Louis de Bourbon, comte de Clermont, prince du sang, Grand Maître de toutes les loges régulières de France, prononcé le jour de la Saint-Jean, dans la loge Française de Bordeaux, par le F. Orateur (1772), et l’Ode à Monseigneur le Comte d’Artois, frère du Roi, par un franc-maçon (1777).

    33 Initiée le 28 février 1773 par son mari, elle était membre de la loge d’adoption de la Candeur de Paris.

    34 Respectivement secrétaire d’État aux Affaires étrangères et secrétaire d’État à la Marine.

    35 Les Bordelais avaient été particulièrement sensibles à la perte du Canada en 1763.

    36 Le 3 juillet 1777, le chanoine Pingré, grand voyageur lui-même, exalta également les qualités de marin du duc de Chartres : « Louis-Philippe-Joseph, d’un plus mâle courage, / Affronte les fureurs d’un perfide élément ; / Le pur sang des Bourbons jamais ne se dément, / Bourbon brave les vents, et la foudre et l’orage… » (État du Grand Orient de France, IVe partie, p. 39).

    37 C’est la raison pour laquelle son installation comme grand maître du Grand Orient, prévue pour le 8 décembre 1772, fut retardée jusqu’au 22 octobre 1773 (Pierre Chevallier, op. cit., p. 160).

    38 En 1787, son opposition persistante à la politique du gouvernement royal amènera Louis XVI à l’exiler sur ses terres de Villers-Cotterêts.

    39 Dans son roman historique Un aristocrate à la lanterne (Paris, Gallimard, 1986), Pierre Moustiers présente une intéressante étude psychologique de Philippe Égalité, dont on regrettera seulement qu’elle néglige presque complètement son engagement maçonnique.

    Notes de fin

    a Le poète Jean-Baptiste Rousseau (1671-1741), célèbre notamment par ses Odes sacrées et profanes.

    b Tant que Louis XVI n’eut pas d’enfant (le dauphin ne naîtra qu’en 1781), le duc de Chartres venait immédiatement après son père, premier prince du sang, dans l’ordre de la succession au trône.

    c Son arrière-grand-père le duc Philippe d’Orléans (1674-1723), régent de France de 1715 à 1723.

    d Son père le duc Louis-Philippe d’Orléans, dit le Gros (1725-1785), qui se distingua dans plusieurs campagnes de la guerre de Succession d’Autriche et de la guerre de Sept Ans. Il était franc-maçon.

    e Son grand-père le duc Louis d’Orléans, dit le Pieux (1703-1752), qui s’était retiré à l’abbaye de Sainte-Geneviève pour se consacrer à la piété et à la charité.

    f Allusion au soutien apporté en 1771 par les princes d’Orléans à la cause des parlements.

    g Mais en juillet 1779 Louis XVI lui interdit de rejoindre l’armée qui préparait une descente en Angleterre, descente qui d’ailleurs ne put avoir lieu.

    h René Duguay-Trouin (1673-1736), Jean Bart (1650-1702), Anne-Hilarion de Tourville (1642-1701), Claude de Forbin (1656-1733) : célèbres corsaires et chefs d’escadre de la fin du règne de Louis XIV.

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    1 Né au château de Saint-Cloud le 13 avril 1747, Louis-Philippe-Joseph, duc de Chartres, prit le titre de duc d’Orléans à la mort de son père le 18 novembre 1785. Il avait épousé le 5 avril 1769 Louise-Marie-Adelaïde de Bourbon, fille du duc de Penthièvre.

    2 Supprimée par Richelieu en 1626, la charge d’amiral de France avait été rétablie par Colbert en 1669, mais la direction effective de la marine royale incombait désormais au secrétaire d’État. Très lucrative, elle était traditionnellement dévolue à un prince de sang ; le duc de Penthièvre l’avait héritée de son père, le comte de Toulouse, un des fils légitimés de Louis XIV et de Mme de Montespan.

    3 Fréquemment placés à la tête d’armées terrestres (comme le duc Philippe d’Orléans, bisaïeul du duc de Chartres et futur régent, pendant la guerre de Succession d’Espagne), les princes du sang étaient normalement tenus à l’écart des armées navales, pour des raisons d’étiquette et de sécurité.

    4 Amédée Britsch, La maison d’Orléans à la fin de l’Ancien Régime. La jeunesse de Philippe-Égalité (1747-1785), d’après des documents inédits, Paris, Payot, « Bibliothèque historique », 1926, p. 270-275.

    5 Sur la duchesse de Chartres, consulter André de Maricourt, Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, duchesse d’Orléans. La jeunesse, le duc de Penthièvre, le Palais-Royal, la séparation (1753-1791), Paris, Émile-Paul, 1913, XIV-329 p.

    6 Amédée Britsch, op. cit., p. 116-123.

    7 Élu par la Grande Loge le 24 juin 1771 en remplacement du comte de Clermont, il avait été installé à la tête du Grand Orient le 22 octobre 1773.

    8 Le vicomte Louis de Noé, maréchal des camps et armées du roi, était membre de Saint-Jean de Chartres à l’orient de Mousseaux. Il possédait un château près de Fleurance et patronna la naissance de la Victoire de cette ville en 1778 (Bibliothèque nationale, FM2 234, fol. 3).

    9 Le duc Anne-Charles-Sigismond de Montmorency-Luxembourg.

    10 État du G... O... de France. Tome premier, s. l., 1777, Ire partie, p. 60-72.

    11 Le 27 mai 1776, à l’occasion de la réinstallation de la Paix de Tarbes, l’orateur rappela que « nous venons de voir notre Sérénissime Grand Maître traverser ces heureuses provinces comme un astre bienfaisant, qui répand partout, dans toute l'étendue de sa sphère d’activité, la vie et la chaleur ; nous l’avons vu accueillir ses frères avec une distinction marquée, les traiter avec une bonté touchante, exhorter les différentes loges à l’union entre elles, et à la paix intérieure, comme les deux principales colonnes de l’édifice maçonnique » (Planche tracée de la réinstallation de la L... de la Paix à l’Orient de Tarbes, à l’Orient de Tarbes, sous l’enseigne de la Paix et de la Vertu, s. d.). Le voyage du grand maître et de sa femme fut encore évoqué lors de l’assemblée générale du Grand Orient tenue le 3 juillet 1777 en présence du duc de Chartres par le chanoine Pingre, plus connu comme astronome que comme poète, dans un « ouvrage en vers de sa composition » : « Sous ce titre il daigna visiter l’Attelier / De plusieurs OO... de France ; / Partout il instruisit, son auguste présence / Fit partout des Maçons heureux ; / Partout mille chants d’allégresse / Étaient interrompus par mille & mille vœux / Pour sa prospérité, pour l’illustre Princesse / Unie à lui par le plus saint des nœuds… » (État du Grand Orient de France, IVe partie, p. 40).

    12 Paul Naudon, « Un voyage maçonnique du Grand Maître le duc de Chartres en 1776 », dans Travaux de Villard de Honnecourt, t. 5, 1969, p. 58-65.

    13 Amédée Britsch par exemple le dépeint comme « le plus indifférent des francs-maçons de France » (op. cit., p. 254).

    14 Le Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie publié sous la direction de Daniel Ligou (Paris, Éditions de Navarre et Éditions du Prisme, 1974) note plus sobrement que les « résultats bénéfiques » de son « périple à travers les orients du Sud-Ouest » ont constitué « une étape heureuse dans l’expansion du Grand Orient » (t. 2, p. 949).

    15 Selon Pierre Chevallier, il avait dès son installation « abandonné la réalité du pouvoir maçonnique à Luxembourg. [...] Son goût et son intérêt le dirigeaient moins, en vérité, vers les assemblées et les cérémonies solennelles que vers le travail maçonnique en loge personnelle où toute contrainte disparaissait » (Histoire de la franc-maçonnerie française, t. 1 : La maçonnerie, école de l’égalité, 1725-1799, Paris, Fayard, « Les grandes études historiques », 1974. p. 173). Il maçonnait volontiers dans sa loge Saint-Jean de Chartres à l’orient de Mousseaux (Monceau), ou dans le petit temple qu’il avait fait aménager au Palais-Royal même.

    16 Il visitera plus tard, dans des circonstances comparables, la loge Saint-Germain de Compiègne (22 novembre 1776), la Triple Unité de Fécamp (15 juillet 1779) et les loges de Besançon (29 juin 1780).

    17 Voir entre autres la planche de la Constance de Montauban du 12 mai 1776 (Bibliothèque nationale, FM2 303, fol. 11).

    18 Johel Coutura, La franc-maçonnerie à Bordeaux (XVIIIe-XIXe siècles), Marseille, Jeanne Laffitte, 1978, p. 47-53.

    19 Les Cœurs réunis, les Élus de Chartres, la Sagesse, Saint-Jean d’Écosse et les Vrais Amis réunis (la Française Saint-Joseph des arts étant encore en instance).

    20 Né a Toulouse le 27 juin 1740, Jean-Pierre-François Ricard était avocat au parlement et conseiller référendaire en la chancellerie ; secrétaire du premier président en 1789, il devint sous la Révolution secrétaire-greffier du conseil général du département.

    21 Accordées le 8 juin 1775, c’étaient les plus récentes de celles des loges toulousaines.

    22 Archives de l’académie des jeux Floraux, registre des délibérations, 12 mars et 3 mai 1776.

    23 Ce caveau du couvent des Grands Cordeliers, qui conservait à l’état de momies les cadavres qui y étaient déposes, était une des principales curiosités que l’on montrait aux voyageurs de passage à Toulouse.

    24 Pierre Barthes, Les Heures perdues, ou Recueil des choses dignes d’être transmises à la postérité arrivées dans cette ville ou près d’icy, bibliothèque municipale de Toulouse, ms. 705, p. 99.

    25 Affiches et annonces de Toulouse, 24 avril 1776, p. 66.

    26 Michel Taillefer, La franc-maçonnerie toulousaine sous l’Ancien Régime et la Révolution, 1741-1799, Paris, Commission d’histoire de la Révolution française, 1984, p. 177-178.

    27 On relève notamment sur leurs tableaux les noms de Jean-Florent Baour, Jean-Baptiste Broulhiet, Dominique Desclassan, Sébastien Hénault, Jean-Arnaud-Honoré-Marie-Bernard Pijon, Simon Sacareau et Jean Viallanes.

    28 Baylot FM2 649, fol. 1-4.

    29 Peut-être faudrait-il y ajouter une édition de L’Ordre des Francs-Maçons trahis et leur secret révélé de l’abbé Pérau, dont la bibliothèque municipale de Toulouse possède deux exemplaires portant l’adresse suivante : « À Amsterdam, et se débite à Toulouse chez les Vrais Amis Réunis ».

    30 Michel Taillefer, op. cit., p. 42-43 et 58.

    31 État du Grand Orient de France, Ire partie, p. 66.

    32 Johel Coutura, « Le livre maçonnique à Bordeaux au XVIIIe siècle », Revue française d’histoire du livre, no 32, juin-septembre 1981, p. 419-429 ; Histoire de la franc-maçonnerie à Bordeaux et en Gironde. Bibliographie des sources imprimées, Reignac, Éditions du Glorit, 1984, 41 p. Par contre, deux textes de même nature. que celui qui nous occupe ici ont été imprimés à Bordeaux : l’Éloge de Louis de Bourbon, comte de Clermont, prince du sang, Grand Maître de toutes les loges régulières de France, prononcé le jour de la Saint-Jean, dans la loge Française de Bordeaux, par le F. Orateur (1772), et l’Ode à Monseigneur le Comte d’Artois, frère du Roi, par un franc-maçon (1777).

    33 Initiée le 28 février 1773 par son mari, elle était membre de la loge d’adoption de la Candeur de Paris.

    34 Respectivement secrétaire d’État aux Affaires étrangères et secrétaire d’État à la Marine.

    35 Les Bordelais avaient été particulièrement sensibles à la perte du Canada en 1763.

    36 Le 3 juillet 1777, le chanoine Pingré, grand voyageur lui-même, exalta également les qualités de marin du duc de Chartres : « Louis-Philippe-Joseph, d’un plus mâle courage, / Affronte les fureurs d’un perfide élément ; / Le pur sang des Bourbons jamais ne se dément, / Bourbon brave les vents, et la foudre et l’orage… » (État du Grand Orient de France, IVe partie, p. 39).

    37 C’est la raison pour laquelle son installation comme grand maître du Grand Orient, prévue pour le 8 décembre 1772, fut retardée jusqu’au 22 octobre 1773 (Pierre Chevallier, op. cit., p. 160).

    38 En 1787, son opposition persistante à la politique du gouvernement royal amènera Louis XVI à l’exiler sur ses terres de Villers-Cotterêts.

    39 Dans son roman historique Un aristocrate à la lanterne (Paris, Gallimard, 1986), Pierre Moustiers présente une intéressante étude psychologique de Philippe Égalité, dont on regrettera seulement qu’elle néglige presque complètement son engagement maçonnique.

    a Le poète Jean-Baptiste Rousseau (1671-1741), célèbre notamment par ses Odes sacrées et profanes.

    b Tant que Louis XVI n’eut pas d’enfant (le dauphin ne naîtra qu’en 1781), le duc de Chartres venait immédiatement après son père, premier prince du sang, dans l’ordre de la succession au trône.

    c Son arrière-grand-père le duc Philippe d’Orléans (1674-1723), régent de France de 1715 à 1723.

    d Son père le duc Louis-Philippe d’Orléans, dit le Gros (1725-1785), qui se distingua dans plusieurs campagnes de la guerre de Succession d’Autriche et de la guerre de Sept Ans. Il était franc-maçon.

    e Son grand-père le duc Louis d’Orléans, dit le Pieux (1703-1752), qui s’était retiré à l’abbaye de Sainte-Geneviève pour se consacrer à la piété et à la charité.

    f Allusion au soutien apporté en 1771 par les princes d’Orléans à la cause des parlements.

    g Mais en juillet 1779 Louis XVI lui interdit de rejoindre l’armée qui préparait une descente en Angleterre, descente qui d’ailleurs ne put avoir lieu.

    h René Duguay-Trouin (1673-1736), Jean Bart (1650-1702), Anne-Hilarion de Tourville (1642-1701), Claude de Forbin (1656-1733) : célèbres corsaires et chefs d’escadre de la fin du règne de Louis XIV.

    Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution

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    Taillefer, M. (2014). À propos du « voyage maçonnique » du duc de Chartres dans les provinces méridionales du royaume (1776). In Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution (1‑). Presses universitaires du Midi. https://doi.org/10.4000/books.pumi.14803
    Taillefer, Michel. « À propos du “voyage maçonnique” du duc de Chartres dans les provinces méridionales du royaume (1776) ». In Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution. Toulouse: Presses universitaires du Midi, 2014. https://doi.org/10.4000/books.pumi.14803.
    Taillefer, Michel. « À propos du “voyage maçonnique” du duc de Chartres dans les provinces méridionales du royaume (1776) ». Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution, Presses universitaires du Midi, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pumi.14803.

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    Taillefer, M. (2014). Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution (1‑). Presses universitaires du Midi. https://doi.org/10.4000/books.pumi.14722
    Taillefer, Michel. Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution. Toulouse: Presses universitaires du Midi, 2014. https://doi.org/10.4000/books.pumi.14722.
    Taillefer, Michel. Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution. Presses universitaires du Midi, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pumi.14722.
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