1ÉLECTION APRÈS ÉLECTION, le débat politique s’in du désenchantement civique. Les soirs et les lendemains de consultation électorale, hommes politiques s’inquiète les et les médias discourent abondamment sur le thème de la dépolitisation, les Français boudant le vote, moment essentiel de la vie de nos instances politiques représentatives. Les politologues (Grunberg, Mayer et Sniderman, 2002) corrigent et précisent, chaque fois, que nos concitoyens délaissent essentiellement les formes institutionnelles de participation tout en s’investissant de manière accrue dans des modes renouvelés d’action citoyenne, notamment au travers des mouvements sociaux et de démarches associatives. Néanmoins, le désintérêt croissant à l’égard des scrutins nationaux et locaux paraît périlleux pour le fonctionnement régulier de nos institutions.

2À un degré moindre qu’à l’échelle nationale, la crise de la démocratie représentative locale est patente (Rangeon, 1999). « La démocratie ne peut se suffire d’un bulletin de vote tous les six ans. Il faut inventer des pratiques démocratiques permanentes en dehors des consultations électorales. Aujourd’hui la seule responsabilité des élus ne suffit pas à valider les décisions » relevait déjà le maire de la Roche-sur-Yon en 1992 (Auxiette, 1992, p. 126). Ce constat s’accompagne en même temps, semble-t-il, du sentiment que le traitement principal de la désaffection des Français à l’égard des formes traditionnelles de participation s’administre à l’échelle locale. Au-delà de mots d’ordre généraux sur la « France d’en-bas », dont la signification s’apprécie surtout en terme de marketing politique national, les atouts du local sont mis en exergue. André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux, l’affirme sans ambages, « les élus locaux ont à mon avis plus de légitimité que les autres. Nous sommes au contact direct de la population » (Santini, 1992, p. 127).

3Depuis les lois Defferre sur la décentralisation en 1982 jusqu’à la loi Vaillant sur la démocratie de proximité1, plusieurs dispositions législatives ont été adoptées pour développer la participation des citoyens à la vie politique locale au sein d’instances telles que les comités de quartier, à l’occasion de référendums, de consultations publiques, et renforcer l’expression des membres de l’opposition. L’écoute des administrés doit se manifester (Mazet, 1999), aux dires mêmes des élus, par des permanences, par une présence plus forte dans les quartiers afin de créer une familiarité avec les habitants, par des réunions régulières pour expliquer les initiatives municipales avant même ou différemment que par la presse locale ou régionale. La démocratie ne serait plus représentative, ou directe, ou participative, suivant les réalités institutionnelles ou les souhaits idéologiques. Elle se doit désormais d’être de proximité2.

4Parallèlement aux réglementations sur la décentralisation, les collectivités locales françaises ont disposé de TIC (Techniques d’information et de Communication) comme les réseaux câblés et la télématique vidéotex. Les premières expérimentations de télématique municipale, à Grenoble et à Nantes, datent précisément de 1982. Les élus ont perçu dans ces technologies, alors nouvelles, des outils propres à mieux informer et à renforcer le dialogue avec leurs concitoyens, tout du moins dans leurs discours. L’affichage de cet objectif n’est d’ailleurs pas exclusif d’autres approches comme les services pratiques mis à disposition par Minitel et par Internet, les stratégies de légitimation politique par des procédés de marketing politique électronique ou encore de l’affirmation de l’identité locale au travers de la constitution de portails de données dans laquelle les municipalités effectuent sur leur site la mise en scène du territoire communal. Ainsi, « Chambéry lance la « participation locale par la télématique ». « C’est un tournant important dans la démocratie locale » a expliqué son maire, Pierre Dumas, en présentant Crystel, le vidéotex municipal du chef-lieu de la Savoie » relève Le Figaro en 1984.

5Le déploiement d’Internet au milieu des années 1990 au moment où la télématique vidéotex s’essouffle est accompagné par les accents vigoureux de cette vieille antienne politique. Les déclarations d’élus municipaux (Santini, 2000) et d’experts entendus lors de rencontres organisées par des collectivités territoriales (Conseil Régional Midi-Pyrénées, 1999) sur le thème de la « Société de l’Information » ou de colloques professionnels réaffirment la destination politique des techniques numériques. Lors des 7^èmes Rencontres de l’Observatoire des Télécommunication dans la Ville, Antoine Rufenacht énonce par exemple que « ces technologies peuvent faire évoluer la relation entre l’élu et le citoyen en contribuant à l’amélioration des services administratifs, à l’amélioration de l’accès aux services publics, à la dynamisation de la vie associative et au soutien de la démocratie locale en instaurant un dialogue avec les élus » (Rufenacht, 1998).

6Les technologies de l’information et de la communication sont perçues comme complémentaires des applications de développement local, de promotion des villes, d’éducation et de culture, de revitalisation du tissu économique local. À côté et avec les modes traditionnels de participation politique, l’emploi des TIC dans les collectivités locales, en particulier la mise en ligne de sites d’information et de communication découle d’un enjeu majeur. Au-delà d’orientations manifestes de marketing politique, de promotion de la ville et de ses élus, les sites Internet municipaux (SIM) sont mandatés de la délicate mission d’enrayer une abstention électorale préjudiciable au fonctionnement du système politique. Inscrits dans un processus de captation, les SIM sont envisagés comme des applicatifs électroniques dotés d’un pouvoir de séduction suffisant pour infléchir la fâcheuse tendance des citoyens à s’écarter des sentiers électoraux. Cette problématique nous incite donc à observer3 (première partie) les modalités de ces dispositifs municipaux (mise en ligne de rubriques de communication politique, accès à des forums électroniques, établissement de liens hypertextuels vers des sites associatifs) destinés à faire dévier les citoyens d’une trajectoire nuisible au bon fonctionnement de la démocratie locale. Elle nous conduit aussi (deuxième partie) à nous interroger sur les caractéristiques de modalités qui nous paraissent pouvoir être définies comme des formes contrariées de captation dans la mesure où les moyens mis en œuvre sont entravés, dans un même élan, par leurs propres promoteurs.

Dispositifs numériques municipaux et captation des citoyens

7Aborder les potentialités des techniques numériques dans le domaine politique renvoie (Massit-Folléa, 1997) à la sempiternelle antinomie entre la mythique agora de la démocratie directe et la fin des libertés individuelles avec la généralisation de procédés panoptiques (Orwell, 1990). En réalité, la tentative de redonner aux citoyens une appétence pour leurs devoirs électoraux grâce à Internet s’affranchit de cette antithèse stérile et s’analyse simplement au travers de la description de procédés concrets dont l’objectif clairement affiché est l’accroissement de la participation politique (Rodotà, 1999).

Les potentialités des réseaux numériques et la démocratie locale

8La volonté des élus de délivrer des informations adéquates, pertinentes, sur les systèmes municipaux de communication électronique était présente dès les expérimentations de Grenoble et de Nantes (Pailliart, 1993a). La puissance de calcul et d’archivage des ordinateurs4, la permanence d’accès quel que soit le lieu d’interrogation, l’étendue des données engrangées, la possibilité de sélectionner l’information5, la capacité technique pour les destinataires d’intervenir sur le système de communication et de produire à distance leurs propres informations, laissent entrevoir des formes de démocratie « additionnelle » (Blondiaux, 1999). Les techniques numériques accroissent, potentiellement, cinq modalités de participation à la vie politique locale, l’accès à une information désormais disponible en permanence, la consultation des citoyens sous forme de sondage ou de questionnaires en liaison avec le développement de projets, les débats sur les forums, l’exercice de la décision par le vote électronique, le contrôle de l’action publique à la lecture des informations dévoilées sur le site Internet municipal. Ces modalités constituent la genèse d’applications électroniques catégorisées sous la forme d’indicateurs numériques de démocratie participative locale. Après la présentation succincte des trois catégories d’indicateurs politiques, nous mettrons en exergue deux applications supposées concilier la modernité technique et l’interaction des citoyens et de leurs édiles, les forums et l’expression des associations.

9La première des catégories retenues, les informations politiques de la municipalité, découle des capacités de stockage et de diffusion des médias électroniques. Elle écarte de fait les rubriques informatives qui constituent l’essentiel des sites Internet des villes, les données économiques, les informations culturelles, les documents touristiques, les renseignements administratifs, tout ce que nous résumons d’ordinaire sous l’expression de services rendus à la population ou de services pratiques. Même si toute information est pouvoir (Laulan, 1985) et processus de transparence de la vie de la cité, nous privilégions une acception plus restrictive des rubriques informatives de nature politique, car la conception extensive est d’emblée le lot de tout site municipal. L’impact politique de l’affichage des horaires de la piscine municipale ou de l’adresse des écoles primaires, aussi utile que cela puisse être, ne nous convainc guère. Nous avons aussi supprimé de notre grille tout ce qui s’apparente à la communication publique ou à l’information civique. En revanche, cette catégorie consigne dans les sept rubriques choisies6 les données politiques qui nous paraissent significatives d’une volonté municipale de délivrer aux habitants les éléments nécessaires à leur participation à la vie politique de leur cité, partageant l’idée que si l’information n’est pas la participation, « elle en constitue un préalable indispensable » (Gontcharoff, 1999, p. 312).

10La deuxième catégorie, le dialogue élus-citoyens, renvoie à un premier degré d’interaction politique, caractérisé par le passage de la consommation d’informations à leur échange. La valeur ajoutée technique des systèmes de communication électronique a été parfaitement imaginée dès les années 1930 par Bertolt Brecht qui anticipait les prédispositions techniques de la radio numérique : « La radio pourrait être le plus formidable appareil de communication qu’on puisse imaginer pour la vie publique, un énorme système de canalisation, ou plutôt, elle pourrait l’être, si elle savait non seulement émettre, mais recevoir, non seulement faire écouter l’auditeur, mais le faire parler, ne pas l’isoler, mais le mettre en relation avec les autres. Il faudrait que la radio, abandonnant son activité de fournisseur, organise cet approvisionnement par les auditeurs eux-mêmes » (Brecht, 1931). Par sa conception visionnaire du rôle que le média radiodiffusé pourrait jouer, le dramaturge allemand exprime bien l’intérêt d’un dispositif communicationnel autorisant deux modes d’échange, horizontal et vertical, dans lesquels le citoyen n’est plus seulement consommateur d’informations. Il réagit, lorsqu’il le souhaite, aux informations, aux sollicitations et aux applications déclinées sur les SIM7.

11Les lieux d’expression plurielle, troisième catégorie d’indicateurs politiques8, se réfèrent à une conception de la démocratie locale impliquant un processus d’auto-organisation collectif pouvant aller jusqu’à générer des contre-pouvoirs par rapport au système politique local (Chevallier, 1999). Les SIM autorisent techniquement les acteurs de la société civile locale à constituer un lieu de paroles et d’échanges permanents susceptible d’amorcer une telle dialectique. Cette composante de la communication politique concourant à un accroissement de la démocratie participative dans les municipalités se fonde en effet sur la puissance du numérique qui permet d’offrir des lieux d’expression, quasi illimités quantitativement, aux habitants et groupes d’une ville. En ce cas, il devient possible d’envisager que chaque internaute devienne à son tour producteur d’information (Rodotà, 1999).

Interactivité technique et forums de discussion

12Le forum est souvent présenté comme l’une des applications favorites d’internautes qui le considèrent comme un élément essentiel pour des échanges démocratiques. Il est le symbole de la « nouvelle agora qui rendrait possible la participation entière, immédiate, permanente, des citoyens aux décisions publiques » (Massit-Folléa, 1997, p. 111). Au-delà de cet investissement symbolique, une typologie empirique des forums électroniques retient deux formes principales, les échanges verticaux entre les élus et leurs administrés et les échanges horizontaux entre internautes. La ville d’Amiens offre en 1998 une rubrique d’expression publique en différé particulièrement fournie. Sous l’invite « Bienvenue sur le Forum. Posez vos questions à Gilles de Robien ou à ses adjoints. Ils vous répondront dès que possible », la mairie autorise un échange vertical entre les élus et les internautes. Les sujets abordés par les habitants d’Amiens sont aussi divers que peuvent le laisser supposer les attentes, les besoins, les récriminations, les remarques de tout citoyen urbain. Un internaute amiénois assène : « Le quai Bélu qui à mon avis est une vitrine d’Amiens est dans un état lamentable. Nous ne comptons plus les touristes et hommes d’affaires de passage à Amiens qui se plaignent des crottes de chien sur le quai, et des déchets ou tâches d’huiles entre autres qui s’y trouvent… Un autre vrai problème à Saint-Leu, c’est l’insécurité le soir. » [Portejoie Christophe, 25/06/98, Amiens]. Sur un fonctionnement de plusieurs mois9, le site mentionne 25 pages de questions d’habitants qui inscrivent leur nom et leur adresse numérique.

13Les contributions sur le forum municipal illustrent également l’échange horizontal entre les internautes eux-mêmes. Celui de la ville de Condom donne ainsi lieu à des propos parfois assez vifs entre internautes locaux. À propos des travaux effectués dans la ville, un internaute écrit le 28 février 2000 : « Amusez-vous à détruire la ville en faisant des travaux pour faire chier tout les citadins et les commerçants ; à augmenter les impôts et tout cela bien entendu afin d’être réélu ». Un de ses concitoyens lui répond : « N’existe-t-il pas d’autres moyens de faire connaître son point de vue que par la critique sur des chantiers terminés ? Sachez seulement que si la ville est en travaux, je ne pense pas que ce soit dans le but de faire « chier » les citadins mais plutôt dans le but d’améliorer l’activité touristique locale ».

14Les forums peuvent également faire l’objet d’une catégorisation selon leur caractère thématique ou non thématique. Sur les forums thématiques, les contributions des internautes doivent se conformer à certains thèmes préalablement définis par la municipalité alors que sur les forums non thématiques ou « libres », les internautes peuvent aborder les sujets de leur choix. À partir d’une étude des quatre forums non thématiques du Grand Sud-Ouest10, il est possible de distinguer deux grandes catégories de messages (Wojcik, 2002).

15La première catégorie, les messages d’ordre pratique, rassemble les messages dont les auteurs s’adressent aux services municipaux ou aux autres participants du forum en vue d’obtenir des renseignements pratiques leur permettant de solutionner des problèmes affectant leur vie quotidienne. C’est le cas des messages dans lesquels l’internaute demande des renseignements relatifs par exemple aux horaires d’ouverture de la bibliothèque municipale ou à la possibilité de location d’une salle des fêtes. Généralement brefs, ce type de messages représente 10 % de l’ensemble des contributions publiées. La catégorie messages d’ordre pratique comprend également les messages dans lesquels l’internaute utilise le forum municipal comme un « panneau d’affichage » sans solliciter de réponse particulière de la part de l’administration municipale. Il s’agit alors d’annonces immobilières, d’offres ou de demandes d’emplois, de recherches généalogiques voire de publicité, notamment pour des sites personnels, l’ensemble de ces sujets correspondant également à 10 % des messages postés.

16La deuxième catégorie, les messages politiques, contient des opinions qui croisent à des degrés divers les différentes acceptions du terme « politique » : politiques publiques initiées par la mairie (policies), mécanismes du processus local qui permettent de prendre des décisions (polity), compétition électorale et conflits qui se jouent dans l’espace politique local pour contrôler le pouvoir décisionnel (politics) (Loubet del Bayle, 1991).

17La catégorie des messages politiques regroupe d’abord les messages manifestant une opinion relative aux actions et projets municipaux et/ou à la ville, ces deux aspects étant, sur les forums du Grand Sud-Ouest, difficilement dissociables ainsi que l’illustre l’extrait suivant : « J’ai une question pour l’élu (ou bien le responsable technique) en charge des espaces verts de la Ville : est-il techniquement et financièrement possible pour la Mairie de prévoir des plantations d’alignements d’arbres (des deux côtés de la chaussée) qui puissent meubler la nudité et l’aspect froid et austère des boulevards situés entre le rond-point de l’hôpital et celui des impôts (en passant par le carrefour de la route de Pau) ? » [Fabienne Duprat, « arbres », 01/02/02, Tarbes]. Cette thématique, quantitativement la plus importante relevée lors de notre analyse, est présente dans 27 % des messages postés sur l’ensemble des quatre forums étudiés.

18Les messages politiques regroupent ensuite ceux qui concernent le fonctionnement administratif de la municipalité (le plus souvent à travers une critique des services municipaux) et son fonctionnement politique, ce second aspect faisant référence au comportement des élus et/ou à leurs méthodes de gouvernement. Un internaute luchonnais s’exprime de manière assez vive à ce propos : « Je suis scandalisé par tous les mensonges que font courir Mr RETTIG [maire de Luchon] et ses amis… Bonne stratégie qui consiste à détourner l’attention des luchonnais ! ! ! Comme ça, pendant ce temps on ne s’occupe pas du lourd déficit de Luchon, de l’affaire (plutôt suspecte) du Majestic, de la R.T.T des employés Municipaux et Thermaux, des élections (enveloppes, radiations, procurations, irrégidarités…), du SIGAS, des sommes astronomiques du coût du festival, de tout l’argent perdu (procès, audit, ITTS…) et de l’energie dépensée pour refourguer tous les dossiers déficitaires au SIVOM. » [« Zonzon », 27/01/01, « scandalisé », Luchon]. 22 % des messages portent sur l’un ou l’autre de ces deux aspects du fonctionnement de la municipalité. Nous avons également inclus dans la catégorie des messages politiques ceux relatifs aux questions de société (par exemple, le racisme, la justice…) qui sont toutefois peu mobilisatrices puisque ces messages représentent seulement 8 % de l’ensemble des messages postés sur les quatre forums non thématiques. Il est à remarquer que les « questions de société » semblent recueillir peu de succès auprès des internautes également lorsque celles-ci sont proposées par la municipalité : sur le forum « Actualité, société… » de Montpellier, créé le 31 août 2001, ce thème n’a recueilli que trois messages au jour de notre consultation, le 15 février 2002. Enfin, nous avons retenu dans la catégorie des messages politiques les messages portant une critique du forum, témoignant d’une certaine lucidité des internautes quant à l’utilisation institutionnelle d’un tel outil. 12 % des messages formulent une critique du forum et de son rôle.

19Sur l’ensemble des cinq cent quatre messages postés sur les quatre forums libres, on observe ainsi une nette prédominance des messages politiques (69 % des messages postés) par rapport aux demandes d’ordre pratique (20 % des messages)11. La forte proportion des messages politiques présents sur les forums serait susceptible de les constituer en espaces fertiles aux débats politiques entre les élus et les citoyens. Cette forme électronique de dialogue, dont nous soulignerons les contingences, n’échappe pas aux polémiques sur la représentativité sociale des participants à ces forums, sur la « qualité » politique des propos échangés, sur leur influence sur les décisions prises par les élus.

L’expression des associations

20Les associations sont fréquemment sollicitées par les décideurs municipaux dans les opérations de communication locale. À partir d’observations portant sur la décennie 1980, Isabelle Pailliart note que « le journal municipal intègre dans ses colonnes la « parole aux associations », rubrique régulière, rarement censurée ou contrôlée, se présentant généralement comme une suite d’informations brèves et pratiques concernant les diverses manifestations de la vie associative. Il en est de même, la plupart du temps, dans les services télématiques municipaux » (Pailliart, 1993b, p. 121).

21Sur les SIM les associations occupent une large place, les médias numériques accroissant à la fois leur espace d’expression et l’accès à leur information. Le renvoi par liens hypertextuels sur les sites des partenaires éditoriaux des municipalités est devenue une fonctionnalité courante. Les internautes captés par le dispositif numérique de la ville sont reroutés vers d’autres lieux, vers d’autres sites. C’est la dimension pratique, de service, qui est privilégiée lorsque la municipalité décide d’établir un lien avec des sites associatifs. Les associations sportives et culturelles sont celles qui bénéficient le plus souvent d’une présentation ou d’un lien entre le site municipal et le leur, au détriment d’associations pouvant faire valoir des argumentaires, des revendications d’ordre politique (Pailliart, 2000, p. 131). Selon Martine Barthélémy, une typologie fonctionnelle distingue les associations selon leur caractère « expressif », « gestionnaire » ou « revendicatif » c’est-à-dire celles qui « se trouvent en position contradictoire ou conflictuelle vis à vis des détenteurs du pouvoir politique et décisionnel et ont pour objectif de faire respecter des droits (vie quotidienne, environnement, minorités, etc.) » (Barthélémy, 1994, p. 45). Seules les associations de ce dernier type sont retenues comme témoignage de la volonté des responsables du système politique local de favoriser l’accès à des espaces publics autonomes (Ladrière, 1992). Associations de périmètre local ou régional, leurs actions et leurs propos participent à l’enrichissement du débat politique local.

22En 1986, Lyon engageait un vaste partenariat avec les associations pour qu’elles soient présentes sur son service télématique « Lumière » (36 15 Lumi). Dans un document de présentation réalisé par la mairie (Dumont, 1992), la municipalité proposait à l’ensemble des associations de Lyon de faire connaître leurs activités. Les associations disposaient de 2 à 3 pages-écrans pour les informations d’ordre général et du même volume d’information pour chaque activité.

23En 2002, à Cenon, la mairie établit un lien entre son site et celui d’« Urbas Cenon » dont la mission est d’« œuvrer pour l’amélioration de la qualité de vie dans le quartier Mairie de Cenon et tenter, à la hauteur de nos moyens, d’influer sur les choix publics en matière d’urbanisme et de développement social, économique et culturel ». Le site municipal montpelliérain renvoie vers le site de l’association « Protection de l’Atmosphère et de la Verdure » dont l’objectif est d’« obtenir la réalisation d’un espace vert sur le site de l’ancien commissariat, avenue Georges Clémenceau ». Le site de Bayonne renvoie vers le site du « Droit au logement Pays Basque »12.

24La ville de Brest13 illustre clairement l’utilisation possible des SIM comme accès aux données d’associations susceptibles de diffuser des propos pérennes et potentiellement contradictoires à ceux exprimés par les institutions locales. Dès le sommaire général du site une rubrique « trait d’union » invite à se rendre sur une multitude de liens. Dans une page fournie, les associations voisinent avec les acteurs de l’économie, les médias, les institutions, etc. 119 associations sont classées dans plusieurs catégories, écoles, sport, solidarité, culture, économie… Toutes ne manifestent pas de prédisposition pour nourrir le débat politique local. Le « Musée de la Fraise et du Patrimoine », « Lulu Jazz band » ou le Forum Entreprise de l’École Supérieure de Commerce de Brest ne se prévalent pas de la tenue de propos virtuellement contraires à ceux du site officiel de la ville. La consultation de l’ensemble de la liste aboutit à ne retenir que deux sites correspondant à notre définition de lieux d’expression plurielle, ceux des sections locales du MRAP et d’ATTAC.

25Contenus informationnels, rubriques interactives, liens vers les sites d’expression politique, les modalités numériques de captation de citoyens qui tendent peu à peu à s’éloigner des formes électives de la vie politique locale sont repérables sur les sites Internet des municipalités françaises. En complément de formes plus traditionnelles de participation comme les comités de quartier ou les référendums, elles sont susceptibles d’infléchir cette tendance, ce qui supposerait que la logique politique qui préside à leur adoption14 ne soit pas entravée par d’autres considérations se traduisant par des applications peu nombreuses, des débats encadrés et des interventions associatives restreintes.

Les formes contrariées de la captation

26Le degré d’instrumentalisation des SIM à des fins politiques pour tenter de raviver l’intérêt des citoyens envers la chose publique s’interprète à la lumière de recherches empiriques. Ces travaux sont constitués de relevés quantitatifs d’indicateurs électroniques de démocratie participative, de l’analyse qualitative des forums et des pratiques éditoriales des municipalités vis-à-vis des associations.

Une présence insignifiante

27Les résultats des indicateurs électroniques de participation citoyenne présentés dans le tableau suivant proviennent de dépouillements de sites municipaux recensés en 1999 et en 2000.

28En 2000, l’échantillon des 240 sites Internet municipaux est composé des 50 sites des villes membres de l’Association de Maires de Grandes Villes de France (AMGVF), des 95 sites des villes du Grand Sud-Ouest (GSO), des 24 sites des villes d’Ile-de-France (IDF) et des 80 sites des villes membres de la Fédération des Maires des Villes Moyennes (FMVM). En 1999, l’échantillon comprend 29 sites des villes de l’AMGVF, 39 sites des villes du GSO, 24 sites des villes franciliennes et 41 sites des villes de la FMVM. Pour éviter toute redondance, nous n’avons comptabilisé qu’une seule fois six grandes villes présentes dans deux terrains, l’AMGVF et le GSO.

29Malgré la faiblesse de certains échantillons, les pourcentages facilitent la comparaison entre les rubriques et diverses variables. Le ratio d’indicateurs politiques (RIP) a pour vocation de simplifier les rapprochements entre les catégories pour l’ensemble des échantillons de nos travaux. Il est fondé sur la définition d’une utilisation optimale des réseaux numériques afin d’accroître la participation politique. Pour chacune des trois catégories d’indicateur politique l’utilisation maximale est obtenue par la multiplication du nombre des potentialités par le nombre de villes de l’échantillon. Le total des rubriques existantes est ensuite divisé par ce chiffre pour arriver au pourcentage du RIP de la catégorie15.

30Dans les discours des élus et parmi les préoccupations des politiques la participation constitue un impératif indispensable au renouvellement du lien politique. Nos relevés des indicateurs électroniques de participation à la vie politique de la cité jettent une lumière plus crue sur la réalité de la démocratie électronique locale. Hormis le courrier électronique, plébiscité16 en 2000, une seule application retenue dépasse un tiers des possibilités (34 % pour les actions politiques de la municipalité en 2000), 8 rubriques (sur 18 au total) n’atteignant pas 10 %, 13 n’allant pas au-delà de 15 %. Le ratio d’indicateurs politiques général, 17 % en 2000, traduit sans équivoque ce désintérêt des acteurs locaux pour l’utilisation des sites Internet municipaux à des fins de participation politique.

31Cette indigence se manifeste de manière inégale suivant les catégories. Les rubriques informatives sont plus appréciées que celles du dialogue (l’application courrier électronique défigure l’ensemble de la catégorie dialogue, masquant la quasi inexistence de contenu des autres rubriques). L’ouverture à des paroles hétérodoxes est réduite à la portion la plus congrue, le ratio des rubriques d’expression plurielle n’excédant pas 10 % en 2000. La communication politique électronique pratiquée par les collectivités locales manifeste leur conception « descendante » en privilégiant la dimension informationnelle produite par la mairie.

32L’évolution des résultats sur une seule année n’est pas dénuée d’intérêt, dénotant une légère progression de l’utilisation participative des SIM, la présence de médias et d’associations étant significative dans la catégorie d’expression plurielle. Ce perceptible frémissement intervient dans une période peu propice au changement en raison de la préparation des élections municipales de 2001, le fléchissement de rubriques comme les actions politiques de la municipalité ou les biographies d’élus en témoignent. La législation17 a certainement incité les municipalités à la prudence et s’est traduite par la minoration de certaines rubriques pouvant être considérées comme promouvant ostensiblement la politique menée par l’équipe municipale en place et sollicitant en 2001 un nouveau mandat devant les électeurs.

33L’introduction de variables comme la taille et l’appartenance partisane ne modifie pas notablement la tendance générale (Corbineau, Loiseau, Wojcik, 2003). Un intérêt plus fort se constate dans les grandes villes pour les applications « politiques » sur les SIM. Aucune différence n’est perceptible entre les villes administrées à droite et leurs consoeurs de gauche.

Les forums : une parole bridée

34Rares sont les villes qui mettent à disposition des internautes un forum de discussion. En 1999 comme en 2000 seulement 10 % des sites Internet municipaux observés le proposent. Dans certaines régions, la faiblesse du chiffre est encore plus significative. Ainsi, sur 183 sites recensés en 2001 dans les régions du Grand Sud-Ouest, la pénurie est criante : huit forums permettent aux internautes de s’exprimer. Certaines villes qui l’envisageaient un temps y ont renoncé (Auch) et d’autres ont supprimé celui qui existait (Nîmes18, Saint-Lys).

35Sur les forums de discussion, le modérateur est habilité à supprimer les messages en cas de non-respect des règles relatives à l’ordre public ou à la bienséance des propos. Ces limitations peuvent être légitimes si elles s’appliquent aux contributions effectivement contraires à la loi ou aux bonnes mœurs ; rien ne garantit cependant qu’il n’existe pas d’autres limitations moins justifiées s’appliquant à des contributions que pourraient ne pas agréer certaines municipalités. Outre la suppression des messages qui ne seraient pas en relation avec « la ligne éditoriale du site », une charte définissant les règles d’intervention sur le forum de Châlon-sur-Saône énonce dans son article 3, l’impératif de « ne pas porter de jugements personnels sur la personne des élus du conseil municipal et du Maire »19. D’autres critères, dont il est difficile d’apprécier l’objectivité ou qui ne sont pas explicités, sont invoqués pour écarter certaines contributions. Ainsi sur le forum de Montpellier, « la discussion est libre, toutes les opinions sont les bienvenues, mais les messages inappropriés ne seront pas publiés »20.

36La médiation électronique semble favoriser l’apostrophe voire l’invective violente des élus et ce d’autant plus qu’Internet permet de préserver l’anonymat des participants par l’usage de pseudonymes, forme très fréquente de présentation de soi (tout du moins sur les huit forums du grand Sud-Ouest où 66 % des internautes « s’identifient » par leur seul prénom ou pseudonyme). Aussi, ce formatage des contributions n’est pas seulement dû à la volonté de contingenter l’expression des internautes de la part de la municipalité, il peut avoir pour origine la médiocrité des messages et l’incivilité de certains échanges (Vedel, 2000).

37Autre limitation, les possibilités d’expression sur les forums font l’objet d’un encadrement plus ou moins strict par les municipalités qui déterminent les conditions d’expression en choisissant les thèmes auxquels devront nécessairement correspondre les messages des internautes pour pouvoir être publiés. « Amélioration et travaux de la cité », « développement économique et emploi », « développement du site condom.org » et « divers » (ce dernier thème devant être en rapport avec le condomois) sont par exemple les aspects sur lesquels la municipalité de Condom souhaite en juin 2000 préférentiellement voir s’exprimer les internautes. Les Montpelliérains peuvent quant à eux apporter leurs contributions à six forums différents : « Vivre à Montpellier », « Un nouveau forum », « L’euro vos questions », « Fête de l’Internet 2002 », « Culture et loisirs », « Actualités, société »21. Le site de Fontaine propose de donner un avis sur l’espace multimédia et sur le projet d’équipement culturel prévu par la municipalité22. Dans le cadre de l’élaboration de sa nouvelle Charte Municipale de Partenariat pour la Sécurité, la ville de Rueil Malmaison propose un forum exclusivement consacré au thème de la sécurité23. Boulogne-Billancourt a créé un espace Internaute dont les consignes d’utilisation sont parfaitement explicitées et les thèmes d’expression clairement définis : « Cet espace est destiné à vous permettre d’apporter votre contribution aux thèmes de discussion que nous vous proposons. Les données qui y figurent ne peuvent être collectées ou utilisées à d’autres fins »24. À Carmaux, « un modérateur est susceptible de supprimer toute contribution qui ne serait pas en relation avec le thème de discussion abordé ou qui serait contraire à la loi. »25

38La remarque de Stefano Rodotà « dans ce cadre, il n’y a pas de positions de suprématie, d’agendas préétablis, de temps de parole imposés » (Rodotà, 1999, p. 100) n’est donc guère recevable. La détermination par les municipalités des conditions que doivent remplir les contributions des internautes sous peine de ne pouvoir accéder à cet espace de paroles constitué par le forum électronique, recrée de fait une hiérarchie, une astreinte à laquelle tous les internautes ne souhaitent pas forcément se plier. Les règles établies par les municipalités en matière de publication des messages ne sont cependant pas toujours respectées par les internautes qui récusent de fait la classification thématique proposée sur le site (Naras, 1998).

39Dans le cadre du fonctionnement quotidien des forums, se pose un problème identique à celui rencontré pour le « courrier à la mairie ». Les délais de réponses peuvent paraître rédhibitoires. Certains s’en plaignent : « ce qui est chouette avec ce forum c’est qu’on perd son temps à poser des questions touchant directement à la vie de la commune, notamment sur le fait que nos gamins doivent payer une entrée de piscine dès lors qu’ils sont collégiens, en espérant une réponse des élus… Ceux-là même qui sont en charge des affaires restent sourds aux questions de leurs administrés… Trouvez l’erreur… Pourtant, rien de gênant dans ma question, nulle provocation… Non rien d’autre qu’une question qui aurait, me semble-t-il droit à une réponse… » [« D. Gilbert », « ce qui est chouette avec ce forum », 07/11/01, Anglet]. La pertinence et l’intérêt du forum sont alors tributaires du gestionnaire du site et de sa capacité de réaction face aux sollicitations des internautes. À Plaisir le « succès » du forum est relatif à l’énergie dont fait preuve le gestionnaire du site pour répondre à tous les messages (Thivon, 1999). À cette négligence des gestionnaires municipaux répond la nonchalance des citoyens-internautes. Passé un engouement initial, la participation aux forums décline. Thierry Vedel le rappelle au sujet de l’interactivité sur les services télématiques municipaux et à propos du forum du Public Electronic Network de Santa Monica où le nombre de participants a été en six ans divisé par trois (Vedel, 2000).

40De fait, les élus, peu présents sur les forums26, laissent s’enliser un débat encadré que des internautes lucides27 boudent. Le rôle limité, « quasi nul », selon le webmestre du site de Boulogne-Billancourt (Naras, 1998, p. 118), du forum dans la gestion et le développement de la ville est de nature à minorer l’intérêt de ce type d’application. Pour constituer un instrument favorisant la participation des citoyens, les forums devraient s’inscrire dans une culture politique de participation dont la France n’est pas coutumière, préalable nécessaire à l’utilisation d’Internet en cette matière. Dans un jugement prospectif et sans appel au regard des sites Internet municipaux mais reposant sur une analyse pertinente des services télématiques municipaux, Isabelle Pailliart qualifie les dispositifs électroniques de participation politique de « formules bricolées » n’offrant guère l’occasion d’une participation aux affaires de la cité (Pailliart, 1993b).

Les associations, une expression limitée

41Les lieux d’expression plurielle sont logés à la même enseigne que le dialogue entre élus et citoyens. A l’intérieur de cette catégorie les associations sont incontestablement mieux loties que les autres groupes, tout étant par ailleurs relatif puisque cette rubrique n’est recensée en 2000 que dans 24 % des cas. Cette présence est assortie de limitations diverses dont l’objectif est commun, limiter l’octroi de la parole. Les municipalités procèdent à un lissage idéologique et technique.

42La nature des informations associatives, voire des associations elles-mêmes, admises sur le site Internet municipal ou le serveur vidéotex fait l’objet d’une définition restrictive de la part des éditeurs municipaux. Une association qui souhaitait être hébergée sur le service L.U.M.I.E.R.E de la ville de Lyon devait ainsi respecter l’article 2 d’une convention-type élaborée par cette ville et qui disposait que : « l’association propose des activités à caractère social, culturel ou sportif ne comportant aucune atteinte à l’ordre public ou à la moralité. Les activités qui seront diffusées par l’Association dans le service L.U.M.I.E.R.E ne présenteront pas de caractère principalement commercial. Ces informations seront neutres, objectives, vérifiables. Seront exclus du système, les jugements de valeur, les prises de positions polémiques, ainsi que toute appréciation qualitative. De même, ne seront pas acceptées les Associations ayant pour but la divulgation et la propagation d’un enseignement à caractère religieux » (Ville de Lyon, 1985). À propos des associations souhaitant figurer sur le site Internet de Poitiers, l’adjointe au maire, Mireille Barriet, exprime une même volonté de gommer l’aspect polémique que peuvent emprunter les paroles associatives : « il faudrait d’abord que (…) les données qui figurent sur le site aient une valeur purement informative » (Bénard, 1998, p. 40).

43Par ailleurs, les modalités selon lesquelles les associations sont autorisées à diffuser des informations homogénéisent la parole associative qui perd son éventuelle charge conflictuelle. L’atonie de l’expression associative est orchestrée de manière identique sur le serveur vidéotex de cette même ville dans lequel « les associations disposent en fait de deux pages. La première catégorie de pages est bâtie sur un schéma identique qui permet de présenter les associations et d’en donner les coordonnées » (Benard, 1998, p. 42). Arguant de l’incapacité des associations à rédiger certaines rubriques du site (« bon nombre d’associations ne sauraient pas comment s’y prendre »), l’adjointe au maire de Poitiers justifie ainsi la délégation de la rédaction d’informations associatives au profit du service municipal de communication lui-même, lequel « rédige avec le professionnalisme nécessaire » (Benard, 1998, p. 40).

44À la réticence des municipalités répond le peu d’entrain des associations. Les associations laissent parfois sans réponse les sollicitations des politiques. Le phénomène était déjà marqué sur les services télématiques vidéotex : « Depuis le 16 octobre le 3615 Lyon remplace le 3615 Lumi. Pour ce service Minitel créé en 1986 il ne s’agit pas d’un simple changement de nom. L’ancienne formule rassemblait des informations dans les domaines culturels, sportifs ou sociaux, renseignées sur la base du volontariat par chaque association. Malgré un thésaurus important, il s’est avéré que ces associations ne mettaient pas à jour leurs informations, qui dès lors, devenaient sans intérêt puisque périmées. De plus, les associations ne disposent pas forcément de moyens réguliers pour la saisie constante de leurs informations »28.

45En 1999, Rouen avait autorisé l’expression des associations sur son site, leur dédiant un espace autonome de prise de parole. Seules 5 associations sur les 400 que comptait la ville avaient alors élu domicile sur le site Internet municipal. À la même époque la ville d’Hérouville-Saint-Clair, particulièrement attentive à la dynamisation du tissu associatif, n’hébergeait sur son site qu’une vingtaine des 170 associations de la ville (Kleck, 1999). L’aimable invitation affichée par la ville de Savigny-le-Temple, « toutes les associations savigniennes dûment constituées et dotées d’un site Internet peuvent, si elles le souhaitent, adresser à M. le Maire une demande de lien vers le site de leur association, depuis le site officiel de la Ville (rubrique associations). Ces liens permettront, à n’en pas douter, d’offrir aux Savigniens le maximum d’informations utiles »29, suscite peu d’intérêt. Seulement neuf d’entre elles sont accessibles sur le site municipal (aucune n’appartenant à la catégorie décrite ici des associations revendicatives), alors que la ville en dénombre 228. Autant il est loisible, fin 2002, de constater que les 317 villes de plus de 20 000 habitants offrant un SIM laissent une minuscule place30 à l’expression associative, autant il paraît délicat d’imputer à l’un des partenaires, en l’occurrence les municipalités, plus qu’à l’autre, les associations, les raisons de cet absentéisme numérique.

46Les associations éprouvent-elles quelque circonspection à se commettre avec les services municipaux ? Certes, dans le cadre des liens hypertextuels, leur autonomie éditoriale reste entière, la gestion de leurs moyens techniques totale, l’accès à leur site différencié, puisque le système suppose qu’elles disposent déjà d’une adresse Internet. Elles pourraient s’émouvoir d’une parenté idéologique entretenue de fait par l’établissement de ce renvoi éditorial du site de la municipalité vers le leur. Cette forme de méfiance envers une possible récupération par le système a été constatée par le passé lors de la constitution de réseaux câblés dans des villes comme Cergy et Rennes (Simon, 1995). Plus simplement, les associations ne possèdent pas toutes les moyens humains, financiers et techniques de créer leur propre site.

47D’un autre côté, le faible engouement des décideurs municipaux pour une ouverture de leur site au réseau associatif de leur ville ou de leur région ne saurait surprendre au regard du développement dérisoire des formes traditionnelles de participation politique. Pourquoi, hormis une piqûre de modernité, les élus locaux investiraient-ils réellement dans des dispositifs électroniques participatifs lorsqu’on constate par ailleurs que, nonobstant les évolutions législatives constantes en la matière depuis les lois de décentralisation de 1982, les pratiques évoluent fort peu (Paoletti, 1999) ? Les élus montrent en effet quelque réticence à mettre en œuvre des pratiques politiques susceptibles, à leurs yeux, de remettre en cause leur pouvoir (Chevallier, 1999). Les discours sur les bienfaits de la participation sont un paravent commode. La réalité est autrement plus prosaïque, quelles que soient les raisons avancées. Comme l’énonce Françoise de Veyrinas31, « nous avions imaginé la mise en place de conseil d’habitants élus. Par crainte d’avoir des minorités extrémistes importantes, nous avons renoncé ». Est-il donc surprenant que les sites municipaux recensent plus fortement les sites institutionnels que les sites associatifs, lieux potentiels d’une parole contradictoire ?

48Les sites Internet municipaux laissent entrevoir une étrange situation. Face à une dépolitisation croissante dans le domaine électoral qui mine la démocratie représentative, Internet devient un outil supplémentaire dans la panoplie des modalités de participation destinées à capter l’attention des citadins. Apportant de séduisantes fonctionnalités comme les forums électroniques ou la mise en relation avec des acteurs influant sur le cours de la vie politique locale (associations), il pourrait se révéler efficace pour détourner les électeurs de leur trajectoire qui n’est plus aujourd’hui tendue vers l’isoloir. Mais les chiffres rappellent froidement que les élus se montrent réticents à s’engager dans une démarche de captation électronique de leur clientèle électorale. L’encadrement politique, technique, éditorial, fonctionnel des espaces ouverts aux paroles diversifiées, soit fluides dans les forums, soit structurées et pérennes dans les lieux d’expression plurielle, dénote une conception de la captation qui relève plus de la retenue que d’une franche tentative pour remédier à l’incivisme électoral.

49La lutte contre la désaffection électorale et pour l’accroissement de la participation des citoyens à la vie politique locale n’échappe pas à des tensions contradictoires. Que pèse, pour des élus, la volonté de réinsérer les électeurs dans le fonctionnement de la démocratie représentative ou d’élargir les bases de la participation face à une supposée remise en cause de leur légitimité ? L’histoire récente de la mise en œuvre par les édiles locaux des réglementations de démocratie participative montre leur faible appétence pour des modifications qui pourraient, du moins s’en inquiètent-ils, leur ôter une parcelle de leur pouvoir actuel. La préparation de la loi de « démocratie de proximité » en 2002 a rappelé les réticences des parlementaires craignant de céder une partie de leurs prérogatives. Dans le domaine électronique cette tension semble se traduire de fait par une propension à utiliser les sites Internet municipaux dans des démarches de marketing politique et par une extension du territoire informationnel des pouvoirs institués au détriment de processus participatifs. Elle est par ailleurs accentuée par le faible intérêt des élus pour les réseaux numériques, le nombre encore limité de citoyens-internautes — et donc de la polarisation des politiques publiques locales sur le développement de l’accès à Internet —, la relative désaffection des citoyens pour les formes électroniques de démocratie locale. Apparemment oublieux de la crise de la représentation entre deux élections les responsables politiques locaux sont donc peu enclins à engager des procédures de captation afin de créer du lien politique avec leurs concitoyens.