1 sur 500
|Chapitre VI. La dimension démographique
Texte intégral
Voir l'universel à travers le singulier, chercher l’objectif fondé sur le subjectif, découvrir le général à travers le particulier.
F. Ferrarotti
1L'étude des trois premiers facteurs mis à jour a montré, et il en sera strictement de même pour les facteurs qui suivront, que pratiquement toutes les familles rencontrées possèdent plusieurs facteurs de réussite (rarement aucun, rarement tous) dont elles tirent profit pour engendrer une dynamique de réussite. Mais aucune association de facteurs n’est plus dominante de façon spécifique. En fait ces derniers s'associent entre eux de façon aléatoire. Il est donc apparemment plus important de posséder quelques-uns des éléments favorables à une réussite scolaire, plutôt que de les associer de manière spécifique les uns avec les autres. Les combinaisons observables sont infinies, c'est pour cela qu'aucune typologie n'est possible.
2Nous retenons, malgré tout, de cette première étape de l’observation du “pourquoi” de ces trajectoires, que nous gagnerions davantage à nous orienter vers l'étude des facteurs susceptibles de jouer sur la stabilité et l’instabilité de la lignée familiale, mais aussi vers des éléments susceptibles de déclencher une politique de sur-scolarisation, c'est-à-dire une logique de mise à profit d'une situation sociale familiale favorable. Est-ce que la réussite ne dépendrait pas finalement davantage de la capacité des familles à gérer les ressources et atouts dont elles disposent que de la simple possession de ceux-ci ? Or s'il est un élément qui puisse faire une parfaite transition, c'est la dimension démographique.
3En effet, elle révèle quelques raisons importantes de réussite en milieu ouvrier. Une concerne le niveau de fécondité des parents d'élèves, une autre est liée à la situation scolaire et sociale des frères et sœurs et enfin la dernière est associée au rôle que peut jouer le rang de naissance dans le processus de sur-scolarisation.
- 1 Terrail (Jean-Pierre), “Familles ouvrières, école, destin social (1880-1980)”, Revue Française de (...)
4Au cours des “trente glorieuses”, les conditions de vie des couches populaires et les valeurs culturelles qui leur sont associées ont évolué : ce glissement a eu pour effet une “moyennisation” des comportements et des attributs sociaux de ces couches. Cela est d'autant plus vrai si l'on resserre les observations sur le prolétariat stabilisé, fraction qui est sur-représentée dans notre population de travail. J. P. Terrail, qui relate entre autres ce phénomène, en signale au passage quelques caractéristiques : l'individualisation, la capacité croissante à gérer son propre avenir, la tendance à scolariser davantage ses enfants même s'il ne s'agit pas de sur-scolarisations exemplaires. Bref, nous retrouvons ici des comportements qui ne sont pas tout à fait étrangers à notre population, à ceci près qu'elle les a transcendés. Il est, pour terminer, un dernier point indissociable des précédents, la limitation de la fécondité en milieu populaire : « ce qui change dans les années 1960-1970, c'est l'augmentation significative dans la classe ouvrière de la proportion de ménages qui adoptent le modèle descendance réduite/réussite scolaire des enfants »1 Est-ce que notre population ne serait pas l'exemple extrême et exemplaire de cette mutation ?
- 2 On peut consulter à ce sujet : Tabard (Nicole), Valtas (Marie-France), Clapier (Patrick) et Kleinm (...)
5Si le taux de fécondité familial est statistiquement associé2 aux prétentions scolaires, est-ce que la sur-scolarisation est alors suivie d'une restriction proportionnelle de la natalité ? Est-ce qu'une faible fécondité est une condition mais aussi un facteur important de la scolarisation d'enfants d'origine modeste en école supérieure ?
1. DESCENDANCE RESTREINTE ET RÉUSSITE
- 3 On peut consulter à ce sujet Girard (Alain), La réussite sociale en France. Ses caractères, ses lo (...)
- 4 Bourdieu (Pierre), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éd. de Minuit, coll. Le se (...)
6La relation qui existe entre la réussite scolaire et la taille de la famille fait aujourd'hui partie des acquis sociologiques. Depuis les premières observations faites dans les années cinquante à la fois par A. Dumont, M. Bressard et A. Girard3 de nombreuses données sont venues confirmer ces résultats. P. Bourdieu donne une première interprétation de ces résultats dès 1979 en disant des petits-bourgeois ascendants : « Ainsi leurs stratégies de fécondité sont celles de gens qui ne peuvent réussir leur accumulation initiale de capital économique et culturel qu'au prix d'une restriction de leur consommation destinée à concentrer toutes les ressources sur un petit nombre de descendants, chargés de prolonger la trajectoire ascendante du groupe »4 Est-ce le cas dans notre population ?
- 5 Le Bras (Hervé), “Les origines d'une promotion de polytechniciens”, Population, no 3, 1983, pages (...)
- 6 Ungerer (Christine), “La double vision de la sélection scolaire. Retour sur une enquête de l'Insti (...)
7On peut brièvement citer quelques résultats plus récents pour fixer certains ordres de grandeur. En ce qui concerne tout particulièrement les enfants d'ouvriers et la réussite scientifique, H. Le Bras, qui a étudié une promotion de polytechniciens, constate que les diplômés d'origine populaire sont généralement issus de familles peu nombreuses5 On peut également citer ces quelques lignes de C. Ungerer : « La réussite atypique au baccalauréat C est un peu plus fréquente chez les familles ouvrières dont la fécondité est limitée »6 En effet les familles de cinq enfants sont sous-représentées : 20,5 % contre 25,4 %.
- 7 Pohl (Richard), Soleilhavoup (Jeanine) et Ben Rezigue (Joëlle), Formation, mobilité sociale, salai (...)
8L’Insee7 enregistre bien sûr des résultats similaires, cela à deux niveaux. Ils sont repérables tant sur la population globale qu'au sein d'une population ouvrière. La probabilité de décrocher un diplôme (sauf le certificat d'études primaires) passe de 50,11 % dans les familles à enfant unique à 30,55 % dans les familles de cinq enfants et plus. Celle d'obtenir un diplôme de niveau deuxième et troisième cycle universitaire ou de “grande école” oscille de 7,48 % lorsque l'on n'a aucun frère ou sœur, à 3,51 % lorsque l’on a au moins quatre frères ou sœurs. Cette même probabilité d'obtenir un diplôme de second ou troisième cycle universitaire ou encore d’entrer dans une “grande école” passe en milieu ouvrier de 2,82 % pour un fils unique à 0,77 % pour un enfant qui a au moins quatre frères et sœurs.
A) Vers un modèle familial à deux enfants
9Notre population d'élèves actuels comprend 16 familles à un enfant (10 %), 69 à deux enfants (41 %), 44 à trois (26 %), 23 à quatre (14 %) et 15 familles de plus de cinq enfants (9 %). L'échantillon d'anciens élèves ingénieurs contient 17 % de familles à un enfant, 29 % à deux, 31 % à trois, 12 % à quatre et 12 % à cinq et plus.
10Une rapide confrontation de ces deux échantillons montre d'abord quelques similitudes. Les familles de plus de trois enfants sont rares puisqu'elles représentent moins d'un quart des effectifs dans chacune des populations. Par contre près de la moitié des échantillons est composée de foyers de un ou deux enfants. Le nombre moyen d'enfants par ménage est égal à 2,7 dans les deux échantillons. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les comportements sont en tous points identiques. En effet, alors que les familles d'anciens élèves se répartissent assez largement sur un espace familial allant de un à trois enfants, les élèves actuels sont à 41 % issus de familles à deux enfants. Les familles ouvrières dont un enfant au moins a réussi en école supérieure sont aujourd'hui davantage concentrées sur le modèle familial de deux enfants, qu'elles ne l'étaient autrefois.
11Ceci dit, vérifie-t-on l'importance d'une faible fécondité sur la réussite scolaire à partir des familles rencontrées ? Est-ce que la moyenne de 2,7 enfants par famille est effectivement inférieure au chiffre couramment obtenu dans des familles populaires apparentées ?
B) Une descendance de plus en plus restreinte
12Le nombre final moyen d'enfants, dans les ménages dont le chef de famille est ouvrier, est en France égal à 2,93. Mais ce chiffre n'est pas directement comparable à nos données dans la mesure où il contient des familles sans enfants ce qui n'est pas le cas de nos deux populations de travail. Il est pourtant possible de faire un premier constat : bien que le nombre moyen d'enfants obtenu au sein de nos deux populations soit surestimé, il reste encore inférieur au seuil moyen national. Malgré sa spécificité, il est même très légèrement inférieur à celui des ouvriers qualifiés, fraction la moins féconde des ouvriers.
13Le fait d'avoir une mère active et non ouvrière a sans doute ici aussi une certaine importance. En effet, lorsque le père est ouvrier et la mère inactive, le nombre moyen d'enfants est un des plus élevés qui soient, puisqu'il est de 3,77 enfants par couple. Un couple d'ouvriers a en moyenne 2,77 enfants tandis qu'un ménage père-ouvrier et mère catégorie intermédiaire a 2 enfants. Malgré cela et sans pouvoir le démontrer rigoureusement, la situation privilégiée des mères de nos populations est loin d’expliquer à elle seule la faiblesse quantitative des lignées familiales rencontrées.
14Il est tout de même possible de comparer correctement les structures familiales de notre population avec une population témoin apparentée. En effet on connaît pour les fils d’ouvriers âgés de 25 à 64 ans en 1977 le nombre de frères et sœurs grâce à l’enquête de l'Insee “Formation - mobilité sociale - salaires de 1977”. Cette tranche d'âge n'est pas si éloignée que cela de celle des anciens élèves recensés. Elle servira de référence. Au niveau national, le nombre moyen d'enfants par famille est de 3,36. Il est donc très nettement supérieur à celui que nous avons obtenu sur une population d'enfants d'ouvriers en réussite scolaire. Nous considérons alors que le fait d'avoir peu de frères et sœurs est le quatrième facteur favorable à une sur-scolarisation en milieu modeste.
- 8 Deville (Jean-Claude), “La fécondité serait-elle héréditaire ?”, Économie et statistique, no 216, (...)
15Cette faible fécondité est certainement en partie imputable à la sur-représentation de pères ouvriers qualifiés mais aussi à celle des mères non ouvrières et actives. Elle est aussi très certainement le fait des grands-parents, sans que l'on puisse le mesurer rigoureusement. En effet, on a vu que sont sur-représentées certaines couches sociales peu fécondes : les commerçants et cadres intermédiaires, par exemple. Toutefois cette explication est annulée par une surreprésentation de grands-pères agriculteurs qui poussent la fécondité à la hausse. On sait aussi que la fécondité est en partie “héréditaire”, puisque le nombre des frères ou sœurs influe sur la taille de sa propre descendance. En effet, au sein d'une même catégorie sociale, la taille de la descendance décline selon le niveau de fécondité de son ascendance. Les familles restreintes génèrent des lignées réduites8 Mais, comme il ne nous a pas été possible de comparer de manière stricte la fécondité des grands-parents avec une population témoin afin d'en vérifier les écarts significatifs, nous n’irons donc pas plus loin dans cette direction, bien qu'il y ait sans doute ici un élément qui vise à réduire la taille des lignées étudiées.
C) Concentrer sciemment l'énergie familiale
16Par contre et quelle que soit la part des raisons structurelles qui ont poussé ces familles ouvrières à réduire leur descendance, il est une certitude : la réduction de la descendance est une décision familiale consciemment pesée, qui s'accompagne d'une volonté affichée de réussite scolaire. Les propos recueillis en entretiens sont sans équivoque. Voici le cas d'un enquêté, fils unique, dont le discours indique clairement qu'il s'agit d'un choix délibéré fait par ses parents afin de concentrer sur un enfant toutes les chances de réussite sociale familiale :
— J'ai remarqué dans le questionnaire que vous étiez fils unique, c'est rare dans des familles ouvrières de n'avoir qu'un enfant...
— Là aussi, Je n'ose pas dire que c'est le résultat d'un calcul mais presque. Parce qu'il n'y avait pas d'allocations familiales à l'époque, ceux qui avaient des enfants... Faut pas se faire une idée, il y en avait où il y avait... la preuve, mon père, ils étaient cinq, alors il savait ce que c'était. Ma mère, ils étaient trois, enfin c'était des enfants qui avaient souffert parce que les parents ne pouvaient pas les élever. Alors mon père et ma mère pour bien l'élever, n'en n'ayons qu'un. Tout cela était le résultat d'un calcul, cela peut vous paraître un peu... comment dirais-je, extraordinaire, mais c'était bien vrai. Parce que moi j'ai posé la question que vous venez de me poser, comment se fait-il que... On m'a dit mais si tu avais eu un frère vous auriez été mineurs tous les deux.
— Vos parents ont été clairement conscients de ceci...
— Absolument. Absolument.
- 9 Ibid.
17Ces arguments ont également été rencontrés dans des familles de deux enfants. Ces premiers propos montrent que, alors que les familles ont généralement tendance à recréer, à l'âge adulte, le climat familial de leur enfance par la reproduction des mêmes conditions démographiques familiales9 les parents des enfants d'ouvriers en réussite scolaire ont au contraire tenté et cherché à transformer cet héritage. Les propos recueillis auprès d’élèves actuels ne sont pas moins évocateurs :
— Ils ont toujours dit que... d’abord j'ai peut-être pas précisé que je suis fils unique. Mes parents qui étaient, surtout mon père qui était de famille nombreuse, n'a jamais voulu que, enfin n'a jamais voulu, ça n'a pas été définitif mais disons qu'il a toujours fait en sorte que je sois tout seul.
— C'était important...
— Pour lui je crois pour qu'il puisse subvenir à mes besoins. C'est-à-dire que, il m'a toujours dit qu'à l’école, bien si tu dois aller à l'école Jusqu'à trente ans, moi Je ferais un effort pour te payer les études. Il avait peur en ayant plusieurs enfants de ne pas pouvoir les faire grandir normalement, que ce soit au point de vue étude ou que se soit pour les habiller ou pour leur donner à manger tout simplement.
— Votre père en avait clairement conscience...
— Oui Je crois.
— À cette époque-là il n'y avait pas tous les moyens de contraception, c’était donc difficile d'avoir un enfant et pas plus...
— Non je pense pas que ce soit un enfant et pas plus. Dans la mesure du possible effectivement ils ont dit un enfant. Il en serait arrivé un second je pense que ça n'aurait pas été un drame à la maison, faut pas non plus... Mais enfin je sais pas, il faudrait peut-être leur poser la question à eux pas à mot
— Vous m'avez dit qu'ils avaient attendu avant d'avoir leur premier enfant...
— Oui ça oui, mon père m'a toujours... enfin peut-être c'est une caricature là aussi, je voulais un enfant quand j'aurais une bonne cuisinière pour pouvoir le chauffer pour ne pas qu'il ait froid, un frigo qu’il puisse bien manger et une télévision pour qu'il puisse bien s'amuser, enfin ou bien s'amuser ou avoir des divertissements. Effectivement quand je suis arrivé à la maison, il y avait ces trois choses-là. Au début des années soixante c’était quand même pour les ouvriers c'était... Il y avait, je sais pas, aussi peut-être la voiture. Oui je crois que quand je suis arrivé, ils avaient une voiture depuis je crois six mois.
18Cette dernière illustration montre aussi toute la capacité des lignées rencontrées à gérer leur destinée. Au-delà du nombre des enfants, c’est aussi le moment de leur naissance qui a parfois donné lieu à quelques calculs et pu s'imprimer dans un projet social plus large. La réduction des lignées familiales montre plus amplement que ne l’ont fait les facteurs précédents, à la fois le contexte situationnel qui met certains couples en position d'ascension sociale, mais aussi toute l'action de ces familles afin de tirer un profit maximal de ce contexte.
D) L'accident démographique
19Pour continuer en ce sens et être tout à fait exhaustif, il faut évoquer l'exemple de quelques familles pour qui le fils unique n'est pas au départ un objectif familial. Deux élèves actuels sur les 17 rencontrés sont dans ce cas. En effet ce sont des complications médicales survenues au moment de l'accouchement qui ont contraint ces familles à limiter artificiellement leur descendance :
— Je pense que c'est un peu le coup de l'histoire. Je dirais qu'être fils unique ça facilite bien les choses pour les parents. veux dire que ça leur... Je sais pas si tout compte fait ça leur fait plus de frais ou moins de frais, je pense que ça doit faire quand même moins de frais. Et Je pense que je suis fils unique peut-être pour amour pour moi Je sais pas, tout simplement peut-être pour pouvoir tout me donner à la limite c'est un peu...
— Vous pensez que vos parents ont pensé à ce genre de chose...
— Oh Je pense parce que si on avait peut-être eu les moyens, peut-être que ma mère a eu aussi des problèmes pour avoir des enfants, c'est peut-être un peu ça. Je sais que j'ai eu un frère né-mort qui est né avant moi. Peut-être que ça a été une expérience qu'on a pas voulu trop répéter. C'est peut-être dû à ça mais... ayant tous vécu à plusieurs dans une famille... bon voilà l'exemple est assez clair. Pour mon père bon, ils étaient quatre dans la famille, aucun des parents n'a pu vraiment, n'auraient pu payer la sixième pour un de mes oncles ou de mon père. Ils auraient certainement eu les possibilités de la faire, parce qu'une cousine à eux, qui était fille unique justement, et dont les parents étaient exactement comme mes grands-parents, a pu aller en sixième, bon maintenant elle est inspectrice des PTT quoi Elle a eu de la chance de passer son bac... et puis bon, elle a eu de la chance à cette époque parce que ses parents ont pu mettre un pou de côté pour l'envoyer à l’école. Là en étant quatre il était impossible à un ouvrier agricole bien que éventuellement ils auraient pu en avoir les possibilités.
20Ce type d'incident peut alors être assimilé à une opportunité mise à profit. Bien qu'il soit impossible de savoir si l'enquêté aurait réussi s'il n'avait pas été fils unique, ou plus précisément si ses parents avaient élaboré une stratégie de sur-scolarisation s’ils avaient pu avoir plusieurs enfants comme ils l'avaient projeté, on peut penser que cette situation a sans doute poussé et peut-être contraint les parents à resserrer leurs ambitions et concentrer leurs ressources sur ce fils unique. On peut également voir dans cet accident de parcours, un élément important de déstabilisation des projets familiaux capable d'engendrer et de provoquer la naissance d'une stratégie sociale atypique et nouvelle pour des familles ouvrières. Cet élément a également pu donner une nouvelle impulsion à des ambitions jusque-là timides. Cette situation s'avère tout particulièrement propice à faire émerger un projet de sur-scolarisation pour la descendance qui n’aurait sans doute pas été concrètement réalisable, parce que moins puissant ou moins sciemment formulé, si les naissances avalent été plus nombreuses.
2. LA RÉUSSITE DES FRÈRES ET SŒURS
21Bien sûr, tous les élèves ne sont pas fils uniques, loin s'en faut même. Ces derniers sont simplement surreprésentés dans notre population comme le sont les descendances réduites. De ce fait, il est intéressant d'observer la situation des quelques frères et sœurs des enfants d'ouvriers en réussite. Sont-ils eux aussi en réussite scolaire ? Sont-ils au contraire sacrifiés pour que réussisse l'aîné ou le cadet ? Plus généralement, ont-ils pu jouer un rôle dans la réussite de leur frère ou sœur ?
A) L'aide et l'influence scolaire des frères et sœurs
22Le fait d'avoir un frère ou une sœur constitue, même si nous venons de voir que ces derniers ne devaient pas être trop nombreux, un atout important non négligeable. Avoir un frère aîné ou plus souvent une sœur aînée, c'est aussi bénéficier de leur aide, de leur expérience mais aussi des informations scolaires qu'ils ont ramenées quelques années plus tôt à la maison. Quelques discours et exemples illustrent ces observations. Nous commençons par l'aide dans le travail scolaire :
— Ce qui a joué par la suite, c'est que j'ai été aidé par mes sœurs [...]. Et alors là, j'ai eu le soutien de mes sœurs qui m’ont, pendant les vacances, appris à faire de l'algèbre. Donc là, c'est le milieu familial qui m'a permis d'évoluer. En français J'étais nul alors souvent c’était, [...] c’était mes sœurs qui me corrigeaient mes trucs. J’avais des idées mais c'était toujours touffu. Donc y avait quand même ce soutien de la part de mes sœurs.
23L'aîné vient dans ce cas se substituer ou plutôt aider les parents dans le suivi scolaire de l'enfant. Plus tard, il peut en fonction de sa propre expérience donner des conseils d'orientation et avoir tout autant de poids que les parents sur cette décision :
— Puis finalement en discutant avec mon frère qui a quatre ans de plus que moi, en analysant les débouchés [...] presque par raison Je me suis dit, il y a plus de débouchés dans les carrières scientifiques que dans les carrières littéraires [...]. C'est avec mon frère qui a quatre ans de plus, qui me disait tu fais ça, tu fais ça et c'est lui si vous voulez qui m'a poussé même à, le concours de l’ Enseeiht .
— Votre frère a eu une influence à ce moment-là dans votre trajectoire scolaire...
— Oui, il me disait... enfin il m'a pas poussé mais si vous voulez, vu les arguments qu'il développait, Je m'apercevais qu’il était dans le vent Effectivement si vous voulez, je les analysais avec lui et puis mot je suis pas passionné par ça, tu t’en fiches de ça, c’est là qu'il y a le plus de débouchés, pourquoi pas [...]. Après le bac... mon frère m'a dit tu as un concours qui se passe là, passe-le. J'ai dit bof, j'ai passé le concours.
24Ce dernier a même dans certains cas ouvert et débroussaillé la filière scientifique en l'empruntant lui-même, faisant de cette voie scolaire un horizon connu, maîtrisable et objectivement réalisable. La trajectoire du cadet loin d'être atypique, est dans ce cas la copie conforme de celle de l'aîné :
— Mon frère donc était quelqu'un qui travaillait très bien lui, il avait ça. Bon, il est décédé quand il était en première, fin de première mais bon, jusque-là, il avait été un élève très brillant qui réussissait. On l'avait même présenté au concours général en mathématiques je crois, donc c'était vraiment... Bien alors nous les filles, derrière, on suivait. Comme on suivait bien, on suivait les traces de mon frère.
B) Les aînés et l'information scolaire
25Ainsi les aînés qui ont scolairement aussi bien réussi ramènent une masse d'informations scolaires dont on ne dira jamais assez l'importance sur les choix et l'ouverture des possibilités objectives d'orientations :
— L'information était pas aussi développée qu'aujourd'hui, et je suivais mes grandes sœurs. Mes deux grandes sœurs avaient vécu quelques années avant moi et elles avalent vu que les bonnes sixièmes, les bonnes cinquièmes c'était à l'époque celles qui faisaient du latin [...].
— L'expérience des sœurs donc...
— Oui tout à fait, la sœur aînée qui avait vécu avant et puis qui avait donc ramené à la maison l'information qui disait que ce qui était le meilleur, là où on trouvait les meilleurs élèves, c'était là.
— C'est peut-être pas facile de l'avoir cette information, surtout dans un milieu ouvrier à l’époque...
— Si par la sœur aînée, ma sœur aînée a été très directive dans l'information, c'est pas elle qui prenait les décisions mais c'est vrai que vis-à-vis de mes parents c’était la fille qui savait. Elle était de caractère très littéraire donc elle avait fait un bac... sciences exp... à l'époque. Elle avait donc vu ce qui se passait et elle avait sept ans d'avance sur moi. Ensuite la deuxième sœur avait quatre ans d'avance, trois ans d'avance sur moi donc ces deux sœurs avaient vécu et avaient dit bon il faut que tu fasses sixième et qu'il fasse sixième latin.
26Cette situation a parfois conduit à une certaine émulation entre frères et sœurs qui réussissent scolairement. Ainsi le cas suivant où l'on retrouve bien des éléments évoqués plus haut :
— Je me tournais plus naturellement vers ma sœur qui a juste cinq ans de plus que mot et qui avait fait plus ou moins la même chose avant moi et qui donc était plus à même de m'aider ou alors avec mes parents quand fêtais plus jeune.
— Il semble que votre sœur ait eu une influence...
— Disons que je n'ai jamais envisagé de faire moins bien qu’elle quoi. Mais c'est tout. Elle n’a pas continué ses études de la même manière parce qu'elle en avait les capacités et donc c’est peut-être de là, non je sais pas... Je voulais faire aussi bien qu'elle.
— Pourquoi, une certaine rivalité ?
— Oh non, non pas du tout, au contraire non. Il y a jamais eu de...
— Une émulation...
— Non, même pas, il n'y a jamais eu... Non, elle m'a toujours conseillé de continuer aussi loin que possible pour ne pas avoir de regrets par la suite, d’avoir arrêté trop tôt.
— Elle vous a donné un certain nombre de conseils...
— Oui c'est certain. Quand il y avait, en troisième, des choses comme ça, pour faire son choix pour passer en seconde, en seconde C ou etc., c'est sûr que j’ai pris conseil un petit peu sur elle qui savait ce qui se passait dans toutes les sections.
— Où avait-elle pu avoir cette information ?
— Bon, elle-même avait fait seconde C.
C) La situation des frères et sœurs
27Ces quelques citations sont aussi l'occasion d'une autre observation tout aussi importante pour notre démonstration. En effet, elles semblent indiquer que la réussite scolaire que nous savons difficile et marginale en milieu ouvrier est fréquemment rencontrée au sein des familles interrogées. Tous les enfants n'ont pas réussi aussi brillamment que les élèves ingénieurs, mais les frères et sœurs sont nombreux à avoir finalement atteint l'enseignement supérieur. Ce phénomène est une constante tant chez les élèves actuels que chez les anciens élèves. Il est vérifiable à partir des données chiffrées issues de nos deux questionnaires.
28En effet les anciens élèves interrogés ont en tout près de 900 frères ou sœurs. Nous connaissons pour 856 d'entre eux à la fois le diplôme le plus élevé mais aussi la catégorie professionnelle d'appartenance. Pas moins de 42 % de leurs frères et sœurs ont un diplôme de niveau supérieur et 18 % le niveau baccalauréat. Inversement 40 % ont un niveau inférieur au baccalauréat ce qui n'est pas, vu la condition d'origine, une proportion importante. De ce fait 46 % de l'ensemble sont aujourd'hui cadres supérieurs ou moyens, ce qui est assez extraordinaire pour les descendants de familles modestes.
- 10 On peut citer à ce sujet Schiff (Michel), Duyme (Michel), Dumaret (Annick) et Tomkiewicz (Stanisla (...)
29Chez les élèves actuels, les résultats sont similaires et cohérents. Sur les 286 frères et sœurs, 41 % possèdent un diplôme supérieur ou sont actuellement étudiants. Parmi les 136 actifs enregistrés, 31 % sont à ce jour cadres. La réussite des élèves rencontrés ne fait donc pas figure de cas isolé dans les familles interrogées. Il semble bien que la réussite scolaire en milieu ouvrier soit davantage une affaire de pratiques éducatives familiales que le résultat d'une histoire génétique familiale, ou de chromosomes de la réussite aléatoirement répartis dans une génération d'adolescents10 Quelques exemples peuvent être fournis pour compléter et illustrer les chiffres précédents :
— Oui c'est sûr que mes parents peuvent être fiers parce que avoir deux filles institutrices et un garçon ingénieur bon c’est sûr, c'est une réussite.
— Ma sœur [...] elle est à Montpellier, elle fait médecine.
30Cela est aussi vrai en ce qui concerne la réussite professionnelle qu'en ce qui concerne la réussite scolaire à proprement parler :
— On (ma famille) a très vite explosé, parce que ma sœur aînée, après une période de secrétariat à L..., a voulu faire mieux. Elle a passé un concours de fonctionnaire dans les douanes et se retrouve actuellement... elle a un poste je pense de directeur-adjoint aux douanes à P... Ma deuxième sœur, elle, avait fait des études de technicienne en bactériologie. Elle était employée dans un hôpital militaire pendant fort longtemps à L... puis s'est mariée et a décidé, elle, d'arrêter sa vie professionnelle pour élever ses enfants. Et puis moi bien j'étais le dernier [...]. Avec les moyens d'un salaire d'ouvrier, ils ont poussé leurs trois enfants à avoir tous des diplômes du niveau... au-delà du baccalauréat. Bts , par la formation ensuite, ma sœur est devenue d'un niveau licence au moins et moi d'un niveau ingénieur. Donc c'est quand même une réussite.
D) L'échec de certains frères et sœurs
31Quelques frères ou sœurs n'ont pourtant pas très bien réussi scolairement. On aurait pu penser qu'ils avaient pourtant bénéficié des mêmes conditions sociales et scolaires, ainsi que des mêmes ambitions parentales : or ce n'est pas tout à fait exact. S'il est possible de rencontrer des expériences d'échec scolaire au sein de ces familles qui ont conduit une grande partie de leurs enfants dans l'enseignement supérieur, c'est parce que certains enfants n'ont pas été investis des mêmes ambitions scolaires parentales.
32Soit parce que le moment ne s'y prêtait pas, soit parce qu'une autre possibilité d'ascension sociale se présentait, soit parce que les mêmes opportunités que celles qui ont aidé le frère ou la sœur en réussite scolaire ne se sont pas présentées à ce moment précis, soit tout simplement parce qu'il est difficile de faire réussir absolument tous ses enfants compte tenu des ressources financières et culturelles, les lignées n’ont pas réussi dans leur totalité. De plus, la vie sociale et professionnelle des parents est en perpétuelle évolution et transformation, ces derniers n'ont, semble-t-il, pas pu accumuler ou maîtriser les mêmes avantages et atouts régulièrement durant toute leur vie.
33Ici la perspective d'un héritage agricole bien que lointain a pu détourner le frère d'une enquêtée des études :
— Pour apprendre à lire, mon frère a toujours été très bien. C'était pas le... bon, il a pas voulu continuer, après la troisième il a pas voulu continuer, il voulait faire et il a fait un Cap d'électro-mécanicien Puis il a fait un remplacement, enfin pas un remplacement, un stage, ça ne lui a pas plu alors il a voulu changer. Il est allé dans une école d'agriculture, il a fait un Bepa (Brevet d'Études Professionnelles Agricoles), et puis bon maintenant il s'installe comme exploitant agricole. Alors ma mère avait des vignes qui lui revenaient du côté de son père et avec mon oncle ils ont monté un Gaec (Groupement Agricole d'Exploitation en Commun), et puis bon maintenant, il est chez ma grand-mère, là maintenant il habite chez ma grand-mère.
34Là l'opportunité qui avait permis à la fille aînée de faire son premier cycle dans un excellent établissement ne s'est pas reproduite semble-t-il à la suite d'un déménagement :
— Est-ce que le fait d'être l'aînée de votre famille a pu avoir une incidence sur votre scolarité ?
— Bien c’est bizarre parce qu'on est quatre. Je suis l'aînée, j'ai fait Sup. de Co. Le second fait un Bts d'informatique et il est maintenant en préparation pour faire une licence d'informatique. Le troisième est en Aes (Administration Économique et Sociale), et la quatrième en Cap . Donc a priori y a peut-être... on me dit quand on en parlait bon l'ainée a tout pris, mais bon... Il y a peut-être eu peut-être ce concours de circonstances, le fait que j'étais la première. À la limite j'ai tout pris et petit à petit bon... c'est de pire en pire. Ma mère disait en rigolant, bon, si j'en avais fait un cinquième ça aurait été un taré quoi, il serait sorti un... bon mais.
— Qu'est-ce que ça veut dire avoir tout pris ?
— Non parce que j'ai bien réussi, mon frère, mon premier frère a pas mal réussi, l'autre a eu un peu plus de mal et ma sœur, bon, elle a beaucoup de mal quoi. Donc c'est pour ça c’est une simple hiérarchie.
— Qu'est-ce qui aurait pu faire, dans le comportement de vos parents, qu'il y élit cette hiérarchie ?
— Rien, rien en fait, non je pense pas. On a eu tous les mêmes chambres pour travailler, on a toujours... disons que le problème c’est que j'ai suivi la scolarité moi à O... jusqu'en quatrième, mon autre frère jusqu’en cinquième, l'autre jusqu'en sixième et peut-être que le passage, eux ont été nettement moins favorisés au niveau professeurs quoi [...]. Donc ils ont eu aussi de bons profs mais moins longtemps que moi.
35Si la réussite exceptionnelle de ces enfants d'ouvriers s'explique presque toujours avec les armes de la sociologie, à condition bien sûr d'utiliser les outils adéquats pour cela, alors l'échec peut également prendre sens, sans faire appel aux concepts de la génétique.
3. RÉUSSITE SCOLAIRE ET RANG DE NAISSANCE
- 11 Bertaux (Daniel), “La détermination sociale des destinées individuelles”, Économie et humanisme, n(...)
- 12 Chaudron (Martine), “La constitution des itinéraires sociaux sexués dans la fratrie d'origine”. An (...)
- 13 Desplanques (Guy), “La chance d'être aîné", Économie et statistique, no 137, 1981, pages 53-56.
36La troisième donnée démographique que nous nous devons d'examiner un instant est celle qui touche au rang de naissance. Nous venons de citer longuement le rôle des frères et sœurs aînés dans la réussite des cadets, y aurait-il des profils de réussite scolaire différents selon le rang de naissance familial ? Le rang de naissance était fondamental il y a deux siècles dans le choix des carrières11 En milieu rural l'aîné mâle est encore aujourd'hui concrètement l'héritier des terres et de la profession d'agriculteur12 Observe-t-on aujourd'hui une incidence quelconque du rang de naissance sur la réussite scolaire en milieu ouvrier ? Quelques travaux ont souvent mis en avant la « chance d'être aîné »13 est-ce vraiment une réalité ?
A) La chance d'être l'aîné
- 14 Pohl (Richard), Soleilhavoup (Jeanine) et Ben Rezigue (Joëlle), op. cit„ pages 138-141.
37Sur le plan national, des données Insee14 nous permettent d'examiner effectivement l'incidence du rang de naissance sur les probabilités de réussite scolaire compte tenu du sexe de l’enfant et de son origine sociale. Cela conduit à définir et classer les structures familiales les plus favorables à la réussite scolaire tant globalement qu'en milieu ouvrier. Il est d'abord très net, quel que soit le milieu social, que les familles restreintes apparaissent comme les plus favorables. Tant au niveau de l'ensemble des familles françaises qu'au niveau des familles ouvrières, que ce soit pour les garçons ou pour les filles, les familles d'enfants uniques ainsi que celles de deux enfants figurent en tête des classements. Ceci confirme nos résultats précédents.
38Outre cette première observation, il semble, toutes catégories sociales confondues, que le fait d'être l’aîné soit effectivement plutôt favorable. En effet, pour les garçons les probabilités de réussite sont maximales lorsque celui-ci est l'aîné d'une sœur d'abord et d'un frère ensuite. En ce qui concerne les filles, ici aussi, parmi les six premières structures familiales, on retient quatre formes dans lesquelles l'égo est aînée. Ces quelques résultats montrent ensuite que le sexe de l'enfant a une certaine incidence sur la scolarisation : le garçon est très souvent avantagé par rapport à une fille. Ceci lui permet d'avoir de bonnes chances de réussite même s’il n'est pas l'aîné de la famille, à condition que l'aîné soit une fille. De la même façon, on peut remarquer que les chances de réussite sont légèrement plus fortes pour un garçon si celui-ci est l’aîné d'une sœur que l'aîné d'un frère. Les garçons entrent en compétition entre eux. Pour qu'une fille aînée puisse réussir, il vaut mieux pour elle que le second enfant soit également une fille plutôt qu'un garçon. Ainsi apparaît l'importance du rang et du sexe sur la réussite.
39En ce qui concerne la spécificité des structures familiales en milieu ouvrier, il est notable que les familles restreintes sont essentielles. La structure familiale à enfant unique gagne une place tant chez les garçons que chez les filles par rapport à leur classement pour l'ensemble des catégories sociales. En contrepartie, les familles de trois enfants régressent dans le classement des structures familiales favorables à la réussite scolaire des enfants. On peut également remarquer que le fait d'être l’aîné est d'autant plus important que l'on est issu d'un milieu populaire et que l'on est une fille. En effet, avoir un frère plus jeune que soi lorsque l’on est fils ou fille d'ouvrier fait baisser sensiblement les chances de succès scolaire alors que ce n'est pas aussi nettement le cas au sein de la population toutes origines confondues. Etre le premier et le seul garçon est très important en milieu ouvrier pour que les chances de réussir soient optimales. Les filles d'ouvriers sont sérieusement désavantagées. Pour décrocher un diplôme de deuxième et troisième cycle universitaire ou encore d'une “grande école”, ces dernières se doivent de cumuler les avantages. Pour que leurs chances de réussir soient notables, il faut impérativement que ces dernières soient enfant unique ou l'aînée. Si ce n’est pas le cas, elles doivent céder la place au garçon qui leur succède.
B) La chance d'être puîné
40Au vu de ces données de l'Insee, en milieu ouvrier plus qu'ailleurs, le rang de naissance apparaît comme fondamental. Un couple d'ouvriers répartit, entre ses enfants, encore moins équitablement que les autres couples les chances de réussite. Or ces quelques résultats nous posent un certain nombre de problèmes. En effet, nous avons vu plus haut que le cadet pouvait tirer beaucoup d'avantages de son aîné, et nous n'avons finalement pas recueilli beaucoup de propos dans lesquels l'avantage d'être aîné soit clairement formulé. Nous avons pourtant rencontré des aînés, mais à aucun moment leur rang de naissance ne leur est apparu fondamental au point que cet élément n'a jamais été cité comme facteur de leur succès, puis développé dans les entrevues. Par contre, les entretiens multiplient les informations concernant l'avantage d'être le cadet ou le puîné, sans que nous ayons pourtant cherché à les obtenir. Les familles dans lesquelles l’aîné a été “sacrifié” pour que se stabilise le foyer et que les derniers puissent faire des études sont nombreuses. Lorsque les aînés n'ont pas la possibilité de faire des études, ils sont immédiatement mis au travail afin de compléter le salaire paternel :
— Mon frère aîné s'est mis à travailler avec mon père, chez un artisan qui avait embauché mon père et mon frère. Et le Jeune, il est allé en classe comme moi [...]. Mon frère, mon frère aîné, travaillait pour nous. Mon père et mon frère travaillaient pour que mon jeune frère et moi-même poursuivions des études. C'était, c'était embêtant. Disons, c'était un peu traumatisant pour moi [...].
— Il aurait pu réussir...
— Oui.
— Si vos parents l'avaient poussé...
— Oui. Mais il est arrivé en France, il avait déjà un âge qui ne permettait pas... il avait seize ans.
— Il avait déjà fait une bonne scolarisation en Espagne ?
— Non en Espagne, il a fait une scolarisation mais enfin, il s'était mis à travailler très Jeune avec mon père. Mais mon frère aîné avait de grands moyens, de grandes possibilités et c'est dommage.
41Lorsque l'aîné a par contre la possibilité de poursuivre des études, c'est très souvent vers des filières gratuites et intermédiaires qu'il s'est orienté afin de ne pas trop peser sur le budget familial. Très nombreux sont les aînés devenus instituteurs et institutrices :
— Mon frère, lui, voulait gagner de l’argent un peu plus vite quoi, donc il a fait l'École normale, voilà. Pourquoi, parce que dès la seconde à l'époque, [...], il gagnait pas un peu plus d'argent, enfin je me rappelle pas, à l’époque je crois qu'ils avaient un peu d'argent de poche dès la seconde ou alors la pension gratuite, enfin quelque chose comme ça. Toujours est-il que c'était vraiment avantageux, ça le faisait sortir un peu de la famille, donc il a fait l'École normale. Et moi j'étais deux ans derrière lui, donc j'ai fait la section Arts et Métiers.
C) La chance d'être un garçon
42Les deux exemples précédents ont donc insisté sur l'avantage du deuxième garçon par rapport à l'aîné contredisant ainsi les informations chiffrées. Ce phénomène est très net chez les anciens élèves, population pourtant apparentée à l'échantillon national de l'Insee. Lorsque l'aîné est une fille, les observations sont similaires. Les exemples sont alors très nombreux à démontrer l'avantage du premier garçon sur ses sœurs pourtant plus âgées. Les propos suivants sont à ce sujet sans équivoque :
— Bien c'est mes parents qui lui ont dit tu veux pas bosser à l'école, allez boulot. Elle a trouvé cette place d'institutrice et puis à dix-huit ans (elle était) à Paris toute seule. Ça, elle l'a reproché pas mal à mes parents. Elle a reproché aussi de pas avoir continué en faculté, elle aurait souhaité continuer en fac... [...]. Alors dans la famille il y avait le garçon. Il fallait qu'il ait une situation. Les filles c'était secondaire donc mes deux sœurs... ma sœur aînée, elle, s’est pas sacrifiée mais, à dix-huit ans, elle pensait davantage à cavaler qu'à continuer les études. Donc mon père a dit bon au boulot, il l'a envoyée à Paris faire institutrice. Donc elle s'est retrouvée à dix-huit ans toute seule dans une chambre d'hôtel et à enseigner. Alors là ça a été dur. Et puis ma deuxième sœur, elle est plus jeune, elle a fait l'École normale parce que là aussi c'était payé donc c’était presque guidé parce que sinon...
— C'est une belle réussite pour l'époque de devenir instituteur...
— C'est-à-dire que les études étaient payées, donc mes parents avaient rien à débourser [...]. Peut-être ça les arrangeait aussi qu'elle travaille, ça ils pouvaient pas l'avouer. C'est inconsciemment aussi. Mais il y avait ce fait que le garçon devait avoir une situation au lieu des filles, ça c'est sûr. C'était le point important.
43Il semble que chez les élèves actuels le rang de naissance ait une action moins forte que sur les anciens élèves rencontrés, mais nous restons très prudent dans cette affirmation.
D) Rang de naissance et ressources familiales
44Dans notre échantillon d'anciens élèves se pratique souvent le “sacrifice” de l'aîné. Mais être le dernier, c'est également pouvoir bénéficier de la meilleure situation économique des parents. En effet, le père a généralement progressé de statut, gagné de l'ancienneté ainsi que des échelons hiérarchiques. De plus, les aînés travaillant ou n'étant plus à charge de la famille, les ressources financières du couple peuvent se concentrer sur la scolarisation des derniers. Ces propos sont aussi bien tenus par des aînés que par des puînés :
— Je suis né assez rapidement (après le mariage), puis mon frère deux ans et demi après, ma sœur, je suis l'aîné de cinq. Les deux derniers sont venus nettement plus tard quand la situation était stabilisée mais enfin les trois premiers sont venus assez vite donc mon père travaillait d'autant plus.
— Bien je pense que ça a joué quand même un petit peu dans le sens de faire des études bien que même ma sœur (aînée) en ait fait quand même. Mais c'est vrai qu'au fur et à mesure les moyens... ils ont eu davantage de moyens, aussi au fur et à mesure que le temps passait. C'est vrai que la situation s'améliorait quand même. Et donc en étant la dernière, entre le moment où ils étaient dans la V... avec ma mère veuve avec ses trois enfants qui avaient déjà un certain âge, etc., mon père qui était ouvrier... alors que quand il a été à l'usine la situation était beaucoup plus stable quand même. Il y avait des avantages, on avait le logement, on était logé par l'usine, on avait les colonies de vacances gratuites pour les enfants. Il y avait des tas de choses comme ça qui faisaient que ça améliorait la situation quand même. Et donc en étant la dernière, c'est sûr, j’ai bénéficié de... ils avaient un peu plus de moyens pour nous maintenir aux études comme ma mère disait.
4. ASCENDANCE, LOGIQUE DE SUR-SCOLARISATION ET DÉMOGRAPHIE
45Nous n'avons jusqu'à présent retenu que les données démographiques qui concernent essentiellement la situation des élèves et anciens élèves ingénieurs. Le nombre de leurs frères et sœurs ainsi que leur rang de naissance nous sont apparus comme pouvant jouer un rôle non négligeable dans le processus de réussite scolaire. Or, il est aussi certaines dimensions démographiques propres aux parents, qui ont pu, en certaines circonstances, favoriser la réussite de l'enfant et provoquer l'élaboration d'une politique de sur-scolarisation parentale.
A) Les parents et leur rang de naissance
4647 % des pères et 49 % des mères sont issus de familles d'au moins quatre enfants. Ce n'est certes pas exceptionnel pour l'époque et ce milieu bien qu’un quart des mères et un cinquième des pères aient finalement au moins cinq frères et sœurs. Ainsi, une partie non négligeable des parents sont originaires de familles relativement nombreuses. Nous avons effectivement rencontré quelques propos, au moment où nous évoquions la descendance restreinte de ces derniers, dans lesquels quelques élèves signalent que leurs parents avaient souhaité réduire leur descendance parce qu'ils avaient parfois souffert durant leur adolescence du nombre élevé de leurs frères et sœurs. Cette nouvelle donnée démographique s'intègre dans la liste des éléments qui ont pu pousser quelques familles à réduire leur descendance, afin de pouvoir lui consacrer une part plus grande de leurs ressources.
47Il en est une autre, qui, souvent associée aux premières, semble avoir été très importante : elle concerne leur rang de naissance. Statistiquement les parents ne sont pas davantage que les autres des enfants aînés : ils semblent même avoir été plus souvent des puînés. Or, ce qui revient très souvent pour expliquer quelques-unes des réussites scolaires que nous avons rencontrées, c'est la situation d’aîné qu'ont eu certains pères et certaines mères. Les conséquences de ce rang de naissance ont parfois eu des effets considérables sur leur avenir social et de ce fait sur leurs projets et ambitions. Parce que certains se sont retrouvés très souvent dans la position de l'aîné “sacrifié”, situation que nous avons déjà rencontrée chez quelques frères d'anciens élèves, ils ont souhaité venger leur sort. Leur réaction est alors bien souvent de donner à leurs enfants toutes les chances de réussite qu'ils n'ont eux-mêmes pas eues.
48Les exemples sont ici aussi très nombreux. Que les pères aient été l'aîné des garçons ou la mère l'aînée des filles, les pratiques familiales les ont souvent enfermés dans un rôle bien précis :
— Il fallait qu'il travaille pour vivre, pour se nourrir et en plus de ça il était l'aîné de neuf frères et sœurs qui étaient à charge donc ça, c'est pour des questions de survie. R a fallu qu'il travaille tout de suite.
B) Un cas exemplaire
49L'histoire du père de l’un de nos enquêtés est à cet égard exemplaire, on y retrouve bien des éléments vus tout au long de ce chapitre. De plus, son fils, aujourd'hui ingénieur Insa, exprime avec clarté les regrets du père, sentiments qui ont dû transparaître plus d'une fois au cours des discussions familiales. Ils sont sans doute à l'origine de cette réussite scolaire en milieu ouvrier :
— Alors mon père était le fils aîné d'une famille nombreuse donc très jeune il a dû travailler [...]. R en parle souvent. R dit que s'il avait pu continuer, il serait autre chose, [...] donc il parle de la situation d'aîné, pour lui, c'est pas bon. Donc il essaie de faire un peu mieux avec nous.
— Il n'aurait peut-être pas été l'aîné, il aurait réussi...
— Voilà parce que scolairement il avait les résultats pour continuer, mais comme ses parents l'ont forcé à arrêter, il n'a pas continué.
— Il n'a pas eu le choix...
— Non. son père lui a dit qu'il fallait qu’il travaille pour continuer à élever ses frères, donc lui, il a dû arrêter, et pratiquement il s'est sacrifié pour que ses frères réussissent.
— Il vous en parle souvent de ceci...
— Ça il en parle souvent parce que je crois que ça, oui, ça lui fait plaisir que ses frères aient réussi, d'avoir aidé ses parents mais il doit avoir quand même quelque chose quand il voit que ses frères ont une situation et lui n'a peut-être pas ce qu'il aurait dû avoir [...]. Donc lui, il s'est sacrifié pour sa famille et il ne voudrait pas que je fasse pareil donc.
50Donc, après avoir été en quelque sorte soutien familial dans une famille ouvrière nombreuse, et de ce fait ne pas avoir eu les mêmes chances de réussite scolaire et sociale que ses frères et sœurs aujourd'hui pour la plupart cadres intermédiaires (personnel de banque, enseignant, instituteur), le père de l’interviewé a ensuite couru toute sa vie après cette réussite manquée.
51Il a alors construit un projet d'ascension sociale et professionnelle, puis reporté quelques-unes de ses ambitions sur ses enfants. Il s'est d'abord marié avec une institutrice d’origine ouvrière, a ensuite quitté dès que possible son statut d'ouvrier maçon puis d'ouvrier en usine (chaîne en 2/8) pour gagner davantage de stabilité en devenant ouvrier dans une collectivité municipale. Assimilé fonctionnaire, et aidé par le capital culturel de sa femme, il a ensuite pu suivre de très près le travail scolaire de ses deux enfants. L’aîné a donc choisi le métier d'ingénieur à la suite de son baccalauréat C, tout en privilégiant une insertion rapide et prudente en “petite école” d'ingénieurs. L’autre enfant ne deviendra pas ingénieur malgré le vœu des parents, mais il accédera tout de même à l'enseignement supérieur deux années après son frère.
52Cet exemple est l'occasion de mettre en évidence à la fois un contexte social favorable (mère active non ouvrière, père ouvrier stabilisé), une volonté de maîtriser l'avenir (descendance restreinte, action éducative de sur-scolarisation) et un facteur fondamental, déclenchant et structurant, capable d'inciter le couple à donner un sens positif à cette combinatoire sociale : les regrets du père face à une autre destinée sociale.
C) Stratégie éducative, itinéraire et structure familiale
53Avant de terminer et comme nous l'avons fait pour les autres éléments de réussite évoqués, il faut réserver quelques lignes à la relation de ce quatrième facteur de réussite en milieu ouvrier, qui n'est autre que la dimension démographique, avec l’itinéraire scolaire suivi.
Graphique 4 : Corrélations statistiques entre la taille de la famille et la typologie des Ingénieurs d'origine ouvrière

54Peut-on attribuer quelques spécificités de démographie familiale à la typologie des pratiques et trajectoires de réussite mise à jour ? Si le rang de naissance de l'élève n'est l'occasion d'aucune remarque importante, il est par contre deux corrélations remarquables entre le niveau d'admission en école supérieure et le nombre de frères ou sœurs (cf. graphique 4). Selon que l'on est issu d'une famille restreinte ou nombreuse les probabilités de choisir tel ou tel itinéraire scolaire de réussite sont différentes.
55En effet, avoir plus de quatre frères ou sœurs est plutôt associé à une trajectoire scolaire qui privilégie l'admission sur titre. Sept élèves sur les trente-quatre qui ont été admis sur titre, c'est-à-dire un peu plus d'un sur cinq, sont issus d'une famille de cinq enfants au moins alors que ce n’est le cas que d’un élève sur dix dans notre population de référence. Un nombre élevé de frères et sœurs, qui, nous l'avons vu, n'est pas particulièrement favorable à une réussite scolaire en milieu ouvrier, contraint la majorité de ceux-ci à une scolarité prudente qui assure cycle par cycle des débouchés professionnels. Cette caractéristique démographique est alors associée à une stratégie de sur-scolarisation “déléguée” et “chanceuse”. Elle conduit également les familles à ne pas élaborer de projets de réussite scolaire à trop long terme puisque son issue est trop aléatoire. Nous avons vu que ces familles sont les plus gênées pour prendre une trop grande distance vis-à-vis de leur milieu d'appartenance dans les choix d'orientation scolaire. Il est logique de retrouver ici les familles de notre population les plus fécondes, celles qui ont, de ce fait, le comportement démographique le plus proche de la norme populaire.
56Lorsque le nombre de frères et sœurs se rapproche de trois, l'admission a tendance à se pratiquer davantage par les classes préparatoires. En effet, treize enfants d'ouvriers sur les soixante qui ont intégré par Cpge sont issus d'une famille de quatre enfants. Cela représente 21 % des élèves admis après concours, alors que les familles de quatre enfants ne pèsent que 14 % de notre population totale. Comment interpréter que des familles finalement assez nombreuses (cette taille est supérieure à la moyenne observée) arrivent à scolariser leurs enfants au sein de la filière la plus risquée ? Nous avons déjà noté que cette filière d'accès au cycle d'ingénieur est la plus prestigieuse mais aussi celle qui nécessite les projets scolaires les plus anciens, les plus ambitieux et les mieux maîtrisés. Ils sont donc le fait des familles populaires les plus stabilisées ainsi que de celles qui ont tendance à posséder des ascendants et des parents qui n'ont pas toujours été ouvriers. Puisqu’elles sont les plus favorisées, ces familles peuvent avoir un nombre d'enfants assez important, quatre en l'occurrence, sans pour autant affaiblir trop fortement leurs chances de réussite scolaire.
57Quant aux familles restreintes, largement majoritaires, elles donnent accès de façon équivalente à l'ensemble des filières puisqu'elles sont le modèle familial dominant. Elles sont très légèrement attirées par l'admission de niveau baccalauréat, compte tenu du sens des corrélations antérieures et du fait que les “petites écoles” d'ingénieurs sont fortement sur-représentées dans notre population. Nous avons remarqué que les familles qui optent pour l'admission après le baccalauréat en école supérieure, comme cela a été le cas dans l'exemple ci-dessus, élaborent plutôt des pratiques de sur-scolarisation “laborieuses” et “prudentes”. La présence et l’énergie des deux parents sont bien souvent nécessaires pour assurer à l'enfant le meilleur encadrement. Il est alors cohérent de voir que ces familles sont aussi celles qui ont le plus réduit leur descendance, afin de concentrer au maximum leurs efforts et leurs ressources. Elles sont aussi celles qui ont le plus calqué leurs comportements démographiques et scolaires sur le modèle de la petite bourgeoisie ascendante.
D) Quelques raisons fondamentales
58Nous retenons finalement de ce chapitre tout l'intérêt qu'il y a pour les familles ouvrières à réduire leur descendance afin de donner à leurs enfants davantage de chances de réussite. Par contre, il nous est difficile de conclure sur l'importance du rang de naissance dans les probabilités de réussite au sein d'une même lignée. L'aîné a statistiquement davantage de chances ; le fait d'être le puîné nous est apparu essentiel au vu des entretiens effectués notamment chez les anciens élèves.
59En tout cas, cette recherche de facteurs favorables à la réussite scolaire en milieu ouvrier est une fois de plus l'occasion de démontrer le rôle essentiel de la volonté des familles ouvrières rencontrées à maîtriser leur existence sociale et à agir sciemment sur celle de leurs enfants. La réduction volontaire de la descendance est sans doute un élément essentiel et indiscutable de ce processus de déprolétarisation. Toute modification des comportements et équilibres de reproduction familiale par rapport aux traditions familiales, ou à celles du milieu social d'appartenance, est toujours révélatrice de mutations sociales et culturelles profondes. C'est sans doute pour cela que les facteurs démographiques, taille des familles et rang de naissance, sont à la croisée de plusieurs niveaux d'observation.
60Mais nous avons, chemin faisant, découvert une raison capable d'expliquer non seulement la réussite mais le “pourquoi” du déclenchement d'une politique de sur-scolarisation en milieu populaire. En fait, il ne suffit pas d'être fils unique, fils d'institutrice et petit-fils de commerçant pour réussir une brillante scolarité en milieu ouvrier. Nous savons que le fait de posséder des grands-parents et parents non ouvriers et stabilisés favorise et construit un contexte situationnel propice à la réussite des enfants d'ouvriers. On peut désormais ajouter que le fait d'avoir peu de frères et sœurs est également un atout. Faut-il encore que les parents aient pris toute la mesure de leur situation et de leur ambition pour développer une logique et des actions de réussite scolaire.
61Cette partie a été finalement l'occasion de découvrir, aux côtés des facteurs statistiques ou positionnels tels que ceux recensés plus haut, quelques éléments jouant le rôle de catalyseur, des facteurs fondamentaux, déclenchants et structurants, qui ont effectivement poussé des parents à mettre à profit les opportunités qu'ils ont rencontrées et les caractéristiques sociales qui sont les leurs, mais aussi à les exploiter et à les développer dans le cadre de leurs ambitions sociales. Une certaine frustration de ne pas avoir eu, pour leur part, toutes les chances de réussite, au profit des nombreux frères et sœurs qui eux ont parfois mieux réussi, est un de ces facteurs et non des moindres.
Notes
1 Terrail (Jean-Pierre), “Familles ouvrières, école, destin social (1880-1980)”, Revue Française de Sociologie, vol. XXV, 1984, page 428.
2 On peut consulter à ce sujet : Tabard (Nicole), Valtas (Marie-France), Clapier (Patrick) et Kleinmann (Hélène), Fécondité et condition de vie, Paris, Credoc, 2 volumes, 1982, 320 pages. Vrain (Philippe) (avec la collaboration de Christian de Giry), “Le devenir professionnel des ouvriers de la région parisienne et de leurs enfants”, Cahiers du Centre d'Études de l'Emploi, no 21, 1980, pages 241-442.
3 On peut consulter à ce sujet Girard (Alain), La réussite sociale en France. Ses caractères, ses lois, ses effets, Paris, Ined, 1961, page 23.
4 Bourdieu (Pierre), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éd. de Minuit, coll. Le sens commun, 1979, 670 pages.
5 Le Bras (Hervé), “Les origines d'une promotion de polytechniciens”, Population, no 3, 1983, pages 491-502.
6 Ungerer (Christine), “La double vision de la sélection scolaire. Retour sur une enquête de l'Institut National d'Études Démographiques”, Revue Française de Sociologie, vol. XXVIII, 1987, page 248.
7 Pohl (Richard), Soleilhavoup (Jeanine) et Ben Rezigue (Joëlle), Formation, mobilité sociale, salaires. Enquête formation qualification professionnelle de 1977, Paris, coll. de l'Insee, no 433, juin 1983, pages 134-135.
8 Deville (Jean-Claude), “La fécondité serait-elle héréditaire ?”, Économie et statistique, no 216, 1979, page 7.
9 Ibid.
10 On peut citer à ce sujet Schiff (Michel), Duyme (Michel), Dumaret (Annick) et Tomkiewicz (Stanislaw), “Enfants de travailleurs manuels adoptés par des cadres”. Travaux et documents, Ined-Puf, no 93, 1981, 133 pages.
11 Bertaux (Daniel), “La détermination sociale des destinées individuelles”, Économie et humanisme, no 250, 1979, page 7.
12 Chaudron (Martine), “La constitution des itinéraires sociaux sexués dans la fratrie d'origine”. Annales de Vaucresson, no 26, Histoires de vies - histoires de familles - trajectoires sociales, 1987, page 80.
13 Desplanques (Guy), “La chance d'être aîné", Économie et statistique, no 137, 1981, pages 53-56.
14 Pohl (Richard), Soleilhavoup (Jeanine) et Ben Rezigue (Joëlle), op. cit„ pages 138-141.
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
Titre | Graphique 4 : Corrélations statistiques entre la taille de la famille et la typologie des Ingénieurs d'origine ouvrière |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/13450/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 70k |
© Presses universitaires du Midi, 1992