1« Nous voulons rendre hommage à l’ensemble des universités du Maroc, dans le cadre de la célébration de l’université-mère ».

2Ainsi s’exprime le président de l’université Mohammed-V-Agdal, Hafid Boutaleb Joutei, à l’approche du cinquantenaire officiel de cette institution, en décembre 20071.

3L’université est issue de la transformation d’une entité préexistante, le Centre d’études juridiques de Rabat – CEJ. Ce Centre ne fut pas une projection délibérée d’une faculté de droit métropolitaine sur la terre du Maroc, mais le fruit du désir de la Résidence, et de la direction de l’Instruction publique du Protectorat. Ce fruit fut partagé entre trois facultés, celle d’Alger – récemment reconnue comme une faculté de droit au plein sens du terme –, celle de Bordeaux, et celle de Toulouse2. Ainsi fut créé en 1927 le Centre d’études juridiques de Rabat.

GENÈSE ET CRÉATION

4Les archives de la Résidence ont connu depuis l’indépendance du Maroc une destinée complexe3.

5Le but de cet article, comme les limites imparties à l’exercice, ne permettent pas de se livrer ici à une démarche qui mettrait en œuvre l’ensemble des archives de la direction de l’Instruction publique, non plus que celles de tous les autres partenaires du CEJ4.

6En revanche, l’université de Toulouse 1, héritière de la faculté de droit de la même ville, a conservé dans ses fonds une riche matière, jusqu’alors inaccessible et non classée, relative aux destinées de cette projection extérieure qu’est Rabat. La vie du Centre, les missions d’enseignement, les examens, les inscriptions, ont nourri la substance de plusieurs cartons, les présidents des jurys d’examens passés au CEJ rédigeaient, année après année, des rapports annuels, transmis aux doyens des facultés tutrices (Alger, Bordeaux, Toulouse), et aux autorités, tant au Maroc, qu’à Paris.

7Parmi ces rapports, celui rédigé en 1952 par le professeur Couzinet (Toulouse, droit public) et celui de 1956 rédigé par le professeur André Garrigou-Lagrange (Bordeaux, doyen de la faculté de droit), apportent des éclairages particulièrement intéressants5.

8Le premier dresse un panorama de la vie du CEJ depuis ses débuts, cela sous la plume d’un professeur qui concède lui-même que son expérience marocaine débute en 1931, quasiment depuis l’organisation des premières missions et jurys à Rabat : il préside d’ailleurs celui de 1931.

9Le second rapport, rédigé dans les mois qui suivent l’indépendance du Maroc, se veut porteur des indispensables voies nouvelles. Ex post, on peut le considérer comme une sorte de testament, clôturant, sans nostalgie et avec la certitude de la mission fixée accomplie, la vie du CEJ, avant même que ne naisse, en décembre 1957, la nouvelle faculté de droit, et la cité universitaire qui lui est liée : elle est inaugurée par le roi du Maroc en personne, entouré des professeurs français portant les tenues académiques6.

10« Il faut considérer les métamorphoses d’ordre général qui ont concerné cet État comme un fait désormais acquis », écrit le doyen Garrigou-Lagrange, qui propose la création d’une université française de plein exercice à Rabat, à côté et avec une université marocaine, l’une et l’autre appelées à une fructueuse coopération7. Le vœu en ce sens, signé par la quasi totalité des personnels enseignants du CEJ, est intégré dans ce rapport.

11Avant d’en arriver là, la route est longue.

12Elle commence en 1920, lorsque s’installe l’Institut des hautes études marocaines. Créé par arrêté viziriel du 11 février 1920, cet Institut est vraiment intronisé en juin de la même année. « De même que le développement économique s’est produit parallèlement à la pacification, la science s’est acclimatée au Maroc au bruit de la fusillade. » Ces quelques phrases, extraites du discours prononcé le 9 juin 1920 par le directeur de l’enseignement, Georges Hardy, pour l’inauguration de cette « fête de l’intelligence » montrent bien que la donne est et reste en la main du protecteur, la France8.

13L’arrêté, dans son article 10, notait : « des cours publics, des conférences, pourront être organisés […] ». C’est rapidement chose faite. En 1927, lorsque se formalise vraiment la mise en place d’études en droit dans le Protectorat. La crise rifaine dénouée, le résident Théodore Steeg, au carrefour des expériences puisées dans l’éducation et l’administration coloniale, intronise le CEJ9.

14À l’origine simple lieu d’accueil où se dispensent des enseignements juridiques, le CEJ est bientôt centre d’examens. La chose est acquise dès 1930. A priori minime, cet infléchissement est d’importance. Jusqu’alors, les étudiants inscrits à Rabat devaient se présenter en métropole pour y subir les épreuves écrites et orales.

15Les cérémonies du centenaire de l’Algérie française ne permettent pas à l’université d’Alger d’accueillir en 1930 les épreuves organisées pour les étudiants de Rabat. De la sorte, un jury autonome est donc constitué en lien avec les trois universités tutrices, Alger, Bordeaux, Toulouse, cela dans un ballet triennal bien réglé, du moins jusqu’à l’été 1940.

16La guerre perturbe fortement les mécanismes de cet échange. Les déplacements maritimes vers le Maroc ; la situation de la faculté de droit de Bordeaux, en zone occupée à partir de l’armistice du 25 juin 1940 ; la situation, par contre, de la faculté d’Alger, a priori plus libre de ses mouvements et plus à portée de Rabat, voilà les données de la situation nouvelle.

17Première difficulté, les relations se rétablissent à peu près dans l’été 1940, même si le retour du professeur Hébraud, président du jury de Rabat pour Toulouse en juin 1940, « fut particulièrement pénible10 ».

18Malgré tout, le voyage à Rabat, jusqu’en octobre 1942, reste difficile à organiser. En temps de paix et par mer, il faut de 68 heures (depuis Marseille) à 72 heures (depuis Bordeaux) pour rejoindre Casablanca. À partir de l’été 1940, ces délais peuvent être fortement modifiés, sans qu’on puisse compter sur Bordeaux, non plus que sur une liaison par air.

19On a compris qu’il n’est plus question ni d’échange de courriers, ni de missions à partir de novembre de la même année : les Américains (novembre), et bientôt le président Roosevelt en personne (janvier 1943, conférence d’Anfa, dans la banlieue de Casablanca) sont au Maroc. Il faudra attendre le 15 janvier 1946 pour que se rétablisse l’ensemble des relations académiques de l’avant-guerre11.

20Deuxième difficulté, la situation de la faculté de droit de Bordeaux, en zone occupée. Aucune mission d’enseignant ne peut être dans un premier temps envoyée à Rabat, aucune inscription d’étudiant de Rabat ne peut désormais être reçue à Bordeaux. Alger et Toulouse affirment pourtant leur désir de réserver les droits de leur consœur, et en attendant s’en partagent les inscriptions. Ainsi en 1941, 300 choisissent Alger, et 200 Toulouse12.

21Comme dans le premier cas de figure, le débarquement de novembre 1942 met Toulouse dans un cas identique à celui de Bordeaux, et l’élimine dans la pratique jusqu’à la Libération.

22Troisième difficulté, la propension de la faculté d’Alger à prendre la mise en totalité, et à considérer Rabat comme l’une de ses annexes.

23Dès novembre 1940, des courriers parvenus à Toulouse laissent imaginer que ce mouvement est enclenché.

24Président du jury de la session de juin 1941 à Rabat, le professeur André Hauriou marque sur place le territoire pour la faculté de droit de Toulouse, et présente la situation à ses collègues, une fois de retour. « Soit du point de vue de l’unité de l’Empire, soit du point de vue international, le Maroc étant un pays de protectorat, il serait bon que le CEJ continue à être officiellement rattaché à des facultés métropolitaines13 ». Lors de la mission suivante, en octobre 1941, le professeur Gabriel Marty se donne du mouvement pour faire sentir à la Résidence que le poids de Toulouse doit être transcrit dans l’équilibre général. Un Mémoire exposant les solutions préconisées est rédigé de concert par les professeurs Hauriou et Marty, est avalisé par l’assemblée de la faculté de droit de Toulouse (26 novembre 1941), défendu à Vichy auprès de Jérôme Carcopino, secrétaire d’État à l’éducation nationale et à la jeunesse du cabinet Darlan (février 1941-avril 1942). Sans doute aucun, la présence proche de Paul Ourliac, collègue toulousain alors chef de cabinet de Jérôme Carcopino, a pu faire pencher le fléau de la balance dans un sens favorable au maintien d’une position qui ne subordonne pas les facultés de Métropole vis-à-vis d’Alger14. La loi du 18 février 1942 entérine la nouvelle donne. Le CEJ est défini comme une section de l’Institut des hautes études marocaines, et les trois facultés tutrices organisent dans un tour de rôle annuel le jury et les examens15.

25Il faut relever que stricto sensu le CEJ de Rabat n’est pas le seul actif au Maroc, celui de Casablanca, suscité au même moment, accueille lui aussi des étudiants en droit : les deux entités sont d’ailleurs menées par le même directeur, et celui de Rabat englobe les activités de celui de Casablanca : d’où la terminologie centres d’études juridiques relevée sur les papiers à entête16.

26Un Bilan, copieux ouvrage publié en 1950 par la Direction de l’instruction publique au Maroc, permet une observation fine de la situation de l’enseignement supérieur, et partant du Centre d’études juridiques de Rabat, cela dans le concert des formations supérieures placées sous la houlette de l’Institut des hautes études marocaines. Le Bilan aborde les années écoulées depuis le retour à la paix, après avoir relevé que les études de droit à Rabat sont régies par la loi du 18 février 1942, et le dahir du 8 juin de la même année. En 1945, « la nécessité d’une organisation des études supérieures a éclaté ». L’opinion reflétée par l’ouvrage est nette. L’université marocaine n’est pas pour l’immédiat. « Les faiblesses et dangers d’une telle création » sont manifestes. Le budget, incapable de suivre de tels besoins (même si est inscrite aux budgets de 1951 et 1952 la création de quatre chaires dans les dominantes juridiques) ; le fait que « le Maroc n’est pas encore apte à vivre intellectuellement de sa propre substance » ; en fait, « le danger est grand de créer une machine à distribuer des diplômes d’État ». Six ans à peine plus tard, le roi du Maroc inaugurera l’université qui porte son nom, dans les locaux proches du lieu où se donnaient les enseignements de cette « véritable école de droit17 ». Le 21 décembre 1957, la chose est faite.

LA DIRECTION

27Un directeur veille sur les destinées du Centre. Faut-il accorder tout crédit au Monde, qui note, en ponctuant et persiflant une sorte de droit de réponse publié dans ses colonnes le 22 juillet 1952, sous la plume de Guy Héraud, « ajoutons que le poste de directeur des centres d’études juridiques du Maroc est un poste d’administration plus que d’enseignement, et que la nomination du titulaire relève en définitive de la résidence générale de Rabat18 ». Quelques jours plus tôt, le 18 juillet, un article plein de fiel, « Chasse aux sorcières. Des disciples de Mac Carthy dans l’université française », signé M. D, tirait à boulets rouges sur Guy Héraud, tout juste nommé directeur à Rabat, cela contre Jacques Ellul19. Le même article, évidemment de Maurice Duverger, notait « la douloureuse indignation et inquiétude profonde » que faisait naître cette nomination, termes extraits d’une motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée de la faculté de droit de Bordeaux20.

28Cette lutte à plume dégainée suffit à montrer que la place n’était pas sans intérêt, malgré un environnement tourmenté : le Protectorat vit des heures difficiles, que la poigne mal inspirée du résident, le général Juin, n’a pas peu contribué à alimenter. Son successeur et ami, le général Augustin Guillaume, croit connaître son Maroc à fond, mais pas celui de la difficile et complexe diplomatie indispensable21.

29Pour la direction du CEJ, trois ou quatre candidats au moins s’étaient ou étaient mis en avant, Pierre Vigreux (économiste de Toulouse, habitué des missions d’enseignement à Rabat, fort désireux de faire de cette ville un séjour au moins temporaire), qui retire rapidement sa candidature22 ; Guy Héraud, revenu à Toulouse après un détour par l’Indochine, poussé par Paul Ourliac, que tout pouvait opposer au dernier candidat, Jacques Ellul. Ce dernier portait les espoirs de Bordeaux. La cause fut entendue. Le groupe de pression toulousain l’emporta : Guy Héraud préside aux destinées du CEJ jusqu’en 1955.

30Mais au début était René Hoffherr.

31La première période, celle de l’établissement, est marquée par l’action forte et déterminée de René Hoffherr, à partir de 1928. Titulaire de plusieurs doctorats, licencié en langues vivantes, le premier directeur du CEJ est aussi et d’abord un homme de terrain. Fort bon connaisseur du Maroc, il publie en 1932 chez Sirey L’économie marocaine. Il rédige, seul ou en collaboration, des travaux qui marquent son goût pour une économie appliquée, ainsi Revenus et niveaux de vie indigènes au Maroc, qu’il signe avec Roger Moris en 193423.

32Entré au Conseil d’État en 1939, il ne lui est pas donné immédiatement un successeur. L’effondrement de 1940 va prolonger cet intermède. L’intérim est assuré par le premier président de la cour d’Appel de Rabat, Pierre Leris et par Paul Decroux, conseiller de cette même cour. Pierre Leris prend en charge finalement la direction de l’institution. A-t-il, pour le bonheur des étudiants, pu appliquer le beau principe qu’il a énoncé, « Il est temps de répudier les méthodes exégétiques et périmées des légistes au cœur sec.24 » ? Il dut appliquer à Rabat la législation discriminatoire imposée par Vichy, et en partie adaptée à la couleur marocaine par plusieurs dahirs successifs25.

33Ronéotée par l’Institut des hautes études marocaines, la « Notice individuelle » pour 1941-1942 en porte témoignage. Un grand pavé concerne les « Renseignements à fournir au regard de l’admission des étudiants juifs », suivi, pour tous, d’une deuxième série de rubriques au sujet des « Ascendants de l’étudiant26 ».

34Dans cet environnement, André de Laubadère, juriste publiciste, est porté à la direction du CEJ suivant les modalités de la loi du 18 février 194227. Mais la fortune des armes l’arrache à sa brève présence effective. À peine avait-il siégé au jury organisé en juin 1942 comme le prévoyait la loi, que le débarquement anglo-américain fit de lui un officier d’active, cela jusqu’à sa démobilisation après la capitulation allemande. Il fallut donc, comme en 1939, un intérim : il fut assuré par Jacques Caillé, en charge au CEJ des voies d’exécution28.

35Le retour à la paix est aussi celui d’André de Laubadère, avec la bénédiction de la tutelle toulousaine. Il publie en 1949 à la LGDJ Les réformes des pouvoirs publics au Maroc : le gouvernement, l’administration, la justice. Théorie et pratique marocaines.

36La carrière métropolitaine de André de Laubadère reprend à l’automne 1951. Devenu quelques années plus tôt maître de conférences au CEJ, Jacques Caillé retrouvait le rôle de directeur intérimaire qui fut le sien à la fin de la guerre. C’est dans ce contexte que l’affaire Héraud secoue le monde encore feutré de deux des facultés tutrices, Toulouse et Bordeaux.

37Guy Héraud reste en charge de 1952 à 1955, relayé alors pour une très brève période intérimaire, 1955-1956, par le professeur Page, agrégé d’économie politique.

38Investi quelques mois plus tard, Daniel Veaux, privatiste, porte sur ses épaules l’époque de la transition entre le CEJ, et sa transformation en université marocaine29. Il sera le premier doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat.

Centre d’Étude Juridiques de Rabat Candidatures à la session normale du mois de juin. Étudiants ayant opté pour l’inscription en capacité et licence en droit à Toulouse

LES ÉTUDIANTS

39Une quasi-constante : le CEJ n’accueille à l’origine qu’une clientèle très largement masculine, et originaire d’Europe, même si cette origine peut être plurielle, fils de colons, fonctionnaires civils que les hasards d’une nomination ont affecté dans le Protectorat, militaires que leur affectation a jetés sur les terres marocaines. Paul Ourliac le relève parfaitement, « les étudiants autochtones sont peu nombreux »30.

40Entendons par là les musulmans, et les juifs marocains, auquel le droit du moment accorde un statut particulier. « Les rares étudiants algériens sont comptés parmi les européens », comme le relève le rapport de la session des examens de 1957. Effet dérivé de la guerre d’Algérie, et de la promotion soudaine des sujets français.

41Au-delà, les procès-verbaux des jurys tenus à Rabat, et les rapports échangés entre le CEJ et les tutrices, permettent de donner ordres de grandeur et répartition : le Bilan 1945-1950 en laisse une matière éclairante. Le CEJ compte 450 inscrits en licence et capacité en novembre 1944 ; 835 en 1945, « caractère de crise des très gros effectifs d’étudiants au lendemain de la guerre31 » ; 792 en 1946 ; 778 en 1947 ; 855 en 1948 ; 868 en 1949, alors qu’à la même période les sciences regroupent de 150 à 200 inscrits, et les lettres de 200 à 250. Chacun s’accorde à estimer à environ 30 à 32 % le niveau de succès des Français, et 25 celui des musulmans (indiqués comme tels, sans que rien soit précisé, lapsus calami ou non, relatif aux juifs marocains32).

42L’affirmation de Paul Ourliac sur la rareté des autochtones est confirmée par les statistiques. Force est de constater que le vivier de bacheliers indigènes est faible. Le Bilan compte 10 bacheliers musulmans en 1945, et 45 en 1950. De la sorte, 7 musulmans sont inscrits en première année de licence en 1944-1945 ; mais 31 en 1948-1949, et 39 l’année suivante.

43Bien sûr, on imagine que dans un avenir certain mais lointain, la proportion entre les « Européens », et les autres, serait inversée. La fin du Protectorat venue, le Rapport du doyen Garrigou-Lagrange présente le bilan de la session de juin 1956. Le temps ne semble pas encore venu de l’université marocaine. Pourtant, il est là.

LES COURS ET TRAVAUX DIRIGÉS

44D’emblée, il faut préciser, loin de nos canons actuels, que l’adaptation au milieu, que le regard différencié, infléchi par la distance et les situations d’un terrain tellement différent de celui de la Métropole, sont longtemps parfaitement absents. L’essentiel, dans les études en droit, est de dupliquer au plus près ce qui se fait outre-Méditerranée, ou à Alger (d’ailleurs, il existe bien au Maroc les antiques structures qui continuent à diffuser les savoirs traditionnels).

45Il faut attendre la toute fin du Protectorat pour voir s’infléchir la pratique. Certes, un arrêté du 3 novembre 1950 donnait le cadre d’un certificat de droit et des coutumes d’outre-mer ; mais la dépêche ministérielle du 18 septembre 1953 ferme bien une époque : au Maroc, il faut désormais adapter l’enseignement du droit aux conditions locales.

46Doivent être mis sur pied des enseignements en droit public marocain, économie marocaine, et droit musulman. À Toulouse, l’assemblée de la faculté de droit ne manque pas de relever que le certificat d’études juridiques nord-africaines mis en place à la faculté atteste des préoccupations de l’établissement. Mais la transcription à Rabat s’y fait de manière lente, à travers un cours d’option de troisième année de licence (qui n’est même pas proposé à Casablanca, l’autre site d’enseignement). Comme de coutume, le brevet d’études juridiques et administratives marocaines préparé à Rabat et Casablanca, où le programme est dupliqué par des intervenants souvent identiques à ceux de Rabat, rassemble de tels éléments (législation civile, droit public, économie, finances, le tout marocains…), mais il s’agit d’un diplôme extérieur à la sphère française. On est très en deçà des demandes précises faites à ce sujet par le directeur de l’Instruction publique au Maroc au doyen de la faculté de droit de Toulouse (3 novembre 1955)33.

47Les cours magistraux sont assurés majoritairement sous forme de missions venues des trois tutrices (Alger, Bordeaux, Toulouse) à part l’interruption due à la guerre pour Bordeaux, et Toulouse à partir de 1942. Les personnalités de la place, magistrats surtout, sont très présentes jusqu’au début des années 1950, comme Pierre Léris, qui fut même en charge de la direction intérimaire du CEJ. Les cours sont de plus en plus faits par les jeunes professeurs agrégés, dans le cadre des dispositions, d’abord budgétaires, prises à partir de 1951-195234.

48Il existe un différentiel très fort entre inscrits administratifs et pédagogiques, et inscrits à l’examen, surtout en première année de licence et de capacité ; un taux de 40 % de diminution n’est pas rare, expliqué par le désir d’obtenir tel ou tel avantage lié au statut étudiant du moment.

49S’agissant des travaux dirigés, sont dispensés d’emblée d’assiduité tous les étudiants ne résidant ni à Rabat, ni à Casablanca35. Pour les autres, l’assiduité est obligatoire, sauf impérieuses raisons. Des exercices sont organisés de manière hebdomadaire à partir du début du mois de décembre. On s’accorde à dire que cette cote mal taillée est peu satisfaisante.

50Les tutrices avaient exercé pendant trente ans leur emprise sur le CEJ de Rabat.

51S’agissant de Toulouse, les documents montrent tous que la page était tournée, et la cause entendue, dès la mise en place de la faculté marocaine lors de l’indépendance. D’ailleurs, on s’était fort peu soucié depuis Toulouse des heurts et mutations connus par le Maroc des années de l’après-guerre, la déposition du sultan en 1953, les manifestations violentes secouant les villes marocaines, à Casablanca en décembre 1952, ailleurs en août 1955. La réflexion sur les lois fondamentales de la Couronne, la théorie de l’État, la souveraineté, s’appliquait sur un autre espace.

52Autre environnement, autre logique, autre monde universitaire : les affaires courantes sont expédiées, sans enthousiasme, tant que dure, jusqu’en 1960, la transition vers l’université marocaine.

53Les partenariats fructueux tissés avec l’université marocaine d’aujourd’hui sont une autre naissance, sans lien direct avec le CEJ, base historique.