Les bruits publics, voix de la connaissance
p. 181
Texte intégral
1À suivre pas à pas, sans se méfier, les bruits publics pour en cerner la phénoménologie, pour rappeler les temps forts de leur histoire thématique et tenter de mettre à jour les mécanismes premiers de leur fabrique littéraire, on risque d’oublier que les voies empruntées par les rumeurs et les renommées étudiées sont rarement pavées d’intentions innocentes. Un travail de distanciation critique mené sur les sources qui les rapportent semble nécessaire pour rappeler que leur histoire s’écrit à l’encre des rivalités.
2Média convoité et disputé, les bruits publics assurent à celui qui les détient ou qui sait les manipuler un gain d’autorité considérable. Arme précieuse pour qui utilise à son profit les garants assurant leur véracité, tels que l’inspiration divine, le témoignage oculaire et surtout la prééminence sociale ou intellectuelle, les bruits publics permettent de persuader. Armes à double tranchant pour qui cherche à se valoriser autant qu’à déprécier ses concurrents, les rumeurs sont régulièrement dégainées dans l’arène des rivalités politiques, sociales comme intellectuelles.
3Sur la scène politique, la manipulation des rumeurs, lorsqu’elle repose sur une mise en scène habile et sur une fine connaissance des bruits publics, permet autant de prendre le pouvoir, à l’image de Pisistrate dans l’Athènes de la fin de la période archaïque, que de faire vaciller des alliances, à l’instar des Corinthiens lors de la Guerre du Péloponnèse. Miroir des rapports sociaux, les bruits publics sont également mis au service des hommes de lettres. L’accès à la parole publique est strictement contrôlé dans leurs œuvres et reproduit, sur le mode de l’oralité, les hiérarchies sociales qui structurent les sociétés grecques. Aux poètes revient le soin de chanter les plus belles renommées dont la véracité est assurée par l’inspiration divine. À l’inverse, les acteurs déconsidérés par leurs défauts moraux et leur bassesse sociale, tels que les femmes, les enfants, les petits commerçants, les esclaves et même les devins, sont placés du côté des bruits mensongers ou calomnieux. Les débats intellectuels, littéraires comme historiographiques, n’hésitent pas enfin à puiser dans l’arsenal des bruits publics pour servir l’intérêt des parties concernées. Que le combat engage la vie de Socrate, victime de l’habileté de maîtres du vraisemblable, ou qu’il se joue à distance, entre poètes, historiens et orateurs, il alimente les débats sur la position à adopter face à la connaissance et à ses origines, interroge le rapport des Anciens à la vérité et questionne enfin leur conception de l’histoire.
4En naviguant ainsi entre histoire politique, histoire des représentations et histoire intellectuelle, on parviendra peut-être à mettre suffisamment à distance les sources littéraires pour comprendre que l’histoire des bruits publics permet autant d’apprécier leur nature profonde que d’observer les hommes de lettres qui ont choisi de les rapporter.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Bestiaire chrétien
L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (Ve-XIe siècles)
Jacques Voisenet
1994
La Gascogne toulousaine aux XIIe-XIIIe siècles
Une dynamique sociale et spatiale
Mireille Mousnier
1997
Que reste-t-il de l’éducation classique ?
Relire « le Marrou ». Histoire de l’éducation dans l’Antiquité
Jean-Marie Pailler et Pascal Payen (dir.)
2004
À la conquête des étangs
L’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (xiie - xve siècle)
Jean-Loup Abbé
2006
L’Espagne contemporaine et la question juive
Les fils renoués de la mémoire et de l’histoire
Danielle Rozenberg
2006
Une école sans Dieu ?
1880-1895. L'invention d'une morale laïque sous la IIIe République
Pierre Ognier
2008