Les voies de circulation du fait colonial dans un espace périphérique
p. 107-110
Texte intégral
1À l’image de la propagande coloniale, le deuxième empire colonial s’est surimposé, sans continuité apparente, à cette expérience coloniale algérienne en Corrèze et en Haute-Vienne. Cela tient en partie à sa nature différente qui a été une facette de l’impérialisme économique et s’est démarqué de la colonisation algérienne en souhaitant limiter les colonies de peuplement. Il s’en est aussi écarté dans son refus de transformer la colonisation en opération de bienfaisance. Enfin, un troisième caractère distingue plus radicalement les deux expériences : ce nouvel empire a en grande partie échappé au contrôle de l’État, qui a expérimenté à la fin du xixe siècle un partenariat privé/public, l’État abandonnant à des associations privées une partie de ses prérogatives, lors de la mise en œuvre de l’« état-réseau »1. Pour cette dernière raison, la discontinuité temporelle tiendrait ainsi au monopole des affaires coloniales exercé par les « capitalistes » privant ainsi le peuple/nation des bienfaits de la colonisation annoncés dans la doctrine ferryste. La dissociation des deux moments coloniaux est aussi gravée dans la mémoire culturelle qui s’est nourrie des études privilégiant la diffusion de l’« idée coloniale », définie comme une idéologie ou comme une conception des rapports coloniaux, qui s’ébauche entre le Second Empire et les débuts de la Troisième République2.
2L’accent a donc été mis sur les vecteurs de diffusion et le rôle des médias, ce qui nous permet de disposer d’études sur le rôle de la presse, de la littérature et celui des organes associés au Parti colonial, insistant sur le contenu de la propagande. Elles empruntent, consciemment ou non, à Louis Althusser la notion « d’appareil idéologique d’état »3 au service du lobby colonial et des intérêts d’une classe, celle des capitalistes et au service d’un projet politique, la domination de l’Occident. L’efficacité de la propagande coloniale y est imputée à la distorsion de l’idéologie4 ou au processus de légitimation5 ne relevant pas de facto de la coercition mais qui est supposée acquise du fait même de son existence et des moyens mis en œuvre. L’analyse du contenu de la propagande offre de son côté un corpus nourrissant l’« imaginaire » ou les croyances des destinataires, terme désignant une collectivité mais qui renvoie bien souvent à un destinataire idéal. Certes, ces études proposent un modèle d’intelligibilité du fait colonial mais elles font l’impasse sur les modalités matérielles de la diffusion de la propagande et sur sa réception. Or, l’espace limousin n’est pas un espace vierge sur lequel se serait diffusée la propagande coloniale, porteuse d’une idéologie qui n’est pas celle de la communauté.
3Ces considérations imposent par conséquent d’aborder la question de la diffusion de la presse dans l’espace local, d’un point de vue spatial mais aussi social et politique. Le rôle des relais exogènes et autochtones, ainsi que leur composition et leur production, complète l’étude du maillage culturel et politique. Ce dernier thème sera approfondi par l’étude du fonctionnement de deux vecteurs de l’information coloniale, la Société de géographie commerciale de Brive et la lecture, centrée sur leur insertion dans l’environnement socioculturel afin de comprendre leur réception par les organes locaux chargés de leur donner du sens, assurant ainsi l’enracinement des données exogènes.
Notes de bas de page
1 Pierre Rosanvallon, Le Modèle politique français…, op. cit.
2 Raoul Girardet, L’Idée coloniale en France…, op. cit.
3 Louis Althusser, Pour Marx, Maspéro, 1966.
4 Raoul Girardet, L’Idée coloniale en France…, op. cit.
5 Éric Savarèse, L’Ordre colonial et sa légitimation en France métropolitaine, op. cit.
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2008
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