La réception de l’opportunité algérienne dans le Limousin des années 1830-1920
p. 29-33
Texte intégral
1Il est en d’usage d’aborder la question des rapports de la Métropole avec l’Empire en débutant leur étude aux années 1870 c’est-à-dire avec le renouveau colonial provoqué par la défaite de Sedan suivi de la constitution du deuxième empire, éludant d’office l’expérience algérienne. Pour expliquer cette périodisation, on peut évoquer la singularité de la colonisation de l’Algérie placée dans une situation charnière entre les deux empires organisés selon des doctrines différentes : le mercantilisme pour l’ancien régime colonial et l’impérialisme1 pour le second. La singularité réside aussi dans le modèle de colonisation qu’elle a symbolisé, celle d’une colonisation officielle qui prend effet à partir de 1841 et celle d’une colonie de peuplement européen dont nous retraçons succinctement les étapes de la construction2.
2La vocation de l’Algérie à devenir une colonie de peuplement a suivi une période dite d’occupation restreinte comprise entre la prise d’Alger en 1830 et l’ordonnance de juillet 1834, acte de naissance des « possessions françaises d’Afrique du nord (ancienne régence d’Alger) ». Au cours de cette période, la Monarchie de Juillet, héritant d’une possession coloniale, a recherché une politique de colonisation. La résistance armée de l’émir Abd el-Kader jusqu’en 1837 (Traité de Tafna) et la guerre entre 1840 à 1847, retardèrent l’implantation française. Malgré le caractère anarchique3 de la colonisation et l’incertitude militaire, des expériences de colonisation agricole, devenue officielle à partir de l’arrêté du 18 avril 1841, ont vu le jour mettant en place le régime de concessions des terres à vocation peuplante. L’Algérie, de 1848 au règne de Napoléon III, se transforma ensuite en laboratoire colonial : elle devient partie intégrante de la France, expérimente à travers les colonies agricoles (septembre 1848) l’état-providence ; terre de transportation des opposants politiques, elle est aussi un terrain d’application des principes saint-simoniens, de la colonisation capitaliste et de la mise en œuvre de la politique de cantonnement des populations. La Troisième République modifie le statut de la colonie en mettant fin au « régime du sabre » et en consacrant l’assimilation de l’Algérie à la France, mais sans que soit amélioré le sort des populations musulmanes. Ainsi la colonie doit-elle à nouveau affronter des révoltes des populations musulmanes dont celle des Kabyles en 1871 à la suite de laquelle l’autorité coloniale séquestre leurs terres, concédées aux colons attirés par le nouveau régime de concession4 dans le cadre de la colonisation officielle. Cette dernière est facilitée par les lois destinées à créer un marché foncier (loi Warnier de 1873 et celle de 1887). La division de l’espace politique en communes mixtes et de plein exercice, la mise en place du régime de l’indigénat en 1881 et l’assimilation judiciaire consacrent la francisation de l’Algérie. Si la loyauté des Algériens pendant le premier conflit estompe le souvenir des émeutes récentes (celle du village de Margueritte en 1901 par exemple), le contact avec le monde non colonisé provoque une prise de conscience chez les combattants indigènes qui trouvent dans le wilsonisme un argumentaire en faveur de leur émancipation. Dans l’immédiat après-guerre, des mesures fiscales et politiques semblent pencher vers une assimilation qui ne satisfait pas les nationalistes, divisés sur leur identité politique. La célébration du centenaire de l’Algérie donne l’illusion du triomphe d’une Algérie française, illusion que ne partagent pas quelques observateurs qui s’interrogent sur le devenir de cette colonie à la veille du second conflit.
3C’est donc son statut de colonie de peuplement qui fait de la colonisation de l’Algérie un des rares lieux d’observation d’une pratique « coloniale », commune à un effectif non négligeable de la population française5. Cet exemple peut ainsi contribuer à mesurer l’« effet colonial » sur la population, témoignant de l’efficacité d’une propagande, d’une idéologie ou d’un imaginaire colonial. Néanmoins, le parti pris de postuler l’idiosyncrasie de la migration vers l’Algérie, parce qu’elle est associée à la colonisation, court le risque de faire abstraction du contexte de mobilité accélérée – interne et internationale6 –, dans lequel elle s’est réalisée.
4On assiste en effet, de manière concomitante, au développement d’un mouvement migratoire interne de grande ampleur, concernant 40 % des conscrits entre 1845 et 1849 pour la Haute-Vienne et 17,4 %7 pour la Corrèze, mouvement qui se prolonge jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. On enregistre, de 1830 à 1939, des pics du solde migratoire, plus marqués en Corrèze : -12 175 entre 1851/1856, -11 919 entre 1891/1896, -12 956 entre 1906/1911. C’est donc dans une campagne qui « bouge » que vient prendre place la migration vers l’Algérie.
5En conséquence, l’adoption du seul paradigme colonial aurait signifié l’exclusion des dynamiques sociales accompagnant la mutation des campagnes8 sous l’effet de la mise en place, lente certes, d’une agriculture de marché durant les xixe et xxe siècles. Cette démarche aurait, par la même occasion, avalisé la perception d’extraterritorialité et d’ex-territorialité du fait colonial, niant le rôle des migrants, acteurs pourtant issus de ce contexte, en reproduisant les stéréotypes véhiculés par les écrits coloniaux au risque d’essentialiser le « colon algérien ».
6C’est donc à partir des demandes de passages gratuits et de concessions déposées par les postulants dans le cadre de la colonisation officielle qu’a été repris le chantier de la colonisation de l’Algérie, faisant émerger d’autres facettes de la colonisation, telle la demande d’état, restée latente dans la plupart des études.
Notes de bas de page
1 Claude Liauzu, Colonisation, droit d’inventaire, Armand Colin, 2004, p. 22.
2 Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, de l’insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération (1954), PUF, 1979 ; Charles-André Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 1 La Conquête et les débuts de la colonisation (1827-1871), PUF, 1979 ; Rivet, Daniel, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette, Coll. « Hachette Littératures », 2002.
3 Charles-André Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 106.
4 La nouvelle réglementation est étudiée plus loin.
5 En effet, dans son ouvrage, Le Peuple algérien, Essais de démographie algérienne (Alger, Impr. algérienne, 1906), Victor Demontès indique la présence en Algérie, en 1896, de 1518 Français nés en Corrèze et de 727 originaires de Haute-Vienne, ce qui représente pour la Corrèze, 1,12 % de la population française installée en Algérie. Les pourcentages peuvent être considérés comme dérisoires mais la part des Corréziens dans la population française d’Algérie classe la Corrèze au 30e rang des départements métropolitains, les Corses composant 5,39 % de la population et les originaires de l’Isère (département grand pourvoyeur de colons), 2,16 % de celle-ci.
6 Congrès international de l’intervention des pouvoirs publics dans l’émigration et l’immigration à Paris les 12, 13 et 14 août 1889, Bibliothèque des Annales économiques, Société des études scientifiques, 1890, cité par Nancy L. Green, Repenser les migrations, PUF, 2002, p. 82.
7 1 887 migrants sur 4 599 conscrits ; 490 migrants pour 2 806 conscrits, Alain Corbin, Archaïsme et Modernité en Limousin…, op. cit., tableau VII, p. 1024.
8 Paul-André Rosental, Les Sentiers invisibles, espaces, familles et migrations dans la France du xixe siècle, EHESS, 1999, p. 35.
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