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Chapitre 8. « Très haut et très puissant seigneur » en Gascogne
p. 169-194
Texte intégral
1Après avoir quitté Saint-Domingue en 1775 après un séjour exceptionnel de six ans, Louis-Pantaléon de Noé retrouve donc l’Europe où il a déjà passé la plus grande partie de son existence. Il se marie à L’Isle-de-Noé, fait du château familial sa demeure principale et a une haute idée de son rôle de seigneur haut justicier. Il vit donc comme un « très haut et très puissant seigneur », selon la formule consacrée. Mais l’évolution de la situation nationale et internationale ne l’affranchit pas pour autant des questions relatives à Saint-Domingue, bien au contraire : il les suit d’un œil particulièrement attentif.
2On perçoit mieux, chemin faisant, les aspects contrastés de la vie d’un propriétaire absentéiste dont l’existence se partage entre les exigences de la vie sociale métropolitaine et la nécessité, surtout en des temps troublés, de maintenir des liens avec les réalités de l’outre-mer.
RÉUNIR DEUX BRANCHES
Le mariage à L’Isle-de-Noé
3Dans l’après-midi du 24 janvier 1776, au château de L’Isle-de-Noé, le comte Louis-Pantaléon de Noé et sa cousine au second degré Charlotte-Louise-Pétronille de Noé signent leur contrat de mariage1 devant de nombreux témoins (une vingtaine de signatures apparaissent dans l’acte). Quinze jours plus tard, le 10 février 1776, la cérémonie religieuse se tient dans la petite église du village, étape des pèlerins sur le chemin de Compostelle, sise à quelques pas du château près du vieux pont qui enjambe la Baïse.
4Louis-Pantaléon de Noé vient d’avoir 47 ans ; il est temps pour lui de s’établir matrimonialement et d’assurer sa descendance. Charlotte-Louise-Pétronille de Noé est de 21 ans sa cadette. Elle est déjà veuve, sans enfants, de Jean-Paul-Henri d’Escodéca, marquis de Boisse, « page de la petite écurie du roi2 », et se remarie donc à l’âge de 26 ans. Le mariage est arrangé, on s’en doute, mais l’on ignore tout des tractations ; il présente l’avantage d’espérer que se relève « une maison qui allait s’éteindre3 », comme le fait remarquer Bayon de Libertat. Le chef de la branche aînée des Noé, le marquis Jacques-Roger de Noé, s’était probablement résigné à faire le deuil de la transmission de son nom, car il n’avait que deux filles, Charlotte et Marie-Angélique, mariées à de grands noms de Gascogne (Escodéca et Barbotan). L’existence de ce vieux célibataire de la branche cadette et l’opportun veuvage d’une représentante de la branche aînée arrangent donc bien des choses.
5Au moment du mariage, celui qui veille sur la seigneurie est le marquis Jacques-Roger de Noé. À 60 ans – il est né en 1716 –, il coule des jours paisibles en Gascogne après une longue carrière militaire (colonel du régiment Orléans-cavalerie et maréchal de camp en 1770)4. Il est le fils aîné de Marc-Roger, marquis de Noé, et de Charlotte-Marguerite Colbert de Saint-Mars, cousine au second degré de Jean-Baptiste Colbert, le célèbre contrôleur général des finances de Louis XIV5. De façon épisodique, le marquis Jacques-Roger de Noé reçoit la visite de ses frères, Marc-Antoine, évêque de Lescar, et Louis, vicomte de Noé. Bref, comme tous les aristocrates de leur rang, les Noé cultivent le souci des grandes alliances et le prestige des noms.
6Jacques-Roger de Noé est veuf depuis 1774. Quand, en maître de maison, il accueille les invités à la noce, il leur ouvre les portes d’un château achevé depuis une vingtaine d’années. Adossé au village et donnant sur un parc de douze hectares, le corps de logis principal du château de L’Isle-de-Noé s’étire sur une longueur de 62 m et une largeur de 12 m avec, au centre et sur ses deux faces, un imposant escalier double. Il s’agit d’une chartreuse, bâtiment dont le rez-de-chaussée est occupé par les écuries et les magasins, la partie habitée se trouvant aux deux étages supérieurs pour éviter toute inondation en cas de crue soudaine de la Baïse. Crépi d’un enduit de grès bistre, coiffé dans sa partie centrale d’une toiture d’ardoises en coque de bateau renversé, épaulé de chaque côté par des toitures de tuiles, l’ensemble a fière allure. Probablement achevé en 1756, comme l’invite à penser la date gravée sur la clé de voûte d’un passage entre le parc et la cour d’honneur en hémicycle, le château est l’œuvre de Pierre Racine6, architecte normand qui a déjà conçu dans la région la Tannerie royale de Lectoure, en 1754. Si l’édifice a fière allure, il ne reste en revanche plus grand-chose de l’antique château médiéval, jadis érigé au centre du village. On est en droit de penser que la construction de ce château résidentiel a coûté une belle fortune aux Noé. C’est dans cet élégant décor que Louis-Pantaléon commence sa vie de châtelain et fréquente sa famille collatérale.

« Litho de A. Genest d’après Jolimont, « L’Île de Noé » origine des œuvres : Toulouse, musée Paul-Dupuy
7Sa vie n’a rien à voir avec la caricature du seigneur gascon hâbleur et fantasque qu’une vigoureuse littérature a popularisée. Nous avons affaire à un gentilhomme ayant du bien aux îles et qui, retiré après de longues années de service armé, a le souci de son nom, de son rang et de ses responsabilités. Parmi les signatures des témoins de mariage, on relève les noms de parents et alliés qui témoignent des liens entretenus par les Noé avec d’autres grands personnages de Gascogne. On retient ainsi le nom de Luppé, une grande famille alliée7 ; très proche aussi, la famille de Barbotan8 et celle de Viella9. À propos de cette famille, on sait par les lettres de Bayon de Libertat au comte de Noé, que ses deux neveux Viella, officiers de passage à Saint-Domingue en août 1780 puis en mai 1782, profitent de cette escale exotique pour visiter les Manquets, ainsi que les habitations Bréda.
8Les clauses du contrat sont relativement simples : moyennant une réserve disponible de 40 000 livres, le comte obtient la jouissance du logement « pour lui, ses gens et ses chevaux10 » sur les terres des Noé, et l’usufruit de la seigneurie d’Estancarbon. Le marquis Jacques-Roger de Noé fait de sa fille Charlotte l’héritière des terres et titres venant des Noé (de ses dettes aussi), lesquels constituent sa dot. Sa seconde fille, Marie-Angélique, comtesse de Barbotan, renonce à toute prétention moyennant une pension de 2 000 livres et une somme de 220 000 livres de dédommagement, à percevoir à la mort du marquis. Par ailleurs, le comte Louis-Pantaléon de Noé s’engage à payer 25 000 livres à la tante de son épouse, la demoiselle Jeanne-Louise de Noé.
9Dans la corbeille de mariage, Charlotte de Noé amène donc les biens des Noé en France, dont elle devient unique propriétaire ; le comte apportant ses biens antillais. Il peut devenir propriétaire attitré des biens de son épouse, en cas de décès prématuré de celle-ci, et peut en jouir tout comme son épouse. Enfin, d’autres clauses assurent une somme confortable au dernier des vivants, ainsi que la moitié de la communauté des biens à l’un des enfants à venir – il s’agit en effet de ne pas trop disperser le patrimoine, dont il faut assurer la transmission.
Assurer la descendance
10Le mariage de Louis-Pantaléon et de Charlotte de Noé se révèle fécond. Marié sur le tard, le comte apporte du sang neuf à une famille vieillissante. En moins d’une décennie, six enfants viables – trois garçons et trois filles – naissent au château et sont baptisés dans la petite église du village : Jacques-Roger-Marie-Léon (baptisé le 17 novembre 1776) ; Louis-Pantaléon-Jude-Amédée (baptisé le 28 octobre 1777) ; Louise-Angélique-Charlotte (baptisée le 8 février 1779) ; François-Louis-Édouard (baptisé le 2 mars 1780) ; Gabrielle-Marquette-Antoinette-Nicolaïne (baptisée le 6 novembre 1782) ; Élisabeth-Henriette-Marie (baptisée le 5 novembre 1783). Le contrat moral est donc dûment rempli, et même plus : à une époque où la noblesse gasconne tend déjà à réduire sa progéniture, Noé se distingue par une descendance nombreuse.
LE CADRE SEIGNEURIAL
11Au xviiie siècle, la seigneurie peut se définir comme « une terre dont la possession s’accompagnait d’une délégation de puissance publique et conférait au propriétaire une dignité particulière11 ». Bien des choses ont évolué depuis le Moyen Âge dans la réciprocité des engagements entre maîtres et sujets et continuaient encore d’évoluer, si bien que « les seigneuries au début des Temps Modernes jusqu’aux guerres de Religion conservaient beaucoup de caractères anciens, dans un cadre juridique très libéral ; les seigneuries des décennies suivantes, après la réfection du terrier royal surtout, se trouvèrent liées par un régime plus uniforme et plus contraignant. En même temps, dans ces dernières décades de l’Ancien Régime, se développaient de nouvelles techniques de gestion. Il est donc bien difficile de faire de la seigneurie une description dans laquelle se reconnaîtraient toutes les seigneuries du royaume au long des trois siècles [de l’Ancien Régime]12. »
12Dans le cas de l’Isle-de-Noé, la trace la plus ancienne de relations entre le seigneur et ses sujets remonte au 9 mars 1308, quand Hugues d’Arbeyssan officialise la charte des coutumes de L’Isle d’Arbeyssan13, premier nom de la localité14. Cette charte de coutumes ne diffère pas des documents du même type concédés à l’époque. Le cadre général suit un modèle classique : le seigneur confie la bonne administration de sa seigneurie à un bayle, officier chargé de défendre les intérêts du maître, tandis que la communauté d’habitants se fait représenter par trois consuls qu’elle propose et que le seigneur nomme.
13Les nouvelles règles régissant la seigneurie sont donc couchées par écrit au début du xive siècle. Les seigneurs de L’Isle imposent à la communauté un service armé (ost et chevauchée) en cas de danger. Ils prélèvent divers droits de nature économique, comme le banvin (localement appelé maihenca, stipulant qu’au mois de mai il n’y a pas de commerce de vin autre que celui du seigneur) ou les banalités (obligation d’utiliser le moulin ou le four du seigneur), le contrôle de la qualité du pain fait par le boulanger ou de la viande vendue par le boucher, la répression des faux poids et mesures ou l’utilisation et l’entretien des chemins publics. En matière de justice est rappelé le rôle fondamental du bayle pour toute procédure, ainsi que le détail de certaines peines et amendes, en cas de menaces avec armes, de coups et blessures, d’effusion de sang ou d’adultère. La propriété du sol doit être clairement identifiée, afin de distinguer la réserve seigneuriale proprement dite des tenures roturières (soumises à un cens annuel) et des alleux (terres sans seigneur, libres de taxes). Par ailleurs, la charte médiévale égrène un chapelet de redevances et impôts en nature – froment ou avoine – ou en argent – en monnaie béarnaise de Morlaas –, sans oublier les corvées. Enfin, des usages communaux sont réglementés comme celui de chasse et de pêche (alors possibles pour les habitants) ou de pâturage15.
14Deux siècles et demi plus tard, en 1564, la famille de Noé devient héritière de tous les biens des barons d’Arbeyssan. Deux frères, Roger et Bernard de Noé, se présentent aux habitants du lieu pour prendre possession de leurs nouvelles terres et renouveler le serment de fidélité réciproque, engagement consigné devant notaire, le 9 novembre 156416. En fait, ce document ne modifie rien aux coutumes de 1308 et se contente d’officialiser le changement de famille seigneuriale. Mais, cette nouvelle prestation de serment – connue par la copie que, le 10 août 1767, le marquis Jacques-Roger de Noé demande au notaire mirandais, dépositaire de la minute originale – est révélatrice d’un mouvement plus général. En plein xviiie siècle, soit deux siècles après ce renouvellement d’engagement mutuel – justice et protection de la part du seigneur, service et obéissance de la part des sujets –, le marquis de Noé en recherche les termes précis, à un moment où les seigneurs regardent attentivement les droits dont ils se prévalent. Un tel état d’esprit est de mise chez les Noé, comme ailleurs en Gascogne. Revenu sur le domaine familial et assumant désormais le rôle de seigneur local (même si la propriété en titre en demeure toujours à la comtesse son épouse), le comte Louis-Pantaléon de Noé entend exercer son autorité avec un soin pointilleux. Cette grande famille « de noblesse immémoriale » veille strictement au respect de ses droits seigneuriaux (justice seigneuriale et ses prérogatives, droits économiques et droits sur les terres et eaux) comme de ses droits féodaux (hommage et propriété de la terre).
Une famille imbue de sa position
15Avant la Révolution et jusqu’en 1790, le moindre acte notarié que passe le comte de Noé mentionne ses titres et qualités : « très haut et très puissant seigneur », « maréchal des camps et armées du Roi » (à partir de 1780), « chanoine honoraire de l’église métropolitaine d’Auch », « baron de Isle » (de Noé), « vicomte d’Estancarbon » (en Comminges, non loin de Saint-Gaudens), « seigneur de Castelnau d’Arbieu, Magnas, Urdens [localités non loin de Fleurance] et autres places » ; sans oublier le titre de « baron d’Antin », à partir de 1787. À cette déclinaison correspondent des biens fonciers : la baronnie de L’Isle d’Arbéchan (qui prend le nom d’Isle-de-Noé au début du xviie siècle) constituée de L’Isle, Mouchès, Castagnère, Saubagnan ; le vicomté d’Estancarbon en Comminges ; et quelques « autres places » – une poignée de terres autour de Fleurance. Les possessions du comte s’arrondissent encore, en mars 1787, de l’ancien duché-pairie d’Antin17 : devant Me Maigret, notaire au Châtelet de Paris, les Noé achètent la terre d’Antin « pour 420 000 livres de prix principal et 10 000 livres de pot-de-vin, laquelle dernière somme a été présentement payée par le comte de Noé. La somme principale est à payer en trois termes égaux18 ». Cette acquisition n’a rien d’insolite dans le contexte de l’époque. À partir du moment où la terre est d’abord considérée comme un placement de rapport, il n’est guère surprenant de constater qu’elle soit recherchée par des nobles ou des roturiers en quête de rentabilité maximale, le principe étant que « le rentier du sol, le “bailleur”, retient sur son “preneur” (appelé çà et là fermier, miège, métayer, bordier, closier, etc.) une part de revenu qui est censée rémunérer son capital foncier19 ».
16Le rachat de la baronnie d’Antin par les Noé est donc une décision motivée par le souhait d’élargir le futur patrimoine des six enfants du couple et d’étoffer leurs revenus. Cette acquisition montre aussi que la santé financière de la famille est globalement meilleure ou qu’ils misent sur de confortables rentrées de fonds provenant de Saint-Domingue pour honorer leurs traites. Mais à deux ans de la Révolution, les Noé – comme bien d’autres – sont loin de mesurer l’ampleur des changements à venir. La famille veille sur ses droits et entend les faire respecter, y compris les droits seigneuriaux dont les décrets consécutifs à l’abolition des privilèges du 4 août 1789 précisent qu’ils n’existent plus, mais qu’ils sont rachetables (c’est-à-dire payables pendant encore un an par les paysans). Ainsi, le 8 juillet 1791, alors qu’il se prépare à aller à Paris, le comte de Noé convoque-t-il son notaire, Me Tarrible, pour donner procuration à Joseph Agut-Lasserre, « homme de loi demeurant à Montesquiou » et exerçant la fonction de juge pour la baronnie de L’Isle. Il lui demande de « liquider de gré à gré ou juridiquement les anciens censitaires ou emphytéotes [bailleurs à très long terme], le prix du rachat des droits ci-devant féodaux qui pourraient lui être offerts ainsi que l’indemnité des dîmes inféodées à lui dues conformément aux lois à ce relatives ». Si, depuis 1790, Louis-Pantaléon de Noé n’étale plus ses titres, jusqu’au bout il en exige le dû.
17L’affaire de la sénéchaussée des Quatre-Vallées est également éclairante. Jacques-Roger, marquis de Noé, baron de L’Isle, a succédé à son père dans la charge essentiellement honorifique de sénéchal des Quatre-Vallées, ces petits « pays » pyrénéens (Aure, Barousse, Neste, Magnoac, vallée d’Arreau à Saint-Lary) où il n’y a jamais eu de baillage ni de sénéchaussée en propre, et dont le contrôle administratif réel est du ressort de la généralité d’Auch. En 1757, le titre est passé au vicomte Louis de Noé qui se pique de vouloir être nommé président des États des Vallées. Le cahier de doléances de la noblesse de la sénéchaussée d’Auch rédigé le 20 mars 1789, sous l’influence du marquis de Noé, demande dans son article 38 que la noblesse des Quatre-Vallées puisse siéger en une entité propre. Il réclame également le retour de la fonction de sénéchal au vicomte de Noé, remplacé par une décision royale de 1765 qui nomme le marquis de Faudoas gouverneur du pays. Si l’on en juge à ses prétentions relatives aux Quatre-Vallées, le vicomte de Noé tient à ses prérogatives, fussent-elles insignifiantes. Peut-on cependant introduire un bémol du fait qu’il est de longue date chambellan du duc d’Orléans et se frotte donc aux idées nouvelles dont se pique le duc, futur Philippe-Égalité ? Le contexte général plaide plutôt pour un conservatisme étroit20.
18À cela s’ajoute le fait que les Noé entretiennent des relations avec des Grands du royaume et ont leurs entrées à la Cour. On connaît les liens très étroits qui unissent le nom de Noé à celui de Polastron et, par ricochet, aux Polignac. Or la fille aînée du comte de Polastron, Yolande-Gabrielle, est devenue duchesse de Polignac, gouvernante des Enfants de France et amie intime de Marie-Antoinette, le duc Jules de Polignac étant lui aussi dans les bonnes grâces de la reine. La jeune épouse de Denis-Gabriel-Adhémar de Polastron, neveu du comte de Noé, est quant à elle courtisée par le comte d’Artois, frère du roi21 – idylle que l’adversité va d’ailleurs renforcer. Quoi qu’il en soit, le nom de Polignac incarne, dans les dernières années de l’Ancien Régime, ces courtisans comblés de faveurs, considérés comme des parasites, des mauvais conseillers et des cibles de choix – aristocrates que, dans quelques années, certains voudront même pendre à la lanterne. Or, même s’ils ne sont pas à Versailles et ne croulent pas sous les pensions, les Noé se situent dans la mouvance des personnes bien nées, arc-boutées sur leurs privilèges, imbues de leurs titres et du culte de l’honneur. Ils appartiennent au « ghetto doré de la noblesse royale », pour reprendre l’expression de Guy Chaussinand-Nogaret22, cette aristocratie déconnectée des réalités, à mille lieues des soucis des petits nobles désargentés qui se sentent plus proches de leurs paysans que de ces grands noms. Cette noblesse peu éclairée ne mesure pas l’importance des revendications des membres les plus actifs du Tiers État, refuse toute remise en cause et ne compte guère – au contraire d’autres grandes familles – d’esprits favorables aux réformes radicales. Chez les Noé, c’est en vain que l’on chercherait un partisan de Mirabeau. On ne partage pas non plus les positions « d’Amis des Noirs », comme Condorcet ou Lafayette, favorables à l’abolition graduelle de l’esclavage. Comme bien d’autres, les Noé vont subir la Révolution et certainement pas l’anticiper, encore moins la faire, se contentant de l’accompagner du bout des lèvres en attendant des jours meilleurs.
LA PERPÉTUATION DES DIFFICULTÉS FINANCIÈRES
19La vie de châtelain imbu de ses droits et de ses prérogatives ne saurait cependant faire oublier l’envers du décor : des soucis financiers bien réels et non résolus. Le comte de Noé ne cesse de courir après l’argent, et pas seulement du fait de circonstances défavorables. Il est le premier responsable de la situation dans laquelle il se trouve et dont il a bien du mal à se dépêtrer.
Un imprévu préoccupant : la guerre d’Indépendance des États-Unis
20Le 4 juillet 1776, les Treize Colonies d’Amérique proclament leur indépendance envers le roi d’Angleterre et reçoivent assez vite l’appui des Espagnols, ainsi que le soutien du royaume de France, qui a une revanche à prendre sur Albion. Si elles sont indirectes, les conséquences du conflit n’en sont pas moins considérables pour Saint-Domingue, véritable base arrière des troupes françaises aux Amériques. Dans sa correspondance au comte de Noé, Bayon de Libertat se laisse aller à quelques considérations grinçantes sur le comportement de la marine française face aux Britanniques, mais l’essentiel est ailleurs, dans la forte perturbation de la navigation et du commerce résultant du conflit. Pour approvisionner la métropole en sucre, les producteurs de Saint-Domingue n’ont que deux solutions, que Bayon applique comme les autres : soit répartir les barriques dans le plus de bateaux français possibles, lesquels circulent en convoi sous protection militaire (lettre du 19 mai 1782), soit passer par des navires neutres, tant pour les marchandises que pour le courrier. Ainsi Bayon écrit-il « par voie de Hollande » (lettre du 2 décembre 1779) ou fait expédier des barriques sur un navire prussien et sur un navire flamand allant à Nantes (3 janvier 1783).
21Autres inconvénients : les réquisitions de main-d’œuvre servile destinées à renforcer les ouvrages de défense des côtes de Saint-Domingue se multiplient et perturbent la production sucrière. De plus, « les frais d’exploitation sont plus que doublés », comme l’indique le comte en ces temps perturbés23. Certes, le prix des denrées tropicales, sucre et café en tête, a aussi augmenté sur les marchés. Mais encore faut-il qu’elles se vendent, ce qui est loin d’être toujours le cas, car le problème de la navigation demeure préoccupant. Le comte de Noé finit même par subir une perte sèche de ses revenus car, se plaint-il, « les sucres qu’il avait chargés sur le navire Le Choiseul pour payer ses créanciers ont été pris par les Anglais » avant 177924. Cet avatar tombe bien mal. Du reste, durant tout le conflit (qui ne s’achève qu’en 1783), la navigation directe entre Saint-Domingue et la métropole continue d’être perturbée. Pour l’anecdote, signalons la plainte du négociant bordelais Bahn qui fait la déclaration de perte, le 11 février 1782, devant le notaire bordelais Barberet, d’un vaisseau chargé de riz et de farine, nommé Le comte de Noé, capturé par les Anglais ; on ne sait quand ni comment Louis-Pantaléon de Noé accepte que son nom soit donné à un navire. En attendant des jours meilleurs, le comte de Noé voit se manifester tous ses créanciers, alors que ses débiteurs ne sont guère enclins à payer rapidement.
Du courrier de Saint-Domingue
22La correspondance de Bayon de Libertat fait allusion çà et là aux dettes et créances du comte. Parmi les débiteurs, un M. Saint-Matthieu doit la somme considérable de 56 395 livres (au 10 mars 1781) ; s’agit-il du règlement de l’opération d’achat-vente de la première habitation Bayon que les cousins Noé et d’Héricourt ont faite en 1774 ? Une Mme de Sermet et un certain Fleury doivent eux aussi une grosse somme et traînent pour payer. Or ce Fleury décède en 1782, ce qui retarde encore le paiement25. On relève encore les noms du vicomte Hyacinthe-Louis de Choiseul (1722-1790), ancien commandant de la partie du nord de Saint-Domingue, de Matthieu de Najac d’Elpy, du capitaine de cavalerie Richard Dubuisson, du baron de Pur, du négociant Étienne Collot, des officiers devenus habitants, mais sans que la fortune ne leur sourie beaucoup, semble-t-il. Tous doivent de l’argent au comte et Bayon de Libertat n’annonce pas de nouvelles bien optimistes les concernant. Enfin, il faut ajouter les deux acheteurs insolvables des caféières du Port-Margot, Audigier et Bougeard, qui vont ajouter leur touche aux soucis financiers du comte de Noé. D’une manière générale, Bayon reproche au comte ses trop grands ménagements. Ainsi : « J’ai épuisé tout ce que je savais auprès de vos débiteurs, je n’ai rien pu obtenir d’eux par mes bons procédés, je vous dirai même que vous n’en aurez jamais rien si vous ne prenez pas une autre voie que celle que vous m’avez dit de faire jusqu’à présent » (lettre du 15 avril 1786). Il faut croire que Noé répugne à recourir au tribunal pour recouvrer son argent.
23Cela n’arrange pas sa situation, tandis que s’activent les créanciers, dont les noms reviennent de façon récurrente dans les correspondances, au gré des réclamations d’impayés. D’abord, il y a M. de La Foresterie26, à qui Bayon de Libertat a vraisemblablement acheté sa propre habitation du Limbé. Par un jeu courant de transfert de dettes, Bayon demande au comte de Noé – qui a acheté la première habitation de Bayon et l’a revendue entretemps, toutes ces opérations se faisant à crédit – de payer directement La Foresterie. C’est ainsi que le 12 mars 1780, le comte règle à La Foresterie, via Bayon, une traite de 68 500 livres et les intérêts de la traite suivante de 84 000 livres. Au 27 mai 1782, le comte doit encore 77 000 livres à La Foresterie.
24Vient ensuite le négociant nantais Lamaignière, associé à un certain Hamart et dont le correspondant au Cap-Français est la maison Guilbaud, Gerbier & Cie. Lamaignière a fait une avance substantielle au comte, mais n’en voit pas le retour. Le 27 mai 1782, Bayon écrit qu’il va essayer d’« apaiser ce créancier en lui donnant quelque chose de temps à autre », mais ce compte-gouttes n’a pas l’heur de plaire au Nantais. S’ajoutent aussi Alexis Mosneron de Launay qui attend avec une impatience certaine d’être payé de ses caféières du Port-Margot, le charpentier Verret (dont les travaux sur l’habitation des Manquets finissent par atteindre la coquette somme de 20 000 livres en 1787) ou ce capitaine Picard à qui le comte a fait une rente viagère de 11 000 livres (lettre de début 1784). Et peut-être y a-t-il d’autres créanciers encore, dont le nom nous échappe.
25Ces dettes vont courir longtemps, le comte de Noé ne sachant à certains moments comment s’en défaire. Comme si cela ne suffisait pas, à ces obligations vont s’ajouter de nouveaux problèmes : outre l’affaire Provoyeur27 gagnée par l’intéressé, deux autres contentieux surviennent en effet, lourds en conséquences financières. Le premier concerne « la nommée Françoise, fille naturelle à feu M. de Bonnefoy », c’est-à-dire une mulâtresse qui se trouve être une parente éloignée des Bréda et qui prétend donc, avec son frère, à une part dans la succession de Mme de Bréda, la grand-mère du comte de Noé, décédée en 1752. Elle « a obtenu un arrêt contre les héritiers de Mme de Bréda pour lui payer tant à elle qu’à son frère une somme de 10 000 livres à chacun, que leur père leur avait légué, cette femme a formé cette demande depuis trente ans28, de sorte que les intérêts se montent à deux fois autant que le capital et je n’ai jamais pu obtenir aucun rabais, il a fallu payer jusqu’au dernier sol », indique Bayon de Libertat (lettre du 11 août 1780). Sur les 30 696 livres dues à Françoise Bonnefoy, la contribution du comte de Noé se monte à 5 116 livres. Mais, « il reste encore à payer à Philippe Rétif, frère de cette Françoise et fils aîné de Bonnefoy à qui l’arrêt est commun, une somme de 10 000 livres » par les héritiers de Mme de Bréda. C’est une dépense dont les différents héritiers se seraient bien passés.
26L’autre affaire concerne le mulâtre François Bessière, affranchi par le chevalier d’Héricourt qui lui a fait, par testament, une rente viagère de 600 livres et le don de tout son linge de corps et de sa boîte d’or. Mais Bessière va se heurter à l’hostilité résolue de propriétaires peu enclins à satisfaire les volontés de leur défunt parent, jouant d’arguties et de manouvres dilatoires. Bessière gagne une première fois, mais ses adversaires obtiennent un arrêt de cassation (25 novembre 1785) ; ne s’avouant pas vaincu, il s’oppose à cet arrêt. Finalement, le 9 février 1790, le Conseil d’État du roi demande un complément d’instruction avant de statuer définitivement. On ignore la suite, la Révolution ayant brouillé les cartes.
27Au-delà du fond de ces différents contentieux, on remarque qu’ils opposent dans ces trois cas (Provoyeur, Bonnefoy, Bessière) des « libres de couleur » à des Blancs et que la justice donne raison aux premiers dans deux cas, attendant pour prendre une décision définitive dans le troisième. Ce point illustre l’importance croissante, dans la seconde moitié du xviiie siècle, de cette catégorie sociale qui, au sein de la société esclavagiste, pèse d’un poids de plus en plus lourd, s’oppose pied à pied à l’aristocratie de la blancheur et de la fortune et la contraint à dépenser pour se défendre.
Un manque chronique d’argent ?
28Il est difficile de connaître la situation financière du comte de Noé à cette époque. Ayant hérité des dettes de sa mère, il endosse aussi la part de sa sœur en devenant l’unique propriétaire de l’habitation Noé aux Manquets, comme on l’a vu. À ce fardeau déjà lourd s’ajoutent les engagements pris avec son cousin le chevalier d’Héricourt pour développer les Manquets (auprès du négociant Lamaignère et autres bailleurs de fonds ?). Sur ces entrefaites éclate la guerre d’Indépendance des Treize Colonies américaines. Comme l’indique le dossier qu’il constitue en 1779, la suite est éloquente : « Chargé de 500 000 livres de dettes de la succession de sa mère, il [le comte de Noé] en avait déjà payé pour 300 000 livres avant l’époque des hostilités, mais les revenus de son habitation qui se montaient en temps de paix à environ 200 000 livres par an ont été considérablement diminués soit par les entraves que la guerre fait au commerce des colonies, soit par l’emploi de ses nègres aux fortifications. D’un autre côté les frais d’exploitation sont plus que doublés29. » La capture d’un vaisseau chargé de sucre destiné à payer les créanciers n’arrange pas ses affaires et l’on comprend fort bien ses préoccupations.
29En l’absence de documents comptables précis, les actes notariés, croisés avec les lettres des négociants auquel le comte de Noé confie tour à tour ses intérêts et les missives de Bayon de Libertat, permettent de retracer les grandes lignes de la jonglerie financière à laquelle il se livre, et qui prend parfois des allures de fuite en avant. On relève au moins cinq emprunts d’importance entre 1776 et 178330, pour un total de 149 116 livres, une somme considérable utilisée à des dépenses d’urgence. Si l’examen précis se révèle fastidieux, la conclusion qui s’en dégage est claire : Louis-Pantaléon de Noé ne cesse de courir après l’argent, empruntant un jour à des familiers (Luppé de Besmaux, Polastron, Barbotan, l’évêque d’Auch) pour rembourser les dettes de la veille. Mais il ne saurait être question pour lui de ne pas tenir son rang en réduisant son train de vie.
30Bayon de Libertat compatit aux soucis du propriétaire absentéiste : « Je vous plains de tout mon cœur, Monsieur le comte, d’être dans une situation aussi désagréable, il serait temps pourtant que vous eussiez votre tranquillité, je conçois qu’avec vos embarras vous passez des jours amers, je voudrais par moi-même avoir les moyens de remettre le calme dans votre âme, qui doit être bien agitée, selon ce que vous m’en dites » (lettre du 8 octobre 1783). Mais le procureur lui déconseille de venir à Saint-Domingue, comme le comte l’envisage dans ce moment de forte gêne : « Que viendrez-vous faire, Monsieur le comte, dans ce pays-ci, si vous êtes dites-vous forcé d’y venir, pour fuir vos créanciers, vous n’y arrangerez certainement pas vos affaires, et qu’y trouverez-vous, peut-être la mort ? »
31Quand on a pour souci de fuir ses créanciers, c’est que la situation est délicate. Noé ne le fait pas, cependant. La promesse d’un ballon d’oxygène arrive quand, après le décès de son oncle Pantaléon II de Bréda en juillet 1786, il devient héritier pour un quart des habitations Bréda. Il confie alors au négociant bordelais Pierre Lardin ses intérêts dans cette succession moyennant une avance de trésorerie minimale garantie de 24 000 livres annuelles comme remise pour sa part dans les habitations Bréda31.
32Toutes ces péripéties peu agréables font comprendre l’intérêt du comte de Noé à ce que l’habitation des Manquets produise autant que faire se peut et coûte le moins cher possible. Cela expliquerait aussi, alors que le besoin d’augmenter l’effectif de l’atelier des Manquets et le nombre de mulets se fait de plus en plus sentir, alors que la superficie plantée en cannes augmente sans cesse, que Louis-Pantaléon de Noé freine ces dépenses, ayant des priorités plus urgentes à affronter. Sa méconnaissance des questions économiques et sa vision à court terme sont patentes, caractéristiques du milieu qu’il représente. On comprend aussi le regard particulièrement tatillon du comte envers le paiement des droits seigneuriaux en Gascogne, le moindre sou étant bon à prendre. Cet inconfort financier explique également qu’il ait envisagé de vendre les Manquets pour résorber une bonne fois pour toutes le lourd fardeau de l’endettement, se recentrer sur des biens en métropole et se débarrasser des problèmes liés à la succession d’Héricourt, pour ne garder à Saint-Domingue que sa part de l’héritage Bréda. Mais, progressivement, la santé financière du comte de Noé se rétablit, au point de pouvoir s’engager dans l’achat de la terre d’Antin en 1787 – à moins qu’il s’agisse aussi d’un pari risqué : compter sur les revenus de Saint-Domingue pour payer le solde.
33Enfin, le dernier élément relevé est la demande du comte au négociant Guilbaud de lui faire parvenir 500 portugaises (pièces d’or frappées à Bahia, au Brésil), soit l’équivalent de 22 000 livres tournois. Une habitude bien ancrée à Saint-Domingue est de thésauriser dans des jarres des monnaies d’or, pour les expédier en Europe par un convoi sûr jusqu’à Amsterdam, où s’effectue un change avantageux pour l’heureux possesseur. En l’occurrence, le négociant ne peut honorer la demande du comte car, comme il le lui écrit le 31 janvier 1791, « nous sommes [à Saint-Domingue] dans une pénurie incroyable d’espèces ». Pour Louis-Pantaléon de Noé, c’est encore un besoin de liquidités contrarié.
34Cependant, il y a toujours des négociants prêts à s’intéresser aux cas d’endettement, même critiques. Si le comte de Noé trouve des interlocuteurs pour ses affaires, c’est qu’il y a malgré tout, par un jeu du crédit et de paiements différés, moyen de faire du revenu et de reverser une pension au propriétaire. Bayon évoque des opportunités d’achat de terrains pour agrandir les Manquets. De façon sibylline, les correspondances de négociants félicitent Louis-Pantaléon de Noé pour ses acquisitions, comme Strafforello et Peragallo en 1783 ou encore Pierre Lardin qui, le 21 avril 1791, indique : « Je vous fais mon compliment sur l’acquisition que vous avez faite et celle que vous proposez de faire » – toutes opérations dont on ne sait rien (des terres ? des esclaves ?). Le rachat de la baronnie d’Antin déjà évoqué se fait sans doute à crédit. Mais une vie d’emprunts et de crédits remboursables à long terme n’est pas sans risques.
35On peut aussi être surpris de l’importance des remises garanties au comte (40 000 ou 50 000 livres annuelles) en pleine tempête, sommes considérables pour qui sait freiner ses dépenses, ce qui montre également que les négociants ont fondamentalement confiance dans la solidité des biens antillais de Noé. Mais le bénéficiaire a un caractère dépensier et cette façon de laisser filer l’argent semble bien être une constante. Pourtant, Bayon de Libertat lui a conseillé de ne pas être trop gourmand en ces temps difficiles : dans une lettre du 2 décembre 1779, il a suggéré au comte de se contenter de 30 000 livres de remise annuelle. Peine perdue. Si bien que, quelques années plus tard, le 13 décembre 1785, Bayon écrit à Pantaléon II de Bréda, en parlant du comte de Noé qui vient de faire un séjour à Paris : « Vous avez raison de dire qu’il sera toute sa vie un riche mal aisé, ceux qui reviennent de ce pays-ci [Paris] m’ont dit qu’il y a représenté d’une manière à y dépenser considérablement ». Et d’ajouter : « Je voudrais le voir riche, il en a le moyen s’il veut prendre garde à lui ». Riche et mal aisé : le vieil oncle a bien observé.
LA VIE QUOTIDIENNE À L’ISLE-DE-NOÉ
36Il n’a malheureusement pas été possible de retrouver des lettres, des mémoires ou tout autre document de caractère personnel qui puissent nous éclairer un tant soi peu sur les relations humaines et les sentiments de ceux qui habitent à l’époque le château de L’Isle-de-Noé. Ce n’est que de biais, par quelques éléments glanés à l’examen des documents notariés, du courrier ou de travaux spécialisés, que l’on peut tenter de dépeindre la vie qui anime le château durant les dernières années précédant la Révolution.
La vie au château
37Les nouveaux mariés ne sont pas les seuls à prendre résidence à l’Isle de Noé. L’ancien maître des lieux, le vieillissant marquis Jacques-Roger de Noé, a toujours ses appartements et son personnel au château. Vit également à demeure une sœur du marquis, restée célibataire, la demoiselle Jeanne-Louise de Noé, seigneuresse de Lamazère, localité à une lieue environ de L’Isle-de-Noé. De façon très épisodique, l’évêque de Lescar est de passage (il a une chambre attitrée), ainsi que le vicomte Louis de Noé, présent au moins fin 1789. Il faut signaler une autre résidente permanente, la marquise de Najac (la mère de Matthieu de Najac d’Elpy ?), assistée d’une domestique, Jeanne-Marie Étienne. Cette marquise de Najac décède au château le 7 février 1782, après un séjour de « quelques années32 ».
38La famille alliée est naturellement bienvenue. Parmi les parents du comte de Noé, lointains sur le plan généalogique mais géographiquement proches et souvent présents au château pour des réceptions, figurent le comte et la comtesse de Béon33. La légende veut que le comte et la comtesse de Béon forment alors le plus beau couple de Versailles, ce que le regard et les attentions du comte de Noé envers la comtesse semblent confirmer. Y aurait-il entre eux une proximité plus étroite que les quelques lieues séparant le château de L’Isle-de-Noé de celui de Lapalu34, où ils résident et où ils donnent des réceptions réputées ? On peut penser au moins à une sympathie réciproque entre un homme mûr et une dame encore dans l’éclat de sa jeunesse, relation que l’adversité va plus tard renforcer. Plus prosaïquement, la correspondance de Bayon de Libertat indique que le comte de Noé et la comtesse de Béon ont un projet d’affaire en commun à Saint-Domingue, mais faute d’autres sources, on ignore tout de ses tenants et de ses aboutissants. Enfin, relevons la présence, au moins pour le baptême de Gabrielle en 1782, de l’abbé Nicolas de Béon-Béarn, ancien aumônier de Mme Adélaïde de France, qui demeure lui aussi au château des Béon à Lapalu.
39On a quelque idée du cadre de vie intérieur grâce à un inventaire partiel, effectué par notaire le 4 ventôse an X (23 février 1802)35, portant sur 19 chambres et 10 cabinets ou vestibules – inventaire dont on verra plus loin les circonstances. Le château est bien meublé : on dénombre au moins 23 lits et 2 pliants ; on y dort sur de bons matelas, confortablement garnis (partout des couvertures – dont au moins une losangée jaune et rouge, aux armoiries Noé – et des courtepointes) ; une multitude de chaises et des fauteuils sont disponibles (elles ne sont pas toutes en bon état sous le Consulat). On repère aussi quelques meubles de prix : bureaux ou commodes en acajou, en marqueterie, tables avec marbre qui cohabitent avec nombre de meubles de moins fière allure, armoires en sapin ou tables à l’essence non définie. C’est un château relativement bien préservé du froid : au moins 8 poêles ou, à défaut, des paires de chenets ; des rideaux dans certaines chambres, parfois en cotonnade ou en indienne. À une époque où le commun des mortels ne peut guère voir son reflet que dans l’eau et se lave de façon sommaire, on compte au château de L’Isle-de-Noé au moins 4 miroirs, 5 meubles de toilette, une fontaine en étain et même une baignoire à robinet. L’inventaire mentionne aussi la présence de 2 pendules. La décoration comprend 9 trumeaux, 3 paravents en papier peint et 56 tableaux dont on ignore les sujets et les styles. Il y a également un billard et une bibliothèque, mais on ne sait rien tant sur le nombre de volumes que sur leurs thèmes. Bref, un cadre de vie intérieur contrasté, par certains aspects luxueux et par d’autres moins.
40Avec l’arrivée du comte et de sa femme, le château de L’Isle-de-Noé connait du mouvement et même un regain de vie, ce qui nécessite une domesticité importante pour faire face aux nombreuses tâches. La consultation des registres notariés, des dossiers de justice ou de la Révolution permet de relever, çà et là, un nom qui, ajouté à d’autres, étoffe de façon empirique une petite liste – probablement non exhaustive – du personnel de service attaché à la maison. Parmi ceux qui exercent un métier de bouche émergent de l’oubli Michel Poyrier (dans les années 1760) puis Claude Rémi, cuisiniers du marquis de Noé, ainsi que Pierre Brunet, confiseur. Le comte de Noé fait aussi appel aux talents de Nicolas Azéma, « cuisinier en chef ». On connaît aussi l’existence de « l’officier maître d’hôtel » Pierre Soulier. Les valets de chambre du comte s’appellent Alexis Lauret ou Jacques Raudouin-Neuilly, originaire du Bourbonnais. Un certain Joseph apparaît aussi, ainsi que François Viroin. Quant au « premier laquais » de la comtesse de Noé, il répond au nom de Gratien. Charles Laugé est connu comme « directeur des jardins ». Le postillon du comte se prénomme quant à lui Pierre. Pour ses écritures et affaires, le comte de Noé emploie un secrétaire nommé Picard ou un « homme d’affaires » répondant au nom d’Étienne Monfort. Enfin, un personnage n’apparaît dans les documents qu’en 1791, le comte étant alors à Paris, mais il y a tout lieu de penser qu’il a auparavant servi à L’Isle-de-Noé : il s’agit d’un domestique noir, Adrien Arbriquet, témoignage vivant des liens que le comte de Noé entretient avec la Grande Antille. Dans le cas qui nous intéresse, Adrien Arbriquet semble être un homme libre36. Fidèle serviteur du comte, il va le suivre dans l’adversité.
41Malheureusement, au-delà de ces patronymes, aucun élément ne permet de connaître plus précisément les relations que le comte de Noé ou ses proches parents entretiennent avec leurs domestiques. On peut seulement rappeler que les cas d’étroite intimité et de récompenses sont attestés sous l’Ancien Régime ; les valets ne sont pas forcément payés en coups de bâton, en morgue ou en gages chichement délivrés. C’est l’époque où, par exemple un capitaine d’artillerie du nom de Jacques de Belsunce lègue à son valet Jean Chapé, après vingt-trois ans de service, 6 000 livres et tous ses biens meubles (sauf son épée)37. Et à Saint-Domingue, certains esclaves de confiance sont affranchis par leur maître à l’approche de la mort.
Activités quotidiennes
42Ses déplacements mis à part, le comte de Noé passe la plus grande partie de son temps au château familial. Certes, il peut lui arriver de s’absenter pour affaires : à Marseille (auprès des négociants Audibert en 1780), à Paris (décès de son oncle Bréda et règlement de sa succession en 1786, achat de la baronnie d’Antin en 1787), voire faire un exceptionnel et court retour à Saint-Domingue en 1778. Mais son adresse principale est désormais à L’Isle-de-Noé.
43L’expédition des affaires courantes concernant l’administration des terres sous son autorité, le souci de veiller à ses droits seigneuriaux, les audiences accordées aux solliciteurs ou aux officiers, le dépouillement du courrier de Saint-Domingue et le suivi à distance de ses biens antillais doivent absorber quelque peu le comte. Dans un tout autre domaine, ses six enfants grandissent et il faut en surveiller l’éducation. Et puis, de temps à autre, le comte et la comtesse effectuent des opérations foncières devant les notaires successifs de L’Isle-de-Noé et de Montesquiou. L’examen des minutes notariales38 révèle qu’il s’agit généralement de petites affaires, soit que les Noé échangent une parcelle avec quelque paysan, soit qu’ils vendent (essentiellement des lopins de petite superficie et ne mettant pas de trop grosses sommes en jeu, de 20 à 665 livres) ou qu’ils baillent à très long terme, à moins qu’ils n’achètent un bien.
44Une grande occupation du comte est l’agriculture. Il est probablement en relation avec la Société royale d’agriculture de Paris et, comme bon nombre de membres de la noblesse à l’époque, participe de ce souci de recherche et d’amélioration des productions et rendements. Une activité, longtemps effacée des mémoires, anime ainsi le parc du château : l’élevage de poulains destinés aux armées du roi. La direction de cette affaire revient au marquis Jacques-Roger de Noé, dont on a déjà signalé qu’il est lui-même membre de la Société royale d’agriculture de la sénéchaussée d’Auch. En rapport avec Bertin, directeur général des Haras royaux, le marquis de Noé participe au développement du haras royal de la vallée de Campan en Bigorre. Dans un ouvrage qui fait autorité, Jacques Mulliez rappelle la logique de toute l’entreprise : « Sous la direction du marquis de la Noë [sic], assisté d’un garde-visiteur, le sieur Delors, les juments fournies par le roi sont placées dans la vallée de Campan, “la meilleure et la plus [grasse] de toutes les Pyrénées”, chez les particuliers et sous conditions ». Là, les juments mettent bas : « Si c’est une pouliche, elle sera à son tour placée aux mêmes conditions, si c’est un poulain il quittera le pays pour être élevé jusqu’à l’âge de 4 à 5 ans à L’Isle-de-Noé, en Gascogne, dans la vallée de la Baïse, particulièrement bien adaptée à cet usage puisqu’on y trouve de bons pâturages naturels et qu’on y cultive les céréales dont ont besoin les jeunes chevaux pour parvenir à leur complet développement. Une fois formées, ces productions sont distribuées au gré du directeur général des Haras, selon les besoins de l’administration en étalons et poulinières39. »
45On ne sait combien de jeunes chevaux, rustiques et fringants, sont passés dans les écuries du château de L’Isle-de-Noé, peut-être 37 si l’on s’en tient aux comptes de 1778 à 178540. Toujours est-il que le parc du château se prête particulièrement bien à ce genre de dressage. Même s’il n’en est pas directement responsable, on voit mal le comte de Noé, ancien officier de cavalerie, rester indifférent à cet élevage et ne pas y participer, d’autant qu’il en va du service du roi41.
46Un autre intérêt pour les activités agricoles est repérable dans la correspondance avec Bayon de Libertat : une commande d’ananas faite par le comte, ce qui pose problème au procureur : « Quel est le capitaine qui voudra se charger de 200 ananas dans des caisses particulières et 100 qui commenceront à pousser, vous avez perdu cela de vue, M. le comte. Il n’y aurait qu’une personne qui, passant pour France, s’amuserait d’avoir ce soin pour lui et payerait un fret pour l’eau, ne vous imaginez pas qu’aucun capitaine, quelque promesse qu’il me fasse, tienne sa parole. Je tenterai cependant l’aventure, mais la saison d’envoyer des plantes en France n’est pas favorable, ce n’est point en juillet où l’on doit faire cet envoi-là, cela arriverait en France en hiver » (lettre de début 1784). Le comte de Noé songe-t-il, outre l’agrément de sa table, à faire des essais de plants d’ananas sous serres ? De même, quand Bayon indique dans la même lettre qu’il enverra « toutes les espèces de pois que vous me demandez », ainsi que des « graines » venant d’arbustes du jardin de l’habitation, c’est sans doute pour que le comte s’en serve comme semences.
47Il y a des plantations près du château, sur une surface certainement non négligeable. On sait qu’au début de 1781, le comte de Noé se fait livrer « divers arbustes », selon un courrier des négociants marseillais Audibert. Le 4 juillet 1784, il est mentionné qu’il « a fait conduire une machine hydraulique qu’il a assis le long d’un pré », situé le long de la Baïse, qui appartient à Jean Dupuy. Cette « machine et accompagnement consistent en un batardeau qui traverse la rivière, en une caisse de bois avec une écluse formant un passe-lit, en un tréteau de charpente établi sur le bord dudit pré sur lequel est posée une grande roue garnie de godets pour élever l’eau, en un tuyau de bois posé sur les poteaux plantés dans ledit pré pour conduire l’eau dégorgée par les godets et autres ouvrages42 ». Autrement dit, le comte fait construire une noria pour « arroser ses jardins ». En dédommagement des servitudes imposées par la présence de cet appareil sur son terrain et le passage pour l’entretien et la maintenance, Jean Dupuy se voit concéder deux lopins de terre « en pleine propriété, francs et quittes » des redevances seigneuriales, ainsi qu’une indemnité de dix livres par an.
Un train de vie épicurien ?
48La correspondance de Bayon comme celle des négociants sont émaillées de détails sur des commandes particulières passées par le comte. Dans une lettre de 1784, le procureur indique qu’il a toutes les peines du monde à trouver les 20 madriers de bois d’acajou à un prix raisonnable dont le comte souhaiterait manifestement « faire des meubles » ; mêmes difficultés avec le « baume sucrier », remède dont on ignore les vertus et dont la fabrication semble compromise, puisque l’apothicaire Laporte qui l’écoulait est décédé depuis quatre ans. La comptabilité Bréda de 1784 nous apprend que Bayon a fini par en trouver en juillet auprès d’un autre apothicaire, Ducatel, pour Pantaléon II de Bréda (et probablement, du même coup, pour le comte de Noé)43. Il n’éprouve pas de difficultés en revanche pour trouver du sirop de calebasse ou pour envoyer du sucre destiné à la consommation personnelle des Noé. Les lettres des négociants témoignent aussi de commandes concernant les plaisirs de la table.
49La table semble en effet être un vrai art de vivre pour le comte de Noé. En 1781, les négociants marseillais Audibert lui font parvenir 200 livres de café du Levant (pas de Saint-Domingue !) et du vin. L’année suivante, ce sont quatre pièces (barriques) de vin qu’ils envoient. Les négociants Strafforello & Peragallo annoncent la livraison de muscat de Chypre, en 1782. Le Bordelais Pierre Lardin fait parvenir une barrique de vin rouge du Médoc en 1789. En 1790, la maison bordelaise Bethman & Desclaux envoie 6 livres de thé de Russie et du café, ainsi que 2 services complets de 24 couverts de linge de table de Hambourg, sans oublier 4 pièces de toile de Hollande, des chaises de jardin et une pièce de baptiste.
50L’autre grand plaisir du comte concerne le vêtement. Ayant rendu visite aux négociants Audibert et s’étant fait signaler une bonne affaire, il profite de son séjour marseillais pour se faire tailler un habit sur mesures et le faire broder ; l’envoi de l’ouvrage est annoncé en 1781. Se trouvant à Paris au début de 1789, il achète le 19 mars au marchand de tissus Michel Delassalle pour l’énorme somme de 7 011 livres d’étoffes de soie, qu’il paye à crédit, l’échelonnement, prévu de 1790 à 1795, étant consigné devant notaire44.
51Le comte de Noé a donc toujours le goût des belles choses et le désir de jouir des plaisirs de l’existence. Mais ce train de vie est aussi révélateur d’un caractère dépensier, défaut déjà constaté et non corrigé. Une remarque s’impose : on ne trouve trace d’aucun investissement productif à L’Isle-de-Noé, en dehors de quelques aménagements agricoles déjà signalés : pas de manufacture, pas d’atelier, rien qui puisse indiquer que le comte de Noé crée de la richesse sur place, stimule l’emploi, développe des savoir-faire locaux. Il dépense, il consomme, il tient son rang en vivant à crédit, comme bien d’autres du reste, à l’instar d’un voisin béarnais célèbre, le baron Martin-Simon Duplaa, président du Parlement de Navarre, qui a eu l’heureuse fortune de se marier avec Marie-Louise de Charritte qui lui a apporté en dot une sucrerie au Quarter-Morin (devenue habitation Duplaa). Le Président Duplaa mène grand train, construit à Gelos – tout près de Pau – un château (devenu haras national sous l’Empire) et s’endette45.
LA VIE POLITIQUE
52La critique politique s’amplifie durant les dernières années de l’Ancien Régime et si aucun accord général n’apparaît sur la teneur des réformes à faire, divers groupes sociaux sont néanmoins de plus en plus convaincus de la nécessité de réformer. En Gascogne, les Noé participent à ce vaste débat, qui touche l’ensemble du royaume ; leur position et leurs intérêts sont concernés au premier chef, en métropole comme en outre-mer.
L’implication locale
53Deux ans avant le grand ébranlement révolutionnaire, l’ampleur du déficit de l’État et la crispation autour des privilèges conduit le pouvoir royal à convoquer des « assemblées provinciales » de représentants des trois ordres. L’assemblée provinciale de la Généralité d’Auch va se réunir deux fois : une première session du 25 au 28 août 1787, une seconde du 19 novembre au 15 décembre 1787. Le roi se réserve la nomination de vingt membres (dix pour le clergé, dix pour la noblesse) pour cette assemblée ; parmi les nobles figurent le comte de Noé, le comte de Béon et le marquis de Luppé. Il y a beaucoup de grandiloquence mais, concrètement, on ne voit rien de neuf sortir d’une telle assemblée, décalée par rapport au frémissement que l’on ressent partout. Et ce qui est constaté en Gascogne vaut pour le royaume : ces réunions ne sont qu’inutiles palabres.
54Un an et demi plus tard, à l’occasion de la convocation des États Généraux et donc de l’élection de députés chargés de représenter les trois ordres du royaume, les Noé se partagent les tâches. Au marquis de Noé, pour la terre de L’Isle-de-Noé, revient la participation à l’assemblée de la noblesse de la sénéchaussée d’Auch, réunion qu’il préside, le 20 mars 1789 et durant laquelle est rédigé le cahier de doléances de ladite noblesse, ainsi que l’assemblée des trois ordres pour l’élection des députés de la sénéchaussée, le 3 avril46. La comtesse de Noé – exception rarissime accordée à une femme, pour des assemblées masculines – est sollicitée pour l’assemblée du pays et jugerie de Rivière-Verdun, le 7 avril 1789. Elle y représente la seigneurie de Miélan (incluse dans la baronnie d’Antin), tandis que le comte de Polastron y participe pour la seigneurie de Saint-André et Saint-Clar. Quant au comte de Noé, en tant que baron d’Antin, il est prévu qu’il soit présent à l’assemblée du pays de Bigorre, le 1er avril 1789. Mais il va s’y faire représenter par le comte de Béon, qui est effectivement là et vote pour l’élection des représentants aux États Généraux, le 7 avril.
55Si le comte de Noé a bien toutes les qualités requises pour jouer un rôle local, voire représenter la noblesse de Gascogne aux États Généraux, force est de constater qu’en 1789 il ne prend part à aucune réunion locale et donc ne joue pas de rôle politique notable dans sa province de résidence. En fait, ses préoccupations sont ailleurs : il est absorbé par les problèmes relatifs à Saint-Domingue. On le sait déjà à Paris à la mi-1788, probablement pour cela. Il y est encore aux mois de février et mars 1789 ; s’agit-il de la prolongation du même séjour ou d’un nouveau déplacement ? Car il n’est pas seulement à Paris pour acheter des soieries, alors que dans les provinces du royaume s’approchent les réunions politiques pour rédiger les doléances et élire les représentants. Il y prend surtout des contacts avec le milieu des grands planteurs vivant dans la capitale et restant en relations étroites avec Saint-Domingue, dont il a été élu député le 27 janvier 1789.
Être député de Saint-Domingue
56D’emblée se pose un problème fondamental : les colonies ne sont pas concernées par les débats en cours ni les réformes en vue et, par voie de conséquence, n’ont pas leur mot à dire. La métropole seule doit se pencher sur ses problèmes internes. Or les planteurs blancs de Saint-Domingue, qu’ils résident dans l’île ou vivent en France, ont eux aussi des doléances à présenter. Quels sont leurs griefs principaux ? Ils souhaitent la suppression de l’Exclusif, ce système qui privilégie le négoce avec la métropole, au prix fort, et interdit en principe le commerce avec tout autre pays (d’où, en réaction, le développement d’une active contrebande). Que cesse aussi le « despotisme » d’une administration coloniale qui se met à vérifier les comptes des habitations et même à écouter les doléances d’esclaves, depuis les ordonnances du maréchal de Castries, ministre de la Marine, adoptées en 1784 et 1785, – signe que Versailles est plus préoccupé de l’amélioration du sort des esclaves qu’on ne le pense généralement. Et que dire de la fusion des Conseils du Cap-Français et de Port-au-Prince qui jouent un rôle considérable (faisant office de tribunal, de centre d’imposition et de contrôle fiscal, contrôlant l’affranchissement des esclaves, etc.) ? Cette fusion fait quasiment l’unanimité des planteurs contre elle, d’autant que les esprits éclairés demandaient la mise en place d’une troisième cour aux Cayes. Le résultat est que « les esprits s’échauffent et se cabrent. On ne conteste pas d’être Français, mais des Français différents de ceux de la métropole. La Grande Île, à deux mille lieues de la métropole, dont la richesse repose sur l’esclavage, ne se sent rien de commun avec l’Europe. Au contraire, de nombreuses affinités la rapprochent de la Jamaïque ou des nouveaux États-Unis. Une conclusion s’impose : elle doit bénéficier d’un régime d’autonomie qui lui assure l’administration de ses affaires, dans le cadre de lois particulières. Comme l’écrit le planteur Cormier, “Saint-Domingue, par la nature des choses, n’appartient pas plus à la France, que l’Amérique à l’Europe”. Conscient qu’il existe une limite à tout, l’auteur apporte une précision d’importance. Les colonies “savent que si par le droit elles peuvent être indépendantes, elles ont un intérêt de fait à s’attacher à un grand empire, et elles sentent qu’elles ont un intérêt d’affection qui les porte à choisir le royaume de France”47 ».
57Sur la liberté du commerce et la disparition de la sujétion des colons vis-à-vis des négociants, Louis-Pantaléon de Noé doit certainement opiner : il est particulièrement sensibilisé à la question, par sa situation personnelle qui le lie à différentes maisons de négoce. À propos du contrôle tatillon de l’intendant François Barbé de Marbois (intendant de 1785 à octobre 1789), le comte de Noé sent que ces mesures imposent aux gérants de tenir des papiers en règle – ce qui peut être vu comme un avantage pour les propriétaires absents – mais que le contrôle fiscal est la motivation première de l’administration royale48 et non pas un service à rendre aux maîtres. Particulièrement concerné, Bayon de Libertat fulmine contre Barbé de Marbois : « Nous avons un Intendant qui ne se nourrit que de méchanceté, il fait tout le mal qu’il peut à la colonie, vous savez qu’en général tous les habitants n’étaient point exacts dans la déclaration de leurs nègres. Croiriez [-vous] que ce monstre a fait confisquer nombre de nègres au profit du roi, qui n’avaient pas été portés dans les recensements, et cela a porté sur des pauvres malheureux, de manière que présentement nous sommes obligés de mettre tous les nègres sur le recensement, et on nous oblige de les mener dans le mois de mai pour l’année, c’est un homme en exécration au pays » (lettre au comte de Noé du 12 juin 1787). De fait, l’augmentation des contrôles administratifs constitue un problème de fond dans un pays dont les maîtres gardent une mentalité de pionniers terre à terre et courent surtout après le profit ; cet état d’esprit s’accommode mal de la paperasserie et des règlements.
58Par ailleurs, le comte de Noé a dans ses papiers un dossier sans date ni signature, intitulé « Observations sur la Réunion des Conseils de Saint-Domingue », qui plaide en termes pondérés mais clairs pour le retour à l’ancienne formule. Perte de temps et donc d’argent, voyages pénibles et risqués : les habitants n’ont rien à gagner d’une telle fusion et le font savoir. En revanche, ce qui n’est pas dit, c’est la raison d’une telle décision de la part du pouvoir central versaillais : elle a été prise en janvier 1787 pour contrecarrer le refus, par le Conseil supérieur du Cap, de faire appliquer les ordonnances de 1784 et 1785. La réaction royale est interprétée comme du « despotisme » par les maîtres.
59Louis-Pantaléon de Noé ne peut qu’être sensible à toutes ces questions et, très probablement, partager les préoccupations et les soucis des planteurs insulaires, et ce d’autant plus que, dans un tout autre registre, se développe un courant philanthropique (notamment incarné en 1788 par la « Société des Amis des Noirs ») qui plaide pour l’abolition graduelle de l’esclavage et qui a quelque audience auprès des élites. En l’absence d’écrits précis, on ne sait comment évolue le comte. Quelles possibilités d’agir se présentent à lui ? On observe que le comportement des Blancs de Saint-Domingue, qui ne forment pas un mouvement unitaire, loin de là, peut se ramener à trois types de positionnement.
60Certains ont une réaction bruyante et protestent à coup de pétitions, de députations, d’intrusion dans la vie politique métropolitaine – au risque de se frotter à des métropolitains peu au fait des réalités coloniales. C’est l’option que va défendre un chef du groupe des planteurs vivant en France, le marquis de Gouy d’Arsy.
61D’autres préconisent une réponse discrète, usant de l’influence des planteurs dans les couloirs et les salons, auprès des gens bien en Cour et des Grands du royaume. Il s’agit entre autres choses d’éviter d’alerter une opinion publique de plus en plus sensibilisée au sort des esclaves. Cette stratégie semblerait avoir davantage la faveur du comte de Noé.
62D’autres enfin prônent une dose de séparatisme et appellent de leurs vœux une assemblée coloniale, composée de coloniaux, pour légiférer sur les problèmes coloniaux, tandis que l’assemblée métropolitaine, composée de métropolitains, légiférerait sur les problèmes métropolitains. On déboucherait presque sur une revendication de nature autonomiste, voire indépendantiste. Peu encore y songent à l’époque, mais l’idée a déjà été évoquée par des juristes comme Émilien Petit (Droit public ou gouvernement des colonies françaises, 1771) ou Hilliard d’Auberteuil (Considérations sur l’état présent de la colonie de Saint-Domingue, 1776-1777).
63On sait que Louis-Pantaléon de Noé se trouve à Paris en 1787, au mois de mars à juin et peut-être même durant les six premiers mois de l’année. Il y est en tous les cas en juin 1788. Or, c’est à cette période que se fait bruyamment entendre le marquis Louis-Marthe de Gouy d’Arsy, officier et gouverneur de L’Île-de-France, devenu habitant par alliance, son épouse Anne-Amable Hux de Bayeux lui ayant apporté une sucrerie sise au Port-Margot et une caféière à Plaisance. C’est loin d’être un inconnu à la Cour, sa famille y ayant depuis longtemps ses entrées49. À ses côtés, parmi les autres chefs du mouvement, se trouvent Reynaud de Villevert, ancien gouverneur général par intérim de Saint-Domingue (en 1775 et en 1780) et l’avocat Moreau de Saint-Méry, créole de la Martinique.
64Gabriel Debien a analysé les agissements politiques de ces planteurs face à la Révolution50. À l’initiative de grands propriétaires, un comité de « colons résidant à Paris », dit aussi « comité colonial » se réunit à Paris, le 15 juillet 1788 ; le comte de Noé et le comte d’Héricourt y participent. La supplique qu’ils lui font parvenir au roi, appuyée par le duc d’Orléans, soutient la création de trois conseils au Cap, à Port-au-Prince et aux Cayes, la réorganisation de l’administration coloniale, des assemblées provinciales permanentes et des assemblées coloniales périodiques, mais aussi des députés de Saint-Domingue aux futurs États Généraux, siégeant au sein de la noblesse (autrement dit, de grands planteurs). Ils ne sont pas entendus : quand, le 8 août 1788 le roi annonce officiellement la convocation de députés aux États Généraux, les colonies ne sont pas invitées à y participer.
65Pour se faire entendre, il ne reste donc plus au « comité colonial » que la solution de la politique du fait accompli : organiser des élections, par définition irrégulières, à Saint-Domingue, en espérant que le pouvoir royal finisse par céder. C’est donc en marge de toute légalité que des élections se tiennent dans la Grande Antille. À la fin de décembre 1788, dans la région du nord de l’île – le même scénario se reproduisant pour les parties orientales et méridionales – se constitue une assemblée de 48 électeurs blancs, désignés dans la plupart des paroisses de la zone considérée. Cette assemblée est composée sans surprise de personnalités puissantes ou en vue : habitants, officiers de l’armée, magistrats, négociants, médecins ; on y retrouve, entre autres, les noms de Jean-Jacques Bacon de la Chevalerie ou le médecin Jean-Louis Polony.
66Réunis en assemblée générale le 27 janvier 1789, ces messieurs élisent leurs députés. « Les suffrages recueillis par Monsieur le Président [Bernard de Saint-Martin, doyen de l’ancien Conseil Supérieur du Cap, délégué de la Marmelade] se sont trouvés réunis en faveur de Messieurs de Laborie, secrétaire de la Chambre d’Agriculture du Cap, de Viaud de Thébaudières, ancien procureur général du Roi à l’ancien conseil supérieur du Cap, Armand de Marsilly, administrateur des maisons de Providence du Cap, Larchevesque-Thibaud, propriétaire-planteur au quartier de Vallière, Monsieur le marquis de Rouvray, maréchal des camps et armées du roi, M. Auvray et M. Étienne Le Febvre ; tous résidents dans cette Colonie, et sur Messieurs : le marquis de Paroy, le marquis de Gouy d’Arsy, le comte de Reynaud, le comte de Vaudreuil, Chabanon des Salines, le président Duplaa, de Villeblanche et le comte de Noé, propriétaires en cette colonie résidents en France », leur mandant de « se réunir avec les membres élus comme eux par toutes les provinces du Royaume » pour « veiller au maintien de nos droits et à la conservation de nos privilèges, porter au pied du trône nos doléances respectueuses, obtenir le redressement de nos griefs en présence de la nation, en un mot suivre toutes les instructions particulières à eux par nous données51 ».
67Des opérations similaires s’effectuent à l’ouest et au sud de Saint-Domingue. Comme il y a des personnalités élues deux fois, les listes sont fondues pour qu’une liste « officielle » d’une trentaine de noms soit établie pour l’ensemble de l’île. « Le choix des députés ne fut nullement spontané », commente Blanche Maurel qui a étudié le processus52 ; il correspond à un jeu d’influence de grands planteurs qui, dans un contexte général de fébrilité et de projets de réformes dans l’air du temps, font en sorte que leurs intérêts soient défendus le mieux possible à Versailles. Il s’agit rien moins que d’affaiblir le « despotisme » royal et de renforcer l’autorité des « grands Blancs ».
68Aucune source ne permet de connaître la position du comte de Noé. Politiquement, toute sa carrière plaide pour une fidélité sans faille au roi et on l’imagine mal se ranger dans le camp des autonomistes. S’il a affranchi quelques serviteurs comme tout maître qui se veut humain, on ne le voit pas tenir de discours abolitionniste alors que ses esclaves lui assurent l’essentiel de ses revenus. Il a même l’impérieuse nécessité de faire rentrer des recettes pour rembourser ses engagements en cours et garantir son train de vie de rentier. Le comte de Noé présente donc le profil-type de ces maîtres d’abord soucieux de préserver leurs intérêts de grands propriétaires, dans un contexte de moins en moins favorable, mais dans la fidélité à la Couronne.
69Parallèlement, se pose le problème de l’âge du comte. En 1789, il approche des 61 ans et ne se sent peut-être pas la vigueur ou le tempérament d’un jouteur politique qui doit se mettre en avant et demeurer en permanence entre Versailles et Paris. Il est établi en Gascogne, ses enfants sont encore jeunes et s’il peut jouer de son influence, il aspire sans doute aussi à couler des jours paisibles loin de l’agitation de la capitale. Il va donc déléguer à son cousin par alliance, le comte Jacques-Pierre-Charles-Patrice de Butler, le soin de signer pour lui les pétitions utiles à la défense de leurs intérêts communs.
70Durant son séjour à Paris début 1789, Louis-Pantaléon de Noé rencontre très certainement – via son cousin Butler – un parent allié, le magistrat Yves Cormier53, époux de Suzanne de Butler et, du fait de cette alliance, co-propriétaire de l’habitation Butler du Bois-de-Lance. Il voit aussi très probablement un autre parent éloigné des Butler, autre grand nom de Saint-Domingue : Robert-Étienne de Bodkin-Fitzgerald, conseiller au Parlement de Paris, résidant à Paris rue Saint-Dominique, propriétaire d’une habitation à Aquin, choisi comme député du sud de l’île dans des conditions similaires à celles de l’élection du comte de Noé dans le nord. Lors de réceptions, dans les salons où il a ses entrées, Noé doit certainement glisser quelques phrases bien senties plaidant sa cause et celle des grands habitants.
Dans l’expectative ?
71Il est de retour chez lui à la mi-avril 1789 et y rencontre son beau-frère, le comte de Polastron, pour régler diverses questions afférentes à la gestion des habitations Bréda54. Il est par ailleurs possible que, durant son séjour à Paris, le comte de Noé ait donné procuration à Laheuse pour administrer les Manquets, en remplacement de Bayon de Libertat55. Ces contacts pris ou activés, Louis-Pantaléon de Noé est donc sur ses terres gasconnes quand les États Généraux s’ouvrent à Versailles, le 5 mai 1789.
72Durant toutes ces années prérévolutionnaires, on a vu le comte de Noé empêtré dans des soucis financiers de tous ordres, mais toujours enclin à la dépense. La gestion à distance de ses domaines oblige ce propriétaire absentéiste à s’en remettre à des gérants dont le sérieux et l’honnêteté sont relatifs, comme on l’a bien vu. On comprend toute la logique d’une situation qui voit, d’une part, l’aggravation de la situation des esclaves – tant aux Manquets qu’aux habitations Bréda – et, d’autre part, le maintien acharné d’un système sur lequel sont fondés les revenus du comte.
73Son cas est loin d’être unique et le comte de Noé, élu de Saint-Domingue, appartient pleinement à cette aristocratie créole dont le marquis de Gouy d’Arsy fit remarquer un jour à Louis XVI qu’elle composait sa cour56. Campé sur ses positions, ce groupe croit pouvoir encore contrôler la marche des affaires et use de toute son influence pour se faire entendre et imposer ses vues dans le débat politique, de concert avec le milieu des négociants des grands ports français. Mais, en métropole, c’est méconnaître la profondeur de l’aspiration au changement qui a gagné le pays. À Saint-Domingue, c’est sous-estimer l’action des « petits Blancs » et des « libres de couleur », ainsi que la sourde rancœur des esclaves prêts à se mobiliser pour leur liberté.
Notes de bas de page
1 ad du Gers, registre de Me Cardeilhac 3 E 14 704, acte no 1771. Les prénoms complets de la future sont Charlotte-Louise-Pétronille-Jacquette-Perrette, si l’on y ajoute ceux de son acte de baptême, à Lectoure, le 14 juillet 1749. Son parrain est son grand-père, Pierre-Jacques de la Jonquière, gouverneur de la Nouvelle-France.
2 Mentionnée dans Henri Jouglas, Grand armorial de France, Paris, Berger-Levrault, 1975.
3 AN, 18 AP 3, lettre du 9 juillet 1777 à Louis-Pantaléon de Bréda. Bayon écrit après la naissance d’un premier garçon et alors qu’une deuxième grossesse est annoncée.
4 Il est, par ailleurs, membre de la Société royale d’agriculture de la généralité d’Auch, créée en 1762, qui cherche à améliorer l’économie rurale et la production agricole ; il participe donc de l’engouement général pour l’agronomie, tout à fait dans l’air du temps au sein des élites.
5 Il a pour frères le vicomte Louis de Noé, lui aussi officier et maire de Bordeaux, et Marc-Antoine de Noé, évêque de Lescar, près de Pau. Le marquis Jacques-Roger de Noé épouse en 1746 Jacquette de Taffanel de la Jonquière, fille de Jacques-Pierre de Taffanel de la Jonquière, d’une vieille noblesse de l’Albigeois, chef d’escadre des armées navales, dont l’extraordinaire carrière dans la marine le mène à être gouverneur de la Nouvelle-France. Quand il décède à Québec, en 1752, les explorations françaises ont poussé loin vers l’ouest, au bout des Grandes Plaines, jusqu’à ce fort La Jonquière fondé le 29 mai 1751, au confluent des rivières du Coude et de l’Arc, au pied des Montagnes Rocheuses, sur ce qui n’est pas encore Calgary (dans l’Alberta).
6 ad Gers, 5 Mi 107. Pierre-Jean-François Racine de Rocheville, né à Rouen vers 1719, décédé en 1774, fils de Pierre Racine, graveur à la Monnaie de Rouen et de Marie-Anne Allais. Ingénieur et syndic général de la navigation des généralités d’Auch et de Pau, il fréquente étroitement les Noé, dont il reçoit plusieurs procurations pour affaires. Décédé à L’Isle-de-Noé et inhumé le 19 février 1774.
7 Le lien est double : en 1697, Anne-Françoise de Noé (sœur aînée de Jean-Louis de Noé) a épousé Pierre de Luppé du Garané, et Marie-Sidonie Colbert de Saint-Mars (sœur de Marie-Charlotte, épouse de Marc-Roger de Noé) a épousé en 1725 Louis de Luppé, marquis de Besmaux.
8 Marie-Angélique de Noé (fille de Jacques-Roger de Noé) épouse le comte Jean-Marie de Barbotan (fils de Joseph-Clair de Barbotan-Carritz).
9 Thérèse-Charlotte (sœur de Jacques-Roger de Noé) épouse en 1744 le marquis Jacob de Labay de Viella.
10 ad du Gers, 3 E 14704, Me Gardeilhac, contrat de mariage du 24 janvier 1776.
11 Jean Gallet, article « seigneurie » dans Lucien Bely dir., Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, puf, 1996.
12 Idem.
13 Jean-François Bladé, Coutumes municipales du département du Gers, Paris, Auguste Durand, 1864, p. 239-253.
14 Nom dont la graphie évolue ensuite en L’Isle-d’Arbéchan puis se transforme en L’Isle-de-Noé après l’acquisition de la baronnie de L’Isle par la famille Noé.
15 Jean-François Bladé, Coutumes municipales…, op. cit.
16 Document intégralement publié par E. Castaignon, « Reconnaissance féodale et serment de fidélité passé entre Roger et Bernard de Noé et les habitants de L’Isle-de-Noé (1564) », bsag , 1904, p. 39-43.
17 Après l’extinction de la lignée des ducs d’Antin, il reprend son appellation initiale de baronnie. Cette acquisition opportune relève de l’histoire de famille, puisque la baronnie a appartenu au dernier duc d’Antin (Louis III Pardailhan de Gondrin, arrière-petit-fils du marquis de Montespan et parrain de Jean-Louis de Noé), mort sans descendance en 1757. Le centre du domaine se situe au village de Bonnefont, dont le château a accueilli un temps le marquis de Montespan, renvoyé sur ses terres par Louis XIV.
18 Jeannette Legendre-Gourgues, La terre d’Antin : de la baronnie au duché, Bagnères, Bulletin de la Société Ramond, 1992, p. 114-117.
19 Dans Pierre Goubert et Daniel Roche, Les Français et l’Ancien Régime. Tome 1 : la société et l’État, Paris, Armand Colin, 1984, p. 104.
20 Quand les Noé rachètent la baronnie d’Antin, ils font effectuer le rappel de leurs droits lors d’une « délibération du syndicat de la communauté de Bonnefont d’Antin », le 26 août 1787. Ils vont ensuite se présenter à leurs gens le 13 novembre 1787 et réitérer leurs prétentions (procès-verbaux d’une quinzaine de pages à chaque fois, consignés dans les minutes de Me Tarrible, ad du Gers, 3 E 14707). Voir aussi Jean-Louis Donnadieu, « La destinée peu ordinaire de Louis-Pantaléon, comte de Noé (1728-1816), dernier baron d’Antin et conseiller général des Hautes-Pyrénées », Bulletin de la Société académique des Hautes-Pyrénées, cycle 2006-2007, p. 83-114. Cet article reproduit le rappel des droits seigneuriaux et féodaux du 26 août 1787.
21 Marie-Louise d’Esparbès de Lussan, née en 1764, épouse le vicomte Denis-Gabriel-Adhémar de Polastron le 5 juin 1780. Après la naissance d’un garçon, le couple se sépare ; le vicomte de Polastron préfère retrouver son régiment, tandis que son épouse devient dame du palais de Marie-Antoinette et est courtisée par le comte d’Artois, futur Charles X. Voir Philippe Lauzun, « Un portrait de Mme de Polastron », bsag , vol. VII, 1906, p. 182-215 et p. 256-272.
22 Guy Chaussinand-Nogaret, La noblesse au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1976.
23 anom, fm, E 322, dossier Noé.
24 Ibidem.
25 Bayon indique dans une lettre du 27 mai 1782 : « Fleury est mort. J’ai obtenu sentence contre la succession à telle fin que de raison pour ce qu’il vous doit, qui ne laisse pas d’être considérable ».
26 M. Bouchaud de la Foresterie, aïeul d’Elvire, inspiratrice du Lac d’Alphonse de Lamartine (Méditations).
27 Relative à un terrain mal délimité entre les habitations Bréda du Haut-du-Cap et Aulnay. Voir supra.
28 Approximation de Bayon de Libertat ; cela fait en fait 28 ans que Mme de Bréda est décédée au moment où il écrit cette lettre.
29 anom, fm, E 322.
30 20 000 livres en 1777, 40 000 livres en 1778, 39 000 livres en 1779 et deux avances de 20 116 livres et 40 000 livres en 1782 (dont le paiement s’étale jusqu’en 1783), à quoi il faut ajouter le prêt de 150 000 livres par le négociant nantais Lamaignière, octroyé à une date inconnue, mais dans la période concernée, qui apparaît donc comme très délicate sur le plan financier.
31 Voir chapitre 7.
32 ad du Gers, 4 B 44. Les registres paroissiaux de L’Isle-de-Noé indiquent qu’elle n’est pas inhumée au village, ceux de Cahuzères/Lupiac (village d’où sont issus les Najac) non plus.
33 La famille de Béon, qui fait remonter ses origines aux seigneurs de la vallée d’Ossau en Béarn, est apparentée aux Noé depuis le mariage, en 1579, de Pierre d’Armenthieu de Béon avec Marguerite de Noé (fille de Roger de Noé). Le comte François-Frédéric de Béon, né à Mirande, au cœur de l’Astarac, en 1754, est également apparenté aux Montmorency-Luxembourg et mène une carrière d’officier. Il épouse en 1778 une demoiselle de Montauroux qui, présentée à la Cour, devient dame de compagnie de Mme Adélaïde (« Madame Quatrième », fille de Louis XV).
34 Situé à une quinzaine de kilomètres plus au sud, sur la route de Lannemezan. Le château de Lapalu existe toujours, transformé depuis le xviiie siècle et aujourd’hui propriété privée. À l’entrée, un panneau illustré rappelle l’histoire du lieu.
35 Inventaire effectué par Me Dagé, notaire à Miélan. Le château de L’Isle-de-Noé n’a pas été pillé durant la Révolution.
36 Sur la question du statut controversé des Noirs en métropole, voir Pierre Boulle, Race et esclavage…, op. cit.
37 Exemple aimablement communiqué par M. Christian Desplat.
38 De 1776 à 1779 les Noé font appel à Me Cardeilhac ; en 1781 et 1782 (et 1789) à Me Bertin ; de 1785 à 1791 à Me Tarrible ; en 1790, à Me Ayliès également.
39 Jacques Mulliez, Les chevaux du royaume. Aux origines des haras nationaux, Paris, Belin, 2004, p. 318-319. Merci à Pierre Verbauwen de m’avoir signalé ces questions équestres.
40 Idem, op. cit., p. 319.
41 Mais pas forcément de l’intérêt des habitants de la vallée de Campan, plus intéressés par la production de mulets en grande quantité que de chevaux – excellents, mais en petite quantité – pour les armées.
42 ad du Gers, 3 E 14 706, registre de Me Tarrible, actes du 4 juillet 1784.
43 ad de Loire-Atlantique, E 691, bilan comptable des habitations Bréda de juillet 1787 à juillet 1788.
44 AN, F7 4667, plainte de Michel Delassalle au comité de Sûreté générale, pour impayé.
45 Voir Christian Desplat, « Le rêve américain : les Béarnais aux îles au xviiie siècle », Les Îles, du mythe à la réalité, Actes du 123e congrès du cths, Antilles-Guyane, Fort-de-France, 1998 (Paris, 2002), p. 203-224.
46 Vicomte du Bastard d’Estang, La noblesse d’Armagnac en 1789, ses procès-verbaux et ses doléances, Paris, E. Dentu, 1862. Le cahier de doléances de la noblesse de la sénéchaussée d’Auch a un aspect souvent conservateur (vote par ordre, États rendus à la noblesse des Quatre-Vallées) mais aussi réformateur (mieux répartir les impôts, supprimer les douanes, modifier les règlements des haras), voire progressiste (liberté de la presse et suppression de la censure
47 Pierre Pluchon, Toussaint Louverture, un révolutionnaire noir d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988, p. 33-35. Le texte de Cormier est extrait de l’opuscule Opinion sur les colonies, sans lieu ni date, p. 7.
48 Les propriétaires étaient assujettis à un impôt de capitation, c’est-à-dire sur le nombre d’esclaves qu’ils possédaient.
49 Son arrière-grand-mère, Jeanne-Françoise de Biaudos de Castéja, a été sous-gouvernante des Enfants de France ; sa mère, Anne de Rivié, évoluait dans l’entourage de Madame.
50 Gabriel Debien, Les colons de Saint-Domingue et la Révolution. Essai sur le club Massiac, Paris, Armand Colin, 1953.
51 an, C24, dossier 143, Procès-Verbal de la nomination des députés de la partie du nord de Saint-Domingue, pièce I. Reproduit par Blanche Maurel, Cahiers de doléances de la colonie de Saint-Domingue pour les États Généraux de 1789, Paris, Ernest Leroux, 1933, p. 231.
52 Ibidem, p. 39.
53 Yves Cormier, né à Rennes en 1740, avocat, procureur du roi au présidial de Rennes. Il épouse en 1776 Suzanne de Butler (demi-sœur du vicomte Jean-Pantaléon de Butler) et a deux fils : Achille (né en 1777) et Patrice (né en 1779).
54 Il s’agit de procurations destinées à Laheuse, afin de lui donner mandat pour superviser la gestion de Villevaleix sur les habitations Bréda. Voir chapitre 7.
55 Voir chapitre 5. Dans la mesure où rien ne figure dans les registres des notaires habituels du comte de Noé à L’Isle-de-Noé concernant le remplacement de Bayon par Laheuse, l’hypothèse d’un acte passé à Paris est tout à fait plausible.
56 Jacques de Cauna, L’Eldorado des Aquitains…, op. cit., p. 18.
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Un grand seigneur et ses esclaves
Ce livre est cité par
- Alcouffe, Alain. Massot-Bordenave, Philippe. (2020) Adam Smith in Toulouse and Occitania. DOI: 10.1007/978-3-030-46578-0_4
- Cousseau, Vincent. (2018) Les liens familiaux des esclaves à Saint-Domingue au xviiie siècle. L’exemple des habitations Galliffet (1774-1775). Annales de démographie historique, n° 135. DOI: 10.3917/adh.135.0021
Un grand seigneur et ses esclaves
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