Précédent Suivant

Chapitre 4. « Habitant » à Saint-Domingue

p. 71-94


Texte intégral

1Las de ne connaître sa situation que de loin, Louis-Pantaléon de Noé a décidé en 1769 de s’embarquer pour Saint-Domingue afin d’évaluer, de visu, l’état de ses affaires et de prendre en toute connaissance de cause les décisions qui s’imposent. Ce séjour de six ans a des conséquences importantes sur son destin. C’est à cette occasion que s’ouvre une nouvelle étape dans la vie du comte : celle d’un « habitant », d’un aristocrate planteur. Cette période où il renoue avec son île natale nous permet de saisir au plus près le fonctionnement de son habitation des Manquets et d’entrevoir les formes variées de la sociabilité des élites blanches de la Grande Antille.

LA MISE EN PLACE DE LA SOCIÉTÉ D’HÉRICOURT-NOÉ

2Arrivé sur place, le comte de Noé constate que son cousin, le chevalier d’Héricourt, est lui aussi en mauvaise posture. Tous deux décident d’associer leurs affaires et de rassembler leurs terres, sous la forme de la société d’Héricourt-Noé.

Les ennuis familiaux du cousin d’Héricourt

3Qui est ce cousin avec qui le comte de Noé s’associe ? Sous quels auspices leur affaire commune démarre-t-elle ? Et comment parviennent-ils à redresser la barre ? La situation de Louis-François-Pantaléon du Trousset, chevalier d’Héricourt, apparaît à tout le moins inconfortable dans les années 1760. Elle est la conséquence d’une querelle familiale aiguë qui éclaire l’âpreté des disputes lors des héritages. Son dossier militaire indique simplement qu’en janvier 1760 il « se trouve dans la situation la plus fâcheuse », ayant été « obligé de donner sa démission de la place de lieutenant des gardes et de passer à Saint-Domingue pour y arranger ses affaires ». Il est également précisé que, durant ses séjours en métropole, il « a eu l’honneur d’être page de Sa Majesté ayant rang de lieutenant-colonel dans ses troupes1 ».

4Lorsque le chevalier d’Héricourt revient dans son île natale en 1760, il sollicite un « brevet de lieutenant du roi honoraire afin de lui donner un rang dans la colonie » et demande que l’administration militaire veille à ce qu’il « ne puisse exercer aucun commandement ni jouir d’aucune charge civile ni militaire en vertu de ce brevet2 ». Les raisons de cette situation nous échappent. Visiblement, le chevalier d’Héricourt doit surtout compter sur sa propriété foncière pour lui assurer un revenu : son empressement à en toucher les revenus va jeter le trouble dans le patrimoine des héritiers d’Héricourt. Un dossier conservé au anom donne quelques indications précieuses sur les tensions familiales : il s’agit du Mémoire instructif que sa sœur, Julie du Trousset d’Héricourt, comtesse de Butler, soumet au conseil d’un avocat, ainsi que la réponse de celui-ci – documents qui permettent de retracer tant bien que mal le fil des événements3.

5En 1749, Élisabeth-Perrine de Bréda, veuve d’Héricourt par un premier mariage (et mère des quatre enfants d’Héricourt), veuve Malvès par un second mariage, s’apprête à convoler en troisièmes noces avec M. de Faverolles. Elle partage ses biens en deux parties : une moitié pour elle, l’autre moitié pour ses quatre enfants, Louis-Bénigne comte d’Héricourt (aîné), Louis-François chevalier d’Héricourt, Julie (comtesse de Butler) et Marie-Xavier. Les quatre héritiers se constituent en société, qui se réduira bientôt à trois membres, après l’entrée de Marie-Xavier dans les ordres. Après le décès de leur grand-mère Élisabeth Bodin de Bréda, survenu en 1752, et celui de leur mère (probablement en 1754), les enfants d’Héricourt récupèrent l’intégralité du bien, c’est-à-dire de ce que leur mère possédait en 1749, augmenté de la partie d’Héricourt du canton des Manquets et de l’habitation Faverolles. Ils héritent également de dettes.

6Cinq ans plus tard, les trois associés décident d’un partage, réalisé devant Me Doré le 28 octobre 1759. Louis-Bénigne, comte d’Héricourt, reçoit la part du lion, l’habitation des Manquets, et dédommage son frère et sa sœur (plus exactement, il accepte de rembourser seul une grande partie des dettes laissées par leur mère). Louis-François, chevalier d’Héricourt, reçoit l’habitation d’Héricourt au Morne Rouge (ou Plaine-du-Nord). Julie du Tousset d’Héricourt, comtesse de Butler, reçoit l’habitation Faverolles au Morne Rouge (peut-être y a-t-il changement de nom, et ce bien correspond-il à l’une des deux petites habitations Butler de la Plaine-du-Nord ?)4.

7En 1760, le chevalier d’Héricourt, dont la situation en France n’est pas florissante, rentre à Saint-Domingue. Il se sépare du gérant Déprévaut qui s’occupait depuis dix-huit ans des affaires de la famille et prend lui-même les opérations en main, proposant de former une société avec sa sœur. En 1762 surviennent deux faits importants et indépendants. Le 9 mars 1762, les héritiers Noé et Louis-Bénigne d’Héricourt font délimiter leurs parts respectives de la grande habitation des Manquets (on ne connaît malheureusement aucun détail de ce partage)5. Mais, dès le 7 janvier 1762, le chevalier d’Héricourt a pris l’initiative de rompre la société fondée avec sa sœur et, la faisant représenter par un « curateur », procède au partage des biens dans un sens qui semble l’avoir avantagé6. Julie d’Héricourt de Butler, qui réside alors en France, est mise devant le fait accompli ; en septembre 1762, elle nomme un procureur-gérant, un certain Cazaban, et l’envoie veiller sur ses intérêts. Le sieur Cazaban ne trouve rien à redire sur cette répartition : cette nouvelle inquiète la comtesse de Butler, qui s’estime lésée et qui n’a pas de mots assez durs envers son frère. Ainsi s’étonne-t-elle qu’il ait, avec l’argent du « partage », effectué un gros achat de 120 esclaves sans le moindre avis ni compensation financière à lui verser. Elle indique également que l’ancien gérant Déprévaut lui a appris que le chevalier l’avait « obligé de transporter deux beaux moulins à sucre [qu’elle avait] sur [son] habitation sur la sienne [celle du chevalier] et que c’était en partie la cause pour laquelle il s’était retiré7 ». Elle dénonce le fait que son habitation serait « délabrée » par rapport à celle de son frère : reprenant les termes d’une lettre du procureur Cazaban, elle indique qu’il « ne peut pas s’empêcher de me marquer que mon frère lui a remis l’habitation avec tous nègres en mauvais état et en très petite quantité, ajoutant que les bâtiments tombaient en ruine et qu’il n’y avait point de mulets pour faire du sucre en général, que l’habitation était dans un si grand état de dépérissement qu’il a pensé tomber dans le découragement8 ».

8Après diverses chicanes qui opposent le frère et la sœur, l’affaire se règle, on ne sait trop comment. On voit seulement la comtesse de Butler s’embarquer, le 26 avril 1770, au Havre, avec sa fille et son fils Jean-Pantaléon (alors âgé de 16 ans) et le gouverneur de son fils, pour mettre directement le nez dans ses affaires antillaises, tant il est vrai que l’absence des propriétaires peut être préjudiciable à leurs intérêts sur place. La mention du dossier de Jean-Pantaléon de Butler9 est explicite : « Depuis la mort de son père [en 1755], ses biens ont été gérés par différents procureurs de qui il n’a pu avoir que des comptes très infidèles, de sorte que sa présence devient indispensable pour arrêter le plus tôt possible l’envahissement de ses revenus et la déprédation de son bien. »

L’association des deux cousins

9C’est à peu près à la même époque que le comte de Noé s’embarque pour Saint-Domingue. Faute d’archives, les intentions des protagonistes nous échappent : l’on ignore tout des négociations et des marchandages, de leur contenu comme de leur durée. À la vue du résultat final, il faut en déduire qu’une solution négociée est sortie de toutes ces tensions car, par la suite, on ne voit pas trace de procès dans les rapports et correspondances entre cousins. En vertu d’un échange, le chevalier d’Héricourt devient propriétaire de la partie d’Héricourt des Manquets, tandis que son frère aîné, Louis-Bénigne, récupère l’habitation d’Héricourt à la Plaine-du-Nord. La sœur, comtesse de Butler, semble avoir gardé jouissance de l’habitation Faverolles à la Plaine-du-Nord.

10Le chevalier d’Héricourt et son cousin Noé peuvent procéder à la mise en commun de leurs biens respectifs au canton des Manquets – promesse de revenus confortables pour tous les deux. L’acte notarié est malheureusement perdu, ce qui ne nous permet pas de savoir quelles sont par exemple les clauses de donation au dernier vivant entre les deux associés. Ils ne disent mot à leurs proches de cet arrangement, ni au frère et à la sœur du chevalier d’Héricourt, mais à leur oncle Pantaléon II de Bréda – ce qui ne sera guère apprécié10. Quoi qu’il en soit, pour le meilleur et pour le pire, l’association d’Héricourt-Noé peut démarrer.

UN HABITANT PLUTÔT CITADIN ?

11Le séjour du comte de Noé à Saint-Domingue constitue une rupture nette dans sa carrière militaire et dans sa vie elle-même. Au-delà de l’aspect purement intéressé, puisqu’il s’agit de relever un patrimoine en difficulté, ce retour au pays natal est l’occasion de vivre une nouvelle expérience : celle d’un propriétaire en vue, au Cap-Français et dans sa proche région. Si aucun écrit, si aucune correspondance directe du comte ne nous est parvenue sur ce sujet, du moins peut-on tenter de tracer les grandes lignes du contexte dans lequel il va évoluer.

Le cœur battant du « Paris des Antilles »

12Quand le comte Louis-Pantaléon de Noé se retrouve à Saint-Domingue, au cours du second semestre 1769, il vient de franchir le cap des 40 ans. C’est un « habitant » peu ordinaire qui débarque dans la Grande Antille. Il s’en est éloigné, mais il y est né, et ce n’est certainement pas sans émotion que le climat, les paysages, les couleurs, les musiques et les odeurs connus dans la petite enfance lui reviennent. Quelles sont ses premières impressions quand, après avoir aperçu la massive silhouette du morne du Cap, il revoit, étalée en contrebas, la ville du Cap-Français ?

13Essayons de décrire les lieux : « Déjà le vaisseau que le pilote, venu du port, fait manœuvrer, a [le fort] Picolet à sa droite et court vers le Sud ; déjà l’on remarque quelques maisons qui bordent le rivage, on commence à soupçonner que le Cap existe ; puis les maisons se multiplient ; il s’en présente de nouvelles ; enfin une longue bande offre une ville que du mouillage, on trouve peu étendue ; on a sauté dans un canot, on y vogue, on débarque, et d’un pied, encore mal assuré, l’on foule la terre d’Amérique. Quel spectacle ! Comme il diffère des lieux qu’on a quittés ! On voit quatre ou cinq figures noires ou obscurcies pour une blanche. Les vêtements, les maisons, et presque tous les objets physiques dont on est environné, ont un caractère nouveau. Dans l’étonnement, dans la confusion qu’ils jettent dans l’esprit, on avance et la ville semble s’étendre11. »

14De grands changements sont survenus depuis le départ de Louis-Pantaléon de Noé, une vingtaine d’années plus tôt. Les traces du terrible incendie qui ravagea la cité en 1736 sont effacées depuis bien longtemps. Comme l’indique un voyageur resté anonyme, « au bout de quelques années, il n’y paraissait plus. Beaucoup de maisons furent rebâties en pierre de taille qu’on fait venir de France. On prétend même que certains habitants, en un espace de temps aussi court, étaient devenus beaucoup plus riches qu’auparavant. Il est vrai qu’une partie d’entre eux s’étaient servis de moyens qui ne faisaient pas l’éloge de leur droiture […]. Il est certain que le feu, en consumant une grande partie du Cap, a rendu service aux habitants, qui, pour prévenir désormais des accidents semblables, se sont mis en devoir de bâtir en maçonnerie. Quelques-uns ont réussi à faire des maisons riantes et commodes ; ce n’est pas certainement le plus grand nombre, car il faut convenir que la plupart sont d’un très mauvais goût. Aussi les architectes ne sont-ils souvent que des nègres. Tout ce que l’on recherche est qu’elles soient bien aérées et qu’il y ait pour cet effet beaucoup de croisées et de portes ; du reste on se soucie peu que les fondements en soient solides, les murs d’aplomb, qu’il y ait de la proportion entre les portes et les fenêtres, de la distribution dans les appartements. Messieurs les ingénieurs ont contracté le même goût, et l’on observe dans leurs édifices tous les défauts de ceux des particuliers ; les règles de l’art ne les gênent guère, ce qui fait qu’ils parviennent bientôt à les oublier totalement12. »

15L’esthétique n’y a peut-être pas gagné, la faute incombant bien plus au souci des propriétaires de dépenser le moins possible – ou à l’éventuelle carence de matériaux – qu’à la prétendue inaptitude des constructeurs noirs. En revanche, la sécurité est certainement meilleure ; le danger d’incendie est bien atténué depuis que la ville de planches a cédé la place à une ville en dur construite au pied du morne, selon le même plan en damier, et avec une place centrale au beau milieu. C’est donc une cité qui étend le long d’un front de mer, offert aux yeux de tous ceux qui y accostent. À son extrémité ouest, on observe une ravine servant de dépotoir et d’égout à ciel ouvert, ainsi que des batteries de défense. À l’extrémité opposée, vers le sud-est, se dresse après les abattoirs et des terrains plus ou moins insalubres la barrière de contrôle, dite « Barrière-Bouteille ». De là, longeant la rivière du Haut-du-Cap et contournant la massive silhouette du morne, la route s’enfonce vers l’intérieur des terres, vers cette plaine où s’épanouissent les grandes sucreries qui font l’orgueil de l’île. Ce paysage apporte à n’en pas douter une bouffée de souvenirs au comte.

16Un détail peut saisir le visiteur délicat, ainsi que l’a relevé l’amiral d’Estaing, gouverneur de Saint-Domingue de 1763 à 1766, fort sévère envers ce qu’il découvrait : « La descente du Cap ne m’a pas prévenu en faveur du lieu. J’ai trouvé la même odeur qu’à Sainte-Lucie, un quai qui ne ressemble à rien, inégal, coupé par des maisons, encombré de matériaux, et si infect qu’on n’a pas eu besoin de m’apprendre qu’il était les latrines de la ville… J’ai monté par des rues étroites et dont le ruisseau seul est pavé, il n’a point de pente, il est profond, c’est un fossé qui contient une boue très odoriférante. J’ai traversé une place qui n’en a que le nom, elle est raboteuse et sans forme régulière. On m’a montré une église peu avancée, la couleur de ses pierres annonce qu’elle est oubliée depuis fort longtemps : une grange, fort au-dessous de la cathédrale de Sainte-Lucie, est ce qui remplace celle du Cap ; elle décore la place. Des soldats qui sont sortis d’une assez grande case m’ont fait connaître que c’était le corps de garde ; j’ai vu derrière, le second dépôt des immondices de la ville. Plusieurs maisons m’ont paru assez bien bâties13. »

17Ce jugement pouvait paraître excessif aux Capois car, même de bric et de broc, même avec sa fange et ses remugles, le Cap-Français reste une ville animée, vigoureuse, un port de toute première importance pour la France aux Amériques, la porte de sortie des meilleures productions de Saint-Domingue et la porte d’entrée de tout ce qui arrive de France : « C’est par le quai qu’on peut juger du mouvement commercial de la ville du Cap, et quand on réfléchit à tout ce qui arrive dans sa rade, ou qui en est tiré par les barques passagères, on est bientôt convaincu que le Cap donne une grande impulsion au commerce de la Colonie, et que l’existence de cette ville a une grande action sur le commerce des places maritimes de la métropole14. »

18Parallèlement au gros négoce, le marché dominical, dit « marché des Blancs15 » grouille de vie. « Presque aussi anciennement que le Cap, les matelots ont été dans l’usage de venir étaler, les dimanches et les fêtes, leurs petites pacotilles sur le bord de la mer ou de la chaussée » rappelle Moreau de Saint-Méry. L’usage est bien ancré, la fréquentation ne faiblit pas ; pour les habitants du lieu comme pour les gens de passage, c’est au marché que se font des rencontres et des affaires, que se colportent nouvelles et autres potins : « C’est vers sept heures du matin que le marché commence et il dure jusqu’à midi. Il est de bon ton d’aller faire un tour de marché aux Blancs, quoique l’on n’ait rien à y acheter. La chaleur, quelquefois excessive, n’en bannit point, et la mode l’emporte sur cette crainte. Les femmes de couleur, surtout, ne peuvent pas se passer de s’y aller montrer et d’y étaler un luxe qui devient quelquefois un appât qu’elles savent employer avec succès. Dans le fait, le marché des Blancs est réellement utile et à ceux qui veulent se procurer, dans un instant, divers objets qu’il ne serait possible de réunir qu’en allant dans plusieurs boutiques ou magasins, et aux marins qui se trouvent rendus avec leurs marchandises, dès qu’ils sont arrivés à terre. Le concours que la curiosité attire sert les vendeurs ; et les curieux de nouvelles y trouvent, dans certaines maisons, des coteries où l’on peut en apprendre et en entendre faire de toutes les espèces16. »

19Toute cette vigueur commence à valoir à la cité le surnom de « Paris des Antilles », ses belles étant plus que jamais avides d’imiter la dernière mode de la capitale et ses beaux esprits souhaitant y développer une activité culturelle nouvelle. Par ailleurs, se développe un phénomène social inédit : entre la place centrale et les casernes se développe le quartier de la « Petite Guinée », où des Noirs libres logent et sont propriétaires de leur maison. Le groupe de « libres de couleur », numériquement modeste deux décennies auparavant, commence en effet à prendre de l’importance au fur et à mesure des affranchissements et des naissances. Beaucoup sont artisans – notamment dans le bâtiment – ou se lancent dans le commerce, non sans succès. Leur dynamisme est notoire, leur emprise sur les affaires chaque jour plus visible17.

20Voici donc le monde où le comte de Noé accoste, ce monde de la ville coloniale dont l’importance – interface entre les îles et la métropole – n’est plus à démontrer : c’est d’abord dans ces carrefours que la société bouge et évolue. C’est là que le comte de Noé va se distinguer : par sa tenue et son maintien de personne bien née, par ses manières d’être et par ce qu’il représente, ce célibataire détonne quelque peu au milieu d’une société antillaise encore rugueuse, où triomphent l’aventure, l’appât du gain et les relations intéressées, et où l’aristocratie qui compte vraiment est celle de la couleur de peau. Louis-Pantaléon de Noé, porteur d’un grand nom, héritier d’une fortune – même si elle est malmenée –, reçu à Versailles, décoré des mains du roi, proche des grands du royaume, blessé de guerre, est en mesure d’impressionner son monde, non seulement les « petits Blancs » passés aux îles dans l’espoir de se faire une place au soleil, mais aussi les mulâtres et Noirs libres, sans oublier les esclaves. Naissance, richesse, élégance et bravoure : quatre qualités qui en font un homme respecté, une référence sinon un modèle et quelqu’un dont la fréquentation est recherchée.

Un logement en ville

21Que sait-on de la vie quotidienne, des activités et des fréquentations de Louis-Pantaléon de Noé durant son séjour dans son île natale ? Il n’est pas surprenant qu’en arrivant au Cap-Français, un homme aussi distingué que le comte de Noé cherche à loger en ville, au plus près des mondanités et des gens influents. On ne sait rien des premiers temps, mais un engagement en date du 15 mai 1772 indique qu’il loue à Louis Foucher, négociant au Cap, « une maison située en cette ville dans les hauteurs de la rue Espagnole, rues Saint-Joseph et Saint-Jacques [non loin des casernes et du quartier de « Petite Guinée »], consistant en deux chambres hautes et deux cabinets. L’une desquelles chambres a un balcon donnant sur la rue Saint-Joseph et une autre chambre basse, un cabinet, un petit caveau sous l’escalier, un galetas, une cuisine et une petite cour18 » – le tout pour un loyer de 1 500 livres annuelles, payable de six mois en six mois.

22Cette location semble avoir duré quasiment tout le temps de son séjour, un autre document familial indiquant qu’en 1775 encore le comte paye son loyer à Foucher19. Ce logement n’est pas immense, mais il permet d’avoir du personnel domestique à demeure et de recevoir. On ne sait si le comte le considère comme un pied-à-terre quand il ne réside pas sur ses terres, aux Manquets, à quatre lieues de la ville, ou s’il fait de ce lieu sa résidence principale, ne se rendant au quartier de l’Acul-du-Nord que lorsque les nécessités l’exigent. En fait, on ignore la fréquence de ses allées et venues, tout comme la manière dont le comte partage effectivement son temps entre sa plantation sucrière et la ville du Cap.

Activités, loisirs et sociabilité

23Si le but principal du séjour de Louis-Pantaléon de Noé est le redressement de ses affaires antillaises, cette tâche se révèle plus longue que prévue. Son séjour, d’abord considéré comme une simple étape avant de rejoindre le Royal Comtois dans l’Océan Indien20, s’installe dans la durée. C’est à Saint-Domingue que le comte de Noé apprend son remplacement comme chef de corps, à la suite de la malheureuse mutinerie jugée en 1773. Dès lors, son séjour peut se prolonger encore sans que d’autres obligations ne l’appellent ailleurs.

24En l’absence de documents précis, on ne connaît pas le détail des mesures prises par Noé, mais seulement le résultat final de ses efforts : la nouvelle impulsion donnée à l’habitation des Manquets après la constitution de la société Noé-d’Héricourt. Quel degré d’implication les deux associés témoignent-ils, de quelle marge de manœuvre disposent-ils, dans la mesure où la maison Peyré & fils supervise les comptes ? Tout au plus peut-on esquisser, à titre d’hypothèse, un scénario en deux temps : la priorité a sans doute d’abord été donnée aux arrangements devant notaire (ce qui supposerait que la maison Peyré & fils a les coudées franches) puis, les arrangements conclus, Noé et d’Héricourt se sont vraisemblablement impliqués directement dans la gestion de leur bien, en se reposant sur la maison bordelaise pour l’embarquement et la vente des sucres.

25On possède quelques renseignements sur les autres activités que le comte de Noé mène durant son séjour domingois. Ainsi, quelques quittances témoignent-elles de son train de vie. Le comte est venu avec un domestique répondant au nom de Chevalier. Il faut croire que le séjour antillais ne convient pas à ce serviteur puisque, le 29 novembre 1772, le comte lui paye son passage de retour en France21. On constate alors l’entrée en scène d’un « nègre libre », Blaise, homme de confiance du comte puisqu’il effectue diverses commissions en son nom ou va sur les quais réceptionner des marchandises expédiées d’Europe22. Que commande Louis-Pantaléon de Noé ? Les rares documents existants23 indiquent, par exemple, l’arrivée le 4 décembre 1772 d’une caisse de liqueur et de 30 caisses de vin ; le 14 juin 1773, d’une caisse de moutarde ; le 30 mai 1774, de deux caisses de confitures ; le 26 octobre 1774, d’une barrique de vin ; en février 1775, de 50 bouteilles de liqueur et 25 bouteilles (de vin ?). On devine un esthète porté sur la bonne chère et les plaisirs de la table.

26L’intellect n’est pas oublié. À une époque où les livres sont encore denrée rare à Saint-Domingue, le comte reçoit, en 1773, le Dictionnaire de l’Académie et l’Historique de l’avocat. Ces éléments sont du reste les seuls rescapés qui témoignent de l’activité culturelle de Louis-Pantaléon de Noé, maigres indices d’un intérêt pour le droit et le beau langage. En ce Siècle des Lumières, l’intérêt du comte pour les questions politiques et philosophiques alors dans l’air du temps nous restent inconnus.

27En revanche, les quittances conservées témoignent de la participation du comte à une entreprise de spectacles « dont les clauses furent rédigées par M. Grimperel, notaire, le 25 mars 1771 », précise Moreau de Saint-Méry dans sa Description. Le comte en devient actionnaire dès sa fondation, cotisant pour 1 000 livres en 1771 et 3 000 en 1772, et ce, jusqu’à la dissolution de la société en mars 1783. On sait que le théâtre offre – outre le plaisir du spectacle – l’occasion de se montrer, de voir du monde, à commencer par les élégantes de la ville, et qu’il est, selon Moreau de Saint-Méry, « un rendez-vous où l’on va parler d’affaires24 ». On comprend que les représentations théâtrales soient courues par la bonne société et que des personnes comme le comte de Noé se montrent : « Aussi les corridors sont-ils bruyants. L’amphithéâtre l’est presque autant, mais par un autre motif. Asile des jeunes gens de la ville et de la garnison, à cause des filles de couleur, dont les loges sont au-dessus, la conversation est quelquefois établie de bas en haut et de haut en bas, et elle est d’un genre qui pourrait offenser des oreilles, même difficiles à blesser. À chaque entracte il y a grande rumeur, et elle augmente entre les deux pièces parce que le public, l’amphithéâtre et les filles de couleur en profitent pour aller dans les rues adjacentes ou dans la promenade du gouvernement, prendre l’air ; c’est du moins le prétexte qu’on avoue25. »

28Dans un tout autre domaine, on sait, toujours selon Moreau de Saint-Méry, que le comte de Noé fait un don de 264 livres aux Maisons de Bienfaisance du Cap, c’est-à-dire la grande maison de charité locale. Sa fréquentation des cercles militaires reste incertaine : on ne dispose d’aucun témoignage, mais l’on peut penser que le comte de Noé, alors officier de carrière et chef de corps d’un régiment d’infanterie, fréquente les cercles militaires du Cap-Français, ville qui possède une forte garnison et offre une escale importante à la marine royale. Peut-être même fait-il connaissance de Jean-François Galaup de Lapérouse, de passage à Saint-Domingue en 1771 quand, « à bord de la Belle Poule, il part faire neuf mois de police de la navigation commerciale26 » ?

29Une autre activité est plus problématique encore : de même que l’on ignore si Louis-Pantaléon de Noé est entré en maçonnerie via une loge militaire, on ne sait pas s’il intervient dans les travaux des loges maçonniques capoises. Trois loges au moins fonctionnent au Cap-Français durant la période du séjour du comte : Saint-Jean de Jérusalem Écossaise (fondée en 1749), La Parfaite Harmonie (fondée en 1766) et La Vérité (fondée en 1767). « Qui en fait partie ? À peu près toute la société coloniale […] car il n’existait aux “isles” aucune autre organisation susceptible de venir disputer aux loges la vie de la société », suggère Daniel Ligou27. Mais le nom du comte de Noé ne figure pas dans les tableaux des loges d’outre-mer conservés au fonds maçonnique de la Bibliothèque nationale – fonds il est vrai incomplet28. Pourtant, sa position sociale, sa carrière militaire, ses relations, son patronyme même (le patriarche Noé, constructeur de l’Arche, est considéré comme un ancêtre de la maçonnerie) le prédisposent à une telle participation. Plusieurs membres de sa parentèle en font partie, à l’instar de Louis de Pardailhan de Gondrin – duc d’Antin et premier Grand-Maître français –, du vicomte de Noé – maire de Bordeaux, chambellan du duc Philippe d’Orléans Grand-Maître du Grand Orient de France en 1771 – et de ses deux cousins Jean-Richard et Jacques-Pierre-Charles-Patrice de Butler. Certaines de ses autres relations y participent également, tels Louis de Noailles, duc d’Ayen, et Philippe de Noailles, marquis de Mouchy. On voit mal le comte de Noé rester à l’écart d’un tel mouvement. Cependant, si tant est qu’elle soit effective, son appartenance à la franc-maçonnerie nous échappe, dans la colonie comme en métropole.

Quelques fréquentations au sein de la bonne société blanche

30Dans les documents consultés, les noms de plusieurs personnes reviennent de façon récurrente durant le séjour du comte de Noé à Saint-Domingue, illustration de fréquentations régulières dont on a quelque éclairage et qui, en retour, nous en apprennent un peu sur le personnage. On peut ainsi mentionner Michel-Éloi Grimperel, l’un des plus importants notaires du Cap-Français, membre fondateur de la société de spectacles et qui va, par la suite, devenir le notaire de confiance du comte. On rencontre aussi le nom du négociant havrais Stanislas Foache, trésorier de la société de spectacles, dont on connaît par ailleurs l’importance commerciale et la fortune foncière (en 1775, peu après le départ du comte, il achète une grande habitation sucrerie à Jean Rabel, petite cité côtière plus à l’ouest).

31D’autres personnages moins en vue méritent d’être signalés, comme Étienne Collot, directeur honoraire de la société de spectacles, exerçant l’activité de négociant au Cap. Il est né en 1719 à Paris, de parents « vivant noblement » comme l’indique son dossier militaire29. Étienne Collot est un ancien gendarme de la Maison du Roi, il a combattu en terre germanique et dans les Flandres durant la guerre de Succession d’Autriche (une expérience qui a de quoi alimenter des conversations d’anciens combattants). Passé à Saint-Domingue en 1767 dans les Dragons à cheval, il poursuit une double activité de négociant (il fournit l’habitation d’Héricourt-Noé en outillages et matières premières) et d’officier de milice, devenant capitaine d’infanterie en 1765 et, en 1778, commandant en second du bataillon des milices du Cap. Une relation de confiance s’établit entre Étienne Collot, le comte de Noé et le chevalier d’Héricourt, lesquels à plusieurs reprises vont lui donner procuration pour traiter d’affaires importantes. Parmi les négociants, on peut aussi citer le nom de François Guilbaud, appelé lui aussi par la suite à jouer un rôle non négligeable dans les affaires Noé.

32On trouve aussi un Gascon, le marquis Matthieu de Najac d’Élpy, natif de Cahuzères (village du diocèse d’Auch, près de Lupiac) vers 1733, fils de Joseph de Najac d’Élpy et de Madeleine de Batz de Laplaigne. C’est un officier, qui connaît Saint-Domingue pour y avoir fait deux précédents séjours, et qui y est revenu pour devenir habitant. Dans son dossier militaire, il est dit « très proche parent » du duc d’Antin (Louis III d’Antin, 1727-1757), sans autre précision30. Après avoir combattu durant la guerre de Succession d’Autriche, il est nommé capitaine de la Légion de Saint-Domingue en 1753 mais repasse en France pour des problèmes de santé. Après un passage aux Dragons du Languedoc, on le retrouve en 1766 officier à Saint-Domingue, mais, là encore, les maladies sont éprouvantes. Dans l’unité où il sert, sur huit officiers, cinq décèdent et les dix-huit accès de fièvre qui frappent le malheureux Najac le laissent « totalement épuisé » et crachant le sang. Si bien qu’il « abandonne une femme qu’il aime et une magnifique habitation » (dont on ne sait rien) pour rentrer en France en 1770. Mais de telles épreuves ne le dissuadent pas de revenir, avec l’espoir de devenir maître de terre et jouir d’une meilleure situation sociale qu’en métropole. Son chemin croise donc celui du comte de Noé qui est peut-être un parent éloigné. Quand Louis-Pantaléon de Noé quitte Saint-Domingue pour la France, en 1775, c’est à Najac qu’il vend une petite armoire pour 330 livres. Les affaires de Matthieu de Najac sont quelque peu chaotiques, si l’on en croit les correspondances reçues ultérieurement par le comte. En 1784, quand il se remarie avec une certaine Catherine-Françoise Fouézon, fille d’un ancien garde du corps du roi, Najac possède au canton d’Ennery 70 carreaux en indigo et 125 carreaux de terres sur lesquels sont plantés 45 000 pieds de café, le tout travaillé par 88 esclaves (plus précisément « 67 têtes travaillant et 21 enfants »)31. On est loin des grandes fortunes, mais la position n’est pas misérable, quoique instable.

Une fréquentation étroite : Bayon de Libertat

33Une place particulière doit être faite à François-Antoine Bayon de Libertat, qui administre les habitations Bréda du Haut-du-Cap et à la Plaine-du-Nord, alors possédées par Pantaléon II de Bréda, oncle du comte de Noé et du chevalier d’Héricourt. Né vers 1727, d’une famille originaire de Provence et établie dans le sud-ouest de la France, à Boulogne-sur-Gesse, dans l’actuel département de la Haute-Garonne, François-Antoine Bayon est aux Antilles vers 1749. À son nom, il a accolé celui de Libertat car, comme il l’explique lui-même, « dans le temps je ne signais que Bayon, depuis j’ai pris Libertat parce qu’un de mes parents qui portait ce seul nom est mort et m’a laissé son bien à la charge de porter son nom et ses armes32 ».

34Outre ses activités d’administrateur, Bayon de Libertat est officier de milice et va, du reste, être empêtré pendant des années dans l’affaire Chapuisé, pour avoir raillé l’aspiration de ce personnage à devenir officier comme les Blancs. Aux yeux de Bayon, Pierre Chapuisé est un « sang-mêlé » qui avance avoir une aïeule indienne, alors que Bayon soutient que ladite aïeule est noire, ce qui dans la société de l’époque rabaisse irrémédiablement l’individu33. Cette affaire mise à part, Bayon a surtout l’ambition affichée de faire fortune, demeurant à Saint-Domingue pour y devenir habitant, et pour ce faire, cumule les procurations (ce qui lui permet d’augmenter ses fonds propres). Il possède déjà une sucrerie, mais celle-ci ne le satisfait pas et il vise un meilleur établissement. Au moment où Bayon de Libertat prend les rênes des habitations Bréda (la première lettre de lui conservée est datée du 22 août 1772), il supervise déjà le bon fonctionnement des habitations Pasquier, Lassus et Lelong, ainsi qu’il l’indique dans sa correspondance. Les places étant chères et courues, c’est évidemment par recommandation qu’il obtient la procuration de Pantaléon II de Bréda, à la disparition du précédent titulaire, un certain Gilly. En effet, Bayon précise dans sa première lettre à Pantaléon II de Bréda « qu’il ne m’a pas perdu de vue, il [Gilly] m’a élevé comme son enfant ». Bayon de Libertat a bénéficié de la protection indispensable pour s’occuper des habitations Bréda, d’autant qu’un autre candidat, un certain Détribal, est aussi sur les rangs.

35Bayon indique aussi dès ses premières lettres à Pantaléon II de Bréda en quels termes il est avec les deux cousins associés : « Je vis très bien avec M. le comte de Noé, il me fait la grâce de m’estimer, je me flatte qu’il est mon ami depuis très longtemps, je ne vis pas moins bien avec M. le chevalier d’Héricourt, je les vois très fréquemment » (lettre du 15 novembre 1772). On a tout lieu de le croire. Ainsi, petite faveur, quand le comte de Noé, actionnaire de la société de spectacles, s’en retourne en France, il lui fait profiter de son entrée gratuite au théâtre. Sa correspondance ultérieure avec le comte de Noé indique qu’il lui confie ses soucis quant à la santé de ses deux jeunes filles envoyées chez les Sœurs, à Tours, pour leur éducation (1783) ou lui demande de placer un neveu dans un régiment d’artillerie en France (1784). Les trois individus sont, par ailleurs, en rapport d’âge.

36En 1773, survient une affaire très sérieuse qui va, en définitive, consolider ce lien, Bayon de Libertat ayant failli ne faire qu’un passage-éclair comme administrateur des plantations Bréda. En effet, moins d’un an après sa mise en possession, il se voit contraint par Pantaléon II de Bréda de céder sa place au sieur Détribal. Motif : dans ses lettres, Bayon de Libertat parle de construire une nouvelle étuve ainsi que d’autres bâtiments à l’habitation du Haut-du-Cap, accumulant les matériaux dans cette perspective. Mais les termes que Bayon de Libertat emploie font croire à Pantaléon II de Bréda qu’il est mis devant le fait accompli, ce que le propriétaire n’apprécie guère. Il le fait brutalement savoir en lui retirant sa procuration. Bayon de Libertat proteste (« Je n’avais en vue le déplacement de votre étuve qu’après que vous l’auriez approuvé ») et se défend d’avoir voulu forcer la main de l’oncle Bréda (lettre du 6 août 1773). Mais le mal est fait.

37Cependant, l’affaire prend une tournure bien différente quand, vers la mi-juin 1773, les animaux domestiques commencent à mourir, alors que Détribal vient de prendre la direction des habitations depuis une quinzaine de jours. Dans une lettre du 12 octobre 1773, Détribal précise qu’en l’espace de deux mois « 26 mulets, 14 bœufs et 3 vaches » sont morts au Haut-du-Cap et, s’obstinant coûte que coûte à chercher un coupable parmi le personnel servile, il accuse nommément certains esclaves de les avoir empoisonnés34. Pour Bayon de Libertat, au contraire, et ce, dès le début de l’affaire, il n’y a pas lieu d’agiter le spectre de Makandal, l’empoisonneur qui terrorisa la Plaine-du-Nord une quinzaine d’années plus tôt ; Bayon parle d’une épizootie. En tant que telle, la thèse de l’empoisonnement peut se défendre, la frayeur de l’année 1757 suscitée par l’esclave marron Makandal ayant fortement marqué les esprits, quand maîtres et cheptels tombaient de façon foudroyante, à cause des poisons instillés par l’esclave en fuite35. Celui-ci, rattrapé après un an de cavale, avait été brûlé vif en place publique, au Cap, le 20 janvier 1758, subissant le châtiment qui frappait les sorciers. Il s’était tellement débattu, parvenant même à s’extirper du bûcher avant d’y être remis manu militari, qu’une croyance solidement installée parmi les esclaves affirmait qu’il rôdait encore et continuait à venger les pauvres serviles. Parallèlement, des talismans aux vertus protectrices ou, à l’inverse, capables de frapper, appelés makandals, circulaient discrètement entre leurs mains.

38Mais, quinze ans plus tard, et alors que des animaux meurent en nombre à Bréda, s’agit-il vraiment d’un empoisonnement ? Pour la plupart des Blancs du nord de l’île, cela ne fait aucun doute, convaincus qu’ils sont depuis des lustres que le Nègre est un empoisonneur né. Dans un tel climat, la suspicion tient trop souvent lieu de preuve et seule la manière forte – question, peine de mort pour l’exemple – permet d’enrayer le fléau aux yeux des maîtres. Or, quelques mois plus tôt, en décembre 1772, un tel malheur s’était déjà déclaré sur l’habitation Carré. Un médecin capois réputé, Jean-Louis Polony36 avait sérieusement examiné les animaux morts ; il avait réfuté la thèse du poison pour conclure à une maladie épizootique, donnant des conseils aux habitants pour éviter une extension du fléau37, mais sans convaincre tout le monde. Dans le cas de Bréda du Haut-du-Cap, c’est la même approche scientifique, dépassionnée et raisonnée qui va aussi prévaloir. Est-elle inspirée par le comte de Noé ? Faut-il y voir encore l’heureuse influence de Polony ? Toujours est-il qu’une commission de médecins et chirurgiens vient enquêter fin juillet ou début août ; les conclusions des experts sont expédiées en France, au propriétaire : « Leur avis est que c’est une maladie épidémique38 », indique Bayon le 18 août dans une nouvelle lettre à Pantaléon II de Bréda. Il se voit conforté dans son point de vue et, consécutivement, ne se gêne pas pour ajouter « que le sieur Détribal seul […] prétend que c’est du poison que vos nègres leur donnent ». Par son attitude, Détribal se discrédite et Bayon – c’est de bonne guerre – en profite pour accabler son concurrent, dénonçant son manque de finesse : « Il dit à tous vos nègres à la prière qu’il est informé, qu’ils sont tous des empoisonneurs ». Il met également l’accent sur ses méthodes brutales, n’hésitant pas à parler de « torture » envers les gardiens d’animaux et soulignant les dramatiques conséquences d’une telle répression : « Louis créole, le seul de vos nègres qui entende le pansement des animaux, a été mis au cachot de prison du Cap, le désespoir l’a porté à se couper le col avec une bouteille cassée, ce malheureux n’est pas mort sur-le-champ, on doute qu’il en réchappe ; un autre de vos nègres s’est porté à la même extrémité sur votre habitation et enfin tout ce qu’il y a de nègres raisonnables sont réduits au plus grand désespoir39. »

39La menace d’être attachés à la barre pousse effectivement le commandeur et vingt-cinq esclaves au marronnage. La situation est donc grave, pour que soient mentionnées ces réactions de résistance ou de désespoir de la main-d’œuvre servile, alors qu’en temps ordinaire on ne trouve guère trace de tels comportements d’esclaves dans les correspondances de gérants. Détribal a beau minimiser l’affaire et insister encore sur la thèse de l’empoisonnement, la situation ne peut durer. Résultat : Pantaléon II de Bréda le renvoie dès fin septembre, tandis que Bayon de Libertat se voit appelé à reprendre la direction des affaires. Triomphant, Bayon en profite pour se grandir aux yeux du propriétaire absentéiste et ternir encore la réputation de son concurrent destitué : « Vous aviez été, en effet, Monsieur, trompé, mais trompé comme il n’est pas possible de l’être » et, tirant le bilan du triste épisode survenu à l’habitation du Haut-du-Cap, indique que « MM. le comte de Noé et les arbitres l’ont vue et visitée et quoiqu’ils aient dit qu’elle était en mauvais état, ils n’ont pas assez chargé le tableau » (lettre du 10 octobre 1773).

40On ne possède pas le rapport de la commission d’enquête, mais il est fort probable que dans ces pages envoyées à Pantaléon II de Bréda, le comte de Noé plaide la cause de Bayon de Libertat et lui rende donc service. Quant à l’épizootie, elle finit par passer et le calme revient à Bréda du Haut-du-Cap.

LA VIE AUX MANQUETS

41Il existe désormais une grande affaire commune, l’habitation d’Héricourt-Noé, dite aussi des Manquets, car elle occupe l’essentiel du canton du même nom au quartier de l’Acul-du-Nord40. Quel aspect offre ce grand domaine que viennent de fonder les cousins associés ?

Le tour du propriétaire

42Comme tout maître important, le comte de Noé devait posséder un plan de son habitation, mais il n’a pas été possible de le retrouver. À défaut, il faut se rabattre sur d’autres études d’habitations sucrières, le caractère répétitif de l’organisation de ces exploitations autorisant à extrapoler quant à la configuration générale des Manquets. Diverses cartes d’époque, donnant une vision d’ensemble de la Plaine-du-Nord, permettent aussi de s’en faire une idée.

43Une fois franchie la grille d’entrée et parcourue la grande allée qui mène au centre du domaine, généralement plantée d’arbres de chaque côté, suivons par exemple la description que donne Pierre Pluchon d’un grand domaine : « Comment se présente le noyau d’une habitation sucrière, c’est-à-dire les bâtiments ? Ceux-ci sont en général disposés sur un talus ventilé, d’où il est facile au maître de surveiller places et savanes. Dans cet ensemble, on découvre d’abord la grand’case où réside le colon. À proximité se dressent la maison des économes, les cases des domestiques, la cuisine, un poulailler, le clocher pour appeler les Noirs au travail, éventuellement un colombier et un pavillon pour les voyageurs. Plus loin, viennent les cases des commandeurs, celles des nègres dans leur alignement strict, et l’hôpital des esclaves. Enfin, apparaissent les constructions à vocation industrielle. Le moulin à broyer la canne, la sucrerie avec ses chaudières, l’étuve, les purgeries, parfois une guildiverie, ou distillerie, plusieurs magasins et souvent une tonnellerie, une machoqueterie, ou forge, et un four à chaux. Tous ces bâtiments sont construits en bois ou en maçonnerie et couverts d’un toit d’essentes, ou tuiles en bois41. »

44L’habitation des Manquets est quant à elle traversée de part en part, selon une direction sud-nord, par une ravine (la ravine Trompette) qui se remplit lors des avalasses42 de septembre-novembre et qui coule sur son flanc est. Plus à l’ouest, toujours dans la même direction sud-nord, coule la rivière des Mornets qui assure un indispensable approvisionnement en eau pour les hommes et les bêtes, et qui sert de force motrice au moulin. Mais cette rivière se révèle insuffisante, si bien que pour presser les cannes, on adjoint un moulin à bêtes au moulin à eau – c’est-à-dire un tourniquet entraîné par des mulets. La sucrerie, la purgerie, la forge, l’« hôpital » (nom pompeux pour désigner le dispensaire où sont soignés les esclaves malades) et les « cases à nègres » pour le logement de la force de travail servile, sont probablement construits à proximité. En revanche, se détachent les logements des employés blancs et la grande case du maître, construits « au vent » pour éviter d’être trop incommodés par les odeurs émanant de la sucrerie.

45Une carte de la plaine du nord de Saint-Domingue, dressée dans le courant des années 1760 par le lieutenant d’artillerie Marchand43, montre encore la juxtaposition des deux habitations primitives D’homêcourt (sic, pour d’Héricourt), la plus au nord, et Noé, la plus au sud, ainsi qu’une autre nommée « Debréda », à l’ouest, en vis-à-vis de Noé, de l’autre côté de la route. De cette dernière, on ne sait rien : ces terrains ont-ils été ensuite vendus ou annexés à Noé ? Ces deux habitations sont de dimensions moyennes, comparables à leurs voisines. Mais la mise en société a entraîné une importante transformation. En effet, dans la partie Noé, tout est démoli, comme l’écrit Bayon de Libertat à Pantaléon II de Bréda : « Le chevalier d’Héricourt a commencé d’abord lors de leur société à faire détruire chez M. le comte de Noé sucrerie, moulin, bâtiments, cases à nègres, de manière qu’au bout de six mois il n’en est pas resté de vestiges44. » Il s’agit sans doute d’une action radicale et hautement symbolique pour sceller l’union. On ne sait pourquoi c’est la partie Noé qui est démolie (vétusté ? exiguïté ?), mais il n’y a désormais plus qu’une seule organisation visible, tant pour les bâtiments d’exploitation que pour les logements des esclaves, les matériaux récupérés pouvant avoir servi à des agrandissements de l’existant. On n’a cependant aucun indice de la réaction du comte de Noé face à cette démolition, ni de quels arguments a usé le chevalier d’Héricourt pour persuader son cousin de les entreprendre.

46Une dizaine d’années plus tard, en 1784, le plan de l’ingénieur René Phélipeau45 fait apparaître une habitation pouvant très approximativement s’inscrire dans un rectangle de 2 kilomètres (est-ouest) sur 4 kilomètres (nord-sud). La superficie totale approcherait les 700 hectares, ordre de grandeur que l’on ne peut malheureusement affiner du fait de l’imprécision des périmètres. Cependant, s’identifiant au canton dans son ensemble, les Manquets sont devenus l’un des domaines les plus étendus des environs du Cap-Français, avec l’habitation Galliffet au quartier de la Petite Anse. Même à l’échelle américaine, de telles dimensions sont rarement atteintes, la taille moyenne des habitations oscillant entre 240 et 310 hectares selon les lieux et les époques46.

Image

Une habitation sucrière à Saint-Domingue : l’exemple de Juchereau de Saint-Denis (1785), archives privées

47On ne sait comment sont disposés les champs de canne à sucre (irrigués), les « savanes » (où paissent les animaux), les « places à vivres » (parcelles plantées pour la nourriture des esclaves, en manioc par exemple et cultivées en commun), les jardins privatifs des esclaves, les « hattes » (enclos d’animaux) et les éventuels terrains incultes (notamment près de la ravine). Il ne semble pas y avoir de « bois debout », ces réserves foncières de bois d’œuvre ou de combustible. On peut cependant se faire une idée de la disposition générale grâce aux plans d’autres habitations, qui répondent à peu près aux mêmes principes d’organisation.

48Prenons par exemple celui de l’habitation Juchereau de Saint-Denis, retrouvé au château de L’Isle-de-Noé47. Ce domaine est situé au Trou-du-Nord, vers Fort-Dauphin, c’est-à-dire à une bonne trentaine de kilomètres à l’est du Cap-Français. Le plan est ici reproduit avec quelques aménagements – ajout du nom de chaque parcelle et tentative de nomenclature – pour en faciliter la lecture. Apparaissent de façon nette les « pièces » de canne, ces parcelles de formes géométriques simples plantées en cannes à sucre. Elles sont numérotées et nommées afin de faciliter la tâche du gérant, tant pour la rotation des plantations et des coupes que pour suivre l’évolution annuelle des rendements. Les noms des parcelles sont d’inspiration diverse. À Juchereau, on a, sans grande originalité, des attributions en fonction de la topographie (mornet, ravine…), des productions (bananiers, manioc…), des constructions (cases à nègres, moulin, aqueduc, vuide…), voire des acquisitions foncières (bois Dureau). On remarque aussi clairement l’alignement des « cases à nègres » et l’utilisation d’un moulin à eau pour presser les cannes. On repère aussi les « places à vivres », représentées sous forme de sillons, où sont cultivées les productions vivrières nécessaires à l’alimentation des esclaves.

49Pour les méthodes de culture, suivons encore Pierre Pluchon : « La partie des terres spécialement affectée à l’exploitation des cultures coloniales porte le nom de “places” ou “jardins”. Là, du lever du jour au coucher du soleil, avec un arrêt de deux heures au milieu de la journée, les ateliers d’esclaves, sous la surveillance de commandeurs noirs et d’économes blancs, sarclent, cueillent, coupent ou fouillent à la houe. Seuls les dimanches et fêtes laissent en repos les champs et les travailleurs, et encore pas toujours. […] Comment cultive-t-on la canne à sucre, cette reine incontestée des denrées américaines ? On partage les “jardins” en parallélogrammes d’environ cinq hectares chacun, qu’un large fossé sépare les uns des autres. Quand on veut planter ces pièces, on commence par brûler toutes les mauvaises herbes qui y poussent ; ensuite, on commande aux esclaves de creuser des trous assez profonds, distants les uns des autres, d’environ 90 centimètres ; dans chacun d’eux on couche à plat trois tronçons de têtes à cannes encore frais, dont les nœuds doivent fournir de nouvelles tiges. Après, on emplit et on couvre de terre, de manière que chaque fosse devienne un petit monticule.

50On plante la canne en toute saison, avec une préférence pour l’hivernage, période la plus fraîche qui s’étend de novembre à mars. On sarcle les pièces pendant trois à quatre mois, afin que les herbes n’étouffent pas les jeunes pousses. Au bout de quatorze à dix-huit mois, arrive le temps de la maturité, et par conséquent celui de la récolte. Les esclaves, munis de “manchettes”, longs couteaux tranchants, coupent les cannes au ras du sol, les dépouillent de leurs feuilles et de leurs têtes. Ces tiges sont aussitôt chargées sur des cabrouets qui les acheminent vers la sucrerie. Au moulin, on les broie pour en extraire le jus qui est écoulé vers les quatre chaudières où leur jus subit plusieurs cuissons pendant lesquelles le raffineur se dépense à extraire les impuretés48. »

51Le jus – ou vesou – passe donc par une batterie de chaudières pour y être progressivement réduit en un sirop épais, avant d’être versé dans des moules, appelés « formes ». Ces formes sont placées dans une purgerie où le sucre cristallise et décante, les sirops résiduels pouvant être distillés ou revendus tels quels s’ils sont jugés fins. Le sucre ainsi moulé peut être pré-raffiné « en blanc » (c’est le cas aux Manquets), par adjonction de terre blanche, le raffinage étant réservé à la métropole. Le séchage définitif a lieu pendant une quinzaine de jours dans une étuve. Reste la dernière opération, la réduction du sucre en poudre par pilage, avant la mise en barriques et l’expédition en métropole.

52Durant toute cette période particulièrement active de coupe, broyage et fabrication des pains de sucre, « on travaille de jour comme de nuit. Dans cette course, on oublie les heures de repos, on ajoute des veillées, on supprime des dimanches. Après la récolte, les habitants font brûler feuilles et souches des différentes pièces, et aussitôt on recommence à creuser des fosses, à planter49 ».

L’évolution de l’habitation pendant le séjour du comte de Noé

53En l’absence de documentation – le comte de Noé comme le chevalier d’Héricourt, vivant sur place, n’ont laissé aucun écrit de leurs actions –, la correspondance de Bayon de Libertat destinée à leur oncle est émaillée çà et là de détails sur les faits et gestes des neveux. Volontiers disert – pour se faire apprécier du propriétaire qui l’emploie ? –, Bayon donne indirectement un certain éclairage sur les Manquets, à commencer par quelques indications sur l’évolution de l’atelier et la dimension du domaine.

54À propos d’achats d’esclaves pour renforcer l’atelier, Bayon indique à Pantaléon II de Bréda : « Je m’étais proposé de vous vendre 63 nègres de mon habitation et 23 mules, au mois de juin dernier, j’en parlais à bien des personnes, mais l’événement a voulu que je les ai vendus à MM. vos neveux avec mon habitation, pour le prix et somme de 200 000 livres qu’ils me payent, à savoir 140 000 livres pour les nègres et 60 000 livres pour l’habitation et aux termes suivants, les nègres et les animaux portent 10 % d’intérêt et la terre 5 %, ce qui fait une somme de 17 000 livres de rente qu’ils me font tous les ans pendant quatre ans, au bout duquel terme ils me payeront le prix de la place qui est 60 000 livres, à la 5e année 84 000 livres, et à la 6e année qui est le solde 71 000 livres ; ces messieurs ont eu le bonheur de revendre l’habitation à un acquéreur de toute solidité aux mêmes conditions qu’ils me l’ont achetée, de sorte qu’ils ont eu mes nègres et mes animaux tous jeunes et beaux, au même prix que s’ils les avaient achetés à bord, ils n’ont pas donné un sol de comptant50. » Une belle opération donc, sur laquelle on n’est pas plus informé, mais qui indique encore la confiance établie entre Bayon et les deux cousins associés. Les protagonistes y jonglent classiquement à crédit, mais l’affaire se révèle apparemment rentable pour les deux associés, puisqu’ils font l’acquisition d’une main-d’œuvre vigoureuse. Ainsi que le résume Bayon, « ils ont mis trente de ces nègres-là dans leur sucrerie, ce sont les plus beaux de leur habitation, ils ont toute leur habitation en valeur, je crois qu’ils vont faire 800 milliers de sucre blanc, par conséquent ils ne tarderont pas à liquider leurs affaires ».

55On sait aussi que, début novembre 1774, ils achètent quinze autres esclaves sur un vaisseau négrier. En définitive, à la veille de leur départ pour la métropole, l’habitation des Manquets « est une habitation qui exige la résidence d’un procureur ; ils [le comte de Noé et le chevalier d’Héricourt] ont plus de 400 nègres et immensément de cannes, il leur faut un procureur à eux seuls51 ». En d’autres termes il s’agit d’une habitation qui monte en puissance, promise à un bel avenir si cette lancée se maintient. L’objectif que se sont fixé les deux associés est donc atteint.

56On apprend incidemment qu’une épizootie, déclarée fin 1774, a tué 40 mules, « sans compter les bêtes à cornes » et que les fièvres tropicales ont frappé les deux cousins. « Ils viennent de faire chacun une forte maladie, surtout le comte de Noé, la maladie épidémique qui l’avait si longtemps épargné les a touchés bien sensiblement52 », au point de parler de « prendre les eaux à Bagnères », dans les Pyrénées. À la veille de s’embarquer pour la France, « M. d’Héricourt a bien besoin de se refaire le sang, il l’a bien sec et bien aride, il a un malingre [ulcère accompagné de fièvres] considérable aux jambes. Je crois qu’il prend le bon parti de s’en aller, il y aurait succombé53 ». Le climat tropical est toujours aussi redouté.

57Sur le plan financier, Bayon signale aussi quelques arrangements, comme le remboursement en 1774 par le chevalier d’Héricourt de 2 000 livres empruntées cinq ans plus tôt auprès de son prédécesseur Gilly ou un emprunt commun de 2 900 livres. Il évoque surtout le peu d’empressement que met le comte de Noé à rembourser 5 000 livres, également empruntées à la trésorerie de M. de Bréda « pour formes et canaris [pots] que lui a fournis feu M. Gilly54 ». Cette somme n’est finalement remboursée que bien plus tard, entre 1782 et 1784. Enfin, on n’a que peu de détails concernant les dépenses engagées par les deux associés pour la bonne marche de leur habitation. Tout au plus, les papiers Noé contiennent un relevé qu’Étienne Collot, négociant au Cap, leur envoie. De juin 1775 à début janvier 1776, les dépenses engagées sont sans surprise : achat de chaudières à sucre, couteaux, scies, clous, houes, chaux, suif, huile à brûler (combustible pour les chaudières). On note aussi la fourniture de morue et de sel pour les esclaves, ce qui est très classique. Ici comme ailleurs, il est besoin de matériel pour cultiver, faire fonctionner la sucrerie et entretenir les bâtiments. Ici comme ailleurs, les esclaves ont faim et on leur fournit un peu de poisson séché, une dépense pas trop onéreuse. On remarque juste un travail (non précisé) effectué par le Noir libre Toussaint Daux et une contribution au marguillier55 de la paroisse de l’Acul.

DIVERSES DISPOSITIONS AVANT LE RETOUR EN FRANCE

58En 1775, le séjour du comte de Noé touche à sa fin, après plusieurs années à Saint-Domingue ; il en va de même pour d’Héricourt. Le navire prenait l’eau, la brèche a été colmatée et voilà le comte de Noé de nouveau prêt à affronter la haute mer. Il n’est donc pas étonnant qu’une fois la situation redressée, les propriétaires pensent à revenir en France. C’est en métropole que les choses importantes se passent ou se décident, que l’on se montre et que fonctionnent les cercles de pouvoir : le « Soleil » de Versailles brille alors davantage que celui des tropiques. À cela s’ajoute une raison de quitter la grande île : l’ennui. Qu’est-ce que la vie de ces célibataires sur leur habitation en société, entourés de leur cohorte d’esclaves ? Comme le souligne un quasi contemporain, « imaginez un homme non marié, seul Blanc dans sa maison de campagne, environné par une troupe plus ou moins considérable de nègres et de négresses qui sont ses domestiques, ses esclaves, par conséquent ses ennemis. Une mulâtresse conduit son ménage ; en elle réside toute sa confiance, et ennemie par vanité du peuple africain, fière des faveurs du sultan, elle ne lui est peut-être pas moins utile, il faut le dire, pour sa sécurité que pour ses plaisirs, toujours prête qu’elle est à lui dénoncer les complots des Noirs contre lui. L’économe et les autres Blancs, s’il y en a, mangent avec le propriétaire, mais ne logent point sous le même toit. Ils ne paraissent d’ailleurs dans la grande case qu’à l’heure des repas56 ».

59Entourés d’esclaves, ils le sont. Qu’ils aient leur concubine attitrée, c’est fort probable, mais nous n’avons aucune information précise à ce sujet. La monotonie de la vie de plantation peut peser et se révéler fatigante. Le pied-à-terre au Cap, la vie mondaine de la ville adoucissent certainement la situation, mais l’horizon reste cependant quelque peu étroit quand, en France, on a connu les plus hauts cercles et que la famille vous sollicite. Il ne faut pas oublier non plus que les maîtres, environnés de toutes parts d’esclaves, sont toujours sur le qui-vive, ce qui peut contribuer à alourdir le climat général. En fait, deux mondes cohabitent sans vraiment se connaître ni chercher à se rencontrer : d’un côté les maîtres, qui cherchent souvent à tromper leur ennui, et de l’autre les esclaves qui, pour la plupart, s’épuisent à la tâche avec, en apparence, une patience quasi-résignée. Rien d’étonnant à ce que Noé et d’Héricourt songent à revenir en métropole. Mais il leur faut au préalable assurer leurs arrières.

Nommer un procureur et un économe

60Le comte de Noé et le chevalier d’Héricourt se doivent de choisir des personnes de confiance pour assurer la bonne marche de leur habitation désormais mise sur une bonne voie. Choix particulièrement important pour deux postes à responsabilité, celui de procureur et celui d’économe.

61Le procureur est la personne qui reçoit procuration de la part du propriétaire pour agir en son nom et place. C’est lui qui rend compte et est responsable de tout ce qui peut survenir sur l’habitation. Situation importante, pour laquelle les candidats se bousculent, car la rémunération est intéressante. Supervisant l’ensemble du travail, il peut se permettre de vivre en ville, rencontrer les négociants, vaquer à d’autres occupations. Autre fonction sensible, celle d’économe (ou gérant) : c’est en fait le comptable, plus spécialement chargé de dresser le bilan chiffré de la gestion. Un poste également convoité. Il peut y avoir cumul des deux tâches, à l’instar de Bayon de Libertat pour les habitations Bréda ; on parle alors de procureur-gérant. À noter que le reste des postes confiés à des Blancs sont des emplois d’encadrement, de surveillance du travail des esclaves ou d’ouvriers spécialisés.

62Au moment de leur départ, la procuration des deux cousins associés est confiée à Antoine-Alexis Mosneron de Launay, un Nantais alors âgé de 32 ans (il est né en 1743), issu d’une importante famille d’armateurs et négociants. Cet ancien capitaine de marine marchande, venu à Saint-Domingue vers 1770, s’est d’abord établi au Port-Margot (où ses moyens lui permettent de devenir propriétaire de deux caféières) et, parallèlement, il est capitaine de milice57. Si on ignore ses conditions de rémunération, on possède en revanche l’avis de Bayon de Libertat sur l’individu, avis non dénué d’importance dans ce monde étroit et essentiellement mû par l’intérêt : « Je crois qu’ils [le comte de Noé et le chevalier d’Héricourt] ont fait un bon choix dans leur procureur. Il n’a pourtant pas encore fait ses preuves. Je désire plus que tout autre qu’il fasse bien58. » Bayon regarde donc d’un œil attentif l’affaire des neveux de Pantaléon II de Bréda et ne manque pas, dans sa correspondance ultérieure avec le maître des habitations Bréda, de donner des détails sur l’évolution des choses, ce qui illustre la constance de son intérêt.

63La place d’économe revient à un jeune Tarbais venu « aux isles » avec l’ambition avouée d’y faire fortune : Charles de Lépinaist, dont les deux lettres manuscrites qui sont conservées59 permettent de mesurer les espérances. Ce jeune homme de 24 ans, venu de sa Bigorre natale, bénéficie de la double recommandation de l’abbé Vergès, de Tarbes, spécialiste de droit féodal et intime connaisseur des généalogies des grandes familles gasconnes, et du comte de Gontaut, compagnon d’armes du comte de Noé sur le front italien durant la guerre de Succession d’Autriche.

64Ses débuts à Saint-Domingue sont difficiles, car il ne trouve pas à s’employer pendant un an, en proie aux fièvres et effaré par la « cherté excessive » du coût de la vie d’une colonie qui importe beaucoup de produits de France. Cette situation critique se débloque enfin : « C’est mon triste état qui a engagé M. de Noé et M. d’Héricourt à me mettre sur leur habitation » écrit-il à sa mère le 14 juin 1775. « J’ai resté pendant un an au Cap sans trouver une place ni M. le comte non plus ne pouvant me mettre sur son habitation parce qu’il a fait une société avec M. d’Héricourt qui se mêle de tout et je n’y serai jamais entré si ses messieurs ne s’étaient déterminés à passer en France ». Début juin 1775, Charles de Lépinaist se voit donc confier un emploi d’économe aux Manquets, à des conditions particulièrement avantageuses, du fait de la recommandation dont il bénéficie : « Il en coûte ordinairement 2 000 livres pour apprendre mon état et à moi, au contraire, on veut bien me l’apprendre et on me donne 100 pistoles cette année afin de m’entretenir de linge dont j’ai bien besoin. Je vois bien que c’est un trait de générosité de leur part », écrit-il encore.

65Les ambitions de Charles de Lépinaist sont claires : devenir riche. Confiant en l’avenir, il ajoute que « ces messieurs m’ont promis de s’intéresser toujours à moi et me mettre dans le cas de faire ma fortune. […] Ce sont ces messieurs qui pourront me rendre le plus grand service, étant fort riches et qu’ils aspirent encore à des biens immenses d’un oncle60 extrêmement vieux ». C’est donc ce jeune homme – déterminé à gagner de l’argent et à qui les deux associés font miroiter protection et fortune – qui va se frotter au procureur Antoine-Alexis Mosneron de Launay, « un très honnête homme fort doux et très habile qui m’apprendra très bien mon état », confie-t-il encore avec un candide enthousiasme. De plus, indique-t-il, « M. le comte de Noé m’a recommandé à M. Bayon qui est fort riche et qui peut me rendre service dans ce pays ». Le voici bien introduit dans le cercle étroit des administrateurs de plantations, où tout le monde se connaît et s’épie. Mais l’heure n’est pas encore à la désillusion.

66Quant aux emplois subalternes (raffineur, guildivier – autrement dit distillateur –, etc.), ils sont tenus alors par des ouvriers blancs dont on ignore tout, mis à part le fait qu’ils sont au nombre de quatre. De même, aucun état d’esclaves des Manquets n’est malheureusement parvenu jusqu’à nous ; en 1775, Bayon indique cependant que l’atelier compte alors « plus de 400 nègres ». C’est un effectif important pour une surface plantée déjà considérable, de l’ordre de 150 carreaux (193,5 ha), soit un rapport probable de plus de deux esclaves adultes par carreau de cannes, ce qui semble confortable. On sait qu’un effectif de deux esclaves adultes par carreau peut être considéré comme optimal, comme l’indique clairement Odelucq, procureur des habitations du marquis de Galliffet, dans une lettre de 1781 au propriétaire absentéiste : « Il faut deux nègres pour cultiver un carreau61. » Parfois, dans des cas exceptionnels, cela va même au-delà : on a ainsi trois esclaves par carreau dans le cas de la sucrerie Fleuriau de Bellevue, à la Croix-des-Bouquets près du Port-au-Prince62. Les Manquets semblent donc dans la norme des habitations en bonne condition de produire.

Les dispositions relatives au départ de l’île et à l’arrivée en métropole

67Tel est l’état des lieux quand le comte de Noé et le chevalier d’Héricourt s’embarquent, à la mi-juin 1775, à bord du Prince de Condé. Leurs chemins se séparent devant Belle-Île-en-Mer, le 29 juillet, le chevalier d’Héricourt poursuivant vers Bordeaux pour récupérer les papiers comptables de la gestion Peyré & fils, et le comte de Noé vers Paris. Les deux cousins se retrouvent un peu plus tard dans la capitale et vont rendre visite à leur oncle Pantaléon II de Bréda. Ils lui remettent une lettre de Bayon de Libertat et lui font certainement un compte rendu détaillé de la situation des biens familiaux et de la façon dont ils sont gérés. Mais ils ne lui parlent pas des clauses de donation relatives à leur association63. Or, c’est très probablement à l’occasion de ce séjour parisien que le comte de Noé fait une obligation à son cousin, par devant Me Maryssé, notaire à Paris, de 300 000 livres (argent de France) payables en cas de mort du comte, renforçant encore l’entreprise qui les lie64. Puis tous deux redescendent vers le Midi ; le chevalier d’Héricourt va à Toulouse, tandis que Louis-Pantaléon de Noé se rend au château familial de L’Isle-de-Noé où l’attend une affaire de la plus haute importance : son mariage.

68Le rideau est donc tiré sur la période de la vie du comte de Noé à Saint-Domingue. Il a désormais rejoint la grande cohorte des propriétaires absents, de l’ordre des deux tiers pour la Grande Antille. Juste avant de partir de son île natale, on relève de façon anecdotique qu’il fait procéder à la vente de quelques affaires personnelles, opérations dont il charge Étienne Collot. On l’a dit, le marquis de Najac achète sa petite armoire, tandis que son bureau est vendu à un certain sieur de Brisse65. Mais on remarque aussi que le « nègre libre Blaise » se porte acquéreur, pour 450 livres (une somme non négligeable) de sa grande armoire. C’est à l’occasion de cette liquidation que l’on a également mention d’une somme de 132 livres que le comte de Noé fait donner à « Magdelenne, sa Nourrice ». Cette révélation est timide, mais singulière. Même si elles apparaissent de façon légère et fugace, ces traces indiquent que Louis-Pantaléon de Noé a également fréquenté des Noirs, autrefois esclaves sur les propriétés familiales, puis devenus libres par affranchissement. Son chemin a croisé celui du « nègre libre Blaise », de sa nourrice affranchie, et d’autres encore, à commencer par Toussaint Bréda.

Notes de bas de page

1 anom, fm, E 220.

2 Ibidem.

3 anom, fm, E 57.

4 anom, fm, E 57 et diverses cartes de l’époque.

5 Ibidem.

6 anom, fm, E 57 et Carte de la Plaine du nord de Saint-Domingue (années 1760 ?), SHD, Armée de terre, 7 B 152, et Plan de la plaine du Cap-Français…, 1784, SHD, Armée de Terre, 7 E 69.

7 anom, fm, E 57.

8 Ibidem.

9 Ibid.

10 Selon la lettre du procureur Bayon de Libertat au comte de Noé, 10 mars 1781, archives privées.

11 Moreau de Saint-Méry, Description de Saint-Domingue…, op. cit., I, p. 296.

12 Voyage du comte de C*** à Saint-Domingue en 1730 (cité par Pierre de Vaissière, Saint-Domingue, la société et la vie créoles…, op. cit.).

13 Témoignage rapporté par Pierre Pluchon, Histoire des Antilles et de la Guyane, Toulouse, Privat, 1982.

14 Moreau de Saint-Méry, Description de Saint-Domingue…, op. cit., I, p. 313.

15 Ce terme n’a rien à voir avec la couleur de la peau des vendeurs ou clients. Il existe aussi un « marché des Noirs » où sont vendues divers productions agricoles, notamment des fruits et légumes produits par les Noirs.

16 Description… de Saint-Domingue…, op. cit., I, p. 315-316.

17 Voir les récentes approches d’Anne Perrotin-Dumon sur le rôle des ports dans la société coloniale, et de Stewart King et Dominique Rogers sur les « libres de couleur ».

18 Reprise d’un bail de location courant de 1770 à 1773, archives privées.

19 Comptes tenus par Étienne Collot de juin à décembre 1775, archives privées.

20 Voir supra, chapitre 2.

21 Quittance de 4 000 livres pour prix de ce passage, archives privées.

22 On évoquera ce personnage plus précisément dans le chapitre 5.

23 En tout, 16 quittances relatives à des dépenses diverses, courant de 1771 à 1775, archives privées.

24 Moreau de Saint-Méry, Description…, op. cit., I, p. 362-363.

25 Idem.

26 Pierre Bérard, Lapérouse dans la marine et les colonies du roi, 1756-1788, Albi, Association Lapérouse Albi-France, 2004, p. 41.

27 Daniel Ligou, Histoire des francs-maçons en France, 1725-1815, Toulouse, Privat, 2000, p. 123.

28 Comme le souligne Pierre Pluchon dans son compte rendu du livre de Mmes Escalle et Gouyon-Guillaume paru dans le n ° 45 des Cahiers du Centre de généalogie et d’histoire des isles d’Amérique, octobre 1993, p. 117-118. Dans cet article, Pierre Pluchon fait remarquer que très peu de noms de l’aristocratie des planteurs figurent dans les tableaux des loges dont on a conservé trace et estime que le nombre total de maçons de l’Amérique française est deux à trois fois plus important que ce que nous apprennent les documents de la BnF. De sorte que l’éventuelle activité maçonnique du comte de Noé peut fort bien échapper à l’historien.

29 anom, fm, E 88.

30 anom, fm, E 319.

31 anom, dppc, notsdom, registre 865 (Me Grimperel), contrat de mariage du 22 avril 1784.

32 AN, 18 AP 3, dossier 12, Lettre du 22 août 1772 (les armes de Libertat : « coupé au I d’azur, à la tour d’argent, accompagnée de 3 fleurs de lis d’or, en chef et 2 en flancs ; au 2 de gueules, au lion léopardé d’or », selon le Dictionnaire de la noblesse de La Chesnaye-Desbois). La correspondance de Bayon de Libertat à Pantaléon II de Bréda, souvent sollicitée dans ce livre, est conservée sous la cote 18 AP 3.

33 Pierre Chapuisé de Guériné, sergent des milices (compagnie des mulâtres) du Cap, avait demandé à devenir officier ; l’armée le lui refuse au prétexte qu’une de ses aïeules, cinq générations au-dessus, est noire, ce que Chapuisé conteste en affirmant qu’il s’agit d’une Indienne. En 1771, Bayon, Mauvezin et Béraud, officiers des milices, ayant bruyamment raillé l’attitude de Chapuisé, se voient traînés en justice par l’intéressé. En mai 1779, celui-ci obtient un arrêt sibyllin du Conseil Supérieur du Cap qui lui accorde le droit d’être officier mais évoque le risque de précédent. Bayon et ses acolytes contestent l’affaire et font imprimer en 1783 un mémoire demandant la cassation de l’arrêt de 1779. L’affaire remonte jusqu’au Conseil du Roi (lequel, en 1784, demande un complément d’information avant de statuer). Il semble que la polémique en soit restée là. anom, fm, E 21 (dossier Bayon de Libertat).

34 an, 18 ap 3.

35 Sur Makandal, voir par exemple Moreau de Saint-Méry, Description…, op. cit., p. 329-631.

36 Gascon originaire de Misson, dans les Landes, et médecin du prince de Rohan (gouverneur de Saint-Domingue de 1766 à 1772).

37 Polony a rédigé en 1776 un rapport sur les épizooties du nord de Saint-Domingue à destination de l’administration royale. Sur cette question voir Pierre Pluchon, Vaudou, sorciers, empoisonneurs…, op. cit. (p. 232-233 notamment).

38 Cette épizootie va continuer à toucher la Plaine-du-Cap pendant de nombreuses années, Moreau de Saint-Méry parlant encore de cas de morve et charbon en 1788 (Description…, op. cit., I, p. 239-240). Les maladies épizootiques n’étaient pas rares sous les tropiques, comme en métropole d’ailleurs. Ainsi, en 1774, Marc-Antoine de Noé, évêque de Lescar, plaide la cause des paysans béarnais victimes d’une grave épizootie. Le pouvoir royal envoie un million de livres pour soulager les Béarnais. Parallèlement, il faut se rappeler que consulter les guérisseurs et craindre la sorcellerie sont des réflexes vivaces dans les campagnes françaises à cette époque.

39 Lettre de Bayon de Libertat, 18 août 1773.

40 Voir carte p. 33.

41 Pierre Pluchon, « Le spectacle colonial », Histoire des Antilles et de la Guyane, Toulouse, Privat, 1982, p. 204-205.

42 Grandes pluies.

43 sdh, 7 B 152.

44 Lettre de Bayon de Libertat, 24 novembre 1780.

45 sdh, 7 E 69.

46 David Geggus, « The Sugar Plantation Zones of Saint-Domingue and the Revolution of 1791-1793 », Slavery and Abolition, 20 (1999), p. 31-46.

47 Les papiers de la famille Juchereau ont été déposés au château de L’Isle-de-Noé probablement à la suite du mariage entre François-Thomas de Noé et Laure Trousset – dont la mère est Marie-Louise Juchereau de Saint-Denis – en 1831.

48 Pierre Pluchon, « Le spectacle colonial », op. cit., p. 205-206.

49 Idem., p. 206.

50 Lettre de Bayon de Libertat, 24 février 1774.

51 Idem, 14 juin 1775.

52 Idem, lettre du 3 février 1775.

53 Idem, lettre du 14 juin 1775.

54 Idem, lettre du 24 novembre 1780.

55 Laïc chargé de l’entretien d’une église, au sein du conseil de fabrique.

56 Justin Girod de Chantrans, Voyage d’un Suisse dans les différentes colonies de l’Amérique, Neuchâtel, 1785 (réédition Paris, Tallandier, 1980, p. 130).

57 anom, fm, E 314 bis.

58 Lettre de Bayon de Libertat, 14 juin 1775.

59 AD des Pyrénées-Atlantiques, fonds Ritter, 16 J 184.

60 Il s’agit de Pantaléon II de Bréda, alors âgé de 64 ans.

61 Cité par Karen Bourdier, Vie quotidienne et conditions sanitaires sur les grandes habitations sucrières du Nord de Saint-Domingue à la veille de l’insurrection d’août 1791, thèse d’histoire, uppa, 2005, p. 49.

62 Jacques de Cauna, Au temps des isles à sucre, Paris, Karthala, 2003 (réédition).

63 Lettre de Bayon de Libertat au comte de Noé, 10 mars 1781, archives privées.

64 an, 18 ap 3, Lettre de Bayon de Libertat à Pantaléon II de Bréda, 24 novembre 1780.

65 Comptes tenus par Étienne Collot de juin à décembre 1775, archives privés.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.