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Chapitre 2. Bellicae virtutis praemium

p. 55-61


Texte intégral

1La carrière militaire de Louis-Pantaléon de Noé offre un exemple classique de parcours d’un fils de l’aristocratie à qui le rang, la fortune, les protections – mais aussi le courage au combat – permettent d’obtenir une belle position dans les armées du roi. Durant toutes ces années martiales, il ne se préoccupe guère du domaine familial antillais. Sa mère, alors encore en vie, est seule concernée par ces affaires d’outre-mer. C’est donc d’abord en soldat que vit et agit le comte de Noé, fidèle à plusieurs siècles d’une lignée de noblesse d’épée.

LE BAPTÊME DU FEU : LA GUERRE DE SUCCESSION D’AUTRICHE

2Le 6 juin 1740, selon son dossier militaire2, Louis-Pantaléon de Noé entre comme lieutenant en second dans le régiment d’infanterie de Noailles (fondé par le duc Anne-Jules de Noailles en 1691). La vie paisible ne dure guère car, fin 1740, éclate la guerre de Succession d’Autriche, dans laquelle le royaume de France s’implique, en appui aux prétentions de la Bavière, de l’Espagne et de la Prusse, face à une Autriche soutenue par l’Angleterre et les Pays-Bas.

3Le jeune homme va donc vite être confronté aux réalités de la guerre et au cortège d’horreurs et de misères, grandes ou petites, qu’elle entraîne. Globalement, l’armée royale a bien évolué depuis le siècle précédent ; il y a davantage d’ordre et de discipline, et les régiments sont mieux tenus (les grades importants ne sont cependant accessibles qu’aux nobles, et de façon vénale). Surtout, à côté des unités d’élite de la Maison du Roi, de la Maison des Princes et de quelques régiments de prestige, l’ensemble a encore un caractère hétéroclite, avec drapeaux et uniformes particuliers pour chaque unité, confronté à l’éternel problème du recrutement des troupes et, parallèlement, à celui des désertions, impossibles à juguler ni contrôler.

4Adolescent, Louis-Pantaléon de Noé doit commander à des hommes au combat. Ses états de service restent laconiques, mais, au milieu du tourbillon général, on arrive cependant à le suivre dans le sillage du maréchal de Noailles et de son fils Louis de Noailles, duc d’Ayen. On sait que moins d’un an et demi après son incorporation, il devient enseigne (officier porte-enseigne) de la compagnie de Gay du régiment de Noailles, le 1er novembre 1741, nomination appuyée par le roi. Un an plus tard, le 9 décembre 1742, il passe lieutenant dans ce même régiment.

5C’est dans les pays rhénans qu’il est confronté aux premiers combats de sa carrière militaire. L’armée à laquelle il appartient ayant franchi le Main, il est au cœur de la bataille de Dettingen, le 27 juin 1743, au cours de laquelle les troupes autrichiennes et anglaises triomphent des Français commandés par le maréchal de Noailles. Louis-Pantaléon de Noé est blessé au cours de l’affrontement, mais s’en sort. Il est aussi témoin du vent de panique qui touche les Gardes françaises et leur vaut le sobriquet de « canards du Main ». L’armée doit se replier sur le Rhin et traverse une crise consécutive au revers subi et aux erreurs de commandement, ce qui va pousser Louis XV à se montrer à ses soldats, lui d’ordinaire si peu enclin à le faire.

6L’année suivante, le jeune comte de Noé est engagé dans les Flandres (lors des sièges d’Ypres et de Menin). Puis il passe de nouveau en terre allemande, avec les troupes qui accompagnent le roi. Durant le siège de Fribourg-en-Brisgau, du 19 septembre au 25 novembre 1744, il est « blessé d’un éclat de bombe ». Là encore sans trop de gravité semble-t-il, puisqu’on le retrouve quelques mois plus tard dans un autre régiment et sur un autre théâtre d’opérations.

7En effet, Louis-Pantaléon de Noé devient, le 19 février 1745, capitaine de cavalerie – arme de prestige s’il en est – dans le régiment de la Viefville3, engagé sur le front italien en appui à des troupes espagnoles, plus précisément dans la plaine du Pô, où il participe aux combats de Tidone, du Tanaro et de Plaisance (16 juin 1746). Ce dernier affrontement non seulement marque le coup d’arrêt de la progression franco-espagnole, mais conduit les troupes alliées à se replier de l’autre côté des Alpes. On n’a pas de précision sur le rôle joué par Louis-Pantaléon de Noé durant cette phase de la guerre. On le voit de nouveau traverser la France pour remonter dans les Flandres ; le 2 juillet 1747, il participe à la victoire de Lawfeld (non loin de Maastricht), chèrement gagnée par le maréchal de Saxe, en présence de Louis XV, au cours de laquelle il est de nouveau blessé.

8Une fois la paix signée (traité d’Aix-la-Chapelle du 18 octobre 1748), l’on n’est guère renseigné sur ses activités ultérieures. Si ses états de service l’indiquent « réformé » en 1749, on le retrouve en 1754, au moment du mariage de sa sœur avec le comte de Polastron, toujours capitaine de cavalerie au régiment de la Viefville, et habitant Auch. Ce fait mis à part, le silence est total jusqu’en 1756, année où Louis-Pantaléon de Noé va faire brillamment parler de lui.

9Quelles premières conclusions peut-on tirer de ces années éprouvantes ? Tout d’abord, il montre sa valeur, payant de sa personne au plus fort des combats ; ce n’est pas un soldat d’opérette. De plus, la guerre a endurci son corps, et probablement son caractère. Il a vécu de violents épisodes, sillonné l’ouest de l’Europe, vu du pays. La crise qu’a traversée l’armée ne lui a pas échappé : il a constaté de l’intérieur que la morgue et la suffisance de certains hauts gradés pouvaient compromettre une campagne. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il demeure dans l’entourage des Grands et qu’il a dû s’y faire remarquer : dure école au service du roi où la prouesse, le dépassement et le sacrifice côtoient l’orgueil, la souffrance et la misère.

PENDANT ET APRÈS LA GUERRE DE SEPT ANS

Chevalier de Saint-Louis

10En juin 1756, Louis-Pantaléon de Noé est particulièrement à l’honneur, puisqu’il est décoré des mains du roi Louis XV en personne, à Versailles, de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Le côté prestigieux de la cérémonie confirme, s’il en était encore besoin, à quel niveau social se situent les Noé. Rappelons que cette distinction créée par Louis XIV en 1693 – croix d’or émaillée à huit pointes, ornée de la figure de Saint-Louis, suspendue à un ruban rouge –, distingue les officiers par leur vertu, leur mérite et les services rendus. Elle les engage aussi à vivre en catholiques, à obéir au roi, et leur assure une rente annuelle.

11Pourquoi un tel honneur ? Rien dans le peu d’archives familiales accessibles n’éclaire la circonstance, que le mérite personnel du jeune officier sur les champs de bataille n’explique qu’en partie. On ne peut que se borner à constater que, trois ans plus tôt, son cousin Louis, vicomte de Noé, colonel du régiment Orléans-cavalerie, a été admis aux honneurs de la Cour – peut-être aidé par ses relations avec les Orléans, ou par son épouse, née Cohorn de La Palun, ancienne élève de Saint-Cyr. Faute de documents, il est difficile de savoir précisément quelles protections et quelles recommandations soutiennent de façon efficace les Noé. Il n’en reste pas moins que le jeune officier qu’est alors Louis-Pantaléon de Noé (il a alors 28 ans) a certainement vécu cette journée de juin 1756 comme une liesse, les mots de félicitation du roi ne pouvant que lui aller droit au cœur.

12Sa carrière militaire, qu’il poursuit dans la cavalerie, prend alors une nouvelle orientation puisqu’il sert désormais dans la « gendarmerie », c’est-à-dire les unités d’élite (réorganisées depuis Louis XIV) protégeant le roi – qui en nomme les officiers – et les Princes de sang. Autrement dit, il s’agit d’une position particulièrement sensible et importante, celle de servir dans la « Maison » du Roi (et des Princes), au plus près des Grands. Outre ses mérites de soldat et ses relations, faut-il aussi y voir une promotion facilitée par la fréquentation de la franc-maçonnerie ? Les loges commencent à se développer au sein de l’armée et l’on ne peut complètement écarter cette hypothèse, même si l’appartenance de Louis-Pantaléon de Noé n’est pas assurée. Là encore, les papiers de famille ne donnent aucun indice : la question demeure ouverte.

Tournant de carrière

13Si la rivalité franco-anglaise pour la vallée de l’Ohio pousse à l’éclatement de la guerre outre-mer (un convoi français devant ravitailler le Canada a été capturé par les Anglais sans déclaration d’ouverture d’hostilités, le 10 juin 1755), le conflit s’étend dès l’année suivante à l’Europe, pour sept ans. Pendant plusieurs campagnes, l’élite des troupes françaises va se trouver engagée en terre germanique, notamment la Maison militaire du roi. On retrouve le comte de Noé participant à la campagne de Westphalie en 1757, en tant qu’aide de camp du duc Louis-Philippe d’Orléans. Il est nommé « guidon » (grade qui n’existe plus de nos jours) des Gendarmes d’Orléans le 5 novembre de cette même année. On sait également qu’un an plus tard, il devient enseigne des Gendarmes d’Aquitaine (unité auparavant connue sous le nom de « Gendarmes de Monsieur »). Le comte de Noé sert dans la « Maison Rouge » – ainsi nommée du fait de la couleur de l’uniforme – composée des gendarmes, chevau-légers, mousquetaires et grenadiers à cheval.

14La bataille de Minden (1er août 1759) va constituer un tournant dans sa vie militaire. Durant cet affrontement perdu par les troupes françaises, il est très sérieusement blessé d’un coup de feu au bras droit. Son cheval est tué sous lui. La chute aurait-elle contribué à aggraver encore la blessure qui vient de lui brûler le bras ? Ce qui est sûr, c’est que le cavalier en reste « estropié » ; toutefois, ses papiers militaires ne précisent pas quelle est la gravité des séquelles, sinon du handicap, dont il va désormais souffrir. Il semble pouvoir encore écrire, mais ses aptitudes à servir dans la cavalerie sont compromises, comme le montre la suite de sa carrière. Le 4 avril 1760, le comte de Noé sert aux Gendarmes du duc de Berry, une unité créée en 1690 par le duc de Berry4, troisième des petits-fils de Louis XIV ; deux ans plus tard, il quitte la Maison des Princes. En effet, « ayant fait toute la guerre dans la gendarmerie, blessé assez grièvement pour rester estropié et ne pouvoir que difficilement servir dans la cavalerie », comme il l’écrit lui-même dans une lettre non datée5 et probablement adressée à Louis-Antoine de Gontaut, duc de Biron6 : « Sa Majesté m’accorda au mois de février 1762 le régiment Royal Comtois7. » Il devient d’ailleurs colonel unité d’infanterie le 1er février 1762. Comme, à cette époque, un régiment s’achète, cela signifie que Noé a quelques moyens à sa disposition et qu’il est apte à payer les soldes en cas de défaillance de la trésorerie royale.

Chef de corps du Royal Comtois Infanterie

15Les missions confiées à ce régiment sont des fonctions de surveillance des frontières et côtes, méditerranéennes et surtout atlantiques, pour veiller à toute velléité de débarquement de la part des Anglais. En 1763, la paix signée impose à la France la perte du Canada et de sa position dominante aux Indes, mais elle garde ce qui paraît l’essentiel à l’époque, à savoir Saint-Domingue. Cependant, les troupes restent sur le qui-vive. De fait, pour le comte de Noé, il ne s’agit donc plus de s’engager sur des champs de bataille, mais d’assurer des missions moins exposées, et plus en rapport avec ses capacités physiques maintenant diminuées.

16Pour l’anecdote, on a conservé la description de l’uniforme tel qu’il est porté à ce moment-là par les hommes du Royal Comtois, comme le note l’historique du régiment : « Le vert de Saxe est donné comme couleur distinctive aux régiments affectés au service des ports et des colonies. L’habit est muni de revers et veste blanc pour les régiments français, ainsi que la culotte et la veste, le numéro qui indique le rang du régiment est marqué sur les boutons. Royal Comtois a le collet et les parements de l’habit verts, les boutons jaunes avec le numéro 59 et le chapeau bordé d’or ; en 1767 le galon du chapeau sera blanc et la cocarde, blanche également8. »

17Ce même historique évoque les nombreux déplacements des troupes qui le composent, essentiellement le long des façades maritimes. Ainsi, en 1762 le régiment tient-il garnison à Landerneau et au Conquet ; il est envoyé à l’île d’Oléron en mai 1763, à La Rochelle en décembre 1763, à l’île de Ré en avril 1764, à Rochefort en août 1765, à Perpignan en mai 1766, à Collioure et Montlouis en octobre 1766, puis de nouveau à l’île de Ré et à La Rochelle en novembre 1767. En mai 1768, un bataillon est affecté à Belle-Île-en-Mer, le régiment ne se retrouvant au complet à Rochefort qu’en janvier 1769. Mais le comte de Noé ne suit pas forcément ces mouvements. En effet, sa présence est signalée dans la capitale au moment où, après le décès de sa mère, il lui faut régler avec sa sœur le difficile problème de l’héritage familial. Ainsi, fin 1763 et début 1764, vit-il à Paris, rue de Richelieu ; c’est devant un notaire parisien qu’il donne procuration à son beau-frère, le comte de Polastron, pour le règlement du délicat dossier de succession. En 1765, on le retrouve exceptionnellement à Bordeaux pour affaires ; il est signalé comme vivant « ordinairement à Paris9 ».

Retour à Saint-Domingue

18Chef de corps, Louis-Pantaléon de Noé n’est donc pas toujours près de ses soldats, loin s’en faut. Quand le Royal Comtois reçoit l’ordre de s’embarquer pour l’île de France (aujourd’hui île Maurice) ; en bon soldat, il s’apprête à se plier à cet ordre qui contrariait ses plans. Mais il obtient du duc de Choiseul, alors Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, l’autorisation de quitter le régiment pour « aller au secours d’une très grande fortune que la guerre avait ébranlée [à Saint-Domingue] et qu’une administration vicieuse allait détruire10 ». Il confie alors le commandement du Royal Comtois au lieutenant-colonel de La Motte-Geffrard et s’embarque pour la Grande Antille.

19Le comte de Noé envisage visiblement un séjour de courte durée à Saint-Domingue, si l’on en croit les termes de l’un des actes notariés qu’il passe le 13 mars 1769 devant Me Barberet, notaire à Bordeaux, afin de remettre de l’ordre dans ses affaires : « Les ordres et le service de Sa Majesté exigeaient qu’il [le comte] partît incessamment pour Saint-Domingue et ensuite pour l’Inde avec son régiment11. » On sait que le comte de Noé est encore présent à Bordeaux début juin 176912. Selon toute probabilité, c’est dans le courant du second semestre 1769 que Louis-Pantaléon de Noé rejoint son île natale. Son intention est de redresser le plus rapidement possible la situation de ses domaines pour, ensuite, rejoindre son commandement. Mais son séjour à Saint-Domingue va se prolonger.

20C’est dans cette situation insolite que le régiment, qui a pris ses quartiers dans l’île de France mais est privé de son chef de corps en titre, va se trouver confronté à une grave crise. Le motif de l’agitation serait-il lié à la décision de fixer de façon permanente le régiment dans cette île de l’Océan Indien, alors que d’autres régiments, partis servir outre-mer, finissent par revenir en métropole ? Probablement. Le fait est que l’annonce d’un éloignement prolongé n’est certainement pas du goût de tout le monde au sein du Royal Comtois. Le climat se détériore gravement, au point que les officiers du régiment refusent d’obéir au lieutenant-colonel et au major qui les encadrent « parce qu’ils sortaient d’un autre régiment et provoquaient l’indiscipline de leurs soldats13 ». La mutinerie devient si grave que les différentes compagnies du régiment sont progressivement rappelées en métropole à partir de 1772 et que les meneurs sont traduits devant un conseil de guerre qui se tient à Lille, le 12 juillet 1773, présidé par le comte de Mouy, lieutenant général des armées du roi. Les sanctions sont lourdes : trente-trois officiers et sous-officiers cassés de leur grade et condamnés à des peines de prison allant d’un an à vingt ans selon le degré d’implication des individus14. Autant dire que l’encadrement du Royal Comtois est totalement à renouveler.

21La conséquence indirecte est que, le 28 juillet 1773, le commandement du régiment est confié à un personnage bien introduit à la Cour, Stanislas-Catherine de Biaudos de Castéja, filleul du roi de Pologne, par ailleurs parent de la marquise de Prie, la sous-gouvernante des Enfants de France. Il est vrai qu’entre-temps le duc de Choiseul a été remercié et renvoyé en Touraine, et que les méchantes langues peuvent rappeler que « si la femme d’un Noé, qui vivait à Paris sous Louis XV […] n’eût pas eu des charmes à la merci du ministre Bertin, si les grâces obtenues par ce canal-là eussent moins bien servi, ni l’éclat ni la profusion n’eussent été les mêmes : je ne citerai que l’évêché de Lescar [attribué à Marc-Antoine de Noé en 1763] et la belle mairie de Bordeaux [attribuée au vicomte Louis de Noé la même année]15 ».

22Le nom de Noé semble donc moins bien en cour dans les années 1770. Et quand l’étoile pâlit, que les protections faiblissent et que les relations se distendent, c’est un clan dans son ensemble qui peut glisser sur la pente descendante. Lorsqu’il apprend cette affaire et la nouvelle de son « déplacement » au profit d’un autre chef de corps, le comte de Noé, qui est toujours à Saint-Domingue, écrit une lettre (citée plus haut) pour plaider sa cause et celle des hommes qu’il a naguère commandés. Il reste assez laconique sur son propre sort, se contentant d’indiquer qu’il est « devenu nul sans savoir pourquoi », faisant remarquer qu’il « était apparemment nécessaire que je n’y fusse pas [au procès] pour le donner [le régiment] à M. de Castéja » et remettant finalement son sort à l’appréciation de son correspondant. Quant à ses ex-subordonnés, il se fait leur avocat : « Je vous supplie, Monsieur le duc, d’agréer avec mon premier hommage les vœux que j’ai l’honneur de vous adresser en faveur des officiers du régiment Royal Comtois ; ces infortunés ont servi sous vos ordres, ont mérité vos bontés, votre suffrage ; je les ai commandés douze ans, je n’ai que les plus grands éloges à faire de leur zèle, et de leur subordination. Ils sont bien malheureux Monsieur le duc, ces braves gens si constamment fidèles à l’honneur, au devoir, de violer si brusquement l’un et l’autre, ce passage subit de la plus stricte observance des lois militaires à la plus coupable licence n’est point la marche ordinaire de la nature […] Serait-il impossible, Monsieur le duc, à vos bontés, si connues pour le militaire, d’obtenir la clémence du roi en faveur de ceux-ci ? La révision du procès n’est point contraire au bon ordre et pour restituer l’honneur à des hommes qui vous devraient plus que la vie, et le plus beau jour de la mienne, monsieur le duc, serait d’être témoin et de partager les transports de leur reconnaissance16. »

23La plaidoirie a beau avoir des accents sincères, l’absence du chef de corps n’en est pas moins gravement préjudiciable. La demande du comte de Noé, tant pour sa situation personnelle que pour celle de ses ex-officiers subalternes, n’est pas entendue : il n’a plus de régiment sous ses ordres et se voit mis à l’écart par ce qui semble bien être une disgrâce. La carrière militaire du comte de Noé ne s’arrête cependant pas là. Une fois rentré en France et établi au château de L’Isle-de-Noé, il est nommé maréchal de camp le 1er mars 1780. Il vient alors de franchir la cinquantaine et, devenu père de famille, va penser en priorité au devenir de ses jeunes enfants. Le temps passant, on peut donc le croire ayant pris quelque distance avec la chose militaire ; mais dans le contexte des événements révolutionnaires, il va finir par reprendre du service. Mais, pour l’instant, suivons-le à Saint-Domingue où, à partir de 1769, il tente de remettre de l’ordre dans ses affaires et de gérer au mieux les possessions héritées de sa mère.

Notes de bas de page

1 Devise de l’ordre de Saint-Louis : « Le prix de la vertu guerrière ».

2 shd, 7 Yd 678.

3 Du nom de son chef de corps de l’époque, le marquis François-Joseph-Jean de la Viefville. Régiment créé en 1674 sous le nom de Saint-Sylvestre.

4 À l’arrivée du comte de Noé, ce titre est porté par le futur Louis XVI.

5 Probablement à la fin de 1773. Archives privées.

6 Maréchal de France et pair de France (1701-1788).

7 Devenu le 73e Régiment d’Infanterie sous la Révolution.

8 shd, 4 M 67.

9 Procuration du comte de Noé à Raymond Lassus, 26 octobre 1765, AD de Gironde, Me Barberet, 3 E 20564.

10 Lettre au duc de Biron, fin juin 1773, archives privées.

11 ad de Gironde, Me Barberet, 3 E 20571.

12 Un acte qu’il passe devant Me Barberet est daté du 3 de ce mois.

13 lieutenant-colonel Belhomme, Histoire de l’infanterie en France, Paris, Lavauzelle, tome 3, p. 313-314.

14 Pour le détail, voir shd, A1, registre 3682.

15 Jean-Gratien Laussat, La société béarnaise au xviiie siècle, p. 208-209.

16 Lettre au duc de Biron, juin 1773.

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