Introduction
p. 137-139
Texte intégral
1Comme dans le cas de Carthage, les sources littéraires sur la monnaie des rois numides et maurétaniens nous font totalement défaut. L’épigraphie est encore plus pauvre puisque nous n’avons pas ici l’équivalent des tarifs sacrificiels puniques. Quant aux publications archéologiques, elles ont, depuis le siècle dernier, longtemps traité le monnayage numide avec la même désinvolture que celui de Carthage, et cela pour les mêmes raisons, déjà évoquées.
2D’autre part, les royaumes de Numidie ne sont pas davantage favorisés que Carthage par l’historiographie gréco-latine qui n’en traite que de manière épisodique et en privilégiant les faits militaires : principalement la deuxième guerre punique, la guerre de Jugurtha et la campagne césarienne de Thapsus. C’est donc à une histoire fragmentaire et recomposée en fonction de celle de Rome que nous devrons tenter de relier les monnayages numides et maurétaniens. Cela étant, ils nous permettront, justement parce qu’ils constituent une source interne et continue, d’illustrer, de compléter ou de corriger certains points de nos connaissances sur les royaumes berbères.
3Les principales questions que nous aborderons dans cette partie de l’ouvrage par le biais du monnayage seront : l’évolution de la représentation du pouvoir royal, le processus de monétarisation des royaumes berbères, et enfin les diverses étapes locales de leur hellénisation et de leur romanisation. Toutes ces questions étant, naturellement, liées les unes aux autres.
4Quel ordre fallait-il suivre dans l’étude des monnayages royaux ? Nous avons adopté le classement géographique traditionnel, qui examine successivement les dynasties de Numidie, puis celles de Maurétanie. Conforme à la coutume numismatique, il présente l’avantage de sauvegarder les habitudes sans se heurter aux inconvénients majeurs qui apparaissent immédiatement quand on veut aussi le suivre pour classer les monnaies des cités. En effet, les notions à la fois géographiques et politiques de « Numidie » et « Maurétanie » varient très largement au cours de la période qui nous intéresse, ce qui explique qu’elles varient aussi dans les catalogues. L. Müller distinguait d’une part une Numidie au sens le plus restreint, comprise entre l’ancien domaine de Carthage et l’Ampsaga qui coule un peu à l’ouest de Cirta, et, d’autre part, sur le même plan que cette Numidie réduite, une seule Maurétanie qui couvrait, vers l’ouest, tout le reste du Maghreb. À l’intérieur de cette grande Maurétanie, il distinguait, mais de façon très secondaire, au point que la distinction disparaissait dans la table des matières, une Maurétanie césarienne et une Maurétanie tingitane telles qu’elles seront créées après l’annexion romaine1. L. Charrier, pour sa part, mêle plusieurs acceptions des termes « Numidie » et « Maurétanie2 ». Quant à J. Mazard, bien qu’il dise reprendre le plan de L. Müller, il l’altère en nommant les Maurétanies « orientale » et « occidentale » et non « césarienne » et « tingitane3 ».
5Ce sont la structure des royaumes berbères et la complexité de leur histoire qui expliquent ces fluctuations terminologiques. Plus que de royaumes aux frontières politiques fixes, il s’agit, au moins au début, de confédérations de tribus qui se nouent et se dénouent sous la direction d’un aguellid dont Massinissa reste le plus connu. La zone de domination de ces royaumes, en voie de stabilisation et d’organisation en États sous l’influence de Carthage, puis des monarchies hellénistiques et de Rome, est donc au début très mouvante.
6D’autre part, le destin historique de ces formations politiques les modifie profondément. Depuis que Rome, au cours de la deuxième guerre punique, s’est introduite dans les affaires d’Afrique, elle tendra à les régenter toujours davantage. Ce sera d’abord l’alliance avec le Massyle Massinissa contre le Masaesyle Syphax, puis la création de la province d’Afrique en 146 av. J.-C. sur l’ancien territoire de Carthage. Par la suite, les relations entre les successeurs de Massinissa et Rome4 montrent une constante alternance : à Micipsa (148-118 av. J.-C.), fils de Massinissa, docile à Rome, va succéder Jugurtha, qui affrontera l’Urbs sans succès. Après sa défaite (105 av. J.-C.), ses successeurs Gauda puis Hiempsal resteront, pour l’essentiel, sur une prudente réserve. Puis Juba Ier (60-46 av. J.-C.) jouera sans succès sa carte aux côtés des Pompéiens pour tenter de rendre une réelle indépendance à son royaume. Après son échec, son fils Juba II (25 av. J.-C.-24 ap. J.-C.), docile et romanisé, règnera dans une totale soumission à Rome et à Auguste, puis Tibère. Le dernier représentant de la dynastie, Ptolémée, sera assassiné en 40 ap. J.-C. sur l’ordre de Caligula. Représentait-il un danger pour ce dernier ? Les historiens de Caligula soulèvent la question. Quoi qu’il en soit, toutes ces péripéties amènent autant de modifications territoriales des royaumes berbères, voire des transferts de dynastie. Juba II devra quitter la Numidie paternelle pour régner sur la Maurétanie que lui confie Auguste. Toutes ces modifications contribuent naturellement à faire largement varier l’acception des termes « Numidie » et « Maurétanie » au gré des fluctuations de l’histoire. Et cela sans parler des scissions internes à ces royaumes sur lesquelles nous ne sommes pas toujours bien renseignés et qui compliquent encore le tableau.
7Dans notre ouvrage, nous suivrons les logiques dynastiques. Nous commencerons par étudier Syphax et Verminad, les plus anciens rois numides ayant frappé monnaie (213-200 av. J.-C.). Puis, nous suivrons, toujours en Numidie, Massinissa et ses descendants jusqu’à la mort de Juba Ier et l’annexion par Rome de la Numidie (46 av. J.-C.). À l’occasion de cette rupture dans l’histoire de la principale dynastie berbère, on se tournera vers les dynasties maurétaniennes et les dynasties numides secondaires, de chronologie et de composition incertaines, avant de terminer sur Juba II et Ptolémée, derniers rejetons du Numide Massinissa, installés par Rome sur le trône de Maurétanie (25 av. J.-C. - 40 ap. J.-C.).
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