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Les monnaies de l’Afrique antique

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Jacques Alexandropoulos

Première partie. Les monnayages de la Carthage punique

Les monnayages de la Carthage punique

Conclusion

Texte intégral

1Au terme de notre examen des monnayages de la Carthage punique, il faut insister sur le fait que l’étude précise des émissions reste à faire, si l’on excepte quelques séries bien connues, comme les frappes d’or et d’électrum, les tétradrachmes de Sicile ou encore certaines des premières émissions de bronze. Il reste une vaste tâche à accomplir avant de pouvoir proposer une véritable histoire monétaire de Carthage. D’autre part, on a pu voir la difficulté qu’il y avait à relier les données de la numismatique aux autres sources historiques. Plus que dans d’autres domaine de l’histoire ancienne, on passe sans transition à des ordres de grandeur différents, des données ponctuelles de la numismatique aux synthèses plus ou moins vagues, voire aux simples allusions que les historiens gréco-romains ont bien voulu nous laisser sur une Carthage qu’ils connaissaient mal et de toutes façons n’aimaient guère. C’est donc le lien entre ce que nous savons de l’histoire monétaire de Carthage et son histoire en général qui reste souvent difficile à établir. Les rapports entre les deux restent très discontinus.

2Pourtant, et même si l’on n’attend pas de la numismatique, dans ces conditions, qu’elle bouleverse à elle seule nos connaissances sur Carthage, cette science auxiliaire apporte tout de même certains éclairages. Pour la première époque, celle qui va de l’apparition du monnayage aux abords de la première guerre punique, la numismatique aide à mesurer l’ampleur de l’hellénisation qui touche Carthage à l’époque. Dès l’apparition d’un monnayage de bronze carthaginois, les frappes, d’iconographie grecque, d’une métrologie hésitant entre des normes grecques et puniques, sont très abondantes. Carthage paraît comme bousculée par des innovations helléniques qu’elle met un certain temps à maîtriser. Il serait intéressant, et c’est l’une des perspectives à explorer, de mesurer l’ampleur atteinte, à l’intérieur du terrritoire africain de Carthage, par la diffusion des premiers monnayages de la cité. Cela permettrait d’évaluer d’abord les axes de pénétration de l’influence carthaginoise, puis le degré de punicisation de ce territoire, et, par la même occasion, celui de son hellénisation. Il y a là un domaine, favorisé actuellement par les chercheurs, où la numismatique jouera un rôle particulièrement important.

3Ensuite Carthage, dès avant la première guerre punique, semble avoir réussi à « puniciser » son monnayage. Les frappes sont tout aussi abondantes, mais de nouvelles tendances centralisatrices et conservatrices se font jour. Dès avant que la perte de la Sicile et de la Sardaigne en 241 av. J. -C. n’amène par nécessité un regroupement des frappes à Carthage, les thèmes iconographiques se fixent volontiers, de même que se réduisent les variations stylistiques, tandis que des systèmes puniques de marquage des émissions apparaissaient. Le shekel tend aussi à devenir une référence métrologique unique. À travers cette réorganisation du monnayage autour d’une autorité dont la force apparaît à travers l’immobilisation de certains types et le regroupement métrologique, on peut entrevoir la Carthage de la première guerre punique décrite par Polybe (I, 71-72), tendue dans un effort de guerre dont les dévaluations de la monnaie montrent à la fois la dureté et la vanité.

4On verrait volontiers dans les deux images contradictoires offertes par les deux premières époques du monnayage punique le reflet d’une dialectique propre à Carthage entre conservatisme et ouverture, tradition sémitique et hellénisation. Quand et dans quelle mesure cette dialectique devient-elle conflit ouvert ? Il est très difficile de le dire et la tentation d’extrapoler, de schématiser est grande. Néanmoins, il se peut que la période des grands défis abordée après 241 av. J.-C. par Carthage ait précipité les évolutions et, par voie de conséquence, encouragé les résistances. La difficulté pour la cité était de réagir contre des forces de dislocation internes à son empire au moment des confrontations avec Rome, forces centrifuges illustrées par la tentative de sécession libyenne dont certains aspects se laissent percevoir à travers l’existence d’un monnayage particulier : l’émission même de monnaie par les insurgés est signifiante d’une volonté d’émancipation politique et les thèmes iconographiques utilisés d’un désir d’ouverture politique et culturelle. Cela nous ramène à une autre force de dislocation interne à Carthage, l’opposition décrite plus haut entre tenants d’une oligarchie traditionnelle et partisans d’une hellénisation que les Barcides reprendront à leur compte une fois le péril sécessioniste écrasé.

5L’œuvre barcide, dont on saisit bien la portée par le monnayage, semble se caractériser par la part faite à la diversité de l’empire et, parallèlement, une personnalisation du pouvoir de type hellénistique. La prise en compte des différents éléments qui constituaient le camp punique se manifeste par l’existence d’aires monétaires puniques bien diversifiées comme l’hispanique et l’italique, où les émissions varient iconographiquement et métrologiquement, par opposition à l’Afrique qui reste fidèle aux images et aux normes traditionnelles. C’est naturellement hors d’Afrique, en particulier sur les émissions d’Espagne et de Sicile, que l’iconographie laisse la plus large place à l’expression, encore mesurée, du pouvoir personnel.

6L’échec barcide ramène après Zama, avec le retour en force de l’oligarchie, un monnayage de type traditionnel, d’où toute tendance novatrice est exclue. C’est apparemment une période de difficultés puis de prospérité relative pour l’État punique mis en coupe réglée par une aristocratie qui semble avoir détourné à son profit certaines sources de renouveau économique. L’échec de Carthage est patent, tant sur le plan de son évolution politique interne bloquée par l’oligarchie, que sur le plan extérieur avec la perte de l’empire. Les deux faits étaient liés. On peut se demander si Carthage n’est pas finalement tombée victime de ce qui avait fait sa force : l’extension, la diversité et les richesses économiques et culturelles de son empire. Lorsque ce dernier fut devenu pour ces raisons une proie tentante et qu’il fallut le mobiliser pour le préserver, trop de diversités et de distances géographiques et culturelles s’y opposaient. Le génie personnel d’Hannibal, capable de vues embrassant la Méditerranée tout entière, proposait peut-être une solution politique et culturelle, inspirée des monarchies hellénistiques, qui avait ses chances, mais qui échoua au bout du compte. Carthage était alors condamnée, comme l’avait bien vu le Barcide (Tite-Live, XXX, 44), mais l’exemple d’Hannibal n’était pas perdu pour les Numides : les émissions monétaires de Syphax puis de Massinissa indiquent que ces souverains s’en inspirèrent pour créer leurs royaumes, comme ils s’inspirèrent des monnayages de Carthage pour lancer leur propre économie monétaire. Ce sont ces legs de Carthage, qui ne sont pas les moindres, que les monnaies d’Afrique nous invitent maintenant à inventorier.

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