Introduction

1L’une des difficultés présentées par l’étude des monnaies puniques est celle de l’absence de sources littéraires les concernant, et permettant de les relier à l’histoire ou de saisir la conception que les Puniques pouvaient avoir sur l’un ou l’autre aspect de leur monnaie. Rien de comparable, pour le monde punique, avec le livre XXXIII de l’Histoire naturelle de Pline traitant au passage de la monnaie de la République romaine, ou l’Economique d’Aristote décrivant les manipulations monétaires des tyrans grecs. Pas d’équivalent punique de Tite-Live pour mesurer l’effort militaire de Carthage au cours de la deuxième guerre contre Rome et tenter d’en déduire les implications sur le trésor punique. Polybe lui-même, alors même qu’il traite, au 1er livre de ses Histoires, de problèmes spécifiquement africains et qu’il insiste sur la pénurie financière de Carthage au moment de la révolte libyenne, nous laisse sans indication précise sur cette pénurie et la façon dont on y remédia. Tout au plus possédons-nous quelques inscriptions appelées « tarifs sacrificiels » donnant le prix de certaines offrandes religieuses, ou des mentions littéraires marginales comme celle, bien mystérieuse, d’objets enveloppés dans des sachets de cuir et qui auraient servi de monnaie à Carthage (Pseudo-Platon, Eryxias, XVIII, 399e-400a). On s’est interrogé sur le contenu de ces sacs scellés jusqu’à y voir l’indice de l’existence d’une « Depositenbank » d’État punique très conjecturale1. On le voit, nous aurons rarement la possibilité d’approfondir par des mentions textuelles spécifiques les aspects financiers et économiques de la monnaie punique. Nous aurons davantage de chance avec ses aspects politiques, religieux et culturels qui peuvent être éclairés par d’autres documents, ou contribuer à les éclairer.

2Nous répartirons l’étude des monnaies de la Carthage punique en fonction de quelques grands moments, en commençant par les premières émissions de la cité, jusqu’aux environs de la première guerre punique. C’est ce que nous appellerons la « phase siculo-punique » du monnayage africain, période qui mettra en évidence le rôle de la Sicile grecque dans l’apparition et le développement du monnayage punique en Afrique. Il est entendu que nous ne nous intéresserons ici qu’aux aspects africains de la question, sans revenir sur l’ensemble des phénomènes d’approche par Carthage de l’économie monétaire en Sicile au v^e siècle. Ces phénomènes sont très complexes et s’analysent par le biais de nombreux monnayages émis par les cités puniques de l’île qui reprennent divers modèles iconographiques grecs et s’alignent progressivement sur l’étalon euboïcoattique de Syracuse2. La monnaie n’est ici que l’un des nombreux aspects de l’hellénisation de Carthage. Dans un deuxième temps, nous essayerons de distinguer l’impact de la première guerre punique sur les monnaies de Carthage, et en particulier les difficultés de trésorerie. Un épisode nous retiendra, bien sûr, particulièrement, celui de la guerre des Mercenaires appelé aussi « révolte libyenne ». C’est là que les occasions de relier les monnaies aux textes seront les plus tentantes. Un autre chapitre sera consacré aux antécédents de la deuxième guerre punique ainsi qu’à son déroulement. La période voit la diversification des monnayages puniques selon leur zone de circulation et les théâtres d’opérations, mettant en évidence les différenciations régionales ainsi que les tendances politiques et culturelles qui s’opposent à Carthage même. Dans le dernier chapitre on tentera d’entrevoir les conséquences pour Carthage de la seconde guerre punique, dans la mesure où elles se reflètent dans le monnayage, puis on abordera la question de son redressement et de la richesse que l’on disait la sienne au moment de sa destruction.

3Allons-nous donc étudier l’ensemble des monnayages puniques ? Notre perspective étant très précisément celle d’un historien de l’Afrique antique, nous nous bornerons essentiellement aux monnaies qui y furent frappées. Seront donc, de manière générale, exclues les frappes de Sicile, de Sardaigne, d’Espagne et des îles comprises entre la Sicile et l’Afrique. Nous y ferons parfois allusion, mais dans la seule mesure où elles ont eu une influence directe sur des monnayages émis en Afrique. Il s’agit d’ailleurs d’émissions relativement bien connues dans l’ensemble, souvent largement et bien commentées, beaucoup mieux en tous cas que leurs homologues africaines. Il est donc inutile d’y revenir ici. Nous ferons une exception pour certaines séries de bronze, généralement considérées comme siciliennes ou sardes, lorsque cette attribution n’exclut pas que certaines d’entre elles aient pu être émises en Afrique, ou quand le nombre d’exemplaires retrouvés en Afrique montre à l’évidence leur forte incidence sur la circulation monétaire locale. Il serait alors de mauvaise méthode de les exclure de notre étude. Dans ce cas cette dernière ne les envisagera que d’un point de vue monétaire africain.