Préface

1Comment s’occuper ou seulement se soucier de l’Afrique du Nord antique sans pouvoir se référer à plus de quatre siècles de monnayage qui s’étendent des premières frappes carthaginoises à la dernière année régnale du roi Ptolémée ? Mais pour qui n’est pas numismate et n’a pas collectionné avec la Numismatique de Müller tout ce qui a paru depuis d’ouvrages et d’articles, souvent de haute qualité, la tâche rencontre ce premier obstacle documentaire. À peine une série retient-elle ensuite l’attention que les caractères puniques (et encore est-il certes malheureux pour le libyque mais heureux pour le numismate qu’il n’ait pas été utilisé !), l’ambiguïté fréquente de l’iconographie des visages ou de la symbolique des autres motifs figurés et souvent l’imprécision des datations, déroutent qui a l’habitude des monnaies romaines répertoriées jusqu’à la dernière variante et largement commentées, sinon intégralement expliquées. On a assez souvent l’impression d’être à l’écoute d’un langage dont la compréhension est aussi indispensable que son message est obscur, ou obscurci.

2Depuis longtemps il nous semblait donc qu’une lacune devrait être un jour comblée dans nos bibliothèques, et cette idée s’est concrétisée et a progressivement pris forme, peut-être pas dès le jour de 1976 où nous avons fait la connaissance de Jacques Alexandropoulos, alors jeune élève de la rue d’Ulm, mais très rapidement quand nous avons été témoin de sa vocation archéologique à Jublains en Mayenne, archéologique africaine à Bu Njem en Libye, quand nous l’avons vu s’initier au punique, mais surtout bien sûr parce qu’il se présentait dès l’abord comme numismate. Numismate par un goût ancien, mais aussi décidé à trouver là un domaine de recherche, regardant d’abord vers sa Tunisie natale pour ses premiers articles et une thèse de iii^e cycle sur Les monnayages préromains et romains de Syrtique et de Byzacène qui lui a valu des félicitations officielles de son jury, distinction en ce temps rarissime. Dès ce moment, et alors qu’il entrait à la Casa de Velazquez qui allait lui ouvrir de nouvelles perspectives et de larges facilités, nous écrivions en 1984 dans un rapport que « M. Alexandropoulos est capable de nous donner un ouvrage d’ensemble sur le monnayage africain des origines aux Flaviens », sujet d’une thèse de doctorat d’État qui a été soutenue en décembre 1995, et qui est devenue le livre que nous avons le grand plaisir de présenter.

3C’était l’axe du projet et c’est effectivement le premier mérite et la première utilité de l’ouvrage de M. Alexandropoulos, que de nous proposer un accès aisé à l’ensemble des émissions africaines, et de toujours nous fournir les éléments du jugement, ou éventuellement de l’hésitation, mais en nous plaçant en tous cas de plain-pied avec le matériel.

4L’entreprise ne pouvait réussir qu’en étant rigoureusement limitée, d’abord dans son extension, toute l’Afrique, jusqu’à l’autel des Philènes, mais uniquement l’Afrique, ensuite et surtout dans sa structure : il était impossible de faire un catalogue ou un répertoire de monnaies proprement dits, sous peine de ne publier dans un délai raisonnable qu’un ou deux tomes, et de laisser désespérer de l’achèvement de l’entreprise ; il était également impossible de ne pas prendre son parti du fait que nombre de dépôts ou de collections peuvent être provisoirement inaccessibles. Il faut bien s’attendre à ce paradoxe, que l’ouvrage va permettre de faire un inventaire, jusqu’ici bien difficile, des lacunes de notre information. On entendra peut-être les déplorer, alors qu’elles seront peut-être apparues grâce à lui.

5Le livre sera certainement fréquemment consulté, ouvert à la page qui répondra aux préoccupations du moment de l’utilisateur, chronologiques, topographiques, politiques, métrologiques, économiques, iconographiques religieuses ou idéologiques. Tout le monde a sur quelque sujet quelque dossier ouvert, où il faudra désormais réinsérer le témoignage métallique. Tel regardera les poissons et tel autre les barbus. Mais nous pensons qu’il sera tout aussi profitable de lire ce livre d’histoire. Carthage de sa splendeur à sa chute, les rois libyques punicisés et hellénisés, l’idéologie julienne, le royaume protégé de Juba II et de Ptolémée, l’affirmation des cités : autant de chroniques à lire réellement et globalement pour en retirer une précieuse impression d’ensemble. Et bien sûr c’est aussi un ouvrage de pure numismatique, entendons par là qu’il nous semble bien constituer un progrès décisif dans le classement des séries, et des types dans les séries.

6Ce livre, lui-même achevé, nous fait aussi découvrir le charme de l’histoire inachevée. Il sait nous faire comprendre que nous devons l’utiliser pour essayer nous-même de combiner ses informations avec nos autres sources à mesure que nous les découvrons ou que nous les interprétons mieux. Mais peut-être favorisera-t-il quelque ambition plus large. Nous mesurons à sa valeur cette grande chance que Stéphane Gsell ait pu poursuivre son œuvre jusqu’au moment où « Rome étendit enfin sa domination jusqu’aux rivages de l’Océan, au-delà des colonnes d’Hercule », jusqu’à la date aussi de la dernière monnaie du dernier roi, Ptolémée. Or une nouvelle Histoire de l’Afrique antique, des origines à cette date-là, sera sans doute réalisable un jour, dans un délai convenable. L’avènement en sera certainement hâté par l’outil de travail que M. Alexandropoulos nous procure. Souhaitons en attendant à son livre de bénéficier de la longévité de la Numismatique de Müller, tout en souhaitant aussi que chaque nouvelle édition puisse enregistrer les progrès qu’il aura lui-même facilités ou provoqués.