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Une société marchande

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Patrice Poujade

Partie IV. Familles et « réseaux »

Chapitre 2. Trajectoires individuelles et destins collectifs

Texte intégral

  • 1 Cf. Cl. Lemercier, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, (...)
  • 2 J. Schlumbohm, « Quelques problèmes de micro-histoire d’une société locale. Construction des liens (...)
  • 3 J. M. Imízcoz Beunza, « Communauté, réseau social, élites. L’armature sociale de l’Ancien Régime » (...)

1Nous avons vu se former – voire se créer – le marchand, puis nous l’avons vu s’unir et nous avons tenté d’observer certains comportements familiaux. Il est temps, désormais, de nous pencher sur d’autres types d’alliances – liées certes aux précédentes – et d’intégrations à des « réseaux ». Sous notre plume, ce terme, assez abondamment utilisé dans les pages suivantes, n’entend désigner le plus souvent qu’un ensemble de personnes qui ont des relations entre elles. D’aucuns diraient peut-être que nous l’employons de façon quelque peu « métaphorique1 », notre unique but étant de signaler certaines des relations qu’entretenaient les marchands étudiés, sans prétendre évidemment reconstituer l’ensemble du « réseau des rapports sociaux dans lequel l’individu est pris2 ». Il semble intéressant d’analyser les destinées des fils et des filles de marchands, notamment les mariages de ces dernières, tant il est vrai qu’une « bonne politique matrimoniale pouvait accroître les relations et l’influence du groupe, et constituer un élément décisif dans une ascension sociale3 ». Les filles, par exemple, épousent-elles en priorité des marchands ? Jouent-elles un rôle dans la recherche de nouvelles alliances ? Peut-on avoir une idée des « réseaux » familiaux et sociaux dans lesquels les marchands s’intègrent ? D’autre part, dans quelle mesure peut-on parler de mobilité : les changements se laissent-ils facilement appréhender ? Les migrations sont-elles mises à profit pour nouer d’autres liens et pour entrer en contact direct avec d’autres réseaux, plus lointains ?

  • 4 W. Kaiser, « Carrières de plume. Parcours et stratégies familiales des parlementaires d’Aix au xvi(...)
  • 5 J. Lartigaut, « L’ascension sociale d’une famille d’immigrants en Quercy au xve siècle », Annales (...)
  • 6 J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expér (...)

2C’est donc à une analyse essentiellement sociale que nous nous livrerons, à la recherche, s’il y a lieu, des stratégies collectives, c’est-à-dire « d’une volonté consciente de projeter le destin familial dans l’avenir, une projection consciente qui dépasse le souci de préserver le patrimoine pérennisé dans les différents systèmes d’héritage4 », et peut-être individuelles, si on peut les saisir et si tant est que l’on puisse opposer les deux. En effet, si « l’ascension sociale d’une famille est le plus souvent une œuvre collective, chacun y contribuant selon ses facultés », c’est de « la réussite de quelques-uns » que tous profitent, finalement5, même si de vraies réussites individuelles ont pu exister. En ce sens, la mise en lumière des alliances recherchées pour une fille ou un fils et des destinées professionnelles de ces derniers devraient nous fournir des hypothèses. Mais, par la force des choses, c’est-à-dire par les traces laissées et la pérennité des actions, les stratégies que nous pouvons reconstituer sont trop souvent celles des acteurs qui ont réussi6, ce qui limite la portée générale des cas décrits. Au bout du compte, c’est la notion même de mobilité, dans ses acceptions aussi bien sociales que spatiales, qui sera interrogée ici.

I. ALLIANCES ET DESTINS DES FILLES ET FILS DE MARCHANDS

3Les femmes de marchands venaient principalement, mais non exclusivement, du même milieu que leurs époux et leur origine sociale est un indicateur de la stratégie, voulue ou subie, dans laquelle se plaçaient les marchands. Qu’en est-il, à titre de comparaison, de la destinée des filles des marchands tarasconnais ? Est-elle semblable à celle de leur mère ou metelle en évidence une volonté d’ascension dans la société par le choix d’un conjoint hors de la sphère marchande ? Nous avons pu réaliser un tableau, concernant environ 160 filles de marchands, qui donne des éléments de réponse.

Tableau no 50. Destinées des filles des marchands de Tarascon au xviie siècle

Mariage avec un marchand

66,66 %

Mariage avec un homme de loi

7,72 %

Mariage avec un notaire

7,41 %

Mariage avec un artisan

7,41 %

Mariage avec un bourgeois

4,32 %

Mariage avec un noble ou seigneur

3,40 %

Mariage avec un chirurgien

1,85 %

Mariage avec un employé de la foraine

0,62 %

Religieuse

0,62 %

4Comme on le voit dans le tableau suivant, les filles de marchands épousent des marchands dans une proportion à peine un peu plus élevée que leurs mères étaient issues du milieu commercial (environ deux tiers). La place occupée par le notariat, les professions libérales, les métiers du droit, la bourgeoisie ou même l’artisanat, est sensiblement la même pour les filles que dans l’origine sociale de leurs mères, avec peut-être un attrait plus marqué pour la bourgeoisie et le droit, chez les premières. En revanche, dans aucun des cas qui nous a été donné d’étudier, un marchand de Tarascon ne donne sa fille en mariage à une personne dont l’activité est le travail de la terre : même si le marchand garde des contacts avec le monde rural, d’où il est parfois issu, il consolide par le mariage de ses filles un ancrage dans un milieu plus « urbain ».

Tableau no 51. Comparaison des origines et des destinations sociales des femmes et des filles de marchands à Tarascon au xviie siècle

Femmes

Filles

Marchand

64,5 %

66,66 %

Notaire

7 %

7,41 %

Profession du droit

6,20 %

7,72 %

Artisan

5,75 %

7,41 %

Monde rural

5,5 %

Bourgeois

2,8 %

4,32 %

Chirurgien, apothicaire

2,5 %

1,85 %

Noble, seigneur

2 %

3,40 %

Ferrier

2 %

Divers

1,5 %

1,24 %

  • 7 Patronymes sélectionnés en fonction des informations qu’ils offraient quant à leurs alliances fami (...)

5Si nous quittons le cas strict de l’alliance par le mariage et que nous nous situons au niveau des alliances familiales en général pour un groupe de 32 patronymes de marchands tarasconnais7, quelques stratégies différentes apparaissent.

Tableau no 52. Alliances de 32 familles de marchands de Tarascon, xviie siècle

Tableau no 52. Alliances de 32 familles de marchands de Tarascon, xviie siècle

6Sept groupes familiaux, s’allient à plus de 70 % avec d’autres familles de marchands, ce qui démontre une intégration assez forte dans ce milieu-là ; en revanche, sept autres n’ont que 20 à 39 % de leurs alliances dans le groupe des marchands de la ville, auxquels on pourrait adjoindre quatre noms qui ont un taux d’alliances avec des marchands de Tarascon assez élevé (entre 44 et 56 %), mais pour qui le taux d’alliances dans le groupe des 32 est assez faible (entre 25 et 33 %). Cela ne traduit néanmoins pas un comportement homogène comme le tableau suivant le suggère.

Tableau no 53. Alliances familiales de onze groupes patronymiques de marchands de Tarascon au xviie siècle

  • 8 Familles Boulier, Bourg, Deguilhem, Floraud.
  • 9 Familles Chaubet, Courtés, Lafargue, Laforgue.
  • 10 Familles Bergasse, Pilhes, Teynier.

Alliances avec

Groupe I8

Groupe II9

Groupe III10

Marchands de Tarascon

48,00 %

33,33 %

36,25 %

Marchands ou bourgeois d’autres villes

6,25 %

12,12 %

26,25 %

Notariat

2,00 %

3,03 %

6,25 %

Métiers du droit

0,00 %

3,03 %

6,25 %

Nobles, seigneurs

0,00 %

0,00 %

2,50 %

Artisanat

10,40 %

6,06 %

0,00 %

Chirurgien, apothicaire

0,00 %

0,00 %

3,75 %

Autre lieu (sans précision de profession)

8,35 %

15,15 %

2,50 %

Indéterminé

25,00 %

27,27 %

16,25 %

Nombre d’alliances

48

33

80

  • 11 Notons, au demeurant, l’extrême rareté des unions directes (une seule) entre les trois familles co (...)
  • 12 V. Piétri, « “Une charge très honorable” : service du roi et reconnaissance sociale en Provence or (...)

7Trois groupes peuvent être distingués offrant une sorte de gradation. Le premier (groupe I) est celui qui paraît le plus intégré au monde local de la marchandise avec un taux de 48 % d’alliances dans son milieu social et local, et un lien avec l’artisanat encore sensible ; les alliances en dehors de Tarascon et du milieu marchand sont, autant que l’on puisse en juger en fonction des informations à notre disposition, somme toute rares. Dans le groupe II, la répartition des alliances est assez proche de celle du groupe précédent, mais il apparaît clairement un moindre lien avec le monde des marchands locaux, peut-être avec l’artisanat, et un lien plus fort avec celui des marchands extérieurs et, plus généralement, de familles extérieures à Tarascon (au moins près de 30 % des alliances se font hors Tarascon). Cela trahit-il une volonté de peser sur des consulats voisins où ces marchands auraient, par exemple, acquis des terres et des métairies ? Est-ce un indice d’une origine extérieure à Tarascon ? Sans doute, suivant les cas, le phénomène s’explique-t-il par une des deux causes, voire les deux. Le troisième groupe se distingue nettement des deux précédents dans le sens où il met en évidence une diversification des alliances et au-delà une stratégie d’ascension sociale et la volonté de se rattacher aux familles bourgeoises et non marchandes extérieures à Tarascon. Un tiers environ de leurs alliances est contracté dans le cercle étroit des marchands tarasconnais11 alors que le quart l’est avec des familles, le plus souvent bourgeoises, d’autres villes. Ici, point d’union avec des artisans mais, au contraire, quelques-unes avec des « professions libérales », voire avec des « nobles » ou prétendus tels. Notons aussi l’attrait pour les métiers du droit (juge, avocat, procureur en particulier), signe évident d’une tentative de se hisser hors du monde de la marchandise et d’acquérir un autre type de reconnaissance sociale, un rayonnement qui dépasse le seul milieu d’appartenance ou d’origine12. Les Teynier qui, à Tarascon, occupent le haut du pavé, offrent, sur le xviie siècle, un exemple éclatant de cette différenciation sociale par les unions matrimoniales. Le tableau qui suit en précise les 47 alliances indiquées dans notre corpus.

Tableau no 54. Les alliances sociales des Teynier au xviie siècle

Marchands de Tarascon

34,04 %

Bourgeois d’autres villes

29,80 %

Notariat

4,25 %

Métiers du droit

6,40 %

Nobles, seigneurs

4,25 %

Artisanat

0,00 %

Apothicaire

2,12 %

Autre lieu (sans précision de profession)

2,12 %

Indéterminé

17,02 %

  • 13 J. Villain, La France moderne. Grand dictionnaire généalogique, historique et biographique, II Hau (...)

8Cette répartition est très proche de celle du groupe auquel se rattachent les Teynier, mais au-delà des chiffres, les Teynier, sans doute plus que les autres, manifestent cette volonté de s’agréger aux catégories supérieures. Ne trouve-t-on pas dans leurs alliances un Capitoul de Toulouse, la fille d’un baron ou le seigneur de Rouzaud (seigneurie proche de Pamiers) ? Il est vrai que ces unions arrivent au terme d’un processus qui fait vraisemblablement oublier le commerce et qui privilégie d’autres types d’activités. En effet, les trois unions assez prestigieuses que nous venons d’évoquer ne concernent que la descendance de Paul Teynier, issu d’une famille marchande, marchand de laine lui-même selon Jules Villain13, mais surtout maître des ponts, ports et passages du Pays de Foix et Trésorier général de ce même Pays. Ce cas illustrerait d’ailleurs le modèle de la diversification professionnelle d’une famille par la spécialisation de ses branches. Ainsi, des deux fils de Jean Teynier, marchand de la fin du xvie siècle, ayant déjà exercé quelques autres charges (greffier de Tarascon, lieutenant de juge), l’un continue l’activité marchande – et ses filles épouseront des marchands – tandis que l’autre, Paul, l’abandonne. Les fils de ce dernier deviendront avocats, voire mousquetaire du roi, et noueront les alliances que nous avons signalées plus haut. Cette branche du lignage Teynier se rapproche alors des « institutions », mais nous ne saurions dire si l’ensemble de la famille a pu en tirer profit.

  • 14 J.-P. Dedieu et Z. Moutoukias, « L’historien de l’administration et la notion de réseau », conclus (...)
  • 15 G. Delille, Le maire et le prieur. Pouvoir central et pouvoir local en Méditerranée occidentale ( (...)

9L’espace concerné par les alliances des Teynier est aussi révélateur (voir carte no 6, page 372). En effet, s’allier avec telle ou telle famille, c’est aussi poser les pieds dans telle ou telle ville où des intérêts, commerciaux ou autres, peuvent être en jeu. Les contacts ainsi noués avec l’extérieur permettent à ceux qui les assurent – en l’occurrence un mari ou une femme – d’être des intermédiaires utiles avec l’extérieur en leur assignant le rôle essentiel de pont vers d’autres groupes14. Comme on le voit sur la carte de la page suivante, une stratégie semble se dégager de ces unions. D’une manière générale, les épouses sont issues du Pays de Foix ; Ax apparaît comme un lieu où l’on va prendre femme, sans doute en raison de liens commerciaux assez forts qui impliquent les Teynier et la bourgeoisie axéenne (que l’on pense au commerce des capes). Les époux, pour leur part, sont localisés plus au nord, de Foix à Mazères. Les Teynier illustrent ici, à leur niveau, une stratégie d’essaimage qui se rapproche de ce que Gérard Delille a observé pour la noblesse du royaume de Naples du xvie siècle et du début du xviie siècle et qui doit s’observer dans bien d’autres cas. Ce type de ramification d’un lignage permet, en allant dans d’autres villes, de rechercher nouvelle fortune et nouvelle politique matrimoniale, alliant alors mobilité géographique et mobilité sociale15. Dans le temps, les Bergasse font montre aussi d’une certaine propension à essaimer régionalement même si les résultats d’ensemble sont modestes puisque près de 60 % de leurs alliances se font à Tarascon et 70-80 % dans le petit triangle formé par Tarascon, Vicdessos et Saurat, pour moins de 15 % dans le bas Comté de Foix. La descendance d’Arnaud Bergasse est révélatrice d’une évolution. Marié lui-même à Tarascon à la fin du xvie siècle, ses quatre enfants dont on peut suivre la trace (trois garçons et une fille) font le même « choix » entre les années 1610 et 1650. À partir de là, des divergences apparaissent en fonction des branches de la famille. Les descendants des deux aînés se marient à Tarascon – sauf une exception – sur au moins trois générations (on les suit jusque vers 1690) alors que ceux des deux derniers diversifient leurs choix puisque sur cinq mariages qu’ils contractent, entre 1671 et 1680, un seul l’est avec un époux tarasconnais.

Carte no 6. Les alliances des Teynier au xviie siècle : lieu d’origine des conjoints

Carte no 6. Les alliances des Teynier au xviie siècle : lieu d’origine des conjoints

10L’activité professionnelle exercée par les fils de marchands de Tarascon est aussi un révélateur de la stratégie de la famille. Pour environ 125 d’entre eux, nous avons pu établir la profession.

Tableau no 55. Destinées des fils de marchands de Tarascon au xviie siècle

Marchands

73,00 %

Clergé

8,10 %

Artisanat

5,00 %

Armée

4,90 %

Professions du droit

4,10 %

Notariat

2,45 %

Bourgeois

1,65 %

Médecin

0,81 %

  • 16 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 623, f° 242, me Ferrand, 17/11/1641 et 5 E 630, f° 97, me Ferrand, 13/ (...)

11La reproduction sociale est élevée, puisqu’elle concerne pratiquement trois fils de marchands sur quatre, mais elle n’est pas totale. Il y a d’abord les 5 % qui rejoignent les rangs de l’artisanat ; rejoindre n’est peut-être pas le mot qui convient dans la mesure où les pères des personnes en question n’avaient vraisemblablement pas quitté définitivement ce monde-là. C’est particulièrement vrai dans le cas des pareurs de draps qui se distinguent mal, on le sait, d’un certain niveau de marchands. Mais, parmi cette catégorie, il y a quatre cordonniers, comme si la cordonnerie était plus attractive pour les fils de certains marchands que d’autres types d’activités artisanales. Ici aussi, une « tradition » familiale peut expliquer ce choix à l’instar de Jean Courtés, dont le père Vidal est, à côté de nombreuses mentions de marchand, parfois appelé lui-même « cordonnier ». Nous avons là un type de marchand dont la grande proximité avec l’artisanat est trahie non seulement par le titre de « cordonnier » qui lui est quelquefois attribué, mais aussi par ses alliances familiales (par exemple, il marie une de ses filles avec un tisserand, mais il est aussi beau-frère d’un couturier ou cousin d’un pareur de draps). Son frère Barthélemy, en revanche, s’intègre mieux au groupe des marchands en mariant ses deux filles à deux représentants des meilleurs familles de Tarascon (Bergasse, pour l’une, Teynier, pour l’autre). L’artisanat est le choix que fait aussi Pierre Rivière jeune pour deux de ses fils qu’il met en apprentissage, à 15 ans, l’un chez un maître tailleur d’habits, l’autre chez un maître cordonnier16.

  • 17 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 650, f° 48v°, me P. Ferrand, Tarascon, 24/7/1673. Il s’agit de « la ve (...)
  • 18 Suivant la généalogie que nous avons établie, il semblerait qu’un de ses oncles paternels ait été (...)

12Quelques fils de marchands deviennent notaires, tout en poursuivant dans la voie du commerce. C’est le cas de Vidal Teynier, fils de Mathieu, dont la seule activité dont gardent traces les sources est celle de marchand car ses minutes ne sont pas conservées. On sait qu’elles ont pourtant existé, d’une part par les références qui sont faites, parfois, à tel ou tel acte retenu par maître Teynier, et d’autre part parce que son fils les a vendues, avec celles d’un autre notaire (Mathieu Tappie) pour 100 livres, en 167317. La question que cela suggère est de savoir pourquoi ce Vidal Teynier, qui semble être l’aîné des garçons, est devenu notaire. A-t-il acheté l’office ou en a-t-il hérité18 ? Quelle fonction jouait la possession d’un office notarial dans une famille de marchands ? Les autres activités dévolues aux fils de marchands traduisent, pour l’essentiel, une sorte de promotion sociale, dans laquelle on retrouve le clergé (pour les cadets, en général), l’armée et les professions du droit (avocat, procureur). Plus on s’élève dans la hiérarchie des marchands, plus ces choix pèsent.

Tableau no 56. Destinées des fils de deux groupes de marchands de Tarascon, xviie siècle

  • 19 Familles Boulier, Bourg, Bourrel, Dussa&ux, Faure, Gautey, Laforgue, Longuevergne, Lucantes, Mirou (...)
  • 20 Familles Bergasse, Pilhes, Prévost, Seré, Teynier.

Groupe I19

Groupe II20

Marchands

77,20 %

64,30 %

Clergé

5,26 %

10,70 %

Artisanat

5,26 %

0,00 %

Armée

5,26 %

5,50 %

Professions du droit

1,75 %

9,00 %

Notariat

0,00 %

5,50 %

Bourgeois

5,26 %

5,00 %

Nombre de cas

57

56

  • 21 Le notaire et marchand de Tarascon, Paul Lamarque, est le fils d’un Jean-Sanson Lamarque, marchand (...)

13Les familles les plus assises (les Bergasse, Pilhes, etc., soit le groupe II du tableau précédent) révèlent des scénarios de sortie du monde du commerce, si on les compare à des familles plus fortement ancrées dans ce monde-là : moins de fils marchands (13 points de moins que dans l’autre groupe), aucun artisan, plus qui se tournent vers le clergé (le double en proportion) et surtout vers le droit. Cette orientation juridique – pour les garçons – qui se combine aux alliances avec la noblesse – pour les filles – caractérise d’autres familles comme celle des Lamarque, de Saint-Paulet, à une dizaine de kilomètres au nord de Tarascon, qui ont aussi des ramifications dans cette dernière ville21. Nous avons essayé de traduire ce phénomène dans le tableau généalogique sommaire suivant.

Figure no 2. Tableau généalogique simplifié de la famille Lamarque (fin xv Ie siècle-début xixe siècle)

Figure no 2. Tableau généalogique simplifié de la famille Lamarque (fin xv Ie siècle-début xixe siècle)

14Quant aux mariages contractés par les fils des marchands tarasconnais, ils mettent en lumière, à la fois l’endogamie (dans notre échantillon d’environ 120 cas, plus de 60 % des fils de marchands épousent des filles de marchands), mais aussi cette volonté de s’ancrer hors du monde strictement commercial par les alliances avec la bourgeoisie et même la noblesse, à des niveaux somme toute supérieurs à ceux observés du côté des mariages de leurs sœurs.

Tableau no 57. Mariage des fils de marchands de Tarascon au xviie siècle

Ensemble des marchands

Familles Bergasse, Pilhes, Prévost, Seré, Teynier

Mariage avec une fille de marchand

62,00 %

50,00 %

Mariage avec une fille de bourgeois

15,00 %

28,55 %

Mariage avec une fille d’homme de loi (avocat, juge)

6,00 %

7,15 %

Mariage avec une fille de notaire

5,25 %

4,75 %

Mariage avec une fille de « noble »

5,25 %

7,15 %

Mariage avec une fille de chirurgien

3,50 %

2,40 %

Mariage avec une fille d’artisan

3,00 %

0,00 %

100,00 %

100,00 %

15La comparaison de l’ensemble des marchands avec les stratégies de cinq familles de la couche supérieure de ceux-ci (Bergasse, Pilhes, Prévost, Seré, Teynier) montre clairement des comportements bien différents, en conformité avec tout ce que nous avons dit précédemment : aucune alliance avec des filles d’artisans, beaucoup moins d’alliances avec des filles de marchands mais beaucoup plus avec des filles de bourgeois (le double en proportion) et sensiblement plus avec des filles de « nobles » voire issues du milieu juridique. Il est à noter aussi, mais n’entrant pas dans le tableau ci-dessus, les vocations religieuses qui, d’une façon générale, semblent plus nombreuses que chez les filles (autour de 10 % de l’échantillon considéré).

16Les alliances des filles et des fils de marchands reflètent les niveaux d’intégration des familles, voire des individus, dans le groupe. Globalement, les liens avec le monde de la marchandise restent forts, mais plus on monte dans l’échelle économico-sociale, plus les alliances extérieures sont visibles. Cet extérieur est d’abord social, avec les unions bourgeoises, par exemple, mais aussi géographique – on l’a vu avec les Teynier – et, en ce sens, on peut dire que mobilité sociale et spatiale ont partie liée, ce sur quoi nous reviendrons après avoir essayé d’éclairer les relations qu’entretiennent les marchands avec leur environnement social et familial.

II. À LA RECHERCHE DES RELATIONS FAMILIALES ET SOCIALES

17Tout ce que nous avons dit jusqu’ici donne des indications sur les alliances familiales et partant sur les relations que se constituent et qu’entretiennent les marchands. Nous voudrions, pour terminer sur ce point, voir si les parrains et les témoins au mariage et au testament nous en apprennent plus sur le sujet.

A) Les parrains, ou les marraines, révèlent-ils les « réseaux » familiaux ?

  • 22 J. Schlumbohm, art. cit., p. 790-792.
  • 23 C. Blanquie, « Dire les mondes du village », Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien (...)

18Choisis, la plupart du temps, dans la famille – et même la plus proche –, le parrain et la marraine mettent en évidence, bien sûr, les alliances de tel ou tel autre groupe familial, mais aussi, d’une façon qui nous intéresse spécialement ici, des indices de la volonté d’une famille de chercher un lien avec une autre ou de favoriser une relation particulière avec un groupe, dans la mesure où « il n’est pas question d’aller chercher les parrains de ses enfants dans une couche sociale inférieure22 ». En cela, la pratique n’aurait-elle pas tendance à affirmer des liens de solidarités plus verticales quand les unions matrimoniales seraient là pour renforcer les relations horizontales ? De toute façon, l’enfant se trouve « inséré dans un jeu de parentés spirituelles qui conforte, sans les recouvrir totalement, les liens familiaux23 ». L’enregistrement des baptêmes offre une source privilégiée pour la reconstitution des réseaux familiaux, à travers le parrainage. Mais un certain nombre de liens nous restent inconnus, à la simple lecture, car ils ne sont pas systématiquement indiqués par les prêtres qui tiennent les registres. Pour Tarascon, à partir des informations contenues dans les livres paroissiaux, nous avons établi un tableau en distinguant les cas de figures qui apparaissent, en fonction des patronymes des parrains et marraines ou en fonction d’une parenté indiquée, pour environ 300 naissances enregistrées entre 1600 et 1676.

19Globalement, 29 % des parrains et 20 % des marraines des fils et filles de marchands tarasconnais portent le même patronyme que leurs filleuls et filleules, taux qui est, respectivement, de 23 et 16,55 % pour le patronyme de la mère. Si l’on ajoute les liens de parentés notés dans les actes et les autres similitudes patronymiques (marraine dont le mari a le même nom que le père ou la mère du baptisé), c’est la moitié, au moins, des parrains et marraines qui sont pris dans la famille identifiée comme assez proche. Ces proportions doivent être tenues pour des minimums dans la mesure où elles s’appuient sur des données visibles ; il faudrait aussi tenir compte des liens familiaux occultés par des patronymes différents et non exprimés dans la documentation. Par exemple, si nous nous en tenons à l’enregistrement du baptême de Jeanne de Bosc, le 23 octobre 1622, nous ne voyons pas le lien entre la baptisée et son parrain Pierre Laforgue. En recoupant les informations recueillies, on s’aperçoit que ce parrain a épousé, le jour même, une autre Jeanne de Bosc : il est donc apparenté à la famille paternelle. Par contre, dans bien des cas, par manque de renseignements ou parce qu’il n’y en a pas, nous ne pouvons pas mettre en lumière de lien familial.

Tableau no 58. Parrains et marraines des fils et filles de marchands de Tarascon au xviie siècle (en %)

Tableau no 58. Parrains et marraines des fils et filles de marchands de Tarascon au xviie siècle (en %)

Tableau no 59. Patronymes des parrains et marraines des enfants de marchands de Tarascon au xviie siècle (en %)

Tableau no 59. Patronymes des parrains et marraines des enfants de marchands de Tarascon au xviie siècle (en %)

20Les taux de mêmes patronymes divergent assez entre les familles et entre parrains et marraines (voir tableau ci-dessus). Par exemple, alors que chez les Seré 15 % seulement des parrains portent le même patronyme que les filleul(e)s, le taux est de 36 % chez les marraines, de sorte que ce sont les Verger, avec 21 %, qui fournissent le plus de parrains aux Seré. Même phénomène, mais inversé, chez les Teynier où ce ne sont que 20 % des marraines qui portent le nom de Teynier, contre 40 % des parrains. Chez les Verger, on observe la même chose : 43 % de parrains du patronyme, mais 7 % pour les marraines dont les plus nombreuses (21,43 %) proviennent des Teynier. D’ailleurs, globalement, pour l’ensemble des familles, les Teynier fournissent 9 % des marraines et les Seré 10 % et, respectivement, 10 et 8 % des parrains. Cela peut s’expliquer de plusieurs façons. Tout d’abord, l’importance numérique des familles concernées : Teynier et Seré concentrent, à eux seuls, près du quart des baptêmes des enfants de marchands tarasconnais. Ensuite, leurs alliances familiales étendues et la recherche de leur parrainage par d’autres familles. Rapportée à l’importance des naissances pour chaque patronyme, la perspective est changée. De fait, les Deguilhem, peu représentés dans les naissances, sont souvent sollicités pour parrainer un nouveau-né, par exemple chez les Bosc où ils donnent trois parrains sur dix répertoriés, ou chez les Faure (trois parrains sur 26 et deux marraines sur 25), alors que nous ne connaissons qu’une union matrimoniale entre un Bosc et une Deguilhem (Paul Bosc marié avec Marie Deguilhem en 1658), de même qu’entre Faure et Deguilhem (Felip Deguilhem épouse Françoise de Faure en 1627), renforcées par une autre au début du xviiie siècle. Sans doute ces familles entendaient-elles profiter au mieux d’une alliance avec une famille en pleine ascension, comme nous aurons l’occasion de le dire plus loin.

21Au-delà de la statistique, telle que nous l’avons présentée plus haut, l’étude de cas montre des situations intéressantes, reflétant des relations familiales particulières. Par exemple, les trois fils de David Brefeilh et Mondette de Seré, nés entre 1633 et 1638, ont tous des parrains et marraines pris uniquement dans la lignée maternelle. On observe aussi des parrainages croisés. Ainsi, Judith de Lecosté, femme du marchand Antoine Claustre, est marraine du fils de sa sœur Jeanne et d’Antoine Floraud, baptisé le 8 février 1632, avant que cette sœur elle-même ne soit choisie comme marraine de la fille de Judith, baptisée le 27 juin suivant.

  • 24 Cf. le 1/2/1604, François Floraud, « qui est rendu catholique et a renoncé à l’hérésie calvinienne (...)

22L’examen des réseaux de parrainages fait apparaître un groupe de familles marchandes aux liens fortement resserrés (les Bergasse, Bosc, Bourrel, Faure, Gautey, Laforgue, Prévost, Seré, Teynier, Verger), un autre groupe quelque peu périphérique constitué des Bourg, Clerc, Dussaux, Floraud, Gris, Pilhes, Serailh, et un groupe intermédiaire. La pertinence de l’observation est limitée par l’existence, au moins jusqu’au début du xviie siècle, de familles protestantes qui, sauf conversion24, ne doivent pas être particulièrement sollicitées pour parrainer un baptême catholique. À titre d’exemple, nous avons représenté sur la figure suivante seulement les liens de parrainage de quatre familles (Prévost, Gautey, Cancel, Floraud), car nous ne pouvions pas, décemment, surcharger la représentation sans qu’elle devienne vite illisible.

Figure no 3. Les réseaux de parrainages des Cancel, Floraud, Gautey et Prévost

Figure no 3. Les réseaux de parrainages des Cancel, Floraud, Gautey et Prévost

NB : il faut lire la figure ainsi : les familles Prévost, Floraud, Gautey et Cancel, sont celles qui ont des enfants à parrainer ; les autres fournissent parrains et marraines ; la longueur des segments est aléatoire (sans rapport avec la proximité ou l’intensité des relations).

23On y voit assez nettement l’intégration des Prévost qui entretiennent des liens avec la plupart des familles qui comptent, alors que les Cancel, Gautey et Floraud, qui ne sont pourtant pas à proprement parler des marginaux, ont des relations différentes. Aucun des quatre patronymes retenu n’a de relation de parrainage directe avec un des autres, si ce n’est entre Gautey et Cancel. Généralement, lorsqu’il y a des connexions, elles sont indirectes, par l’intermédiaire de familles comme les Bergasse ou les Deguilhem qui se situent à la jonction de trois des quatre réseaux, ou les Laforgue, Longuevergne, Rivière, Rolland (notaires) qui en relient deux. Enfin, la visualisation des liens de chacun des autres patronymes de la figure, confirmerait ce que nous avons énoncé, c’est-à-dire l’existence d’un noyau fortement intégré et des familles « périphériques ».

  • 25 Voici un tableau récapitulatif de ces différences :

24L’analyse en termes sociaux, basée sur la profession des parrains, montre globalement que ceux-ci sont choisis pour près des trois quarts dans une catégorie que l’on peut qualifier d’équivalente à celle du père du baptisé et même aux deux tiers chez les marchands eux-mêmes. Dans 17-19 % des cas, le parrain appartient à une catégorie supérieure, s’agissant de bourgeois, avocats ou « nobles », alors que 5 % environ proviennent du monde artisanal. Il y aurait certainement des nuances à apporter à ces remarques générales en fonction des différentes familles et de leurs parcours dans le monde des marchands. Ne pourrait-on pas penser que plus les familles s’inscrivent depuis plusieurs générations dans ce milieu-là, plus elles auront tendance à se tourner vers d’autres catégories, alors que chez les fraîchement « convertis » les liens de parrainage garderaient un lien plus fort avec leurs origines tout en essayant de les renforcer dans le milieu où ils tentent d’évoluer ? L’hypothèse peut-elle se vérifier ? On pourrait présenter des résultats en distinguant deux types de familles, mais il faut avertir tout de suite que leur valeur ne serait que très relative car il nous manquerait la partie des baptêmes réalisés dans la paroisse du Bout du Pont et dont les registres ne nous sont pas parvenus ; or, on le sait, c’est là que les marchands les moins « intégrés » résidaient et ce sont eux qu’il aurait fallu comparer à leurs collègues demeurant à l’abri des murs de la ville. Toutefois, si l’on tente une grossière répartition des résultats des parrainages entre les familles appartenant au « noyau dur » des marchands et celles qui, sans être marginales, s’y rattachent moins fortement, on constate effectivement l’importance de l’élément bourgeois dans les parrainages des premières (15 % et même 22 % si on y adjoint les parrains exerçant une activité juridique) par rapport aux secondes (8,5 %) ; en sens inverse, les artisans sont plus nombreux dans ce dernier groupe (7,5 % des parrains) que dans le premier (2 %). Ces grandes différences s’observent généralement aussi bien, pour chaque groupe de familles, du côté des garçons que des filles25, ce qui fait qu’il n’y a pas, finalement, de différence significative des pratiques de parrainage entre les sexes, mais bien entre les niveaux sociaux des marchands, les uns tirant plus vers l’artisanat, les autres vers la bourgeoisie, utilisant la parenté spirituelle pour élargir ou conforter leurs relations.

25Décèle-t-on dans le temps une évolution qui indiquerait un élargissement de ces relations, en particulier chez ceux qui devaient affirmer leur appartenance au groupe des marchands ? Deux exemples pris parmi des nouveaux marchands, l’un (Pierre Bourrel) vraisemblablement fils de teinturier, l’autre (Raymond Malhat), venu du village de Bédeilhac, montrent une certaine convergence mais qui ne semble pas aller explicitement dans le sens de la recherche de relations élargies. Ces deux individus, nés vers 1617-1619, épousent d’abord chacun une fille Teynier, appartenant à deux branches de cette famille tarasconnaise, élément d’une intégration. Tous les deux font baptiser neuf enfants sur une période de 21-22 ans, entre 1646 et 1667 pour le premier, 1653 et 1674 pour l’autre, dont étrangement seulement deux filles. Bourrel choisit pour son premier parrainage un notaire (son beau-frère), puis cinq fois de suite un marchand avant de retenir un bourgeois et enfin, pour les deux derniers, il se contente de deux de ses propres fils, âgés de 18 et 15 ans – donc frères du baptisé. Même évolution générale chez Malhat qui fait parrainer ses trois derniers enfants par, semble-t-il, ses fils. Comment interpréter cette évolution ? On peut formuler l’hypothèse que, isolés dans un premier temps, ces nouveaux marchands se sont appuyés sur la famille de leur femme (c’est très net pour Bourrel) ou leurs relations professionnelles avant de recourir, une fois renforcés, à leurs propres forces familiales ce qui paradoxalement ne serait pas alors une preuve d’isolement… À moins que, en tout cas chez Bourrel, cela ne reflète une volonté d’indépendance dans la mesure où si dans les sept premiers baptêmes les marraines étaient le plus souvent issues aussi de la famille maternelle du baptisé, dans les deux derniers elles portent deux patronymes qui nous sont totalement inconnus chez les marchands tarasconnais et leurs alliés. L’exemple de Pierre Bourrel nous révèle des modalités de constitution d’un réseau familial. Fils d’un teinturier, il épouse une fille du marchand Mathieu Teynier, sœur du notaire-marchand Vidal Teynier dont il a été beaucoup question dans ce travail. Voilà pour la première étape, consolidée, on vient de le voir, par les parrains et marraines de ses enfants choisis chez la famille de son épouse pour une grande partie. Ces quatre fils, biens parrainés, seront autant d’ambassadeurs vers d’autres familles qui comptent à Tarascon ou à l’extérieur. L’aîné est marié avec une fille de Jean-Raymond Faure, le deuxième avec celle de Pierre Mirouze, le quatrième avec celle d’Antoine Prévost, trésorier de la ville. Quant au troisième, il épouse la fille d’une famille bourgeoise de Foix, les Duvernis, sœur d’un avocat et procureur au Présidial de Pamiers. Petit détail significatif, trois, au moins, de ces quatre épouses savent signer. Mais, ne l’oublions pas non plus, Bourrel a déployé une grande activité commerciale, en particulier transpyrénéenne, qui en a fait certainement un allié intéressant.

B) Les témoins au mariage et au testament sont-ils des indicateurs des relations sociales ?

26Si on peut émettre que les liens de parrainage symbolisent l’étroitesse de certaines relations familiales, voire des choix et des priorités dans celles-ci, on peut partir aussi de l’hypothèse que les témoins au mariage et au testament indiquent des relations sociales, ce qui ne va pas sans problème ; nous en évoquerons certains, chemin faisant, plutôt axés sur la méthodologie. Il en est un que nous voudrions suggérer d’emblée, en liaison directe avec la notion même de réseau. Effectivement, à moins de posséder sur une même personne une série de documents ayant assez d’ampleur chronologique – ce qui n’est pas facile à obtenir par la méthode utilisée, par les lacunes de la documentation et par les sources sollicitées (il peut certes y avoir plusieurs testaments pour un même individu) – ne risque-t-on pas d’arriver à une vision statique alors que le réseau est une notion dynamique et qu’il connaît des redéfinitions tout au long de l’existence ? En outre, qu’il n’y ait que des hommes comme témoins, même dans les testaments des femmes, ne rend-il pas quelque peu douteuse l’utilisation de telles données pour aider à la reconstitution d’un réseau de relations féminin ? Sans doute serait-il alors plus prudent de se contenter d’une tentative d’éclairage de la sociabilité.

1. Les témoins du contrat de mariage

27À la rédaction d’un contrat de mariage, devant un notaire, assistent plusieurs types de personnes. En premier lieu, le plus souvent mais pas toujours, les futurs époux. Leur présence n’est pas totalement indispensable dans la mesure où les pactes de mariage relèvent dans bien des cas d’un arrangement entre parents des mariés, ce que soulignent les actes unissant des partenaires très jeunes. Si un ou les mariés sont absents, il faut qu’ils soient représentés : c’est généralement le rôle dévolu et tenu par le père, ou un frère, voire un oncle ou un grand-père. S’ils sont présents, les futurs époux peuvent aussi être assistés par des membres de leur famille respective, au premier chef par leurs père et mère, parfois par des parents d’un cercle plus large (beaux-frères, cousins germains ou plus éloignés, etc.). Nous avons là les parties directement prenantes ; ce serait un truisme, une évidence, une banalité, une tautologie que de dire que ces personnes reflètent les alliances des familles concernées par l’union matrimoniale, raison pour laquelle nous n’insisterons pas du tout sur cet aspect du contrat.

  • 26 Dans le cas de Tarascon, les témoins signent dans de grandes proportions : sur près de 230 témoins (...)

28D’autre part, comme tout contrat notarié, celui de mariage requiert la présence de témoins – uniquement des hommes – qui authentifient l’acte et sont priés, s’ils le peuvent, d’apposer leur signature en bas du document26. Le nombre de témoins, assez variable – de deux à huit –, est de cinq dans 37 % des cas, de deux dans près de 27 % et de trois dans 20 %. Nous avons calculé, à partir d’une base d’environ 130 personnes, la provenance professionnelle de ces témoins afin de voir ce qui s’en détachait et s’il était possible d’en tirer des conclusions quant aux réseaux familiaux ou de solidarité des familles concernées par le mariage.

Tableau no 60. Proportion, par activité professionnelle, des témoins présents aux pactes de mariage des marchands tarasconnais

  • 27 Dans cette colonne, les personnes présentes à plusieurs reprises n’ont été prises en compte qu'une (...)
  • 28 Blancher, peigneur de laine, tisserand, chaussetier, pareur de draps, teinturier.
  • 29 Tailleur, couturier.

Total des témoins

Individus différents27

Familles Bergasse, Pilhes Prévost, Seré, Teynier

Autres familles de marchands de Tarascon

Marchand

54,82 %

50,00 %

61,00 %

51,00 %

Notaire, praticien

8,33 %

8,72 %

6,90 %

9,22 %

Ecclésiastique

5,26 %

5,24 %

5,75 %

5,00 %

Médecin

1,32 %

1,16 %

2,30 %

0,70 %

Bourgeois

3,51 %

4,65 %

2,30 %

4,25 %

Chirurgien
apothicaire

3,07 %

3,49 %

4,60 %

2,13 %

Orfèvre

1,32 %

1,16 %

1,15 %

1,42 %

Profession du droit

1,32 %

1,74 %

1,15 %

1,42 %

Métier textile28

7,46 %

8,72 %

5,75 %

8,51 %

Métier du vêtement29

3,07 %

2,91 %

3,45 %

2,84 %

Cordonnier

1,75 %

1,74 %

0,00 %

2,84 %

Écolier

0,88 %

0,58 %

1,15 %

0,70 %

Autre artisanat

1,75 %

2,33 %

2,30 %

1,42 %

Activité inconnue

6,14 %

7,56 %

2,30 %

8,51 %

  • 30 Par exemple, au mariage d’Isabeau de Ferrand, fille du notaire Jean Ferrand, avec le marchand Jean (...)
  • 31 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 744, f° 18, me J. Rolland, mariage entre Pierre Martin, maître chirurg (...)
  • 32 Il s’agit de Raimond Sabatier qui, dans son testament, rappelons-le, déclare vouloir être enterré, (...)
  • 33 Carla-le-Comte, dans le Pays de Foix (auj. Le Carla-Bayle), est la patrie de Pierre Bayle qui y na (...)
  • 34 Marie de Dufau, fille de Jean ; deux de ses frères se prénomment Daniel, un autre Isaac, et une sœ (...)
  • 35 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 460, f° 195 v°, me G. Rolland, 29/08/1605.
  • 36 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 722, f° 66, me Jean Ferrand, mariage entre Jean-Etienne Pailhès, sieur (...)
  • 37 Le rapport entre le nombre de noms de familles différents et le nombre total de témoins, établi à (...)

29Ce tableau peut-il nous apprendre quelque chose ? Tout d’abord, pour l’essentiel, nous ne savons pas sur quel(s) critère(s) ont été choisis, ou désignés, les témoins : parenté avec les époux ?, amis de la famille ?, voisins ?, relations de travail ?, relations du notaire ?, habitués ?, personnes disponibles au bon moment ? La répartition socio-professionnelle en soi ne surprend guère si on la compare aux alliances matrimoniales que nous avons déjà décrites, si ce n’est, peut-être, le poids des activités liées au textile ; mais, nous l’avons dit, il existe une certaine proximité entre ce type d’activités et les marchands. La proportion des notaires et praticiens (d’ailleurs 2,17 praticiens pour 1 notaire) est-elle le reflet exclusif d’une réalité des alliances (mariage d’une fille de notaire avec un marchand30 ou d’une fille de marchand avec un notaire, par exemple) ou simplement une commodité (le praticien exerçant chez le notaire est requis comme témoin) ? Les deux phénomènes doivent se rencontrer mais il est probable que la plus forte proportion de praticiens soit due à leur présence dans l’étude notariale. On observe bien quelques nuances entre les activités des témoins des cinq groupes patronymiques précédemment isolés (Bergasse, Pilhes, Prévost, Seré, Teynier) et le reste des familles marchandes, mais cela est-ce bien significatif ? Bien sûr, à tel mariage de fille de marchand avec un chirurgien, on compte deux chirurgiens, un médecin et deux marchands parmi les témoins, ce qui place le taux de chirurgiens (40 % du total des témoins) et de médecins (20 %) bien au-dessus des moyennes31 ; à un autre moment, on note la présence, aisément interprétable, d’un protestant « notoire32 » dans une union impliquant un marchand de la ville de Carla-le-Comte33 et la fille d’un marchand de Tarascon34, mariage devant se célébrer « face à la Sainte mère église catholique réformée35 ». Mais dans d’autres cas (par exemple, présence de trois marchands, un pareur, un praticien, un médecin, un prêtre36), une interprétation est-elle envisageable ? Pour notre part, peut-être à tort, nous resterons prudent et, de l’étude des témoins aux mariages, nous ne tirerons pas, pour l’instant, d’informations tendant à établir les réseaux de relation de certains marchands, ni, à plus forte raison, de conclusions37.

2. Les témoins au testament

  • 38 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 476, f° 4v°, me G. Rolland, 16/1/1622. Toutefois, une expression comme (...)
  • 39 J. P. Simard, « Liens personnels et milieux sociaux dans une société coloniale de l’Audience de Qu (...)

30Lors de l’enregistrement d’un testament par un notaire, dans son étude, au domicile du testateur le plus souvent, ou ailleurs, ce sont généralement sept témoins qui sont requis, toujours des hommes, ici aussi. Dans quelques cas, nous en comptons huit alors que dans les codicilles ils ne sont que cinq. Quelques testaments précisent, à l’exemple d’Antoine Longuevergne, en 1622, que les témoins ont été requis et appelés par le testateur, ce qui suggère un choix personnel38. De la même façon que ceux qui sont présents aux contrats de mariage, que peuvent-ils nous apprendre dans la mesure où ils étaient généralement désignés en dehors du lignage39 ? Nous nous intéresserons, d’abord, à la répartition par activité professionnelle des témoins des marchands (près de 440) et de ceux de leurs épouses (près de 210), en les comparant avec les résultats précédents. Ensuite, nous examinerons comment se comportent les différents groupes patronymiques que, avec les contrats de mariage, nous venons d’isoler.

  • 40 Pour les testaments, la catégorie « Notaire et praticien » n’inclut, en fait, que de praticiens.

31Si les témoins aux testaments des marchands et de leurs femmes signent dans de très larges proportions (respectivement 93-94 et 95-96 %) comme pour les mariages, la répartition professionnelle, quoique présentant les mêmes grands équilibres (majorité – mais relative, cette fois – de marchands), signale quelques différences significatives. La première, on vient d’y faire allusion, est la plus faible présence de marchands surtout aux testaments masculins, et une très forte proportion (un cinquième chez les hommes) des métiers du textile, parmi lesquels les pareurs (près de 12 % de l’ensemble des témoins). Cela ne doit pas être le fruit du hasard mais, sans doute, le reflet, une fois de plus vérifié, de la proximité du monde des marchands et de celui des pareurs, voire des cardeurs ou peigneurs de laine. On peut voir là un indice sur les relations sociales et professionnelles des marchands tarasconnais qui devaient fréquenter de près les pareurs de draps. Finalement, cela reviendrait à dire que les testaments nous montrent des marchands proches de l’artisanat. Du côté des femmes, la répartition professionnelle des témoins est pratiquement la même avec une moindre part réservée au textile (autour de 10 %) et une proportion près de deux fois plus élevée que chez leurs maris de praticiens40. Comme pour les mariages, ces derniers ne se trouvent-ils pas là pour des raisons strictement professionnelles ? Notons aussi l’absence de bourgeois. Observe-t-on des différences entre les familles ?

Tableau no 61. Proportion, par activité professionnelle, des témoins aux testaments des marchands de Tarascon et de leurs femmes (en %)

  • 41 Dont pareurs de draps : 11,85 %
  • 42 Dont peigneurs de laine : 4,78 %

Témoins de marchands

Témoins des femmes

Rappel : témoins des mariages

Marchand

41,69 %

47,00 %

de marchands 54,82 %

Notaire, praticien

4,33 %

7,50 %

8,33 %

Ecclésiastique

3,87 %

2,00 %

5,26 %

Médecin

0,91 %

0,50 %

1,32 %

Bourgeois

2,50 %

0,00 %

3,51 %

Chirurgien, apothicaire

3,42 %

4,50 %

3,07 %

Orfèvre

0,23 %

0,50 %

1,32 %

Profession du droit

0,00 %

0,00 %

1,32 %

Métiers du textile

20,27 %41

10,00 %42

7,46 %

Métiers du vêtement

2,73 %

5,00 %

3,07 %

Cordonnier

2,73 %

3,50 %

1,75 %

Écolier

1,14 %

0,50 %

0,88 %

Autre artisanat

4,33 %

3,00 %

1,75 %

Divers

1,37 %

0,00 %

6,14 %

Activité inconnue

10,50 %

15,00 %

-

32Comme le tableau ci-dessous l’indique, plus que des différences entre les groupes familiaux, ce qui apparaît ce sont surtout des comportements différents en fonction du sexe, du moins selon ce que l’on peut en juger malgré une proportion d’activités inconnues assez élevée chez les femmes (environ 15 %). Nous mentionnions précédemment une origine textile des témoins deux fois plus faibles chez les femmes que chez leurs maris ; on voit maintenant que c’est chez les femmes issues du groupe I que le taux est le plus faible (4,25 %) et qu’il tranche nettement avec celui de leurs frères (21,59 %). C’est aussi chez elles que le taux de praticiens (17 %) est le plus important, mais aussi où on trouve une proportion de tailleurs non négligeables (12,75 %). Cela veut-il dire que nous avons là l’indice, sinon la preuve, d’un moindre ancrage dans le milieu du textile de ces femmes ? Mais le fait que tous les témoins soient des hommes invalide dans une large mesure ces résultats si on veut y voir les réseaux relationnels des femmes de marchands. En effet, on peut supposer que celles-ci fréquentaient aussi d’autres femmes, peut-être alors celles de ceux qui sont leurs témoins à la rédaction du testament… Il n’y a pas de preuve pouvant étayer une telle hypothèse.

Tableau no 62. Proportion, par activité professionnelle, des témoins présents aux testaments des marchands de Tarascon de deux groupes familiaux et de leurs femmes (en %)

Tableau no 62. Proportion, par activité professionnelle, des témoins présents aux testaments des marchands de Tarascon de deux groupes familiaux et de leurs femmes (en %)
  • 43 Donnons-en, par facilité d’exposition, un petit tableau, en arrondissant les % :
    Origine des témoin (...)

33Si l’on croise l’origine familiale des femmes et la famille dans laquelle elles se marient, on a la confirmation que c’est l’origine familiale qui influe sur la présence plus ou moins fortes de témoins pratiquant une activité liée au textile, et moins le milieu d’accueil. En effet, pour les femmes issues du groupe I (Bergasse, Pilhes, etc.) et mariées dans le groupe II (autres familles marchandes), les métiers du textile ne fournissent que moins de 6 % des témoins alors que le taux dépasse les 15 % pour celles venant du groupe II et s’étant mariées dans le groupe I. Et on pourrait dire la même chose, en proportions inversées, pour les tailleurs ou les praticiens43.

  • 44 J. P. Simard, art. cit., p. 220, fait aussi ce genre de remarque.

34Les témoins indiquent-ils des réseaux de relations du testateur ? Sans doute, dans une certaine mesure, mais il serait, croyons-nous, imprudent de les suivre à la lettre. Par ailleurs, quelle part appartient au cercle des relations du notaire44 ? Lorsque plusieurs testaments sont dictés par une même personne, à plus ou moins de distance (deux femmes, sept hommes), par un père et ses fils (deux cas) ou par un mari et sa femme (cinq cas), y a-t-il stabilité dans la présence – au moins professionnelle – des témoins ou, au contraire, des changements se font-ils jour ? Sur ces questions, nous ne pouvons donner que les quelques exemples offerts par notre corpus qui, par conséquent, ne peuvent avoir qu’une valeur indicative. Les sept cas de marchands qui rédigent deux testaments, espacés de 0 jour à près de 24 ans l’un de l’autre, indiquent que la stabilité professionnelle des témoins est un peu supérieure au tiers (37,25 %) ce qui signifie que les deux tiers des professions des témoins sont différents d’un testament à l’autre. Est-ce l’indice d’une évolution des réseaux sociaux et professionnels des testateurs ? Peut-être car dans les testaments les plus rapprochés (moins de cinq ans) les éléments stables représentent 52 % alors que dans ceux qui sont plus espacés, le renouvellement est important puisqu’il atteint 75 %. Du côté des femmes, les trois testaments de Madeleine de Bourret, veuve de Mathieu Seré, qui couvrent 26 ans, mettent en lumière des modifications sensibles, en même temps qu’une certaine stabilisation entre les deux derniers. Ainsi qu’on le verra dans le tableau ci-dessous, lors de son premier testament (1641), un seul témoin était marchand alors que son dernier (1667) en compte six sur sept.

Tableau no 63. Évolution de la répartition professionnelle des témoins des testaments de Madeleine de Bourret

  • 45 Comparer avec le testament de son fils Raymond Seré, en date du 7/5/1652 : 5 marchands, 1 orfèvre, (...)

Professions

8/3/1641

25/4/165445

19/4/1667

Marchands

1

4

6

Praticiens

2

1

1

Prêtres

1

Chirurgiens

1

Peigneurs de laine

2

Orfèvre

1

Cordonnier

1

35Pour ce qui est de la comparaison des témoins des testaments d’un mari et de sa femme, ou d’un père et de ses fils, du peu de données exploitables ne se dégage pas de tendance claire. Si chez Odet Faure et ses fils règne une certaine homogénéité autour d’un fort noyau de marchands, et ce malgré un délai de près de 32 ans entre le testament du père et celui d’un fils, en revanche, chez les Prévost, rien n’apparaît. C’est la même impression qui prévaut à l’examen des testaments d’un marchand et de sa femme quand la mise en parallèle n’est pas rendue difficile par l’imprécision des actes où les professions ne sont pas toujours indiquées.

36Si nous synthétisons dans un tableau, en vue de les comparer, différents éléments que nous avons observés dans les pages voire les chapitres précédents, certains phénomènes tout à fait intéressants se dévoilent.

Tableau no 64. Synthèse sur les relations sociales et familiales des marchands de Tarascon au xviie siècle

Tableau no 64. Synthèse sur les relations sociales et familiales des marchands de Tarascon au xviie siècle
  • 46 Bourgeois, médecins, etc.
  • 47 Dont textile, 18 %.
  • 48 Dont textile, 20,3 %.

Note 4646
Note 4747
Note 4848

  • 49 Nuançons quelque peu, en précisant que les deux corpus ne se recoupent qu’imparfaitement dans la m (...)

37Que l’on regarde par exemple les professions des témoins au mariage ou au testament, d’une part, et celles des parrains des enfants de marchands, d’autre part, et l’on verra des différences très parlantes comme le poids des parrains issus de la bourgeoisie ou, au contraire, la faiblesse de ceux issus de l’artisanat, même si l’on sait qu’il y a des nuances entre les familles. De même, si l’on se penche sur les origines probables de l’ensemble des marchands de notre corpus et le destin de leurs filles ou le mariage de leurs fils49, on remarque, d’un côté le poids de l’artisanat, et de l’autre sa rareté. Cette opposition laisserait penser que, dans un cas, on a une image – plus ou moins juste – de la réalité du monde marchand, alors que dans l’autre (parrainages, mariages) on se situe davantage dans le domaine des représentations (des marchands qui se veulent plus bourgeois) lesquelles entraînent ces familles à rechercher des alliances nouvelles. On pourrait lire aussi à travers ces différences, les diverses modalités de tisser des relations horizontales (le mariage en offre une privilégiée) et verticales où le parrainage mais aussi les mariages des fils et filles interviennent. Ainsi, par ces indices se dévoilent sommairement les réseaux dans lesquels nos marchands évoluent.

38Parrains et marraines, témoins au contrat de mariage ou au testament, nous mettent sur la piste de quelques relations qu’entretiennent les familles de marchands ; les sources, partielles par définition, ne permettent pas de reconstituer précisément les réseaux dans lesquels se meuvent nos marchands. Même la recherche d’un réseau égo-centré sur l’un d’entre eux, voire sur une famille, s’avère difficile. On peut certes aligner une liste de noms, ou de professions, mais cela n’aura que peu de valeur car, dans le lot, pourra se trouver un nom occasionnel qui aura autant de relief qu’un autre avec qui le marchand entretient des relations plus étroites. Cela dit, dans cette partie, mais aussi dans les autres, nous avons pu mettre en valeur quelques phénomènes. L’un d’entre eux, est l’existence d’un noyau de marchands qui ont noué des relations familiales et matrimoniales, que l’on retrouve au consulat et qui accaparent une grande partie de l’activité commerciale. À partir des Teynier, par exemple, on a pu voir une stratégie tendant à aller voir vers l’extérieur. Ensuite, aussi bien avec les témoins qu’en essayant précédemment de définir les contours du groupe, nous avons pu voir les liens forts avec le monde du textile et particulièrement avec les pareurs de draps, de telle sorte que ce monde marchand semble, en partie pour le moins, en être issu et leur devoir beaucoup.

III. MOBILITÉ SOCIALE, MOBILITÉ SPATIALE

39Si nous résumons ce que nous avons vu jusqu’ici au risque de tomber dans la caricature, le marchand est fils de marchand dans 60 % des cas, marié six fois sur dix avec la fille d’un marchand, ses frères sont des marchands à 73 % – sinon ils vont gonfler les rangs du clergé, de l’armée, des avocats ou même des artisans – et ses sœurs épousent à 67 % des marchands, les autres se partageant entre des avocats, notaires, bourgeois voire « nobles », artisans. Ces sommaires statistiques ne sauraient rendre compte de la réalité dans ce qu’elle peut avoir de plus complexe. Seule la description minutieuse des destins de chaque lignage et des « parcours de vie », l’un après l’autre, nous ferait entrer de plus près dans cette réalité et cette diversité à condition toutefois que toutes les descendances et alliances aient pu être reconstituées. Mais, sans doute, on ne peut pas se contenter de ce type d’approche. Afin de nuancer ou d’affiner ce que nous venons de voir, nous avons regardé, à partir de ces généalogies, les devenirs des petits-fils et petites-filles des marchands tarasconnais, en distinguant entre ceux dont le père était marchand et ceux dont il avait déjà quitté cet état. Le résultat montre, selon toute attente, un maintien très affirmé (de l’ordre de 75 %) dans le milieu d’origine pour ceux dont le père y était aussi resté, alors que les descendants de ceux qui étaient déjà passés à la bourgeoisie maintiennent leur position et tendent même à s’agréger à la noblesse dans des proportions sans équivalent par rapport à leurs « cousins » dont le père était resté marchand, chez qui, d’ailleurs, le clergé offre une porte de sortie dans 10 % des cas. Du côté des unions matrimoniales, si encore la moitié de celles que contractent les petits-fils de marchands sont réalisées avec des filles de marchands, près de 30 % le sont avec des filles de bourgeois, avocats, etc., et même 6 % dans la « noblesse » ; l’artisanat et le notariat, quant à eux, sont très peu attractifs (environ 3 %). Les petites-filles de marchands, de leur côté, s’unissent deux fois sur trois avec des marchands, plus souvent que les garçons dans l’artisanat, le notariat et chez les chirurgiens (plus de 12 % au total) et bien moins dans la bourgeoisie (14 %). À la quatrième génération, deux arrière-petits-fils de marchands sur trois sont encore marchands, plus d’un sur cinq est « bourgeois » et une dizaine de % rejoint la « noblesse » et les arrière-petites-filles sont encore très largement mariées avec des marchands (69 %). Il y a bien un processus de sortie du monde des marchands mais celui-ci est d’abord très progressif, lié sans doute au degré d’ancienneté familiale dans l’activité et ne concerne pas toutes les branches d’une même famille. En fin de compte, à partir de ce que l’on a reconstitué, le monde de la marchandise connaîtrait plutôt une relative stabilité sur deux ou trois générations et l’activité marchande serait rarement une phase transitoire à l’aune de la vie individuelle.

40Nous avons jusqu’alors plus particulièrement privilégié le groupe, même si nous ne nous sommes pas interdit d’effleurer quelques parcours plus personnels. Au terme de cette partie consacrée à la dynamique sociale des marchands de la montagne, nous pouvons adopter une vision plus individualisée et revenir, à partir de quelques cas, sur un phénomène fondamental, celui qui concerne la mobilité aussi bien sociale que spatiale. Il est vrai que la première entraîne souvent la seconde qui, elle-même, peut-être une condition pour que la première se réalise. Or, il nous semble que pour quelques Tarasconnais, par exemple, la mobilité spatiale a été une condition de l’ascension sociale.

  • 50 Jean-Denis Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne. MM. les députés Berga (...)

41Sur une longue durée s’étalant de la fin du xvie à la fin du xixe siècle, à l’aide d’une reconstitution généalogique largement appuyée, pour les siècles postérieurs au xviie siècle, sur l’ouvrage de Jean-Denis Bergasse50, nous pouvons suivre les étapes d’un processus complexe de sortie du monde marchand, alliant une mobilité sociale quasi permanente et la migration. À la fin du xvie siècle, Arnaud Bergasse, né vraisemblablement vers 1570, est marchand, marié avec la fille d’un marchand de la ville (Peyronne de Seré) ; il est aussi premier consul en 1616 et capitaine de la milice de Tarascon qui lutte contre les protestants en 1621. Ses trois fils peuvent être considérés comme créateurs de trois branches de la famille : le plus jeune, Pierre (1621-1672), est marchand, comme son père, et épouse la fille d’un marchand de Tarascon, Madeleine de Teynier, issue d’une famille importante, comme on l’a vu ; leur fils (Pierre, 1654-1700) sera aussi marchand et s’installera à Pamiers, ayant épousé la fille d’un marchand de cette ville.

  • 51 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 590, f° 88v°, me R. Rolland, Tarascon, 5/6/1660.
  • 52 Nous devons ici évoquer une hypothèse qui expliquerait le départ en Catalogne. Un Jean Bergasse, f (...)

42Le deuxième fils, Jacques (v. 1617-1679) est marchand, marié avec une fille de marchand de Tarascon (Jeanne de Courtés) ; de leurs neuf enfants, plusieurs seront marchands, dont Jean, décédé à Lérida en 1671, un autre Jean, mort à Toulouse en 1675, et Mathieu, troisième consul en 1679, marchand certes, mais marié dans le monde du droit puisque son beau-père est juge et avocat (maître François Tuja). Le processus de sortie progressive du monde du commerce s’amorce, donc, par l’alliance avec le monde du droit, ce qui apparaît bien comme une étape décisive. En outre, chez eux, la migration est envisagée comme faisant partie de la formation, si l’on en juge par le legs de 150 livres que fait Barthélemy Courtés dans son codicille (5 juin 1660) pour que son petit-fils Jean Bergasse, âgé d’environ 15 ans, aille à Lyon « continuer et prendre son métier de marchand51 ». Jean Bergasse a-t-il obéi à son grand-père maternel ? Il est possible que ce soit le même qui est mort et enterré à Lérida en 1671, ayant choisi le sud plutôt que le nord52… Jacques, le fils de Mathieu, s’installe à Saurat en 1715, à quelques kilomètres de Tarascon, en s’alliant avec une famille importante du lieu (les Lannes de Laziroules), devenant maître de forges et engendrant un des deux députés du Tiers-État du Pays de Foix en 1789, maire de Saurat, et ensuite député aux Cinq-Cents (Georges Bergassse de Laziroules, 1763-1827), lui-même marié avec la fille d’un Capitoul, avocat en parlement.

  • 53 François Bergasse, dit Bergasse-Maillard du nom du deuxième époux de sa mère.
  • 54 L’ordonnance de création de 1682 précisait que « [Sa Majesté] ne trouvera pas mauvais qu’il se gli (...)
  • 55 Compagnie créée en 1609 ; pour y entrer il fallait être « gentilhomme ou fils de “bons bourgeois”  (...)
  • 56 Ch. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle. Contribution à l’étude des économies mariti (...)
  • 57 En 1781, Dominique Bergasse (1749-1793) s’associe avec son frère Alexandre et l’Alsacien Jean-Fréd (...)
  • 58 Alexandre Bergasse (1754-1820) prit une part assez active dans la contre-révolution lyonnaise, pas (...)
  • 59 Nicolas Bergasse a laissé une œuvre importante. Intéressé par le magnétisme et le mesmérisme, il o (...)

43Le fils aîné d’Arnaud Bergasse et de Peyronne de Seré, Jean (1612-1666), marchand de Tarascon, marié avec la fille d’un notaire, a un fils marchand (Pierre, décédé à 31 ans) et un autre praticien (mort aussi à 31 ans) ayant épousé la fille d’un procureur de Tarascon (Marie de Pagés, fille d’Etienne Pagés). Le fils de ce praticien, François Bergasse-Maillard53 entre dans une de ces compagnies de cadets gentilshommes de Louis XIV destinées à éduquer les jeunes gentilshommes, mais aussi ouverte au Tiers-État54, et est gendarme du roi55. Après avoir participé à la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), il épouse la fille d’un marchand de Tarascon, nièce maternelle de Jacques de Marfaing, un président et juge criminel au présidial de Pamiers. Après leur fils Jean-Baptiste (1702-1752), la branche restée à Tarascon, s’éteint en 1784. Leurs deux autres fils, Joachim (1707-1771) et Joseph (1720-v. 1774) s’installent à Lyon vers 1742 ; ce dernier ira ensuite à Bordeaux et de là aux Antilles, épousera Marguerite Duquerry, de Guadeloupe, et créera la branche américaine des Bergasse de Philadelphie et de Sainte-Lucie. Joachim, quant à lui, devenu commis chez le marchand toilier lyonnais Dominique Arnaud, en épousera la fille (Benoîte) qui lui donnera dix enfants. L’aîné des garçons, Henri (1747-1812) s’installe à Marseille où, associé avec son frère Louis (1751-1816), ils sont considérés comme des Lyonnais ; Charles Carrière en parle en ces termes : « Les frères [Henri et Louis] Bergasse, ces Lyonnais devenus les meilleurs spécialistes de la vinification provençale », « célèbres pour leurs chais56 ». Les trois autres fils du couple Joachim Bergasse-Benoîte Arnaud restent à Lyon où les deux marchands (Dominique57 et Alexandre58) se marient avec des filles d’échevin, et l’avocat et écrivain Nicolas Bergasse (1750-1832), fait de même avec Perpétue Aubert de Saint-Georges du Petit-Thouars de Boumois, de noblesse angevine. Avocat au parlement de Paris, Nicolas Bergasse (1750-1832) sera, comme son cousin éloigné, resté en Pays de Foix, Georges Bergasse de Laziroules, député pour le Tiers-États aux États généraux de 178959.

  • 60 G. Chaussinand-Nogaret, Histoire des élites en France du xvie au xixe siècle, Paris, Tallandier, 1 (...)

44Le négociant marseillais Henri Bergasse a un fils aîné, appelé aussi Henri (1783-1867), qui poursuit les affaires, et un cadet, Louis (1788-1861), qui, après Paris, s’installe en Algérie où il devient maire et conseiller général ; marié avec Amélie Teisseire, fille d’un député de l’Isère, il entre de plain-pied dans le monde de la banque et de la politique car sa femme est la nièce de Casimir Perier (régent de la Banque de France et grand-père du futur président de la République Jean-Paul-Pierre Casimir-Perier). Notons que l’entrée dans le clan des Perier avait déjà eu lieu par le mariage d’Alexandre Bergasse (oncle de Louis) avec Henriette Jordan, fille d’échevin de Lyon, certes, mais aussi nièce de Pierre Jordan, mari de la tante de Casimir Perier. La famille Perier sert d’illustration à Guy Chaussinand-Nogaret qui écrit à son sujet : « La famille de Casimir Perier, qui a commencé son ascension sociale au xviiie siècle, illustre le dynamisme d’une bourgeoisie que la Révolution a propulsée au premier rang de la nouvelle société. Négociants et manufacturiers avant 1789, ils initient ensuite un capitalisme […] qui permet, par la banque d’affaires, de contrôler de nombreux secteurs de l’économie. Le passage des affaires à la politique apparaît comme une consécration60 […] ».

  • 61 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 672, f° 158, me Delauriol, Tarascon, 8/4/1685.
  • 62 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 732, f° 76v°, me J. Rolland fils, Tarascon, 8/9/1695.
  • 63 Arch. dép. de l’Ariège, B 47, copie d’une donation faite devant me Louis Rougeault, notaire royal (...)
  • 64 R. Soueix, « L’émigration dans le Vicdessos au xviiie siècle d’après les registres des notaires »,(...)

45Si les Bergasse sont un exemple de migration particulièrement bien documenté et qui a réussi, ils ne sont pas les seuls à avoir tenté leur chance ailleurs, même si sur les autres cas nous devons nous contenter d’indices beaucoup plus ténus. Ainsi, on sait que Jean Laforgue, fils de Jean Laforgue de Claverie, né vers 1670, sera marchand à Lyon ou que Pierre Lucantes s’en va à Carcassonne en 168561 ou encore que Pierre Rousse annonce, lors du mariage de son fils, en 1695, vouloir aller s’installer – au moins momentanément – à Toulouse62, ville où il réside et exerce l’activité de marchand en 1700. Lyon est une destination plusieurs fois mentionnée dans notre documentation et pas uniquement pour les marchands tarasconnais et les Bergasse en particulier ; c’est aussi dans cette ville que Jean Ferriès, frère du marchand de Varilhes Pierre Ferriès, est installé en 166663. Vers le milieu du xviiie, des « marchands » originaires de la vallée du Vicdessos sont établis le long du Canal du Midi (Castelnaudary, Carcassonne, Narbonne), dans les villes de foires (Pézenas, Beaucaire), dans les ports de Bordeaux, Sète ou Marseille où l’Auzatois Jean Denjean est marchand de bois64.

  • 65 Florac et Layroule sont des terres à proximité de Tarascon. Les Longuevergne sont condamnés comme (...)
  • 66 Nous nous appuyons sur nos dépouillements et sur le travail d’H. Ginesty, « Le château de Lacombe. (...)

46Migrer représente une promotion sociale, en tout cas un espoir en ce sens. Certains des marchands dont on a vu quelques stratégies matrimoniales aspirent à la bourgeoisie et, sans doute au-delà, à l’accès au deuxième ordre. En attendant cette reconnaissance, l’achat de seigneurie traduit cette volonté. Les exemples pourraient être multipliés comme celui du marchand d’Ax du milieu du xvie siècle Raymond Munyer qui achète la seigneurie d’Orgeix, ou les Prétiane dont une branche fournit les seigneurs de Tignac, une autre ceux de Fontfrede, ou encore les Fornier, sieurs de Garanou ou de Savignac. À Tarascon et dans ses environs, il faut citer la famille Longuevergne, dont une des branches prend le titre de sieur de Florac et une autre de Layroule65, François Laqueune, sieur de Quié, fils et frère de marchand, les Seré et bien sûr les Traversier, sieurs d’Amplaing, de Niaux…, et leurs alliés. En raison de leur trajectoire réussie, ces familles ont fait l’objet de développements, plus ou moins précis et fiables, par exemple dans le dictionnaire généalogique de Jules Villain, il y a près d’un siècle. Un coup d’œil sur leur généalogie, même rapide et sommaire, met en évidence le processus dont nous parlons. D’extraction assez modeste, la famille Deguilhem peut servir, à travers le devenir de l’une de ses branches, d’illustration au processus que nous décrivons66.

  • 67 S. Desachy-Delclos, « Les élites militaires en Rouergue au xvie siècle », Annales du Midi, janvier (...)
  • 68 S. Desachy-Delclos, art. cit., note 30, p. 14, cite l’exemple du marchand Jean Carbonier, capitain (...)

47Selon Henri Ginesty, les Deguilhem s’installeraient à Rabat, à quelques kilomètres de Tarascon, vers le milieu du xvie siècle, venant peut-être du nord-ouest du Comté de Foix. La première mention d’un des leurs est contenue dans un acte de 1560 par lequel Antoine Deguilhem prend à ferme « rentes, oblies, profits, revenus et moluments, ensemble les molins ferrals, molin farinier de Rabat et autres droits ». À partir de là, il est intégré à l’activité du pays comme notaire, fermier du comte ou procureur. Dans le dénombrement de Rabat de 1593, il est propriétaire comme l’est aussi son fils et le seront, ensuite, ses descendants. C’est d’ailleurs de Rabat qu’arrivent les Deguilhem que nous rencontrons en tant que marchands de Tarascon, qui gardent d’étroites attaches avec cette petite communauté. Ainsi, Felip, né vers 1607, est le fils de François, marchand ferrier de Rabat, alors qu’Antoine est lui né à Rabat vers 1603. Une branche porte le titre de « capitaine de Rabat » qui démontre, qu’à un moment donné, la famille a saisi une opportunité pour se rapprocher du monde des « élites » militaires de ce monde rural. Si diverses catégories se regroupent sous ce titre, dans ce cas, il doit s’agir, comme cela a été montré pour le Rouergue67, de la consécration de ces hommes qui, au cours des guerres de Religion, ont pris, à la tête des milices villageoises, fait et cause pour l’un ou l’autre des camps. La perpétuation du titre chez les Deguilhem, au xviie siècle, peut faire penser qu’ils ont continué à exercer la charge après 1598. En tout cas, comme l’exemple rouergat l’indique, ces hommes, souvent roturiers, ont tendance, du fait du maniement des armes et de leur autorité de commandement, à imiter un mode de vie noble. Généralement marchands et petits propriétaires, ils trouvaient là l’occasion de s’affirmer68, étape d’une promotion désirée. Le commerce du fer, du bétail et les affermes des revenus seigneuriaux et ecclésiastiques sont aussi à la base d’une ascension socioéconomique que les tentatives d’agrégation à la noblesse, que les Deguilhem entreprennent dans la deuxième moitié du xviie siècle, voudraient couronner.

  • 69 Pièces des Arch. dép. du Tarn-et-Garonne, C 88.

48La première est faite par Bernard Deguilhem auprès de l’intendant de Montauban, en 1666, année même de son mariage avec Marie de Lestang, fille du seigneur de Celles ; elle est rejetée car les preuves fournies pour l’étayer sont jugées fausses. La deuxième tentative ne vint que 33 ans plus tard lorsque « Bernard de Guilhem de la Combe » produit de nouvelles pièces pour « la maintenue de noblesse69 » ; cette fois, malgré l’existence d’un faux rattachant ces Deguilhem à un Raymond de Guilhem du Bourguet, et en dépit d’une lettre anonyme venant sans doute de Tarascon et dénonçant que Deguilhem « est très roturier » même s’il « singénie tous les jours à prendre la qualité de noble », les généalogistes du roi acceptèrent les documents produits. Par les Guilhem du Bourguet, nos Deguilhem de Rabat prétendent descendre de la vieille famille languedocienne des Guilhem de Clermont-Lodève. Cet anoblissement, semble-t-il réussi, est l’aboutissement d’un processus dans lequel le mariage, en 1624, de François Deguilhem, capitaine de Rabat et père de Bernard, avec Anne de Saint-Pastou-Lapeyrère, en présence de la comtesse de Rabat, fut une étape, sans doute décisive. Une union de ce genre apparaissait aux Saint-Pastou, maison d’ancienne noblesse mais ruinée, comme le seul moyen pour leur assurer une continuité, alors que l’unique fils s’apprêtait à embrasser l’état ecclésiastique. Dix ans plus tard, afin d’asseoir sa base foncière, François achetait, en deux fois, en avril et juin 1634, la ferme forte de Lacombe, aux portes de Tarascon, et ses dépendances, noyau de l’édification de ce qui deviendra un château, et dont le nom sera accolé à celui de la famille. Ainsi, divers éléments étaient réunis pour franchir le pas.

  • 70 J. Lartigaut, « L’ascension sociale d’une famille d’immigrants en Quercy au xve siècle », Annales (...)
  • 71 F. Brumont, « L’ascension sociale d’une famille béarnaise : les Ducos, d’Arrosès (xviie-xviiie siè (...)
  • 72 Mêmes remarques pour l’Aragon dans J. I. Gómez Zorraquino, La burguesía mercantil en el Aragón de (...)

49Donc, quelques familles tarasconnaises ont connu des trajectoires qui ont largement dépassé les limites de leur groupe, du consulat et du haut Pays de Foix pour certaines. Les stratégies des Bergasse et des Deguilhem, approchées de façon superficielle, paraissent assez différentes, sinon opposées, même si les premiers n’ont pas dédaigné les alliances avec des filles de juge, d’avocat ou de procureur du roi, mais de façon très occasionnelle. Dans un cas, ce qui semble recherché est l’intégration dans le deuxième ordre dont le prestige séduit sans doute les Deguilhem. Il nous aurait fallu disposer de beaucoup plus d’éléments pour démêler tout le cheminement qui a pu mener un lignage, somme toute d’assez modestes marchands ferriers, à revendiquer – et apparemment à obtenir – une agrégation à la noblesse. Les Lamarque, de Saint-Paulet puis de Tarascon, dont nous avons décrit le destin dans ce même chapitre, présentent quelque chose de comparable, de même que le sort de la famille du marchand de Saint-Paul Jean de Castet qui mène une stratégie d’achats de seigneuries et d’unions matrimoniales dans le milieu seigneurial. Il y a là des traits qui ne sont pas sans faire penser aux chemins suivis, entre Auvergne et Quercy, par la famille de Molières dès le XVe siècle70 ou, en Béarn, par celle du notaire Jean Ducos71. On trouve dans la première un ancêtre laboureur dont les descendants sont passés par l’artisanat (du cuir, ici), les bénéfices ecclésiastiques, le notariat, la marchandise. Acheteurs de terres, devenant seigneurs utiles puis obtenant la directe, et pratiquant une politique d’unions matrimoniales avec des filles de la noblesse, leur percée est réussie et, devenus citadins, ils peuvent acquérir une charge de conseiller au présidial de Cahors et entrer dans la Cour des Aides, à sa création. Dans la deuxième aussi, les achats de terre, les placements d’animaux en gasaille, la pratique du prêt à intérêt permirent l’enrichissement d’un notaire rural qui put marier son fils avec la fille d’un avocat palois et accéder à la noblesse par l’achat d’une abbaye laïque ; toutefois, en décalage par rapport à notre propos général, cette famille ne semble pas être passée par le commerce. Mariages et achat de seigneuries sont, de toute façon, deux voies d’accès à la noblesse largement utilisées72.

  • 73 J. Cornette, Un révolutionnaire ordinaire. Benoît Lacombe, négociant 1759-1819, Paris, Champ Vallo (...)
  • 74 J. Cornette, op. cit., p. 130-131 ; l’auteur écrit, à partir du cas de Benoît Lacombe, « l’argent (...)

50En revanche, les Bergasse ont joué un jeu différent en recherchant des alliances dans le monde économique, de plus en plus lointain, et en y montrant un certain dynamisme. Toutes proportions gardées, leur parcours rappelle, sous quelques aspects, celui qu’a pu suivre une famille comme celle du négociant Benoît Lacombe, jadis révélé par Joël Cornette, partie du village de Penne en Albigeois, passée par Gaillac – d’abord dans les faubourgs avant de s’intégrer socio-politiquement –, arrivée à Bordeaux73. On a avec les Bergasse et les Deguilhem ou les Lamarque, l’incarnation non seulement de deux stratégies différentes mais sans doute de deux conceptions, de « deux visions du monde » pour reprendre une expression que Joël Cornette utilise pour expliquer la phrase que son « héros », Benoît Lacombe, écrit en mai 1786 : « L’argent est préférable au bien fonds vu que tous les jours et à tous les moments on a besoin du comptant74.» On ne peut dire, évidemment, si les deux grandes orientations que nous décelons sont de vraies stratégies ou si elles répondent aux opportunités rencontrées. En d’autres termes, y a-t-il réellement un destin général qui porterait les marchands vers la noblesse, fût-elle petite et locale ? L’agrégation ou la pénétration dans le deuxième ordre caractérisent-elles en premier lieu les familles qui avaient abandonné l’activité commerciale comme base essentielle de leur revenu et comme mode de vie ? Ou même celles qui, plus ancrées dans la terre (ce pourraient être les Deguilhem) avaient fait de la marchandise une activité parmi d’autres ? Mais, il y a bien un clivage entre ceux pour qui le capital circule et ceux qui choisissent l’investissement foncier, socle d’une assise et d’un enracinement plus fort.

51Il n’est pas aisé, compte tenu de la documentation disponible, de décrire précisément les destins collectifs et moins encore les trajectoires individuelles car cela demanderait de disposer de suffisamment d’informations et de se situer sur une longue durée, embrassant plusieurs siècles. On ne peut, dès lors, que proposer des schémas généraux qui ne peuvent avoir valeur de modèle explicatif. Cependant, il est évident que, par les alliances que réservent les marchands à leurs filles et fils, et par les réseaux qui en résultent – qu’on les apprécie par les unions matrimoniales, les parrainages, les fréquentations professionnelles, etc. –, nos marchands montagnards poursuivent un idéal de promotion sociale. Mais ils recherchent aussi une diversification que le mariage des filles et les professions des fils indiquent, de quoi il ressort que, dans la famille, plusieurs activités sont exercées, en plus de celle de marchand, de notaire à avocat en parlement, en passant par curé de village. Sans doute chacune permet-elle de peser dans plusieurs domaines d’autant que c’est pris dans un ensemble de relations que le marchand existe. La reconstitution des liens tissés par l’individu et la famille, pour très imparfaite qu’elle soit, permet de comprendre quels étaient, au-delà de l’appartenance professionnelle, leurs horizons réels, mais aussi, probablement, rêvés. Cela, bien sûr, ne révèle rien qui ne soit déjà connu. Le plus intéressant est que ces montagnes, situées aux confins du royaume, ne sont pas restées en dehors du phénomène tendant à intégrer ces élites de petites villes, d’une part, par les offices ou les carrières militaires, au service monarchique, et, d’autre part, à la vie économique là où le dynamisme se faisait le plus sentir (que l’on songe aux Bergasse à Lyon, Marseille, Bordeaux…). Un autre point qui mériterait une attention plus poussée est l’inexistence, en tout cas apparente, d’attraction pour les implantations outre-pyrénéennes et le peu d’alliances dans ce sens. Évidemment, à partir de quelques cas – les mieux documentés car précisément les plus aboutis et réussis –, nous ne pouvons pas généraliser car, à côté, combien sont ceux qui ne peuvent caresser des espoirs semblables à ceux que les exemples utilisés ont décrits ?

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  • 75 Cette remarque n’a, sans doute, rien de nouveau. On la trouve aussi, par exemple, sous la plume de (...)
  • 76 Nous rejoignons, finalement, les remarques de M. Gribaudi dans « Échelle, pertinence, configuratio (...)
  • 77 Voir, sur ce point, J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », p. 19 et P.-A. Rosental (...)

52D’une façon générale, l’individu – même pris dans le groupe – a été, en quelque sorte, la porte d’entrée privilégiée de cette partie. Nous avons essayé de tenir compte de cas individuels tels que nous avons pu partiellement les reconstruire, tant il paraît évident qu’il ne peut y avoir normalement de discours généralisant qu’après examen de l’ensemble des situations75. En ce sens, ayant une pratique largement empirique, nous nous sommes plutôt situé dans une démarche inductive76. Toutefois, nous ne revendiquons pas, du fait de l’aspect monographique de ce travail, la prétention de parvenir à des conclusions historiographiques de portée générale77. Le but de cette partie était de mieux connaître le marchandindividu et son entourage relationnel, en premier lieu sa famille. Sur ce point, nous avons exploré deux directions principales : l’union matrimoniale et les relations familiales. La première a permis d’apprécier l’âge au premier mariage des marchands et de leurs épouses, les origines sociales et géographiques de ces dernières et leurs apports. Elle nous a permis de constater que favoriser une union avec une famille qui compte est un élément important. En effet, le mariage dans une bonne famille marque un pas décisif de la reconnaissance et indique une volonté réussie.

53La deuxième direction a réservé un sort particulier au choix du ou des héritier(s). Le pluriel est généralement de mise puisque nos marchands tarasconnais désignaient, lorsque la possibilité se présentait, l’ensemble de leurs fils comme héritiers universels et généraux, à charge, ensuite, qu’ils divisent les biens entre eux. Au sein de la famille, l’étude des successions et de la dévolution des biens a montré la volonté de favoriser, le plus souvent, l’ensemble des héritiers masculins ce qui, au bout du compte, peut déboucher sur des conflits entre des frères appelés, en général, à se partager le patrimoine paternel et maternel, s’il y a lieu. Il y a là, par la pratique qui est faite d’un partage apparemment égalitaire entre les garçons, une caractéristique successorale qu’il faudrait encore explorer. Le sort des veuves, c’est-à-dire ce que prévoient les maris dans leur testament et le comportement postérieur de ces femmes devenues veuves, nous a aussi retenu. Mais, de manière générale, ce ne sont pas les quelques relations familiales, que les sources font découvrir, qui permettent d’entrer en profondeur dans le domaine de l’intime, des comportements, en un mot, de la vie privée.

54Le dernier chapitre de cette partie, qui a analysé quelques stratégies concernant les destinées de fils et les alliances de filles de marchands, met en évidence certains liens plus forts entre quelques familles à partir de l’étude des parrainages et des témoins au mariage et au testament (d’une part, plutôt des relations familiales, de l’autre plutôt des sociabilités). Enfin, pour terminer et en partant de quelques cas « individuels », nous avons tenté de comprendre quelle était la place de la mobilité sociale (en particulier volonté de sortir du monde de la marchandise pour s’agréger à la bourgeoisie ou à la noblesse) et spatiale (choix – individuel ou collectif ? – de quitter les montagnes pour aller vers des places commerciales importantes et dynamiques comme les Bergasse, partis à Lyon puis négociants à Marseille, Bordeaux, aux Antilles…). Ainsi, entre collectif et individuel, les trajectoires de certaines familles, voire de quelques individus, démontrent que, pour être une œuvre collective, l’ascension sociale ne peut se passer d’initiatives personnelles et d’esprit d’entreprise, ceux-là mêmes qui ont pu mener des membres de plusieurs familles à choisir ( ?) le départ pour être plus près des grands foyers de dynamisme économique du moment. Et cela pose, d’une façon plus générale, la question des migrations marchandes, pour lesquelles, le haut Pays de Foix moderne, est, finalement, un point d’observation, grâce aussi aux divers courants qui y convergent et dont nous avions parlé dans une partie précédente.

Notes

1 Cf. Cl. Lemercier, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, avril-juin 2005, p. 88 : « Malgré des appels récurrents, l’usage métaphorique du terme s’avère difficile à dépasser ». Cet article présente un « inventaire » des travaux, des possibilités et des directions offertes par l’analyse de réseaux.

2 J. Schlumbohm, « Quelques problèmes de micro-histoire d’une société locale. Construction des liens sociaux dans la paroisse de Belm (xviie-xixe siècles) », Annales. Histoire, Sciences sociales, juillet-août 1995, p. 775.

3 J. M. Imízcoz Beunza, « Communauté, réseau social, élites. L’armature sociale de l’Ancien Régime », Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, Éditions du CNRS, 1998, p. 51.

4 W. Kaiser, « Carrières de plume. Parcours et stratégies familiales des parlementaires d’Aix au xvie siècle », Le Parlement de Provence 1501-1790, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2002, p. 30.

5 J. Lartigaut, « L’ascension sociale d’une famille d’immigrants en Quercy au xve siècle », Annales du Midi, 1976, p. 263.

6 J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Seuil-Gallimard, 1996, p. 25.

7 Patronymes sélectionnés en fonction des informations qu’ils offraient quant à leurs alliances familiales ; pour cette raison, les patronymes isolés n’ont pu être pris en compte.

8 Familles Boulier, Bourg, Deguilhem, Floraud.

9 Familles Chaubet, Courtés, Lafargue, Laforgue.

10 Familles Bergasse, Pilhes, Teynier.

11 Notons, au demeurant, l’extrême rareté des unions directes (une seule) entre les trois familles constituant ce groupe III, de même (aucune) qu’entre celles du groupe I ou du groupe II.

12 V. Piétri, « “Une charge très honorable” : service du roi et reconnaissance sociale en Provence orientale aux xviie et xviiie siècles », Annales du Midi, avril-juin 2005, p. 163, 173, 177.

13 J. Villain, La France moderne. Grand dictionnaire généalogique, historique et biographique, II Haute-Garonne et Ariège, Montpellier, Imprimerie-Lithographie Firmin, Montane et Sicardi, 1911, art. « Teynier ».

14 J.-P. Dedieu et Z. Moutoukias, « L’historien de l’administration et la notion de réseau », conclusion de Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, op. cit., p. 257-258.

15 G. Delille, Le maire et le prieur. Pouvoir central et pouvoir local en Méditerranée occidentale ( xve- xviiie siècle), Paris-Rome, Éditions de l’EHESS-École Française de Rome, p. 171-184.

16 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 623, f° 242, me Ferrand, 17/11/1641 et 5 E 630, f° 97, me Ferrand, 13/09/1648. Aucun des deux maîtres d’apprentissage ne sait signer. L’apprentissage de tailleur est prévu pour une durée de 2 ans et pour 50 livres ; celui de cordonnier, pour 3 ans et 30 livres.

17 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 650, f° 48v°, me P. Ferrand, Tarascon, 24/7/1673. Il s’agit de « la vente de tous les registres et liasses et cèdes volantes et autres actes et entiers papiers des offices de notaire de feus Vital Teynier et de Mathieu Tappie ».

18 Suivant la généalogie que nous avons établie, il semblerait qu’un de ses oncles paternels ait été notaire. S’agit-il du même office ?

19 Familles Boulier, Bourg, Bourrel, Dussa&ux, Faure, Gautey, Laforgue, Longuevergne, Lucantes, Mirouze, Rivière, Verger.

20 Familles Bergasse, Pilhes, Prévost, Seré, Teynier.

21 Le notaire et marchand de Tarascon, Paul Lamarque, est le fils d’un Jean-Sanson Lamarque, marchand de Saint-Paulet.

22 J. Schlumbohm, art. cit., p. 790-792.

23 C. Blanquie, « Dire les mondes du village », Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, Éditions de l’ehess, 2005, p. 49.

24 Cf. le 1/2/1604, François Floraud, « qui est rendu catholique et a renoncé à l’hérésie calvinienne », parrain de Jean Cayrel.

25 Voici un tableau récapitulatif de ces différences :
Image

26 Dans le cas de Tarascon, les témoins signent dans de grandes proportions : sur près de 230 témoins à des mariages touchant des familles de marchands tarasconnais, 97-98 % signent. En revanche, chez les mêmes notaires de Tarascon, pour les 41 témoins présents à des mariages concernant des marchands extérieurs à la ville, le taux de signature tombe à 80,50 %.

27 Dans cette colonne, les personnes présentes à plusieurs reprises n’ont été prises en compte qu'une seule fois : nous apprécions ainsi le stock des témoins potentiels et non pas les occurrences ou apparait un témoin.

28 Blancher, peigneur de laine, tisserand, chaussetier, pareur de draps, teinturier.

29 Tailleur, couturier.

30 Par exemple, au mariage d’Isabeau de Ferrand, fille du notaire Jean Ferrand, avec le marchand Jean Rousse, sur cinq témoins, un est notaire et un autre praticien. Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 732, f° 76 v°, me Jean Rolland, 8/09/1695.

31 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 744, f° 18, me J. Rolland, mariage entre Pierre Martin, maître chirurgien de Tarascon, et Marie de Prévost, 31/01/1700. Notons qu’ici les témoins appelés à signer appartiennent aux familles des mariés.

32 Il s’agit de Raimond Sabatier qui, dans son testament, rappelons-le, déclare vouloir être enterré, à Tarascon, au cimetière de ceux de la « religion prétendue et réformée de laquelle il fait profession » (Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 470, f° 44, me G. Rolland, 26/03/1615).

33 Carla-le-Comte, dans le Pays de Foix (auj. Le Carla-Bayle), est la patrie de Pierre Bayle qui y naît le 18/11/1647 ; son père, Jean Bayle, en était le pasteur.

34 Marie de Dufau, fille de Jean ; deux de ses frères se prénomment Daniel, un autre Isaac, et une sœur, Judith.

35 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 460, f° 195 v°, me G. Rolland, 29/08/1605.

36 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 722, f° 66, me Jean Ferrand, mariage entre Jean-Etienne Pailhès, sieur de la Palhole et Marguerite de Prévost, 6/06/1694.

37 Le rapport entre le nombre de noms de familles différents et le nombre total de témoins, établi à 0,75 pour l’ensemble de l’échantillon (0,80 pour les mariages des Pilhes, 0,83 pour les Seré, 0,79 pour les Prévost ou 0,70 pour les Teynier) est tel qu’il ne permet pas, pour chaque famille, de distinguer un noyau constant de témoins de même patronyme, si ce n’est 26 % de Teynier pour les mariages Teynier ou 21 % de Deguilhem pour les mariages Prévost.

38 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 476, f° 4v°, me G. Rolland, 16/1/1622. Toutefois, une expression comme « témoins à ce appelés et par led. testateur reconnus », incluse dans le testament de Raymond Seré, n’indique pas un choix aussi clair de la part du testateur (Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 503, f° 84, me G. Rolland, 7/5/1652, testament de Raymond Seré).

39 J. P. Simard, « Liens personnels et milieux sociaux dans une société coloniale de l’Audience de Quito, 1620-1680 », Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, op. cit., p. 220. Dans cette contribution (p. 191-230), l’auteur utilise les informations contenues dans les testaments (témoins mais aussi exécuteurs testamentaires) pour analyser les liens familiaux et sociaux. Le nombre de témoins par testament est beaucoup plus faible que dans notre corpus puisque, selon l’auteur, la présence de trois témoins suffisait pour valider l’acte.

40 Pour les testaments, la catégorie « Notaire et praticien » n’inclut, en fait, que de praticiens.

41 Dont pareurs de draps : 11,85 %

42 Dont peigneurs de laine : 4,78 %

43 Donnons-en, par facilité d’exposition, un petit tableau, en arrondissant les % :
Origine des témoins pour trois groupes de femmes de marchands

Femmes issues du groupe I, mariées dans le groupe II

Femmes issues du groupe II, mariées dans le groupe I

Femmes issues du groupe II, mariées dans le groupe II

Paticiens

20,00 %

9,25 %

2,50 %

Textile

6,00 %

15,40 %

10,35 %

Tailleurs

17,00 %

1,50 %

4,50 %

Marchands

37,00 %

49,25 %

50,50 %

44 J. P. Simard, art. cit., p. 220, fait aussi ce genre de remarque.

45 Comparer avec le testament de son fils Raymond Seré, en date du 7/5/1652 : 5 marchands, 1 orfèvre, 1 praticien.

46 Bourgeois, médecins, etc.

47 Dont textile, 18 %.

48 Dont textile, 20,3 %.

49 Nuançons quelque peu, en précisant que les deux corpus ne se recoupent qu’imparfaitement dans la mesure où sur certains marchands « récents », souvent installés au Faubourg du Bout du Pont, les données recueillies sont plus maigres que sur les anciens.

50 Jean-Denis Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne. MM. les députés Bergasse ( xviiie- xixe siècle), Edition de l’auteur, Cessenon, 1990, 514 p. Voir aussi Ph. Wolff, « Une belle famille ariégoise : les Bergasse », Bulletin de la Société ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1984, p. 51-73.

51 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 590, f° 88v°, me R. Rolland, Tarascon, 5/6/1660.

52 Nous devons ici évoquer une hypothèse qui expliquerait le départ en Catalogne. Un Jean Bergasse, fils de Jacques (il pourrait s’agir du même, bien que nous n’en ayons aucune preuve formelle), a assassiné le marchand Pierre Lafargue, dans la juridiction de Vicdessos, vers 1669 ; son départ vers Lérida s’apparenterait, peut-être, plus à une fuite qu’à une migration marchande (Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 648, f° 188, me P. Ferrand, Tarascon, 31/8/1669).

53 François Bergasse, dit Bergasse-Maillard du nom du deuxième époux de sa mère.

54 L’ordonnance de création de 1682 précisait que « [Sa Majesté] ne trouvera pas mauvais qu’il se glisse parmi eux des enfants de gens qui vivent noblement » (M. Marion, Dictionnaire des institutions de la France- xviie- xviiie siècles, Paris, Picard, 1984 (première édition 1923), p. 65).

55 Compagnie créée en 1609 ; pour y entrer il fallait être « gentilhomme ou fils de “bons bourgeois” ».

56 Ch. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle. Contribution à l’étude des économies maritimes, Marseille, Institut Historique de Provence, 1973, p. 119 et 133.

57 En 1781, Dominique Bergasse (1749-1793) s’associe avec son frère Alexandre et l’Alsacien Jean-Frédéric Braun pour créer la société qu’évoque aussi Charles Carrière (op. cit., p. 247 note 41, p. 720, p. 743, p. 966). Auteur des Recherches sur le commerce, les banques et les finances, il sera guillotiné en 1793.

58 Alexandre Bergasse (1754-1820) prit une part assez active dans la contre-révolution lyonnaise, passé à la « Petite Église », il publiera à la Restauration une Réfutation des faux principes inventés par les Jacobins, où il se déclare contre la souveraineté du peuple.

59 Nicolas Bergasse a laissé une œuvre importante. Intéressé par le magnétisme et le mesmérisme, il organisa en 1783, la « Société de l’Harmonie » et en rédigea la doctrine dans Théorie du monde et des être organisés en 1784 (D. Poulot, art. « Mesmérisme », Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, PUF, 1996, p. 819-820). Il est, en outre, l’auteur d’une dizaine d’autres ouvrages dont, en 1776 (réédité en 1787), un Discours sur l’humanité des juges dans l’administration de la justice criminelle et, en 1790, une Protestation contre les assignats-monnoie.

60 G. Chaussinand-Nogaret, Histoire des élites en France du xvie au xixe siècle, Paris, Tallandier, 1991, p. 218-219.

61 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 672, f° 158, me Delauriol, Tarascon, 8/4/1685.

62 Arch. dép. de l’Ariège, 5 E 732, f° 76v°, me J. Rolland fils, Tarascon, 8/9/1695.

63 Arch. dép. de l’Ariège, B 47, copie d’une donation faite devant me Louis Rougeault, notaire royal de Lyon. Migration en sens inverse pour Toussaint-Joseph Chantbor Villemur, natif de Saint-Haon, diocèse et province de Lyon (localité située à une dizaine de km à l’ouest de Roanne), établi comme marchand et chirurgien de Pamiers au début du xviiie siècle (Arch. dép. de l’Ariège, B 201, 26/9/1709, donation de tous ses biens à son fils aîné, Claude, de Pamiers).

64 R. Soueix, « L’émigration dans le Vicdessos au xviiie siècle d’après les registres des notaires », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1968, p. 268.

65 Florac et Layroule sont des terres à proximité de Tarascon. Les Longuevergne sont condamnés comme usurpateurs de noblesse par un jugement de 1697 (Arch. dép. de l’Ariège, 5 J 46, pièce 17).

66 Nous nous appuyons sur nos dépouillements et sur le travail d’H. Ginesty, « Le château de Lacombe. Témoignage de l’ascension d’un lignage du Pays de Foix, les Guilhem », Bulletin de la Société ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1994, p. 77-91.

67 S. Desachy-Delclos, « Les élites militaires en Rouergue au xvie siècle », Annales du Midi, janvier-mars 1996, p. 9-27.

68 S. Desachy-Delclos, art. cit., note 30, p. 14, cite l’exemple du marchand Jean Carbonier, capitaine de Creissels, qui, dans les actes notariés – sans que le notaire fût dupe –, s’affublait du titre de « noble » ; p. 19, elle évoque l’ascension du capitaine Mazerand, de Belvèze, qui, en 1591, est marchand, bourgeois en 1612 et écuyer en 1620. Ces deux exemples font écho à ce qui s’observe chez certaines familles du haut Pays de Foix, en particulier chez les Deguilhem, issus d’une sorte d’élite rurale.

69 Pièces des Arch. dép. du Tarn-et-Garonne, C 88.

70 J. Lartigaut, « L’ascension sociale d’une famille d’immigrants en Quercy au xve siècle », Annales du Midi, 1976, p. 261-286.

71 F. Brumont, « L’ascension sociale d’une famille béarnaise : les Ducos, d’Arrosès (xviie-xviiie siècles) », Pyrénées. Terres frontières, Paris, cths, 1996, p. 185-196.

72 Mêmes remarques pour l’Aragon dans J. I. Gómez Zorraquino, La burguesía mercantil en el Aragón de los siglos xvi y xvii (1516-1652), Saragosse, Diputación General de Aragón, 1987, p. 144-148.

73 J. Cornette, Un révolutionnaire ordinaire. Benoît Lacombe, négociant 1759-1819, Paris, Champ Vallon, 1986, 430 p., en particulier II- « Racines » qui analyse minutieusement le processus d’ascension de la famille au cours du XVIIIe siècle.

74 J. Cornette, op. cit., p. 130-131 ; l’auteur écrit, à partir du cas de Benoît Lacombe, « l’argent ne doit en aucun cas se stériliser dans la terre, quand bien même celle-ci édifierait une assise solide à la noblesse […] », « Benoît Lacombe sait que le commerce est bien plus rentable à long terme que le privilège social de propriétaire terrien, fut-ce d’une seigneurie “avec moulin” », « La décision de Benoît est donc claire et cohérente : il faut refuser la tentation de la terre : c’est un placement stérile qui condamne toute réussite à long terme des affaires du commerce ».

75 Cette remarque n’a, sans doute, rien de nouveau. On la trouve aussi, par exemple, sous la plume de Neithard Bulst (« Il n’empêche que toute recherche portant sur un ensemble […] doit débuter par la tentative d’établir des biographies individuelles ») dans « Objet et méthode de la prosopographie », L’État moderne et les élites, xiiie- xviiie siècles. Apports et limites de la méthode prosopographique, Paris, Publication de la Sorbonne, 1996, p. 476.

76 Nous rejoignons, finalement, les remarques de M. Gribaudi dans « Échelle, pertinence, configuration », Jeux d’échelles, op. cit., p. 128-129, sur la validité de la démarche inductive.

77 Voir, sur ce point, J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », p. 19 et P.-A. Rosental, « Construire le “macro” par le “micro” : Fredrik Barth et la microstoria », p. 142, tous les deux dans Jeux d’échelles. op. cit.

Table des illustrations

Titre Tableau no 52. Alliances de 32 familles de marchands de Tarascon, xviie siècle
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Titre Carte no 6. Les alliances des Teynier au xviie siècle : lieu d’origine des conjoints
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Titre Figure no 2. Tableau généalogique simplifié de la famille Lamarque (fin xv Ie siècle-début xixe siècle)
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Titre Tableau no 58. Parrains et marraines des fils et filles de marchands de Tarascon au xviie siècle (en %)
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Titre Tableau no 59. Patronymes des parrains et marraines des enfants de marchands de Tarascon au xviie siècle (en %)
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Titre Figure no 3. Les réseaux de parrainages des Cancel, Floraud, Gautey et Prévost
Légende NB : il faut lire la figure ainsi : les familles Prévost, Floraud, Gautey et Cancel, sont celles qui ont des enfants à parrainer ; les autres fournissent parrains et marraines ; la longueur des segments est aléatoire (sans rapport avec la proximité ou l’intensité des relations).
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Titre Tableau no 62. Proportion, par activité professionnelle, des témoins présents aux testaments des marchands de Tarascon de deux groupes familiaux et de leurs femmes (en %)
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/11163/img-8.jpg
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Titre Tableau no 64. Synthèse sur les relations sociales et familiales des marchands de Tarascon au xviie siècle
Légende Note 4646Note 4747Note 4848
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/11163/img-9.jpg
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