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Vicomtes et vicomtés

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Hélène Débax

Le phénomène vicomtal en Limousin, IXe-XVe siècles

Didier Delhoume et Christian Rémy

Texte intégral

  • 1 Sur ces débats et sur les questions de critique documentaire, nous renvoyons à l’Annexe 1.

1Avec près d’une douzaine de cas, le Limousin est indéniablement une terre de vicomtes et de vicomtés [voir fig. 1 en annexe]. Cette profusion, dans les trois départements qui correspondent autant à l’ancien diocèse qu’au comté carolingien de Limoges, rend l’enquête passionnante mais difficile car les premières générations restent présentées de manière souvent sibylline, et dans leurs attributions, et dans leurs liens lignagers à partir d’actes souvent non datés et parfois corrompus. Des débats intenses voire houleux ont agité le monde de la recherche régionale des questions telles que sur l’origine de tel lignage vicomtal, l’existence ou non d’une vicomté de Ségur, le dédoublement ou non d’une génération (un ou deux Foucher de Limoges), ou des questions de mariage (le « double mariage » d’Archambaud Jambe pourrie)1.

2Nous proposons ici d’établir une chronologie précise de l’apparition des lignées vicomtales limousines en rassemblant l’ensemble des éléments apportés par les sources écrites. Puis, nous proposerons quelques réflexions transversales, afin de fournir un éclairage plus général à ce phénomène fortement marqué en Limousin mais souvent bien difficile à appréhender dans ses détails, en raison de la nature de la documentation.

  • 2 Pour des raisons très concrètes, le grand nombre de lignages et notre intention d’être précis nous (...)

3À partir de ce travail de rétablissement des faits, on peut mesurer combien le grand nombre de familles vicomtales dans les limites de l’ancien diocèse de Limoges permet de parler d’une véritable prolifération vicomtale2 [voir de manière approfondie l’annexe 1 qui détaille l’émergence et la filiation de ces diverses vicomtés]. Plus qu’un phénomène, c’est la dimension phénoménale de cette émergence qui est spectaculaire.

4Au-delà de la somme des informations, au demeurant pertinentes, qui éclairent la naissance et la multiplication des lignées vicomtales, il nous appartient d’aborder les pistes de réflexions que suggère le phénomène vicomtal en Limousin.

  • 3 Bridiers devient un centre de vicomté au cours du XIVe siècle, pour un lignage qui n’en porte par (...)

5Après la nomination du vicomte « du Limousin » à la fin du IXe siècle et de son probable pendant méridional à Tulle, la prolifération des autres « vicomtes » limousins couvre plus de deux siècles, entre le début du Xe et le début du XIIe siècle, si l’on écarte le cas très particulier de Bridiers3. Entre cette dizaine de lignages, de nombreux points de convergence existent, que ce soit dans les rapports qu’ils entretiennent les uns avec les autres, dans leur identification à un site fortifié éminent, ou dans leur ancrage et leur structuration territoriale [annexes 1 et 2].

UNE PROLIFÉRATION LIGNAGÈRE : LA THÉORIE DE L’ESSAIMAGE

  • 4 C’est, au demeurant, l’idée de R. de Lasteyrie, Étude sur les comtes et vicomtes de Limoges antéri (...)

6Revenons sur l’un des actes les plus éloquents pour accréditer le « droit du sang » en matière de transmission du titre vicomtal, à savoir la fameuse donation de Turpion, datée des années 936-942. L’acte désigne un certain Adémar [de Tulle], le vicomte Rainaud (d’Aubusson) et son frère l’évêque Turpion, Archambaud (de Comborn ?) et le vicomte Hildegaire (de Limoges) comme cousins (consanguinei) [Fig. 2]. S’il s’agit là d’une parenté véritablement biologique – et pas seulement d’une parenté symbolique entre puissants –, elle étayerait l’hypothèse de « l’essaimage lignager » des vicomtes limousins à partir d’un ancêtre commun (le grand-père d’Hildegaire ?)4.

7Les premières mentions de vicomtes, au-delà du Xe siècle d’ailleurs, suggèrent que la diffusion du titre vicomtal s’est effectuée selon un processus de patrimonialisation impliquant une mise en commun du titre au sein d’un même lignage. On remarque plusieurs cas de collégialité du titre vicomtal ou de co-titulature entre frères : entre Archambaud et Bernard de Comborn (1072), entre Adémar I et Pierre de Limoges (1027) ; entre Gui II et Geoffroi de Limoges (1036) ; entre Adémar IV et Gui IV de Limoges (1143-1146), ou entre Boson III et Raymond IV de Turenne (1212-1219 ?).

  • 5 Seul le cartulaire de Saint-Martin de Tulle donne des localisations précises dès le Xe siècle : on (...)

8D’ailleurs, le titre vicomtal n’est pas, originellement, attaché à un lieu précis dans le comté : les attributions des Archambaud à Comborn, des Rainaud à Aubusson ou des Adémar à Tulle sont le fruit de raisonnements régressifs5. Les premières identifications de vicomtes à des castra (N, vicecomes de…) n’apparaissent dans les textes – sauf exceptions de ce fait sujettes à caution – qu’à compter de la seconde moitié du XIIe siècle.

9Ce dont nous sommes certains, c’est que les Limoges ont donné naissance aux Rochechouart et aux Brosse, encore que l’on méconnaisse particulièrement la lignée des seigneurs de ce site au cours du Xe siècle. Les Comborn ont généré les Ventadour. Les Aubusson sont certainement à l’origine des Gimel et les vicomtes de Tulle à l’origine des Turenne. Ces derniers créent – ou relèvent ? – une éphémère branche vicomtale à Ribérac. Au Xe siècle, les Limoges, les Aubusson, Adémar de Tulle et peut-être Archambaud de Comborn se prétendent parents. Mais à quel degré ? Et aucun acte clair ne permet de lier formellement les Ségur, les Aubusson et les Comborn. Il y a sans doute là un vide documentaire irrémédiable.

  • 6 B. Barrière, « Le Limousin de l’An Mil », dans Splendeurs de Saint-Martial de Limoges au temps d’A (...)

10Pour autant les modalités de proclamation du titre de vicomte restent obscures : qui autorise un cadet à se titrer ? Pour Bernadette Barrière, la création des vicomtes limousins à partir de 930 fut entièrement à l’initiative des comtes poitevins et ce afin de parcelliser la puissance des vicomtes de Limoges. Ebles Manzer (902-935) puis son fils Guillaume Tête d’Etoupe (935-963) auraient maintenu les vicomtes issus d’un fidèle de Charles le Chauve, à Limoges, et ceux issus des comtes du Quercy, à Turenne. Ils auraient ensuite placé dans des forteresses publiques les lignages d’Aubusson, de Ségur, de Comborn, de Brosse6. De fait, il est assez difficile de déterminer dans quelle mesure les vicomtes sont nommés ou simplement confirmés a posteriori par le comte – comme ils l’ont fait de l’entreprenant « marquis » Boson de la Marche – et dans quelle mesure tous sont issus d’un même ancêtre biologique ou simplement liés à sa descendance par des alliances opportunes.

  • 7 Sur cette question, voir les échanges entre R. de Lasteyrie et R. Fage.

11Si l’extraction de tous les vicomtes n’est pas clairement établie, les politiques matrimoniales montrent nettement une tendance aux alliances inter-vicomtales, notamment lorsqu’il s’agit de relever une lignée tombant en quenouille : Archambaud Jambe pourrie, marié à une Brosse, la délaisse pour convoler avec l’héritière présomptive de Turenne, fille de Bernard (fin Xe siècle) ; Gui de Limoges épouse Emma de Ségur et récupère Ségur (fin Xe siècle) ; Archambaud IV s’adjuge la vicomté de Limoges par son union avec Humberge (début XIIe siècle) ; si Guillaume X d’Aquitaine épouse Emma de Limoges en 1136 c’est pour les perspectives de récupération de la vicomté que laisse entrevoir le décès des aînés. Toutes ces lignées sont relancées par ces unions. Seules celles de Ribérac et de Ségur ne sont pas pérennisées, cette dernière se fondant dans le patrimoine des Limoges au point que certains chercheurs doutent de son existence même7.

12La pérennisation des titres vicomtaux limousins est donc forte, en dépit des nombreux aléas que traversent les lignages tout au long du Moyen Âge : la famille de Tulle disparaît en effet des textes vers 930, celle de Ségur autour de l’an Mil, les Gimel vers 1200 et les vicomtes d’Aubusson vers 1260. Plusieurs vicomtés connaissent par ailleurs des changements dynastiques : Limoges passe aux Comborn en 1148 puis aux ducs de Bretagne en 1277, Turenne change de mains entre 980 et 1059, puis en 1304 et encore en 1350 ; c’est également le cas de Ventadour en 1480, de Rochechouart en 1480 et de Comborn en 1368 puis en 1500.

  • 8 Sur ce titre original et plutôt rare dans le Massif central, cf. Chr. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne (...)
  • 9 A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente, Paris, 1984, p. 220, note 178.

13En tout cas, le rang vicomtal s’impose comme la première strate de l’aristocratie provinciale, devant la couche des principes et des comptors, désignations sans avenir8. À partir du XIIIe siècle, les vicomtes sont du même rang que les comtes de la province (ceux de la Marche). Pour André Debord, le titre vicomtal n’a plus de contenu réel avec la disparition du monde carolingien, mais le prestige reste et de nombreux lignages, pourtant simples châtelains, issus des vicomtes de Limoges s’en parent9. La seconde Vida du troubadour Bertrand de Born, rédigée au cours du XIIIe siècle, le qualifie « vescoms » de Hautefort pour insister sur le prestige de ce célèbre seigneur.

  • 10 Plusieurs indices sembleraient étayer cette option. Du point de vue onomastique par exemple, A. De (...)

14Plusieurs questions importantes restent néanmoins sans réponse claire : d’où sont issus les lignages vicomtaux primitifs ? Avons-nous affaire à de grands propriétaires terriens installés depuis longtemps dans la région ? S’agit-il au contraire de nobles allochtones10 dont les moyens d’action ne peuvent provenir que des vestiges de la puissance publique dont ils sont délégataires et du produit des domaines fiscaux subsistant dans le diocèse ?

  • 11 Voir sur ce point Robert de Lasteyrie, Étude sur les comtes et vicomtes…, et René Fage, La maison (...)

15La réalité de l’emprise territoriale primitive de ces lignages reste très difficile à appréhender. Les premières mentions de lieux pouvant être associés à l’exercice de la charge mettent par exemple en lumière l’éloignement de ceux-ci par rapport aux domaines patrimoniaux sur lesquels s’assoit la puissance politique des vicecomites concernés. Ainsi constate-t-on que l’assise foncière des premiers vicomtes de Limoges repose sur de vastes domaines dans la région de Ségur et Salon11. Celle des Aubusson apparaît importante dans le secteur de Gimel-Egletons, où ils liquident leurs droits avant le XIIe siècle. Si les données de départ restent difficiles à saisir, tout au moins peut-on mieux cerner les modalités des constructions territoriales qui se développent par la suite chez chacune des familles. Les stratégies patrimoniales ont, en fait, pour trait commun de s’appuyer sur la détention de castra.

UNE PROLIFÉRATION D’ABORD CASTRALE

  • 12 Sur les sites castraux du Limousin, on peut consulter Chr. Remy, Seigneuries et châteaux-forts en (...)

16La légitimité des familles vicomtales limousines procède peut-être d’une ascendance commune, invérifiable pour celles de la deuxième génération, mais leur efficacité et leur viabilité tient davantage aux castra qu’elles contrôlent. En effet, hormis les premiers vicomtes de Limoges/Limousin qui offrent de ce fait un cas particulier, toutes les lignées vicomtales limousines assoient d’abord leur pouvoir sur la possession d’une forteresse éponyme12.

Les forteresses vicomtales

  • 13 Pour se faire une idée du site d’Aubusson, on consultera avec profit L. Ferran, B. Barrière et ali (...)

17Le site d’Aubusson s’est développé dans un environnement très accidenté. La forteresse occupait une extrémité d’éperon barré, dominant la confluence de la Creuse et de l’un de ses affluents, en contrebas d’une fortification protohistorique. Sur les pentes ouest et sud s’est formé un habitat subordonné qui a évolué en bourgade. Des indices, notamment l’existence d’une église primitive Saint-Jean de la Cour (curtis) dédiée à saint Jean-Baptiste, sur l’autre rive de la Creuse, suggèrent une occupation du haut Moyen Âge. Mais rien ne prouve l’existence du castrum avant l’émergence des vicomtes13.

  • 14 Pas d’étude monographique récente : on consultera A. Querrien, « Bourgs castraux et organisation d (...)

18Brosse occupe l’extrémité d’un éperon de méandre, dans un site très isolé, loin des centres paroissiaux. Un large fossé barrait l’éperon et l’isolait du plateau, donnant aujourd’hui encore une idée de la vaste emprise du castrum initialement implanté en ces lieux. La forteresse est signalée dès 974, aux mains du vicomte de Limoges Géraud14.

19Le castrum de Bridiers est connu indirectement par un lignage éponyme attesté dès l’An Mil. On l’identifie traditionnellement à un complexe fossoyé, pourvu de deux mottes, implanté sur un vicus gallo-romain, à peu de distance du bourg monastique de La Souterraine. On sait que la forteresse est prise et détruite au début du XIIIe siècle et, à un moment indéterminé, elle a été transférée à l’emplacement actuel, un sommet peu marqué sur lequel se voient encore les ruines d’un château de faible extension des XIVe-XVe siècles.

  • 15 Aucune étude d’ensemble sur le site castral hormis des travaux en cours de Y. Labrousse.

20Comborn occupe un site sauvage, retiré des itinéraires et des pôles paroissiaux médiévaux, niché dans une boucle de la Vézère. L’étroit éperon rocheux a permis le développement d’une roca supérieure et les pentes aménagées en terrasses accueillaient au moins un autre enclos avec des hôtels dévolus à la militia. L’escarpement général du site n’a pas permis – un peu comme à Ventadour – le développement d’une véritable bourgade et le château lui-même semble avoir été assez vite délaissé par les vicomtes au profit de résidences moins contraintes par la topographie15.

  • 16 Bilan de la documentation et des connaissances sur le site dans C. Remy, P. Conte, « Le castrum de (...)

21Le castrum de Gimel occupe un site très escarpé, dominant un cingle de la Montane rythmé par plusieurs séries de cascades. Le site se décomposait en deux entités – un castrum superior c’est-à-dire la roca castri des seigneurs – et un castrum inferior dévolu aux milites et aux autres habitants. Il s’agit d’un nid d’aigle qui, malgré son escarpement a réussi à fixer un habitat aggloméré et à le pérenniser. L’existence du castrum est déductible des mentions de milites dits « de Gimel » dès la seconde moitié du XIe siècle ; sans doute, son origine est-elle encore plus ancienne mais elle reste non documentée16.

  • 17 J. Boin, « Rochechouart : la mise en place d’un espace urbain médiéval », dans M. Cassan, J.-L. Le (...)

22Le site de Rochechouart domine le cours de la Graine et un point de franchissement de la rivière. Le castrum se développait en rebord de la falaise, sur une barre rocheuse assez ample (pour le château), et sur l’amorce du plateau (pour le bourg). Il était séparé par un fossé de la grande basse cour – aujourd’hui transformée en parking – qui comprenait les hôtels de l’importante militia castri. Cet enclos était lui-même coupé du reste du castrum – l’actuelle ville – par un autre fossé. Ici comme pour les autres sites, la première mention du site fortifié (castellum) est bien tardive (1069) alors que la localisation même du premier vicomte, Aymeric Ostafrancs dit « de Rochechouart », implique l’existence d’une forteresse (roca)17.

  • 18 B. Barrière, C. Remy, Ségur-le-Château, collection « Patrimoine limousin », Limoges, 2002 ; C. Rem (...)

23Le castrum de Ségur s’est développé dans un méandre de l’Auvézère. La forteresse vicomtale occupe un éperon rocheux facilement défendable mais dominé par le plateau environnant. Aucune route ancienne n’est connue dans ce secteur ce qui tend à prouver que c’est la qualité du site qui a justifié l’implantation d’une fortification (Securium). Là encore, les vicomtes précèdent, dans les sources, les premières mentions du castrum que l’on peut toutefois raisonnablement considérer comme antérieur à l’An Mil18.

  • 19 Cl. Andrault-Schmitt, B. Barrière et alii, Tulle, collection « Patrimoine limousin », Limoges, 199 (...)

24Le castrum de Tulle occupait les pentes de l’éperon de confluence de la Corrèze et d’un affluent, en contre-haut du groupe abbatial devenu épiscopal (1317), ce qui lui a valu l’appellation « Les Echelles » (scalas). Le site fortifié est attesté depuis le IXe siècle, sans doute en rapport avec l’émergence du vicomte Adémar, sur un point de franchissement de la rivière établi sur un vieil itinéraire d’origine pré-romaine19.

  • 20 Cf. les hypothèses exposées par J.-F. Boyer, « Reliquaires et orfèvrerie à Saint-Martial », dans C (...)
  • 21 J. F. Boyer, « Reliquaires et orfèvrerie… », p. 57 ; M. Aubrun, L’ancien diocèse de Limoges…, 1981 (...)
  • 22 Sur Turenne, on se reportera à C. Remy et G. Séraphin, « Le castrum vicomtal de Turenne », Congrès (...)

25Turenne est sans doute le site fortifié dont l’ancienneté est la mieux documentée. Siège d’une vicaria Torinensis au VIIe siècle, le castrum est signalé au siècle suivant comme base du duc Waïfre prise par Pépin le Bref en 767. Il s’agit assurément d’une forteresse publique carolingienne, évoquée à plusieurs reprises entre 860 et 992 comme chef-lieu d’un pagus minor du pays limousin (Tornensis pagus) même si l’on ne cerne pas bien le sens de cette expression20. À deux reprises au moins, vers 842 puis en 885-895, il aurait servi de refuge temporaire aux reliques de saint Martial jugées trop exposées aux raids des Normands à Limoges21. Le castrum s’est développé sur et autour d’une butte-témoin culminant à près de 340 m d’altitude, dominant largement les deux versants de la vallée de la Tourmente, affluent de la Dordogne. La barre rocheuse, qui correspond au cœur de l’ancien castrum, est encore dominée par trois tours (toutes du XIIIe siècle) : une forte tour à contreforts dite Tour du Trésor, les restes d’une seconde structure à contreforts plats dite La Poudrière, et une tour circulaire dite Tour de César. Au pied de cette roca castri, dans une deuxième enceinte constituée de maisons jointives et de portions de courtines, se concentrent encore quelques hôtels nobiliaires d’anciens milites castri. Enfin, un habitat subordonné formé autour d’une place de marché s’est développé le long du versant occidental, jusqu’à la place du champ de foire22. Toutefois, il existe un débat sur la localisation du site du haut Moyen Age, que la tradition locale voit sur un sommet dénommé Puy de Gondres (alt. 289 m). Situé à quelque 1,5 km au nord-est du château actuel, sur l’autre rive de la Tourmente, il était appelé « vieux Turenne » en 1074 (montem qui vocatur Vetula Torena). Des mouvements de terrain suggèrent des substructions enfouies mais de quelle époque datent-elles ?

  • 23 Des recherches menées depuis 2004 par le Bureau Hadès permettent aujourd’hui de mieux cerner l’org (...)

26Le site de Ventadour n’est explicitement signalé qu’en 1117, comme castellum, mais on doit évidemment considérer qu’il est né, au plus tard, avec l’émergence du vicomte Ebles I. Le site castral se développe sur une arête rocheuse de confluence, à 572 m d’altitude, entre la Soudeillette et l’un de ses affluents, dominant largement le paysage environnant, bref dans une position majeure et marquante pour une « dynastie » vicomtale naissante. Mais la logique d’implantation du château à cet endroit – hormis le caractère spectaculaire de l’éperon – nous échappe encore en grande partie car on ne connaît pas d’axe routier majeur ou d’activité économique lucrative qui aurait justifié d’une implantation en ces lieux23.

  • 24 D. Delhoume, « Les vicomtes de Limoges et l’abbaye de Saint-Martial de Limoges : difficultés et en (...)

27Les vicomtes de Limoges sont dans une situation particulière. Leur pôle d’affectation théorique est la capitale du comté. Or, Limoges est une cité d’origine antique dans laquelle pré-existe le castrum organisé autour du groupe épiscopal, alors qu’à peu de distance, un second pôle de peuplement s’est formé autour du monastère dédié à saint Martial. Les vicomtes parviennent à édifier une importante motte avec basse cour, à peu de distance du monastère. Cette structure, dont le souvenir s’est figé dans la toponymie et la topographie urbaines, a été datée du Xe siècle par les fouilles menées en 1995. Elles ont aussi mis en évidence l’existence d’un édifice sur poteaux d’époque carolingienne, antérieur à l’érection de la motte24. Mais rapidement, peut-être dès le XIe siècle, les vicomtes ne résident plus à Limoges, où ils sont représentés par des officiers, mais dans d’autres castra comme Ségur ou Excideuil.

  • 25 Le cas de Bridiers est lui aussi bien particulier : le château ne devient chef-lieu de vicomté qu’ (...)
  • 26 Voir la contribution de L. Macé dans ce volume.

28Au total, on remarque qu’hormis Turenne, bien attesté dès le VIIIe siècle, les castra sièges de vicomtés ne fournissent aucune preuve d’une existence ancienne, du moins antérieure à l’émergence du lignage vicomtal. C’est le cas aussi pour Limoges, quoique cette configuration soit très atypique dans la série ici examinée25. On ne peut donc évacuer totalement l’hypothèse de sites créés par les premiers vicomtes pour exprimer leur puissance et pour servir leur prestige. Dans tous les cas, la recherche du perchement est manifeste et souvent dans des situations assez peu en accord avec les logiques économiques. Le développement de castra comme Brosse, Comborn ou Ventadour a largement été bridé par l’exiguïté et l’isolement de leurs sites. La persistance de Gimel reste étonnante et celle du site de Ségur – vicomté déclassée – s’explique en grande partie par l’implantation d’une cour d’appel au cours du XVe siècle. Seuls Aubusson, Tulle et Turenne sont parvenus à drainer de véritables agglomérations, Tulle d’ailleurs davantage en raison du développement de ses institutions ecclésiastiques que de l’ancien castrum abandonné par son vicomte. Le cas de Turenne est remarquable dans la mesure où la place forte jouissait déjà d’un prestige certain en tant que forteresse publique : peut-être est-ce pour cette raison que les vicomtes ont été jusqu’à utiliser l’image de leur castrum éponyme sur leur sceau26 ?

Des vicomtes châtelains

29Le contexte d’émergence ou d’affirmation des vicomtes – la mutation féodale – explique cette incrustation des lignées dans un site castral. Finalement, les vicomtes apparaissent comme des maîtres de château comme d’autres en leur temps. Les vicomtes ne contrôlent d’ailleurs pas l’ensemble des forteresses de la région. Des castra importants comme Aixe, Pierre-Buffière, Lastours, Chambon, Crozant, Malemort, ou Donzenac échappent à leur autorité et restent aux mains de châtelains, qui apparaissent dans les clientèles vicomtales, mais ne leur hommagent pas leurs for teresses. À bien des égards, les vicomtes font figure de super châtelains : ils expriment leur autorité à partir d’un site castral emblématique mais contrôlent plusieurs forteresses. Ce constat peut d’ailleurs être étendu aux comtes de la Marche qui, à partir de Charroux, bâtissent leur principauté autour de nombreux castra parmi lesquels Saint-Germain de Confolens, Bellac ou Ahun. Les Limoges sont – dès le XIe siècle – maîtres des castra d’Auberoche, de Nontron ou d’Excideuil, en plus de leur motte de Limoges et du castrum de Ségur, échu par mariage. Les Ventadour apparaissent maîtres des castra de Neuvic, de Meymac, d’Egletons, de Margerides et s’imposent à Ussel, où ils rivalisent avec le lignage éponyme de cette bourgade. Les Turenne dominent plusieurs forteresses comme Saint-Céré, Curemonte, Creysse, Montvalent. Les Comborn ne tardent pas à mettre la main sur les sites de Treignac ou de Chamberet. Mais dans tous les cas, il semble que cette emprise territoriale fondée sur la maîtrise de castra résulte d’une construction progressive à partir de la forteresse éponyme du lignage.

  • 27 Voir l’état de la question donné dans le volume 1 de l’étude de D. Delhoume, Les vicomtes de Limog (...)

30Le cas des vicomtes de Limoges mérite d’être exposé. À l’origine, le lignage ne semble détenir aucun castrum de manière allodiale, sauf, peut-être, celui d’Excideuil dont les origines sont mal connues. La politique d’implantation vicomtale – progressive mais parvenue à son extension maximale et quasi définitive au milieu du XIIIe siècle27 – s’appuie largement sur la médiatisation (moyennant prestation d’hommages par les vicomtes) des seigneurs ecclésiastiques les mieux dotés en castra, dans le sud-ouest du diocèse et au-delà. Les vicomtes se sont ainsi imposés comme interlocuteurs attitrés de puissants établissements religieux comme les abbayes de Solignac, de Saint-Martial de Limoges, de Saint-Sauveur de Charroux ou le chapitre de Saint-Yrieix, et même auprès des évêques de Périgueux et d’Angoulême. C’est par le biais de ce système « d’avouerie » – qui leur laisse finalement les coudées franches – que les vicomtes de Limoges ont mené leur politique d’expansion territoriale et construit leur vicomté. Le castrum de Nontron – qui devient le centre de la plus vaste châtellenie de la vicomté – joue dans cette optique un rôle essentiel de pivot de la progression dans la partie septentrionale de l’ancien comté de Périgord.

  • 28 P. Marcilloux, Géographie féodale du Limousin aux XIVe-XVe siècles. « Li quatre vescomtat de Lemoz (...)

31Dès lors, on peut s’interroger sur ce qui explique le succès des lignages vicomtaux : n’est-ce pas, en plus de droits ponctuels sur telle ou telle forteresse, la possession directe de plusieurs châteaux qui leur assurent une large assise en moyens économiques et humains et qui leur permet de surclasser les autres lignages non titrés ? On remarque, à partir de la fin du XIIe siècle, avec une documentation plus riche, les efforts menés par les vicomtes afin de faire entrer les barons et les simples châtelains dans leur vassalité. Ainsi, les Limoges parviennent à s’immiscer à la tête de la hiérarchie féodale de castra comme Aixe ou Châlucet alors que les comtes de la Marche parviennent à s’approprier Crozant. Les travaux de cartographie féodale effectués par Patrice Marcilloux montrent nettement que dans les espaces vicomtaux des Comborn ou des Ventadour, le territoire châtelain primitif, mû en châtellenie, a été complété par des adjonctions de ressorts déjà constitués car postérieures28. On est là dans un processus de territorialisation.

32L’ancrage territorial des vicomtes s’est bien effectué à partir de forteresses éponymes et il faut abandonner l’idée un peu trop cartésienne d’un découpage « originel » rationnel qui aurait été effectué entre vicomtes. La formation des espaces vicomtaux s’est effectuée empiriquement et ce processus perdure largement au cours du XIIIe siècle.

UNE PROGRESSIVE STRUCTURATION TERRITORIALE ET ADMINISTRATIVE

33Le titre vicomtal n’est pas, on l’a vu, originellement attaché à un lieu précis dans le comté. Les premières mentions des vicomtes Adémar (à Tulle) ou Rainaud (à Aubusson) ne comportent, en effet, aucune allusion à une localisation spatiale. Ici comme ailleurs, les vicomtes précèdent les vicomtés. Il faut attendre le XIIe siècle pour avoir enfin des mentions précises et nettement territorialisées, celles émaillant le cartulaire de Tulle en plein Xe siècle étant manifestement retouchées a posteriori. Le comté de Limoges est encore utilisé comme référence territoriale dans les années 930 et le terme de vicomté (vicecomitatus/vescomtat) n’apparaît, quant à lui, pas avant le XIIe siècle.

L’ancrage territorial

34Le processus de patrimonialisation rapide du titre vicomtal, évoqué plus haut, pourrait avoir eu pour corollaire la dévolution en faveur des individus concernés de portions afférentes de biens et droits fiscaux éparpillés dans tout le territoire du comté, et ce indépendamment des domaines patrimoniaux antérieurement détenus par le lignage patricien choisi comme délégataire du pouvoir comtal.

  • 29 Au cœur d’un territoire alors totalement aux mains de l’évêque de Limoges.
  • 30 Voir D. Delhoume, « Les vicomtes de Limoges… », p. 73-74.
  • 31 Voir ci-dessus.

35Une illustration de cet état de fait peut être apportée si l’on examine la question de la nature du patrimoine originel des vicomtes de Limoges. En effet, si – comme on l’a vu – l’essentiel du domaine foncier des premiers vicomtes semble localisé dans la région de Ségur, on retrouve également dans le patrimoine vicomtal des mentions fugaces de droits à la nature éminemment régalienne, sans lien direct, cependant, avec ces domaines fonciers : ainsi en est-il des droits sur la monnaie de Limoges et sur le péage du pont Saint-Étienne29 tenus du comte de Poitiers sous le devoir de l’hommage, et ce jusqu’en plein XIIIe siècle30. De même, les Aubusson apparaissent, à l’origine, fortement implantés dans la région de Gimel-Egletons où, pourtant, leur charge vicomtale ne semble pas rayonner31 : peut-être sont-ils originaires de ce secteur et donc possessionnés dans cette zone avant d’être placés – mais par qui et selon quelles modalités ? – sur le versant nord du plateau de Millevaches, autour d’Aubusson.

36Il nous semble donc que le pouvoir vicomtal s’appuie dès l’origine sur deux piliers bien distincts : d’une part un patrimoine foncier plus ou moins homogène du point de vue géographique, d’autre part l’exercice de droits « régaliens » issus de la charge comtale carolingienne puis patrimonialisés par les vicomtes, le castrum constituant le point d’ancrage de ces ensembles. L’équilibre, le poids respectif et la cohérence interne de ces deux points d’appui initiaux du pouvoir vicomtal pourraient avoir largement conditionné la construction des « vicomtés », ou tout au moins l’articulation des différents espaces vicomtaux.

37Du point de vue de l’emprise vicomtale sur le territoire, les cadres semblent très mouvants jusqu’au XIIIe siècle, époque à laquelle on observe une vigoureuse phase de stabilisation territoriale et d’organisation administrative. Mais dès la fin du XIe siècle, on remarque les premières mentions de châtellenies (castlania/castellania), émanation directe du pouvoir issu du castrum.

La structuration d’administrations vicomtales

  • 32 Pour ces quelques jalons concernant les administrations vicomtales, nous avons choisi de ne pas mu (...)

38C’est également dès le XIe siècle que l’on voit apparaître les traces les plus anciennes d’officiers vicomtaux, viguiers (vicarius) de Limoges et de Salon pour les vicomtes de Limoges, de Gimel pour les Aubusson. à Ventadour, le bayle Etienne est signalé en 1076. On trouve un Hugues sénéchal (sescal) du vicomte Ebles vers 1021 et une famille Seschal/Seschau est également connue à Rochechouart. Pierre Constantin est plusieurs fois mentionné comme senescals du vicomte de Turenne, au début du XIIe siècle, et un baile vicomtal est signalé à Ségur vers 1130. Les Miracles de sainte Foy décrivent le cruel clerc Gaubert, capitaine placé par le vicomte Ebles le Vieux à Turenne, au début du XIe siècle32.

39Les mentions d’officiers deviennent plus fréquentes à partir de la fin du XIIe siècle, même si les circonscriptions et les attributions qui leur sont dévolues restent floues et mouvantes. Vers 1175-1180, c’est le troubadour Peire Pelissier, bourgeois de Martel qui est baile de toute la vicomté. En 1179, Chatard Martel est viguier des vicomtes à Limoges. On trouve un bailli vicomtal au Château de Limoges en 1196, puis un prévôt de Nontron et de Piégut avec ses sergents.

40Au XIIIe siècle, les mentions se multiplient, témoignant d’un moment de structuration de l’administration vicomtale, très variable toutefois d’une vicomté à l’autre : la volonté de rationalisation administrative semble nette à Limoges alors qu’elle apparaît beaucoup plus faible à Comborn par exemple, mais peut-être n’est-ce que le résultat des lacunes documentaires pour cette seconde vicomté. Plusieurs prévôts et baillis sont mentionnés dans les châtellenies des vicomtes de Limoges (viguiers à Limoges, quelques sergents). Adémar de Maumont est châtelain de Châlus en 1267 ; Hélie de Magnac, capitaine du château de Nontron en 1279. Dans la même vicomté, un procureur est connu en 1269, un sénéchal est évoqué en 1273 et 1276, et un juge est en fonctions en 1285. Les officiers de justice sont mieux connus à partir de la fin du XIIIe siècle : un juge des causes de la cour vicomtale de Turenne en 1270, puis un juge de Turenne en 1299.

41Selon un processus connu par ailleurs, beaucoup de ces familles d’officiers vicomtaux finissent par faire de leur fonction leur patronyme (Juge, Sénéchal, Bayle, Vigier). Une enquête – fastidieuse mais passionnante – serait à mener sur ces administrations vicomtales, en particulier dans la phase de mise en place, entre 1250 et 1350.

42L’organisation de véritables chancelleries vicomtales ne semble guère antérieure au XIIIe siècle ; encore ne perçoit-on l’existence de ces dernières que par des mentions erratiques : ainsi sait-on que G. Fabri est notaire du vicomte de Limoges en 1220 ou qu’un certain Etienne est le clerc de la vicomtesse Ermengarde en 1231. Le sceau vicomtal de Turenne est géré par le chapelain du vicomte, Adémar Barbe, en 1268-1281, puis par le damoiseau Etienne Maynard, en 1285-1292. Les vicomtes assurent la juridiction gracieuse de leurs sujets dès le milieu du XIIIe siècle pour les Rochechouart ou les Ventadour, mais il faut attendre la fin du XIIIe siècle à Rochechouart ou à Limoges, le début du XIVe siècle dans les vicomtés de Turenne ou de Ventadour, pour voir fonctionner une véritable chancellerie avec sceaux aux contrats et « gardes du scel authentique ».

  • 33 M. Bompaire, Fr. Dumas, Numismatique médiévale, Turnhout (L’atelier du médiéviste 7), 2000, p. 105 (...)
  • 34 Sur ces questions, voir les excellentes mises au point de J. Tixier, « La datation du monnayage de (...)
  • 35 M. Bompaire, « Monnaies et politiques monétaires en France (XIIe-XVe s.) », Moneda y monedas en la (...)

43Terminons cet état des lieux par la question des monnaies, vestige de prérogative régalienne par excellence. Une minorité de vicomtés ont frappé leur propre monnaie. Celle de Limoges est d’abord une immobilisation du type du roi Eudes (887-898), attestée au cours des Xe-XIe siècles, avant qu’elle ne soit remplacée par les « barbarins » de Saint-Martial (1105-1240). Un type vicomtal original mais toujours anonyme est frappé de façon éphémère, entre 1240 et 1255 environ, avant que l’atelier ne soit délocalisé à Aixe (1273) avec la monnaie affichée comme étant celle des « vicomtes de Limoges33 ». À Turenne, une monnaie raymondine au type odonique est attestée dès la fin du XIe siècle, sans doute à l’initiative de Raymond Ier. Ce type « raymondin » continue d’être frappé sous le vicomte Boson et ce jusque vers 1190. Il est remplacé par un deuxième type raymondin provenant de l’atelier de Beaulieu. Vers 1210-1230, on constate la frappe d’un troisième type, rapidement déclinant. Vers 1260 est lancé un nouveau type, le quatrième, calqué sur le denier marchois mais qui n’eut pas de succès. Le cinquième et dernier marque le retour au type odonique, à partir de 1270 et jusque vers 1310 : il n’existe plus lors de l’ordonnance royale sur les monnaies de 131534. Signalons encore, pour mémoire, les frappes monétaires de Brosse, attestées à partir du XIIIe siècle, et celle des comtes de la Marche, avec l’atelier de Bellac35. Parmi les autres grands vicomtes, ni les Comborn, ni les Aubusson, ni les Ventadour n’ont émis de monnaie féodale.

***

44Au terme de cet essai sur les familles vicomtales limousines, il nous apparaît évident que l’étude fine des origines des lignages – et en particulier ceux de la deuxième génération (Aubusson, Ségur, Comborn) – bute et butera irrémédiablement sur le caractère très fautif des notices des deux cartulaires foisonnants de Tulle et d’Uzerche, dont les actes ont souvent été ré-interprétés dès le XIIe siècle puis datés parfois arbitrairement par leur éditeur. De la sorte, de nombreuses mentions des premiers vicomtes d’Aubusson, de Ségur et de Comborn restent sujettes à caution et les connexions entre personnages ou entre lignages continueront d’être fragiles. Les questions relatives aux premiers vicomtes « du Limousin » comme celles touchant à l’échec des Tulle et à l’émergence des Turenne restent également nombreuses et en partie irrésolues.

45On peut toutefois remarquer qu’en Limousin, le titre vicomtal est, à partir du moment où le comte ne réside plus dans sa circonscription, le titre suprême. La mise en place des premiers vicomtes, manifestement nommés par l’autorité royale ou du moins comtale, semble avoir procédé d’une volonté de contrôler un secteur démuni de comte résident. Ces premiers vicomtes dits de Limoges/ou « du Limousin » – ce que laisse accroire leur appellation Lemovicensis – étaient en théorie responsables de l’ensemble de l’ancien comté. Pour autant, un autre lignage, lui étant apparenté, émerge rapidement au sud de la région, sur les marges du Quercy dont il reprend en partie du moins l’emprise territoriale.

46À partir du Xe siècle, le nombre de vicomtes se multiplie. Le titre est porteur d’un prestige qui semble se transmettre par le sang. Certains lignages régionaux ont pourtant constitué des entités territoriales d’ampleur mais n’ont pas eu accès au titre vicomtal ou y ont renoncé. Ainsi en est-il des Chambon, des Chabanais ou des Laron. D’autres, liés aux Comborn et principalement implantés à Terrasson et à Chamboulive, ont adopté le titre de comptor. Le reste de l’aristocratie régionale, qualifié dans son ensemble, comme ailleurs, de principes ou de barones, se situe en deçà de la strate vicomtale et ne bénéficie d’aucune appellation originale à partir de la fin du XIIe siècle. Seul le titre vicomtal perdure alors comme marqueur de prestige.

  • 36 Titre qu’ils « réveillent » malgré l’érection en marquisat de leur seigneurie éponyme, en 1614.

47Ainsi, à l’époque moderne, en rachetant la vicomté au dernier Comborn surendetté, les seigneurs de Pompadour peuvent se parer du titre tant convoité et deviennent « vicomtes ». De même, les Hautefort deviennent vicomtes en 164036. Lorsqu’ils rachètent le château de Ségur aux Pérusse des Cars, qui se moquaient bien du titre vicomtal dans la mesure où leur seigneurie avait été érigée en comté en 1562, ils ressuscitent la titulature et l’on voit des Hautefort se titrer « vicomtes de Ségur » en plein XVIIe siècle, se fondant sur une principauté morte autour de l’an Mil.

48L’histoire de la ré-interprétation des titres vicomtaux et de la « retouche » documentaire a alors déjà commencé.

Notes

1 Sur ces débats et sur les questions de critique documentaire, nous renvoyons à l’Annexe 1.

2 Pour des raisons très concrètes, le grand nombre de lignages et notre intention d’être précis nous ont amené à scinder cet essai de mise au point en deux parties : la première, très factuelle, figure en Annexe 1, sur le CD joint. La seconde seule est ici conservée dans l’ouvrage imprimé. Nous renvoyons le lecteur à cette annexe 1, tout comme à l’annexe 2, proposant un recueil d’actes fondant notre propos, et aux trois figures (cartes des vicomtés, propositions sur l’essaimage vicomtal).

3 Bridiers devient un centre de vicomté au cours du XIVe siècle, pour un lignage qui n’en porte par le nom, et le processus est donc un peu différent. Ribérac émane des Turenne mais se situe aux franges occidentales du Périgord, loin du Limousin, et nous ne faisons qu’en évoquer l’existence.

4 C’est, au demeurant, l’idée de R. de Lasteyrie, Étude sur les comtes et vicomtes de Limoges antérieurs à l’An 1000, Paris, 1874, reprise implicitement par B. Barrière et A. Debord, et de manière excessive par M. Bony de Lavergne.

5 Seul le cartulaire de Saint-Martin de Tulle donne des localisations précises dès le Xe siècle : on sait qu’elles sont apocryphes comme ce Foucher, « vicomte de Ségur ».

6 B. Barrière, « Le Limousin de l’An Mil », dans Splendeurs de Saint-Martial de Limoges au temps d’Adémar de Chabannes, catalogue d’exposition, Musée de l’Evêché, Limoges, 1995, p. 13 ; « La dénomination chez les vicomtes… », p. 65.

7 Sur cette question, voir les échanges entre R. de Lasteyrie et R. Fage.

8 Sur ce titre original et plutôt rare dans le Massif central, cf. Chr. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges du VIIIe au XIe siècle. La fin du monde antique, Le Puy-en-Velay, 1987, p. 337-338.

9 A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente, Paris, 1984, p. 220, note 178.

10 Plusieurs indices sembleraient étayer cette option. Du point de vue onomastique par exemple, A. Debord a relevé de troublantes similitudes entre les prénoms des premiers Limoges et ceux de lignages poitevins tels que les sires de Jonzac (entre le Xe et le milieu du XIe siècle) ou la famille de Montembœuf (A. Debord, La société laïque…, p. 213-214).

11 Voir sur ce point Robert de Lasteyrie, Étude sur les comtes et vicomtes…, et René Fage, La maison de Ségur, Limoges, 1878.

12 Sur les sites castraux du Limousin, on peut consulter Chr. Remy, Seigneuries et châteaux-forts en Limousin, 2 vol., Limoges, 1995 et 1996.

13 Pour se faire une idée du site d’Aubusson, on consultera avec profit L. Ferran, B. Barrière et alii, Aubusson, collection « Patrimoine limousin », Limoges, 1995.

14 Pas d’étude monographique récente : on consultera A. Querrien, « Bourgs castraux et organisation de l’habitat », Territoires et spiritualité en Bas-Berry au Moyen Âge, s.l., 2000, p. 9-30 (surtout p. 13) et E. de Beaufort, « Recherches archéologiques dans les environs de Saint-Benoît-du-Sault : Brosse », Mém. de la Soc. des antiq. de l’Ouest, t. 26, 1860, p. 117-330.

15 Aucune étude d’ensemble sur le site castral hormis des travaux en cours de Y. Labrousse.

16 Bilan de la documentation et des connaissances sur le site dans C. Remy, P. Conte, « Le castrum de Gimel », dans Morphologies et mutations du castrum : l’exemple du Limousin, Xe-XIVe siècle (Chr. Remy dir.), Projet collectif de recherche, année 2005, Limoges, avril 2006, p. 26-46.

17 J. Boin, « Rochechouart : la mise en place d’un espace urbain médiéval », dans M. Cassan, J.-L. Lemaitre (éd.), Espaces et pouvoirs urbains dans le Massif central et l’Aquitaine du Moyen Âge à nos jours, Ussel, 1994, p. 77-90, fait le point sur le site.

18 B. Barrière, C. Remy, Ségur-le-Château, collection « Patrimoine limousin », Limoges, 2002 ; C. Remy, « Le castrum et le bourg de Ségur », Congrès archéologique de France. La Corrèze (2005), Paris, à paraître.

19 Cl. Andrault-Schmitt, B. Barrière et alii, Tulle, collection « Patrimoine limousin », Limoges, 1997.

20 Cf. les hypothèses exposées par J.-F. Boyer, « Reliquaires et orfèvrerie à Saint-Martial », dans C. Andrault-Schmitt (éd.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle Poitiers, 2006, p. 47-48. Le castellum et le pagus de Turenne sont mentionnés dans une donation du vicomte Archambaud de Comborn, en décembre 992, Cartulaire Uzerche, no 40.

21 J. F. Boyer, « Reliquaires et orfèvrerie… », p. 57 ; M. Aubrun, L’ancien diocèse de Limoges…, 1981, p. 157.

22 Sur Turenne, on se reportera à C. Remy et G. Séraphin, « Le castrum vicomtal de Turenne », Congrès archéologique de France. La Corrèze (2005), Paris, à paraître.

23 Des recherches menées depuis 2004 par le Bureau Hadès permettent aujourd’hui de mieux cerner l’organisation du château, qui n’a pas su drainer d’habitat subordonné, malgré la fondation d’un monastère à peu de distances (Le Moustier-Ventadour).

24 D. Delhoume, « Les vicomtes de Limoges et l’abbaye de Saint-Martial de Limoges : difficultés et enjeux d’un pouvoir urbain (fin IXe -fin XVe siècles) » dans Cl. Andrault-Schmitt (éd.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle, Xe -XIIIe siècles, Limoges, 2006, p. 75-76.

25 Le cas de Bridiers est lui aussi bien particulier : le château ne devient chef-lieu de vicomté qu’au milieu du XIVe siècle, peut-être à l’occasion du déplacement de site ?

26 Voir la contribution de L. Macé dans ce volume.

27 Voir l’état de la question donné dans le volume 1 de l’étude de D. Delhoume, Les vicomtes de Limoges au XIIIe siècle : édition critique de sources diplomatiques et narratives, maîtrise, Université de Limoges, 1998, dactyl.

28 P. Marcilloux, Géographie féodale du Limousin aux XIVe-XVe siècles. « Li quatre vescomtat de Lemozi », thèse de l’École nationale des chartes, 1991, dactyl., cartes.

29 Au cœur d’un territoire alors totalement aux mains de l’évêque de Limoges.

30 Voir D. Delhoume, « Les vicomtes de Limoges… », p. 73-74.

31 Voir ci-dessus.

32 Pour ces quelques jalons concernant les administrations vicomtales, nous avons choisi de ne pas multiplier les références, toutes extraites des cartulaires déjà cités. Pour ce qui concerne Turenne, on consultera T. Pataki, « Les institutions seigneuriales de la vicomté de Turenne jusqu’en 1350 », Bull. de la Soc. des études du Lot, t. CVIII, 1987, 2e partie, p. 130-131 ; pour Limoges, cf. D. Delhoume, Les vicomtes de Limoges… ; pour Rochechouart et Ventadour, études en cours (Chr. Remy).

33 M. Bompaire, Fr. Dumas, Numismatique médiévale, Turnhout (L’atelier du médiéviste 7), 2000, p. 105 ; J. Tixier, « La datation des deniers féodaux anonymes de Limoges (Xe-XIIIe s.) », Travaux d’archéologie limousine, t. 17, 1997, p. 71-77.

34 Sur ces questions, voir les excellentes mises au point de J. Tixier, « La datation du monnayage de la vicomté de Turenne », Travaux d’archéologie limousine, t. 19, 1999, p. 59-66.

35 M. Bompaire, « Monnaies et politiques monétaires en France (XIIe-XVe s.) », Moneda y monedas en la Europa Medieval (Siglos XII-XV), XXVIe semana de Estudios Medievales, Estella-Lizerra (1999), Pampelune, 2000, p. 97.

36 Titre qu’ils « réveillent » malgré l’érection en marquisat de leur seigneurie éponyme, en 1614.

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