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Vicomtes et vicomtés

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Hélène Débax

Vicomtes de Gimois ou de Terride : une difficile polarisation

Mireille Mousnier

Texte intégral

1Si certains pays ont vu les vicomtés fleurir sur un terreau fertile, la Gascogne toulousaine brille par sa quasi absence : une seule vicomté faiblement documentée. Il n’y a d’ailleurs pas de chartrier propre et les fragments qui nous sont parvenus posent souvent plus de questions qu’ils n’en résolvent. Ce n’est pas non plus une vicomté flamboyante et célèbre, comme celles des Lautrec ou de Béarn. Mais, justement, ne fallait-il pas saisir l’occasion pour focaliser l’attention sur une seule et la soumettre au balayage de nos questionnements ? À commencer par son identification ? Les historiens, depuis l’Histoire Générale de Languedoc, ont parlé – mais était-ce indifféremment – de vicomté de Gimois ou de vicomté de Terride. Je souhaitais reprendre le dossier.

  • 1 Charles Higounet, Le comté de Comminges de ses origines à son annexion à la Couronne, Toulouse, Pa (...)

2Nous sommes à l’ouest de la Garonne, dans une zone qui recouvre l’équivalent d’un département français entre Gers, Haute-Garonne et Tarn-et-Garonne. Au nord-ouest, la vicomté de Lomagne, au sud-ouest la vicomté de Fézensaguet sont toutes deux attestées de manière ancienne. Au sud, une zone frontière est en train de se construire grâce aux entreprises des comtes de Comminges1. La région elle-même est très peu connue pour les temps anciens des Xe et XIe siècles car le manque de sources est patent. Elle apparaît avec une bien plus grande clarté à partir du XIIe siècle grâce à des implantations monastiques mieux documentées. Les fonds les plus intéressants, et tout est très relatif étant donné la maigreur de la moisson, sont ceux de l’abbaye cistercienne de Grandselve pour le XIIe siècle, le cartulaire laïc de la Saume de l’Isle pour les XIIe et XIIIe siècles, les archives privées de la maison de Lévis-Mirepoix pour les XIIIe et XIVe siècles, et les copies de l’Histoire Générale de Languedoc, seule source pour les périodes les plus reculées (voir annexe 1 : sources et abréviations).

UNE ÉMERGENCE MARGINALE

3L’établissement de la chronologie des termes de vicomte et vicomté ne manque pas d’être intéressant.

Vicecomes

  • 2 HGL t. IV, col 587 et pour le texte HGL t. V, col 363.
  • 3 HGL t. V, col 700, HGL t. VII, cité p. 122.

4Deux textes ont le XIe siècle comme cadre. Vers 1015, Forton-Guillaume, vicecomes, donne à l’abbaye bénédictine de Mas-Grenier l’alleu de Nonas. L’Histoire Générale de Languedoc (HGL) l’appelle vicomte de Gimoes, mais pas le texte qui ne fait pas de référence géographique2. Ce texte est indiqué comme provenant des archives de Mas-Grenier ; or les archives en ont presque totalement disparu. Puis vers 1089, Arnaud Gausbert fils d’Arnaud Gausbert, est également qualifié de vicomte de Gemoes par l’Histoire Générale de Languedoc, ce que le document ne dit pas3. Pour le XIe siècle, nous avons donc une mention de vicomte, mais pas de vicomté. Il existe sans doute une famille à caractère vicomtal, sans géographique précise. Ce n’est pas une chronologie haute par rapport à l’Auvergne, au Bas-Quercy, à l’Albigeois, mais la mention de vicomte n’est pas non plus tardive.

  • 4 Moissac, G 697.
  • 5 HGL t. V, col. 1025.
  • 6 Saume f° 1417 v° et 1425 v°. Discussion dans l’annexe 2. Deux textes différents reprennent le term (...)
  • 7 9994 f° 180.
  • 8 Gimont p. 240 : donation pour la grange de Terride.
  • 9 11008 f° 120.
  • 10 11008 f° 231.
  • 11 Doat 91 f° 12 : lors d’une donation à Belleperche.
  • 12 11008 f° 215 v° : Bernard d’Astaffort fait une donation à Grandselve : peut-on parler alors d’honne (...)

5Les choses se clarifient au début du XIIe siècle (voir annexe 2). En 1122, Gautier était vicomte de Terride, et Arnaud Odon vicomte de Lomagne lors de la fondation du prieuré de Saint-Sardos, près de Verdun-sur-Garonne4. Le même personnage est à nouveau cité en 1138, lorsque Alphonse de Toulouse renonce à la dépouille des évêques de Toulouse : parmi une liste des comtes témoins de l’acte est cité Gautier, vicecomitis de Terride5. Vers 1148, Gautier, vicomte, marie sa fille Escaronne à Jourdain de l’Isle6. En 1155 Gautier de Terride, vicomte, est témoin d’un acte7 ; enfin Gautier, vicomte de Terride, a doté l’abbaye de Grandselve de terres8. Les six occurrences pour ce personnage montrent que nous avons toujours affaire à un vicomte, et non à une vicomté, et que l’appellation géographique est tantôt attachée au nomen, tantôt au titre vicomtal, de manière non déterminée. La même indécision persiste avec le vicomte suivant. En 1161, Armand de Verdun, vicomte, est témoin d’un acte9. En 1163, il est dit Armand, vicomte de Terride, et ses fils sont Bernard d’Astaffort, Arnaud de Montaigut et Guillaume de Verdun10. L’on voit que la référence géographique hésite entre Verdun et Terride. Dans la branche collatérale, en 1166, Arnaud Gausbert est dit fils du vicomte de Terride11 : il s’agit d’un fils cadet du Gautier étudié précédemment, et qui ne porte pas, lui, le titre vicomtal, réservé à son frère Armand. La fonction vicomtale semble encore évoquée dans un texte de 1187 avec une donation dans la costa vicomtale, d’une partie d’un bien12.

  • 13 AN 436 AP 219 : péage co-détenu entre les seigneurs et 7 personnes sont citées, toutes vicomtes de (...)
  • 14 J.F. Bladé, Coutumes municipales du département du Gers, Paris, 1864, p. 180.
  • 15 F. Galabert, Comment finit la première maison de Terride. Vicomtes de Gimoes, Auch, 1904, p. 7 : v (...)

6Le titre de vicomte n’est plus porté dans cette famille durant toute la fin du XIIe siècle et tout le XIIIe, alors même que la généalogie est mieux établie. La dénomination est-elle tellement connue que l’on en fait l’économie dans les énoncés ? C’est peu probable. Gautier et Armand sont-ils particulièrement sensibles à l’honneur qui y est attaché, à l’affirmation d’un pouvoir, durant les années 1120-1160 ? Les enjeux sont-ils si médiocres ensuite que les titulaires préfèrent une autre dénomination, plus territoriale et moins en relation avec leur dignité ? L’appellation est-elle tombée en désuétude ? Il semblerait bien, mais elle n’a pas pour autant définitivement disparu. Il faut attendre, et dans un tout autre contexte, 1321 pour retrouver un privilège exemptant les habitants de Verdun de payer péage pour raison des vicomtes de Gimois13 ; 1327 quand Odon de Terride, vicomte, est cité comme témoin de l’octroi de la charte de Solomiac14 ; et 1380 quand Raymond Jourdain est dit à la fois vicomte de Gimois et seigneur de Terride15.

Vicecomitatus

  • 16 HGL t. III, p. 713.
  • 17 Saume f° 1417 v° : quicquid sit in vicecomitatu Tarrite.
  • 18 Saume f° 1417 : le dominus de Terrida veut faire la guerre extra terminos vicecomitatus de Gemoes  (...)
  • 19 Saume f° 1441 v° et sq : les milites de Gemoes isti vicecomitatis ; in vicecomitatu de Gemoes.

7L’HGL persiste encore dans ses identifications. Dans plusieurs listes des vicomtés, celle de Gimoes ou Terride est citée dès 1138 ou 1165 : là encore, ce sont des vicomtes qui sont seuls évoqués16. La première mention se situe vers 1148, au mariage de Bernard Jourdain de l’Isle et d’Escarrone : les biens donnés sont dans la vicomté de Terride17. La fin du XIIe siècle offre enfin un florilège de mentions textuelles. En 1191, le seigneur de Terride envisage la guerre hors des limites de la vicomté de Gimois ; mais un peu plus loin dans le texte, ce même seigneur est dit seigneur de la vicomté de Terride18. Une notion importante apparaît : celle de la délimitation de la vicomté, grâce à des terminos. Vers la fin du siècle, la vicomté de Gimois a même ses chevaliers et Bernard d’Astaffort y a terre et honneur19.

8En 1195, la situation se complique : Arnaud de Montaigut vend à son cousin Jourdain de l’Isle toutes les terres eues par succession de son père

  • 20 Saume f° 1430, 1431, 1447 : seule la version du f° 1447 mentionne vicecomitatus de Gimoesio et plu (...)
  • 21 Saume f° 1280 : plusieurs milites de Gimoes reconnaissent tenir ce castrum de Jourdain III pro dom (...)
  • 22 Saume f° 1462 v° : in omni vicecomitatu de Gemoes.
  • 23 AN 436 AP 219.
  • 24 Saume f° 1264 : vicecomitatum de Gimoesio videlicet partem nostram. Cette lettre est reprise très (...)

9Armand de Verdun : une charte note la moitié de la vicomté de Gimoes, une autre « sa terre et son honneur et dans la terre de Gimois et de Garniès20 ». À la fin du XIIe siècle, ceux qui tiennent de Jourdain III le castrum de Caubiac, reconnaissent le faire en raison de la seigneurie de Thil et de la vicomté de Gimoès21. Donc, la référence antérieure contenait sans doute implicitement la vicomté : la « terre » de Gimoes semble être un équivalent de vicomté. Vers 1200 on localise encore des droits dans la vicomté de Gimoes22. Celle-ci est bien attestée à la fin du XIIe siècle. Mais elle ne l’est plus du tout durant presque tout le XIIIe siècle. Dans un autre contexte à nouveau, en 1296, Odon de Terride concède aux habitants de Beaumont le droit de passer par toute la vicomté de Gimois sans leude23. Et enfin en 1304, les habitants nobles et non-nobles de Maubec prêtent hommage à Bernard Jourdain de l’Isle à qui son père, Jourdain, venait de donner la vicomté de Gimois24.

Un bilan en demi-teinte

10On ne peut que souligner la faiblesse du stock documentaire explicite : 13 textes mentionnant le vicomte (dont 6 pour un même personnage Gautier) et 11 la vicomté.

11Le titre de vicomte, sans localisation géographique avant 1122, ne présente pas ensuite de stabilité :

  • cognomen : de Terride et en apposition, vicomte ;
  • titulature : vicomte de Terride ;
  • mais aussi, X de Verdun, vicomte.

12Le titre disparaît quasiment au milieu du XIIe siècle. La vicomté, elle, d’abord de Terride, devient de Gimois. Encore est-ce surtout dans un court créneau chronologique à la fin du XIIe siècle. La réapparition à la fin du XIIIe siècle est certainement à mettre en rapport avec la présence capétienne et la hiérarchisation des titres. Les deux appellations sont nettement dissociées. Une seule mention de la vicomté de Terride, mais elle se trouve dans un texte où la même vicomté est appelée de Gimois également. On peut donc dire que le vicomte est de Terride et la vicomté de Gimois.

  • 25 HGL t. V, col 591.
  • 26 Moissac, G. 698.

13Par ailleurs, le port du titre n’est pas du tout systématique : bien des personnages de la généalogie ne le portent pas. La question de l’hérédité du titre reste difficile à poser. Vers 1071, Raymond Arnaud et son fils Arnaud, font une donation à Mas-Grenier, sans que le titre de vicomte de leur probable aïeul Forton-Guillaume ne soit mentionné25. En 1101, Arnaud Gausbert et son fils Arnaud Gausbert font une donation à Moissac, sans plus de précision26. Gautier de Terride, à partir des années 1120 est toujours dit vicomte, mais Armand son fils, ne l’est pas systématiquement, en tout cas pas avant la mort de son père, vers 1158. Les frères cadets ne portent jamais le titre. L’alternance des Bernard d’Astaffort et Odon de Terride tout au long du XIIIe siècle ne fait jamais référence au titre vicomtal dans la branche principale.

  • 27 HGL t. V, col 591 : Guillaume Arnaud, prince de Savès, est témoin. L’HGL pense, sans fondement, qu (...)
  • 28 Saume, 1416 v°.
  • 29 Saisimentum, p. 106.

14Par contre d’autres dénominations sont employées, quoique exceptionnellement. En 1089 Arnaud est appelé princeps castri Verdunensis. Le titre de princeps est également employé, à la même période pour un personnage du Savès27. Peut-on y voir la recherche de nouveaux cadres conceptuels de référence en une période, la fin du XIe siècle, qui a vu tant de bouleversements ? À l’inverse, celui de dominus, terme banal par excellence depuis le XIIe siècle, est employé en 1191 : le dominus du castrum de Drudas reconnaît le tenir du dominus de Tarrida. Mais la précision importante apparaît dans le courant du texte : Bernard d’Astaffort est alors dominus vicecomitatus de Tarrida28. Au XIIIe siècle, Bernard d’Astaffort est seulement dit miles29 et plus souvent dominus. Peut-on rechercher les rapports entre Terride et Gimois, les deux appellations étant utilisées pour la même vicomté ?

ANALYSE SPATIALE ET ENCADREMENT TERRITORIAL

La référence géographique

Gimois

  • 30 Moissac, G. 571 (3).
  • 31 HGL t. XII, p. 200.

15Cette unité territoriale est centrée sur la Gimone, affluent de la rive droite de la Garonne. La référence la plus ancienne date de 936 à 987 : une donation à Moissac cite l’alleu de Gemones et la terre de Garnes à Pleus30. Gimois et Garniès sont voisins (voir annexe 3). Le Gimois/Gimoes serait une partie de l’ancien pagus tolosanus démembré. Elle comportait à la fin du Xe siècle un archidiaconé de Gimonensis, qui allait de Verdun à Saramon31. Ce ressort est évoqué comme un « pays » par l’ajout du suffixe – ense. Nous sommes dans les marges occidentales du Toulousain, du Languedoc même, zone limitrophe entre les trois cités antiques et évêchés de Toulouse, Auch et Lectoure, marche occidentale qui comprend le Garniès au Nord, le Gimoès au centre, et le Savès au Sud, périphérie lointaine en cette fin du Xe siècle. Le Fézensaguet était lui, en Gascogne (carte).

  • 32 Saume f° 1441 v° ; texte publié par Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 275-277.
  • 33 Saume f° 1268 et sq : vente en 1259 du quart de Saint-Jean de Gimois, dans l’archiprêtré de Garniè (...)
  • 34 Saume f° 189.
  • 35 HGL t. VIII, col. 1408.

16Le nom de Gimoès est une référence continue durant plusieurs siècles. Après 1195 sans doute, les milites de Gemoes demandent à Jourdain de l’Isle de prendre en charge la vicomté, pro amore terre de Gemoes32. In Gemoes localise dans de nombreuses chartes une zone entre la Gimone et la Garonne. Au XIIIe siècle, nous retrouvons un archiprêtré de Gimois situé de même33 : l’archiprêtré a succédé, peu ou prou, à l’archidiaconé, et l’on retrouve encore le titre d’archidiacre de Gimoès en 127534. Gimoes est également utilisé comme toponyme : Saint-Jean de Gimoes, Sérignac de Gimoesio35 et nous sommes bien là dans le cadre géographique de la donation à Moissac du Xe siècle !

17La référence au Gimois est liée à un ancien terminium (-ensis) du pagus tolosanus, ou petit pagus lui-même, mais qui a conservé une très forte identité géographique et territoriale au cours des siècles. C’est un cadre géographique de référence bien identifié et utilisé. Avait-il un centre géographique ?

  • 36 Mireille Mousnier, L’abbaye cistercienne de Grandselve et sa place dans l’économie et la société m (...)
  • 37 Gimont, p. 230.
  • 38 Gimont, p. 239.
  • 39 Jean-Bernard Marquette, Les Albret (fin XIe-1240-1360), Bazas, 1975-1979.

18Terride serait-il le site éponyme ? L’origine onomastique plaide pour une création assez récente, en tout cas romane : Tarrida est la forme linguistique longtemps employée, et le dictionnaire de F. Mistral propose pour ce terme des sens évocateurs, pour mon propos, d’une forte tension sociale : crier à gorge déployée, quereller, terrifier. Pour la localisation, il faut renoncer au tardif château de Terride situé près de Labourgade (en Tarn-et-Garonne). Où se trouve donc le site de Terride au XIIe siècle ? Une grange de l’abbaye de Grandselve s’appelle Terride36 : elle est connue et délimitée en 1158, car sa présence est source de conflits avec l’abbaye de Gimont37. Un moulin de Terride sur la Gimone appartenait également à Grandselve, et lorsque le conflit rebondit entre les deux abbayes à la fin du XIIe siècle, Grandselve affirme que la terre lui avait été donnée par Gautier, vicomte de Terride38. Nous sommes entre Mauvezin et Cologne, dans le Gers, mais il n’y a pas de château encore attesté alors que l’appellatif de Tarrida est connu depuis 1122 pour un vicomte. La comparaison peut sans doute être faite avec la maison d’Albret, dont la seigneurie fut très importante et solide très longtemps sans assise castrale39. Tout change au XIIIe siècle.

  • 40 AN 436 AP 219.
  • 41 Benoît Cursente, Les castelnaux de la Gascogne, Bordeaux, 1980 et de nombreuses autres publication (...)
  • 42 Voir la contribution d’Henri Dolset dans ce même volume.

19Bertrand Jourdain, dans un partage entre frères en 1234, obtient des castra dont celui de Terride40. Cela signifie non seulement un château, mais une agglomération fortifiée subordonnée, cas fréquent en Gascogne. Est-ce pour autant un castelnau, château ancien revivifié par une opération de peuplement41 ? C’est très probable. Ce castrum mériterait à lui tout seul une étude. La seigneurie, l’appellation vicomtale et exceptionnellement la vicomté elle-même, a pris le nom d’un gros château, comme en Catalogne42.

  • 43 Jean-Michel Lassure G. Villeval, « Le site médiéval du Serrot à Sainte-Anne (Gers) aux origines de (...)
  • 44 M. François (dir.), C. Edmond-Perrin, J. Font-Réaulx, Pouillés des provinces d’Auch, de Narbonne e (...)

20Le site géographique a été identifié par l’abbé Gilbert Loubès, au lieu-dit Le Serrot, dans la commune de Sainte-Anne (Gers). Il ne reste aucun vestige apparent sur ce magnifique éperon qui domine la vallée du Sarrampion. La prospection récente de Jean-Michel Lassure a conforté l’existence d’un site archéologique, avec la présence de tessons de poterie, de tuiles et de mobilier domestique43. Si village il y eut, il avait sans doute disparu au plus tard au XIVe siècle car alors, il ne comporte ni chapelle ni église paroissiale44.

  • 45 Galabert, Comment finit la maison…, p. 3.
  • 46 Idem, p. 8, citant le fonds de Gensac aux Arch. départ. Tarn-et-Garonne.

21Au XIVe siècle, un déplacement de pôle géographique très important est achevé. En 1367 est cité le château de Pénenville ou Terride45, ce qui correspond au château proche de Labourgade ; et en 1389, Bertrand vicomte de Terride liste ses biens parmi lesquels se trouvent le territoire de Vieille-Terride (le site de Saint-Anne ?) ainsi que Pénenville-Terride (Labourgade)46. Le toponyme a suivi spatialement l’anthroponyme !

22Le site de Terride au XIIe siècle, le plus méridional, était-il le seul centre castral d’un vaste patrimoine seigneurial réparti entre Garonne et Gimone ? Rien n’est en fait assuré étant donné le recours fréquent à Verdun.

  • 47 Doat 153 f ° 7. Texte publié dans Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 246-7.
  • 48 On cite le « castel de Verdun » dans les coutumes de Montauban, en 1195, Devals aîné, Histoire de (...)
  • 49 Odon de Saint-Blanquat, « Recherches sur le port de Verdun-sur-Garonne », BSATG, 1972, p. 63-73.
  • 50 R. Limouzin-Lamothe, La commune de Toulouse et les sources de son histoire (1120-1249), Toulouse, (...)
  • 51 Laurent Macé, Les comtes de Toulouse et leur entourage. XIIe-XIIIe siècles, Toulouse, 2000, p. 46, (...)
  • 52 HGL t. VI, p. 143.

23Verdun est le siège d’une seigneurie des vicomtes. Mais quels sont les rapports entre ce castrum et la vicomté ? Est-ce le centre ou l’un des centres de la vicomté ? C’est assurément une place forte importante, peut-être d’origine carolingienne, vraisemblablement de rang comtal. En 1158, les frères Armand de Verdun et Arnaud se partagent l’honneur de Verdun l’un conservant la forteresse. Serait-ce à la mort de leur père, le vicomte Gautier de Terride ? Le fils aîné du vicomte porte le nom de la forteresse. Il y a là des castlans et des milites47, et la fonction militaire est primordiale pour ce site établi sur le rebord d’une falaise dominant la rive gauche de la Garonne48. Le site est d’autant plus exceptionnel qu’il y a également un port actif, le premier depuis Toulouse en descendant la Garonne vers Bordeaux49. Verdun eut vraisemblablement un marché très tôt. La présence du comte de Toulouse est perceptible : en 1164, il exempte les toulousains de toutes les taxes que levaient à Verdun ou à son marché les chevaliers, le châtelain et ses sergents50. Forteresse comtale, séjour encore du comte au XIIIe siècle51, c’est là qu’il convoque le comte de Comminges et Jourdain de l’Isle en 1191 pour arbitrer leur conflit52. Les fonctions politiques, économiques et militaires y sont donc associées.

  • 53 HGL t. V, col. 50.
  • 54 HGL t. VI, p. 632-637, voir particulièrement p. 636.

24Verdun est une forteresse manifestement convoitée. Pendant l’expédition d’Henri II Plantagenêt contre le comte de Toulouse, le premier prend Verdun en 115953. Puis, durant toute la croisade contre les Albigeois, elle est prise et reprise par les belligérants, et sa place dans le traité de Meaux-Paris est notable : c’est l’une des 5 forteresses, parmi toutes celles visées, remise au roi et celui-ci pourra en détruire les murailles54. La ville était promise à un bel avenir institutionnel avec la création capétienne de la Jugerie de Verdun qui montre bien la persistance de ce cumul de fonctions en un lieu de pouvoir.

L’emprise géographique de la vicomté

25Il n’y a pas de délimitation connue de la vicomté et j’en suis donc réduite à suivre les traces du patrimoine familial. On peut déduire de l’ensemble des textes que la vicomté de Gimois est entre Lomagne, Garniès et Savès. De manière très approximative, on peut estimer que la vicomté s’inscrit dans un cercle qui aurait une trentaine de km de diamètre, mais pas de pôle géographique central.

26En fait, il faut raisonner avec l’unité de compte dont nous disposons, à l’échelle territoriale pertinente : ce n’est pas la vicomté, mais le castrum. Nous pouvons établir des listes à des moments donnés, non exhaustives puisque qu’elles ne font pas l’inventaire d’une situation mais sont souvent le résultat de la résolution d’un conflit : tableau discontinu et rempli de zones d’ombres (voir annexe 3).

  • 55 Saint-Sernin, no°106, p. 78-81.
  • 56 11008 f° 183 v° : le texte est publié par Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 173.

27Les plus anciens castra connus, dès le XIIe siècle, sont ceux de Verdun, Thil, Bretx, et Terride peut-être. Ceux de Montaigut et d’Astaffort sont vraisemblables en raison de leur présence anthroponymique. Certains sont fondés durant cette période : Grisolles, sur la rive droite de la Garonne, en 1155, en paréage avec l’abbaye de Saint-Sernin, ses vassaux Armand de Verdun et Arnaud, et le comte de Toulouse55. Encore en 1155, la fondation d’un castellum à Boiville (rive gauche) est prévue entre Armand de Verdun et Pierre de Bessens, sans que ce projet ait semblé aboutir56.

28Certains castra sont identifiés comme détenus par des feudataires. S’agit-il de fiefs de reprise, d’origine extérieure, ou de châteaux faisant partie du patrimoine seigneurial des vicomtes et concédés en fief comme Drudas, Caubiac et ceux des 13 milites de Gimois ?

29L’étude des successions, partages et recompositions me permet d’aligner des listes de châteaux, villages et bastides (voir annexe 4) où je note : Launac, Pelleport, Le Grès, Maubec, Saint-Jean de Gimois, Lagraulet, Gariès, Sérignac, le Causé, Faudoas, Lévignac, Brivecastel, Escazeaux, Pénenville, Vigueron, Menville, Saint-Salvy, Fajolles, Coutures, Saubolène, Comberouger, Rojols et autres lieux non identifiés.

  • 57 Voir la charte de coutumes de Mauvezin et de la vicomté, Charles Baradat de Lacaze, La vicomté de (...)

30Ces énumérations successives donnent une forte impression de nébuleuse et non de bloc territorial. Les territoires des castra ne sont pas jointifs. Mais s’agit-il d’une discontinuité patrimoniale ou territoriale ? Les seigneuries des abbayes mitent l’ensemble, et les appétits des cousins mettent l’unité à mal ! La vicomté voisine de Fézensaguet n’offre d’ailleurs pas une vision plus homogène57.

Une structure d’encadrement ?

  • 58 Saint-Sernin no°106, p. 79.
  • 59 108 H 56 f° 248 : Athon renonce à ses prétentions sur Grandselve devant le bayle de Verdun.
  • 60 Pere Benito i Monclús, « Agent du pouvoir ou entrepreneur ruraux ? Les intermédiaires de la seigne (...)

31Je n’ai que de très faibles indices de l’encadrement territorial. Une familia et un vicarius sont envisagés pour le castrum de Grisolles en 115558 ; un bayle à à Verdun à la fin du XIIe siècle59. Il s’agit d’une administration pour gérer un seul castrum. Cet encadrement très classique, seigneurial et patrimonial, est largement répandu. Mais la dimension vicomtale est absente60.

  • 61 Saume f° 1441 v° et sq. L’expression est de Pierre Bonnassie.
  • 62 Jean-Philippe Baulon, « Le Béarn vers 1100 à travers ses fors : la paix du vicomte et ses limites  (...)
  • 63 Saume f° 1416 v° : laudamento et judicio sue curie.
  • 64 Edmond Cabié, « Deux chartes féodales du XIIe siècle, concernant le Gimois », Revue de Gascogne, t (...)
  • 65 Saume f° 1388 et sq et le même texte f° 1429 : estarent cognitioni judicio et districtui curie gem (...)

32Dans les années 1190, la vicomté de Gimois a connu une période de guerra et rapina lors d’une vacance du pouvoir car Vital Fabre, fils de Bernard d’Astaffort est dit puer. Quatre milites ont été choisi parmi 13 autres de Gimois pour gouverner la vicomté sous la custodia de Jourdain de l’Isle : république militaire61 ? en auto-organisation ? Cela signifie que les structures d’encadrement vicomtales sont très fragiles, en tout cas insuffisantes pour faire face à une crise de succession, à une exception près car il y a là une curia. Où est-t-elle localisée ? Peut-être à Terride qui a une position centrale par rapport aux personnages cités. Sa compétence est judiciaire manifestement et l’on perçoit mieux une prérogative comtale, confiée à un vicomte (d’origine carolingienne ?) ; ou bien il faut alors envisager une usurpation privée62. La forte présence du terminium de Gimois semble plaider pour la première hypothèse. On retrouve cette cour en 1191 : à propos de Drudas, si le vicomte de Terride rencontre des difficultés avec celui qui tient le castrum, il accepte le jugement de sa cour63. Ou encore, vers la même date, Jourdain III promet de s’en remettre « au jugement des autres chevaliers du Gimoes64 ». Cette cour est encore évoquée en 1250, lors de la transaction entre les cousins de cette vaste famille (Jourdain IV, Isarn Jourdain et Bernard d’Astaffort), car leurs différends passeront devant le juge et la cour de Gimois65. Le ressort est alors clairement précisé avec le terme de districtus.

33Sommes-nous dans le contexte d’une reprise en main comtale comme cela a été observé pour le Bas-Quercy ? Il ne semble pas car la présence comtale, à part dans la zone de Verdun, ne paraît pas assurée. Mais la vacance est nette et profite politiquement essentiellement à la famille de l’Isle-Jourdain. L’existence et l’activité de cette cour dans le ressort vicomtal, au sens juridique du terme, confortent l’idée d’une prérogative vicomtale, même si le titre de vicomte n’est plus alors porté.

  • 66 Saume f° 1465 v° et sq.

34Et puis, après l’annexion du comté de Toulouse à la Couronne en 1271, tout bascule. Bertrand de l’Isle, évêque de Toulouse arrente un certain nombre des revenus en produits de la terre : ils se trouvent désormais dans la baylie de Gimois66 : l’administration capétienne est en train de se mettre en place.

L’IMPOSSIBLE UNITÉ

Lignages et cousinages

35La reconstitution généalogique ici proposée n’est pas exhaustive. Il s’agissait plutôt de pouvoir situer les uns par rapport aux autres les personnages cités dans cette contribution. Les dates fournissent quelques repères chronologiques (voir annexe 2).

  • 67 Ces informations m’ont été fournies par Didier Panfili que je remercie.

36Une approche du patrimoine anthroponymique peut s’esquisser. Durant les premières générations des XIe et XIIe siècles, Gauzbert est un nomen relativement porté. Il est présent dans les cartulaires de Moissac et Saint-Théodard alors qu’il est à peu près absent des cartulaires de Lézat, Lagrasse, Vabres. Il y a même un Gausbert abbé de Moissac vers 955-98567. Ce nomen est donc peu fréquent sur cette frange méridionale proche de Verdun, mais présent trois fois en quatre générations dans la famille de Terride. Du côté de la famille de l’Isle-Jourdain, les Jourdain sont légion, associés aussi à Bernard, Raymond, Bertrand, Isarn : nombreux au point d’apparaître dans la famille de Terride après le mariage d’Alpays avec Bernard d’Astaffort. Ces deux nomina sont donc des marqueurs identitaires dans ces deux familles.

  • 68 Galabert, Comment finit la première maison… p. 3 écrit sans fondement que les seigneurs de l’Isle (...)
  • 69 Saume f° 21 v°, Odon ayant reçu le quart de la terre de Gimois par le testament de son père.
  • 70 Saume f° 202.

37Dans la famille de Terride, on voit apparaître à la fin du XIIe siècle un cognomen, d’Astaffort qui vient se situer en alternance avec de Terride à chaque génération. Le maintien de Terride paraît lié à un véritable programme anthroponymique, celui de la maison vicomtale ; mais Astaffort signale un ancrage agenais non élucidé. Un cousin vient troubler cette belle ordonnance. Odon, fils de Jourdain III, est plusieurs fois appelé Odon de Terride (ou Odon Bernard). Les deux cousins au 4e degré portent en même temps mêmes nomen et cognomen68 : de Terride est certainement devenu emblématique des prétentions en Gimois de la famille de l’Isle-Jourdain69. Le cousinage provient de l’alliance matrimoniale des deux familles par le mariage d’Escaronne et de Bernard Jourdain vers 1148. L’alliance est renouvelée par le mariage d’Alpays fille d’Odon de Terride avec Bernard d’Astaffort, fils d’autre Odon de Terride, vers 124070.

Le démembrement de la seconde moitié du XIIe siècle

  • 71 Saume f° 1425 v°. Vers 1148.

38Escaronne, fille du vicomte Gautier de Terride, reçoit de son père lors de son mariage le castrum de Thil et la villa de Bretx et des droits d’acapte sur plusieurs seigneurs (domini de la région d’Ausempuy et Sirac à La Voulte et Lévignac)71. Il semble qu’elle ait apporté à son mari Bernard Jourdain toute une série de biens dans l’aire vicomtale. Qu’est devenu l’héritage de Gautier de Terride ? Fut-il partagé entre les trois enfants ? Cela est fort possible car le cognomen se retrouve dans une branche collatérale et les biens transférés proviennent toujours de la zone du Gimois.

  • 72 Doat 153 f° 7.
  • 73 11008 f° 130 v°.
  • 74 HGL t. VI, p. 143.

39À la même génération, ses deux frères Armand de Verdun et Arnaud Gausbert se partagent en 1158 l’honneur du château de Verdun : salam, turrem pour Armand, ortum, naves, homines par moitié pour chacun des deux, puis l’espace géographique alentour est séparé et attribué72. L’épisode se place sans doute au décès de leur père Gautier de Terride. Les compétences militaires sont dévolues à l’un et les biens sont partagés entre les deux. Ce qui est valable à Verdun le fut-il pour le reste des biens ? Très vraisemblablement. Armand, devenu vicomte de Terride, est fort malade en 116373. L’HGL affirme qu’il partage ses biens entre ses trois fils : Bernard d’Astaffort et Arnaud de Montaigut auraient chacun la moitié de la vicomté de Terride et Guillaume de Verdun la seigneurie de la ville74. Retenons de la charte que ces frères donnent leur accord à la donation que leur père fait à Grandselve sur son lit de mort. Le patrimoine a vraisemblablement été partagé entre les deux premiers frères, et éventuellement avec le troisième.

  • 75 Saume f° 1431 offre le texte le plus complet.

40En 1195, Arnaud de Montaigut vend sa part (soit la moitié de la vicomté ou terre de Gimoes) à Jourdain III de l’Isle75. La vicomté est déjà partagée en deux, au moins, et une moitié est passée d’un frère à un cousin. Il y a désormais deux fractions, celle de la famille de Terride (Astaffort) et celle de la famille de l’Isle-Jourdain et il faudrait suivre les affaires de chacune, fort complexes au demeurant ! En 50 ans, la vicomté a été démembrée en ce qui concerne le patrimoine : dot, héritages et vente ont concouru à émietter l’unité première qui ne sera jamais reconstituée.

  • 76 Moissac, G 692 : cité en 1155.

41Pour autant, l’Église n’a pas profité de cette situation qui est restée étroitement confinée dans le giron familial. Les abbayes proches ne croulent pas sous les bienfaits : Mas-Grenier connaît des difficultés, tout comme Moissac, au XIe siècle et il s’agit de faire pardonner des violences et méfaits par quelques donations. Puis Gautier vicomte est présent en 1122 à la fondation du prieuré de Saint-Sardos, mais pas donateur. Grandselve est un peu favorisée (Armand choisit d’y mourir en 1163). Enfin Guillaume de Verdun serait devenu templier, sans doute en apportant une dotation76. On ne peut parler que d’un faible ancrage dans la vie de l’Église.

Décomposition et recomposition

  • 77 Synthèse très rapide dans Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 394-395.

42Au XIIIe siècle, les partages successoraux entre enfants et les décès sans héritier direct accroissent les décompositions et recompositions de parts. Les différents membres de la famille de l’Isle-Jourdain mieux connue grâce à la Saume de l’Isle que celle de Verdun/Terride, passent le temps à se passer, repasser, vendre, léguer et contester telle ou telle part de château (voir annexe 4)77.

  • 78 Saume f° 21 v° : medietate totius conquestae Gimoes.
  • 79 AN 436 AP 219.
  • 80 HGL t. VIII col 1404-5.
  • 81 Saume f° 1268 et sq.

43Le testament de Jourdain III en 1200 partage les castra cis-Garonne et outre-Garonne entre ses trois fils (les filles sont exclues) : le dernier Odon a le quart de la vicomté, l’autre quart étant indivis entre ses deux frères aînés78. Il est appelé Odon de Terride par la suite. Mais les deux derniers frères se repartagent tous les biens qu’ils avaient et Odon récupère Thil et Bretx79. Son fils Raymond Jourdain donne en 1256 à Odon de Terride son propre neveu, fils de Bernard d’Astaffort et de sa sœur Alpays, le castrum de Thil et la villa de Bretx80 ; or Bernard d’Astaffort était l’héritier de l’autre moitié de la vicomté par sa lignée paternelle. Éclata un conflit important en 1259 entre Isarn Jourdain et Bernard, contre Jourdain IV leur cousin sur cette succession. Jourdain IV obtint finalement la portion de la vicomté. Les acquisitions viennent accroître la confusion : la même année 1259 Jourdain IV cède à Bernard d’Astaffort II et Odon de Terride son fils le quart du castrum de Saint-Jean de Gimoensis81. Et Odon de Terride II vend en 1281 à Jourdain IV sa part du castrum de Sérignac, etc.

  • 82 Des actes très nombreux se trouvent dans la Saume entre les f ° 12 et 323, 445 à 465, 1245 à 1268, (...)
  • 83 Laurent Blanès, Jourdain IV, seigneur de l’Isle. Une politique familiale d’expansion territoriale (...)
  • 84 Voir Mousnier, La Gascogne toulousaine…, la carte p. 397.

44Il y aurait une invraisemblable liste des cessions et transferts à faire entre les deux familles82. Mais en fait il s’agit de parts de co-seigneuries sur lesquelles viennent se superposer des liens de vassalité (voir annexe 5). Jourdain IV mène alors une très active politique de rassemblement (héritages, acquisitions, arbitrages)83 : il reprend tous les éléments de la moitié de la vicomté, qu’il lègue à son fils Jourdain V. La longue liste d’hommages à la prise de possession de Jourdain V en 1289 mêle inextricablement les héritages de l’Isle-Jourdain et ceux de Gimois84.

De la vicomté aux comtés

  • 85 Galabert, Comment finit la maison…, p. 3-12.
  • 86 Prosper Du Faur, « Bertrand de Terride », BSATG, t. XV, 1887, p. 42-54.
  • 87 HGL t. VII, p 121.
  • 88 J.M. Garric, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Belleperche en Lomagne (Tarn-et-Garonne. Son hist (...)
  • 89 HGL t. XII, p. 302.

45La postérité masculine d’Odon de Terride85 se termine au XVe siècle avec Marie, fille de Bertrand86 : femme de Jean-Roger de Comminges, mère de Marthe, héritière de la vicomté de Terride qui épousa en 1427 Odon de Lomagne, dont les descendants se sont qualifiés de vicomtes de Terride. Cette branche de la famille de Lomagne s’est fondue dans celle des Lévis à la suite d’un mariage au XVIe de l’héritière avec Jean de Lévis, seigneur de Mirepoix qui transmit la qualité de vicomte de Terride à ses descendants87. Le comté de Terride fut constitué après 1330 au moyen de revendications, d’achats, de dons royaux et d’opportunités diverses88. Au XVIIIe siècle il ne comportait que cinq localités (Brivecastel, Comberouger, Coutures, Labourgade et Vigueron), presque les mêmes que la liste de 1330 (Escazeaux, Saint-Jean de Gimois, Vigueron, Sérignac et Pénenville)89.

  • 90 Ibid.
  • 91 HGL t. VII, p. 119-120.

46Les seigneurs de l’Isle-Jourdain obtinrent de Philippe de Valois le titre de comte en 134190 couronnant une longue politique de fidélité à la monarchie et d’extension territoriale depuis Jourdain IV. Jean Jourdain II, comte de l’Isle-Jourdain, porte aussi le titre de vicomte de Gimois (en 1392 lors d’un hommage au comte d’Armagnac). Il vendit la vicomté en 1405 avec le comté de l’Isle-Jourdain à Jean de Bourdon, comte de Clermont, qui revend au comte d’Armagnac en 142191.

***

47L’absence de sources propres des vicomtes me rend tributaire d’autres fonds d’archives, ecclésiastiques ou provenant de la famille de l’Isle-Jourdain ce qui rend l’approche difficile. Si les vicomtes sont attestés dès le début du XIe siècle, ce n’est ni habituel ni complet : seul le milieu du XIIe siècle utilise la dénomination avec constance ; et pour la vicomté, la seconde moitié du XIIe siècle seulement. La mainmise capétienne voit reprendre à nouveau ces dénominations.

48Si la « terre » est de Gimois, la vicomté l’est aussi finalement, après un court essai de Terride, mais le vicomte est toujours de Terride. Le Gimois s’affirme une circonscription fortement ancrée comme référence territoriale, soutenue par des obligations militaires, une cour de justice et une délimitation. L’unité de compte reste le castrum et chacun peut aligner ses pions dans un puzzle mouvant.

49La famille oscille d’abord entre Terride, château occidental et Verdun, vieille forteresse orientale. La reprise comtale de Verdun a sans doute plus ancré les enjeux vers Terride et la Gascogne. Une difficile polarisation ne s’est pas achevée, le centre du pouvoir migrant vers le Nord à la fin du XIIIe siècle.

50Les rapports avec le comte de Toulouse restent la grande inconnue. Les vicomtes ne fréquentent pas l’entourage comtal. La relative faiblesse du pouvoir comtal dans cette région n’a profité ni aux vicomtes, ni aux évêques, mais plutôt à la famille de l’Isle-Jourdain, étroitement liée au comte. Mariages et transactions unissent les deux familles locales, avec leurs lots d’héritages, querelles et partages. Celle de l’Isle-Jourdain n’aurait-elle pas eu, par la puissance, la véritable envergure vicomtale, elle qui n’a jamais porté le titre ?

51Retenons l’hypothèse de l’explosion du titre vicomtal entre tous les prétendants à la fin du XIIe siècle. La vicomté, au contraire, garde une unité de référence, sinon une réalité institutionnelle. Le cadre territorial a pris son autonomie par rapport aux hommes. Terride et Gimois seront pour les siècles suivants des réalités emblématiques plus que des pouvoirs pérennes.

Notes

1 Charles Higounet, Le comté de Comminges de ses origines à son annexion à la Couronne, Toulouse, Paris, 1949. Réed, Saint-Gaudens, L’Adret, 1984.

2 HGL t. IV, col 587 et pour le texte HGL t. V, col 363.

3 HGL t. V, col 700, HGL t. VII, cité p. 122.

4 Moissac, G 697.

5 HGL t. V, col. 1025.

6 Saume f° 1417 v° et 1425 v°. Discussion dans l’annexe 2. Deux textes différents reprennent le terme de vicomte.

7 9994 f° 180.

8 Gimont p. 240 : donation pour la grange de Terride.

9 11008 f° 120.

10 11008 f° 231.

11 Doat 91 f° 12 : lors d’une donation à Belleperche.

12 11008 f° 215 v° : Bernard d’Astaffort fait une donation à Grandselve : peut-on parler alors d’honneur fiscal ?

13 AN 436 AP 219 : péage co-détenu entre les seigneurs et 7 personnes sont citées, toutes vicomtes de Gimois.

14 J.F. Bladé, Coutumes municipales du département du Gers, Paris, 1864, p. 180.

15 F. Galabert, Comment finit la première maison de Terride. Vicomtes de Gimoes, Auch, 1904, p. 7 : vicecomitis Gimoesii et domini de Tarrita. Il cite les minutes d’un notaire.

16 HGL t. III, p. 713.

17 Saume f° 1417 v° : quicquid sit in vicecomitatu Tarrite.

18 Saume f° 1417 : le dominus de Terrida veut faire la guerre extra terminos vicecomitatus de Gemoes ; plus loin Bernard d’Astaffort est dit dominus vicecomitatus de Tarrida. Texte dans Mireille Mousnier, La Gascogne toulousaine aux XIIe et XIIIe siècles. Une dynamique sociale et spatiale, Toulouse, 1997, p. 246-247.

19 Saume f° 1441 v° et sq : les milites de Gemoes isti vicecomitatis ; in vicecomitatu de Gemoes.

20 Saume f° 1430, 1431, 1447 : seule la version du f° 1447 mentionne vicecomitatus de Gimoesio et plus loin vicecomitatus gimonensis.

21 Saume f° 1280 : plusieurs milites de Gimoes reconnaissent tenir ce castrum de Jourdain III pro dominatione de Thil et pro vicecomitatu de Gimoes.

22 Saume f° 1462 v° : in omni vicecomitatu de Gemoes.

23 AN 436 AP 219.

24 Saume f° 1264 : vicecomitatum de Gimoesio videlicet partem nostram. Cette lettre est reprise très résumée au f° 1451 v°, et le vicecomitatus est toujours présent. Une expression différente encore au f° 1449 qui énumère les biens, avec ratione vicecomitatus.

25 HGL t. V, col 591.

26 Moissac, G. 698.

27 HGL t. V, col 591 : Guillaume Arnaud, prince de Savès, est témoin. L’HGL pense, sans fondement, qu’il devint vicomte de Savès (HGL t. III, p. 375).

28 Saume, 1416 v°.

29 Saisimentum, p. 106.

30 Moissac, G. 571 (3).

31 HGL t. XII, p. 200.

32 Saume f° 1441 v° ; texte publié par Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 275-277.

33 Saume f° 1268 et sq : vente en 1259 du quart de Saint-Jean de Gimois, dans l’archiprêtré de Garniès ou de Gimois (lieu à la limite des deux, ce qui est possible, ou revenus assignés répartis entre les deux archiprêtrés ?).

34 Saume f° 189.

35 HGL t. VIII, col. 1408.

36 Mireille Mousnier, L’abbaye cistercienne de Grandselve et sa place dans l’économie et la société méridionales (XIIe-XIVe siècles), Toulouse, 2006, p. 214-217.

37 Gimont, p. 230.

38 Gimont, p. 239.

39 Jean-Bernard Marquette, Les Albret (fin XIe-1240-1360), Bazas, 1975-1979.

40 AN 436 AP 219.

41 Benoît Cursente, Les castelnaux de la Gascogne, Bordeaux, 1980 et de nombreuses autres publications.

42 Voir la contribution d’Henri Dolset dans ce même volume.

43 Jean-Michel Lassure G. Villeval, « Le site médiéval du Serrot à Sainte-Anne (Gers) aux origines de la famille de Tarride », Actes de la 18e journée des archéologues gersois, Auch 1997, p. 86-94.

44 M. François (dir.), C. Edmond-Perrin, J. Font-Réaulx, Pouillés des provinces d’Auch, de Narbonne et de Toulouse, Paris, 1977, t. 1, p. 779.

45 Galabert, Comment finit la maison…, p. 3.

46 Idem, p. 8, citant le fonds de Gensac aux Arch. départ. Tarn-et-Garonne.

47 Doat 153 f ° 7. Texte publié dans Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 246-7.

48 On cite le « castel de Verdun » dans les coutumes de Montauban, en 1195, Devals aîné, Histoire de Montauban, Montauban, 1855, p. 426.

49 Odon de Saint-Blanquat, « Recherches sur le port de Verdun-sur-Garonne », BSATG, 1972, p. 63-73.

50 R. Limouzin-Lamothe, La commune de Toulouse et les sources de son histoire (1120-1249), Toulouse, Paris, 1932, p. 264-265.

51 Laurent Macé, Les comtes de Toulouse et leur entourage. XIIe-XIIIe siècles, Toulouse, 2000, p. 46, 173.

52 HGL t. VI, p. 143.

53 HGL t. V, col. 50.

54 HGL t. VI, p. 632-637, voir particulièrement p. 636.

55 Saint-Sernin, no°106, p. 78-81.

56 11008 f° 183 v° : le texte est publié par Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 173.

57 Voir la charte de coutumes de Mauvezin et de la vicomté, Charles Baradat de Lacaze, La vicomté de Fezensaguet, capitale Mauvezin, ses vicomtes, sa composition, ses coutumes, Paris, Auch, 1893, p. 65-66.

58 Saint-Sernin no°106, p. 79.

59 108 H 56 f° 248 : Athon renonce à ses prétentions sur Grandselve devant le bayle de Verdun.

60 Pere Benito i Monclús, « Agent du pouvoir ou entrepreneur ruraux ? Les intermédiaires de la seigneurie en Catalogne médiévale, essor et déclin », dans F. Menant, J.P. Jessenne, Les Élites rurales en Europe médiévale et moderne, Flaran XXVII, Toulouse, 2007, p. 111-127.

61 Saume f° 1441 v° et sq. L’expression est de Pierre Bonnassie.

62 Jean-Philippe Baulon, « Le Béarn vers 1100 à travers ses fors : la paix du vicomte et ses limites », Revue de Pau et de Béarn, no°23, 1996, p. 11-37.

63 Saume f° 1416 v° : laudamento et judicio sue curie.

64 Edmond Cabié, « Deux chartes féodales du XIIe siècle, concernant le Gimois », Revue de Gascogne, t. 22, 1881, p. 426 note 3 : l’auteur souligne la rareté de telles mentions de cour dans le Toulousain, au XIIe siècle et pense que les stipulations prévues par la charte sont à peu près uniques. Voir Hélène Couderc, Le mode de résolution des conflits en Gascogne du milieu du XIe au début du XIIIe siècle, thèse, Toulouse-le Mirail, 2005.

65 Saume f° 1388 et sq et le même texte f° 1429 : estarent cognitioni judicio et districtui curie gemonensis statute ; ils s’engageaient à ce que tous leurs conflits aillent devant la cour de Gimois et nulle part ailleurs.

66 Saume f° 1465 v° et sq.

67 Ces informations m’ont été fournies par Didier Panfili que je remercie.

68 Galabert, Comment finit la première maison… p. 3 écrit sans fondement que les seigneurs de l’Isle et les Terride s’adjugèrent également le titre de vicomtes de Gimoès.

69 Saume f° 21 v°, Odon ayant reçu le quart de la terre de Gimois par le testament de son père.

70 Saume f° 202.

71 Saume f° 1425 v°. Vers 1148.

72 Doat 153 f° 7.

73 11008 f° 130 v°.

74 HGL t. VI, p. 143.

75 Saume f° 1431 offre le texte le plus complet.

76 Moissac, G 692 : cité en 1155.

77 Synthèse très rapide dans Mousnier, La Gascogne toulousaine…, p. 394-395.

78 Saume f° 21 v° : medietate totius conquestae Gimoes.

79 AN 436 AP 219.

80 HGL t. VIII col 1404-5.

81 Saume f° 1268 et sq.

82 Des actes très nombreux se trouvent dans la Saume entre les f ° 12 et 323, 445 à 465, 1245 à 1268, 1409 à 1427.

83 Laurent Blanès, Jourdain IV, seigneur de l’Isle. Une politique familiale d’expansion territoriale en Gascogne toulousaine au XIIIe siècle, maîtrise, Toulouse-le Mirail, 1994, dactyl.

84 Voir Mousnier, La Gascogne toulousaine…, la carte p. 397.

85 Galabert, Comment finit la maison…, p. 3-12.

86 Prosper Du Faur, « Bertrand de Terride », BSATG, t. XV, 1887, p. 42-54.

87 HGL t. VII, p 121.

88 J.M. Garric, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Belleperche en Lomagne (Tarn-et-Garonne. Son histoire, Albias, 1997 p. 185, note 21.

89 HGL t. XII, p. 302.

90 Ibid.

91 HGL t. VII, p. 119-120.

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