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Vicomtes et vicomtés

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Hélène Débax

Bas-Quercy et Haut-Toulousain, un kaléidoscope à vicomtes - ixe-xiie Siècles

Didier Panfili

Texte intégral

  • 1 Les productions se répartissent de façon très inégale. Annexe 2.
  • 2 Dom C. Devic, Dom J. Vaissete, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, Privat, réédition, 1872-18 (...)

1Bas-Quercy et Haut-Toulousain forment un espace de moins de 4000 km1. Et pourtant, sur ce confetti, l’historiographie traditionnelle fait cohabiter une multitude de vicomtes, véritable jeu des sept familles : vicomtes de Toulousain, de Quercy, de Caussade, de Bruniquel auxquels enfin on peut ajouter ceux de Saint-Antonin et de Lautrec et il ne sera pas question ici de ceux de Saint-Cirq, davantage tournés vers le Haut-Quercy, ni de ceux de Monclar dont l’existence n’est attestée qu’après 1200. En regardant par la lorgnette de cet espace entre Cahors et Toulouse, les mille facettes vicomtales de ce kaléidoscope ne peuvent que donner le tournis. Au premier coup d’œil, la situation est embrouillée à souhait et elle le fut davantage encore par les auteurs de l’Histoire générale de Languedoc2 ce qui, cumulé à la toute relative pauvreté des sources, a sans doute découragé les historiens locaux. Très rares sont ceux à s’être penchés sur les vicomtes antérieurs au XIIIe siècle2.

  • 3 Pour la bibliographie des contextes, voir annexe 2.

2Ce premier constat appelle tout d’abord la nécessaire clarification de ce foisonnement vicomtal. Il a fallu reprendre les dossiers pour dresser, en dégageant des jalons chronologiques précis, un tableau de ces familles dont les femmes sont quasi absentes et surtout de ces titres vicomtaux aux destinés différentes, parfois très éphémères, mais toujours étroitement liées à des contextes plus larges, qu’il s’agisse de la « Guerre de succession d’Auvergne » ou de la Grande Guerre méridionale3. C’est sur cette base plus assurée que seront ensuite analysés les éléments de la territorialisation, toujours en lien avec cette idée de foisonnement vicomtal. Enfin, l’étude des relations que les vicomtes ont entretenu avec les pouvoirs comtaux et épiscopaux achèvera ce tour d’horizon, presque en guise de conclusion tant les sources sont peu prolixes sur ce point.

BENOÎT, ADÉMAR, GUILHELMA ET LES AUTRES

Crises et châtiments : les turpitudes des titres vicomtaux.

Avant 1075, un vicomte par pagus.

  • 4 Vita sancti Geraldi Auriliacensis comitis, AASS, Oct., VI, p. 300-332 ; miracle no 78, 894-909.
  • 5 F. Aubel, « Les comtes de Quercy (fin VIIIe-début Xe siècle) », Annales du Midi, 1997, p. 325. G. P (...)
  • 6 HGL, IV, 126-127.
  • 7 HGL, V, 599-600 ; Cluny, 3454. Voir « généalogie » en annexe 3.
  • 8 CL, 303 (948).
  • 9 CL, 813 (919).
  • 10 CL, 136 (932).

3L’histoire des vicomtes toulousains débute plutôt mal : à l’extrême fin du IXe siècle, un certain Benoît, vicomte, neveu de Géraud d’Aurillac, est otage du comte Raimond. On sait d’autre part qu’il précéda son oncle dans la tombe puisque Géraud ne le cite pas dans son testament rédigé en 9094. Ce premier lien de parenté rattache le vicomte à la famille comtale de Quercy dont le titre vient d’être confisqué par le comte de Toulouse à une date se situant entre 867 et 8705. Le vicomte que l’historiographie traditionnelle met ensuite en exergue est un Aton-Benoît, fils probable du vicomte Benoît, et neveu du comte de Carcassonne6. Avec son épouse Amélie, il restaure l’abbaye de Lézat7 et fonde celle de Mas-Grenier, à mi-chemin entre Moissac et Toulouse. Il décède avant 9488. Il faut sans doute ajouter à la liste ce vicomte Benoît qui doit également être un fils, peut-être l’aîné, du premier vicomte connu et qui opère également dans cet espace en 9199. On le retrouve en 932 aux côté de son épouse Aznaria lors de la donation d’une terre qui a pour confront celle d’un Escafred dont la présence renvoie de nouveau à la famille comtale de Carcassonne10. Ces trois hommes, probablement d’une même famille, se succèdent sur deux générations puis le titre vicomtal passe en d’autres mains et il faut chercher ailleurs que dans la simple absence de postérité une explication à leur éviction.

4Les soubresauts politiques qui marquent les années encadrant le deuxième tiers du Xe siècle trouvent leur expression à toutes les échelles du territoire. Il y a bel et bien une révolution de palais de grande envergure qui doit être replacée dans le contexte de la « Guerre de Succession d’Auvergne » avec, à la clé, la détention du titre ducal d’Aquitaine.

  • 11 Biblithèque Municipale de Cahors, Fonds Greil, ms 110, chronique de l’abbé Foulhiac, f° 22.
  • 12 Ibid.
  • 13 CB, 48 (932).

5S’opposent ici Guilelmides et Toulousains-Rouerguats, que j’appellerai Raimondins, le Quercy constituant une sorte de zone tampon entre les deux prétendants et devient par là même un terrain d’observation privilégié. Évêques et abbés font les frais de cette politique. C’est aussi la valse des vicomtes, non pas partout mais bien dans cette zone de Quercy/Toulousain occidental. C’est aussi l’époque – l’année 930 – où est mentionné Frotard, le premier vicomte de Quercy11 que les sources ne nous permettent pas de suivre au-delà de 94512 ; mais il apparaît comme un fidèle du Raimondin13.

  • 14 HGL, V, 111 (961). Voir annexe 4 pour les filiations.
  • 15 CL, 1681 [fin Xe siècle).
  • 16 CL, 1266, [961-997].
  • 17 HGL, V, 344 (vers 1002).

6En 961 au plus tard, la charge vicomtale associée au Toulousain échoit donc à une nouvelle famille. Dans son codicille, le comte Raimond lègue une série de biens à Adémar, vicomte de Toulousain, qui est déjà marié mais qui n’a visiblement pas encore d’enfants14. On rencontre ensuite un Adémar, sa femme Arsinde et leur fils Raimond donnant des biens situés au sud de Muret où le vicomte Aton possédait déjà des biens15. À Lézat, Ermendructe abandonne à l’abbaye divers biens pour son âme mais aussi, notamment, celle de ses deux maris défunts, Fredolon et Adémar : parmi les souscripteurs, un vicomte Raimond16 qui pourrait bien être le fils d’Adémar et Arsinde. Ermendructe serait une seconde épouse du vicomte Adémar. Enfin, dans son testament rédigé vers 1002, le comte de Carcassonne Roger Ier le Vieux évoque les fiefs du Toulousain que tient de lui le vicomte Raimond17.

Après 1075, un foisonnement sous contrôle

  • 18 CSS, 133 (1076-1077).
  • 19 CT 42 [1129-1150]. CT 43 [1129-1150]. CT 476 (1156). GC, tome 1, Instrumenta, p. 46 (1163). Je reme (...)
  • 20 CSS, 291 (1098). CM, 100 [vers 1098].

7À partir de 961 au plus tard, la charge vicomtale est donc entre les mains des Adémar qui la conservent durant plus de deux siècles. S’ouvre ainsi une période d’apparente stabilité que viennent brouiller trois perturbations. Première perturbation : un titre vicomtal associé au castrum de Bruniquel apparaît ponctuellement dans les actes en 1076/107718 et ne reparaît que dans le second tiers du XIIe siècle19 alors qu’entre temps, des membres de la même lignée sont qualifiés de vicomtes de Toulousain à plusieurs reprises20.

  • 21 CM, 164 (1101).
  • 22 HGL, V, col. 845 (1114).
  • 23 CG, f° 175 v° (1180). CG, f° 176 r° (1188).

8Seconde perturbation : un titre vicomtal lié au castrum de Caussade est créé dans un contexte troublé et son existence est très éphémère. Le titre apparaît lors de l’occupation du comté de Toulouse par le duc d’Aquitaine Guillaume et son épouse Philippa, soit après 1098. Il s’agit sans doute de récompenser une fidélité rapidement déclarée par Raimond pour qui on crée une charge ou un titre. À noter que ce Raimond est très vraisemblablement un cadet des Adémar ; la charge n’échoit pas à un inconnu. Il est même probable que la captation du titre se soit effectuée grâce à cette parenté. Et comme pour se prémunir d’une quelconque contestation, une charte de Moissac de 1101 présente Raimundus vicecomes […] et filii mei Pontius et Petrus vicecomites21. Raimond assure ainsi la relève et la continuité. Et l’on retrouve Pons, qualifié en 1114 de vicomte de Caussade, parmi les témoins d’un serment prêté à Philippa22. Le titre disparaît définitivement avec le retour sur la scène politique locale du comte Alphonse Jourdain. Cependant, le cartulaire de Grandselve a conservé deux actes de 1180 et 1188 dans lesquels les acteurs principaux se réfèrent à Pierre, vicomte de Caussade : sa petite fille, la domina Miracla, et son arrière-petit-fils Pierre doivent restituer après une procédure de huit ans des biens que l’aïeul a possédés dans l’honor de la grange de Bagnols23. La charge vicomtale n’est plus qu’un souvenir, voire un fantasme.

  • 24 Voir annexe 5.
  • 25 AD82, H1 (1171).
  • 26 CSS, 689 (1173).
  • 27 CV, 12 (1174).
  • 28 CV, appendice no 1 (1175-1176).
  • 29 A.N., J 314.8 (1176-1177).
  • 30 CV, 40 (1179-1180) ; 42 (1180).
  • 31 CV, 99 (1186).

9Troisième perturbation dans cette apparente stabilité, la fin tumultueuse de la charge vicomtale avec tentative d’OPA de la part d’une autre branche cadette des Adémar. Se met en place une guerre des noms24 qui traduit bien cette volonté de s’emparer du titre au moment de la mise à mort par le comte de Toulouse de la charge vicomtale, véritable tragédie en plusieurs actes. Dans l’Acte I de notre affaire, on voit Pons de Toulouse opérer un revirement anthroponymique qui traduit nettement ses prétentions à récupérer l’héritage. En 1171, Pons de Toulouse vicomte, est témoin d’un engagement des dîmes de Livron, faite par le prieur de Caussade au monastère de Beaulieu25. En 1173, il s’intitule Pons de Toulouse, vicomte, fils de Guilhem de Toulouse de Monclar, opérant ainsi une remontée spectaculaire vers Bruniquel : Montclar se situant à 15 km de Bruniquel26. En 1174, il appose son seing au bas d’une donation par Audiguier de Penne où il est simplement qualifié Pons, vicomte27 mais le donateur est le beau-père d’Arnaud-Bernard de Mondenard, fils de la vicomtesse Peironelle et donc neveu des derniers vicomtes Adémar et Armand. En 1176, à l’occasion d’un échange de dîmes et de droits d’usages, il prend ici la dénomination de Pons de Bruniquel28. On voit bien que ses zones d’intervention privilégiées se situent dans les espaces contrôlés jadis par les Adémar. Acte II : La réplique comtale intervient l’année suivante, le 1er avril 1177. Raimond V conclut un accord avec Armand de Montpezat – beau-frère de Pons de Toulouse – et B. son frère, B. de Villemur leur beau frère qui reçoivent du comte contre serment et hommage lige les castra de Montpezat, Caylus et Monclar et s’engagent à ne contracter aucun pacte avec celui que la charte appelle simplement Pons de Toulouse29. Où les arguments de l’alliance féodale sont supérieurs à ceux de l’alliance matrimoniale ! Quoiqu’il en soit, l’affaire est entendue pour Pons. Acte III : à partir de 1180, on trouve à Bruniquel des bailes ou viguiers du comte de Toulouse30. Mais le véritable épilogue de la tragédie intervient en 1186 : dans une charte de Vaour, Raimond V est qualifié de comte de Bruniquel31 ! La guerre des noms s’achève par une indéniable victoire du raimondin.

  • 32 Voir annexe 7.
  • 33 On connaît la force des lieux ! Saint-Antonin fut un atelier monétaire à l’époque mérovingienne et (...)
  • 34 Voir annexe 6 et 7. GC, I, Instrumenta, p. 46 (1134).
  • 35 H. Debax, La féodalité…, p. 75 et suiv. montre ces stratégies diplomatiques et la kyrielle de pacte (...)
  • 36 HGL, V, 548-II (1141).
  • 37 CT 507 (1142) : Sicardus, vicecomes de Lautrico. Quant à Isarn, il n’a jamais porté le titre de vic (...)
  • 38 Un acte de 1155 l’énonce sans aucune ambiguïté cette consanguinité [M. Eclache et alii, Références (...)
  • 39 Il ne s’agit là que d’une hypothèse fondé sur le contexte et non sur les spécificités de cette char (...)

10Reste le dossier lui aussi embrouillé des Saint-Antonin/Lautrec qui ne constituent en réalité qu’un seul et même lignage dès le Xe siècle32. De même, tous les auteurs partent du principe que le lignage initial est celui des Lautrec et que les Saint-Antonin seraient issus des précédents. Enfin, personne n’a cherché à montrer le moment et les circonstances de la scission en deux lignées. Les actes témoignent d’un véritable co-gouvernement d’un espace qui s’étend sur les franges orientales du Rouergue et de l’Albigeois et formant un croissant qui irait de Saint-Antonin à Lautrec et si je débute par la cité rouergate, c’est bien parce qu’à mon sens, le cœur de leur pouvoir est là et non à Lautrec33. Accouchement douloureux que celui qui donna naissance à la « vicomté » de Lautrec ! 1141-1142 : un conflit ouvert entre Roger Ier Trencavel et Alphonse Jourdain éclate et les tensions au sein de l’aristocratie se font jour. Ce conflit traverse la famille vicomtale qui se divise en deux camps mais aussi, et c’est la nouveauté, en deux branches. Si en 1134, on voit encore les deux frères Isarn et Sicard agir conjointement lors de la fondation de l’abbaye de Septfonds en Bas-Quercy34, c’est bien la dernière fois qu’on les trouve associés dans un contexte serein ! En 1141, lors des intenses manœuvres diplomatiques qui précèdent de peu le conflit35, un pacte est scellé entre Roger Ier et le vicomte Sicard qui vient de choisir son camps36. La guerre tourne l’année suivante à l’avantage du Trencavel : en juillet 1142, les deux frères paraissent aux deux extrémités de l’acte de paix. D’un côté, le vicomte Isarn dans le camp des perdants doit, avec le comte Alphonse, restituer des serments ; de l’autre, Sicard, qualifié de vicomte de Lautrec, première mention de cette titulature qui explique sans doute en partie les raisons du choix de Sicard en 114137. Les hostilités reprennent début 1143, suivie d’une autre paix, de nouveau favorable à Trencavel et il est ici fort possible que les coutumes accordées à la ville de Saint-Antonin cette même année 1143 par le double perdant Isarn et ses frères Guilhem Jourdain et Pierre, vicomtes, et Raimond, évêque de Toulouse38 soit une concession de circonstance39 pour éviter que la ville ne se tourne, à l’image de Sicard, vers Roger Ier. La suite est mieux connue : les vicomtes de Saint-Antonin disparaissent en 1251 mais leur sort était réglé dès 1226 ; quant à ceux de Lautrec, leur épopée s’est poursuivie et leur notoriété devint mondiale grâce à un certain Henri Marie, peintre de son état. Et c’est sans doute aussi la particulière longévité de cette famille qui a quelque peu brouillé les pistes des origines.

Vicomtes, vicomtesses et modes de transmission de la charge

  • 40 Arsinde et Ermendructe.
  • 41 CM, 247 (1115-1135).
  • 42 CT, 124 (1156).
  • 43 CM, 297 [vers 1160] ou Brunel, 95.
  • 44 Ibid.
  • 45 J. Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne (1127/29-1196/97), une grande figure féminine du Mi (...)

11Sur les 54 personnages que les sources nous permettent de rattacher de façon certaine à la famille vicomtale des Adémar entre 961 et 1177, 42 sont des hommes parmi lesquels 15 sont qualifiés de vicomtes et 12 sont des femmes dont 2 vicomtesses. Nous ne connaissons l’horizon matrimoniale des vicomtes que dans un seul cas, celui de Guilhelma, une Trencavel. Sur les 12 femmes, 2 sont connues à la fin du Xe siècle40. Mais il faut attendre 150 ans, pour voir reparaître le nom d’une femme. La première à ouvrir le bal est Fine, épouse du vicomte Armand qui cède, en même temps que son neveu le vicomte Aton, une pêcherie sur l’Aveyron à l’abbaye de Moissac41. La suivante, Guilhelma, évoquée plus haut, nous est connue grâce à ses petits-fils Adémar et Armand – les derniers vicomtes – qui vendent en 1156 des biens lui ayant appartenu à Raimond Trencavel et Roger II42. Les trois suivantes sont les sœurs et la nièce d’Adémar et Armand : Guilhelma43 et Peironelle ainsi que Braida44, la fille de cette dernière ; on les croise vers 1160 à l’occasion de donations en faveur du prieuré de Bioule. Actrices principales, les deux sœurs sont les premières à porter le titre vicomtal. Mais elles ne le transmettront pas à leurs enfants. Bas-Quercy et Haut-Toulousain offrent donc des études de cas bien éloignées de ce qui a pu être analysé à Narbonne45.

12Poursuivre le catalogue n’aurait guère d’intérêt. Ce qu’il faut retenir de ces trop rares occurrences est que les femmes peuvent porter le titre vicomtal à condition qu’elles agissent en l’absence de tout autre vicomte de la lignée. D’autre part, elles ne semblent pouvoir transmettre ni le titre ni la charge vicomtale. Peironelle a un fils, Arnaud-Bernard de Mondenard.

13Alors qu’Adémar et Armand ses oncles décèdent sans postérité, Arnaud-Bernard n’est apparemment pas autorisé à porter le titre vicomtal. Ainsi, il semble bien que, pour que la transmission du titre par les femmes soit possible, il faille préalablement une indépendance de fait vis-à-vis du pouvoir comtal, c’est-à-dire une totale patrimonialisation de la charge et de ses revenus.

  • 46 J. Boutière et alii, Biographies des troubadours. Textes provençaux des XIIIe et XIVe siècles, Pari (...)
  • 47 H. Imbert, Notice sur les vicomtes de Thouars, Niort, 1867, p. 49. M. Garaud, Les châtelains du Poi (...)
  • 48 Exceptionnelle mais pas unique : chez les Cardona, famille vicomtale de Catalogne, ce droit de viag (...)
  • 49 HGL, V, 627-II (1160). HGL, V, 627-III (1161).

14Si les femmes occupent une place peu perceptible chez les Saint-Antonin/Lautrec, avec quatre occurrences seulement auxquelles il faut ajouter l’épouse de Raimond Amiel de Penne qui succombe aux charmes du vicomte troubadour Raimond Jourdain46, il est en revanche un point sur lequel il convient de s’attarder : le mode de transmission de la charge vicomtale dans cette famille. Les actes des Xe-XIe siècles permettent tout au plus d’évoquer une transmission par les hommes sans qu’on puisse en dire davantage. Néanmoins, dès la fin du XIe siècle, des frères portent conjointement le titre vicomtal et ceci devient une habitude au sein du lignage. Jusque-là, rien de bien révolutionnaire par rapport aux autres familles vicomtales du sud-ouest. Plus original est sans doute ce que les actes concernant les Saint-Antonin permettent de suivre à partir de 1137 et jusqu’à la disparition du titre en 1251 sur la transmission du titre. Ce dernier ne semble pas pouvoir passer à la génération suivante tant qu’un des frères de la génération précédente est encore en vie, un peu à l’image de ce qui se passe chez les vicomtes de Thouars, sorte de droit de viage47, à cette différence près qu’il s’agit ici plus ou moins d’un co-gouvernement. On aurait affaire à une situation tout à fait exceptionnelle pour le Midi48. C’est sans doute aussi ce qui explique que l’évêque de Toulouse Raimond s’intitule de Lautrec lorsque son frère Sicard, le fondateur de la lignée, meurt en 1159. Le fait que Raimond se dote de ce complément anthroponymique à ce moment-là, et non auparavant, est bien le signe d’un mode de dévolution du titre tout à fait particulier. Cependant, Sicard et Pierre, les fils de Sicard, n’appliqueront pas la « tradition » familiale : ils gèrent leurs affaires dès le décès de leur père49.

QUEL(S) TERRITOIRE(S) POUR LES VICOMTES ?

Des vicomtes sans vicomté

  • 50 CM, 56 (1059).
  • 51 L. Mace, Les comtes…, en particulier p. 23-57 et p. 97-114.
  • 52 Ce qui par ailleurs fut possible pour d’autres « capitales » de comtés, en particulier pour Albi ma (...)
  • 53 Ibid., p. 78.

15Premier constat : le mot vicomté est absent des cartulaires locaux pour désigner des espaces du Toulousain et du Bas-Quercy alors que ces mêmes recueils n’ignorent pas l’expression dans le sens de ressort territorial : un acte de juin 1059 tiré du fonds de Moissac situe une donation in Lomaniæ vicecomitatu50. Le vicomte est vicomte dans tout le comté ; il n’a pas été créé pour lui (ni par lui) de subdivision territoriale. La charge est indéniablement une charge de substitution : le comte de Toulouse est plus qu’à son tour une Arlésienne, toujours ailleurs, au moins jusqu’aux années 1140-115051. On imagine mal d’autre part le comte de Toulouse, compte tenu de sa puissance, acceptant d’être dépossédé du comté éponyme par un vicomte52. Voici sans doute pourquoi point de vicecomitatu en Toulousain et même lorsque Bruniquel devient par volonté comtale « apanage » de Baudouin, le castrum demeure « simple » chef-lieu de seigneurie et jamais Baudouin ne fut autorisé à porter le titre vicomtal53.

  • 54 CL, 813 (919).
  • 55 M. Mousnier, L’abbaye cistercienne de Grandselve et sa place dans l’économie et la société méridion (...)
  • 56 CSS, 265 (vers 1095-1098).
  • 57 CG, f° 175 v° (1180).
  • 58 CG, f° 123 v° (1164).
  • 59 CG, f° 129 v° et suiv. (1168)..
  • 60 CG, f° 129 v° et suiv. (1168)..
  • 61 CG, f° 175 v° (1180) et f° 176 r° (1188).

16On dispose néanmoins de mentions de terres vicomtales qui sont assurément des parts de fisc attribuées par le comte. C’est le cas de ce terminium du vicomte Benoît54 jouxtant une parcelle. C’est aussi et surtout celui d’un terroir « faiseur » de vicomtes ou, tout au moins, où ceux-ci aiment à se retrouver, sorte de pot de miel vicomtal. Du XIe à la fin du XIIe siècle, toutes les branches vicomtales de cet espace s’y pressent… Il s’agit du terroir de Merville à proximité de Bagnols qui devient centre d’une grange de Grandselve. De toutes les granges cisterciennes, parfois remarquablement pourvues en actes comme celle de Lassale55, seules celle de Bagnols voit intervenir autant de vicomtes toulousains ou quercinois. Il s’agirait ici d’un véritable « lieu-icône » pour reprendre une expression de Claudie Amado : vers 1095-1098, le vicomte Adémar perçoit la moitié des revenus de Bagnols possédés par Saint-Sernin (ainsi que ceux de Grisolles)56. Pierre, vicomte de Caussade, y détient des biens dans le premier tiers du XIIe siècle57. Adémar et Armand, les fils d’Aton, donnent en 1164 nostram culturam vice comitale et ses appartenances58. En 1168, dans la gestion d’un conflit opposant Grandselve à Saint-Sernin, on précise les limites du bien contesté en indiquant d’abord la terre de Bruniquel et, plus loin, la couture d’Adémar59. À trois reprises en 1168, le comte Raimond V donne à Guilhem de Toulouse son filleul l’albergue de Merville60. Miracla, la petite-fille de Pierre, vicomte de Caussade, et Pierre, son arrière petit-fils, ont usurpé avant 1180 les biens détenus par le vicomte et les restituent en 118861. La charge vicomtale n’est plus qu’un souvenir qu’on essaie peut-être de réactiver par l’intermédiaire de cette possession de la grange de Bagnols, de ce lieu-icône. En s’emparant du bien peu avant 1180, soit après la suppression du titre vicomtal par Raimond V, il y a donc un vide, Miracla espérait peut-être offrir la possibilité à son fils Pierre de reprendre à son compte ce dont son aïeul avait été dépositaire ?

  • 62 Tulle, 14 (930) La précocité de cette référence toponymique fait une fois encore planer le doute su (...)
  • 63 CSS, 133 (1076-1077)
  • 64 HGL, V, 845 (1114).
  • 65 CT, 507 (1142).
  • 66 AD82, H1 (1174).
  • 67 HGL, V, 111 (961).

17Deuxième constat : jamais les actes ne parlent d’un quelconque vicomte de Toulouse. Localement, on a bien un vicomte de Saint-Cirq62, un vicomte de Bruniquel63, un vicomte de Caussade64, un vicomte de Lautrec65, un vicomte de Saint-Antonin66, mais jamais les actes n’associent le titre de vicomte à Toulouse ; systématiquement, le vicomte est vicecomes Tolosanus67 et non vicecomes de Tolosa ; et ce qui peut ou a pu prêter à confusion ou plutôt favoriser l’amalgame, c’est la dénomination du dernier « titulaire » de la charge, à savoir Pons de Toulouse, vicomte, et non pas Pons, vicomte de Toulouse. La nuance paraît infime ; elle n’en est pas moins essentielle. Ainsi, l’autorité du vicomte s’étend sur un territoire défini – le Toulousain – sans pour autant affirmer son emprise sur la capitale, vraisemblablement chasse gardée du comte. On ne connaît du reste aucune résidence fortifiée (château, tour, porte, etc.) attitrée des vicomtes à Toulouse. De surcroît, le contrôle de l’entité urbaine est l’objet de toutes les convoitises et oppose fortement les chanoines de Saint-Étienne à ceux de Saint-Sernin, la cité contre le bourg. Quoi qu’il en soit, les vicomtes semblent « exclus » de Toulouse comme ils le sont du reste de l’autre cité épiscopale : Cahors. À Cahors, le vicomte du Xe siècle est vicomte de la civitas cadurcorum civitas doit être assimilée au mot pagus.

  • 68 CSS, 133 (1076-1077).

18Troisième constat : la première génération des titulatures vicomtales s’ancre sur des cités épiscopales – Toulouse et Cahors. Le vicomte exerce sa fonction dans tout le pagus. À partir du troisième quart du XIe siècle68, on entre dans une phase de contraction territoriale du titre mais non des prérogatives : toutes les titulatures à venir renvoient à un simple castrum qu’il s’agisse de Bruniquel, Caussade, Lautrec, ou plus tard Monclar. Cette castellisation va se trouver renforcée par les modes de dénomination anthroponymique.

Anthroponymie et castellisation du titre

  • 69 HGL, V, 111 (961). Voir annexe 8.
  • 70 CSS, 133 (1076-1077).

19La territorialisation qui accompagne le titre vicomtal peut s’observer à travers l’analyse de l’anthroponymie dont on peut suivre l’évolution en trois temps. Du début du Xe à la fin du XIe siècle, 12 des 14 actes ne renvoient à aucune référence topographique ; on est juste Benoît vicomte, Adémar vicomte, etc. La charge vicomtale n’est donc pas explicitement territorialisée. Deux exceptions toutefois : dans le codicille de 961, Raimond 1er dote trois vicomtes et juge utile de rappeler les secteurs sur lesquels ils exercent leur charge : Adémar a en charge le Toulousain69. Un siècle plus tard, le règlement d’un conflit opposant Saint-Étienne de Toulouse à Saint-Sernin met en scène Adémar, vicomte de Bruniquel, qui préside le plaid réuni à Toulouse70. Ce mode de désignation est certainement de la part du vicomte une façon d’affirmer son désir d’autonomie.

  • 71 CSS, 291 (1098).
  • 72 HGL, V, 845 (1114).
  • 73 CT, 42 et 43 (1148-1150) et 477 (1156).
  • 74 L. Macé, Les comtes…, p. 41-43.

20Après cette première phase de non territorialisation de la charge, une nette rupture est introduite par un événement politique et cette concomitance n’est pas le fait du hasard : l’occupation du comté de Toulouse par la comtesse Philippa et son époux le duc d’Aquitaine Guillaume introduit des modifications dans les modes de désignations des vicomtes comme si l’arrivée des nouveaux principes nécessitait une certaine remise en ordre : coup sur coup, Adémar, qui avait tenté d’être vicomte de Bruniquel, redevient vicomte de Toulousain71 ; et en Bas-Quercy, à quelques encablures de Bruniquel, Pons est qualifié de vicomte de Caussade72 toujours dans un acte émanant de Guillaume et Philippa. Et on peut se demander si ce nouveau vicomte n’est pas là pour surveiller l’autre, un peu trop prompte à s’émanciper ! Enfin, après 1148, et la date est intéressante parce qu’elle renvoie à la Grande Guerre méridionale, la référence topographique qui était accolée au titre vicomtal devient complément « anthroponymique » : on passe d’Adémar, vicomte de Bruniquel, à Adémar de Bruniquel, vicomte73. C’est également comme si la référence topographique comme complément anthroponymique était suffisante pour exprimer la détention du titre vicomtal. Mais c’est aussi le moment où se perd le titre vicomtal, par volonté du comte Raimond qui revient en force dans cet espace74.

  • 75 Situation similaire en Catalogne avec Cardona.
  • 76 L. d’Alauzier « Le Tulmonenc jusque vers 1350 », Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Ga (...)
  • 77 Si la plupart du temps Saint-Antonin est localisé en Rouergue, il est des cas où sa situation front (...)
  • 78 CV, appendice no 1 (1175-1176).

21Les titres de Toulousain et de Bruniquel ne sont en réalité pas interchangeables et il faut pointer du doigt cette cocasserie : Adémar, vicomte de Bruniquel est aussi vicomte de Toulousain mais le castrum auquel il se réfère se situe en Quercy75, dans un espace peu exploité de la Tulmonenc76, dans les interstices du pouvoir, une zone de mouvance floue, aux limites du Quercy, de l’Albigeois et du Rouergue77. Le choix de la référence toponymique est révélatrice de l’attitude des vicomtes vis-à-vis du pouvoir comtal. Se référer dans la titulature à l’espace toulousain, c’est reconnaître d’une certaine façon la supériorité des Raimondins. Choisir Bruniquel, c’est affirmer une volonté de pouvoir autonome : Pons de Toulouse ne devient-il pas Pons de Bruniquel78 ? Jamais dans les actes où le vicomte s’intitule vicomte de Bruniquel, le comte n’est présent. Et ce n’est pas une simple coïncidence !

LES VICOMTES DANS LES RÉSEAUX DE POUVOIR

Les vicomtes et les Raimondins

  • 79 CB, 48 (932) : donation du vicomte de Quercy Frotard et de son épouse Adalberge réalisée cum consil (...)

22Les relations qu’entretiennent le comte et ses vicomtes ne sont pas toujours ni simples ni pacifiques. Les deux extrémités du dossier révèlent de fortes tensions : vers 898, le vicomte Benoît est otage du comte Raimond et il faut les prières de Géraud d’Aurillac pour que l’affaire se dénoue après moult rebondissements ; près de deux siècles plus tard, en 1175, le vicomte Pons est totalement ostracisé par le jeu subtil des concessions de fiefs par Raimond V, prélude à la suppression du titre vicomtal. Ces liens parfois « délicats » témoignent aussi de l’incapacité dans laquelle les lieutenants du comte se sont trouvés de conquérir leur indépendance. Cependant, les relations furent plus ou moins distendues et certaines phases plus que d’autres propices à un rêve d’émancipation de la tutelle comtale. Mais au final, les vicomtes du Toulousain ou du Bas-Quercy se situent dans la droite ligne des vicomtes du Xe siècle : ce sont des agents subalternes et le comte est leur seigneur79 ; pour preuve, 27 % des actes les mentionnant de la fin du IXe siècle à la fin du XIIe siècle sont passés par le comte ou en sa présence ou en son nom, qu’il s’agisse d’un des Raimondins ou de Philippa et de Guillaume son mari. Néanmoins, une nette évolution se dessine puisque la présence comtale dans les actes dans lesquels interviennent des vicomtes s’observe dans 45 % des actes antérieurs à 1130 et seulement 15 % dans les documents postérieurs. À vrai dire, les chiffres sont trompeurs : le décompte des actes passés après 1130 en présence d’une autorité laïque supérieure – comte de Toulouse, roi d’Aragon ou Trencavel – est en réalité de 39 %, autre élément témoignant de la faible marge de manœuvre des vicomtes toulousains : ils quittent un seigneur, le comte de Toulouse, pour un autre protecteur mais n’ont pas l’envergure de l’indépendance.

23Néanmoins, ces données mises en relation avec les évolutions anthroponymiques traduisent incontestablement chez les vicomtes la volonté de se dégager de l’emprise comtale. Leurs alliances matrimoniales font également partie d’un programme que la rareté des sources nous empêche de suivre. Ainsi, Adémar marie son fils peu après 1070 à une Trencavel, Guilhelma, et se proclame vicomte de Bruniquel en 1077. Il ne s’agit pas ici d’une « déterritorialisation » de la « vicomté » mais plutôt d’une affirmation de l’emprise spatiale du pouvoir d’Adémar qui est dorénavant plus châtelaine que vicomtale. Le fils doit cependant revenir sur les ambitions paternelles vingt ans plus tard lorsque le comté est repris en main par le couple aquitain. Ce revirement montre une fois de plus la faible marge de manœuvre du vicomte. La création quelques années plus tard du titre vicomtal de Caussade par Philippa et Guillaume va dans le même sens.

  • 80 En particulier le castrum de Brusque, la seigneurie des castra de Vieussan et de Roquebrun, et un c (...)
  • 81 CT, 124 (1156). Trencavel débourse 6500 sous de Mauguio pour un serment ; analyse judicieuse de P. (...)
  • 82 CS, 307 (1157) ; acte cité dans P. Fréon, Les vicomtes…, p. 222.

24On peut s’interroger sur l’implication des Trencavel dans la perturbation des réseaux aristocratiques après 1140. On a évoqué le lien entre ces derniers et la création du titre de Lautrec en 1142. Il est également fort probable qu’ils exercèrent un rôle considérable auprès des « Bruniquel » dans leur revirement entamé à cette même période : ni le vicomte Aton, fils d’une Trencavel, ni ses quatre enfants, ne paraissent en présence d’un membre de la famille comtale de Toulouse alors qu’on a conservé un nombre important d’actes les concernant. L’attraction albigeoise se renforce : les revenus de leurs castra orientaux80 sont sans doute plus lucratifs que ceux liés à leur charge vicomtale. En 1157, après avoir chèrement négocié l’année précédente avec les Trencavel leur serment sur les biens de leur grand-mère Guilhelma81, Adémar et Armand tentent d’activer leur titre vicomtal sur ces terres : Adémar est qualifié de vicomte de Brusque82 ! Comme Sicard de Lautrec quinze ans auparavant, les vicomtes de Toulousain/Bruniquel venait de sceller leur sort en renforçant leur lien avec Raymond Trencavel. C’est sans doute là l’une des explications de la volonté du comte Raimond de mettre un terme au titre vicomtal.

  • 83 R. Pauc, « Documents inédits sur la domination aragonaise en Gévaudan et Milhadois », dans Cévennes (...)

25Quant à la branche des Guilhem/Pons, l’acte mettant en scène conjointement le comte et le vicomte Pons est celui par lequel Raimond V cherche à isoler diplomatiquement le vicomte. Il est vrai que l’attitude de ce dernier ne pouvait que provoquer l’ire du princeps toulousain. Des négociations ont très certainement eu lieu au cours de l’hiver 1171-1172 entre le vicomte et le roi d’Aragon Alfons II. Nous n’en connaissons que l’aboutissement par un acte conservé dans les archives de la couronne : Pons de Toulouse et son frère Guilhem reçoivent en cadeaux du roi des maisons jouxtant le palais de Millau83. Quelle que soit la nature du « contrat » – alliance féodale ou matrimoniale – le vicomte constitue dès lors une menace potentielle pour Raymond V. On connaît la suite.

Les vicomtes et les évêques

  • 84 J. Belmon, Les vicomtes de Rouergue-Millau (Xe-XIe siècles), thèse de l’Ecole des Chartes, dactyl., (...)
  • 85 CC, 1 (sd) ; à vrai dire, 1160 environ.
  • 86 CSS, 265 [1095-1098].
  • 87 CG, f° 106 (1161) puis de nombreuses autres références jusqu’en 1171.
  • 88 CM, 275 [1140/1147].
  • 89 Voir note 11.

26Les relations qu’ont pu nouer vicomtes et évêques des cités sur lesquelles s’exerçait leur charge sont encore moins connues, faute de sources, que celles qui les unirent au comte. Néanmoins, à Toulouse comme à Cahors, les vicomtes n’ont pas semble-t-il exercé d’emprise sur les sièges épiscopaux : aucun évêque local ne paraît issu de leurs lignées. Peut-être un archevêque, celui d’Aix84, et tout au plus les sources dévoilent-elles de manière détournée plusieurs chanoines, à Saint-Étienne de Cahors85, à Saint-Sernin de Toulouse86, peut-être un sous prieur à Grandselve87 et un archidiacre à Cahors88 pour les vicomtes de Toulousain. Quant au vicomte de Quercy Frotard, les épaves d’un cartulaire témoignent de liens étroits qui semblent unir vers 930-945 le vicomte de Quercy Frotard avec deux archidiacres de Cahors successifs, Ingelbert et Benjamin89. Mais on ne peut aller au-delà de ce simple constat à la différence des vicomtes archidiacres d’André Constant.

***

27L’apparente multitude de vicomtes aux frontières du Toulousain/Quercy/Rouergue/Albigeois n’est en fait qu’une illusion d’optique, comme celle que renvoie tout kaléidoscope. Dans ce jeu des sept familles vicomtales, on peut mettre à part deux titres très éphémères car de circonstance – Quercy et Caussade. Restent donc cinq titulatures vicomtales : Toulousain, Bruniquel, Saint-Antonin, Lautrec et Saint-Cirq. Cette dernière eut une existence propre mais largement tournée vers le Haut-Quercy. Il faut définitivement considérer que les titres vicomtaux de Toulousain et de Bruniquel constituent un seul et même titre et faire de même pour Saint-Antonin et Lautrec de 972 à 1142. Les moments de crise ont été propices à la création de titres vicomtaux mais toujours avec l’accord d’une autorité supérieure !

28À deux reprises sans doute, les vicomtes de Toulousain ont tenté de s’émanciper : dans le troisième quart du XIe siècle puis après 1130/1150, donc très tardivement. La première tentative fut contrariée par l’occupation du comté par Guillaume et Philippa qui rappelaient ainsi, si besoin était, qu’une autorité supérieure existait toujours dans cet espace quelque peu délaissé par le titulaire parti en Terre Sainte. La seconde tentative a échoué par manque de descendant mâle et l’agitation d’un Pons de Toulouse témoigne bien du fait que la cause est désespérée même s’il peut se prévaloir d’alliés de poids tels le roi d’Aragon. C’est bien aussi parce qu’ils ne disposaient pas d’un pouvoir décisionnel important que le titre ni la charge ne purent être transmis par les femmes alors que bien plus tôt des vicomtesses de Narbonne bien connues à présent dirigeaient d’une main de maître la terre et la charge transmises héréditairement et faisant partie intégrante des patrimoines. Rien de tel pour la famille vicomtale de Toulousain/Bruniquel qui a d’autre part commis l’erreur de tenter de gérer les acquêts de l’aïeule Guilhelma très éloignés du cœur du castrum éponyme. Dans le troisième quart du XIIe siècle, grâce à sa puissance financière et à un réseau qu’il a constitué à son profit, Raimond V est de nouveau bien implanté en Toulousain. Toute la fragilité des vicomtes tient dans ce constat : leur réseau, à commencer par leur réseau castral dans cet espace entre Aveyron et Tarn, est finalement bien trop dérisoire pour leur permettre de poursuivre une politique à la hauteur de leurs ambitions. Pas de contrôle sur les cités épiscopales, pas d’emprise urbaine à un moment où la reprise remplit les coffres, pas de mines, des espaces peu ou encore mal mis en valeur, des voisins particulièrement puissants (Trencavel, comte de Toulouse) sont autant de handicaps qui ont barré la route à une véritable émancipation.

Notes

1 Les productions se répartissent de façon très inégale. Annexe 2.

2 Dom C. Devic, Dom J. Vaissete, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, Privat, réédition, 1872-1875. Désormais abrégé HGL. Voir annexe 1 les références précises de tous les cartulaires et recueils utilisés dans les notes.

3 Pour la bibliographie des contextes, voir annexe 2.

4 Vita sancti Geraldi Auriliacensis comitis, AASS, Oct., VI, p. 300-332 ; miracle no 78, 894-909.

5 F. Aubel, « Les comtes de Quercy (fin VIIIe-début Xe siècle) », Annales du Midi, 1997, p. 325. G. Pradalié, « Les comtes… », p. 9, rappelle que la politique des Raimondins poussa les comtes de Quercy dans les bras des comtes de Poitiers après 867.

6 HGL, IV, 126-127.

7 HGL, V, 599-600 ; Cluny, 3454. Voir « généalogie » en annexe 3.

8 CL, 303 (948).

9 CL, 813 (919).

10 CL, 136 (932).

11 Biblithèque Municipale de Cahors, Fonds Greil, ms 110, chronique de l’abbé Foulhiac, f° 22.

12 Ibid.

13 CB, 48 (932).

14 HGL, V, 111 (961). Voir annexe 4 pour les filiations.

15 CL, 1681 [fin Xe siècle).

16 CL, 1266, [961-997].

17 HGL, V, 344 (vers 1002).

18 CSS, 133 (1076-1077).

19 CT 42 [1129-1150]. CT 43 [1129-1150]. CT 476 (1156). GC, tome 1, Instrumenta, p. 46 (1163). Je remercie H. Débax de m’avoir confié ses transcriptions du cartulaire des Trencavel (à paraître).

20 CSS, 291 (1098). CM, 100 [vers 1098].

21 CM, 164 (1101).

22 HGL, V, col. 845 (1114).

23 CG, f° 175 v° (1180). CG, f° 176 r° (1188).

24 Voir annexe 5.

25 AD82, H1 (1171).

26 CSS, 689 (1173).

27 CV, 12 (1174).

28 CV, appendice no 1 (1175-1176).

29 A.N., J 314.8 (1176-1177).

30 CV, 40 (1179-1180) ; 42 (1180).

31 CV, 99 (1186).

32 Voir annexe 7.

33 On connaît la force des lieux ! Saint-Antonin fut un atelier monétaire à l’époque mérovingienne et fut aussi le centre d’un pagus mineur mentionné dès le IXe siècle, le pagus Condatensis, parfois qualifié de ministerium mais aussi, et l’appellation est révélatrice, de marca. F. de Gournay, Le Rouergue…, p. 41.

34 Voir annexe 6 et 7. GC, I, Instrumenta, p. 46 (1134).

35 H. Debax, La féodalité…, p. 75 et suiv. montre ces stratégies diplomatiques et la kyrielle de pactes et serments qui suivent chacune d’elle.

36 HGL, V, 548-II (1141).

37 CT 507 (1142) : Sicardus, vicecomes de Lautrico. Quant à Isarn, il n’a jamais porté le titre de vicomte de Lautrec. Jusqu’à sa mort située entre 1153 et 1155, il est simplement intitulé vice

38 Un acte de 1155 l’énonce sans aucune ambiguïté cette consanguinité [M. Eclache et alii, Références précoces…, p. 326]. Autre élément de confusion : l’évêque Raimond prend tardivement le nom de Raimond de Lautrec. Voir plus loin.

39 Il ne s’agit là que d’une hypothèse fondé sur le contexte et non sur les spécificités de cette charte de coutumes.

40 Arsinde et Ermendructe.

41 CM, 247 (1115-1135).

42 CT, 124 (1156).

43 CM, 297 [vers 1160] ou Brunel, 95.

44 Ibid.

45 J. Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne (1127/29-1196/97), une grande figure féminine du Midi aristocratique », dans La femme dans l’histoire et la société méridionales, Narbonne, 1995, p. 9-50.

46 J. Boutière et alii, Biographies des troubadours. Textes provençaux des XIIIe et XIVe siècles, Paris, Nizet, 2e édition, 1973, p. 159. Raimond Amiel de Penne apparaît dans sept actes du cartulaire de Vaour entre 1177 (CV, 27) et 1185 (CV, 89).

47 H. Imbert, Notice sur les vicomtes de Thouars, Niort, 1867, p. 49. M. Garaud, Les châtelains du Poitou et l’avènement du régime féodal, XIe et XIIe siècles, Poitiers, Mémoire de la Société des antiquaires de l’Ouest, 1967, p. 77-78.

48 Exceptionnelle mais pas unique : chez les Cardona, famille vicomtale de Catalogne, ce droit de viage a été observé de façon précise par F. Rodriguez-Bernal que je remercie pour cette information.

49 HGL, V, 627-II (1160). HGL, V, 627-III (1161).

50 CM, 56 (1059).

51 L. Mace, Les comtes…, en particulier p. 23-57 et p. 97-114.

52 Ce qui par ailleurs fut possible pour d’autres « capitales » de comtés, en particulier pour Albi mais Albi n’est pas Toulouse dans l’escarcelle des comtes !

53 Ibid., p. 78.

54 CL, 813 (919).

55 M. Mousnier, L’abbaye cistercienne de Grandselve et sa place dans l’économie et la société méridionales (XIIe-XIVe siècles), Toulouse, CNRS-Université de Toulouse-Le Mirail, 2007, p. 188.

56 CSS, 265 (vers 1095-1098).

57 CG, f° 175 v° (1180).

58 CG, f° 123 v° (1164).

59 CG, f° 129 v° et suiv. (1168)..

60 CG, f° 129 v° et suiv. (1168)..

61 CG, f° 175 v° (1180) et f° 176 r° (1188).

62 Tulle, 14 (930) La précocité de cette référence toponymique fait une fois encore planer le doute sur la fiabilité du cartulaire de Tulle.

63 CSS, 133 (1076-1077)

64 HGL, V, 845 (1114).

65 CT, 507 (1142).

66 AD82, H1 (1174).

67 HGL, V, 111 (961).

68 CSS, 133 (1076-1077).

69 HGL, V, 111 (961). Voir annexe 8.

70 CSS, 133 (1076-1077).

71 CSS, 291 (1098).

72 HGL, V, 845 (1114).

73 CT, 42 et 43 (1148-1150) et 477 (1156).

74 L. Macé, Les comtes…, p. 41-43.

75 Situation similaire en Catalogne avec Cardona.

76 L. d’Alauzier « Le Tulmonenc jusque vers 1350 », Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, 1961 (1), p. 67-87 ; F. Hautefeuille, Structures de l’habitat rural et territoires paroissiaux en bas-Quercy et haut-Toulousain du VIIe au XIVe siècle, thèse dactylographiée, Université de Toulouse-Le Mirail, 1998, p. 110-112.

77 Si la plupart du temps Saint-Antonin est localisé en Rouergue, il est des cas où sa situation frontalière perturbe le rédacteur du récit qui le place tantôt en Albigeois [récit des miracles de sainte Foy mentionné par F. de Gournay, Le Rouergue, op. cit., p. 40], tantôt en Quercy [Raymun Jorda fo vescom[s] de Sant Antoni, senher d’un ric borc qu’es en Caersi : J. Boutière et alii, Biographies…, p. 159].

78 CV, appendice no 1 (1175-1176).

79 CB, 48 (932) : donation du vicomte de Quercy Frotard et de son épouse Adalberge réalisée cum consilio Raimundi comitis, senioris nostri.

80 En particulier le castrum de Brusque, la seigneurie des castra de Vieussan et de Roquebrun, et un certain nombre de possessions dans les castra de La Livinière et Ventajou.

81 CT, 124 (1156). Trencavel débourse 6500 sous de Mauguio pour un serment ; analyse judicieuse de P. Fréon, Les vicomtes…, p. 92.

82 CS, 307 (1157) ; acte cité dans P. Fréon, Les vicomtes…, p. 222.

83 R. Pauc, « Documents inédits sur la domination aragonaise en Gévaudan et Milhadois », dans Cévennes et Gévaudan, actes du XLVIe congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon Mende & Florac, 16-17 juin 1973, Mende, 1974, p. 117-122. M. Aurell, « Pouvoir et contre-pouvoirs en Rouergue sous la domination catalane (1112-1204) », dans Libertés locales et vie municipale en Rouergue, Languedoc et Roussillon. Actes du LIXe congrès de la Fédération Historique du Languedoc Méditerranéen et du Roussillon, Millau, 1987, Montpellier, 1988, p. 127-136.

84 J. Belmon, Les vicomtes de Rouergue-Millau (Xe-XIe siècles), thèse de l’Ecole des Chartes, dactyl., 1991, p. 255-258.

85 CC, 1 (sd) ; à vrai dire, 1160 environ.

86 CSS, 265 [1095-1098].

87 CG, f° 106 (1161) puis de nombreuses autres références jusqu’en 1171.

88 CM, 275 [1140/1147].

89 Voir note 11.

© Presses universitaires du Midi, 2008

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