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L’obsession du retour

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Florence Guilhem

Introduction

Texte intégral

  • 1 Par région toulousaine, nous entendons la plupart des départements compris dans la région Midi-Pyr (...)

1La région toulousaine1 est devenue, par son histoire et pour les exilés républicains, une autre terre d’Espagne possible, et Toulouse fut considérée comme la capitale de l’exil politique espagnol en France. C’est là que les principales formations politiques et syndicales choisirent d’installer leur siège national après 1945 ; c’est là aussi qu’elles organisèrent leurs grandes manifestations populaires. La proximité géographique de l’Espagne rendait cette région plus attractive pour les exilés ; pouvoir y attendre le retour au pays, c’était vivre moins douloureusement la perte de l’Espagne que l’on retrouverait facilement aussitôt la démocratie restaurée.

2Obligés de battre en retraite face aux troupes franquistes et forcés de quitter leur pays en février 1939, les républicains espagnols gardent l’espoir de pouvoir retourner chez eux dans un avenir proche car aucun d’entre eux n’est venu en France avec l’intention d’y rester. Aussi se posent-ils immédiatement la question des conditions et du moment de leur retour. Pendant qu’ils élaborent des stratégies, les réfugiés sont pourtant nombreux à céder aux pressions des derniers gouvernements de la IIIe République qui les incitent à rentrer chez eux. Avec l’entrée en guerre de la France, sa défaite, puis son occupation par les Allemands, les candidatures au retour se multiplient.

3En revanche, ceux qui refusent de se soumettre au nouvel ordre qui règne en Espagne préfèrent rester en France en dépit de la précarité de leurs conditions de vie et des troubles que connaît leur pays d’accueil. Ils considèrent que la guerre d’Espagne n’est pas terminée et s’engagent souvent dans la Résistance puisque la France est menacée par le même ennemi que le leur. Leur participation à la libération de la France est toutefois déterminée par la reconquête de l’Espagne. Aussi, et bien que les Alliés soient encore engagés dans les combats à la fin de l’année 1944, les réfugiés espagnols estiment que le moment du retour collectif et triomphal au pays est venu. Si certains sont convaincus que l’action diplomatique menée avec l’appui des Alliés sera assez forte pour renverser le régime franquiste et restaurer la République, d’autres, comme les communistes, sont persuadés du contraire et préconisent une action militaire. Sans attendre la victoire finale des Alliés, ils décident d’entreprendre la reconquête de leur pays et lancent leurs troupes de guérilleros dans le val d’Aran en octobre 1944. Malgré l’échec de cette opération, le projet d’un retour collectif apparaît encore réalisable. En revanche, celui d’une reconquête militaire est définitivement abandonné : l’action politique semble désormais la meilleure stratégie à adopter pour poursuivre la lutte antifranquiste.

4Tous les groupes politiques et syndicaux espagnols en exil se préoccupent alors de se réorganiser pour réunir leurs militants et définir l’action appropriée qui conduira à ce retour collectif et triomphal. C’est le temps de l’Espagne républicaine en exil et de sa réorganisation politique. Les yeux rivés sur sa terre d’origine, cette Espagne-là réfléchit et propose des stratégies pour le renversement de Franco. C’est bien le retour qui est encore la principale préoccupation de l’exil politique espagnol.

5Mais ce projet commun ne parvient pas à faire taire les divisions qui existent entre les différentes organisations politiques et syndicales espagnoles en exil, et l’on voit se ranimer les rancœurs d’antan. Que signifie alors pour ces groupes le projet du retour ? Est-ce d’ailleurs encore un projet pour eux ? Mais surtout, au lendemain du conflit mondial, est-il toujours une préoccupation réellement partagée par l’ensemble de la population espagnole exilée ?

6Avec le retour de la paix, leur identité enfin assurée par l’octroi du statut de réfugié que leur concède la France en mars 1945, les réfugiés espagnols se soucient avant tout d’assurer leur quotidien dans la société qui les accueille. Quel est alors l’impact des préoccupations économiques et sociales sur l’exil ? La France est-elle toujours perçue comme un espace de transit, un lieu provisoire où l’on attendra le changement de situation en Espagne ? Et, dans ces conditions, comment envisager une intégration ? Que signifie ce besoin de maintenir vivace l’idée d’un retour éventuel au pays ? Pourquoi y songer encore alors qu’il devient clair, pour la plupart des réfugiés, que ce retour s’avère irréalisable au fur et à mesure que passent les années ?

7Dans de telles conditions, les réfugiés ont-ils encore la possibilité de mettre fin à leur exil ? Peuvent-ils, souhaitent-ils vraiment renoncer à leur condition d’exilé quand, après la mort de Franco, le statut de réfugié n’a plus aucun sens du point de vue juridique ? Désir du retour et sentiment d’exil se confondent et, par ce désir du retour, ainsi que par l’évolution qu’il va connaître, se définit peu à peu le devenir de l’exil.

Notes

1 Par région toulousaine, nous entendons la plupart des départements compris dans la région Midi-Pyrénées (Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Ariège, Gers, Hautes-Pyrénées). Cette étude concerne également les départements de l’Aude, des Pyrénées-Atlantiques et des Pyrénées-Orientales en raison de la présence des camps d’internement sur ces territoires.

© Presses universitaires du Midi, 2005

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