Que reste-t-il de l’éducation classique ?
| ,Introduction
Relire « Le Marrou » : problèmes et enjeux
Texte intégral
L’HISTOIRE DE L’ÉDUCATION DANS L’ANTIQUITÉ ET SES CONTEXTES
- 1 Cf. F. Dosse, Paul Ricoeur. Les sens d’une vie, Paris, La Découverte, 1997, p. 263-271.
- 2 P. Ricœur, « Emmanuel Mounier : une philosophie personnaliste », Esprit, décembre 1950, repris dans(...)
- 3 Cf. J.-M. Pailler, « Mounier, le christianisme, l’Antiquité », blé, Toulouse, CII, 2001, 1, p. 73-9 (...)
1L’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité a d’abord été publiée en 1948, aux toutes jeunes éditions du Seuil, dans la collection Esprit. Ce double caractère d’un travail achevé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et d’une œuvre marquée par l’engagement constant de son auteur au sein du mouvement Esprit mérite d’être souligné d’emblée. Henri Marrou et sa famille faisaient alors partie avec quelques autres, parmi lesquels Paul Ricœur, de ce phalanstère intellectuel et spirituel réuni dès 1945 autour d’Emmanuel Mounier, des siens et de plusieurs collaborateurs d’Esprit, au petit domaine des Murs Blancs, à Châtenay-Malabry. Cette communauté originale avait fait des emprunts à l’Académie ou au Lycée, à Cassiciacum ou à Thélème, pour ne pas parler d’expériences laïques ou religieuses, utopiques ou réelles, de date plus récente1. La dimension éducative y jouait un rôle majeur ; elle constitue l’une des raisons pour lesquelles P. Ricœur a pu qualifier E. Mounier, à sa mort, d’« éducateur d’une génération2 ». Or, entre Mounier et Marrou, c’est d’un véritable mouvement d’éducation mutuelle qu’il faut parler3. Revenons quelques années en arrière.
- 4 Cf. la biographie due à P. Riché, Henri-Irénée Marrou : historien engagé, Paris, Cerf, 2003.
- 5 Plusieurs de ces articles sont reproduits dans H.-I. Marrou, Crise de notre temps et réflexion chré (...)
- 6 Cf. en ce sens la brève notation de son article sur « L’action politique d’Emmanuel Mounier », Cahi (...)
2Née en 1932, la revue Esprit a accueilli dès 1935 des textes du jeune historien Henri Marrou (né en 1904), pendant son séjour, au cœur de l’Italie fasciste, à l’École française de Rome, puis à l’Institut français de Naples4. Sous son nom ou, pour ses très nombreuses chroniques musicales, sous le nom de Davenson, il allait rester un collaborateur assidu d’Esprit jusqu’à la veille de sa mort, en 1977. Au cours des années 30, l’essentiel de ses contributions a porté sur des problèmes généraux de culture et de politique. Dans ces articles, le jeune auteur de Fondements d’une culture chrétienne (Bloud et Gay, 1928) confrontait en particulier les relations qu’entretenaient entre eux ces deux domaines, respectivement dans la pensée et l’action communistes et en régime fasciste. Témoin effaré et lucide des réalisations mussoliniennes en matière d’instruction et de culture, Marrou s’en fit le chroniqueur dans la revue5. Il mit ainsi Mounier et ses amis, critiques des mollesses des démocraties parlementaires, en garde contre toute sympathie envers le « vitalisme » incontestablement plus dynamique, mais ô combien dangereux, de certaines franges du fascisme italien6.
- 7 Sur le rôle de Marrou, se reporter au témoignage si vivant d’A. Mandouze, Mémoires d’outre-siècle, (...)
- 8 Les chapitres qui concluent l’Histoire, dans l’insistance qu’ils mettent à souligner la continuité (...)
- 9 La préoccupation de la longue durée (mieux : l’installation dans la longue durée) tient davantage, (...)
3Dans la genèse de l’Histoire de l’éducation, cette période d’avant-guerre a occupé à coup sûr une place importante. Elle a surtout coïncidé avec la méditation continue de l’œuvre d’Augustin, au long des années de préparation de la grande thèse soutenue et publiée en 1938 : Saint Augustin et la fin de la culture antique. Marrou y remontait à la racine de cette tradition rhétorique dont il ferait un des fils conducteurs de l’Histoire. Il y restait par ailleurs prisonnier de la vision traditionnelle du « Bas Empire » en termes de décadence et de déclin. Ce que cette perspective pouvait avoir de désuet allait être corrigé dans la fameuse Retractatio ajoutée à la thèse en 1949, un an après la parution de l’Histoire. Il est frappant de constater que les années de guerre, d’enseignement à la Faculté des Lettres et de Résistance, aux côtés des groupes qui publiaient et diffusaient depuis Lyon les Cahiers du Témoignage Chrétien7, ont été celles de la maturation progressive, à la fois, de cette révision en profondeur du travail universitaire spécialisé, et de la synthèse très large sur laquelle revient le présent ouvrage8. Marrou apparaît ici, et le confirmera explicitement en 1954 dans De la connaissance historique (Seuil), comme de ces historiens qui s’aventurent dans le passé et le pénètrent en le remontant, soit à travers des préoccupations d’actualité et pour éclairer celles-ci (nous allons y revenir), soit, sur une durée plus restreinte, à partir d’un développement historique ultérieur (ici la rhétorique augustinienne), afin d’en dégager les racines9 : en l’occurrence, la remontée se fait d’Augustin à Cicéron et à Isocrate. Est-ce un hasard si ces deux hommes, le Grec et le Romain, sous-estimés voire dénigrés jusqu’alors par les études modernes, ont suscité la sympathie de notre auteur, et fait l’objet de sa part, tour à tour, d’une véritable réhabilitation ? Tel avait été dès 1936 le cas de Cicéron, lorsqu’un article de la Revue Historique présenta une « Défense de Cicéron » contre ses accusateurs anciens et récents, au premier rang desquels Jérôme Carcopino, un des maîtres de Marrou ; tel fut celui d’Isocrate, dans le chapitre de l’Histoire qui fait du rhéteur grec l’égal de Platon – et même son « vainqueur » post mortem.
- 10 Sur la « visée civilisatrice » consubstantielle au personnalisme, cf. P. Ricœur, cité à la n. 2, p. (...)
- 11 « La civilisation de la Paideia » (IIe Partie, chap. 1 : noter la majuscule) ; « L’humanisme classi (...)
- 12 Mousikos anèr est le titre de la « thèse secondaire » de Marrou, publiée en 1938, rééditée en 1964. (...)
- 13 Par là, Marrou corrige les déficiences de l’histoire de l’univers personnel reconstituée par E. Mou (...)
4Comment situer plus précisément, du point de vue qui nous intéresse, l’influence mêlée de l’expérience de guerre et, après comme avant et pendant celle-ci, de l’appartenance au « milieu Esprit » ? L’orientation de la revue se reflète dans les références au « personnalisme10 » caractéristique, selon Marrou, de « l’éducation classique » – thème des chapitres courts, mais centraux, qui commandent l’ensemble de l’ouvrage11, au point de passage de l’invention grecque à la diffusion romaine. L’idéal mis en scène par l’historien est celui de « l’homme cultivé », mousikos anèr12, un idéaltype – presque une Idée platonicienne – qui transcende les conditions de sa naissance dans l’Athènes démocratique et de son expansion grâce au relais des monarchies hellénistiques, puis romaine. Cette référence personnaliste est d’autant plus remarquable que, attribuée à une « civilisation hellénistique » elle aussi réhabilitée par l’auteur, elle émane d’un chrétien militant qui voit par ailleurs en cette dernière époque l’une des phases les moins « religieuses » de l’histoire de l’Antiquité. Au demeurant, Marrou n’hésite pas à retrouver dès l’œuvre d’Homère les germes de cette éclosion de la personne au cœur de la paideia13, ni à en suivre la trace jusqu’aux premiers siècles chrétiens, en dévidant le fil millénaire d’une tradition qui a connu, à ses yeux, des inflexions plutôt que des ruptures.
- 14 « D’une théorie de la civilisation à la théologie de l’Histoire », Esprit, juillet 1952, p. 112-129 (...)
5Un autre thème, secondaire, mais visiblement très important pour notre auteur, consonne avec les préoccupations et les débats de l’après-guerre, telles qu’ils furent accueillis et pris en charge par la revue. C’est celui de la querelle scolaire. Que l’on parcoure en parallèle, d’une part, les développements de l’Histoire expliquant comment et pourquoi l’Antiquité n’a pas connu d’« école chrétienne », d’autre part les articles d’Esprit, en particulier le n ° spécial de mars-avril 1949 (actualisé en novembre 1951), intitulé « Propositions de paix scolaire », où Marrou a pris une part décisive. Le jeu des échos et des correspondances y est assez précis pour ne pas laisser place au doute. L’antique et l’aujourd’hui s’y expliquent et s’y commentent au miroir l’un de l’autre, en un moment où le circonstanciel (préserver, au sortir de la Résistance, l’unité de « ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas », ne pas céder à ce qui fut ressenti, à Esprit, comme une manœuvre politicienne du MRP) rejoignait l’essentiel, déterminé jadis par la méditation réaliste d’un Augustin et de ses contemporains. La paideia qui régnait depuis si longtemps dans l’empire romain, de même que son équivalent dans la France contemporaine, ayant déjà fait leurs preuves comme vecteur efficace de la transmission du message, pourquoi s’attacher à une solution improbable et ségrégatrice ? Paradoxalement, l’option laïque de Marrou, dans la lignée de l’évêque d’Hippone, s’inscrivait ainsi dans un providentialisme historique qui pourrait aussi bien se réclamer de l’Ève de Péguy : « Les pas des légions avaient marché pour lui… » – à condition de remplacer « les pas des légions » par « les leçons des rhéteurs »… Chez le lecteur admiratif et réticent de la Study of History de Toynbee14 s’annonçait ainsi le futur auteur de la Théologie de l’Histoire (Paris, Seuil, 1968).
- 15 « L’école au service de l’idéal nationaliste et totalitaire », repris dans Crise…, p. 127-134.
- 16 Cf. J.-M. Pailler, « Esprit et l’Antiquité, 1932-1957 : refaire la Renaissance », dans Retrouver, i (...)
- 17 « Tristesse de l’historien », Esprit, avril 1939, p. 11-47 ; cf. De la connaissance historique, pas (...)
6C’est dans la même perspective globalisante, à la fois traditionnelle et révolutionnaire (conformément aux idéaux d’alors), que prend place le fameux chapitre sur l’éducation spartiate, sur lequel nous reviendrons. Il a été mûri avant guerre, dans un article publié par Esprit en 193815, et joue le rôle de repoussoir, tel un écueil jalonnant la « longue marche » de l’éducation à dominante personnaliste retracée par l’Histoire. La dénonciation sans nuances du « mirage spartiate » prend place dans une sorte de « paideiomachie » qui, sous la plume de Marrou, illustre sans doute l’affrontement perçu comme global entre civilisation et barbarie nazie ; mais cette dénonciation vise en même temps à mettre en garde contre toute utopie totalitaire. C’est aussi en 1948-1949, ne l’oublions pas, que fut achevé et publié le 1984 d’Orwell… Dans cette lutte plus souterraine contre la tentation philo-communiste, Marrou semble avoir rempli en ces années, après la mort de Mounier (1950) et aux côtés d’Albert Béguin, nouveau directeur d’Esprit, un rôle qui mériterait d’être mieux connu16. Le fait d’être des hommes de culture installés, chacun à sa manière, dans la « longue durée » y avait sans doute prédisposé tout spécialement l’un et l’autre, parallèlement au travail critique mené à la même époque par Raymond Aron – Aron, dont la thèse sur la « philosophie critique de l’histoire » avait reçu dès 1939 l’accueil favorable de Marrou17.
7Une dernière fois, revenons à la longue durée comme espace favorable à l’épanouissement d’une « Forme », celle de « l’éducation classique ». On se condamnerait sans doute à ne pas comprendre la démarche d’un Marrou, ni celle de ses amis, si l’on ne tenait compte du climat intellectuel et spirituel d’une époque, dans la France à peine sortie de la guerre. En définitive, si l’Histoire donnait de la paideia, présentée comme un idéal transhistorique, une vision aussi organique et unitaire, au risque parfois de négliger les diversités, d’occulter les inégalités et de gommer les évolutions, c’était aussi pour faire pièce, dans l’âge idéologique alors triomphant, à d’autres références et à d’autres projets : le « millénaire » de Hitler n’était pas si loin, et d’autres faisaient alors retentir, jusqu’aux oreilles des amis d’Esprit, les grandes orgues du stalinisme.
L’ART ET LA MÉTHODE
8En quelques années, ce livre fut reconnu, réédité, adopté comme un classique. Cette consécration ne l’a pas condamné pour autant à figurer parmi les ouvrages que l’on continue de vénérer, mais que gagne lentement l’oubli, ceux qui ne sont rouverts que pour permettre au lecteur de retrouver un exposé devenu consacré ou de vérifier un ensemble de références. Henri Marrou a voulu que son livre défendît une thèse – c’est à l’époque hellénistique que se constitue, sous la forme de la paideia, l’héritage de l’humanisme classique, bloc demeuré vivant parce qu’il nous a été transmis lesté de l’expérience de Rome – et fût une synthèse, terme ô combien privilégié sous sa plume, qui lui permet de distinguer une recherche achevée et rendue accessible d’un « paquet de fiches », si chargées d’érudition fussent-elles. En cela l’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité porte et illustre toute la réflexion de son auteur sur l’histoire, sa méthode, son écriture, sa place dans la culture et dans la cité. Cette réflexion, entreprise dès les années 1930, n’a cessé d’être poursuivie et développée, tantôt dans des études savantes, tantôt dans des écrits engagés qui ne sont éloignés qu’en apparence du présent livre. En rappelant quelques-uns des problèmes qui ont accompagné le parcours de l’historien, notre intention est de les mettre en résonance avec les préoccupations scientifiques et la manière d’écrire l’histoire qui sont à l’œuvre dans l’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité. Que l’on veuille bien, par conséquent, les prendre comme des outils intellectuels, des hypothèses, qui peuvent permettre, parmi d’autres, de « relire Le Marrou », non pour célébrer par avance et banalement la cohérence d’une œuvre, ni pour enfermer le livre à l’intérieur d’une forteresse dressée par son auteur, mais pour le mettre à l’épreuve de lui-même et des historiens, des philosophes avec lesquels il a dialogué ou croisé le fer.
9Trois problèmes majeurs peuvent être distingués, qu’illustre, pour chacun d’entre eux, une proposition de Henri Marrou, empruntée, dans sa formulation littérale, non pas à De la connaissance historique, mais à d’autres écrits, afin de souligner la permanence d’une libre réflexion liée à la pratique et à la signification du métier d’historien, quel que soit le sujet abordé.
- 18 H.-I. Marrou, « La méthodologie historique : orientations actuelles », Revue historique, 209, 1953, (...)
- 19 Saint Augustin, Retractationes, in Patrologie latine, t. XXXII, p. 583-656, et « Bibliothèque augus (...)
- 20 H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, De Boccard, 1938 ; ** « Retrac (...)
- 21 Ibid., p. 664.
- 22 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 8.
- 23 Ibid., p. 15.
10Le premier problème concerne la méthode historique. Une chronique parue en 1953 dans la Revue historique s’ouvre par cette formule incisive : « La santé d’une discipline scientifique exige, de la part de ses praticiens, une certaine inquiétude méthodologique18.» Marrou a toujours réclamé des historiens une réflexion sur les problèmes philosophiques impliqués par la méthode historique, et il n’a cessé de plaider pour le rapprochement entre « théoriciens et techniciens de l’histoire », avec pour prix l’inconfort du savant qui s’interroge sur la situation de sa discipline parmi les autres types de connaissance, sur la construction de la vérité, sur les formes de preuve et d’explication. Cette « inquiétude » est aussi celle qu’il s’applique à lui-même, avant tout dans la fameuse « Retractatio » qui fait suite à la thèse sur Saint Augustin et la fin de la culture antique et paraît, on l’a dit, en 1949. Marrou définit ce terme de retractatio, emprunté au titre d’un traité d’Augustin19, comme un « travail de remise en chantier20 », rendu nécessaire en raison de ce qu’il présente comme « la racine de mon erreur : […] une analyse insuffisante des concepts mis en œuvre », à commencer par « la notion de décadence21 ». Existe-t-il pour autant une méthode propre à Marrou ? D’un côté, il n’a pas de mots assez durs à l’encontre de deux excès opposés, le positivisme strict et une vision hégélienne de l’histoire. Le premier, qu’il qualifie d’« engourdissement », lui semble relever d’« une mentalité d’insecte spécialisé22 », et il lui oppose « un refus instinctif, presque viscéral ». Quant à Hegel, il est présenté comme le type du « philosophe pressé de conclure et de dogmatiser », dégageant les grands traits d’une « philosophie de l’histoire universelle » à partir de « matériaux historiques dont il n’a pas vérifié la résistance » et qui véhiculent les pires poncifs ; contre lui, il prend la défense de son contemporain Niebuhr, fondateur de la « méthode critique » à partir de la collation exhaustive des sources. Entre les deux, ou plutôt à l’écart, Marrou affirme pour lui-même les deux principes d’une méthode ouverte : d’une part, la nécessité de toujours garder à l’esprit la question « que savez-vous et comment le savez-vous23 ?» ; d’autre part, l’idée que le véritable historien doit inventer sa propre méthode, indissociable de ses sources et de l’objet qu’il analyse. Liberté, audace et capacité d’invention sont les fruits recueillis pour prix de l’« inquiétude ». L’Histoire de l’éducation comporte elle aussi quelques coups d’audace, qui ne sont pas loin d’être des coups de force. Ainsi la place considérable accordée à l’œuvre d’Isocrate, l’analyse de son « Verbe » et la survie de son héritage, sa victoire sur Platon après que Marrou en eut fait l’égal du fondateur de l’Académie – ce qui pose problème, du point de vue des contemporains, comme au regard de la postérité –, tous ces éléments relèvent d’une audace et d’une méthode qui témoignent d’une empathie envers les sources et qui savent voir, et donc aussi imaginer, quel fut leur destin sur plusieurs siècles. Audace et inquiétude se mêlent encore chez l’historien qui, sur un tel sujet, s’est risqué à une autre hardiesse, plus discutée : oublier Aristote.
- 24 H.-I. Marrou, « Le symbolisme funéraire des Romains », Journal des savants, 1944, repris in Patrist (...)
- 25 Qu’il ne cesse d’appliquer lui-même (il suffit de consulter les notes de l’Histoire de l’éducation (...)
- 26 Idée souvent formulée : par exemple, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, I, p. 323 ; « Qu’est (...)
- 27 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 9-10.
- 28 Ibid., p. 98.
- 29 H.-I. Marrou, « La méthodologie historique : orientations actuelles », p. 259.
- 30 H.-I. Marrou, « D’une théorie de la civilisation à la théologie de l’histoire (dans l’œuvre de Toyn (...)
- 31 Marrou en fait l’aveu dans le compte rendu qu’il rédige du livre de M. P. Nilsson, Die hellenistisc (...)
- 32 H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, I, p. 323.
11Le deuxième problème est d’ordre épistémologique. Dans une étude de 1944 rendant compte du livre de Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains (1942), Marrou affirme avec insistance : « On ne le répétera jamais assez : en histoire, la précision croît au détriment de la certitude24.» Cette formule paradoxale, qui pourrait choquer bien au delà du cercle des gardiens de l’orthodoxie, définit une éthique et une épistémologie de l’histoire. Il est indispensable, cela est entendu, que l’historien s’appuie sur une érudition scrupuleuse, sur une méthode critique rigoureuse25, mais il ne saurait ni s’en glorifier, car ce sont les techniques élémentaires du métier, ni se réfugier dans cette perfection rassurante qui manque le but assigné à l’histoire, à savoir l’intelligence générale des faits26. Seules les hypothèses et la synthèse parviennent à exprimer le fonds de vérité humaine que l’historien doit saisir et rendre. La Vérité d’ensemble de l’œuvre historique, qui tend à « dégag[er] des lignes générales […], des significations, des valeurs », ne résulte pas de l’addition mécanique des faits dont chacun a été vérifié par une « technicité croissante27 » qui risque d’absorber tout le temps de la réflexion. Et de dénoncer, chez trop d’historiens, l’écart entre « une exigence technique poussée jusqu’au scrupule » et l’indigence d’« une philosophie générale sur l’homme, la vie et ses problèmes28 ». À l’inverse, c’est la synthèse qui doit requérir tout l’effort de l’historien. Celle-ci, présente à toutes les étapes de la recherche et de l’écriture, désigne tantôt l’hypothèse majeure qui permet d’opérer un choix dans les documents et d’orienter l’analyse29, tantôt l’effort intime de l’historien « pour dominer par [elle] le donné pulvérulent de l’expérience du passé30 », ou bien encore la forme parfaite vers laquelle devrait tendre tout livre et qu’il s’est efforcé lui-même d’atteindre pour l’Histoire de l’éducation31. De fait, la paideia y est analysée comme un bloc dont le destin se prolonge jusqu’à nous ; elle est une « essence » qui « a été », « la Forme, stabilisée en sa maturité, selon laquelle s’est épanouie la tradition pédagogique de l’Antiquité32 ». La synthèse s’opère-t-elle alors au détriment d’une périodisation plus fine ? Prête-t-elle trop peu d’attention aux changements, aux ruptures ? Serait-elle le négatif de la micro-histoire, attentive à la singularité des acteurs, des moments et des situations, sans être pour autant coupée des contextes de civilisation ? Plusieurs chapitres du présent livre reviennent à leur manière sur ces questions.
- 33 Id., « D’une théorie de la civilisation à la théologie de l’histoire (dans l’œuvre de Toynbee) », p (...)
- 34 Ibid., p. 413.
- 35 Thucydide, I, 22, 4. Sur ces trois historiens, cf., par exemple, « La méthodologie historique… », p (...)
- 36 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 98.
- 37 Id., Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, I, p. 12.
- 38 Étude reprise sous le titre « L’École au service de l’idéal nationaliste et totalitaire », in Crise (...)
- 39 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 222.
- 40 Idée mainte fois exprimée, ainsi dans « La méthodologie historique… », p. 259 : « L’œuvre historiqu (...)
- 41 C’est à ce thème qu’il a consacré sa dernière publication sur le sujet : « Le droit à l’éducation d (...)
12Le dernier des problèmes, au moins aussi important que les deux précédents, que suscite l’art d’écrire l’histoire propre à Marrou, est celui de l’engagement de l’historien et de sa place dans la cité. « Le véritable historien – écrit-il dans une étude consacrée à l’œuvre de Toynbee – n’est pas le curieux qui s’évade dans le passé, mais un homme qui, profondément engagé dans les problèmes vitaux de l’heure présente, recherche, dans le commerce des hommes qui jadis vécurent eux aussi un présent actif, de quoi l’aider à mieux élaborer ces problèmes d’aujourd’hui33. L’engagement est donc lui aussi affaire de synthèse, entre le passé et le présent cette fois. D’où la prédilection marquée de Henri Marrou pour des historiens si différents de lui à bien des égards et si dissemblables, tels que Thucydide, Gibbon ou Toynbee, parce que, possédant « un sens aigu, angoissé, des problèmes de [leur] temps34 », ils sont parvenus à réunir expérience d’une vie et analyse historique pour en faire une « acquisition pour toujours », un ktèma es aei35. L’œuvre historique résulte d’une symbiose entre les questions du passé, les sollicitations du présent et la richesse humaine de l’historien, selon un processus qu’on ne pourra jamais théoriser ni enfermer dans une « boîte à fiches36 » ou, maintenant, dans un ordinateur. De cela l’Histoire de l’éducation donne plus d’un exemple, dès l’introduction qui proclame : « Nous sommes des Gréco-Latins » ; c’est bien pourquoi, ajoute son auteur, « l’histoire de l’éducation dans l’Antiquité ne peut laisser indifférente notre culture moderne37 » ; exemple encore dans les pages bien connues et parmi les plus contestées sur l’éducation spartiate, dont la genèse peut se lire dans une étude de 1938 sur « L’éducation dans l’Italie fasciste » ; le rapprochement y est explicite avec « la morale de Sparte [et] de la vieille Rome », quand ce n’est pas telle intuition qui est déjà formulée à propos du « dressage du citoyen38 ». En un mot, Henri Marrou revendique pleinement le caractère subjectif de l’œuvre historique « organiquement modelée par la personnalité de l’historien39 ». Une telle conception du travail de l’historien comme œuvre de conviction et œuvre d’art40 risque de surprendre notre temps où l’on préfère assez souvent s’en tenir aux règles du métier, en affichant une austérité qui se voudrait grandeur. En cela aussi, le livre de Marrou conserve une force d’innovation et une étrangeté avec lesquelles nous pouvons toujours dialoguer. Comment, par exemple, Marrou a-t-il pu concilier ce souci d’un engagement et la mise entre parenthèses, dans son livre, de la dimension sociale de l’éducation41 ? Pourquoi la question du public à qui est destinée la paideia ne fait-elle pas l’objet d’un chapitre entier ? Pourquoi cette histoire de l’éducation s’en tient-elle, pour l’essentiel, à une histoire des contenus, des idées, des Formes ?
13Une méthode, une épistémologie, un engagement : l’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité a été un creuset où s’est nourrie toute l’œuvre à venir de Marrou et dont elle ne peut être dissociée. De cette confrontation elle sort non point renforcée – elle n’en a nul besoin et notre objet n’est pas de célébration –, mais prête à recevoir son aggiornamento sur tel point particulier et à supporter les remises en cause, tantôt avec l’assentiment préventif de son auteur, tantôt sans son approbation.
RELECTURES
14Relire après un demi-siècle un ouvrage comme celui-là, c’est tout à la fois se remettre en mémoire l’ampleur de ses acquis et la nouveauté que représente son effort de synthèse ; c’est, avec un œil plus vieux de cinquante ans, être tenté d’y apporter retouches et compléments, mais aussi d’en mettre en cause la posture fondamentale, au nom d’une approche pour aujourd’hui ; c’est enfin, peut-être, revivre une époque intellectuelle – le milieu du siècle passé – à travers son dialogue avec l’Antiquité. Nous avons donc cru bon d’organiser ces relectures en cinq séries :
-
des relectures pour aujourd’hui : par-delà leur diversité, ces approches ont pour point commun de s’interroger sur le comment et le pourquoi du recours permanent à l’analogie dans l’Histoire de l’éducation ;
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des relectures croisées, passé-présent, qui dégagent notamment les soubassements anthropologiques de tel ou tel comportement « éducatif » des sociétés antiques ;
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des relectures régionales, mettant en dialogue l’universel et le particulier, où l’on cherche à restituer le devenir de la même et unique paideia dans les cadres très divers de l’Égypte, de l’Afrique, de l’Italie et de la Gaule ;
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des relectures culturelles qui tentent de situer l’éducation antique du point de vue de la philosophie, de la littérature, de l’art figuré et de la musique ;
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des relectures politiques replaçant la paideia, à diverses époques, sur l’arrière-fond social et institutionnel qui en détermine les contours et en infléchit les objectifs.
- 42 Cf. Yun Lee Too éd., Education in Greek and Roman Antiquity, Leyde, Brill, 2001. Plusieurs analyses (...)
15Le propos de Mme Yun Lee Too, reproduit dans la première Partie, mérite une attention particulière ; sa confrontation avec le projet du présent ouvrage achèvera de caractériser celui-ci. Professeur à l’Université Columbia de New York, Mme Too s’est signalée par de riches publications concernant la place de l’éducation et de la rhétorique dans la cité grecque. Elle a animé, pendant plusieurs années, une équipe internationale pour la préparation d’un « new Marrou », entreprise dont elle expose ci-dessous les fondements et les objectifs42. Son exposé décentre salutairement l’esprit du présent ensemble de contributions, en le prémunissant contre tout risque – s’il en avait jamais existé – de commémoration hagiographique, par la prise de distance qu’il signifie d’emblée. Ses deux volets peuvent se schématiser sommairement ainsi : 1) Marrou fondateur, Marrou homme de son temps ; 2) Marrou dépassé, place à la New History… elle aussi, au demeurant, reconnue avec une lucidité toute « marrouaque » (sic, André Mandouze) comme un produit de son époque.
16En rattachant l’inspiration profonde de la synthèse de 1948 au « mouvement des Annales » et à l’histoire envisagée dans la « longue durée », Yun Lee Too n’a pas ignoré, depuis les États-Unis de l’an 2000, le climat général et un des éléments majeurs de l’historiographie française de l’avant-guerre à l’après-guerre, mais elle a peut-être été moins sensible au contexte particulier où se situait Marrou. On placera en regard de ses propositions les considérations épistémologiques de J. Grondeux, de D. Julia, de F. Grèzes-Rueff. Nous l’avons vu : Max Weber et Raymond Aron d’une part, le mouvement Esprit et ses réflexions sur les problèmes éducatifs de l’heure, d’autre part, mais aussi l’expérience du musicologue « Davenson » – Marrou… et la préparation de la (syn)thèse sur Saint Augustin et la fin de la culture antique, elle-même en voie de retractatio dans les années 40, équilibrent largement, parmi les sources d’inspiration de Marrou, les travaux de Marc Bloch et de Lucien Febvre. Si l’auteur suit avec passion le progrès de cette « école », il a toujours dit en être « séparé par un intervalle dissonant ». Dans la confrontation internationale, où les simplifications du vedettariat ne cessent de nous guetter, la science française a tout à gagner à faire valoir sa diversité « polyphonique » – encore un mot cher à notre auteur.
- 43 « L’avenir de la culture classique », Esprit, février 1955, p. 178-191. Ces pages, hélas non reprod (...)
17Il reste que Yun Lee Too définit parfaitement l’esprit – et l’originalité – de l’Histoire lorsqu’elle remarque que celle-ci couvre délibérément un millénaire et demi, qu’elle se donne pour objet un « modèle » (le Marrou de De la connaissance historique aurait plutôt invoqué, avec Max Weber, un « Idéaltype » : voir ci-dessus). Ce modèle, l’ouvrage le situe à l’origine d’une tradition classique dont Marrou, en 1948, non moins qu’un Werner Jaeger avant guerre, estime encore pouvoir se réclamer. Nous vivons aujourd’hui sous d’autres climats, que Marrou lui-même, dès les années 50, n’a pas manqué de pressentir43. Mme Too a raison, également, d’identifier la source du système scolaire dont l’Histoire décrit les avatars dans la période de maturation hellénistique à laquelle Marrou, le premier, a reconnu un rôle décisif. En signalant que cette période occupe dans le livre une place apparemment disproportionnée, peut-être faudrait-il noter, comme on l’a vu, l’audace et la nouveauté, à l’heure de sa publication, de cette construction délibérée – une construction saluée avec force par un « grand témoin », André Mandouze, dans l’émouvante conclusion qu’il donne au présent ouvrage : « Nous sommes tous des hellénistiques. »
- 44 Cf. Y. L. Too, op. cit., p. 13.
- 45 Cf. du même auteur The Pedagogical Contract. The Economies of Teaching and Learning in the Ancient (...)
18Lorsqu’elle présente sur l’arrière-plan de l’ouvrage de Marrou le livre collectif Education in Greek and Roman Antiquity, l’historienne nord-américaine, dans le second volet de son propos, ouvre la voie à d’autres confrontations. On pourra discuter l’affirmation – appuyée explicitement sur la vision « reproductionniste » de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron44, elle-même hexagonalement très « datée » – selon laquelle la vision de Marrou néglige la politique et les relations de pouvoir45. On serait tenté de dire qu’en fait son analyse, bien réelle, de ces relations s’effectue dans un autre style, beaucoup moins marxisant, et qu’un autre « intervalle dissonant », dont les échos allaient pouvoir se lire dans Esprit au long des années 60, séparait l’auteur de l’Histoire de ces premières affirmations bourdivines… Marrou s’est par exemple intéressé à l’éphébie, sur laquelle A. Chankowski, ici même, se penche à son tour ; mais le décalage des perspectives, de 1948 à 2001, là aussi perceptible, ne recouvre pas davantage celui qu’on vient de mentionner.
- 46 Cf. Y. L. Too, Eudcation in Greek and Roman Antiquity, p. 16 et 20.
19En revanche, l’originalité de l’Antiquité tardive ne saurait, à coup sûr, être objectée à l’auteur de Décadence romaine ou Antiquité tardive ; les contributions diverses réunies ci-dessous n’en prouvent pas moins que beaucoup reste à étudier sur la voie que Marrou a lui-même frayée, même après les apports de I. Hadot ou de R. Kaster. Souligner avec Yun Lee Too46 la diversité des éducations antiques aux dépens d’un caractère unitaire fortement marqué par Marrou (mais en toute conscience du choix opéré, et sans aucune naïveté) s’impose d’autant plus que les matériaux de nos connaissances et leur exploration ont progressé de concert : en témoignent ici les études régionales déjà signalées. On se plaira enfin à reconnaître une ultime « harmonie dans la dissonance » dans le fait que deux remarquables contributions du présent ouvrage sont l’œuvre de deux des auteurs de la New History, E. Asmis et R. Cribiore.
20Aujourd’hui, en fin de compte, « relire le Marrou » conduit, comme l’avait prévu l’auteur, à corriger l’ouvrage sur plusieurs points. Les approches, dans plus d’un cas, se sont modifiées ; les apports les plus divers de l’anthropologie, de l’épigraphie, de la papyrologie, de l’iconographie, de l’archéologie… sont heureusement mis à profit ; des cantons de l’histoire, des provinces de l’Antiquité gréco-romaine sont désormais mieux connus. Il reste à espérer que ces gains ponctuels, parfois remarquables, ne fassent pas disparaître, sous les vents renouvelés d’un historisme relativiste et désenchanté, l’appel à la méditation et à l’action lancé par la grandiose construction d’il y a plus de cinquante ans. Contre ce danger aussi, dès 1939, dans un article d’Esprit déjà cité et resté célèbre, Marrou avait exposé à titre à la fois rétrospectif et prémonitoire les raisons de la « Tristesse de l’historien » :
- 47 Cf. « Tristesse de l’historien », p. 14.
Il faut oser regarder les choses en face : quand la Crise s’est abattue sur la culture, nous avons été les premiers à être emportés, balayés comme paille et poussière. Quand brusquement l’esprit moderne s’est mis à douter de lui-même, de sa mission, de sa grandeur, de son avenir, ce ne sont pas nos découvertes, notre enseignement et nos pauvres conjectures qui lui parurent un appui suffisant à quoi se raccrocher. Une dernière fois, oui, nous fûmes convoqués comme témoins, témoins du désespoir et de l’incertitude : je songe à la faveur de l’historisme qui marqua dans les années d’après-guerre un moment fugitif de la désagrégation des vieilles idoles. On n’était plus aussi certain de la réalité du progrès ; celui-ci se dégradait en un pur Devenir, vidé de tout contenu éthique ; le passé apparut jonché des cadavres de civilisations disparues, contradictoires, éphémères et vaines. Nous fûmes appelés à témoigner du relativisme fondamental de toutes les croyances et les institutions humaines : nous avons partagé avec les ethnologues l’honneur d’alimenter le désespoir d’une culture malade, incertaine d’elle-même et de tout.
Cela même aujourd’hui n’a plus grande importance : il faut en prendre conscience, mes pauvres amis ; nous faisons encore de l’histoire, et nous faisons tourner notre petit moulin ; nous publions des documents et nous trions des faits. Mais le monde autour de nous se moque éperdument de tout ce que nous pouvons bien raconter. Si vous n’y prenez garde, tandis que vous continuerez vos jeux, vous serez complètement liquidés par une culture où nulle place ne vous sera gardée : personne bientôt ne croit plus à notre utilité47. »
Note des éditeurs
21Les contributions qu’on va lire se réfèrent très souvent au livre de Marrou, mais de manière forcément un peu dispersée, et sans pouvoir le citer longuement. Au lecteur peu familier de cet auteur, et même aux autres, la citation qui précède aura fourni une idée de la qualité et de la force auxquelles peut atteindre son expression. Il nous a paru utile de donner à (re) lire quelques passages assez développés de l’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, choisis parmi les plus significatifs de cette œuvre. Ils sont présentés et mis en situation, en fonction des thèmes qu’ils développent, à la fin de chacune des grandes parties du présent ouvrage. La fonction de ces brefs intermèdes est donc à la fois d’illustration et de transition. En souvenir d’Henri Davenson, nous avons intitulé chacun d’eux Intermezzo.
Notes
1 Cf. F. Dosse, Paul Ricoeur. Les sens d’une vie, Paris, La Découverte, 1997, p. 263-271.
2 P. Ricœur, « Emmanuel Mounier : une philosophie personnaliste », Esprit, décembre 1950, repris dans Histoire et Vérité, Paris, Seuil, 2e éd., 1964 [1955], p. 135-163, p. 137 : « J’oserais dire qu’Emmanuel Mounier a été le pédagogue, l’éducateur d’une génération… »
3 Cf. J.-M. Pailler, « Mounier, le christianisme, l’Antiquité », blé, Toulouse, CII, 2001, 1, p. 73-92 (p. 77-80, 90-91).
4 Cf. la biographie due à P. Riché, Henri-Irénée Marrou : historien engagé, Paris, Cerf, 2003.
5 Plusieurs de ces articles sont reproduits dans H.-I. Marrou, Crise de notre temps et réflexion chrétienne, 1930-1975, Paris, Beauchesne, 1978, p. 117-133.
6 Cf. en ce sens la brève notation de son article sur « L’action politique d’Emmanuel Mounier », Cahiers de la République, 2, 1956, repris dans Crise…, op. cit., p. 90-99 (p. 95).
7 Sur le rôle de Marrou, se reporter au témoignage si vivant d’A. Mandouze, Mémoires d’outre-siècle, I, D’une Résistance à l’autre, Paris, Viviane Hamy, 1999, p. 97-99, 121-122 et passim.
8 Les chapitres qui concluent l’Histoire, dans l’insistance qu’ils mettent à souligner la continuité d’un héritage transmis aux époques suivantes, ont abandonné implicitement toute grille de lecture « décadentiste » de la période tardive. Intellectuellement, la retractatio a déjà eu lieu.
9 La préoccupation de la longue durée (mieux : l’installation dans la longue durée) tient davantage, chez Marrou, de cet engagement existentiel dans le travail historique, longuement explicité dans De la connaissance historique (Paris, Seuil, 1954) que de l’attention (si réelle soit-elle) portée par lui aux orientations théoriques de « l’école des Annales » ; voir ci-dessous.
10 Sur la « visée civilisatrice » consubstantielle au personnalisme, cf. P. Ricœur, cité à la n. 2, p. 137. Sur la distance prise à l’égard de ce qui apparaît peu à peu comme un « cri de ralliement » plus qu’une vraie philosophie, cf. H. Marrou, art. cité à la n. 5, p. 91.
11 « La civilisation de la Paideia » (IIe Partie, chap. 1 : noter la majuscule) ; « L’humanisme classique » (Conclusion générale de la IIe Partie).
12 Mousikos anèr est le titre de la « thèse secondaire » de Marrou, publiée en 1938, rééditée en 1964. L’étude porte sur les scènes de la vie culturelle représentées sur les sarcophages romains.
13 Par là, Marrou corrige les déficiences de l’histoire de l’univers personnel reconstituée par E. Mounier, Le personnalisme, Paris, puf, Que-Sais-Je ?, 1949, p. 10-13, 47-48 ; cf. sur ce point J.-M. Pailler, art. cité à la n. 3.
14 « D’une théorie de la civilisation à la théologie de l’Histoire », Esprit, juillet 1952, p. 112-129, article repris dans Patristique et Humanisme, Paris, Seuil, 1976, p. 409-427.
15 « L’école au service de l’idéal nationaliste et totalitaire », repris dans Crise…, p. 127-134.
16 Cf. J.-M. Pailler, « Esprit et l’Antiquité, 1932-1957 : refaire la Renaissance », dans Retrouver, imaginer, utiliser l’Antiquité, Toulouse, Privat, 2001, p. 147-161 (p. 157-158).
17 « Tristesse de l’historien », Esprit, avril 1939, p. 11-47 ; cf. De la connaissance historique, passim.
18 H.-I. Marrou, « La méthodologie historique : orientations actuelles », Revue historique, 209, 1953, p. 259. La formule se retrouve, presque identique, dans De la connaissance historique, p. 9.
19 Saint Augustin, Retractationes, in Patrologie latine, t. XXXII, p. 583-656, et « Bibliothèque augustinienne », vol. 12, introduction, traduction et notes par G. Bardy, Paris, Desclée de Brouwer, 1950. Traité écrit par Augustin à la fin de sa vie, en 426-427.
20 H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, De Boccard, 1938 ; ** « Retractatio », Paris, De Boccard, 1949, p. 622-713, citation, p. 624.
21 Ibid., p. 664.
22 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 8.
23 Ibid., p. 15.
24 H.-I. Marrou, « Le symbolisme funéraire des Romains », Journal des savants, 1944, repris in Patristique et humanisme, p. 131-153, citation, p. 148.
25 Qu’il ne cesse d’appliquer lui-même (il suffit de consulter les notes de l’Histoire de l’éducation ou celles de l’édition de Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue, I-III, Paris, Éditions du Cerf, « Sources chrétiennes », 1960-1970), et qu’il reconnaît à F. Cumont : cf. « Le symbolisme funéraire des Romains », p. 133.
26 Idée souvent formulée : par exemple, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, I, p. 323 ; « Qu’est-ce que l’histoire ? », in Ch. Samaran dir., L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1961, p. 26.
27 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 9-10.
28 Ibid., p. 98.
29 H.-I. Marrou, « La méthodologie historique : orientations actuelles », p. 259.
30 H.-I. Marrou, « D’une théorie de la civilisation à la théologie de l’histoire (dans l’œuvre de Toynbee) », in Patristique et humanisme, p. 413. Même valeur reconnue à l’œuvre de Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain (1776-1788) : cf. « Qu’est-ce que l’histoire ? », p. 27.
31 Marrou en fait l’aveu dans le compte rendu qu’il rédige du livre de M. P. Nilsson, Die hellenistische Schule (Munich, C.H. Beck, 1955), L’Antiquité classique, 25, 1956, p. 234-240, citation, p. 238.
32 H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, I, p. 323.
33 Id., « D’une théorie de la civilisation à la théologie de l’histoire (dans l’œuvre de Toynbee) », p. 411.
34 Ibid., p. 413.
35 Thucydide, I, 22, 4. Sur ces trois historiens, cf., par exemple, « La méthodologie historique… », p. 263 ; « L’histoire et les historiens : seconde chronique de méthodologie historique », Revue historique, 217, 1957, p. 280-281 ; De la connaissance historique, p. 195, 221, 269-270, 276-277 ; « Qu’est-ce que l’histoire ? », p. 7-10, 27 ; Patristique et humanisme, p. 413.
36 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 98.
37 Id., Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, I, p. 12.
38 Étude reprise sous le titre « L’École au service de l’idéal nationaliste et totalitaire », in Crise de notre temps et réflexion chrétienne (de 1930 à 1975), p. 127-134, citations, p. 130 et 133.
39 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 222.
40 Idée mainte fois exprimée, ainsi dans « La méthodologie historique… », p. 259 : « L’œuvre historique est une œuvre d’art ; l’écrivain doit être un écrivain, un artiste du verbe. »
41 C’est à ce thème qu’il a consacré sa dernière publication sur le sujet : « Le droit à l’éducation dans l’Antiquité gréco-romaine », Mémoires de la Société Jean Bodin, 39, 1975, p. 79-93.
42 Cf. Yun Lee Too éd., Education in Greek and Roman Antiquity, Leyde, Brill, 2001. Plusieurs analyses développées ici même se retrouvent dans son « Introduction : Writing the History of Ancient Education », p. 1-21.
43 « L’avenir de la culture classique », Esprit, février 1955, p. 178-191. Ces pages, hélas non reproduites dans Crise de notre temps…, figurent parmi les plus inspirées et les plus lucides que Marrou ait consacrées à ce sujet. Elles n’ont pas pris une ride.
44 Cf. Y. L. Too, op. cit., p. 13.
45 Cf. du même auteur The Pedagogical Contract. The Economies of Teaching and Learning in the Ancient World, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2000, notamment le chap. 1 : « The Pedagogical Contract », p. 13-36.
46 Cf. Y. L. Too, Eudcation in Greek and Roman Antiquity, p. 16 et 20.
47 Cf. « Tristesse de l’historien », p. 14.
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