1L'itinéraire d'un ouvrage peut être en soi assez révélateur du sujet dont il traite. Il faut entendre par là non seulement sa part dans l'historiographie, mais également sa place dans l'environnement éditorial et la façon dont il a pu rencontrer un lectorat. Contribution à l'histoire des migrations, Immigrés d'Italie et paysans de France s'inscrit dans la seconde génération de travaux d'historiens sur l'immigration en France. C'est depuis sa première édition la synthèse de référence quant à l'installation des Italiens dans le Sud-Ouest. La perspective rejoint ainsi celle des études à échelle régionale qui ont été conduites ces dernières années, notamment à l'occasion des rapports de recherche sur l'histoire des immigrations en région commandités par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances en partenariat avec la Cité nationale de l'histoire de l'immigration. Les délimitations spatiotemporelles retenues pour étudier la migration de ces transalpins correspondent à cette vague migratoire bien spécifique, tant par ses caractéristiques sociologiques que par son espace d'implantation et la chronologie de son déroulement. Reconstituer la genèse et le développement de ce mouvement permet d'asseoir des éléments essentiels à la compréhension de l'histoire et du peuplement local.

2La décision d'une réédition part du constat que le livre continue à être demandé et doit pour cela rester disponible dans les circuits de diffusion. Ce résultat est dû à la carrière de l'ouvrage, édité par des presses universitaires dans une collection spécialisée de sciences humaines, et qui a su pourtant trouver ses lecteurs bien au delà du seul monde académique. Car il est frappant de voir combien la restitution de cette histoire répond à la demande de connaissance et de récit d'un assez large public. Des personnes de tous types animées de curiosité intellectuelle, mais aussi nombre d'anciens immigrés et surtout de descendants de ces familles, Français de seconde, troisième voire quatrième génération qui aspirent à connaître cette part de leur héritage personnel et collectif. Il y a aussi un regain d'intérêt pour l'histoire locale de la part de toutes sortes d'associations, d'institutions patrimoniales voire de collectivités territoriales. Il est évident qu'un retour de mémoire s'est affirmé ces dernières décennies et continue sur cette dynamique. On ne compte pas les associations, amicales, comités de jumelage franco-italien ou autres structures locales souhaitant organiser des manifestations publiques permettant de transmettre l'histoire de l'immigration italienne. Ayant animé de nombreuses conférences sur le sujet et répondu à bon nombre d'invitations de ce type, je peux témoigner de l'engouement suscité et de la forte charge émotionnelle qu'ont souvent de tels moments d'échanges. L'anniversaire du cent-cinquantenaire de l'unité italienne, parce qu'il pouvait véhiculer la part de l'émigration dans l'histoire contemporaine de la péninsule, a aussi donné lieu à des manifestations culturelles et des publications renforçant cette tendance.

3Parmi toute une frange de la population d'ascendance italienne, on assiste en effet à la montée en puissance d'une curiosité des origines. Elle s'investit quand c'est possible autour du parcours des ancêtres migrants, souvent doublée d'une quête identitaire qui cultive ou fait resurgir la part d'italianité, quelle que soit la façon dont celle-ci a pu être plus ou moins préservée, transmise ou pas, affirmée ou au contraire niée, fantasmée voire réinventée. Dans certaines familles, semblables préoccupations, généralement portées et prises en charge par un des descendants, se traduisent par des démarches pour reconstituer la généalogie de la lignée et retrouver les indices relatifs à la rupture migratoire et au nouveau fondement qu'elle a provoqué. Ces démarches peuvent aussi s'accompagner de tout un travail pour renouer des liens interpersonnels distendus, retrouver des proches ou des collatéraux perdus de vu ou plus souvent parfaitement inconnus jusque-là. Les nouvelles technologies et leurs effets de d'agrégation favorisent ces dynamiques et en démultiplient l'impact ; on ne compte plus les sites généalogiques créés ou les réseaux sociaux mis en oeuvre à cette fin. Des liaisons réticulaires virtuelles réveillent en ce cas un sens de la famille élargie soudée par la reviviscence mémorielle autour d'une émigration pourtant souvent fort éloignée dans le temps. Certains choisissent de renouer lors de grands rassemblements conviviaux, comme ces cousinades réunissant facilement plusieurs dizaines voire quelques centaines de personnes qui se déroulent aux beaux jours dans diverses localités du Sud-Ouest et constituent, au dire de ceux qui y participent, des instants inoubliables.

4Le succès relatif de publication tient à ces effets de contexte et aux différents apports d'un ouvrage comme Immigrés d'Italie et paysans de France. Apporter sa pierre à une historiographie de l'immigration qui s'affine et s'approfondit depuis plus d'une vingtaine d'année, en mettant en lumière un cas emblématique de migration dans les campagnes, en prise avec les évolutions du monde rural et du secteur agricole. Dresser un panorama historique d'envergure permettant de replacer dans ce cadre des analyses monographiques plus ponctuelles et des données d'histoire locale souvent éparses. Fournir une base de compréhension et de contextualisation aux mille et un parcours privés et aux témoignages qui disent également cette histoire et la restituent à travers des récits de vie et de riches anecdotes vécues. J'ai plaisir à constater qu'un ouvrage scientifique, issu d'une thèse de doctorat, peut trouver ses lecteurs à la charnière de ces différents champs trop souvent cloisonnés. En ce sens, l'aventure intellectuelle que constitua le travail méthodique d'analyse des sources puis d'écriture, se prolonge désormais par une expérience relationnelle au long cours, au contact de ceux qui ont à voir avec cette histoire et souhaitent la voir remise au jour pour en faire un objet de discussions et de partage.