Chapitre 6. H. W. Bush et les révoltes étouffées par Mobutu en 1990 et en 1991

p. 81-107


Texte intégral

1Avant l’arrivée de Joseph-Désiré Mobutu au pouvoir en 1965, la présence diplomatique des États-Unis au Congo était pratiquement inexistante. Baptisé Congo belge en 1908, ce large territoire d’Afrique subsaharienne représentait la chasse gardée de la Belgique qui, durant la première moitié du xxe siècle, s’enrichit considérablement grâce aux énormes ressources minières congolaises. Avec les débuts de la guerre froide et la possibilité d’une accession à l’indépendance du Congo durant les années 1950, l’intérêt de Washington à l’égard de l’ancienne colonie belge grandit. De plus, l’arrivée au pouvoir en 1960 de Patrice Lumumba en tant que premier ministre – lequel, pour plusieurs du camp de l’Ouest, était sous l’influence de l’URSS – n’annonçait rien qui vaille pour la Maison-Blanche qui voulait endiguer tout gain d’influence possible des Soviétiques. Herman J. Rossi, alors employé de l’ambassade américaine à Kinshasa, décrivait ainsi la concurrence qui avait cours à ce stade au Congo :

Le Congo était en quelque sorte un mini-Vietnam dans la mesure où il était devenu le centre de la concurrence que se livraient l’Est et l’Ouest pendant la guerre froide en Afrique. L’Occident soutenait le gouvernement Mobutu, tandis que le bloc soviétique soutenait divers groupes rebelles. La taille du pays, la faiblesse et la corruption du gouvernement Mobutu et le mécontentement chronique qui régnait dans la partie orientale du territoire contribuaient à faire du Congo un pays instable et un terrain fertile pour la rébellion et la subversion. À l’époque, il existait une théorie largement acceptée des deux camps de la guerre froide selon laquelle la taille, les ressources et l’emplacement central du Congo faisaient de lui le moyen de dominer ou, du moins, d’influencer fortement toute l’Afrique1.

2Pour sa part, le secrétaire d’État de l’administration Kennedy, Dean Rusk, s’inquiétait d’une possible répétition de la débâcle cubaine au Congo : « [Ces deux pays sont] des trous importants [qui] ont été percés dans les lignes de trêve apparues après la Seconde Guerre mondiale […] Au Congo, au milieu de la confusion qui a suivi la fin du colonialisme, les communistes cherchaient rigoureusement à établir une base en Afrique centrale2. »

3Deux facteurs propulsèrent le colonel Mobutu au pouvoir dans la foulée de l’indépendance du Congo. D’un côté, le premier ministre Lumumba se montrait trop complaisant envers le camp de l’Est au goût de la Maison-Blanche, et comme l’ambassadeur américain au Congo Lewis Hoffacker l’indiquait : « Lumumba était charismatique, mais il était vulnérable à l’influence des Soviétiques qui l’auraient utilisé contre nos intérêts », concluant que « […] de toute façon, c’était trop tard. Il devait partir3. » De l’autre, le président Kasa-Vubu n’arriva jamais vraiment à avoir le contrôle de son régime et Washington ne le croyait pas capable de ramener le calme. Rappelons que l’ambassade américaine au Congo s’était opposée au départ des Casques bleus au début des années 1960 puisqu’elle pensait que Kasa-Vubu manquait de poigne et, comme l’ancien officier de la CIA à Léopoldville Howard Imbrey le précisait : « Kasa-Vubu n’a jamais été un personnage très important, il était plutôt mou et sans envergure4. » C’est dans ce contexte qu’un jeune colonel âgé d’à peine 30 ans, Joseph-Désiré Mobutu, se fit remarquer. Voici comment Larry Devlin, un agent de la CIA posté à Kinshasa, a relaté sa première rencontre avec Mobutu :

On m’avait donné un certain nombre de personnes à repérer et à évaluer. […] Même s’il n’avait que 29 ans à l’époque, tous ceux qui l’ont vu reconnaissaient son intelligence et sa présence ; il avait la prestance d’un dirigeant africain – comprenant ses partisans autant que ses adversaires ; il était la meilleure figure politique sur la scène. Nous avions besoin de lui et il avait besoin de nous5.

4Mobutu s’imposa rapidement comme une option opportune face à Lumumba et à Kasa-Vubu puisqu’il permettait à Washington de faire d’une pierre deux coups en rétablissant la stabilité au sein du régime et en assumant le rôle de rempart contre l’influence soviétique. Ainsi que l’a rapporté Victor D. Comras : « L’ambassade était très amicale avec Mobutu. Il était un leader jeune et prometteur dans les années 1960. Il était perçu comme pro-occidental, proaméricain et progressiste6. » Après avoir fomenté le départ de Lumumba, Washington ne perdit pas de temps pour comploter avec Mobutu afin de placer le président Kasa-Vubu sur la voie d’évitement en 1965. C’est donc sans surprise que la Maison-Blanche fut emballée par la nouvelle du coup d’État réussi de Mobutu la même année.

5Ici, il est clair que l’arrivée du militaire proaméricain Mobutu à la tête du Congo constitue un cas secondaire qui cadre avec nos prédictions théoriques, alors que pour la Maison-Blanche, une situation inquiétante de NR/NRN sous Lumumba et Kasa-Vubu avait été changée en une autre plus prometteuse de NR/NRP. Une fois la Belgique évincée à la suite de l’indépendance congolaise, l’influence sur cet État africain avait ensuite été disputée entre l’URSS et les États-Unis avant que ces derniers n’arrivent à rafler la mise avec l’arrivée de Mobutu au pouvoir. Le président John F. Kennedy avait tenu les propos suivants à son nouvel ami en mai 1963 : « Général [Mobutu], n’eût été de vous, tout se serait effondré [au Congo] et les communistes auraient pris le pouvoir7. » Qui plus est, les propos de l’ancien ambassadeur américain au Congo Lewis Hoffacker valident notre postulat théorique voulant que le gain d’influence sur le plan international représente un jeu à somme nulle pour les unités étatiques du système : « La menace communiste, bien sûr, était la raison pour laquelle nous étions là. Pour garder le Congo uni et les communistes au-dehors. Ils étaient déjà à la fenêtre. Mobutu était un instrument utile à cet égard. […] Son charme se résumait à cela. Il était commode pour notre gouvernement, moyennant un important soutien de la CIA8. » Dès lors, l’entente était simple : en échange de son intransigeance envers les communistes durant la guerre froide, Mobutu pouvait compter sur les États-Unis pour asseoir son pouvoir en interne. Là-dessus, une relation durable et profonde grandit entre Washington et Kinshasa durant ses vingt-cinq premières années au pouvoir.

La pré-crise

6Pour bien marquer la rupture avec le passé colonial belge et mettre en exergue un droit de paternité sur l’État qu’il fondait, Mobutu s’empressa de renommer le Congo belge du nom de Zaïre. Durant la guerre froide, bien que la bonne entente entre Mobutu et les différentes administrations en poste au Bureau ovale connût des hauts et des bas – comme ce fut le cas avec celle de Carter –, jamais la révocation de l’appui au dictateur ne fut réellement considérée comme une option envisageable. Victor D. Comras, un diplomate américain posté au Zaïre durant les premières années du colonel devenu maréchal, résumait ainsi la nouvelle amitié entre les deux pays : « Mobutu était un allié parfait. Ce fut une très bonne période dans les relations entre Mobutu et les États-Unis9. » Ainsi, la tiédeur diplomatique sous la présidence Carter ne constitua qu’un intermède, car mue par la doctrine Kirkpatrick, l’administration Reagan s’empressa de réparer les pots cassés avec Mobutu. Rappelons que malgré l’embarras provoqué à l’échelle internationale par les excès de Mobutu à l’intérieur de son régime, celui-ci répondait toujours présent lorsque la Maison-Blanche avait besoin de lui à l’ONU10. Par conséquent, en dépit de certaines frictions diplomatiques qui vinrent ponctuer la relation américano-zaïroise durant la guerre froide, pour autant qu’il demeurait résolument réfractaire à l’influence soviétique et pour autant qu’il conservait le pouvoir, Mobutu put à peu près faire ce qu’il voulait à l’intérieur des frontières de son pays. Dans leur typologie des dictateurs de 2011, Natasha Esrow et Erica Frantz placent Mobutu dans la catégorie des dictatures « personnalistes », c’est-à-dire des régimes qui concentrent tous les pouvoirs entre les mains d’un seul individu, faisant alors de sa personne le corps unique de l’État.

7C’était un secret de Polichinelle à la Maison-Blanche qu’il y avait un degré élevé de corruption au Zaïre. Au vu des sommes mirobolantes qu’il détourna à la tête du Zaïre, sa devise « toujours servir », adoptée lors de son intronisation en tant que maréchal du Zaïre, aurait tout aussi bien pu être « toujours se servir ». L’ancien ambassadeur Phillis E. Oakley parlait d’ailleurs en ces termes de la goinfrerie de Mobutu :

Il a essentiellement dirigé le Zaïre comme son fief personnel. Tout progrès réalisé était dû à son acquiescement ou à son approbation ; ce n’était le résultat d’aucune initiative bureaucratique systématique, ni d’aucune initiative de la population. Heureusement, le Zaïre possédait de nombreux atouts : minerais, pétrole, électricité, bon système de transport (rail et rivières), café, thé, produits alimentaires11.

8L’ambassadeur Michael Newlin décrivait l’ampleur du péculat mobutiste comme suit : « Tout cet or et ces diamants expédiés en Suisse… Mobutu et ses riches parents et amis ne faisaient aucun investissement dans le pays. Ils ont tout raflé12. » Au crépuscule de son règne, les ravages économiques dus au pillage opéré par Mobutu sur le trésor national étaient tels qu’à son départ, en 1997, alors que la population du pays avait triplé depuis son arrivée au pouvoir, le PIB du Zaïre demeurait sensiblement le même qu’en 1958 lors de la décolonisation belge.

9Mobutu dut – pour se maintenir aussi longtemps en poste – se montrer intraitable avec les éléments subversifs de son régime. Pour ce faire, il s’entourait d’une garde présidentielle mono-ethnique exclusivement formée de Ngbandis issus de sa région d’origine. En tant que commandant en chef de l’armée et président dont l’autorité suprême s’étendait à la force constabulaire, Mobutu s’assurait le contrôle unique des moyens de coercition de son régime. À ce titre, Brandon H. Grove, qui fut l’ambassadeur des États-Unis au Zaïre de 1984 à 1987, décrivait ainsi la peur qu’il insufflait à son peuple : « Mobutu était très craint au Zaïre, et son armée en particulier faisait très peur aux habitants des villages et des campagnes qui souffraient constamment de pillages, de brutalités et de viols commis par ses soldats sous-payés ou non rémunérés, qui extorquaient leur “salaire” aux villageois en leur volant de la nourriture, et faisaient en gros tout ce qui leur plaisait13. » Fort de ses appuis à Washington, le « Léopard de Kinshasa » eut toute la latitude requise pendant trois décennies pour mettre en place un régime à son image ; à savoir corrompu, répressif et mégalomane.

Le début de la crise

10À la fin des années 1980 et jusqu’à sa chute en 1997, la boulimie de pouvoir de Mobutu ne fit que s’accentuer. Mais, pour l’équipe Reagan, l’élasticité temporelle du mandat de Mobutu était une bénédiction puisque Washington pouvait encore compter sur l’aide du dictateur dans plusieurs dossiers. L’ambassadeur Brandon H. Grove résumait ainsi la bonne entente entre Washington et Mobutu à ce stade :

Il était devenu l’un de nos plus puissants alliés en Afrique. Il s’est rangé à nos côtés à l’ONU sur des questions importantes. Il a envoyé deux fois ses troupes pour rétablir l’ordre au Tchad. Nous le voyions comme le dirigeant puissant et tenace d’un grand pays entouré de neuf pays plus petits qu’il a contribué à maintenir dans l’orbite occidentale. En outre, Mobutu était une voix importante dans les conflits en Angola et en Namibie, et dans les négociations parrainées par les États-Unis14.

11Dans ce contexte, tant que Mobutu demeurait en bonne santé et conservait le contrôle de son régime, rien ne semblait devoir venir troubler son règne. Cependant, bien que Mobutu demeurât un allié utile à l’aube des années 1990 en tant qu’agent stabilisateur de l’Afrique subsaharienne, un vent de changement s’était mis à souffler un peu partout en Afrique et dans le monde en cette fin de guerre froide. Et, ce qui n’était pas pour aider Mobutu, le Zaïre fut plongé à partir de 1988 dans une crise économique profonde provoquée notamment par une baisse du prix du cuivre à l’échelle mondiale. Au-delà d’une soif pour la démocratie qui se faisait sentir de plus en plus en 1990, c’est surtout la faim du peuple zaïrois, chauffé à blanc par quatre années de crise économique, qui constitua la bougie d’allumage de la révolte qui éclata cette année-là.

La perte de contrôle non avérée

12Si, en surface, Washington et Kinshasa continuaient de se faire une cour assidue à la fin de la guerre froide, leur relation d’amitié allait bientôt être mise à l’épreuve par l’instabilité au Zaïre. Avant la tempête, Mobutu fut accueilli chaudement à la Maison-Blanche le 29 juin 1989 par le 41e président, George H. W. Bush :

Le président Mobutu, l’un des hommes d’État les plus expérimentés d’Afrique, a travaillé avec six présidents. Ensemble, nous avons cherché à amener au Zaïre et dans toute l’Afrique un réel progrès économique et social, ainsi que la véritable indépendance, la sécurité et la stabilité en tant que bases de ce développement. […] Et nous sommes impatients de poursuivre la coopération entre nos pays. Monsieur le Président, les liens d’amitié forts entre le Zaïre et les États-Unis perdurent et prospèrent. Et nous sommes fiers et très heureux de vous compter aujourd’hui parmi nous15.

13Or, avec la fin de la guerre froide, l’anticommunisme de Mubutu était devenu moins important que sa capacité à stabiliser la région. Le problème, c’est qu’après bientôt trois décennies au pouvoir, le régime mobutiste – à l’instar de celui qui l’incarnait – commençait à montrer des signes de fatigue. Comme le soulignait William C. Harrop à cet égard :

La situation politique intérieure [au Zaïre] se détériorait rapidement. Il y avait des demandes de démocratie. Il [Mobutu] a été soumis à de fortes pressions lorsque l’économie s’est désagrégée, en particulier après 1990, avec l’effondrement de l’Europe de l’Est, où partout on appelait à la démocratie. Il était clair que les aspects de nos relations qui étaient liés à la guerre froide allaient devenir beaucoup moins importants. Les vents de la démocratie balayaient le monde entier. Il [Mobutu] devait y être sensible et il devait y répondre. La situation est devenue très tendue au Zaïre après 199016.

14Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, il y a deux insurrections qui apparaissent, par leur ampleur, comme les prémices de la chute de Mobutu en 1997.

15En premier lieu, un vent de contestation souffla en mai 1990 à l’Université de Lubumbashi (la deuxième plus grande ville du Zaïre) après que Mobutu eut annoncé le report des élections, qu’il avait pourtant promis de tenir quelques mois plus tôt. Exaspéré par les atermoiements volontaires de Mobutu, un groupe d’étudiants universitaires voulut manifester pacifiquement et publiquement son indignation. Même si les sources fiables sont rares sur ce sujet, la version officielle ne parlant que d’un affrontement étudiant interethnique, une reconstitution plus crédible des événements pourrait ressembler à ce compte rendu succinct. Après que des étudiants se furent mis à manifester sur le campus le 9 mai, ceux-ci auraient démasqué deux jours plus tard dans leurs rangs trois informateurs mobutistes chargés de fournir les noms des opposants au régime à la police ; en résultante, les étudiants s’attaquèrent aux taupes mobutistes. Cependant, Mobutu, averti de l’agitation estudiantine et de la capture de ses agents doubles étudiants ngbandis, opposa avec son corps d’élite de la Division spéciale présidentielle (DSP) une réponse implacable et sans appel. Même si le nombre réel de victimes du massacre qui s’ensuivit ne fut jamais connu – les chiffres avancés par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en décembre 1990 oscillaient entre 23 et 150 morts – en raison de l’opacité entourant le « nettoyage » du campus qui suivit pour faire disparaître les traces de la tuerie, la réaction illustre à quelles extrémités Mobutu était prêt pour se maintenir au pouvoir.

16En second lieu, l’exaspération à l’endroit de Mobutu ne touchait pas que les étudiants, et à la fin de septembre 1991, celle-ci se fit sentir jusque chez les membres de l’armée zaïroise. Car si les proches de Mobutu ou les membres de son ethnie continuaient à mener grand train, la majorité du peuple zaïrois était affamée et appauvrie par la gestion calamiteuse des pouvoirs publics et les soldats ne faisaient pas exception. Excédée du non-paiement des soldes, une frange de l’armée en vint à se mutiner en septembre 1991 dans les rues à Kinshasa. Durant deux jours, soit les 23 et 24 septembre, des soldats appuyés par une foule d’émeutiers pillèrent la capitale. Melissa Wells, l’ambassadrice américaine au Zaïre à cette période, relatait :

Maintenant, pour en revenir aux troubles de septembre 1991, ce qui s’est passé est qu’en raison des problèmes économiques du Zaïre, l’armée était payée très irrégulièrement. Ils ont été payés en retard ou seulement certains d’entre eux ont été payés, mais tôt un matin de septembre 1991, nous avons appris qu’une unité militaire s’était mutinée devant l’aéroport international de Kinshasa, qu’elle avait saccagé celui-ci, que les soldats descendaient la route principale en direction de Kinshasa et que, bien sûr, la population les rejoignait en pillant tout ce qui se présentait devant elle, brûlant des voitures et ainsi de suite17.

17Bien sûr, le chaos se répandant comme une traînée de poudre dans une ville comptant cinq millions d’habitants, des civils se joignirent aux soldats mutinés, ce qui créa une véritable marée humaine de Kinois en colère qui, après avoir pillé et mis à sac les boutiques de Kinshasa, se dirigèrent vers les banlieues cossues pour y lyncher ceux qui avaient depuis trop longtemps bénéficié des largesses du régime. D’après Sean Kelly dans son livre de 1993, afin d’apaiser la grogne, Mobutu opta pour une solution temporaire en se tournant encore une fois vers la planche à billets et fut en mesure d’injecter des fonds massifs pour payer les soldats mécontents.

18Enfin, pour faire taire les critiques internes et externes entourant le système de parti unique du Mouvement populaire de la révolution (MPR) que dirigeait Mobutu, ce dernier consentit en 1991 à réinstaurer le multipartisme. Ainsi, en lâchant un peu de lest en donnant l’espoir qu’une démocratisation du Zaïre était entamée, tout en demeurant le seul détenteur des pouvoirs militaires, Mobutu mania tantôt le bâton, tantôt la carotte. Et bien que la contestation montât au Zaïre en 1990 et en 1991, tant Washington que Mobutu gardaient en mémoire le fait que le Léopard de Kinshasa avait toujours été capable jusqu’alors de garder la haute main sur son régime, qu’il avait notamment réussi à étouffer les révoltes étudiantes de 1969 et de 1971, fait avorter un coup d’État militaire en 1972, et avait réprimé les deux insurrections du Katanga en 1968 et en 1977.

Les options de la Maison-Blanche

19Tout au long de son règne, Mobutu porta une attention particulière à éliminer les rivaux potentiels capables de le remplacer à la tête du Zaïre, ainsi que le rapportait l’ancien ambassadeur Robert B. Oakley : « Mobutu a toujours été très habile pour s’assurer qu’aucun concurrent ne deviendrait viable. Il se débarrasserait de quiconque pourrait avoir des aspirations [à le remplacer]18. » Thompson R. Buchanan, qui avait été directeur du Central African Affairs de 1975 à 1977, renchérissait :

Mobutu est un maître du « diviser pour régner » et, dans une société tribale, cela n’est pas trop difficile. Nous étions tous parfois tentés d’essayer de jouer au jeu auquel nous avions joué ailleurs, en nous disant : « Bien, évidemment, notre homme est un escroc (ou un ennemi idéologique, ou un incompétent) et nous devrions trouver quelqu’un d’autre pour le remplacer. » Mais nous savions tous où cette politique nous avait conduits dans le passé. […] Le processus de réflexion revenait sans cesse à « Oui, c’est un bâtard, mais c’est notre bâtard » et nous devrions essayer de le réformer19.

20Pour s’assurer d’être la seule option sur la table au Zaïre, autant aux yeux de son peuple qu’à ceux des puissances étrangères, Mobutu faisait donc taire toute forme de dissidence par d’habiles manigances. Comme le mentionnait l’ambassadeur Brandon H. Grove, en poste au Zaïre de 1984 à 1987 :

À cette époque, personne au Zaïre ne pouvait directement contester Mobutu. Tout comme N’guz Karl-i-Bond, des leaders de l’opposition comme Étienne Tshisekedi et des membres de son parti UDPS vivaient en exil en Belgique. Notre ambassade à Bruxelles a maintenu des contacts de base avec ces personnalités, suscitant la suspicion et la colère de Mobutu20.

21C’est donc sans surprise qu’en 1990 et en 1991, les candidats pouvant potentiellement remplacer Mobutu – pour permettre une commutation harmonieuse de l’influence acquise – se faisaient rares pour la Maison-Blanche, advenant son départ forcé. Rappelons qu’après avoir permis la réinstallation du multipartisme, le régime mobutiste avait vu pulluler pas moins de 200 partis politiques, ce qui, du point de vue de la stabilité future d’un régime sans Mobutu au pouvoir, inquiétait Washington. Les propos de l’ambassadeur américain Harrop en poste à Kinshasa à cette période sont éloquents :

Le sentiment qui régnait à Washington – et qui était formulé assez clairement par le Conseil de sécurité nationale et par les personnalités proches des plus hautes sphères du département d’État – était qu’on ne cherche pas à la légère à se débarrasser d’un dirigeant sans savoir qui le remplacera, surtout dans une situation instable. Mobutu était le diable que nous connaissions, etc. Washington me demandait de préciser ce qui viendrait après lui. Ma réponse serait qu’il y avait plusieurs options possibles et plusieurs dirigeants compétents qui pourraient intervenir, cependant je ne pouvais pas prédire ce qui prévaudrait. Je ne savais pas21.

22Sur un ton plus diplomatique, Herman J. Cohen, le délégué aux affaires africaines du département d’État, disait pour sa part le 6 novembre 1991 : « Nous pensons qu’il a toujours un rôle à jouer au Zaïre jusqu’à ce que leur élection ait lieu22. » À cet égard, les deux émeutes auxquelles fut confronté Mobutu au début des années 1990 représentent des cas de figure où le statu quo entre Washington et un dictateur ami pouvait être maintenu en vertu de l’absence d’une perte de contrôle. Justement, le peu d’écoute qu’a reçu l’ambassadeur Harrop par rapport à son plan de distanciation avec le dictateur zaïrois cadre parfaitement avec nos prédictions théoriques :

Au cours de la dernière année et demie de mon séjour là-bas, j’étais devenu très frustré parce que je ne pouvais pas obtenir une oreille attentive à Washington pour ma recommandation répétée de nous dissocier de cet homme [Mobutu]. J’étais convaincu qu’il n’était plus dans notre intérêt de nous identifier si étroitement à lui. Je pensais que nous ne devions plus lui donner le genre de soutien américain qu’il avait reçu. Il a utilisé ses relations américaines avec une grande habileté [pour influer sur la] politique intérieure. La vision qu’il cultivait était : « Vous ne pouvez pas vous passer de Mobutu. C’est l’homme des Américains. » Je voulais que l’on abandonne ce point de vue, mais je prêchais dans le désert chez moi pour toutes les raisons que j’ai mentionnées, ainsi que, je suppose, parce qu’un autre argument était plus communément relayé que le mien à Washington. Par exemple, j’ai inséré dans notre « Plan des buts et objectifs » pour l’année suivante, celle de 1991, l’objectif principal de la dissociation progressive d’avec Mobutu. Celui-ci est revenu raturé, avec le commentaire : « On ne peut pas faire ça, soyons sérieux. C’est hors de question23. »

23En somme, confrontée à un dilemme cornélien entre la volonté de se dissocier progressivement de Mobutu et celle d’assurer une transition démocratique pacifique, l’administration Bush opta finalement pour l’inertie.

La décision

24Suivant notre théorie, le statu quo de la relation amicale – s’il est possible en raison de l’absence de perte de contrôle d’un dictateur sur son régime – sera toujours préféré à une autre configuration avec des dirigeants incapables de prendre le contrôle du régime. Or, bien qu’ébranlé par les remous de 1990 et de 1991, Mobutu conserva néanmoins le contrôle de son régime jusqu’en 1997, grâce à la bonne prise qu’il conservait sur l’armée en vertu du népotisme ethnique qu’il avait instauré. Comme le confirmait Harrop : « Malgré le fait qu’il ait de temps en temps des problèmes avec des unités militaires dans différentes régions, je pense que son succès et sa résistance au cours des dernières années sont certainement dus, en grande partie, à l’utilisation des militaires et à leur loyauté incontestable envers lui24. » Étant toujours en mesure d’acheter la loyauté de ses troupes, Mobutu était encore l’option privilégiée par les Américains pour assurer la sauvegarde maximale de l’influence acquise sur le Zaïre en 1990-1991. Après avoir déclaré : « Nous le tenons donc pour responsable et nous lui avons dit qu’il devait céder le pouvoir à quelqu’un d’autre, de préférence à l’opposition, afin qu’une transition vers des élections libres et équitables puisse avoir lieu25 », Herman J. Cohen se ravisa – fort probablement après s’être fait rabrouer par ses supérieurs – pour finalement dire le lendemain : « Nous ne lui demandons pas de partir. Nous estimons qu’il devrait rester président afin de pouvoir contrôler les forces militaires jusqu’à la tenue d’une élection ; laquelle permettra au peuple d’enfin décider26. » Cela dit, l’incertitude entourant un départ rapide de Mobutu n’enchantait guère Washington. Sans pour autant affirmer que la pérennité de l’appui américain à Mobutu allait de soi, il est sûr que l’éventualité d’un flottement politique créé par son renversement immédiat représentait une option peu attrayante pour Washington vu qu’une déstabilisation ou un morcellement du régime impliqueraient fort probablement une perte d’influence acquise américaine au Zaïre.

Deux épilogues : Mobutu se cramponne au pouvoir (AR/ARP) et Kabila arrive en scène en expulsant Mobutu (NR/NRP)

25L’expression « qui ne dit mot consent » exprime bien la posture qu’adopta finalement l’administration Bush à l’égard de la répression orchestrée par Mobutu pour conserver le pouvoir après la fin de la guerre froide. Lorsqu’il fut interrogé, en 1993, sur les motivations de l’appui persistant des États-Unis à Mobutu malgré la fin de la guerre froide, Harrop tint des propos qui cadrent parfaitement avec notre argument théorique concernant la préférence pour le statu quo lorsque celui-ci est ce qui permet le mieux la CMIA :

Il y a toujours une inertie en politique, une réticence à prendre des initiatives risquées ou parfois même n’importe quelle sorte d’initiatives. « Si ce n’est pas brisé, on ne le répare pas »… On peut l’entendre comme un appel à ne pas perturber un système politique quand cela risque de créer plus de chaos que vous ne l’avez déjà fait et que vous ne savez pas ce qui va le remplacer. L’argument est court : ça pourrait devenir pire. Vous avez au moins une certaine influence sur le système actuel et vous n’aurez peut-être aucune influence sur celui qui le remplacera. Certaines personnes, je suis désolé de le dire, ont dit : « Regardez, nous avons certaines obligations envers cet homme qui a coopéré avec nous maintes et maintes fois, quoi que vous puissiez penser de lui moralement27. »

26Même si, à ce stade, l’ambassadeur Harrop aurait souhaité que ses patrons à Washington désavouent Mobutu de façon graduelle, ce dernier se maintenait bien en selle en réprimant avec force la vindicte populaire. En tant que collaborateur de longue date, fort utile relativement à plusieurs dossiers depuis un quart de siècle, Mobutu put, jusqu’à l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila du moins, compter sur le mutisme de Washington à son égard. Par contre, la rengaine d’autrefois : « Mobutu pourrait tenir le coup ; personne d’autre ne pourrait le faire. Il est notre homme. Nous devons rester avec lui28 », commença à afficher des rides après l’arrivée au pouvoir de l’administration Clinton. Pour celle-ci, la question du départ de Mobutu relevait moins du « quand » que du « comment ». Malgré tout, contrairement à la chute rapide de Mobutu à laquelle on se serait alors attendu, le Léopard vieillissant arriva néanmoins à rester au pouvoir jusqu’en 1997.

Le premier épilogue : Mobutu s’accroche tant bien que mal au pouvoir (AR/ARP)

27En pensant que Mobutu allait flancher sous peu, deux stratégies furent successivement adoptées de 1992 à 1997 par l’administration Clinton : d’une part, l’attentisme, en misant sur un départ volontaire (ou la mort) de Mobutu, et d’autre part, la défection au profit de son remplaçant pressenti. D’emblée, pour plusieurs membres de la nouvelle administration démocrate arrivée en janvier 1993, le maintien des liens avec le Léopard de Kinshasa n’était plus souhaitable. Le refus de Clinton d’accueillir Mobutu en sol américain en 1993 et le retrait presque entier de l’aide financière américaine étaient deux symptômes évidents d’une rupture à venir entre la Maison-Blanche et Mobutu. Ces rebuffades découlaient du fait que la Maison-Blanche pensait que Mobutu ne serait pas en mesure de demeurer encore longtemps au pouvoir. Rappelons que peu avant son départ de Kinshasa à la fin de 1991, l’ambassadeur Harrop prévoyait une chute rapide de Mobutu :

J’ai précisé [dans mon rapport de clôture] qu’à mon avis, Mobutu n’allait pas régner encore longtemps. Je pense avoir prédit qu’il ne pourrait durer que de sept à dix mois de plus, étant donné les pressions internes et internationales. J’ai écrit que la situation s’effondrait autour de lui, il avait détruit son pays, les gens commençaient à avoir faim et l’opposition grandissait. Je m’attendais à ce qu’il y ait encore plus de chaos au Zaïre et à ce que Mobutu soit chassé du pouvoir. Si les États-Unis étaient perçus comme soutenant le dictateur contre la volonté du peuple, notre influence auprès de ses successeurs ne pourrait être qu’atténuée, et cela dans le meilleur des cas29.

28D’aucuns pourraient arguer ici que notre théorie peine à expliquer la distanciation recherchée par Clinton envers Mobutu alors qu’aucun protégé de la Maison-Blanche ne semblait être à la hauteur pour reprendre le pouvoir une fois Mobutu parti. D’une part, s’il est vrai que le torchon brûlait déjà entre Mobutu et Clinton peu après son arrivée au Bureau ovale, un dialogue diplomatique constant se poursuivait entre Kinshasa et Washington. Rappelons qu’un rapport de Human Rights Watch de juillet 1994 exposait le décalage évident entre le vitriol de la rhétorique de l’administration Clinton et les sanctions trop molles adoptées à l’égard de Mobutu. D’autre part, avant de ranger notre théorie au placard pour l’explication de la rupture entre Clinton et Mobutu, il est important de situer le moment exact du point de bascule où cette administration a explicitement indiqué à Mobutu qu’il devait partir.

29En dépit des critiques émises à l’endroit de Mobutu, l’administration Clinton ne l’abandonna qu’après que Paul Kagame, l’ami africain du moment, eut présenté à Clinton la possibilité de commuter l’influence acquise des États-Unis au Zaïre par l’entremise d’une prise du pouvoir de Laurent-Désiré Kabila. La preuve en est que lorsqu’il fut interrogé sur le départ possible de Mobutu à peine un mois avant son exil forcé en raison de l’avancée des rebelles, le porte-parole du département d’État, Nicholas Burns, se gardait encore de dire publiquement que le maréchal devait abdiquer : « À savoir si M. Mobutu devrait ou non démissionner, c’est une question à laquelle les dirigeants politiques et le gouvernement zaïrois doivent répondre. C’est vraiment à lui. C’est à ses associés politiques, à ses adversaires politiques et au peuple zaïrois de décider de ce qui adviendra30. » L’abandon effectif est donc plutôt survenu à la fin de ce même mois d’avril 1997, au cours d’une rencontre entre le maréchal malade et Bill Richardson, l’ambassadeur américain au Zaïre. En situant le point de bascule en 1997, notre théorie arrive à expliquer l’évolution entre l’attentisme de la Maison-Blanche et sa défection finale à l’égard de Mobutu. De fait, cette dernière phase du règne de Mobutu constitue un cas secondaire particulièrement intéressant pour notre étude.

30Mentionnons d’emblée que sous le vernis des sanctions économiques à l’égard de Mobutu ou les discours entourant la démocratisation du Zaïre, la prise de distance de Washington vis-à-vis de son ancien proche collaborateur zaïrois ne signifiait pas pour autant la consécration d’un point de bascule à son égard. Avant l’arrivée d’un leader capable de le remplacer, la politique d’inertie de Clinton quant à la transition post-Mobutu au Zaïre resta sensiblement dans la continuité de la politique suivie par l’administration républicaine qui l’avait précédé. L’attentisme manifesté par Washington à l’égard du règne de Mobutu connut deux phases : d’une part, l’attente de son départ volontaire et d’autre part, l’expectation de sa mort, en raison du cancer qui l’affligea à partir de 1995.

31En 1993 et en 1994, l’administration Clinton voulait, d’un côté, pousser Mobutu à abdiquer par lui-même et, de l’autre, elle ne voulait pas trop s’investir directement dans son remplacement. Sur ce dernier aspect, l’ancien ambassadeur à Kinshasa, Michael Cotter, a raconté : « Nous pouvions rechercher et essayer de former des personnes qui pourraient être des successeurs, mais c’était une entreprise risquée au Zaïre. Si quelqu’un était trop identifié aux États-Unis, il risquait fort de ne plus trouver d’emploi31. » Pour ajouter à la difficulté, par un jeu de bonneteau institutionnel dont lui seul connaissait le secret, Mobutu arrivait tant bien que mal à conserver le pouvoir en nommant et en révoquant les ministres de son gouvernement à un rythme effarant. Dès lors pour Washington, le maintien en poste de Mobutu représentait encore et malgré tout un pis-aller pour éviter l’éclosion d’une situation chaotique au Zaïre. Les propos, rapportés par Peter J. Schraeder en 1994, de deux sources œuvrant dans les hautes sphères du département d’État sous Clinton vont clairement dans ce sens :

« Indépendamment du fait que nous ne soyons plus confrontés à une menace communiste », expliquait cet officier, « la déstabilisation du Zaïre – qui est bordé par neuf autres pays africains – pourrait avoir un impact extrêmement négatif sur la stabilité régionale ». Tout en pressant doucement Mobutu de « reconnaître l’inévitable » et « d’accepter l’implication croissante des hommes politiques de l’opposition », comme Étienne Tshisekedi, le dirigeant de l’UDPS [Union pour la démocratie et le progrès social] élu premier ministre par les délégués de la conférence nationale sur la démocratie en septembre 1992, l’approche fut tempérée par la conviction profondément enracinée « qu’un Zaïre sans Mobutu pourrait être entraîné dans le chaos ». Un diplomate américain ayant beaucoup d’expérience dans cette région affirma : « Il n’est pas dans notre intérêt que Mobutu disparaisse soudainement puisque, entre-temps, la situation pourrait se révéler chaotique32. »

32Toutefois, après 1995, l’expression « tout vient à point à qui sait attendre » prit tout son sens et une seconde stratégie d’attentisme fut mise à profit par l’équipe Clinton qui espérait désormais que la maladie ferait passer Mobutu directement du trône à la tombe.

33À partir de 1995, il fut connu de tous que la santé de Mobutu se dégradait de jour en jour. David R. Adams, du Interagency Task Force on Zaire, se souvenait ainsi que celui-ci était malade vers la fin de l’été 199533. La stratégie dès lors consista tout simplement à attendre que Mobutu succombât au cancer de la prostate qui l’affligeait. Pour Washington, la mort naturelle de Mobutu permettait une transmission harmonieuse des pouvoirs à Kinshasa par la tenue d’élections libérées de toutes manipulations. Si, dans leur attentisme initial, les États-Unis voulaient pousser Mobutu à quitter le pouvoir de lui-même en lui coupant les vivres, à compter de 1995, le sachant malade, la Maison-Blanche misa alors sur la précarité de sa santé pour que son départ « définitif » se concrétisât. En misant sur le fait que le ou les successeurs auraient forcément besoin d’entrer dans les bonnes grâces de l’administration Clinton pour les aider à remettre le Zaïre sur ses rails, ne serait-ce que sur le plan économique, la Maison-Blanche pouvait envisager l’avenir avec confiance. Toutefois, la Maison-Blanche sousestima la combativité de Mobutu devant la maladie et celui-ci ne mourut pas en poste, mais bien en exil. Les inconvénients de cette situation sont analysés sans détour par Cotter :

Malheureusement, Mobutu n’est pas mort subitement. Ces scénarios fonctionnent toujours mieux lorsque le chef de l’État meurt subitement [...]. Dans le cas d’une maladie persistante comme celle de Mobutu, la situation se détériore lentement et la première chose que vous savez, c’est qu’il existe une rébellion dans une région reculée de l’est du pays, dirigée par quelqu’un [Laurent-Désiré Kabila] dont personne en Occident ne sait rien de rien34.

34Après avoir longtemps fait contre mauvaise fortune bon cœur face à la pugnacité de Mobutu à s’accrocher autant à la vie qu’au pouvoir, ce n’est qu’après s’être rapprochée de Laurent-Désiré Kabila que l’administration Clinton put finalement montrer la porte à Mobutu en 1997.

Le deuxième épilogue : Kabila renverse Mobutu et prend le pouvoir (NR/NRP)

35Le comportement de la Maison-Blanche envers Mobutu après 1996 cadre lui aussi avec notre argument théorique qui postule que la Maison-Blanche abandonne un dictateur en difficulté dans son pays si et seulement si elle pense être en mesure de commuter son influence d’hier avec le ou les nouveaux détenteurs du pouvoir. Ici, le fait que Clinton a finalement abandonné Mobutu à la fin d’avril 1997 après avoir soutenu l’arrivée de Kabila cadre avec la recherche de la CMIA. Selon Howard W. French (2005), fatiguée par la pugnacité de Mobutu à s’accrocher à la vie et au pouvoir, la Maison-Blanche misait désormais sur l’avancée des rebelles de Laurent-Désiré Kabila pour voir un changement de garde à Kinshasa qui lui serait favorable.

36En octobre de la même année, soit deux mois après que Mobutu eut été opéré à Lausanne, des pays voisins (Rwanda, Ouganda et Burundi) décidèrent d’aider l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par Kabila à attaquer le Zaïre. Bien qu’officiellement surprise par cette attaque concertée, la Maison-Blanche considéra que ce coup de force arrivait à point nommé puisqu’il lui permettait d’enfin lâcher son languissant ex-ami Mobutu. En citant des sources anonymes, le journaliste Colum Lynch révélait ceci :

En tout cas, le rôle des États-Unis [dans le renversement de Mobutu] a été plus important que ce qui a été publiquement reconnu. Selon plusieurs membres de l’administration, des responsables américains basés au Rwanda avaient pris contact dans les premières semaines du conflit avec les rebelles de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo. Ils ont affirmé que Peter Whaley, le numéro deux de l’ambassade des États-Unis à Kigali, au Rwanda, s’était rendu dans l’est du Zaïre pour rencontrer Kabila à au moins douze reprises35.

37Qui plus est, quoique la version officielle prétendît que l’appui américain à Kabila ne commença qu’en 1997, le spécialiste François Ngolet (2000) avance que le soutien américain à Kabila débuta en fait en 1996, lors d’une rencontre informelle en sol américain entre Bill Clinton et son ami Paul Kagame. Toujours selon Ngolet, durant cette rencontre, Kagame fit part à son homologue américain de son projet d’envahir le Zaïre avec l’aide de Kabila. À la suite de cet entretien, des contacts soutenus débutèrent ensuite entre Kabila et certains diplomates américains qui le visitèrent à plusieurs reprises dans son fief de Goma.

38Dès lors, si, sur le plan officiel, les États-Unis n’intervenaient pas directement dans le conflit, en finançant et en entraînant l’armée de Kagame – qui avait pris sous son aile Kabila et avait l’ambition de l’installer à la tête du Zaïre –, Washington, ce faisant, patronnait indirectement ce dernier. C’est donc par ces jeux de coulisses que Clinton pouvait désormais montrer la porte à Mobutu et commuter son influence de façon indirecte par un mariage de convenance avec Kabila, dont le « célébrant » était Kagame. Rapportés par le Washington Post, les propos d’une source officielle anonyme légitimaient l’appui aux forces rwandaises de la sorte :

Les responsables américains défendent cette collaboration en affirmant qu’il est plus sage de coopérer avec le Rwanda pour l’aider à développer une culture des droits de l’homme que de se retirer et de risquer une retombée du pays dans le chaos. L’effort de soutien et de renforcement de l’armée rwandaise est « une question d’intérêt politique pratique et de bon sens », de l’avis d’un responsable de l’administration Clinton. « Si la diplomatie échoue et si le conflit ethnique s’aggrave, il faut que quelqu’un soit en mesure de le contenir36. »

39Allant lui aussi dans le sens de notre argument théorique, un autre membre de l’administration Clinton, sous le couvert de l’anonymat, résumait ainsi le plan d’abandon de Mobutu en 1997 : « Alors qu’il reste encore une chance de persuader le chef rebelle, Laurent Kabila, d’élargir sa coalition et d’organiser des élections démocratiques, il faut pousser Mobutu Sese Seko – un homme corrompu et malade – à démissionner avant que le Zaïre ne s’effondre complètement37. » De l’autre côté du spectre, lors de ses premières rencontres avec l’ambassadeur des États-Unis aux Nations unies, Bill Richardson, Kabila semblait être un impétrant idéal pour la suite des choses. Les propos que Richardson avait tenus à Kabila à l’occasion de leur première rencontre à sa villa en 1997 attestent la naissance d’une relation positive entre les deux gouvernements :

Je lui ai dit que s’il souhaitait une relation positive avec les États-Unis, la démocratie, les droits de l’homme et l’économie de marché seraient importants. […] Je lui ai aussi dit qu’il allait avoir besoin de nous. C’est là que la percée a eu lieu et que nous avons établi un lien, et l’ambassadeur [Daniel H. Simpson] a même reçu son numéro de télécopieur et son numéro de téléphone38.

40Dès lors, maintenant qu’on pouvait envisager d’un bon œil l’arrivée de Kabila, le temps était venu de lâcher Mobutu pour de bon, ce qui fut diligemment fait par Bill Richardson durant un échange où la diplomatie céda le pas à la franchise. Cet ambassadeur résumait sa dernière rencontre avec lui de la sorte :

Je lui ai donné une note du président lui disant qu’il était temps de partir, mais ses conseillers l’avaient convaincu que ses forces militaires encore loyales avaient encore une chance de repousser Kabila. Il pensait toujours qu’il pourrait rester au Zaïre. Je lui ai donc dit en termes très francs : « Vous vivez dans un monde irréel si vous pensez que cela se terminera selon vos conditions. Je parle au nom du président des États-Unis lorsque je vous dis que notre soutien à votre égard est terminé. Vous faites maintenant partie de l’histoire au Zaïre. Vous pouvez partir avec votre dignité et votre argent ou vous pouvez partir les pieds devant. Ce qui est clair, c’est que vous allez devoir partir. » Quoique frêle et fortement affaibli par le cancer, Mobutu avait alors l’air de vouloir me frapper avec sa canne39.

41Cette page fut définitivement tournée avec l’exil de Mobutu le 17 mai 1997. De façon regrettable pour Washington ensuite, Kabila ne fut pas à la hauteur des attentes puisqu’il peina à rétablir l’ordre et les trois années qui suivirent furent chaotiques. Attaqué sur plusieurs fronts dès 1998, début de la deuxième guerre du Congo, le régime de Laurent-Désiré Kabila se fragmenta rapidement en différentes factions rebelles. D’autre part, Kabila revenant sur ses promesses dès ses premiers mois de règne, la lune de miel avec la Maison-Blanche ne dura pas et malgré son élection à la présidence, l’administration Clinton décida de l’abandonner à son tour. Après trois années d’enlisement du nouveau régime, l’assassinat de Kabila par un soldat de sa garde rapprochée orchestra l’arrivée de son fils, qui en définitive se montra pour la Maison-Blanche un vis-à-vis plus raisonnable que son père. Aubrey Hooks, ambassadeur des États-Unis de la République démocratique du Congo, disait notamment qu’à son arrivée en 2001, il trouva que le jeune homme était moins capricieux que ce dernier40. Dès lors, par cette ironie du destin qu’accepte pourtant la théorie, après avoir aidé Laurent-Désiré Kabila à prendre le pouvoir et après avoir souhaité qu’il le perdît, la commutation de l’influence acquise passait désormais pour Washington par le soutien de son fils, lequel sera finalement resté en poste à Kinshasa jusqu’en 2019.

***

42La réaction de Washington au début de la chute de Mobutu cadre en tous points avec les prédictions avancées suivant notre argument théorique de la recherche de la CMIA. Au début des révoltes antimobutistes, de 1990 et de 1991, Mobutu put néanmoins bénéficier d’un sursis du point de bascule de la Maison-Blanche à son endroit. Malgré la faillite évidente de son régime après 1990, Mobutu, en maintenant sous son contrôle les dirigeants de l’armée et de la police, conservait encore un ascendant stabilisateur sur son régime. Mais Mobutu fut abandonné par la Maison-Blanche après le départ de son vieil ami George H. W. Bush et une fois que Bill Clinton décida d’appuyer indirectement Kabila par le truchement de Kagame pour commuter son influence au Zaïre – renommé peu après République démocratique du Congo. Le tableau 6.1 reprend chacun des stades empiriques de la fin du régime Mobutu, de la première vague des révoltes zaïroises de 1990-1991 jusqu’à la chute de Mobutu en 1997, en les comparant avec nos prédictions théoriques.

tableau 6.1. Le bilan des révoltes muselées par Mobutu en 1990 et en 1991

Stade de la crise Années concernées La théorie du point de bascule prédit que… Cours des événements Applicabilité Oui/Non
Pré-crise 1965-1990 En l’absence de révolte, la Maison-Blanche appuie un dictateur ami pour sa propension à collaborer avec Washington. Mobutu bénéficia de l’appui de la Maison-Blanche puisqu’il était garant de la stabilité et des intérêts américains en Afrique centrale. Oui
Début de la crise La révolte étudiante du 11 et du 12 mai 1990. Le déclenchement d’une vague de contestation représente un élément perturbateur qui, à court ou à long terme, peut mener à la chute d’un dictateur. Bien que la révolte des étudiants de l’Université de Lumumbashi eût été réprimée durement, elle fit figure d’événement inaugural pour la suite des choses. Oui
Durant la crise Les émeutes et le pillage des 23 et 24 septembre 1991. Malgré la répression initiale, l’insurrection peut perdurer à court ou à long terme. Après deux jours d’émeutes et de pillages à Kinshasa conduits par une frange de l’armée, Mobutu achète la paix en augmentant la solde de ses soldats. Ce faisant, il arrive à rétablir le calme dans les rues. Oui
Examen des options 1991 En l’absence d’une perte de contrôle d’un dictateur ami sur son régime, il n’y a pas de point de bascule à son égard. Conservant la haute main sur les pouvoirs coercitifs, Mobutu demeurait l’option la plus fiable pour la conservation maximale de l’influence acquise, en raison du chaos politique et social qui aurait suivi son départ immédiat du Zaïre. Oui
Décision américaine en l’absence d’une perte de contrôle de la part du dictateur 1990-1991 La Maison-Blanche n’abandonnera pas un dictateur ami si celui-ci est en mesure de conserver le contrôle de son régime à court terme. Cependant, advenant une aggravation de la crise, la Maison-Blanche devra examiner quelles options elle a, sur le terrain, pour commuter son influence acquise avec un nouveau gouvernement qui remplacera celui du dictateur ami. La Maison-Blanche n’abandonna pas Mobutu au début des révoltes qui secouèrent le Zaïre puisque, à cette époque, il était encore en mesure de conserver le contrôle de son régime. Ce n’est qu’après une aggravation prolongée de la crise que l’administration Clinton abandonna Mobutu en 1993. Oui
Résultats 1992-1997 Scénario AR/ARP : lorsqu’un dictateur ami est capable de mater la révolte, la relation est maintenue et le statu quo demeure. Cependant, Washington va abandonner un dictateur ami s’il perd le contrôle à la suite d’une crise interne prolongée et que son remplaçant permet la commutation de l’influence avec l’instauration d’une situation de NR/NRP. Bien que de plus en plus dubitative quant à la capacité de Mobutu de demeurer au pouvoir encore longtemps, la Maison-Blanche n’a pas abandonné son ancien ami au début de sa chute. Ce n’est qu’après six ans de tergiversations, en 1997, que l’administration Clinton a concrètement abandonné Mobutu au profit de Laurent-Désiré Kabila, qui permettait la commutation de l’influence acquise de Washington. Oui

Notes de bas de page

1« It [Congo] was sort of a mini-Vietnam in that it had become a focus of cold war competition in Africa. The West was supporting one side, the Mobutu government, while the Soviet bloc supported various rebel groups. The size of the country, the weakness and corruption of the Mobutu government, and chronic discontent in the eastern part of the country meant that it was chronically instable and a fertile ground for rebellion and subversion. At that time, there was a widely accepted theory on both sides of the cold war that the size, resources, and central location of the Congo made it the key to dominating or at least heavily influencing all of Africa. » Voir « Interview with Herman J. Rossi III », 2 juillet 2007, ADST, 2011, p. 12, https://cdn.loc.gov/service/mss/mfdip/2011/2011ros01/2011ros01.pdf.

2« [These two countries are] significant holes [that] had been punched in the truce lines which had emerged after the Second World War […] In the Congo, amidst the confusion which followed the end of colonialism, the Communists were rigorously seeking to establish a central African base. » Voir Michael G. Schatzberg, Mobutu or Chaos ? The United States and Zaire, 1960-1990, Lanham, University Press of America, 1991, p. 15.

3« Lumumba did have some charismatic and other qualities which were pluses. But he had the vulnerability which could have been for Soviet purposes and which could have been used against our interests. […] But anyway, it was too late. He had to go. » Voir « Interview with Ambassador Lewis Hoffacker », 17 juillet 1998, ADST, 2004, p. 35, https://cdn.loc.gov/service/mss/mfdip/2007/2007hof01/2007hof01.pdf.

4« Kasavubu was never a terribly important character, just wishy, washy. » Voir « Howard Imbrey » (entrevue avec), dans Democratic Republic of the Congo (Zaire) – Country Reader, ADST, 2001, p. 68, https://www.adst.org/Readers/Democratic%20Republic%20of%20the%20Congo%20-%20Zaire.pdf.

5« I was given a number of individuals to spot and assess. [...] Even though he was only 29 at the time, everyone who saw him recognized his intelligence and personal presence ; he acted like an African leader – understanding his supporters as well as his opponents ; he was the best political mind on the scene. We needed him and he needed us. » Voir Adam Zagorin Gbadolite, « Leaving fire in his wake », Time, 24 juin 2001, http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,161061,00.html.

6« The embassy was very friendly to Mobutu. He was a young and upcoming leader in the 1960s. He was viewed as pro-western, pro-American and progressive. » Voir « Interview with Victor D. Comras », 16 avril 2002, ADST, 2004, p. 21, https://cdn.loc.gov/service/mss/mfdip/2007/2007com01/2007com01.pdf.

7« General [Mobutu], if it hadn’t been for you the whole thing would have collapsed and the Communists would have taken over. » Voir Sean Kelly, America’s Tyrant : CIA and Mobutu of Zaire, Washington, D. C., The American University Press, 1993, p. 247.

8« [C]ommunist threat, of course, was why we were there, to keep the Congo united and to keep the commies out. They were coming in the windows. Mobutu was an instrument in this regard. […] His charm was just that. He was convenient to our government though with heavy CIA support. » Voir « Interview with Lewis Hoffacker », op. cit., p. 121.

9Voir « Interview with Victor D. Comras », op. cit., p. 21.

10Comme le rappelait l’ambassadeur William C. Harrop à ce sujet : « Si nous avions besoin d’un soutien ou d’une aide africaine sur des questions devant l’ONU, le général Mobutu était toujours là. Notre relation n’en était pas une à sens unique. [...] Si nous avions besoin d’un soutien de la part du Zaïre à l’ONU relativement à la Corée, à Porto Rico ou à tout autre problème classique de l’époque, nous pouvions toujours compter sur le président Mobutu pour qu’il vote en faveur de la position américaine. Ce comportement a contribué à développer une certaine loyauté de la part des administrations américaines à son égard. » « If we needed African support or help on issues before the UN, General Mobutu was always there. Our relationship was by no means just a one-way street. [...] If we needed support in the Security Council to do with Korea, Puerto Rico, or whatever the classic issues of the day were, we could always count on President Mobutu to come, front and center, to cast Zaire’s vote in favor of the American position. This comportment tends to develop a certain loyalty on the part of American administrations. » Voir « Interview with William C. Harrop », 24 août 1993, ADST, 2019, p. 90, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Harrop.William.C..pdf?_ga=2.45572972.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

11« [H]e basically ran Zaire as his personal fiefdom. Whatever progress was made was due to his acquiescence or approval ; it was not the result of any systematic bureaucratic initiative, or any initiative from the population. Fortunately, Zaire had many assets – ores, oil, electric power, a good transportation system (rail and river), coffee, tea, food products. » Voir « Ambassador Phillis E. Oakley », entrevue, 8 mars 2000, ADST, 2004, p. 58, https://adst.org/wp-content/uploads/2013/12/Oakley-Phyllis-E1.pdf.

12« All of the shipping out of the gold and the diamonds to Switzerland. There was no investment in the country by Mobutu and his rich relatives and cronies. They were skimming off everything. » Voir « Ambassador Michael Newlin », entrevue, 10 octobre 1997, ADST, 2000, p. 22, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Newlin,%20Michael.1997.toc.pdf?_ga=2.48711662.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

13« There was great fear of Mobutu in Zaire, and of his army in particular, by people in villages and the countryside who suffered constantly from pillaging, brutality and rape by his underpaid or unpaid soldiers, who exacted their “pay” from villagers by stealing food and generally having their way. » Voir « Ambassador Brandon H. Grove, Jr. », entrevue, 14 novembre 1994, ADST, 1998, p. 180, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Grove,%20Brandon.toc.pdf?_ga=2.79577948.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

14« [H]e had become one of our strongest allies in Africa. He sided with us in the UN on important issues. He twice sent his troops to restore order in Chad. He was viewed by us as the powerful and enduring leader of a large country surrounded by nine smaller countries which he helped keep in the Western orbit. In addition, Mobutu was an important voice in the Angolan and Namibian struggles and in US-sponsored negotiations. » Voir ibid., p. 179.

15« One of Africa’s most experienced statesmen, President Mobutu has worked with six Presidents. And together, – and we – have sought to bring to Zaire, and to all Africa, real economic and social progress and to pursue Africa’s true independence, security, stability as the bases for that development. […] And we look forward to continued cooperation between our countries. Mr. President, the strong ties of friendship between Zaire and the United States endure and prosper. And we are proud and very, very pleased to have you [Mobutu] with us today. » Voir The American Presidency Project, « Remarks following discussions with President Mobutu Sese Seko of Zaire, June 29, 1989 », https://www.presidency.ucsb.edu/documents/remarks-followingdiscussions-with-president-mobutu-sese-seko-zaire.

16« The domestic political situation [in Zaire] was unraveling rapidly. There were demands for democracy. He was under a great deal of pressure as the economy came apart, particularly after 1990, with the breakdown in Eastern Europe, when there was a call for democracy everywhere. It was clear that the “Cold War” elements in our relationship were going to become much less important. The winds of democracy were sweeping across the whole world. He had to respond to them – had to feel them. Things became very, very tense in Zaire after 1990. » Voir « Interview with William C. Harrop », op. cit., p. 92.

17« Now, going back to the troubles of ‘ 91, September ‘ 91, what happened was that with all the economic problems in Zaire, the army was very irregularly paid. They were late in being paid or only some of them were paid, but early in the morning on a day in September ‘ 91, we heard that a unit had mutinied out by the airport and that they had ransacked the international airport at Kinshasa, and that they were moving down the main road towards Kinshasa and of course the population was just joining them and looting everything in sight and burning cars and so forth. » Voir Library of Congress, « Melissa Foelsch Wells », entrevue, 1995, ADST, p. 602, http://adst.org/wp-content/uploads/2012/09/Democratic-Republic-of-the-Congo-Zaire.pdf.

18« Mobutu has always been very skillful in making sure that no competitor would become viable ; he would get rid of anyone who might have any aspirations. » Voir « Ambassador Robert B. Oakley », entrevue, 7 juillet 1992, ADST, 1999, p. 109, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Oakley,%20Robert%20B.toc.pdf?_ga=2.78647004.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

19« Mobutu is a master of divide and conquer, and in a tribal society this is not too difficult. We were all tempted at times to try and play the game that we have played elsewhere : saying to ourselves, “Well, obviously our man is a crook (or an ideological enemy, or incompetent) and we should find someone else to take his place.” But we all knew where this policy led us in the past. […] The thinking process kept coming back to “yes, he is a bastard, but he is our bastard” and we should try and reform him. » Voir Library of Congress, « Thompson R. Buchanan », entrevue, 15 mars 1996, ADST, 1998, p. 57, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Buchanan,%20Thompson%20R.toc.pdf?_ga=2.42037101.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

20« There was no one in Zaire at that time able to challenge Mobutu directly. Opposition leaders like Etienne Tshisekedi and members of his UDPS Party lived in exile in Belgium, as did N’guz Karl-i-Bond. Our embassy in Brussels maintained lowlevel contacts with these figures, arousing Mobutu’s suspicions and anger. » Voir « Ambassador Brandon H. Grove, Jr. », entrevue, 14 novembre 1994, ADST, 1998, op. cit., p. 180.

21« The feeling in Washington – and this was finally articulated fairly clearly by the National Security Council and people near the top levels of the Department of State – was that you don’t lightly work to get rid of a leader without knowing who’s going to replace him, particularly in a volatile situation. Mobutu was the devil that we knew, and so forth. Washington would challenge me to specify what would come after Mobutu. My answer would be that there were several possible formulations and several competent leaders who could step in. I could not predict which would prevail. I didn’t know. ». Voir ibid., p. 92.

22« We feel that he still has a role to play in Zaire until their election takes place. » Voir Kelly, op. cit., p. 253.

23« During the last year and a half of my time there I had become quite frustrated because I could not get much of an ear in Washington for repeated recommendations that we disassociate ourselves from this man. I was convinced that it was not in our interest any longer to be so closely identified with him. I thought that we should not give him the kind of American support he had been getting. He used his American connection with great skill in domestic politics. The view he cultivated was, “You can’t dispense with Mobutu. He’s the American man.” I wanted to get that view set aside but could not get cooperation at home for all of the reasons that I mentioned. Plus, I guess, another argument that was most commonly voiced in Washington. For instance, I put into our “Goals and Objectives Plan” for the following year, 1991 : Primary Objective – Gradual disassociation from Mobutu. This came back crossed out, with the comment, “We can’t do that, be serious. It’s out of the question.” » Voir Library of Congress, « Interview with William C. Harrop », op. cit., p. 269.

24« He has problems with military units from time to time in different regions, but I think that his success, despite all odds, and his staying power over the last few years have certainly been due, as much as anything else, to his use of the military and their undoubted loyalty to him. » Voir ibid., p. 90.

25« So we hold him responsible, and we’ve said that he must effectively give up power to someone else, preferable from the opposition, so that a transition to a free and fair election can take place. » Voir Kelly, op. cit., p. 254.

26« We are not asking him to leave. We feel that he should remain President so that he can control the military forces until there’s an election—at which point the people will decide. » Voir ibid.

27« There’s always an inertia in policy, a reluctance to take risky initiatives or sometimes any initiatives at all. “If it ain’t broke...” One hears the plea of don’t disturb a political system when what you may be creating is chaos – more chaos than you have already, and you don’t know who’s going to replace him. It could become worse, the argument runs. You at least have influence in the present system, and you may not have some influence over what replaces it. Some people, I’m sorry to say, said, “Look, we do have certain obligations to this man who has cooperated with us over and over again, whatever you may think of him morally.” » Voir Library of Congress, « Interview with William C. Harrop », op. cit., p. 93.

28« Mobutu could hold it together ; nobody else can. He’s our ticket. We’ve got to stay with him. » Voir « Stevenson McIlvaine », entrevue, 23 septembre 2003, ADST, 2006, p. 40, https://www.adst.org/OH%20TOCs/McIlvaine,%20Stevenson.toc.pdf?_ga=2.49823854.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

29« I made it clear [in my closure report] that, in my view, Mobutu was not going to last much longer. I think that I predicted he could last, given present internal and international pressures, between seven and 10 months longer. I wrote that the situation was falling apart around him, he had destroyed his country, people were becoming hungry, and the opposition was growing. I expected there was going to be even greater chaos in Zaire and that Mobutu was going to be forced from power ; if the United States was perceived as supporting the dictator against the will of the people, our influence with his successors would be attenuated, to put it mildly. » Voir Library of Congress, « Interview with William C. Harrop », op. cit., p. 94.

30« That’s a question for the Zairian political leadership and the Zairian Government to answer, whether or not Mr. Mobutu should resign. That’s really up to him. It’s up to his political associates. It’s up to his political opponents. It’s up to the Zairian people to decide that. » Voir Nicholas Burns, « U. S. Department of State daily press briefing # 52, 97-04-09 », Hellenic Resources Network, http://www.hri.org/news/usa/std/1997/97-04-09.std.html.

31« We could look at and try and groom people who might be potential successors, but that was sort of a risky business in Zaire. If somebody got too identified with the United States, he was likely to be out of a job. » Voir « Ambassador Michael W. Cotter », entrevue, 12 décembre 1998, ADST, 2002, p. 90, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Cotter,%20Michael%20W.toc.pdf?_ga=2.49881198.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

32« “Regardless of the fact that we are no longer faced with a communist threat,” explained this officer, “the destabilization of Zaire – which borders nine other African countries – could have a tremendously negative impact on regional stability.” Although this FSO supported US involvement in gently pressuring Mobutu to “recognize the inevitable” and “accept the growing involvement of opposition politicians,” such as Etienne Tshisekedi, the UDPS leader who was elected Prime Minister by delegates of the national conference on democracy in September 1992, the approach was tempered by the strongly engrained belief that a “Zaire without Mobutu could entail a Zaire engulfed by chaos.” “It is not in our interest that Mobutu suddenly disappear,” explained another diplomat with extensive experience within the region. “What may replace him is unclear, and meanwhile, the situation could prove chaotic.” » Voir Peter J. Schraeder, United States Foreign Policy toward Africa : Incrementalism, Crisis and Change, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 107.

33« [I]n late summer 1995, [Mobutu] was quite ill. » Voir Library of Congress, « David R. Adams », entrevue, 10 juillet 2007, ADST, 2010, p. 61, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Adams,%20David%20R.toc.pdf?_ga=2.41422570.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

34« Unfortunately, Mobutu didn’t die suddenly. These scenarios always work better when the head of state dies suddenly and the other people in power are faced with the situation of what do they do now, as opposed to a lingering illness, such as Mobutu had, with declining support from outside patrons. In that case, the whole situation deteriorates slowly, and the next thing you know is there is a rebellion in the far eastern part of the country headed by somebody [Laurent-Désiré Kabila] that nobody in the West knows at all. ». Voir Library of Congress, « Ambassador Michael W. Cotter », op. cit., p. 90, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Cotter,%20Michael%20W.toc.pdf?_ga=2.12536700.912838227.1572871841-1423823226.1571775543.

35« In any case, the US role was far more extensive than has been publicly acknowledged. American officials based in Rwanda made contact with the rebel Alliance for the Democratic Liberation Front in the early weeks of the conflict, according to several administration officials. They said Peter Whaley, the second in command at the US Embassy in Kigali, Rwanda, traveled to eastern Zaire to initiate a relationship with the rebel leadership, meeting at least a dozen times with Kabila. » Voir Colum Lynch, « US agents were seen with rebels in Zaire : Active participation is alleged in military overthrow of Mobutu », Boston Globe, 8 octobre 1997.

36« U.S. officials defend the collaboration by arguing that it is wiser to engage with Rwanda to help it develop a human rights culture than to step aside and risk a new descent by the country into chaos. The effort to support and strengthen the Rwandan military is “a matter of practical policy interests and common sense,” a Clinton administration official said. “Assuming diplomacy fails and [ethnic conflict] grows, somebody needs to be in a position to contain it.” » Voir Lynne Duke, « Africans Use Training in Unexpected Ways Series : Special Alliances », The Washington Post, 14 juillet 1998, https://www.washingtonpost.com/archive/politics/1998/07/14/africans-use-training-inunexpected-ways/4610ae8f-6bb4-48b7-8c91-908e20dfdb4e/.

37« [P]ushing the ailing and corrupt Mobutu Sese Seko to resign as President now, before Zaire crumbles entirely, and while there is still a chance to persuade the rebel leader, Laurent Kabila, to broaden his coalition and carry out democratic elections. » Voir Steven Erlanger, « U.S. decides time is ripe to elbow Mobutu aside », The New York Times, 30 avril 1997, https://www.nytimes.com/1997/04/30/world/us-decides-time-isripe-to-elbow-mobutu-aside.html.

38« I told him that if he wanted a relationship with the United States, democracy, human rights and free-market economics were going to be important. […] I told him you’re going to need us, and that’s when the breakthrough came. We established a tie, and the ambassador [Daniel H. Simpson] even got his fax and phone numbers. » Voir French, op. cit., p. 213.

39« I gave him a note from the president telling him that it was time to go, yet his advisers were counseling him that his forces still had a chance to beat back Kabila’s. He still thought he could survive in Zaire. He didn’t, and I told him so in pretty frank terms : “You are living in a fantasy world if you think this will end on your terms. I am speaking for the president of the United States when I say our support for you is finished. You’re history in Zaire. You can leave with dignity and your money or you can leave as a carcass, but you’re going to leave.” Frail as he was from the cancer eating away at him, Mobutu looked as if he wanted to clobber me with his cane. » Voir Bill Richardson, Between Worlds : The Making of an American Life, New York, G.P. Putnam’s Sons, 2005, p. 247.

40« When I arrived in Kinshasa, we were trying to establish a new relationship with Joseph Kabila, and to move the country back from some of the more capricious behavior of Kabila, Senior. » Voir Library of Congress, « Interview with Aubrey Hooks », 5 septembre 2009, ADST, 2012, op. cit., p. 118.


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