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Chapitre 5. Carter et la chute de Pahlavi en 1979
p. 61-80
Texte intégral
1Avant la réinstallation au pouvoir du shah en 1953, la relation diplomatique entre Téhéran et Washington avait été assez distante. Auparavant, avec à sa tête Reza Shah Pahlavi – le père de Mohammad Reza Pahlavi auquel nous nous intéresserons ici –, l’Iran était plus proche de Londres. En effet, celui-ci fut d’abord installé au pouvoir en 1925 par la Grande-Bretagne et cette dernière l’en débouta avec la Russie en 1941 après qu’il eut été accusé d’entretenir des sympathies à l’égard de l’Axe. De ce fait, le dauphin du nom de Mohammad Reza Pahlavi, alors âgé d’à peine 22 ans, fut couronné sur le trône encore chaud de son père. Dès lors, la table semblait mise pour que l’Iran demeurât sous la coupe des Britanniques ou des Russes. Or, c’était sans compter avec le début de la guerre froide, qui força les États-Unis à revoir ses priorités en politique étrangère en l’orientant désormais vers un endiguement systématique de l’influence soviétique sur le plan mondial.
2L’Asie de l’Ouest n’échappant pas à ce nouveau mot d’ordre, la Maison-Blanche devait damer le pion à l’URSS en Iran en tentant de se rapprocher de Pahlavi. Si certains historiens, comme James A. Bill en 1988, arguent que la course aux faveurs de l’Iran constitua le premier bras de fer dans ce qui allait devenir la guerre froide, il est clair qu’en raison de l’appétit énergétique des deux blocs, les richesses pétrolières de l’ancienne Perse faisaient d’elle un enjeu géostratégique crucial. Outre les œillades que ses ressources naturelles provoquaient, une combinaison de facteurs internes et externes contribua à opérer un rapprochement diplomatique entre Washington et Téhéran. Sur le plan interne, l’arrivée en 1951 d’un nouveau premier ministre réformateur nommé Mossadegh – qui voulait entre autres choses nationaliser le pétrole iranien – ouvrit une fenêtre de tir pour la Maison-Blanche alors que sur le plan externe, le Royaume-Uni, épuisé par l’effort de guerre à l’étranger et la reconstruction de ses infrastructures nationales, voulait réduire sa présence internationale. Ce retrait provoqua dès lors un vide d’influence que les Américains devaient s’empresser de combler avant que les Soviétiques ne le fissent. Un document classifié de la CIA datant d’août 1953 notait :
Les États-Unis soupçonnaient les Soviétiques de tenter de tirer parti de la détérioration de la situation en Iran. Aux yeux des Américains, il ne faisait pas de doute que les dirigeants soviétiques voyaient les problèmes de Mossadegh comme une ouverture diplomatique, et que si celui-ci voulait essayer de jouer Moscou contre Washington, les Soviétiques l’aideraient. Le Kremlin l’aiderait. Le rapprochement avec Mossadegh présentait des avantages considérables pour les Soviétiques : un double voisin méridional au minimum et, au-delà, une occasion de faire entrer un pays d’importance stratégique dans la sphère d’influence soviétique1.
3Les choses se précipitèrent avec la première offensive perpétrée par des officiers promonarchiques contre Mossadegh, dont l’échec mena au premier exil forcé du shah le 16 août 1953. Comme le notait le politologue Richard W. Cottam en 1988, pour Washington, il était clair que Mossadegh devait partir puisqu’il commençait à se rapprocher de Moscou. Trois jours plus tard, la CIA et le MI6 joignirent leurs efforts pour mener l’opération Ajax qui fut couronnée de succès et orchestra le retour du shah le 22 août après un bref exil en Italie. Dans ses mémoires, Eisenhower se rappelait en ces termes le retour de Pahlavi : « [L]a nouvelle, naturellement, me réconfortait. […] Tout au long de cette crise, le gouvernement des États-Unis avait tout mis en œuvre pour soutenir le Shah2. » En ce qui concerne notre propos, la réinstallation du shah à la tête de l’Iran après son premier exil d’à peine six jours est un cas secondaire interne qui cadre avec nos prédictions théoriques puisque son retour au pouvoir permettait aux États-Unis d’asseoir leur influence à Téhéran en y bloquant celle de l’URSS. Par l’injection massive de fonds dans le régime iranien, à laquelle s’ajoutait un troc profitable d’armes en échange de pétrole, l’administration Eisenhower ne perdit pas de temps pour bâtir une relation privilégiée avec le jeune monarque iranien.
La pré-crise
4Si la bonne entente entre le shah et Washington se poursuivit de plus belle sous John F. Kennedy et par la suite sous Lyndon B. Johnson, c’est vraiment sous la gouverne du président Richard Nixon que l’amitié entre Washington et Téhéran atteignit son apogée. Durant cette période, le shah put s’appuyer sur la Maison-Blanche pour financer les coûts abyssaux de sa « révolution blanche », laquelle devait opérer une industrialisation draconienne de l’État iranien pour en faire le pendant moyen-oriental du Japon.
5En 1977, toutefois, avec l’arrivée à la présidence de Jimmy Carter, le vent commença à tourner pour Pahlavi. Rappelons qu’avant même son accession au Bureau ovale, Carter s’était engagé, au nom d’un plus grand respect des droits humains, à revoir les relations d’amitié qu’entretenait la Maison-Blanche avec plusieurs chefs d’État autoritaires. Advenant un durcissement de la répression de Pahlavi à l’égard de son peuple, le nouveau président devrait opter pour une distanciation entre Washington et le shah. Cela étant dit, malgré l’embarras diplomatique dans lequel il mettait épisodiquement la Maison-Blanche à chaque médiatisation des excès de sa dictature, Pahlavi avait maintes fois prouvé sa loyauté envers la Maison-Blanche sur la scène extérieure et cette connivence était encore précieuse pour Washington. D’ailleurs, avant le début des émeutes de 1978, Carter ne tarissait pas d’éloges à l’égard de « son ami le shah ». À la Maison-Blanche, le 15 novembre 1977, le président lui avait adressé un panégyrique :
Nous sommes liés par des liens indissociables d’amitié, d’histoire et un engagement mutuel envers le présent et l’avenir. [...] Nous considérons la force de l’Iran comme un prolongement de la nôtre et l’Iran considère notre force comme une extension de la sienne. Nous tirons un bénéfice mutuel de cette relation étroite. Le Shah est venu dans notre pays plus d’une douzaine de fois. Sa première rencontre avec un président américain eut lieu en 1943, alors que le président Roosevelt était à Téhéran lors d’une conférence. Par la suite, il a rencontré tous les présidents qui se sont succédé à la Maison-Blanche : Truman, Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford et moi-même. Et ceci est la continuation d’une compréhension croissante de l’autre3.
6Durant une visite officielle en sol iranien un mois et demi plus tard, soit le 31 décembre 1977, Carter en avait rajouté dans un toast en son honneur en disant qu’en raison du grand leadership du shah, l’Iran était devenu un îlot de stabilité dans l’une des régions les plus troublées du monde4. Si en surface tout semblait en ordre à Téhéran à ce stade, c’était le calme avant la tempête pour le shah (et pour Washington par extension).
Le début de la crise
7Bien que Pahlavi dût faire face à une dissidence organisée – qui était le fait de différentes factions concurrentes – tout au long de son règne, c’est à partir de 1978 que le flamboyant despote commença à réellement perdre de son lustre. En moins d’un an, la relation s’étiola, au fur et à mesure que la grogne montait contre le dictateur iranien. Certains facteurs aggravants n’aidèrent pas la cause de Pahlavi. D’abord, à partir de 1976, l’Iran fut aux prises avec une crise économique et une grave inflation. Puis l’année suivante, certains chefs religieux chiites – dont la figure de proue était sans conteste Rouhollah Khomeini, encore en exil – en appelaient au renversement du shah. Sur fond de ras-le-bol généralisé de la population, malgré les efforts de la redoutable police secrète de la SAVAK, les différents groupes opposés au shah (communistes, nationalistes, islamistes et étudiants) commencèrent à percevoir un renversement possible du régime en joignant leurs forces autour du projet commun d’une révolution antimonarchiste, et tel que Charles Kurzman l’observait en 1996 (p. 155), ce rapprochement était sans précédent en Iran.
8Après une série de manifestations sur la place Jadeh durant le printemps et l’été de 1978, ce fut lors du « Vendredi noir » du 8 septembre que, selon nous, la chute du shah s’enclencha véritablement. À cette date charnière, une foule composée d’une centaine de milliers d’individus demandant l’abdication du shah et le retour de Khomeini se heurta à l’armée iranienne qui avait reçu l’ordre d’ouvrir le feu sur les manifestants désarmés. Si les comptes rendus officiels faisaient mention de 97 manifestants décédés et 205 blessés, d’autres sources avançaient le chiffre plus réaliste de 4000 individus tombés sous les balles de l’armée. Cette démonstration de force où les chars d’assaut et les hélicoptères avaient été déployés n’eut pas l’effet de dissuasion escompté puisque les manifestants tombés, considérés comme des martyrs, ont plutôt galvanisé les opposants. Du côté américain, bien que Carter fût choqué par la véhémence avec laquelle son homologue iranien avait réprimé la manifestation, il ne manqua pas de l’appeler le dimanche suivant pour lui réitérer son appui en lui souhaitant encore « le meilleur dans la résolution de ces problèmes et… dans ses efforts pour mettre en œuvre les réformes nécessaires5 ». Robert Jervis rapportait d’ailleurs dans son livre de 2010 que le même jour, l’ambassadeur américain Sullivan qui était allé s’entretenir avec le shah nota qu’il avait l’air tendu en plus d’avoir les traits tirés. La persistance de l’appui américain au shah entre septembre et décembre 1978 cadre avec notre argument théorique voulant que la Maison-Blanche n’abandonne pas un dictateur ami qui est encore capable de conserver le contrôle de son régime. Malheureusement pour Pahlavi et Carter, ni les mots réconfortants du président ni les tanks de l’armée ni les micros de la SAVAK ne purent calmer le jeu après le « Vendredi noir ».
La perte de contrôle
9Avec la popularité grandissante de Khomeini, le slogan classique des protestataires anti-Pahlavi « Indépendance ! Liberté ! Justice sociale ! » fut remplacé par « Indépendance ! Liberté ! République islamiste ! », qui commença à résonner loin, très loin ; jusqu’à Washington. Tant et si bien qu’après vingt-cinq années de bonne entente, le 9 novembre, un télégramme confidentiel envoyé par l’ambassadeur William Sullivan à Téhéran et s’intitulant « Penser l’impensable » avançait que, désormais, l’administration Carter devait se préparer à devoir composer avec un État iranien sans le shah à sa tête6. Bien que Pahlavi s’obstinât à nier la crise, avec l’inclination croissante de la classe moyenne vers la subversion, l’incapacité du régime à juguler la révolte devenait de plus en plus évidente.
10Un des symptômes de cette perte de contrôle fut aussi la réticence grandissante des soldats à ouvrir le feu sur des citoyens de même confession religieuse qu’eux. Qui plus est, les grèves générales dans les industries pétrolières et minières démontraient l’influence grandissante de l’ayatollah Khomeini qui – par l’entremise de cassettes audio enregistrées depuis sa banlieue parisienne de Neauphle-le-Château et circulant sous le manteau partout en Iran – en appelait au sacrifice des manifestants, à la grève des travailleurs et au boycott du paiement des impôts des contribuables. Le 9 décembre 1978, pas moins de 175 grèves paralysaient l’État, touchant les services postaux, les chemins de fer, les écoles primaires et secondaires et les bazars de tous les grands centres iraniens. En réponse à la tourmente, Pahlavi essaya maladroitement de ménager la chèvre et le chou par l’adoption de décisions contradictoires. D’un côté, il imposa la loi martiale pour forcer les grévistes à se remettre au travail, ce qui n’eut aucun effet tangible, et de l’autre, il voulut faire bonne figure en relâchant des prisonniers politiques qui, sans trop de surprise, se joignirent immédiatement aux contestataires. Le régime glissant vers le chaos de jour en jour, après que la majorité des puits de pétrole eurent été fermés à cause des grèves, ce fut au tour des avions de Iran Air le 27 décembre d’être cloués au sol pour les mêmes raisons.
11Tout allant de mal en pis pour le shah, voilà que le nouveau premier ministre Gholam Reza Azahri abdiquait le 4 janvier 1979 après avoir été victime d’une crise cardiaque. Du coup, son gouvernement s’effondra. En guise d’ultime effort pour calmer l’insurrection, le shah nomma à la tête du nouveau gouvernement un de ses opposants politiques de longue date, Chapour Bakhtiar. Mais cela n’eut pas l’effet escompté : le nouveau premier ministre fut immédiatement expulsé de son parti et se mit à dos le mouvement d’opposition. Ce dernier était attisé par l’ayatollah Khomeini qui accusait Bakhtiar d’être un laquais à la solde du shah et de Washington : « Ce monsieur, le Dr Bakhtiar, ne s’accepte pas et ses amis ne l’acceptent pas non plus. La nation ne l’accepte pas et l’armée ne l’accepte pas. Seule l’Amérique le soutient et a ordonné à l’armée de le soutenir7. » Tant et si bien qu’au début du mois de janvier 1979, le shah avait complètement perdu le contrôle de son régime et que sa chute semblait désormais imminente et inévitable.
Les options de la Maison-Blanche
12Un problème majeur s’est manifesté dans cette phase cruciale de la prise de décision de l’administration Carter : l’indécision de ce dernier entre l’abandon immédiat ou la prospection de remplaçants possiblement sympathiques aux intérêts américains en Iran. À ce stade, le problème ne fut pas tant que les options présentées étaient irréalisables, mais plutôt que pendant la chute vertigineuse du régime de Pahlavi, Carter tergiversa entre ces deux options. Certains, tels que Daugherty en 2001 ou Jervis en 2010, ont partiellement exonéré Carter pour l’indécision avec laquelle il a géré la crise iranienne en raison de la déficience des services de renseignements postés à Téhéran durant cette crise. D’autres, comme Zbigniew Brzezinski en 2003, l’ont vertement critiqué pour ses atermoiements dans la gestion de cette crise8.
13D’emblée, force est de reconnaître que l’administration Carter fut prise de court par l’embrasement rapide de la révolution iranienne après le « Vendredi noir ». Il faut savoir que la CIA elle-même, postée sur le terrain, avait initialement minimisé l’augmentation du nombre de manifestants et de manifestations dans les rues de Téhéran, puisqu’elle faisait parvenir le message suivant à Carter en août 1978 : « L’Iran n’est pas dans une situation révolutionnaire ou même pré-révolutionnaire9. » Se fiant aux renseignements qu’elle recevait, c’est sans surprise que la Maison-Blanche accusa un coup de retard face à la chute vertigineuse du shah. L’insouciance faisant rapidement place à l’inquiétude, le 7 décembre 1978, lors d’un point de presse à la Maison-Blanche, alors qu’il répondait à la question d’un correspondant : « Pensez-vous qu’il [le shah] pourra survivre maintenant et si oui, comment ? », Carter cachait mal son pessimisme, se contentant de dire :
Je ne sais pas, j’espère que oui. La réponse est dans les mains du peuple iranien […]. Les États-Unis n’ont pas l’intention d’intervenir dans les affaires internes de l’Iran. Nous voulons principalement qu’il n’y ait pas de violence ni d’effusion de sang. Personnellement, nous préférons que le shah continue d’occuper un rôle majeur dans le gouvernement, mais cette décision est du ressort du peuple iranien10.
14Bref, Carter jouait maladroitement un rôle de funambule en voulant conserver le statu quo malgré la progression rapide de la révolution. Cela dit, bien que ce comportement diplomatique puisse sembler naïf avec le recul actuel, il faut garder en tête qu’avant le départ effectif du shah le 16 janvier 1979, l’administration Carter n’avait pas beaucoup de solutions de rechange.
15À ce stade, certains, comme l’ambassadeur Sullivan, proposèrent que la Maison-Blanche « exfiltre » au plus vite le monarque iranien pour permettre l’établissement d’un gouvernement dirigé par des nationalistes modérés – dont Bakhtiar aurait pu faire partie, par exemple, s’il n’avait pas été désormais d’emblée trop associé au shah. Carter fit la sourde oreille à cette proposition – ainsi qu’il le rappelait dans ses mémoires, avant le départ effectif du shah « la clef de la stabilité [en Iran] était le monarque, soutenu par l’armée11 ». Or, comme Sullivan l’a déploré dans ses propres mémoires : « Nous avons dérivé le reste du mois de novembre jusqu’en décembre sans que le département d’État ou Washington en général nous oriente12. » Si bien qu’en date du 29 décembre 1978, le shah – exaspéré par l’indécision de Carter – demanda à Sullivan s’il devait rester au pouvoir ou partir. L’ambassadeur américain, en l’absence de toutes directives claires sur la question, dut se contenter de lui répondre qu’il n’avait reçu aucune instruction à cet égard, mais qu’il serait assurément le bienvenu aux États-Unis s’il décidait de s’exiler. Pourtant, comme on pouvait le lire dans le livre de 2013 du spécialiste Christian Emery, pour Brzezinski et d’autres responsables américains, une chose était sûre : il fallait faire attention de ne pas créer un vide d’influence en Iran, lequel contribuerait à un gain d’influence de l’URSS dans la région du golfe Persique13. Cela dit, les quatre décisions que prit successivement Carter – bien qu’elles n’eussent pas eu l’effet escompté vis-à-vis de la CMIA recherchée en Iran – exprimaient la crainte de Washington de perdre l’Iran au profit d’un pôle d’influence concurrent.
La décision : quatre dates, quatre décisions en moins d’une année
16La réaction américaine à l’égard de la chute de Pahlavi est complexe, ponctuée de plusieurs valses-hésitations, elles-mêmes tributaires des rebondissements survenant en Iran. Chronologiquement, Carter tenta de sauver la mise en 1979 à Téhéran en poursuivant quatre stratégies incompatibles : (1) par une absence du point de bascule durant les heures qui suivirent le départ de Pahlavi le 16 janvier pour l’Égypte, (2) par un abandon officiel le 22 février en lui refusant l’asile politique, (3) par un second sursis du point de bascule le 22 octobre en accueillant le shah pour des raisons de santé et enfin, (4) par son extradition définitive vers le Panama le 15 décembre.
Le 16 janvier 1979 : Carter reporte initialement l’abandon après la chute de Pahlavi
17Pour des raisons liées à la CMIA, Carter n’abandonna pas Pahlavi le 16 janvier 1979 durant les premières heures du départ du shah. N’ayant pas l’assurance d’une commutation possible de l’influence américaine avec Bakhtiar au pouvoir, l’administration Carter continua de le soutenir. Ici, l’absence de point de bascule se lit dans l’accueil accordé au shah au début de son exil. Rappelons que l’ambassadeur Sullivan avait clairement laissé entendre au shah peu avant son départ que les États-Unis lui ouvriraient leurs portes dans son exil. À cet égard, les spécialistes Sick en 1985 et McDermott en 1998 étaient catégoriques : le shah aurait bel et bien été accueilli à bras ouverts s’il était directement allé aux États-Unis immédiatement après son départ de l’Iran. À ce stade, Pahlavi pensait probablement pouvoir être réinstallé après une brève absence à l’extérieur du pays comme cela s’était produit en 1953. Mais Carter, contrairement à Eisenhower, n’était pas prêt à intervenir sur le terrain pour le maintenir au pouvoir. C’est donc sans le savoir que lorsque Pahlavi quitta son royaume le 16 janvier 1979, ce fut pour ne plus jamais y revenir. Pis encore, comme l’indique à juste titre Boyd à propos du shah : « Au moment où il déciderait de venir aux États-Unis, Carter et Vance ne voudraient plus de lui14. »
Le 22 février 1979 : Carter abandonne une première fois le shah en lui refusant l’asile politique
18Une série de facteurs contribuèrent à ce point de bascule initial qui, comme nous le verrons, ne fut pas définitif. La perte graduelle, mais rapide, du contrôle de Pahlavi de son régime força la Maison-Blanche à trouver des solutions de rechange. À ce stade, Carter pensait être en mesure de commuter son influence acquise avec le remplaçant du shah, le premier ministre Bakhtiar, ce qui aurait été possible si ce dernier avait pu rester en poste. En s’expatriant en Égypte plutôt qu’aux États-Unis le mois précédent, Pahlavi fut l’artisan de son malheur en créant un climat qui lui était défavorable auprès de la Maison-Blanche. L’ambassadeur Sullivan résumait cette tension de la sorte :
Le shah rendait notre position (américaine) moins tenable vu qu’il continuait à affirmer qu’il souhaitait retourner en Iran. Dans ces circonstances, cela devenait particulièrement difficile pour nous d’accueillir le shah aux États-Unis, car la présomption générale en Iran aurait été que nous espérions l’aider dans ses ambitions de revenir sur le trône15.
19Cela conforte notre perspective théorique selon laquelle, à partir du moment où Pahlavi avait perdu le contrôle de son régime et que Carter pensait pouvoir poursuivre la bonne entente avec l’Iran sous la gouverne de son remplaçant initial Bakhtiar, un point de bascule était à prévoir à l’égard du shah. À partir du 22 février 1979, la conservation maximale de l’influence acquise pour Carter passait par la commutation de celle-ci avec le nouveau pouvoir à Téhéran. En essayant de tendre une perche à Khomeini à la fin de janvier 1979, Carter avait dit dans une conférence de presse qu’il espérait que Washington et Téhéran demeureraient bons amis et avait incité les leaders religieux, les factions politiques et les forces armées iraniennes à soutenir le gouvernement légitime de l’ancien premier ministre Bakhtiar. Parallèlement à la volonté de distanciation envers le shah dans l’ère post-monarchique qui s’amorçait, la question de l’octroi d’un asile politique en sol américain au shah fit surface. Au cours des discussions qui se succédèrent, l’option du refus d’offrir l’asile politique au shah remporta la faveur de Carter. Hamilton Jordan, le chef de cabinet de la Maison-Blanche en poste durant cette crise, se souvenait de la pugnacité de Carter qui disait lors des délibérations : « Ça n’a aucun sens de le faire venir ici et de détruire la moindre chance de reconstruire une relation avec l’Iran. Cela revient à choisir entre les préférences du shah quant à son lieu de résidence et les intérêts de notre pays16. » Cette fin de non-recevoir qu’essuya Pahlavi quant à un possible exil aux États-Unis constitue un premier point de bascule à son égard. Malheureusement pour Carter et la suite des choses, la chute rapide du premier ministre Bakhtiar – qui ne demeura au pouvoir que du 4 janvier au 10 février – fit place au gouvernement de Bazargan nommé par Khomeini, qui, lui, était moins enclin à poursuivre la relation amicale avec la Maison-Blanche.
Le 22 octobre 1979 : Pahlavi bénéficie d’un sursis du point de bascule
20La perte d’influence américaine fut évidente lorsque le nouveau gouvernement de Bazargan décida – peu de temps après son entrée en fonction – de rompre la collaboration militaire avec les États-Unis en leur demandant de démanteler leurs postes militaires le long de la frontière irano-russe et en annulant des contrats d’une valeur de neuf milliards de dollars américains en armement. En accordant momentanément, à partir du 22 octobre 1979, l’asile politique au shah pour qu’il reçût des soins médicaux à New York, Carter fit bénéficier celui-ci d’une grâce présidentielle que nous pouvons désigner comme un sursis du point de bascule accordé pour des raisons humanitaires. C’est en effet après avoir appris que son ancien proche collaborateur était atteint d’un lymphome que Carter, pensant à tort pouvoir conserver des relations cordiales avec son homologue Bazargan, avait cédé aux pressions de ses conseillers : « On m’a dit que le shah était désespérément malade et en danger de mort. On m’a dit que New York était le seul établissement médical capable de lui sauver la vie et que les autorités iraniennes avaient promis de protéger notre peuple en Iran. Quand toutes les circonstances m’ont été décrites, j’ai accepté17. » Comme le chef de cabinet Hamilton Jordan le mentionna après coup : « Nous savions que c’était risqué, mais nous pensions que ce risque était raisonnable. Évidemment, avec le recul, nous avions tort18. »
21Notre théorie – qui est pourtant en mesure d’expliquer le report initial et l’avènement du point de bascule à l’égard de Pahlavi après son départ d’Iran – n’est pas en mesure d’expliquer cette décision, parce que celle-ci a résulté de motivations politiques qui relèvent de niveaux d’analyse (individuel, organisationnel, bureaucratique, etc.) différents du nôtre qui se focalise sur les répercussions de la CMIA à l’échelle internationale. L’octroi temporaire d’un asile politique en sol américain à Pahlavi a été expliqué de plusieurs façons : comme résultant (1) d’un processus décisionnel discordant lié à des pressions et des dissensions intestines selon Warren Christopher et Paul H. Kreisberg (1985), (2) d’un service de renseignement déficient pour Robert Jervis (2010), (3) d’une mauvaise coopération bureaucratique pour Alexander Moens (1991) ou encore, (4) de la psychologie idiosyncrasique de Carter qui, selon Rose McDermott (1998), aurait été moralement incapable de laisser mourir un ancien proche collaborateur. Toutefois, malheureusement pour la validité de nos arguments théoriques, toutes ces analyses s’inscrivent dans des niveaux d’analyse que notre théorie considère normalement comme secondaires et négligeables.
22Précisons cependant que certains arguments avancés par les tenants politiques de l’accueil inconditionnel du shah cadrent mieux avec notre théorie. Certains ténors de la politique étrangère américaine comme Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski pensaient qu’en l’absence d’une commutation possible de l’influence acquise, la maximisation de cette dernière passait alors par un soutien indéfectible au shah ; lequel devait se traduire par son accueil immédiat et permanent en sol américain. L’argumentaire de Zbigniew Brzezinski, qui finit par convaincre Carter, cadre avec notre argument de la CMIA. Comme le conseiller à la sécurité nationale le professait au sein du cercle décisionnel avant l’arrivée du shah à New York : « Il est peu probable que nous puissions nouer des relations avec l’Iran tant que les choses là-bas ne se seront pas réglées. Mais ce serait un signe de faiblesse que de ne pas permettre au shah de venir vivre aux États-Unis. Si nous tournions le dos au shah déchu, ce serait un signe pour le monde entier que les États-Unis sont seulement un ami des beaux jours19. » Quelles que soient les motivations fondant la décision d’accueillir finalement le shah après des mois de tractations, il est clair que cette dernière eut de graves conséquences puisqu’elle entraîna le 4 novembre suivant la prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran. Véritable tuile pour Carter, cet événement allait officialiser une rupture diplomatique qui perdure encore depuis entre les deux pays. À ce titre, l’ancien agent de la CIA posté en Iran, William J. Daugherty – qui fit lui-même partie des otages – ne fut pas tendre à l’égard de Carter et de sa décision d’accepter d’accueillir le shah en octobre 1979, qualifiant celle-ci de « l’une des décisions les plus controversées et les plus préjudiciables qu’un président eût prises depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale20 ».
Le 15 décembre 1979 : Carter abandonne à nouveau le shah en l’expulsant des États-Unis
23En accueillant le shah le 22 octobre 1979, la Maison-Blanche se mit définitivement à dos la majorité du peuple iranien qui, à ce stade, après le retour de Khomeini, exigeait le rapatriement de Pahlavi pour qu’il fût jugé en sol iranien. Comme l’ambassadeur Sullivan l’avait préfiguré, l’arrivée du shah aux États-Unis fut perçue comme une provocation par le peuple iranien. Ainsi, à peine douze jours après l’entrée de Pahlavi aux États-Unis, des étudiants iraniens réussirent à pénétrer dans l’ambassade américaine de Téhéran et à en prendre le contrôle. Ce coup de force n’était pas sans précédent : l’ambassade américaine avait déjà été confrontée à une tentative du même genre le 14 février de la même année.
24Il va sans dire qu’après le 4 novembre, Carter marchait sur des œufs. D’une part, s’il expulsait le shah, il cédait au chantage des preneurs d’otages et d’autre part, il devait tenter d’apaiser les tensions à Téhéran et reconduire le shah à l’extérieur des frontières américaines au plus vite. Pour sauver la face, vu l’état de santé chancelant du monarque iranien, Carter devait attendre la fin de sa convalescence et trouver un État qui l’accueillerait à son tour. Pour ajouter à la situation difficile de Carter, sa dernière chance de commutation possible de l’influence acquise s’évanouit le lendemain lorsque le premier ministre Bazargan et son cabinet démissionnèrent pour protester contre la prise d’otages. Sans se rétracter complètement, Carter tenta néanmoins d’étouffer la crise en transférant le shah au Texas à partir du 2 décembre. Treize jours plus tard, à peine remis sur pied, le monarque iranien sans trône fut reconduit avec empressement au Panama pour améliorer les chances d’une résolution pacifique de la prise d’otages à Téhéran.
25Ce deuxième et dernier point de bascule de l’administration Carter à l’égard de Pahlavi fut une tentative maladroite de rétractation après la bévue diplomatique que représenta son accueil en exil. Ici, force est de reconnaître que la théorie n’arrive pas à expliquer ce second abandon puisque cette décision fut moins motivée par la recherche de la conservation de l’influence acquise que par la volonté de Carter de corriger un faux pas diplomatique. Selon nos projections théoriques, à ce stade où la commutation de l’influence acquise était manifestement impossible en raison de l’hostilité de Khomeini envers les États-Unis, la Maison-Blanche aurait dû continuer d’appuyer le shah pour tenter de conserver un maximum d’influence – aussi résiduelle fût-elle dès lors – en mettant tout en œuvre pour tenter d’abord de renverser le nouveau gouvernement et éventuellement de réinstaller la dynastie Pahlavi à la tête de l’Iran comme en 1953.
Épilogue : Khomeini arrive au pouvoir (NR/NRN)
26Ironiquement pour celui qui était obsédé par le désir de laisser derrière lui la postérité d’un monarque éclairé et visionnaire tel que Louis XIV l’avait incarné pour la France, Pahlavi dut plutôt se résigner à réinterpréter sur la scène de l’Histoire le rôle moins glorieux de Louis XVI. Coup de théâtre télégraphié, la révolution iranienne fut remportée par les factions islamistes qui instaurèrent un régime théocratique farouchement anti-américain et ouvertement hostile à Israël. En définitive, le dénouement final pour Carter se produisit le lendemain de la prise d’otages à Téhéran avec la démission du premier ministre Bazargan – qui était sa dernière carte – et la dissolution de son cabinet qui s’ensuivit ; laissant dès lors le champ libre à Khomeini. Du côté américain, la consolidation au pouvoir du gouvernement de Khomeini représentait le pire scénario possible pour la Maison-Blanche selon notre théorisation des dénouements possibles, à savoir celui du NR/NRN. Visiblement incapable de ramasser les pots cassés à la suite du cafouillage de la gestion de la révolution iranienne, Carter adopta un ton plus corrosif face au nouveau régime en poste à Téhéran, celui-ci affirmant dans un décret présidentiel du 14 novembre 1979 :
Moi, Jimmy Carter, président des États-Unis d’Amérique, considère que la situation en Iran constitue une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des États-Unis et déclare par la présente une urgence nationale pour faire face à cette menace. Par la présente, j’ordonne de bloquer tous les biens et intérêts du gouvernement iranien, de même que les ressources de la Banque centrale d’Iran, qui sont soumis à la juridiction des États-Unis21.
27L’adoption de cette posture défensive à l’égard de l’Iran répondait alors à l’hostilité de la rhétorique officielle du nouvel homme fort de Téhéran à l’égard des États-Unis. Pour Khomeini, l’aboutissement de la révolution passait par la destitution de la monarchie, l’instauration d’une république islamiste, mais aussi et surtout par l’affranchissement de l’ingérence américaine, puisque pour lui : « Tous les problèmes de l’Est proviennent de ces étrangers de l’Ouest et de l’Amérique en ce moment. Tous nos problèmes viennent d’Amérique22. » En acceptant de devenir le Guide de la Révolution le 3 décembre 1979, Khomeini devint le chef suprême de l’Iran. Tant et si bien qu’en 1980, après avoir échoué à deux reprises à rétablir un contact harmonieux avec Téhéran – qui se montra chaque fois réfractaire à toute forme de coopération avec Washington – et après avoir sanctionné une opération de sauvetage des otages américains qui se solda également par un échec humiliant, Carter dut se rendre à l’évidence et se résigner à voir l’Iran se soustraire à la sphère d’influence américaine.
28À l’égard de cette perte coûteuse, relevons que contrairement aux craintes américaines durant la révolution iranienne, le vide de puissance ne profita pas à l’URSS, pas plus qu’à d’autres États puissants, après la répudiation de l’influence de Washington en 1979. Rappelons que Khomeini souhaitait que l’Iran s’affranchît de toutes formes d’ingérence étrangère et qu’il n’était pas question pour lui de remplacer le joug américain par celui de l’URSS. Cependant, la nature ayant horreur du vide, le déclenchement de la guerre entre l’Iran et l’Irak en septembre 1980 força Khomeini à opérer un rapprochement diplomatique avec la Chine pour qu’elle l’aidât à vaincre Saddam Hussein en lui vendant des armes. Ainsi, le rapprochement sino-iranien survenu quelques mois plus tard valide malgré tout notre conception de la concurrence permanente que se font les États puissants en matière d’influence.
***
29Dans ce deuxième test empirique, la validité explicative de notre théorie du point de bascule est partielle puisqu’elle n’explique qu’en partie les décisions qu’adopte l’administration Carter à l’égard du shah d’Iran avant et après son départ. Prise de court en janvier 1979, au début de la cavale du shah, la Maison-Blanche reporta le point de bascule à son égard, continuant de garder des contacts diplomatiques avec le dictateur et se montrant de plus disposée à l’accueillir en Californie. Or, pensant que la commutation de l’influence était possible, initialement avec le gouvernement de Bakhtiar puis durant ses premiers échanges avec celui de Bazargan, Carter changea rapidement son fusil d’épaule trente-six jours plus tard en refusant l’asile politique au shah, confirmant ainsi le premier point de bascule à son égard.
30Nonobstant la capacité de la théorie à expliquer ces deux décisions initiales, celle-ci trébuche lorsque vient le temps d’expliquer les deux qui suivirent. Outre la décision de Carter d’accueillir le shah à New York pour des raisons médicales en octobre 1979, notre théorie peine à expliquer l’avènement du second point de bascule survenu le 15 décembre lorsque Pahlavi fut expédié, pour ne pas dire expulsé, en catimini vers le Panama. Si la première décision fut le fruit de motivations humanitaires, la deuxième résulta davantage d’une volonté de gommer l’erreur diplomatique précédente et de tenter de dénouer l’impasse diplomatique provoquée par la crise des otages du 4 novembre 1979. Encore aujourd’hui, quarante ans plus tard, les plaies diplomatiques entre les deux États ne se sont toujours pas cicatrisées. Face à ce constat d’échec de l’administration Carter durant cette crise, l’ampleur des dommages à long terme que peut receler une perte d’influence pour les États-Unis justifie l’importance que la théorie lui accorde dans le calcul décisionnel. À ce titre, n’oublions pas que les effets négatifs de la débâcle diplomatique qui suivit l’arrivée du shah contaminent aujourd’hui encore les rapports entre Washington et Téhéran, où l’ambassade américaine n’a jamais été rouverte depuis. Le tableau 5.1 récapitulatif reprend chacun des stades empiriques la chute de Pahlavi en 1979 en les comparant avec nos prédictions théoriques.
tableau 5.1. Le bilan de la chute du shah en 1979
| Stade de la crise | Années concernées | La théorie du point de bascule prédit que… | Cours des événements | Applicabilité Oui/Non |
| Pré-crise | 1953-1977 | En l’absence de révolte, la Maison-Blanche appuie un dictateur ami pour sa propension à collaborer avec Washington. | Pahlavi bénéficia de l’appui de la Maison-Blanche puisqu’il était garant de la stabilité et des intérêts américains dans la région du golfe Persique. | Oui |
| Début de la crise | Le 8 septembre 1978 | Le déclenchement d’une vague de contestation représente un élément perturbateur qui, à court ou à long terme, peut mener un dictateur à sa chute. | Bien que les manifestations du printemps et de l’été 1978 n’eussent pas été couronnées de succès, elles menèrent au « Vendredi noir » du 8 septembre. | Oui |
| Durant la crise | Du 9 septembre à la fin de décembre 1978 | L’aggravation de la contestation peut mener à une perte de contrôle du dictateur de son régime. | La Maison-Blanche continua de soutenir Pahlavi après le « Vendredi noir », jugeant qu’il était en mesure de juguler la révolte. Or, la crise prit de l’ampleur et les manifestations et les grèves généralisées paralysèrent rapidement le régime du shah. | Oui |
| Examen des options | Avant le 16 janvier 1979 | Lorsque la perte de contrôle semble inévitable, le statu quo de la relation passée devient impossible. | La commutation de l’influence acquise n’étant pas assurée advenant le départ du shah, la Maison-Blanche avait dès lors peu de choix et souhaitait qu’il se maintînt au pouvoir. | Oui |
| Décisions américaines (les quatre décisions de Carter en 1979 à l’égard du shah) | 1) Le 16 janvier 2) Le 22 février |
La Maison-Blanche va surseoir au point de bascule envers un dictateur ami incapable de se maintenir en poste s’il n’y a pas d’option viable pour commuter son influence. La Maison-Blanche abandonnera un dictateur ami lorsqu’elle pense être en mesure de commuter son influence avec son ou ses remplaçants. |
Durant les premières heures suivant son départ pour l’Égypte, les États-Unis auraient accordé au shah d’Iran l’asile politique, si celui-ci en avait fait la demande, en reportant le point de bascule à son égard. Carter abandonna rapidement Pahlavi pour la première fois en lui refusant l’asile politique le 22 février 1979 après que la commutation de l’influence sembla possible avec ses remplaçants, que ce soit d’abord avec le premier ministre Bakhtiar, qui ne demeura qu’à peine plus d’un mois au pouvoir, puis, dans une moindre mesure, avec son successeur Bazargan, après le retour de Khomeini. |
Oui Oui |
| Décisions américaines (les quatre décisions de Carter en 1979 à l’égard du shah) (suite) | 3) Le 22 octobre 4) Le 15 décembre |
La Maison-Blanche n’accordera pas de sursis à un point de bascule à l’égard d’un dictateur ami pour des raisons autres que la recherche de la conservation maximale de l’influence acquise. En l’absence totale de solutions de rechange après la chute d’un dictateur ami permettant une commutation de l’influence acquise, la Maison-Blanche va continuer de soutenir un dictateur ami en l’accueillant en exil. |
À cette date, Carter décida d’accueillir le shah pour des raisons médicales. Il s’agissait dès lors d’un sursis au point de bascule par rapport à sa décision du 22 février précédent. Cette décision controversée ne manqua pas de mettre le feu aux poudres à Téhéran, engendrant la prise d’otages de l’ambassade américaine qui débuta le 4 novembre suivant. Expulsé du territoire américain par Carter qui voulait dénouer l’impasse de la crise des otages de Téhéran, Pahlavi subit à cette date un second point de bascule. |
Non Non |
| Résultats | Après le 3 décembre 1979 | Lorsqu’un dictateur ami est renversé par une révolte et que son ou ses remplaçants se montrent hostiles envers Washington, il s’agit d’un dénouement de type Nouveau Régime/Nouvelle Relation Négative (NR/NRN). | Après le retour de Khomeini en Iran, les choses allèrent de mal en pis entre Téhéran et Washington. Avec ce dernier aux commandes en tant que Guide de la Révolution autoproclamé le 3 décembre 1979, l’Iran sortit complètement de la sphère d’influence américaine pour intégrer celle de la Chine après le déclenchement de la guerre Iran-Irak à partir de la fin septembre 1980. | Oui |

Notes de bas de page
1« The United States suspected the Soviets of trying to take advantage of the deteriorating situation in Iran. In the US view, Soviet leaders undoubtly saw Mossadeq’s troubles as a diplomatic opening, and if he wanted to try to play Moscow against Washington, the Soviets would help him. The Kremlin would help him. The potential benefits to the Soviets of cultivating Mossadeq were great : a double southern neighbour at a minimum, and beyond that, a chance to draw a strategically important country into the Soviet sphere of influence. » Voir Scott A. Koch, « “Zendebad, Shah !” : The Central Intelligence Agency and the Fall of Iranian Prime Minister Mossadeq : August 1953 », Washington, D. C., Central Intelligence Agency, History Staff, juin 1998, p. 16-17, https://nsarchive2.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB435/docs/Doc%204%20-%20CIA%20-%20Zendebad%20Shah%20-%202000%20release.PDF.
2« [T]he news naturally, was heartening to me […]. Throughout this crisis, the United States government had done everything it possibly could to back the Shah. » Voir Dwight Eisenhower, Mandate for Change : 1953-1956, New York, Doubleday, 1963, p. 164.
3« We are bound together with unbreakable ties of friendship, of past history, a mutual commitement to the present and to the future. [...] We look upon Iran’s strength as an extension of our own strength, and Iran looks upon our strength as an extension of theirs. We derive mutual benefit from this close relationship. The Shah has been to our country more than a dozen times. His first meeting with an American President was in 1943, when President Roosevelt was in Tehran at a conference there ; and subsequently he’s met with every President we’ve had – with Truman and with Eisenhower, with Kennedy and with Nixon, with Ford and myself, with President Johnson. And this is a continuation of a growing understanding of one another. » Voir Jimmy Carter, Public Papers of the Presidents of the United States, Jimmy Carter, 1977, Book 2, From June 25 to December 31, Office of the Federal Register (OFR), Ann Arbor, 2005, p. 2031, https://quod.lib.umich.edu/p/ppotpus/4732130.1977.002/893?view=image&size=100.
4Andrew Glass, « Carter lauds shah of Iran, Dec. 31, 1977 », Politico, 30 décembre 2018, https://www.politico.com/story/2018/12/30/this-day-in-politics-december-31-1077103.
5« Carter telephoned Teheran to wish Pahlavi “the best in resolving these problems and… in his efforts to implement reforms” ». Voir John Dumbrell, The Carter Presidency : A Re-Evaluation, Manchester, Manchester University Press, 1993, p. 165.
6« Thinking the Unthinkable ». Voir Garry Sick, All Fall Down : America’s Tragic Encounter with Iran, New York, Random House, 1985, p. 80.
7« This gentleman, Dr Bakhtiar, does not accept himself, and his friends do not accept him either. The nation does not accept him and the army does not accept him. Only America is backing him and has ordered the army to support him. » Voir BBC World Service, « The Speeches of Ayatollah Khomeini », http://www.bbc.com/persian/revolution/khomeini.shtml.
8En fait, pour Zbigniew Brzezinski, Carter aurait dû admettre le shah d’Iran en sol américain dès son départ de Téhéran. Voir William J. Daugherty, « Carter and the 1979 decision to admit the Shah into the United States », American Diplomacy Foreign Service Dispatches and Periodic Reports on U.S. Foreign Policy, avril 2003, http://americandiplomacy.web.unc.edu/2003/04/jimmy-carter-and-the-1979-decision-to-admitthe-shah-into-the-united-states/.
9« Iran is not in a revolutionary or even a pre-revolutionary situation. » Voir Alexander Moens, « President Carter’s Advisers and the Fall of the Shah », Political Science Quarterly, vol. 106, no 2, 1991, p. 217.
10« I don’t know, I hope so. It is in the hands of the Iranian people. The U.S. has no intention to intercede in the internal affairs of Iran [...]. We primarily want an absence of violence and bloodshed. We personally prefer that the Shah maintain a major role in the government, but that is a decision for the Iranian people to make. » Voir Public Papers of the Presidents of the United States, Jimmy Carter 1978 (Book II), Washington, United States Government Printing Office, 1979, p. 2172.
11« [T]he key to stability was the monarch himself supported by the military. » Voir Jimmy Carter, Keeping Faith : Memoirs of a President, Fayetteville, University of Arkansas Press, 1995, p. 440.
12« We drifted through the remainder of November into December with no guidance from the Department of State or Washington in general. ». Voir Moens, op. cit., p. 224.
13« Many U.S. officials had anticipated Soviet subversion and opportunism as the Shah’s regime collapsed ; they then expected the Kremlin to exploit the security vacuum created by Iran’s chaotic revolutionary transition. Brezinski informed Carter in March 1979 that the Soviet Union “could become the major strategic winner in the Persian Gulf as a result of the downfall of the Shah”. » Voir Christian Emery, US Foreign Policy and the Iranian Revolution : The Cold War Dynamics of Engagement and Strategic Alliance, New York, Palgrave Macmillan, 2013, p. 191.
14« By the time he would decide to come to the United States, Carter and Vance would no longer want him. » Voir Lyn Boyd, « A King’s exile : The Shah of Iran and moral considerations in U.S. foreign policy, “Case 234” », Case Studies, Institute for the Study of Diplomacy of Georgetown University, Washington, D. C., 2000, p. 5.
15« So long as the Shah continued to give evidence that he wished to return to the country (Iran), it made our (US) position less tenable. It would make it particularly difficult for us, in those circumstances, to take the Shah into the United States, because the general presumption in Iran would be that we were hoping to assist him in his ambitions to return to the throne. » Voir William H. Sullivan, Mission to Iran, New York, W.W. Norton & Company, 1981, p. 276.
16« [I]t makes no sense to bring him here and destroy whatever slim chance we have of rebuilding a relationship with Iran. It boils down to a choice between the shah’s preferences as to where he lives and the interests of our country. » Voir Boyd, op. cit., p. 7.
17« I was told that the Shah was desperately ill, at the point of death. I was told that New York was the only medical facility that was capable of possibly saving his life and reminded that the Iranian officials had promised to protect our people in Iran. When all the circumstances were described to me, I agreed. » Voir Carter, op. cit., p. 455.
18« We knew it was a risk, but we thought it was a reasonable risk. Obviously, in hindsight, we were wrong. ». Voir Rose McDermott, Risk-Taking in International Politics : Prospect Theory on American Foreign Policy, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1998, p. 98.
19« It is unlikely we can build a relationship with Iran, until things there have sorted themselves out. But it would be a sign of weakness not to allow the Shah to come to the States to live. If we turned our backs on the fallen Shah, it would be a signal to the world that the U.S. is a fair-weather friend. » Voir ibid., p. 92.
20« […] one of the most controversial and detrimental decisions any president has made since the end of World War Two. » Voir Daugherty, op. cit., 2001, p. 1.
21« I, Jimmy Carter, President of the United States, find that the situation in Iran constitutes an unusual and extraordinary threat to the national security, foreign policy and economy of the United States and hereby declare a national emergency to deal with that threat. I hereby order blocked all property and interests in property of the Government of Iran, its instrumentalities and controlled entities and the Central Bank of Iran which are or become subject to the jurisdiction of the United States or which are in or come within the possession of control of persons subject to the jurisdiction of the United States. » Voir National Archives, « Executive Order 12170 – Blocking Iranian Government property », https://www.archives.gov/federal-register/codification/executive-order/12170.html.
22« All the problems of the East stem from those foreigners from the West, and from America at the moment. All our problems come from America. » Voir Krysta Wise, « Islamic Revolution of 1979 : The downfall of American-Iranian relations », Legacy, vol. 11, no 1, 2011, p. 8.
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La Maison-Blanche face à des dictatures amies en péril
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